M. Laurent Lafon. C’est-à-dire ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner l’occasion d’un débat apaisé et constructif…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Vous êtes au Sénat !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. … sur l’avenir de l’audiovisuel public, ses missions, ses ambitions, ce qui le distingue des médias privés et ce que les Français en attendent.
J’ai eu plusieurs fois l’occasion de m’exprimer pour expliquer que la fin de la redevance représentait un changement de canal de financement, et non une fin de l’indépendance. Je ne reviendrais donc pas sur ces arguments, qui ont été rappelés aujourd’hui.
Les propos des uns et des autres ce soir sur l’avenir de l’audiovisuel public sont d’une grande importance. Je pense notamment à la question du sénateur Ouzoulias : à quoi sert l’audiovisuel public ? Je salue donc toutes vos interventions.
En acceptant la proposition des députés de flécher une part des recettes de la TVA déjà collectées, nous sommes allés vers encore plus de préservation de ce qui s’approche du système actuel, à savoir d’une forme de taxe affectée. M. Hugonet a souligné tout à l’heure qu’il fallait rechercher ensemble les voies d’un audiovisuel public plus efficace, plus moderne et innovant. Je suis d’accord : tel est le vrai enjeu pour l’avenir.
Réjouissons-nous : les Français aiment les médias de service public, comme en témoignent les audiences. Elles n’ont jamais été aussi hautes : 15,8 millions d’auditeurs chaque jour pour Radio France, 82 % des Français regardent les programmes de France Télévisions, tous écrans confondus, chaque semaine, ce qui en fait le premier média des Français.
Pour autant, de nombreux défis se posent à l’audiovisuel public. Ils ne datent pas d’hier. Ils sont nombreux, et ils ont été accentués par la révolution numérique de plus en plus rapide.
Le premier est l’éloignement des jeunes de l’audiovisuel. Les données de Médiamétrie montrent la chute continue des audiences des jeunes depuis dix ans. Je ne vous détaillerai pas les chiffres, mais c’est un enjeu prioritaire que de rapprocher la jeunesse de l’audiovisuel via, notamment, une stratégie numérique forte.
L’audiovisuel public s’est déjà engagé avec volontarisme et innovation dans cette voie. Okoo, créé à la fin de 2019, touche déjà 60 % des 4-14 ans. Lumni propose aussi des programmes éducatifs à près de 2 millions de visiteurs chaque mois. Slash cumule 215 millions de vues chez les 18-35 ans, notamment pour la série Scams. Comment aller plus loin ?
Le deuxième défi est lié à la défiance qui est en train de s’installer entre une partie des Français et les médias. Selon une étude IFOP publiée l’an dernier, 55 % des Français, c’est-à-dire plus d’un Français sur deux, éprouvent de la méfiance concernant les médias. Il y a donc urgence à créer les conditions d’une confiance nouvelle entre les Français et l’audiovisuel, en particulier l’audiovisuel public.
Le principal enjeu touche à l’information, à sa qualité, à sa fiabilité, à sa vérification, à son impartialité. C’est un enjeu crucial pour l’avenir de nos démocraties, d’autant plus dans un contexte de guerre mondiale de l’information, de manipulation, de possible ingérence étrangère.
Cette défiance des Français traduit aussi un sentiment d’éloignement, un besoin que les médias soient plus proches de leurs préoccupations, de leur vie locale, de leur quotidien. Ils attendent davantage de proximité dans les sujets traités, dans les programmes, mais aussi une meilleure représentativité de leurs voix, de leurs histoires, de leurs diversités.
L’audiovisuel public a d’ores et déjà pris à bras-le-corps ces enjeux. France 3 et France Bleu ont groupé leurs forces pour lancer un média numérique dédié à la vie locale. Il sera important d’aller plus loin. Nous discuterons ensemble des différentes possibilités pour renforcer encore les synergies entre Radio France et France Télévisions.
Il m’importe aussi de dire un mot de la place des territoires outre-mer, qui a été largement renforcée. Oui, nous avons supprimé France Ô, mais son audience avait baissé jusqu’à 0,6 % en 2017. Qui pouvait s’en contenter ?
