Mme Vanina Paoli-Gagin. C’est en années, sinon en décennies, que se résorbent les déficits chroniques et les dettes abyssales. Si ce budget marque la fin du « quoi qu’il en coûte », ses effets ne s’en feront malheureusement pas sentir avant des années.
Aujourd’hui, chacun le sait, la situation de nos finances publiques est alarmante. Mais, encore une fois, elle l’est par les décisions que nous avons prises collectivement, notamment au plus fort de la crise, pour préserver nos emplois, sauvegarder nos entreprises et protéger nos concitoyens.
Notre dette publique est supérieure de plus de 15 points de PIB à celle de 2019, un niveau qui nous préoccupait déjà à juste titre. Pourtant, nous vivions sous anesthésie générale, car le contexte des taux négatifs rendait finalement cette dynamique d’endettement artificiellement assez indolore. La charge de la dette ne cessait de diminuer, alors que la dette elle-même ne cessait d’augmenter. Désormais, la charge de la dette augmente dangereusement et nous oblige à cibler nos mesures et à prioriser nos urgences.
En l’occurrence, l’urgence est sociale. L’inflation qui frappe tout le pays touche plus durement les plus fragiles. Le taux moyen de l’inflation, qu’il soit à 5 % ou à 6 %, peut en fait correspondre à une augmentation du coût de la vie de près de 10 %.
C’est toute l’injustice de la situation : on souffre davantage de la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation quand on vit dans les territoires ruraux et avec des revenus modestes.
C’est pourquoi le ciblage des mesures sur le coût de l’énergie, et ce pour les plus modestes, fait sens. L’hiver arrivera vite. Si l’inflation persiste, elle reste, pour le moment, inférieure à la moyenne européenne. C’est en partie grâce à la réactivité du Gouvernement et à notre moindre dépendance au gaz russe, mais il n’est pas impossible qu’elle nous frappe par effet retard.
Il faut donc être clair, le projet de loi de finances rectificative que nous allons examiner n’est pas un budget de rétablissement des comptes publics : il répond à l’urgence de la situation, avec un souci d’efficience que chacun appréciera.
Nous aurons prochainement l’occasion de discuter des grandes orientations budgétaires. Nous devrons les prendre en responsabilité, en gardant à l’esprit le fait que le spectre de la récession guette notre pays, comme la zone euro.
Pour l’heure, j’espère que nous saurons créer des consensus pour protéger le pouvoir d’achat des Français, singulièrement celui des plus modestes dans les territoires ruraux. Le projet de loi sur le pouvoir d’achat a montré que nous en étions, ensemble, capables.
J’identifie, pour ma part, trois sujets épineux. Au fond, je crois que nous sommes plutôt d’accord. Mais nous devrons répondre à une question de justice fiscale : qui doit supporter le coût des mesures que nous voterons ?
Le premier sujet, c’est la contribution à l’audiovisuel public. Sa suppression ne fait pas débat. La question a été tranchée à la présidentielle : les Français ont choisi, au premier tour, deux candidats qui voulaient supprimer cette taxe, qui n’a plus de sens à une époque où l’audiovisuel passe essentiellement par internet.
Pourtant, comment garantir le financement de notre audiovisuel public en supprimant une taxe injuste pour les Français et inadaptée à la réalité économique du secteur ?
La solution retenue par le Gouvernement de flécher une fraction de TVA ne me paraît pas optimale, car ce mode de financement n’est ni stable ni pérenne. Son seul mérite est d’être opérante à court terme. Pour ma part, je crois qu’il faut faire contribuer davantage les géants du numérique, qui ont changé la donne. Je vous proposerai un amendement en ce sens, dont l’adoption permettrait de nous engager dans une nouvelle voie de réflexion.
Le deuxième sujet épineux, c’est la taxation des superprofits. C’est sans doute un réflexe bien français que de répondre à une crise par une taxe.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Pourtant, d’autres pays, dont le Royaume-Uni et l’Espagne, se sont empressés de copier notre grand remède national. Si la tentation est grande, notre réponse devrait, à mon sens, être plutôt le fruit d’une réflexion objective et multisectorielle.
Enfin, le dernier sujet épineux, c’est la compensation par l’État des surcoûts supportés par les collectivités. Le débat a déjà eu lieu à l’Assemblée nationale. Nous l’aurons ici, car nous portons tous une attention particulière aux collectivités locales. Les Indépendants proposeront des amendements sur ce sujet.
