Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le discours de haine, tel un virus, circule et contamine.
Nous sommes tous conscients de la façon dont internet a facilité la propagande, l’endoctrinement et le recrutement des organisations terroristes. S’il favorise la liberté d’expression, internet sert également à diffuser des idéologies arriérées et barbares, qui s’attaquent à notre modèle de société, à nos valeurs républicaines et à notre sécurité. Il apparaît donc primordial de se doter d’outils juridiques permettant d’entraver et de combattre efficacement l’utilisation d’internet par tous les prédicateurs de haine.
Aussi, l’objectif de l’article unique de la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne fait largement consensus. À l’issue de la discussion dans nos deux assemblées, la recherche d’un compromis ne concernait plus que quelques alinéas seulement. Je me réjouis que, sur un sujet aussi important que celui de la sécurité de nos concitoyens, la commission mixte paritaire ait été conclusive.
Afin d’aboutir à un texte commun, des ajustements mineurs ont été opérés, portant principalement sur les modalités de recours contre les décisions du président du tribunal administratif. Par ailleurs, il est rappelé de façon explicite que les fournisseurs de services d’hébergement et de contenus peuvent utiliser un référé-liberté dans les conditions de droit commun.
Néanmoins, j’exprime une nouvelle fois nos réserves quant au véhicule législatif retenu et à la méthode de travail du Gouvernement vis-à-vis du Parlement. Madame la ministre, vous conviendrez que le choix d’une proposition de loi pour transposer les dispositions d’un règlement européen peut nous interpeller !
Cela a été souligné à plusieurs reprises : cette proposition de loi a été rédigée en urgence par les directions centrales des ministères concernés, avant d’être déposée par des membres du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Je le regrette, car nous avons été privés d’une étude d’impact et de l’indispensable avis du Conseil d’État.
J’espère que ces pratiques relèvent aujourd’hui du passé et que cette nouvelle législature en signera la fin.
M. Jérôme Durain. Très bien !
M. Franck Menonville. Avant de conclure, je souhaite saluer la qualité des travaux du rapporteur, M. André Reichardt, malgré les délais contraints.
Madame la ministre, mes chers collègues, les discours de haine se propagent et tuent. La menace terroriste demeure l’une des urgences auxquelles notre pays doit répondre.
La lutte contre la radicalisation islamique et le terrorisme nécessite des moyens humains, techniques, juridiques et budgétaires. Lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, à l’automne, mon groupe parlementaire et moi-même serons particulièrement vigilants quant aux crédits mobilisés à cette fin. Il est en effet de notre responsabilité de prendre toutes les mesures possibles afin de juguler le prosélytisme et de garantir la sécurité physique de nos concitoyens.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants votera bien évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nadine Bellurot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après une commission mixte paritaire conclusive la semaine passée, je salue aujourd’hui le caractère constructif des travaux ayant conduit à l’adoption de ce texte.
L’accord obtenu va nous permettre de lutter avec plus d’efficience contre le partage en ligne des contenus à caractère terroriste, en contraignant les entreprises du Net à supprimer les contenus terroristes en l’espace d’une heure seulement. Il s’agit d’un outil essentiel pour garantir la sécurité de nos concitoyens, puisque le terrorisme règne toujours parmi nous.
Par ailleurs, nous adhérons au compromis trouvé en commission mixte paritaire sur le point non négligeable des procédures de recours.
Contrairement au texte adopté par le Sénat, la suite de la procédure d’appel après la première décision du président du tribunal administratif sera portée non pas devant le Conseil d’État, mais devant la cour administrative d’appel, dans des délais brefs. L’appel devra être interjeté dans un délai de dix jours, et la cour administrative d’appel aura alors un mois pour se prononcer.
Le choix d’un recours en réformation, plutôt que d’un recours en annulation, nous paraît également plus adapté, compte tenu de la technicité particulière du contentieux à traiter.
De même, nous nous réjouissons du maintien dans le texte de la commission mixte paritaire des dispositions introduites par notre rapporteur, dont je me réjouis du bon rétablissement, qui prévoient la transmission systématique à la personnalité qualifiée de l’Arcom des injonctions nationales de retrait.
