M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, vous avez évoqué de nombreux points. J’ai déjà abordé certains d’entre eux et je vais tenter d’éviter les répétitions, étant donné l’heure tardive – même si, pour les débats parlementaires, il est presque tôt. (Sourires.)
Parmi les sujets que vous avez mentionnés et qui n’avaient encore été que peu traités ce soir, la sensibilisation de nos concitoyens me semble tout à fait essentielle. En effet, il faut s’efforcer d’entretenir un élan collectif en faveur d’une plus grande protection de nos océans et de la biodiversité marine.
Ce travail de sensibilisation doit permettre d’attirer de nouveaux jeunes vers les métiers de la mer, qui sont parfois méconnus ou font l’objet de visions dépassées. En particulier, il faut insister sur la pluridisciplinarité qu’ils présentent, au carrefour de la géologie, de l’océanographie et de l’économie.
Entre autres enjeux figurent : les liens entre le littoral et la mer ; le déploiement et la gestion des câbles sous-marins ; la surveillance, la protection et l’autonomie stratégique.
Voilà pourquoi il faut sensibiliser les publics les plus jeunes tout en s’adaptant à la réalité des territoires : on ne parle pas de la mer de la même manière dans une région littorale, où ces questions sont très bien connues, et dans des lieux plus éloignés des côtes.
Dans le cadre du plan France 2030, nous avons notamment financé la réalisation d’un documentaire de vulgarisation tourné dans l’océan Atlantique.
Ce travail met l’accent sur l’enjeu environnemental. Chacun doit mesurer les conséquences de sa consommation quotidienne et, à cet égard, il faut insister sur l’impact du numérique : entre autres appareils, les téléphones portables nous permettent, en deux clics ou en deux swipes, de contempler de magnifiques images de l’océan, mais leur usage a un impact sur lesdits océans et sur la biodiversité.
Il faut avoir conscience de l’exploitation minière que ces équipements impliquent et se montrer particulièrement vigilants : c’est la sobriété énergétique qui permettra de limiter l’impact du numérique sur la biodiversité marine.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nassimah Dindar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les grands fonds marins, en France et pour la France, restent ce soir une grande question, alors même qu’une bonne politique de protection et d’exploitation de notre potentiel maritime pourrait être une solution pour notre Nation.
Mes collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch ne s’y trompent pas, dans leur rapport d’information, quand ils déplorent le faux départ constaté depuis de nombreuses années.
Il ne s’agit pas de vous, monsieur le secrétaire d’État ! Au contraire, plus je vous écoute, plus je pense que vous prenez un très bon départ. (Sourires.)
C’est une gouvernance éclatée qui entrave la dynamique nécessaire à une vision politique des fonds marins en France.
Il est toujours utile de préciser les points suivants : la France est la deuxième puissance maritime mondiale après les États-Unis ; 97,5 % de sa ZEE sont liés aux outre-mer et restent pourtant dans l’ombre des collectivités de La Réunion, de Mayotte, de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Guyane ; le potentiel économique et géopolitique de nos îles Éparses, dans l’Indianocéanie, est important, grâce à la ZEE dont la France dispose dans le canal du Mozambique.
Les vingt recommandations émises par mes collègues donnent un nouvel élan à la stratégie nationale telle que la souhaitent les nombreuses autorités auditionnées. Ces propositions vont dans le bon sens.
Je me permettrai simplement de souligner les deux principales.
Premier point, sur le volet des écosystèmes à préserver, que mon collègue a évoqué, nous avons beaucoup avancé dans nos îles Éparses. Nous les avons même sanctuarisées, jusqu’à abattre 16 000 vaches sur les îles Saint-Paul et Amsterdam. Et il est question aujourd’hui d’abattre les rennes qui peuplent les îles Kerguelen…
Nous pouvons donc continuer à gérer de façon durable la faune et la flore de ces régions, sans devenir des ayatollahs de l’écologie. Cela vaut également pour les fonds marins.
Il nous faut allier la présence humaine et la préservation de l’environnement dans nos îles vierges de l’océan Indien, les îles Éparses, lesquelles restent des territoires d’expérimentation particulièrement pertinents. C’est une autre région maritime de France, après la Bretagne !