En ce qui concerne l’impact de la revalorisation du point d’indice pour la fonction publique territoriale, je veux être claire : la compensation par l’État ne crée pas de dépense publique supplémentaire. Il y a bien une hausse des dépenses, mais elle a été décidée par décret. Il faut maintenant dire qui paiera.
Je crois que l’effort doit être partagé entre les collectivités et l’État, qui a déjà beaucoup fait. Mais soyons lucides : en matière de finances publiques, c’est toujours le contribuable qui paie in fine. Et en matière de vote au sein du groupe Les Indépendants – République et territoires, c’est toujours le votant qui choisit ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce premier budget du second quinquennat d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un contexte particulier, tant sur le fond que sur la forme.
Sur le fond, nous vivons une période de hausse de l’inflation sans précédent depuis les années 1980, qui met à mal notre économie et le pouvoir d’achat des Français. La crise actuelle fait suite à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique, mais aussi à la crise économique sans précédent que nous avons traversée après les périodes de confinement liées à la pandémie.
Sur la forme, ce collectif budgétaire s’inscrit dans un contexte politique inédit, avec une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui permet au Président de la République de découvrir au bout de cinq ans ce qu’est la démocratie représentative. Le Parlement revient au centre du jeu, une place qu’il n’aurait jamais dû quitter, et nous nous en félicitons !
Le contexte est donc singulier et appelle, pour ces deux raisons de fond et de forme, à la plus grande responsabilité de notre part. Notre groupe au Sénat n’a cessé depuis cinq ans de mener une opposition constructive au Gouvernement, mû par le seul sens de l’intérêt la France. Dans le nouvel équilibre politique actuel, notre responsabilité dans l’opposition est de convaincre le Gouvernement du bien-fondé de nos propositions. Notre pays ne peut plus se permettre de perdre encore cinq ans, sinon il sera sans doute trop tard.
Le contexte d’argent magique et d’argent soi-disant gratuit a également changé. Le retour de l’inflation contraint les banques centrales et les institutions monétaires à réagir.
La semaine dernière, la Réserve fédérale américaine (FED) a décidé une nouvelle hausse de taux exceptionnelle de 0,75 %, comme celui du mois dernier, qui constituait déjà un record depuis 1994. Au total, la FED a relevé son taux directeur de 2,25 % depuis le début d’année. La semaine dernière également, la Banque centrale européenne (BCE), pour la première fois depuis onze ans, a relevé son principal taux de 0,5 %.
Cela a conduit à un relèvement des taux d’intérêt : les taux américains à dix ans ont dépassé les 3 % en mai dernier et les OAT (obligations assimilables du Trésor) à dix ans, qui nous concernent, ont largement dépassé les 2 % en juin. Je rappelle que les taux d’intérêt étaient encore négatifs en décembre 2021.
Aujourd’hui, le taux d’intérêt se situe entre 1,5 % et 1,6 %. Mais, selon l’Agence France Trésor, un point de taux d’intérêt, c’est 2,5 milliards d’euros supplémentaires de charge de la dette et, selon la Banque de France, 40 milliards d’euros par an au bout de dix ans.
À cela s’ajoute l’effet de la hausse de l’inflation, sur laquelle 10 % de notre dette est indexée. Là encore, un point d’inflation en plus, c’est 2,5 milliards d’euros de charge de la dette en plus.
La charge de la dette était, depuis de nombreuses années, le troisième poste de dépense de l’État après l’enseignement scolaire et la défense. Elle est passée de 38 milliards d’euros à 51 milliards d’euros en un an ! Elle vient ainsi de dépasser le budget de la défense et, à ce rythme, elle pourrait devenir le premier budget de l’État !
Imaginez tout ce que nous pourrions faire avec 50 milliards d’euros pour le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité de nos entreprises !
Le gouverneur de la Banque de France vient de mettre en garde le Gouvernement en indiquant qu’« il serait illusoire de penser que notre dette est encore sans coût et sans limites ». Il juge également que « la France ne peut pas se permettre de transmettre un tel poids de dette à sa jeunesse ». Quant au Haut Conseil des finances publiques, il estime pour sa part que notre endettement est un « point de vulnérabilité ».
