M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le président, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tenais à faire un court propos liminaire, d’abord pour vous remercier de la qualité de ce rapport, qui porte sur un domaine sur lequel nous connaissons pourtant très peu de choses.
Vous avez mené plus d’une soixantaine d’auditions – 69 pour être tout à fait précis ! –, et fait un certain nombre de déplacements, dont un en Norvège. On voit dans ce rapport la patte d’un connaisseur de la mer et de ses enjeux en termes tant de préservation de la biodiversité marine que de valorisation de ce patrimoine. Vous avez mis, monsieur le rapporteur, au cœur des enjeux pour la Polynésie, les territoires ultramarins et la France la nécessité de faire de la mer et des questions maritimes un moyen de lutte contre le changement climatique et un enjeu de souveraineté.
Le Gouvernement et tous ceux qui travaillent sur cette belle politique ont pris connaissance des recommandations. Avant de répondre à vos questions, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir sur trois points de clarification.
Premier point, il y a un pilote dans l’avion : c’est le Président de la République, qui affirme avec force une ambition dans ce domaine. Comme il a eu l’occasion de le rappeler lors de différents sommets, notamment la Conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne, mais aussi dans cette belle région de Bretagne que, comme lui, nombre d’entre vous connaissent bien ici – notamment le président de la mission d’information –, la connaissance des fonds marins et de l’océan est un enjeu crucial.
Le pilote dans l’avion, c’est aussi l’instance de décision qu’est le Comité interministériel de la mer (CIMer) au sein duquel a d’ailleurs été prise la décision de faire de l’exploration des fonds marins une priorité.
La deuxième clarification, que vous avez apportée – et je vous en remercie – avec un peu d’avance sur le Gouvernement, c’est que nous ne devons pas, et que nous n’allons pas, nous engager dans la voie de l’exploitation. La stratégie du Gouvernement et de tous les acteurs concernés est guidée par la volonté d’améliorer la connaissance, et de développer l’exploration et la recherche scientifique. Nous allons avancer dans cette voie, en incluant bien sûr tous les territoires – j’y reviendrai –, notamment ultramarins.
Troisième et dernier point de clarification, que je veux indiquer d’emblée, l’enveloppe consacrée à ce qui représente une aventure entrepreneuriale nationale, puisque nous allons devoir mobiliser nos industriels s’agissant notamment de la partie militaire, est dotée de 350 millions d’euros – 352 millions si l’on inclut quelques petits crédits dispensés dans différents ministères. Cette enveloppe importante est le signal politique que nous faisons de l’exploration des fonds marins un sujet prioritaire.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’être présents ce soir pour discuter de ce magnifique sujet qui a trait à la souveraineté, à l’urgence écologique et à notre capacité à répondre aux grands enjeux, pour nos concitoyens et pour les générations suivantes.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai laissé terminer votre propos, mais je vous demande de respecter le temps de parole qui vous est imparti dans la suite du débat.
La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les autres membres de cette mission d’information sur les fonds marins, j’ai participé à ses travaux avec beaucoup d’intérêt. J’ai lu attentivement le rapport et je partage l’essentiel de ses conclusions. En effet, si l’Amazonie est le poumon vert de notre planète et nécessite à ce titre l’attention du monde au moindre départ de feu, nos océans sont sûrement le poumon bleu indispensable à notre avenir. Le rôle des océans dans la régulation du réchauffement climatique est indéniable, et les abysses en sont peut-être la réserve naturellement préservée.
Au même titre que nous nous soucions de l’état de nos forêts et de nos sols afin de garantir la qualité de notre air, la bonne santé de nos océans doit demeurer l’une de nos préoccupations majeures dans l’intérêt de notre planète et des générations futures.
La France possède le deuxième espace maritime au monde, et a donc une responsabilité particulière de ce point de vue. Ne nous comparons pas à ceux qui, si vous me passez l’expression, sauteraient les étapes en confondant vitesse et précipitation et en espérant trouver une nouvelle manne énergétique, voire économique et financière. On sait que l’enjeu est trop important pour jouer à ce jeu-là.