L’information de la population environnante, des élus, des collectivités territoriales, reste primordiale au cœur d’une mobilisation intelligente et partagée qui faciliterait l’acceptabilité sociale des mesures prises pour les populations impactées.
Ainsi, nombreux sont les élus qui demandent une coordination entre La Réunion et Mayotte sur une vision partagée des fonds marins, en matière environnementale comme en matière économique, et, au-delà, avec la Commission de l’océan Indien (COI). Pour ce qui concerne cette dernière, il me semble que nous devons aborder la question de la coopération régionale avec les pays qui en sont membres, et notamment la grande île de Madagascar.
S’agissant des énergies marines, un centre de recherche existe aujourd’hui à La Réunion, des travaux y sont menés par l’lfremer et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Quel partage serait-il possible de mettre en place pour assurer l’implication des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, et particulièrement des communes littorales, nombreuses sur nos îles ?
Les décisions relatives aux ressources de l’océan profond et à leur utilisation durable au service d’une prospérité commune, ainsi qu’à l’implication de toutes les parties prenantes dans les choix éventuels en matière d’exploration ou d’exploitation des grands fonds marins, ne doivent pas être prises en vase clos, mais de manière concertée et élargie. La France prend à ce titre le bon chemin ; j’ai ainsi à l’esprit les recherches conduites en lien avec les outre-mer français ainsi qu’avec les pays limitrophes, comme l’Australie, dans le domaine des géosciences marines.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nassimah Dindar. Le deuxième point sur lequel je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, concerne l’état de la flotte d’outre-mer et la dotation en drones sous-marins. Le rapport fait état de la nécessité d’acquérir des patrouilleurs « grands fonds », en lien avec l’industrie française. Six de ces navires seront livrés d’ici à 2025, dont deux à La Réunion. Je m’en réjouis.
Il me semble que nous pouvons compter sur votre implication au secrétariat d’État à la mer. Les outre-mer attendent beaucoup du travail que vous mènerez, en lien avec nous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, vous avez abordé les sujets de la stratégie et de la nécessité d’impliquer les acteurs, c’est-à-dire à la fois la vision et la méthode.
Tout d’abord, le Gouvernement reconnaît qu’il faut aller beaucoup plus loin en termes de stratégie pour l’Indianocéanie. Depuis cinq ans, nous avons mené un travail approfondi, en lien avec les différentes collectivités locales, sur la stratégie indopacifique ; nous devons maintenant entamer le même effort concernant la stratégie indianocéanique, également avec les territoires concernés. Je vous invite donc à travailler avec nous, en vue de développer une stratégie et une vision.
Ensuite, vous avez évoqué l’importance des territoires dans le cadre de la réflexion portant sur les enjeux de valorisation et de souveraineté. Ainsi, à La Réunion, l’océan joue un rôle fondamental pour l’autonomie alimentaire.
Enfin, vous avez fait état de la nécessité de moderniser la flotte. Le ministre des outre-mer et moi-même poursuivrons nos efforts en ce sens.
Je vous propose donc, conformément à ce que j’ai indiqué à propos de la planification des grands fonds marins, de puiser dans la force de ces territoires, dans leurs spécificités et dans votre connaissance de cet espace pour travailler sur les sujets de la valorisation, de la protection, voire de la sanctuarisation, ainsi que de la déclinaison d’une coopération régionale.
Vous évoquiez le Mozambique et les États de la COI. Nous allons engager ce travail dans le cadre, également, du CNML. Il devrait aboutir, raisonnablement, d’ici à l’été 2023 à une stratégie basée sur la force de territoires comme celui de La Réunion.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots iront à Teva Rohfritsch, rapporteur de ce travail sur une meilleure maîtrise des fonds marins, dont l’importance n’est plus à démontrer.
Les événements récents concernant les gazoducs Nord Stream nous rappellent que les fonds marins sont le lieu du transport des hydrocarbures, mais aussi du transit de 98 % des échanges et des informations numériques, ainsi que de ressources, minerais et métaux dont notre industrie a besoin aujourd’hui.