Voilà un mois, le ministre de l’économie et des finances semblait découvrir le problème, en estimant que nous avions atteint « la cote d’alerte sur nos finances publiques », alors même que, quatre mois plus tôt, il déclarait : « Contrairement à ce que disent tous les Cassandre […] pour la campagne électorale, l’économie française se porte très bien »…
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir mis en garde le Gouvernement de façon répétée, durant le précédent quinquennat, au Sénat, contre la remontée des taux d’intérêt. Nous avons insisté régulièrement sur la nécessité de réaliser des économies et des réformes structurelles.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Les différentes crises n’expliquent pas tout. Autant il était nécessaire de soutenir et de relancer notre économie durant la dernière période, ce que nous avons approuvé, autant le « quoi qu’il en coûte » a été général et a servi à couvrir certaines dépenses qui n’avaient rien à voir avec la crise. Bref, hausse des dépenses et absence d’économies…
En effet, la diminution de 50 000 postes dans la fonction publique d’État et la réforme des retraites ont été abandonnées lors du précédent quinquennat, alors qu’il s’agissait de promesses du candidat Macron. Ce dernier nous assure désormais que cette réforme se fera lors de ce quinquennat, mais devons-nous l’en croire ? Cette mesure a déjà été repoussée d’un an, jusqu’à l’été de 2023, alors que, nous le savons très bien, les réformes les plus difficiles doivent être engagées dès la première année d’un mandat.
C’est la raison pour laquelle nous proposerons, lors de l’examen de ce collectif budgétaire, que la mise en place de la carte Vitale biométrique se fasse sans attendre. Nous n’avons pas besoin d’une mission parlementaire supplémentaire pour savoir que cette réforme engendrera des économies.
Les économies sont nécessaires pour financer les dépenses, car celles-ci ne doivent pas être payées par un surcroît de recettes. Comme la Cour des comptes l’a très bien souligné, les recettes imprévues doivent aller au désendettement de notre pays. Or toutes les dépenses de ce PLFR sont financées par une hausse des recettes, qui est d’ailleurs liée, en grande partie, à la hausse de l’inflation.
Ce n’est pas sain, monsieur le ministre, surtout quand vos prévisions de recettes sont fondées sur une croissance que nous jugeons, à l’instar du Haut Conseil des finances publiques, surestimée.
La croissance française pâtit en réalité d’une vraie pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs.
M. Vincent Segouin. Le taux de chômage en France demeure bien plus élevé que la moyenne européenne : selon les derniers chiffres disponibles, en mai 2021, ce taux se situait à 7,2 %, contre 2,8 % en Allemagne et 3,6 % aux États-Unis.
C’est la raison pour laquelle il faut permettre d’aider les entreprises à maintenir de manière durable un niveau d’activité suffisant face aux problèmes de recrutements auxquels elles sont confrontées chaque jour. C’est en ce sens que nous proposons de pérenniser la hausse de la défiscalisation et de la désocialisation des heures supplémentaires.
M. Vincent Segouin. Le travail doit être encouragé et valorisé. C’est une valeur essentielle à nos yeux.
Dans le même esprit, nous proposons que le rachat des journées de réduction du temps de travail (RTT) soit pérennisé, mais également que la prime de rentrée cible les travailleurs pauvres plutôt que les bénéficiaires des minima sociaux qui ne travaillent pas. Du reste, il s’agit également de mesures de pouvoir d’achat, car celui-ci se gagne avant tout par le travail.
Nous nous félicitons que d’importantes mesures proposées par les députés Les Républicains aient été adoptées à l’Assemblée nationale. En ce qui concerne le travail, j’ai cité le rachat possible des journées de RTT et la hausse, de 5 000 euros à 7 500 euros, du plafond de défiscalisation des heures supplémentaires ; à titre personnel, je serais même pour un déplafonnement total. Nous y reviendrons.
Pour faire face à la crise énergétique, qui affecte fortement le pouvoir d’achat de nombre de Français, notamment dans les territoires ruraux, nous nous félicitons de l’accord trouvé autour de la remise à la pompe de 30 centimes par litre de carburant, mais également de l’adoption de nos mesures de soutien aux petites stations-service situées dans les zones rurales et aux particuliers qui se chauffent au fioul, les grands oubliés du dispositif initial.