Alors que le Président de la République souhaitait, comme il l’a dit en octobre 2021, le lancement d’une ère de conquête de « cette dernière frontière » que représentent les profondeurs maritimes, nous appelons, pour notre part, à la suite de cette mission d’information, à la prudence. Je tiens à souligner que les infléchissements intervenus depuis cette déclaration sont de nature à me permettre d’affirmer ici que le rapporteur a vraisemblablement d’ores et déjà été entendu.
Pour autant, la fascination pour ces fonds marins, que nous ne connaissons pas, n’empêche pas l’action. Notre méconnaissance nous éclaire au moins sur la nécessité d’améliorer notre connaissance. Paul Valéry, portant un regard sur le monde qui l’entourait, disait déjà en son temps que l’avenir serait cognitif…
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, quatre personnes seulement ont observé les fonds marins au-delà de 10 000 mètres de profondeur, soit trois fois moins que les personnes ayant foulé la surface de la lune.
La recherche pour une meilleure connaissance des abysses est donc une impérieuse nécessité. Pour cela, il faudra des moyens techniques, mais aussi des moyens humains.
Les organismes existent, et nous avons d’ailleurs rencontré leurs représentants, tout comme vous, monsieur le secrétaire d’État. Je pense à l’Ifremer, dont je salue l’action, au passage, et au Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), dont la notoriété dépasse nos frontières.
Il sera également important d’associer pleinement nos collègues d’outre-mer au pilotage et au suivi de ce dossier, et même de le leur confier : la manière dont cette mission d’information s’est déroulée ne peut que nous y inviter. À tout le moins, c’est un souhait que j’exprime en toute liberté.
En tant que Breton, alors même que – j’en suis persuadé – d’autres Bretons nous regardent ce soir, et en tant qu’élu des Côtes-d’Armor, département auquel je tiens tant, monsieur le secrétaire d’État, je serai également ravi de participer à ces études, qui doivent être poursuivies, et d’en consulter les résultats. Elles sont indispensables car, s’il est vrai que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », « « science sans connaissance n’est que démagogie ». À bon entendeur… (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, j’indique tout d’abord que je partage votre amour des Côtes-d’Armor, et des citations ! (Sourires.)
Comme le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler notamment à Lisbonne, je le confirme et le redis devant vous ce soir au nom du Gouvernement : c’est dans la voie de l’exploration des fonds marins que nous voulons nous engager, et non dans celle de leur exploitation. De fait, je partage votre prudence.
De même, je partage aussi l’exigence que vous avez exprimée non pas en creux, mais très clairement, d’impliquer nos collègues d’outre-mer. C’est ce que nous ferons notamment dans le cadre du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).
D’ici à un an, nous déploierons la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui comprend un volet consacré aux grands fonds marins ; à cette occasion, nous reviendrons vers vous pour vous soumettre un certain nombre de propositions. Si le pilotage doit être assuré par le Président de la République, la Première ministre et votre serviteur au secrétariat d’État à la mer, nous aurons l’exigence de vous impliquer dans l’élaboration de cette stratégie – on peut même parler de coconstruction –, non seulement parce que vous en êtes les premiers acteurs, mais également parce que, partout sur vos territoires, vous êtes confrontés de plein fouet au changement climatique.
Enfin, nous souscrivons à votre exigence d’un partage de la connaissance ; c’est d’ailleurs le dernier point qui a été évoqué lors du comité de pilotage France 2030. À cet effet seront financées des actions de vulgarisation des connaissances et de communication de tout ce qui est fait en la matière.
C’est également un moyen de susciter des vocations et de sensibiliser davantage nos concitoyens à la protection des océans et de la biodiversité marine.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le secrétaire d’État, je salue tout d’abord le président de notre mission d’information, Michel Canévet, ainsi que son rapporteur, Teva Rohfritsch, et les félicite de la qualité du travail qu’ils ont mené à cette occasion.
Si plusieurs milliers d’êtres humains ont gravi l’Everest, point culminant de notre planète, si plus de trois cents personnes sont allées dans l’espace, si douze êtres humains ont marché sur la Lune, seuls quelques-uns ont exploré les profondeurs de la mer et les abysses. Cela démontre toute l’importance du mare incognitum et des enjeux qui y sont liés.