À cet égard, notre rapport a révélé plusieurs obstacles auxquels se heurte l’appréhension de cette question particulière.
Le premier est celui de la connaissance : la biodiversité des fonds marins n’est connue qu’à hauteur de 5 %. Cela ne saurait constituer un obstacle total à leur exploitation, mais nous devons être vigilants. Nous ne pouvons pas les exploiter sans mieux connaître cette biodiversité, et ces fonds eux-mêmes.
Les connaissances bathymétriques portent sur 2 % à 5 % du plancher océanique ; à la vitesse à laquelle nous allons, il nous faudrait 3 500 ans pour le connaître entièrement… Il est donc nécessaire que nous nous dotions de moyens suffisants, dont certains ont été précisés par les précédents orateurs.
Il s’agit, bien sûr, de moyens destinés à nos organismes publics – Ifremer, CNRS, Shom, BRGM, IRD –, mais également à nos entreprises privées, lesquelles sont nombreuses et ont un rôle à jouer, mais manquent un peu de leadership et, surtout, de visibilité politique.
Je vous ai bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, indiquer à quel point le Président de la République était impliqué. Notre rapport a révélé que pas moins de huit ministères étaient en charge de ces stratégies, dont aucun n’exerce de véritable leadership. Le secrétariat d’État chargé de la mer n’a malheureusement pas cette prérogative ; nous aurions souhaité qu’il en dispose.
S’y ajoute le SGMer. Vous nous expliquerez en quoi la nomination de Didier Lallement est un signe positif pour cette stratégie maritime – ou plutôt pour ces stratégies, tant plusieurs d’entre elles cohabitent, ainsi que l’indique le rapport. Plan d’investissement France 2030, réunions du CIMer, stratégie des fonds marins relevant du ministère des armées : nous avons rencontré quelques difficultés pour comprendre comment ces démarches s’interpénétraient, ainsi que pour déterminer si les financements se cumulaient ou non. Vous nous avez cependant livré un chiffre sur le dernier point au cours du débat.
Au-delà de cette volonté politique, il a été rappelé que 97 % de notre ZEE se situaient dans les territoires ultramarins. Les auditions des élus concernés auxquelles nous avons procédé ont établi que ceux-ci avaient le sentiment de n’avoir pas été associés à ce qui se passait sur leur territoire. Et ce n’était pas seulement un sentiment ! Pourtant, cela a été dit, la mer confine parfois au sacré dans la culture de certaines de ces zones. Il ne paraît donc pas envisageable de travailler sans ces élus ; il me semble que vous l’avez parfaitement compris, monsieur le secrétaire d’État.
Tels sont les obstacles et les enjeux. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de trouver au fond de la mer des minerais dont nous manquerions sur terre. Le rapport a ainsi démontré que plus nous avions besoin de minerais, plus nous en trouvions sur terre. L’enjeu, c’est véritablement la souveraineté sur des territoires et dans des domaines où nos compétiteurs sont nombreux et agressifs.
Il ne suffit pas de détenir une zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés ; encore faut-il avoir la volonté de refaire de la France une grande puissance maritime. Nous avons tous les atouts pour cela. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, votre intervention me permet de clarifier certains aspects de la gouvernance.
Je souscris pleinement à vos propos sur la nécessité de continuer à faire de la France une puissance maritime. Il s’agit non pas seulement d’une question de délimitation de l’espace, mais d’un enjeu de puissance économique, militaire et scientifique.
Le cadre de la gouvernance est très clair.
La mer est un espace dans lequel prennent place des activités relevant de plusieurs secteurs, et donc de plusieurs ministères. Nous avons considéré que la meilleure manière de prendre en compte cette interministérialité et de traiter les enjeux maritimes sous les angles écologique, stratégique et de souveraineté, était de les placer auprès de la Première ministre.
Il y a, tout d’abord, le CIMer, le cadre politique, présidé par la Première ministre, où se décident les grandes orientations de la politique de la mer.