Le filet de sécurité pour les collectivités territoriales, adopté de manière concertée par les députés pour faire face à la hausse de la facture énergétique et du relèvement du point d’indice, est un premier pas. Nous proposerons de l’améliorer.
Par ailleurs, le groupe Les Républicains vous annonce d’ores et déjà, monsieur le ministre, qu’il demandera l’indexation de la dotation globale de fonctionnement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.
Le vote final de mon groupe sur ce budget rectificatif dépendra de l’écoute que vous voudrez bien lui accorder et des propositions que vous accepterez. Il y va de l’intérêt de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Daniel Breuiller. Monsieur le ministre, vous décrivez le contexte avec beaucoup de gravité. J’ajouterai d’ailleurs à la guerre en Ukraine, à la dette et à l’inflation la grave crise climatique – vous ne l’évoquez que timidement – et son corollaire : l’exigence de la transition écologique.
M. Daniel Breuiller. Faire le point est indispensable, mais c’est inutile si, ensuite, on ne choisit pas le bon cap. Or quel est votre cap, monsieur le ministre ?
Commençons par la dette. Quelque 20 milliards d’euros supplémentaires portent le déficit public annuel à 177 milliards d’euros, ce qui justifie l’expression « cote d’alerte ».
Néanmoins, si cette cote est atteinte, pourquoi accroître ce déficit de plus de 3 milliards d’euros en supprimant la contribution à l’audiovisuel public ? Pour le pouvoir d’achat des Français ? Mais taxez les plateformes, bloquez les loyers ! Là, vous allégerez le coût de la vie pour nos concitoyens !
Sur toutes les travées de la Haute Assemblée, des voix s’élèvent pour demander que l’enjeu de l’audiovisuel public ne soit pas traité par une décision mal préparée, au détour d’un article du PLFR. Dans une société de défiance et de fake news, ou fausses nouvelles, l’indépendance et la fiabilité de l’information sont essentielles, tout comme le soutien à la création et aux artistes, l’innovation et l’éducation, promus avec exigence par notre service public de l’audiovisuel.
Ces questions ne se règlent pas sans prendre le temps d’un débat avec la représentation nationale, les professionnels et les usagers. Changez donc de cap, monsieur le ministre, plutôt que supprimer à la va-vite la CAP !
Toujours à propos de la dette, vous nous expliquez qu’il ne faut pas taxer les superprofits – deux mots que vous refusez d’associer –, mais d’autres pays en Europe le font.
Un profit de 18 milliards d’euros pour TotalEnergies et un geste de 500 millions d’euros, n’est-ce pas le retour de la charité, en lieu et place de la solidarité et de l’impôt ? Votre cap, c’est moins d’impôts pour les plus grandes sociétés et des revenus désocialisés et défiscalisés pour les salariés.
Or, Henry Morgenthau le disait, « les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée ». Convaincus de cela, nous proposerons de taxer les superprofits et plus particulièrement les profiteurs de crise, qui d’ailleurs nourrissent l’inflation en augmentant leurs marges.
Nous proposerons également de créer un « ISF climatique », structuré autour de la solidarité sociale et de la transition écologique. Il permettra la contribution des plus fortunés – ils en seront heureux –, dont les bilans carbone sont par ailleurs les plus désastreux.
Il n’est pas socialement acceptable de demander des efforts à nos concitoyens modestes au nom de la gravité de la situation tout en constatant que le CAC 40 distribue 57 milliards d’euros de dividendes – record européen – ou que le patrimoine des 500 plus riches d’entre nous dépasse 1 000 milliards d’euros.
Ces chiffres sont vertigineux pour nos concitoyens. Rien ne justifie qu’un éleveur laitier ou un maraîcher qui fournit une grande enseigne gagne en moyenne 500 fois moins que le PDG de cette enseigne, ni que, dans les entreprises du CAC 40, les salaires varient de 1 à 300 entre salariés et patrons. Rien ne justifie que la finance soit moins taxée que le travail. Personne ne vaut 300 fois plus qu’un autre !
Comme le disait le président Macron, notre pays tient tout entier sur ces hommes et ces femmes que « nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Eh bien, il est temps de mieux les reconnaître et les rémunérer.
Nous vous faisons donc une proposition simple : augmenter le SMIC à 1 500 euros, soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE) par un fonds de solidarité, revaloriser de 10 % le point d’indice des fonctionnaires et porter toutes les retraites et prestations sociales inscrites à ce PLFR au niveau réel de l’inflation.