La personnalité qualifiée pourra ainsi suivre l’ensemble des demandes relatives aux contenus terroristes. Sans cela, il nous aurait paru délicat de garantir la cohérence globale du traitement de ces contenus particulièrement sensibles.
En définitive, nous nous félicitions de l’accord obtenu. Je ne doute pas qu’une grande majorité de notre groupe se prononcera en faveur de ce texte, tel qu’il est issu des travaux de la commission mixte paritaire.
Pour finir, le groupe Les Républicains tient à saluer la qualité du travail mené par nos rapporteurs, André Reichardt et Nathalie Goulet, qui nous ont permis de mener sereinement l’examen de cette proposition de loi jusqu’à son terme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à notre grand regret, nous ouvrons le bal des commissions mixtes paritaires négociées entre les Républicains et le Gouvernement ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. C’est petit !
M. Guy Benarroche. L’accord résulte d’une négociation « hémiplégique » avec les seuls Républicains, ce qui constitue un « danger mortel », selon les mots mêmes du président LREM de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Houlié. (Mêmes mouvements.)
M. Bruno Sido. N’importe quoi !
M. Guy Benarroche. Sur le fond de ce texte, nous pouvons rappeler l’analyse de notre groupe : s’il est clairement nécessaire d’adapter notre droit pour appliquer le règlement relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, nous regrettons tout d’abord la forme retenue.
Le Gouvernement, de manière aussi habile que cynique, a choisi de faire déposer une proposition de loi au lieu de présenter lui-même un projet de loi. Les parlementaires n’ont ainsi pas pu disposer de l’avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact, éléments d’autant plus importants compte tenu de la censure historique de la loi Avia par le Conseil constitutionnel. Nous regrettons ce tour de passe-passe, qui entache la sincérité du processus démocratique.
Pour autant, le sujet des contenus terroristes mérite une réponse à la fois pratique, forte et efficace. Nous ne le savons que trop : la haine prolifère en ligne, et nous devons nous doter de l’arsenal le plus efficace possible pour limiter cette propagande terroriste et ces méthodes de recrutement qui ont pour but de nous nuire.
Le terrorisme tue, et internet demeure le terreau fertile permettant à la fois la diffusion de certaines idéologies macabres et le recrutement comme le financement des terroristes. Il est essentiel de se doter d’outils de droit freinant cette utilisation d’internet.
Le règlement européen auquel nous devons adapter notre droit est le fruit d’une réflexion sereine. Applicable depuis le 7 juin dernier, il distingue de manière sensée la diffusion de certains de ces contenus à des fins journalistiques, pédagogiques ou artistiques.
La définition des contenus nécessitant d’être retirés est plus restreinte et plus équilibrée que celle qui se trouvait dans la loi Avia, la possibilité de maintenir des contenus dans le cadre du débat public étant par exemple garantie. Ce règlement constitue ainsi un outil majeur et nécessaire pour notre législation.
Néanmoins, ce texte comporte aussi des limites.
Comme nous l’avons rappelé, le choix de déposer une proposition de loi ne semble pas le plus sécurisant pour évaluer les conséquences du texte, notamment sur les libertés publiques et individuelles.
La censure de la loi Avia rappelait que la détermination du caractère illicite des contenus à caractère terroriste ne devait pas être soumise à la seule appréciation de l’administration. L’absence du juge judiciaire lors des procédures de recours nous paraît préjudiciable, tant pour l’équilibre de notre société que pour l’exercice des libertés publiques, qui relève du juge judiciaire.
Depuis la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi sur le séparatisme, l’Arcom est désignée comme l’opérateur traitant la haine en ligne. Sa conservation démontre une cohérence, mais suscite de nombreuses interrogations.
J’ai entendu le Gouvernement dire que nous entrions dans un quinquennat sans hausse d’impôts ni accroissement de la dette… Aussi, je suis impatient de voir comment, à fonds constants, le Gouvernement dotera l’Arcom des moyens nécessaires pour mener à bien cette nouvelle mission, notamment en lui affectant les agents dont cette instance a besoin et en organisant leur formation.