La déclinaison politique, ensuite, revient au secrétaire d’État chargé de la mer, qui coordonne politiquement tout ce qui se passe sur la mer. C’est ce que nous faisons, ainsi, en matière de planification maritime pour les énergies marines renouvelables, en lien avec le ministère des armées comme avec le monde de la pêche.
Quant aux questions stratégiques que vous évoquiez, elles relèvent du CNML, qui est, au fond, le parlement de la mer. Il regroupe des parlementaires, des usagers, des associations, sous l’autorité du secrétaire d’État chargé de la mer, qui opère cette coordination.
Enfin, le SGMer assure la coordination administrative, et non l’animation ou l’impulsion politique.
Vous le voyez, le dispositif est clair : d’un côté, le CIMer et le secrétariat d’État chargé de la mer ; de l’autre, le SGMer, qui assure la partie administrative et la déclinaison partout sur les territoires, en lien avec les préfets et les préfets maritimes.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.
Mme Muriel Jourda. Je ne suis pas certaine que vos explications aient apporté beaucoup de clarté ! Elles ont démontré, en revanche, la multiplicité des acteurs, et l’on peine encore à comprendre comment ceux-ci sont réellement articulés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme de nombreux orateurs précédents l’ont mentionné, les océans présentent des potentiels inégalés dans les domaines nutritionnel, pharmacologique, énergétique, minier. Certains s’emploient à dire que la vie serait issue des océans et que, aujourd’hui, notre survie en dépendrait, pourvu que nous sachions exploiter leurs ressources de façon raisonnée.
Les océans font aussi l’objet d’enjeux stratégiques et géopolitiques, et les conflits terrestres trouvent désormais leur prolongation dans les fonds marins.
Le rapport qui sert de base au débat de ce soir insiste sur la nécessité d’une cohérence dans la stratégie et d’une coordination des actions. Mais, au-delà de la gouvernance, se pose la question de l’ambition de la France de devenir une grande nation maritime. Notre pays devra, comme le mentionne Christian Buchet, s’affranchir de son passé, et de sa tendance à vouloir desserrer la mâchoire de fer de Charles Quint et à se tourner vers l’Est, et donc vers la terre.
L’exposition « Miroir du Monde », que l’on peut admirer au musée du Luxembourg, témoigne que la connaissance et la puissance ont dépendu de la maîtrise des mers et de l’organisation des circuits logistiques, apanage successif des Portugais, des Hollandais, des Anglais, et aujourd’hui des Chinois.
Affirmer une vocation maritime, c’est impulser une identité qui passe par la sensibilisation, l’éducation, la vulgarisation scientifique et technique, la constitution d’un réseau de formation et de recherche, la création d’un pôle d’excellence permettant de structurer une filière industrielle dont l’amorçage ne pourra être effectué, comme le souligne le rapport, que par la commande publique.
Je voudrais souligner les efforts des villes et des régions de France, lesquelles ont lancé de nombreuses initiatives. Ainsi, à Cherbourg, de l’autre côté du Couesnon – en Normandie, une région comptant, elle, cinq départements (Sourires.) –, la Cité de la Mer, qui vient d’être élue « monument préféré des Français 2022 », accueille en cette fin de semaine un cycle événementiel dénommé « Grands Océans », organisé par Sciences et Avenir et Les Échos.
Monsieur le secrétaire d’État, au moment où la récente nomination du nouveau secrétaire général de la mer nous interroge, quelle est votre feuille de route ? Quelles seront les prochaines actions que vous impulserez pour structurer une véritable filière océanique ?
Sur le plan international, l’exploration et l’exploitation des fonds marins prennent l’allure d’une ruée vers l’or bleu, au détriment de la préservation de l’environnement.
Aussi, au-delà des recommandations du rapport, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat insiste sur la nécessité de soutenir une initiative diplomatique visant à promouvoir, au niveau international, un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins n’excluant pas la possibilité d’interventions pour l’exploration, qui devront être néanmoins codifiées afin de ne pas détruire des écosystèmes.