Si nous connaissons relativement bien la partie supérieure de nos océans – jusqu’à 3 800 mètres, leur profondeur moyenne –, leur partie la plus profonde nous reste inconnue.
Au-delà de la masse d’eau, il existe un autre enjeu tout aussi important, celui des fonds marins à proprement parler. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, tout comme vous, nous proposons dans ce rapport une attitude de sagesse et de prudence. Cependant, prudence ne veut pas dire naïveté : le droit établit une distinction entre la res communis et la res nullius, c’est-à-dire entre les biens communs à l’humanité et les biens n’appartenant à personne, que, dans l’absolu, chacun peut s’approprier. C’est ainsi que, dans le cadre du programme Extraplac, nous avons obtenu la maîtrise d’1 million de kilomètres carrés supplémentaires de fonds marins et des ressources qu’ils contiennent. C’est là un point important.
Pour autant, nous devons avoir conscience que ces fonds marins représentent un enjeu économique : ainsi, 32 % du gaz et du pétrole sont exploités en offshore.
Je ne reviens ni sur les gazoducs – il en a été beaucoup question ces derniers jours – ni sur les câbles sous-marins, dont la sécurité est un enjeu majeur.
Pour conclure, je veux attirer votre attention sur un point, monsieur le secrétaire d’État : l’avenir du Nautile. Trop hâtivement à mon goût, il a été décidé de mettre fin à son exploitation à partir de 2028. Pour moi, plus qu’une erreur, c’est une faute. Pour plusieurs raisons : premièrement, ce que fait un sous-marin, un drone le fera différemment ; deuxièmement, après son recarénage, prévu pour 2028, le Nautile pourra continuer d’être opérationnel pendant encore dix à quinze ans.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Folliot. Troisièmement – et je conclus, monsieur le président –, la France compte parmi les cinq pays qui disposent de la capacité d’envoyer à 6 000 mètres de profondeur des bâtiments habités. Il serait donc problématique de sortir de ce club fermé, et pas seulement au regard des enjeux que représente la recherche scientifique.
Une telle décision serait catastrophique, tout cela pour économiser 1 million d’euros ! (Applaudissements.)
M. le président. J’ai été très tolérant avec vous, mon cher collègue. Par conséquent, vous n’aurez pas droit à une réplique ! (Sourires.)
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, je sais votre implication sur ce sujet. Je veux vous rassurer : prudence ne signifie pas naïveté de la part de la France. Le Gouvernement est bien conscient de l’enjeu stratégique que représentent les grands fonds marins. C’est la raison pour laquelle, outre une stratégie de recherche marine, nous développons, avec le ministère des armées, une stratégie de maîtrise de ces fonds marins, notamment pour être en capacité d’assurer la surveillance de notre espace maritime et de nos câbles sous-marins.
Le rapporteur, parfaitement au fait de ces enjeux, sait bien la nécessité d’accroître ces moyens de surveillance – en surface et en profondeur –, notamment dans le cadre de la loi de programmation militaire, et de développer nos capacités d’innovation.
Pour vous répondre concrètement sur le Nautile, je prends l’engagement devant vous d’étudier très précisément s’il est possible et souhaitable de poursuivre, grâce à un financement du plan France 2030, son exploitation, compte tenu de son caractère stratégique, comme vous l’avez très bien souligné.
Sans en revenir toujours à la Bretagne, je veux indiquer à votre collègue des Côtes-d’Armor que tous les résultats de la campagne qu’a menée cet été la mission Hermine 2 de l’Ifremer sont accessibles via son blog. C’est là un élément de partage et de connaissance de la science.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour la réplique.
M. Philippe Folliot. Monsieur le secrétaire d’État, poursuivre l’exploitation du Nautile, je le redis, coûterait 1 million d’euros. Cependant, la formation des opérateurs sous-mariniers nécessite plusieurs années ; par conséquent, une éventuelle décision doit intervenir rapidement, faute de quoi nous perdrons notre capacité opérationnelle. C’est un enjeu important.