M. François Bonhomme. Et qui paie ?
M. Daniel Breuiller. Un mot sur la guerre qui frappe le peuple ukrainien, auquel nous exprimons de nouveau notre solidarité : nous approuverons les mesures du présent projet de loi de finances rectificative sur point.
Nous mesurons les risques d’approvisionnement, mais nous mesurons surtout la profondeur de la crise énergétique, qui est le prix de notre inaction climatique passée. Cette situation appelle certes des mesures d’urgence, mais exige surtout un engagement sur le chemin de l’autonomie énergétique. Là encore, quel est votre cap, monsieur le ministre ? Remplacer la dépendance au gaz russe par une dépendance au gaz de schiste américain ? Ce n’est pas acceptable.
Le seul cap possible est celui de la sobriété énergétique, alliée au développement rapide des énergies renouvelables. Nous proposerons donc d’investir 10 milliards d’euros, plutôt que 400 millions d’euros comme le prévoit ce PLFR, dans l’isolation thermique des logements. Il ne doit pas s’agir seulement de financer un changement de chaudière, il faut engager une véritable rénovation thermique des habitats, des locaux d’activité et des équipements publics.
Je conclus en évoquant le bouclier tarifaire. Ce dernier doit être étendu aux collectivités, dont certaines sont contraintes de fermer leurs piscines. Pour ce qui concerne les mesures en direction des citoyens, la baisse uniforme de 30 centimes par litre de carburant va aggraver le déficit public, en aidant les propriétaires de SUV (Sport Utility Vehicles) à partir en week-end. Des week-ends à Saint-Jean-Cap-Ferrat subventionnés par l’État, qui peut défendre cela ? Cette aide doit être réservée à nos concitoyens qui n’ont pas d’autre choix que la voiture pour se rendre au travail.
Lorsque les forêts brûlent, que les glaciers disparaissent, que nombre de départements sont en situation de sécheresse et subissent des restrictions d’accès à l’eau et que l’agriculture est mise à mal, il faut un autre cap, fructueux pour notre pays, ses habitants et la planète. Nous formulerons des propositions en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa, ainsi que MM. Jean-Claude Tissot, Jérôme Durain et Rémi Féraud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget rectificatif dont nous débattrons aujourd’hui et demain est le premier de l’année 2022.
Il a pour objectif, dans un environnement inflationniste qui se durcit, de « redonner du pouvoir d’achat » aux Français. C’est là un objectif noble, que tout le monde, sur nos travées, ne peut que partager. Ce qui semble consensuel également, mais qui ne devrait pas l’être, c’est le moyen de remplir cet objectif : le recours, encore et toujours, à la dépense publique.
Hérité de la pandémie de covid-19, le mythe de « l’argent magique » a malheureusement anesthésié les réflexes de sagesse budgétaire qui prévalaient en d’autres temps. Par rapport à la loi de finances initiale, les dépenses pilotables augmentent de plus de 18 milliards d’euros ; c’est colossal !
En voulant parer au plus pressé, nous avons collectivement abandonné toute réflexion de long terme quant aux conditions d’une prospérité retrouvée. En effet, le pouvoir d’achat ne se décrète pas ; il vient non pas de l’État, mais des gains de productivité de l’économie. La fuite en avant dans la dépense publique a ceci de mortifère que ses conséquences néfastes et diffuses ne sont visibles que sur le temps long.
Dans son essai Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, le célèbre économiste français Frédéric Bastiat distinguait en ces termes le mauvais économiste du bon : « L’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir. […] D’où il suit que le mauvais économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d’un petit mal actuel. »
En laissant filer la dépense publique et les déficits, donc, en fin de compte, l’endettement du pays, je crains, mes chers collègues, que nous ne sacrifiions le « grand bien à venir » dont parlait Bastiat.
Quand les comptes sont dans le rouge, il faut à tout le moins dépenser efficacement – Keynes disait que, quand on veut sortir du trou, il faut commencer par cesser de creuser –, c’est-à-dire cibler en priorité les ménages les plus vulnérables et les territoires les plus affectés par l’inflation, en particulier les communes rurales et les territoires ultramarins. Or ce n’est pas la direction prise dans ce budget rectificatif, qui privilégie les mesures générales et indifférenciées aux mesures temporaires et ciblées.