De même, il importe de mettre en place des sanctuaires des profondeurs en délimitant des zones qui seraient totalement protégées et qui pourraient être reliées entre elles par des corridors biologiques sous-marins. Cette proposition figure dans l’étude intitulée « Les grands fonds marins : quels choix stratégiques pour l’avenir de l’humanité ? », réalisée par la Fondation de la mer en 2022.
Enfin, il est impératif de refondre complètement l’AIFM et notamment de réviser son mode de financement, actuellement basé sur une taxe perçue sur l’exploitation, qui la place donc dans une situation ambiguë. Cette refonte doit aussi lui permettre de contrôler et de sanctionner les pays et les acteurs qui contreviendraient aux obligations de protection de la biodiversité.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement partage-t-il cette analyse visant à refonder l’AIFM et son financement, et à lui conférer un pouvoir de contrôle et de sanction ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Nassimah Dindar et M. Michel Canévet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, la feuille de route qui a été assignée à ce secrétariat d’État comprend trois objectifs.
Le premier est la protection des océans et de la biodiversité marine, à la fois sur le territoire et au niveau international. Cela fait l’objet de ce que nous portons dans le cadre du processus BBNJ.
Le deuxième est le développement de l’économie maritime partout sur nos territoires. Il s’agit de lancer la décarbonation de ce secteur, notamment des ports et des navires, et de soutenir notre modèle de pêche très divers, qui va de la Méditerranée à la Manche.
Le troisième objectif est de lancer un grand exercice de planification de l’espace maritime, nécessaire, car la mer est un objet aux usages multiples et denses : énergies marines renouvelables, pêcheurs, activités touristiques, etc.
Cet exercice de planification va précisément nous permettre de répondre à l’objectif de sanctuarisation proposé par la Fondation de la mer. Dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité, nous pouvons aller vers une telle issue ; j’y suis favorable. Pour ce faire, nous aurons besoin de ce cadre de planification, en lien avec les territoires.
S’agissant de l’AIFM, nous sommes favorables à une réforme de son financement, à l’adaptation de son organisation aux nouveaux enjeux et aux nouvelles demandes, à la protection des fonds marins et à la mise en place d’un cadre international à cette fin. Nous allons avancer en ce sens, grâce aux débats parlementaires ; je sais que vous y êtes prêt, monsieur le sénateur, comme le rapporteur et les orateurs qui vous ont précédé.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de l’initiative du groupe RDPI et de l’organisation de ce débat, qui nous permet de mettre en exergue la situation de la France du point de vue maritime.
L’espace maritime français est, dans le domaine économique, mais aussi militaire, un élément constitutif fort de la capacité d’influence de notre pays et, plus largement, de sa puissance.
Cette mission d’information vient nous rappeler fort à propos que notre ZEE est source d’immenses richesses qu’il nous faut protéger, d’abord pour une raison économique : la quasi-totalité de nos échanges transite par des voies maritimes et l’intégralité ou presque de nos données internet passe dans des câbles sous-marins – notre sécurité en dépend étroitement, nous en prenons conscience depuis quelque temps. Si l’on interrompt ces flux, notre vie individuelle et collective sera complètement bouleversée et désorganisée.
Cet impératif met en exergue le rôle premier de protection et de sécurisation de notre marine nationale, que je tiens à saluer ici.
De manière plus générale, l’approche maritime de notre puissance est essentielle pour de multiples raisons. C’est pourquoi les orientations stratégiques et les capacités de les respecter sont particulièrement importantes, pour peu que nous voulions conserver une capacité de puissance à l’échelle de la planète ou, tout au moins, conforter notre position de puissance régionale de premier plan.
Ces dernières années, certains signes nous ont laissé penser que notre zone d’influence avait tendance à se réduire au regard de celle d’autres grandes puissances maritimes. C’est d’autant plus dommageable que nous disposons de ressources considérables.
J’ai particulièrement à l’esprit les grands fonds marins. Ceux-ci ont certes leur place dans le plan d’investissement France 2030, mais cette mission d’information sénatoriale nous a rappelé combien les enjeux liés à ces fonds ont été insuffisamment partagés. Pourquoi se limiter à quelques experts sous la houlette de l’État pour fixer les grandes orientations et les moyens adéquats ?