Si nous voulons offrir du rêve à nos enfants, celui-ci doit être incarné. Et être opérateur sur le Nautile peut être un rêve.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le secrétaire d’État, il y a près d’un an, lors de son discours sur le plan de relance France 2030, le Président de la République déclarait ceci : les fonds marins « sont un levier extraordinaire pour la compréhension du vivant ; il ne faut pas laisser dans l’inconnu une partie du globe ».
Si plus de 71 % de la surface de la Terre est couverte par des océans, les grands fonds marins restent très peu connus. Selon les scientifiques, 95 % des océans profonds restent encore inexplorés.
Je rappellerai trois chiffres pour qu’on se rende compte de l’ampleur de notre méconnaissance.
On recense actuellement environ 250 000 espèces vivantes sous-marines. Or, selon Jean-Marc Daniel, directeur du département chargé de l’exploration des grands fonds à l’Ifremer, on pourrait découvrir vraisemblablement entre 1 million et 10 millions de nouvelles espèces.
Au-delà de la découverte de nouvelles espèces, les fonds marins recèlent de nombreuses ressources minières, très convoitées, comme le cobalt, le manganèse ou le nickel. Ces métaux entrent notamment dans la composition des batteries électriques, éléments incontournables pour l’avenir de la décarbonation, de la production d’énergie et de son stockage.
Il est vrai qu’à l’heure où l’exploration des grands fonds marins s’accélère dans le monde, la France, l’un des pays pionniers de l’exploration des océans, doit aussi accroître ses efforts pour rester dans la course et maîtriser sa souveraineté dans son espace maritime.
Disposant du deuxième plus vaste domaine maritime au monde après les États-Unis, et ce grâce à nos outre-mer, notre pays a souvent été présenté comme un défenseur du monde marin. Or, dans un contexte où toutes les puissances maritimes renforcent leur développement technologique et leurs programmes d’exploration des eaux sous leur juridiction, comme avec les eaux internationales d’ailleurs, la problématique de l’exploitation des grands fonds marins refait surface.
Il faut noter que l’exploitation minière en haute mer constitue pour nombre d’entreprises privées une opportunité de développement, en particulier dans le secteur industriel, comme la production d’engins sous-marins d’avenir.
Cependant, cette exploitation inquiète de nombreux scientifiques et organisations non gouvernementales (ONG), car elle implique des dégradations irréversibles de notre écosystème et de la biodiversité, avec notamment un effet immédiat sur la chaîne alimentaire océanique.
Ces craintes sont plus que légitimes et on ne peut les écarter d’un revers de main. C’est pourquoi je les rejoins quant à la revendication de renforcer avant tout notre connaissance des profondeurs. Il s’agit d’un préalable indispensable à l’élaboration d’un cadre juridique d’exploitation minière le plus respectueux de l’environnement possible. Ces raisons ont justifié le moratoire qui a été adopté.
Monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge donc naturellement sur la position du Gouvernement à cet égard. Vous avez défloré le sujet précédemment, mais quelle politique souhaitez-vous mettre en œuvre pour l’exploration et l’exploitation des fonds marins ?
Vous comprendrez que nous soyons parfois un peu perdus entre la déclaration, en juillet dernier, du Président de la République lors de la conférence des Nations unies sur l’océan, dans laquelle il en appelait à « l’élaboration d’un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer », et ses déclarations précédentes soutenant la quête d’une extraction minière en eaux profondes.
La publication des excellents travaux de la mission d’information sur l’exploration et la protection des fonds marins, dont nous débattons aujourd’hui, tombe donc à pic.
Ainsi, je souscris à la recommandation de nos collègues visant à temporiser sur une prospection et une exploitation prématurée des ressources minières dans l’attente d’acquérir une connaissance scientifique suffisante sur la question. Néanmoins, comme cela a été souligné dans le rapport, cette prudence ne doit pas être synonyme d’immobilisme et nous extraire de la compétition mondiale.
À ce titre, comme l’a rappelé le rapporteur, l’État doit s’impliquer pleinement dans la structuration d’une base industrielle et technologique souveraine et compétitive au niveau international, car nous devons garder à l’esprit que d’autres puissances mondiales, comme les États-Unis ou la Chine, sont moins timorées en la matière.