Si j’insiste sur ce point, c’est que le drame de l’assassinat de Samuel Paty a montré que, alors que le circuit de signalement existait et fonctionnait correctement, le manque de personnels et les délais de traitement ont entraîné la funeste conséquence que nous connaissons tous.
Trois autres points majeurs demeurent.
Tout d’abord, l’urgence du délai d’une heure représente un risque selon de nombreuses associations de protection des libertés. Notre groupe souhaite relayer les inquiétudes de la Quadrature du Net ou d’autres ONG, qui craignent notamment la mise en place de « filtres de téléchargement » permettant à l’hébergeur d’interdire à un utilisateur de poster du contenu, mais aussi la possibilité d’erreurs techniques inhérentes à des processus automatisés dans la sélection des contenus à supprimer.
Ensuite, la subjectivité des éditeurs ou hébergeurs dans l’évaluation du contenu constitue un autre risque. Il s’agit d’un point essentiel, eu égard aux démarches à géométrie variable des opérateurs privés selon le sujet qu’ils pensent devoir être retiré. L’exemple récent de la différence de traitement par Facebook entre deux contenus jugés tous deux illégaux doit nous interroger : un post sur la pilule abortive a été censuré en une minute, alors qu’un autre sur les armes à feu est resté intouché pendant plusieurs jours.
Cette différence d’appréciation chez les opérateurs privés pourrait également se retrouver parmi les autorités compétentes équivalentes à l’Arcom. Ce n’est faire offense à aucun de nos voisins européens que de percevoir les nuances dans l’indépendance de ces agences administratives ou de pointer qu’elles ne partagent pas toujours le même point de vue sur ce qui caractérise un terroriste.
L’aspect transfrontalier des demandes de retrait constitue un sujet majeur, compte tenu de la montée de régimes aux valeurs parfois très éloignées des nôtres au sein même de l’Union européenne. Le règlement auquel nous adaptons aujourd’hui notre droit permet des demandes transfrontalières de retrait de contenus qui pourraient être litigieuses.
Comment, sans contrôle d’un juge judiciaire, garantir la liberté d’expression sur notre territoire face à des gouvernements parfois totalitaires, caractérisant de manière caricaturale leurs opposants comme des terroristes ?
Notre groupe aurait préféré un meilleur équilibre entre une lutte juste, ferme et efficace contre la dissémination des contenus terroristes sur internet et la protection de la liberté d’expression. Aussi, toutes ces réserves nous empêchent de soutenir pleinement la démarche de la loi présentée.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. De façon responsable, notre groupe, bien conscient de la nécessité d’agir rapidement contre l’expansion du terrorisme, ne s’opposera pas à cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le parcours de cette proposition de loi nous laisse très insatisfaits et très critiques, tant sur la méthode que sur les objectifs du Gouvernement.
Nous partageons collectivement, sans qu’il soit besoin une nouvelle fois de le justifier à cette tribune, la nécessité de lutter contre les propos haineux de toute nature sur internet et les réseaux sociaux.
Néanmoins, nous estimons que la technicité de ce dossier, tout comme la nécessité de trouver un juste équilibre entre la régulation des échanges et le respect de la liberté d’expression, aurait justifié de travailler sur un projet déposé par le Gouvernement, à l’occasion d’une navette parlementaire complète.
Cette proposition de loi nous prive d’une étude d’impact, de l’avis du Conseil d’État et d’un débat de fond. Le fâcheux précédent de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, et de sa censure quasi complète par le Conseil constitutionnel aurait dû vous inciter à changer de méthode et à entendre les arguments juridiques forts qui vous ont été opposés.
Las ! Nous avons le sentiment que le règlement européen vous donne un prétexte pour nous faire voter ce qui par ailleurs, et à raison, a été supprimé.