Nos rapporteurs ont souligné combien nous avions besoin d’un pilotage clair et élargi. C’est pourquoi la désignation d’un délégué interministériel aux fonds marins, chargé d’animer la politique des fonds marins et de coordonner l’action des différents ministères et des acteurs scientifiques, est nécessaire.
De même, le rapporteur appelle de ses vœux, à juste titre, la création d’un ministère de la mer de plein exercice afin de mettre en œuvre la politique maritime française relative aux grands fonds marins, mais aussi à la pêche et à l’aquaculture.
Pourquoi, en outre, ne pas impliquer le Parlement en désignant un représentant de chaque assemblée au sein du comité de pilotage de la stratégie, et y associer les délégations parlementaires aux outre-mer ainsi que les exécutifs ultramarins ?
Enfin, nous comptons sur vous pour que nous disposions de l’ensemble des connaissances préalables avant que ne soit prise toute décision de prospection et d’exploitation des ressources minières des fonds marins. Celles-ci constituent sans nul doute une option stratégique. Mais les rapporteurs ont indiqué à bon droit combien nous avions besoin de connaissances scientifiques approfondies, lesquelles font aujourd’hui parfois défaut, sur les grands fonds et leurs écosystèmes.
Monsieur le secrétaire d’État, pour éviter toute procrastination, faites en sorte d’écouter le Sénat, au moment où tant d’autres puissances maritimes convoitent de manière de moins en moins voilée ces espaces. Les échos de ce qui se passe dans le Pacifique ne manquent pas de nous inquiéter à cet égard : l’implication des États-Unis et les manœuvres de la Chine sont de moins en moins feutrées.
Il est temps de réagir. Ce travail d’approfondissement de nos connaissances et d’élargissement des partenariats avec les parties prenantes – chercheurs, élus, associations, entreprises – est une étape préalable avant de considérer l’opportunité de chercher ou non à atteindre l’objectif d’une exploration en vue d’une exploitation industrielle des fonds marins.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, les conditions indispensables pour donner un nouveau départ, que nous appelons de nos vœux, à la stratégie nationale pour les grands fonds marins. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Joël Bigot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, ma présence ici et notre riche débat montrent à quel point le Gouvernement écoute et va faire siennes certaines propositions concernant, notamment, l’implication des élus des territoires ultramarins, la nécessité d’une planification stratégique, avec des objectifs de sanctuarisation, ou encore le renforcement de l’interministérialité et de la cohérence des différentes stratégies.
Nous allons donc vous écouter et mieux prendre en compte ce qui est dit par les parlementaires. C’est pourquoi j’ai relancé, dès la semaine dernière, le Conseil national de la mer et des littoraux. J’y insiste, parce qu’il s’agit du parlement où se réunissent tous les acteurs, où l’on définit la stratégie, où l’on mène l’évaluation, où la concertation trouve sa place.
Peut-être le CNML n’est-il pas assez connu, mais il est très utile. Il me semble, en outre, qu’il a été défendu par tous les acteurs concernés lors du Grenelle de la mer. Je souhaite donc en faire le lieu où ceux-ci se rassemblent, discutent, avancent et coconstruisent.
Je suis à la disposition du Parlement, et singulièrement du Sénat, pour poursuivre ce débat et la réflexion sur les investissements, sur leur déclinaison territoire par territoire ainsi que sur les moyens que nous devons consacrer, dans le cadre du projet de loi de finances, au CNRS, à l’Ifremer, à l’IRD ou encore à la flotte océanographique française.
Autre point sur lequel nous allons vous écouter : nous devons disposer d’un responsable qui ne se contente pas de coordonner, mais qui décline cette politique territoire par territoire. À cette fin, j’ai proposé la création au sein de mon secrétariat d’État d’un poste de coordinateur de la planification des grands fonds marins. Son titulaire mènera ce travail avec l’ensemble des ministères, et l’une de ses missions principales sera d’entendre ce que dit le Parlement, notamment le Sénat, et de le traduire en actions concrètes.
Conclusion du débat