M. Victorin Lurel. Ce n’est pas ce que dit l’Arcom !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Le pacte de visibilité a été la bonne réponse. Il a permis de déployer des programmes ultramarins sur toutes les chaînes de l’audiovisuel public.
En 2018, seuls huit programmes ultramarins étaient diffusés en première partie de soirée sur France 2, France 3 ou France 5. Nous en sommes aujourd’hui à plus de quarante premières parties de soirée dédiées à l’outre-mer, cela touche plus de 42 millions de téléspectateurs.
Troisième défi, avec la montée en puissance des plateformes américaines en France – Netflix, Amazon, Disney+, bientôt HBO Max –, la défense de notre souveraineté culturelle est plus que jamais nécessaire. Or l’audiovisuel public est un puissant financeur de la création française et européenne, avec 500 millions d’euros injectés dans la production de films et de séries.
La fiction sur France Télévisions est à 90 % française et européenne, contre 80 % de fictions américaines pour M6, 50 % pour TF1 et 90 % de catalogue extraeuropéen pour Netflix, Amazon et Disney +.
Plus globalement, les médias publics sont des acteurs clés de la vie culturelle. Jamais les chaînes privées ne pourront diffuser autant de musique, de concerts, de films de spectacles ou faire la promotion d’autant de livres et d’ouvrages de littérature contemporaine.
Comme vous le voyez, les priorités que j’identifie pour l’avenir de l’audiovisuel public sont claires : la jeunesse ; le numérique ; la fiabilité et le pluralisme de l’information ; la proximité et la diversité ; la création et la culture.
La mise en œuvre de cette ambition passera, à n’en pas douter, par l’accélération des coopérations entre les entreprises de l’audiovisuel public. Il me semble qu’il faut clarifier précisément le champ de ces coopérations prioritaires, les bénéfices attendus au regard de nos priorités, avant de trancher la question de l’organisation du secteur.
Des synergies par le bas, une holding, une fusion : mettons tout sur la table ; il n’y a aucun sujet tabou. Mais prenons le temps de la concertation. Cette réflexion doit se construire dans le dialogue avec les sociétés de l’audiovisuel public.
J’ai aussi entamé une série de consultations avec les groupes de l’audiovisuel public d’autres pays européens pour échanger avec eux sur les enjeux que nous avons en commun. Je souhaite vous proposer une rencontre à la rentrée réunissant les sénateurs et les députés les plus impliqués sur le sujet pour discuter des défis d’avenir et déterminer les moyens de les relever.
M. Laurent Lafon. Bla bla bla…
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Pour pouvoir sereinement mener ce travail collectif de réflexion, le Gouvernement souhaite proposer la prolongation d’un an des contrats d’objectifs et de moyens des entreprises de l’audiovisuel public, ce qui nous permettra de prendre le temps nécessaire de bâtir ensemble la feuille de route pour l’audiovisuel public.
M. Laurent Lafon. Eh bien !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. C’est un débat important.
Je constate d’abord que beaucoup de points ne font pas l’objet de discussions : notre attachement à l’audiovisuel public, l’enjeu pour la création française, l’indépendance de la presse et des médias. Nous soutenons l’audiovisuel public (M. David Assouline et Mme Marie-Pierre de La Gontrie le contestent.) et nous croyons qu’un audiovisuel public fort est une garantie démocratique dans notre pays.
L’autre élément qui ne semble pas faire débat est le fait que la contribution à l’audiovisuel public, sous sa forme actuelle, est obsolète, datée et injuste. Je note tout de même que les premiers amendements qui sont déposés sont des amendements de suppression de l’article. Leur adoption aurait pour conséquence le maintien de la contribution à l’audiovisuel public telle qu’elle existe !
M. David Assouline. Non, puisque nous avons déposé un autre amendement pour la modifier !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cet amendement tomberait puisque l’article serait supprimé. La contribution demeurerait alors inchangée !