Vous nous dites que les garanties nouvelles contenues dans ce règlement ne rencontreront pas à l’avenir d’objection de la part du Conseil constitutionnel : nous n’en sommes pas aussi sûrs que vous. L’intérêt de ce texte est peut-être de donner aux Sages l’occasion de se prononcer une nouvelle fois sur le régime de protection des libertés individuelles sur les réseaux numériques et de préciser leur jurisprudence sur la liberté qu’ils se donnent de soumettre la législation de l’Union européenne à leur censure.
Une autre de nos réserves porte sur la conformité du règlement, dont la présente proposition se veut la transposition, avec les deux règlements à venir sur les services numériques et sur les marchés numériques, connus sous leurs sigles anglais de DSA (Digital Services Act) et de DMA (Digital Markets Act).
Dans une formule d’un laconisme absolu, vous nous avez expliqué, madame la ministre, que le règlement 2021/784, adopté le 29 avril 2021, était, je vous cite, « consolidé ». Si je comprends bien cet adjectif sibyllin, le Gouvernement estime que les deux règlements à venir ne l’obligeront pas à revoir les dispositions législatives qui seront votées ce jour.
De nouveau, j’ai grand-peine à l’admettre, tant les deux règlements DSA et DMA modifient considérablement le statut des hébergeurs de contenus et protègent les auteurs du retrait arbitraire.
À tout le moins, une nouvelle fois, notre parlement et les institutions de l’Union européenne ont travaillé en accumulant des dispositifs, sans grande cohérence d’ensemble et sans conférer d’unité au projet. Il en résulte une stratigraphie législative difficilement compréhensible par les usagers du droit, dont les failles seront savamment exploitées par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), afin de ne rien changer à leurs pratiques.
Je regrette vivement que le nouveau ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications n’ait pas tiré parti des débats sur la présente proposition de loi pour nous présenter sa politique générale et ses objectifs en vue de la mise en œuvre des deux nouveaux règlements.
Ces règlements auront, dans le champ du numérique, des conséquences sans doute aussi importantes que celles du règlement général sur la protection des données (RGPD).
Par conséquent, il eût été de bonne politique que le Gouvernement nous présentât un plan d’action pour leur application en France et qu’il nous informât des moyens nouveaux qu’il pourrait octroyer à l’Arcom et à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), pour assurer le respect de leurs procédures.
Comme le RGPD, ces deux directives auront des conséquences non négligeables sur l’activité d’entreprises étrangères. Sans nul doute, ces dernières – les Gafam, pour ne pas les citer – s’emploieront à les contourner ou à les neutraliser. Je crains qu’elles ne se servent, dans leurs futures tentatives d’obstruction, des pouvoirs que vous êtes en train de leur octroyer par le biais de cette proposition de loi. Travailler sur les deux nouveaux règlements aurait permis d’anticiper ces réactions prévisibles.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, nous voterons contre les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre – je suis heureuse de vous voir sur ce banc –, monsieur le rapporteur – je salue votre rétablissement –, le Sénat, vous le savez, a toujours pris ses responsabilités en matière de lutte contre le terrorisme.
Cela a été le cas dès les premiers textes qui nous ont été soumis, au cours des années sombres, lorsque la France a été frappée par de très nombreux attentats. Cette maison, je le rappelle, a organisé la première commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, coprésidée par André Reichardt, en juin 2014, c’est-à-dire six mois avant l’attentat contre Charlie Hebdo. Nous n’étions pas en retard sur ce sujet.
Ce n’est pas parce que l’on ne parle plus actuellement de terrorisme que la menace a diminué : nos services font régulièrement état d’attaques qui ont été évitées grâce à leur action.
Ce texte, contrairement à ce que vient de dire notre collègue, nous semble bienvenu. Il s’agit de l’application d’une directive : tout a été dit par le rapporteur, ou presque. Notre groupe votera évidemment ces dispositions.
Reste la question, madame la ministre, des moyens. Les uns et les autres l’ont évoqué : nous avons, lors de l’examen en commission, soulevé la question des moyens de l’Arcom. Il nous a été répondu qu’ils étaient suffisants ; il nous a été assuré que ceux de Pharos l’étaient également.