Dans tous les cas, le pilotage de la politique à mener sur les abysses, au regard du caractère transversal des enjeux, mérite de gagner en visibilité. On ne peut donc que soutenir la création d’un ministère de la mer de plein exercice, compétent pour établir une stratégie maritime centralisée pour les fonds marins, comme le propose la mission d’information.
Enfin, en tant qu’élu ultramarin, j’insiste sur cette recommandation, ainsi que sur celle de renforcer en particulier les moyens humains et financiers de l’Ifremer.
Quelle que soit la position du Gouvernement, cette politique doit absolument y associer le Parlement et les outre-mer, aux différents stades : élaboration, pilotage et suivi. En effet, la question des grands fonds marins ne doit pas être uniquement abordée sous le prisme des avis des instances étatiques et des experts. L’opposition ferme des habitants de Wallis-et-Futuna en 2010 et 2012 doit nous servir de leçon.
Cette décision doit être prise de manière transparente et démocratique, car elle concerne directement l’ensemble des personnes qui résident dans des régions où les modes de vie, l’économie et la culture sont influencés par l’environnement maritime. Dès lors, nous devons établir, tous ensemble, une stratégie maritime respectueuse de la biodiversité et des écosystèmes, sans quoi elle pourrait susciter la méfiance des territoires et engendrer des blocages.
J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous saurez nous éclairer et nous offrir une meilleure visibilité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, je commencerai par vous répondre sur la déclaration qu’a faite le Président de la République à Lisbonne, déclaration centrale puisqu’elle va déterminer ce que sera notre stratégie, le fléchage de nos financements et la manière dont nous allons travailler ensemble.
En effet, il convient de créer un cadre juridique afin de mettre fin aux activités minières en haute mer et d’interdire tout nouveau projet en la matière qui mettrait en danger les écosystèmes, comme nous l’avons fait en France pour les hydrocarbures.
Très clairement, depuis cette déclaration du Président de la République, la France s’est engagée, dans sa stratégie d’investissements, uniquement sur la voie de l’exploration. D’ailleurs, c’est ce à quoi seront consacrés les 350 millions d’euros qu’il est prévu de débloquer.
Dans le même temps, la protection de la haute mer, c’est la bataille que nous devons mener à l’international, en particulier dans le cadre de la conférence intergouvernementale Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ) – comme on dit en grand-breton. (Sourires.) Même si la France ne s’engage pas dans la voie de l’exploitation, nous avons bien conscience, car nous ne sommes pas naïfs, que d’autres que nous peuvent s’y engager et qu’il nous faut donc, comme dans bien d’autres domaines, convaincre nos partenaires ou d’autres États de renoncer à ces initiatives. C’est pour cette raison que nous souhaitons codifier les règles.
La France, me semble-t-il, est en avance dans ce domaine. Je vous renvoie aux décisions qui ont été prises concernant l’exploitation de gisements d’hydrocarbures ou le projet Montagne d’Or, en Guyane. C’est pour cela que notre pays doit s’impliquer dans les instances internationales pour convaincre que la protection de la biodiversité marine et des océans nécessite la mise en place d’un cadre strict.
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques.
Mme Micheline Jacques. On ne peut naturellement aborder un sujet maritime sans parler des outre-mer, puisque c’est autour de la France ultramarine que se situent 97 % de sa ZEE, équivalant à 17 fois sa surface terrestre, comme de nombreux collègues n’ont pas manqué de le rappeler. Notre pays est donc bien un pays maritime.
À la lumière de ces chiffres, on peine donc à croire que la stratégie maritime française ne soit pas davantage affirmée. Le rapport de nos collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch, d’une grande richesse, est à mon sens un plaidoyer particulièrement nourri en faveur d’une politique maritime ambitieuse, qui doit aller au-delà des eaux surjacentes pour partir à la conquête des profondeurs marines.
Avec ce débat et celui qui se tiendra demain sur la stratégie maritime, à la demande de la délégation aux outre-mer, on ne peut que se réjouir de la séquence maritime qui s’ouvre, preuve s’il en fallait de la vigilance particulière du Sénat sur ces questions.