La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou pas supprimer la contribution à l’audiovisuel public actuelle ; c’est de savoir par quoi la remplacer. Nous avons fait le choix, conformément à l’engagement du Président de la République pendant la campagne présidentielle, de ne pas lui substituer un nouvel impôt, l’idée étant de soutenir le pouvoir d’achat.
Oui, avec ce texte et cette mesure, nous avons l’ambition – c’est historique – de supprimer purement et simplement un deuxième impôt en cinq ans, après la taxe d’habitation, qui a été compensée intégralement aux collectivités locales. (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains et du groupe SER le contestent.)
J’ai entendu tout à l’heure certains dire qu’il ne s’agissait pas d’une mesure en faveur du pouvoir d’achat. Je pense que cela se discute. Quand vous êtes juste au-dessus des seuils de l’impôt sur le revenu, 138 euros, ce n’est pas rien !
Je note aussi que certaines mesures en faveur du pouvoir d’achat passent inaperçues. Les Français nous disent : « Vous avez voté tel ou tel dispositif, c’est très bien, mais nous n’en voyons pas les effets dans notre quotidien. » Ici, ce ne sera pas le cas. Au contraire, il s’agira d’une mesure très concrète. Selon ce que vous voterez, 23 millions de ménages recevront ou pas un avis d’imposition de 138 euros. C’est très clair pour nos concitoyens qui nous écoutent à cette heure tardive ou qui suivent de près ce sujet abondamment commenté dans la presse.
Sur la question de la constitutionnalité, je rejoins totalement ce qu’a dit Roger Karoutchi, qui a commis un très bon rapport avec Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il faut s’en inspirer !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. La Constitution préserve l’indépendance des médias dans leur globalité ; je crois que c’est à l’article 34. Il n’est nulle part fait mention que l’indépendance serait liée à un mode de financement !
L’indépendance n’est en aucun cas liée au fait que les Français paient une taxe spécifique. Le Conseil constitutionnel travaille en toute indépendance sans que les Français paient une redevance pour cela !
M. François Patriat. Très bon argument !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Il en sera évidemment de même pour l’audiovisuel public.
Un amendement adopté à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du groupe majoritaire et de sa présidente, Aurore Bergé, vise à substituer l’affectation d’une fraction de TVA à la solution que nous avions proposée initialement d’une dotation budgétaire.
M. David Assouline. Pourquoi ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cette solution a été avancée – je me fais ici uniquement le porte-parole du groupe majoritaire – au motif qu’elle était susceptible d’apporter plus de garanties sur la pérennité du financement !
M. David Assouline. C’est donc qu’il n’y en avait pas assez !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je vous répète simplement les arguments du groupe majoritaire, qui a voté cette affectation d’une fraction de TVA.
Nous aurons un débat juridique, notamment lors de la présentation de l’amendement du rapporteur général. Cette solution est-elle pérenne ou pas ? Ce point reste encore en discussion. La dernière révision de la LOLF précise effectivement que les taxes affectées tombent à partir de 2025, mais uniquement, me semble-t-il, celles qui sont fléchées vers des personnes morales. Or la solution adoptée à l’Assemblée nationale passe par un compte de concours financiers, qui reverse ensuite les crédits aux sociétés d’audiovisuel public.
Il y a donc un débat juridique. Certains estiment que cette fraction de TVA pourrait survivre après 2025. En tout état de cause, c’est une question qu’il conviendra de se poser au moment de la réforme de l’audiovisuel public. Ma collègue Rima Abdul-Malak vient de vous faire part de toute son ambition à cet égard.
En résumé, ce soir, trois possibilités s’offrent à nous.
La première est que les Français continuent à payer leur redevance audiovisuelle comme aujourd’hui. Ce serait le cas si les amendements de suppression de l’article ou un amendement de report d’un an étaient adoptés.
La deuxième est que vous adoptiez un nouveau mode de financement prenant en compte le revenu fiscal, et non la possession d’un téléviseur. Dans ce cas, certains Français qui ne paient pas la redevance aujourd’hui se mettront à la payer.
M. David Assouline. C’est l’inverse !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Vous défendrez votre amendement en temps et en heure, monsieur le sénateur.