C’est pourquoi le groupe Union Centriste formulera, cette fois encore, un certain nombre de propositions, que ma collègue Sylvie Vermeillet a brièvement exposées précédemment, alliant sobriété budgétaire, efficacité économique et justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alain Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le franchement – une fois n’est pas coutume –, ce PLFR s’inscrit dans la droite ligne de la droite…
En vous écoutant, monsieur le ministre, je m’étonne du procédé schizophrénique qui consiste à taxer d’« irresponsable » tout contradicteur prônant une meilleure répartition de la richesse par la dépense publique, tout en étant soi-même un gestionnaire tout sauf bon, puisque vous êtes, je le rappelle, le ministre qui a le plus dépensé au cours des dernières années.
Bien sûr, je ne parle pas ici des aides légitimes mises en place pour soutenir le pays durant la crise du covid-19. Je parle plutôt du creusement du déficit que vous entraînez avec vos baisses nombreuses et systémiques des impôts de production ou de l’impôt sur les sociétés. Ce faisant, je ne dis rien de bien original, en réalité ; je ne fais que reprendre les propos de la Cour des comptes, qui impute une partie de la dégradation des comptes publics à des mesures nouvelles, qui ont réduit les prélèvements obligatoires.
En effet, au cours du quinquennat précédent, le taux de l’impôt sur les sociétés est passé de 33,33 % à 25 %, ce qui représente un coût de 15 milliards d’euros par an, et une partie des impôts de production a été réduite, pour un coût annuel de 10 milliards d’euros. Quant à la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), effective dès 2023, elle coûtera aux finances publiques 8 milliards d’euros, ce qui s’ajoutera à la longue liste des aides venant conforter la politique de l’offre.
Vous organisez donc volontairement l’attrition des finances publiques, monsieur le ministre, et, incidemment, vous creusez inutilement le déficit et la dette publics. Ce sont ainsi 12 milliards d’euros supplémentaires qui sont prévus dans ce budget pour faire face aux intérêts d’emprunt. C’est colossal !
Vous avez affirmé ne pas vouloir d’un compromis qui « s’achète […] à coups de milliards » et qui se finance « au détriment de nos finances publiques » ; or il semblerait que, avec ces baisses d’impôts de production, vous ayez forgé un compromis qui coûtera très cher à nos finances publiques…
Le fait que ces impôts profitent aux grandes entreprises susciterait-il votre cécité ? Je n’ose le croire, même si votre renoncement à taxer les superprofits de certains profiteurs de guerre me laisse à penser que vos compromis bénéficient toujours aux mêmes.
En effet, tout comme le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, ce premier PLFR s’inscrit dans la continuité de la politique économique menée au cours des dernières années, une politique fondée sur l’offre et qui profite, je le répète, aux mêmes.
Ce PLFR est le corollaire de votre dogme, qui consiste à refuser de prendre toute mesure de nature à augmenter les salaires. La semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi sur le pouvoir d’achat, alors que je proposais, avec le soutien du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un « Grenelle des salaires » pour envisager un partage plus égal de la richesse dans ce pays, vous avez balayé cette éventualité d’un revers de la main.
Or c’est précisément parce que vous refusez de toucher aux salaires qu’il vous faut faire du bricolage fiscal, poser quelques rustines çà et là : primes, petits chèques ou encore baisses d’impôt. Le rehaussement du plafond de la prime dite Macron, de 1 000 euros à 3 000 euros, pour la grande majorité des entreprises, voire à 6 000 euros dans certains cas, ne trahit que trop bien cette fuite en avant que vous avez engagée.
Ainsi, ce PLFR est la transcription fiscale des mesures prises dans le projet de loi sur le pouvoir d’achat. Or ce texte est lacunaire et porte la lourde marque des dogmes qui animent la vie de nos finances publiques depuis cinq ans. Sans changement clair et radical de cap, nous serons condamnés à traiter ce PLFR pour ce qu’il est : un projet de loi de finances inégalitaire, qui fait encore peser sur les mêmes l’obligation d’assainissement des comptes publics.
Vous nous parliez d’une « nouvelle méthode », empreinte de compromis. Nous espérons que, de compromis, il sera question, durant l’examen de ce texte, afin d’insérer plus de justice fiscale dans le PLFR. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)