La mission d’information formule ainsi de nombreuses préconisations en vue de dessiner l’architecture du pilotage de la stratégie d’exploration des grands fonds marins. Elle ne peut en effet se concevoir sans identifier les acteurs qui l’incarneront et la déploieront.
À cet égard, il va sans dire que j’approuve la nomination au sein du Gouvernement d’un secrétaire d’État chargé de la mer. Mais l’exhortation à une politique ambitieuse est aussi le signe que la volonté politique de l’État, dans sa continuité d’ailleurs, n’est pas à la mesure du potentiel que recèle la mer française. C’est pourquoi je pense que ce n’est pas tant le rang protocolaire qui compte que la volonté au sommet de l’État, et au sein du Gouvernement tout entier.
Le Parlement devra en outre être pleinement associé en vue de la sécurisation juridique des grands fonds marins, que le « vide juridique » qui les entoure fragilise.
Dans le code minier, l’imprécision quant à leur exploitation fait encourir un risque et il s’agit de sécuriser ce patrimoine pour ne pas laisser se développer les initiatives d’autres pays, qui pourraient se faire d’ailleurs au détriment des outre-mer.
Légiférer c’est protéger le patrimoine marin, son intégrité et, partant, notre souveraineté, la mer étant une partie de notre territoire.
Par ailleurs, au moment où la délégation aux outre-mer rouvre ses travaux sur la différenciation territoriale, je suis sensible à la place que la mission accorde aux collectivités d’outre-mer dans la coordination de la stratégie pour les fonds marins.
Si elle juge leur exploitation prématurée à ce stade de leur connaissance, elle invite à se placer dans une logique d’anticipation. La recherche et l’exploration ouvrent là aussi des perspectives économiques et scientifiques qui devraient placer les territoires ultramarins au cœur de la politique des grands fonds marins. C’est depuis la terre que l’on conquiert la mer et, de ce point de vue, les outre-mer constituent des bases avancées géostratégiques, et des bases arrière notamment pour la recherche scientifique.
Pour autant, les représentants des collectivités ultramarines auditionnées ont unanimement déploré l’absence d’information et d’association à l’élaboration de la stratégie 2021. Elle constitue pourtant un enjeu économique, social, éducatif et d’intégration régionale qui mérite d’être pensé avec les outre-mer, et pas seulement pour eux. Enfin, qu’ils s’emparent pleinement de ce défi !
Une vision maritime ambitieuse, c’est aussi la possibilité pour les territoires ultramarins de renforcer leurs compétences locales, de tourner leur jeunesse vers de nouveaux métiers. La cartographie et la bathymétrie doivent offrir une connaissance précise des grands fonds, partagée avec les collectivités.
En outre, l’approche globale des travaux de nos collègues tient compte de la place des populations, de leur nécessaire adhésion et de l’indispensable respect de leurs représentations pour assurer le succès d’une stratégie.
Plus généralement, les profondeurs marines de nos ZEE sont dotées d’une richesse minérale exceptionnelle. Que ce soit par les minéralisations hydrothermales, les encroûtements cobaltifères ou grâce à la présence de nodules, les scientifiques recensent pas moins de 27 métaux différents.
Un déplacement à Brest avec la mission a été l’occasion de découvrir le travail remarquable de l’Ifremer, dont le rôle central aux côtés des autres instituts – le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Shom, pour ne citer que les principaux – mérite d’être souligné. Ce travail vaut à notre pays de figurer dans le « top 10 » des grands pays océaniques.
Oui, la recherche doit être soutenue ; elle est la clé de la maîtrise des profondeurs et, malgré la période troublée qui impose des arbitrages, la recherche stratégique ne devrait pas faire l’objet de compromis.
Nous devons également placer l’industrie au cœur de l’ambition pour les grands fonds marins. Dans cette politique, les outre-mer devront trouver une place de premier plan et bénéficier des fruits du développement des activités autour des profondeurs maritimes qui les entourent.
J’en terminerai par un mot sur la coopération. En matière maritime, elle est incontournable et doit se situer au niveau international, mais aussi, pour une bonne intégration des outre-mer, au niveau régional. (Applaudissements.)