La troisième possibilité est que les Français ne paient plus de redevance. C’est le choix que nous avons fait, pour des raisons de pouvoir d’achat. La redevance est une taxe obsolète. Et nous garantissons dans le même temps l’indépendance et les moyens de l’audiovisuel public. Il le mérite amplement !
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, plus je vous écoute, et plus j’ai du mal à comprendre comment un tel sujet peut relever d’un projet de loi de finances rectificative, en particulier au regard de la complexité du dossier – vous l’avez bien montrée –, des enjeux et de l’absence d’étude d’impact.
J’ai bien entendu ce que vous avez répondu à certains orateurs. Vous avez évoqué l’urgence, la nécessité d’adopter des mesures en faveur du pouvoir d’achat. Je comprends l’idée d’une telle suppression. Mais il n’y a là aucun élément constitutif. Je considère qu’il ne s’agit pas du tout d’un sujet relevant d’une loi de finances rectificative, sauf à avoir un deux poids, deux mesures en fonction des dispositifs, ce qui ne me semble pas normal. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je ne voudrais pas allonger la discussion avant la discussion des amendements, mais je tiens à dire que ce sujet relève du projet de loi de finances rectificative dans la mesure où il s’agit d’une mesure financière ayant vocation à s’appliquer dès 2022.
Il faut en passer par une loi de finances rectificative parce que l’objectif est de supprimer la redevance due en 2022.
M. David Assouline. Parce que le roi l’a décidé !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Non : parce que le Président de la République l’a proposé lors de sa campagne et qu’il a été élu ! (Protestations sur diverses travées.) Et nous faisons en sorte d’appliquer son programme !
En outre, une telle mesure a singulièrement sa place dans le présent projet de loi de finances rectificative, consacré au soutien du pouvoir d’achat, puisqu’elle permettra justement de rendre du pouvoir d’achat aux Français.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je remercie Mme Goulet d’avoir exprimé la surprise que nous ressentons à voir ce débat surgir dans le cadre du projet de loi de finances rectificative.
Le ministre a eu la franchise de dire les choses : le Gouvernement est bien embêté. Le 7 mars dernier, le Président de la République, qui était encore président, mais surtout candidat, annonce la future suppression de la redevance. Il n’est pas encore réélu – il le sera –, et les législatives n’ont pas encore eu lieu. Compte tenu de leurs résultats, le panorama n’est pas exactement le même. Et voilà des ministres priés de mettre en œuvre la promesse d’un président qui n’a plus totalement les moyens de faire ce qu’il veut…
De façon quelque peu enlevée, on nous répond que si l’on supprime cette mesure, les Français qui avaient compris que la redevance allait être supprimée seraient déçus d’être taxés…
Vous n’avez pas travaillé suffisamment ce dossier. Vos propositions ne sont pas suffisamment solides. Votre calendrier n’est pas adapté. Et vous devez faire face aux promesses du candidat Macron, qui n’a plus de majorité à l’Assemblée nationale !
Voilà pourquoi il faut étudier ce sujet. Nous proposons la suppression de l’article, afin de nous donner du temps. Chacun dit ici que la contribution à l’audiovisuel public a vécu, mais aussi qu’il faut travailler sur le meilleur process de remplacement.
Bonne chance, monsieur le ministre, pour mettre en œuvre les promesses quelque peu enjouées d’un candidat qui pensait être réélu de manière beaucoup plus large et qui n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale ! Nous, nous essayons de faire un travail parlementaire sérieux.
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 147 rectifié est présenté par MM. Bacchi, Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 237 est présenté par MM. Assouline et Féraud, Mme S. Robert, MM. Kanner et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly et Lurel, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Carlotti, MM. Gillé, Jacquin, Kerrouche et Leconte, Mmes Le Houerou et Lubin, MM. Marie et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé, Redon-Sarrazy, Stanzione, Temal, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 377 est présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Breuiller, Benarroche, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 147 rectifié.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, j’ai été très intéressé par votre exposé. Nous partageons le bilan que vous dressez et les questions que vous posez, mais tous mes collègues vous le disent : cette discussion n’a pas sa place dans un projet de loi de finances rectificative. On pourrait à la rigueur aborder le sujet dans le projet de loi de finances de l’année prochaine, mais pas en loi de finances rectificative.
M. Le Maire nous a expliqué qu’il fallait éviter « le réflexe pavlovien de la taxe ». Et vous nous proposez d’utiliser la TVA pour remplacer la redevance : un peu plus de 4 millions de Français qui sont exonérés de la redevance vont payer la TVA, tout comme ceux qui ne paient pas la redevance parce qu’ils n’ont pas de poste de télévision et qu’ils ne la regardent pas. Où est la question du pouvoir d’achat ?
Par ailleurs, à moins qu’il y ait eu une faille spatiotemporelle, la loi sur le pouvoir d’achat a été examinée la semaine dernière. Si la suppression de la redevance était véritablement une mesure de soutien du pouvoir d’achat, nous aurions pu en discuter à ce moment-là… Aujourd’hui, nous discutons du projet de loi de finances rectificative !
Le fond du problème, comme l’a rappelé Mme de La Gontrie, c’est que vous en êtes restés à l’ancienne méthode : vous demandez au Parlement de voter très docilement une mesure qui a été décidée par le Président de la République.
Cette méthode a été sanctionnée par les électeurs. La verticalité, c’est fini ! Il faut rendre le pouvoir au Parlement, et il faut que nous ayons un débat de fond sur l’audiovisuel public le plus rapidement possible. C’est pour cette raison que notre groupe propose la suppression d’une telle disposition.
Enfin – et vous le savez très bien, monsieur le ministre –, la redevance ne permet pas de financer la totalité du service public : le budget de l’État n’apporte qu’un complément. En supprimant la disposition que vous proposez, nous ne mettons donc pas en péril, d’un point de vue budgétaire, l’audiovisuel public. En effet, vous avez toujours la possibilité d’apporter une contribution supplémentaire au travers du budget.
Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 237.
M. David Assouline. Ce débat, qui nous a souvent occupés, est très important. En ce moment, nous sommes dans l’urgence et nous devons voter une disposition que d’aucuns proposent de renvoyer à 2025…
C’est aujourd’hui un enjeu majeur pour notre société, face aux concentrations très importantes dans le secteur privé et à la concurrence des plateformes étrangères, que de conforter et de renforcer, en contrepartie, l’audiovisuel public.
Madame la ministre, vous chantez la gloire du service public et de ses réalisations, mais vous créez les conditions de son affaiblissement.
Souvent, on nous cite l’Europe en exemple. Or tous les pays européens, ou presque, ont procédé à une réforme en la matière.
Le seul de ces pays qui ait supprimé la redevance est l’Espagne, en 2010. Résultat, en douze ans, le financement de l’audiovisuel public y a baissé de 25 % net, et en réalité de 40 % si l’on tient compte de l’augmentation du coût de la vie et de la masse salariale. Par ailleurs, si l’on compare à la situation d’il y a dix ans, le groupe audiovisuel public touche moins de publics – 40 % en moins – face au privé. Voilà le résultat concret de la suppression de la redevance !
Nous tenons à un financement pérenne parce que c’est la garantie de l’indépendance. Certes, l’Arcom veille à l’indépendance des programmes. Mais qui donc ignore qu’il s’agit d’une entreprise publique pas comme les autres, qui a besoin d’un financement pérenne pour être indépendante ? Voilà pourquoi se pose un problème de constitutionnalité !
Non seulement la TVA est impôt injuste, mais, en plus, en l’occurrence, le dispositif risque de devenir non pérenne, puisqu’il devra être revu en 2025.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Cela portera donc directement atteinte à l’indépendance !
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 377.
M. Thomas Dossus. Nous sommes tous d’accord pour dire que la redevance actuelle est devenue obsolète ; je ne vais pas y revenir. Pour autant, il y a clairement un problème de méthode, comme l’a souligné Pierre Ouzoulias, et un problème de préparation.
L’impréparation est totale. On supprime une recette destinée à l’audiovisuel public sans avoir préparé son remplacement, comme si l’on pouvait déplacer 3 milliards d’euros en rayant une ligne, c’est-à-dire sans anticiper réellement ! Un dispositif a été bricolé à l’Assemblée nationale, assis sur un dispositif que, même vous, vous jugez instable juridiquement.
Pourquoi autant d’improvisation ? La cause en est simple : vous voulez en finir avec l’indépendance du service public. Ce n’est pas moi qui le dis ; c’est le président Macron, pour qui l’audiovisuel public est la « honte de la République ». Ce à quoi nous assistons ce soir est dans la suite de ses propos !
Pourtant, et nous le disons tous, les pays où l’audiovisuel public est le mieux financé sont les démocraties les plus solides. La stabilité de l’affectation d’une contribution dédiée est un gage d’indépendance.
L’article 1er fait peser sur notre audiovisuel public des risques d’instabilité, sans que l’on ait préparé cette réforme ou discuté au préalable de ces dispositions. C’est pour pallier cette impréparation que nous souhaitons le supprimer.
Ce sont en réalité les classes populaires qui vont payer la réforme. Les 4 millions de nos concitoyens qui ne payaient pas la redevance, mais qui paient la TVA lorsqu’ils consomment, vont désormais payer, en partie, la contribution à l’audiovisuel public.
Nous proposons la suppression de cet article à cause des risques qu’il représente pour l’audiovisuel public, et pour la vitalité de notre démocratie. (M. Daniel Breuiller applaudit.)
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Que cette réforme souffre d’une forme d’impréparation, c’est une évidence ; beaucoup d’entre nous l’ont dit.
Mais je crois, pour reprendre une partie des propos de notre collègue Pierre Ouzoulias, que le Parlement se saisit des pouvoirs qui lui sont conférés : l’Assemblée nationale a travaillé sur une proposition et le Sénat a la possibilité de l’enrichir et d’exprimer son point de vue, ce que nous ne manquons pas de faire.
Vous connaissez déjà notre position sur la suppression de la redevance audiovisuelle : le coup est parti.
Pour le moins, il est relativement délicat d’expliquer qu’on veut le bien des Français quand ceux de nos concitoyens qui acquittent la redevance audiovisuelle sont plus nombreux que ceux qui paient l’impôt sur le revenu. Il faut donc faire preuve, me semble-t-il, de lucidité et travailler dans le sens de la pérennité, par le financement, du dispositif, et surtout de l’indépendance de l’audiovisuel. Je présenterai dans quelques instants un amendement en ce sens.
C’est pourquoi je sollicite le retrait de ces trois amendements identiques.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. L’adoption de ces amendements identiques entraînerait la suppression de l’article 1er, qui a été adopté par l’Assemblée nationale…
M. David Assouline. Grâce à l’extrême droite !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … et qui prévoit la suppression de la contribution à l’audiovisuel public.
Oui, madame de La Gontrie, le Parlement se saisit évidemment de cette question ! Et cet article a été adopté à l’Assemblée nationale avec une majorité qui va bien au-delà de la majorité présidentielle issue des élections législatives. Il a été soutenu par des députés venant de groupes autres que ceux de la majorité présidentielle.
Monsieur Ouzoulias, vous avez indiqué que des Français ne payaient pas la redevance audiovisuelle aujourd’hui, car ils n’y sont pas assujettis – c’est vrai –, et qu’ils allaient payer demain une certaine somme destinée à financer l’audiovisuel public. Vous raisonnez comme si la solution, trouvée à l’Assemblée nationale, d’affectation d’une part de TVA allait entraîner une augmentation de la TVA. Or ce n’est évidemment pas le cas ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il y aura un manque à gagner !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous n’augmentons pas le taux de la TVA. Une partie des recettes actuellement collectées seront fléchées vers un compte de concours financier afin de financer les sociétés de l’audiovisuel public. Encore une fois, il n’y a pas d’augmentation du taux de TVA, et 23 millions de Français qui paient aujourd’hui la redevance ne la paieront plus.
M. Vincent Éblé. C’est payé par la dette !