Nous serons, les uns et les autres, extrêmement attentifs face au document de politique transversale – l’« orange budgétaire » – relatif à la lutte contre la radicalisation, que nous avons obtenu de haute lutte. De nouveaux quartiers de lutte contre la radicalisation ont été ouverts, notamment à la prison pour femmes de Rennes : voilà un exemple à suivre.
Il s’agit d’une politique en devenir, et pas du tout aboutie. La haine en ligne en constitue un maillon fort : avec ce texte, nous essayons de rompre cette chaîne diabolique et mortifère. Cette proposition de loi est, à ce titre, bienvenue.
Les griefs adressés en la matière au juge administratif me semblent infondés. Il est, comme le juge judiciaire, parfaitement compétent en matière de libertés publiques.
Enfin, je remercie la commission des lois de m’avoir fait confiance pour remplacer au pied levé, si j’ose dire, M. le rapporteur. Tout le travail avait déjà fait : il convient donc de saluer M. André Reichardt, ainsi que nos services. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques jours après la tragédie niçoise du 14 juillet 2016, les premiers éléments de l’enquête révélaient, à travers l’exploitation de son ordinateur, que l’auteur de l’attentat avait effectué des recherches sur l’attaque homophobe d’un club à Orlando, aux États-Unis, ou sur l’assassinat du couple de policiers, à Magnanville, dans les Yvelines. Sur son disque dur se trouvaient également de nombreuses photos de combattants arborant le drapeau de l’organisation État islamique.
Voilà un exemple type de l’endoctrinement terroriste que permet internet et contre lequel nous luttons.
Comme notre rapporteur a eu l’occasion de le souligner, la France se distingue déjà au sein de l’Union européenne par les outils dont elle s’est dotée pour lutter contre la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste. Nous pensons en particulier à la procédure administrative de retrait de l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
Nous pensons également à la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui a imposé aux grandes plateformes numériques une obligation de moyens humains et technologiques proportionnés afin de modérer les contenus ; le tout est placé sous la supervision de l’Arcom.
Notre droit doit être outillé ; il le sera encore davantage avec le nouveau dispositif de cette proposition de loi. Il ressortira du règlement européen et de ce texte de quoi continuer à renforcer les prérogatives des pouvoirs publics dans la régulation des contenus en ligne.
Pouvoir imposer aux fournisseurs de services d’hébergement le retrait, dans l’heure, de contenus terroristes diffusés en ligne est une bonne chose. Ce retrait est des plus justifiés et attendus, quand on sait la viralité que peuvent connaître certaines vidéos !
Certes, le cumul de procédures n’est pas idéal. J’ai le sentiment qu’il brouille la lisibilité de la régulation, à laquelle chacun aspire ici. Cela a été beaucoup dit : la méthode législative à laquelle il a été recouru n’était pas la bonne.
Pressés par les délais imposés par le règlement européen, nous nous sommes retrouvés à passer par le moyen d’une proposition de loi, sans étude d’impact, sans avis du Conseil d’État. Le texte se retrouve examiné à la reprise d’une session parlementaire, nous imposant des délais serrés, entre un projet de loi de veille sanitaire et un autre de mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.
Bref, nous devons travailler à la hâte : cela n’a rien d’idéal ! Chacun s’accordera sur ce point.
Les prochaines échéances parlementaires devront mieux tenir compte du temps, du recul et donc de la sérénité qu’impose l’écriture de la loi.
Enfin, s’il est question aujourd’hui de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, notre assemblée se préoccupe également du problème des contenus à caractère pornographique, en particulier via la mission d’information sur les dérives de l’industrie pornographique.
Aussi, je répéterai ce que j’ai dit lors de l’examen de ce texte : il reste beaucoup à faire pour les mineurs, qui ont accès, sans aucune difficulté, à des contenus en ligne absolument inadaptés. J’entends la complexité à laquelle nous sommes ici confrontés, mais je refuse de croire que des solutions pratiques n’existent pas.
Il demeure que le groupe RDSE votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’accord finalement obtenu en commission mixte paritaire peut être considéré comme un début de réponse à la problématique de la radicalisation en ligne.
Il est nécessaire d’unifier nos actions en adaptant notre législation au règlement européen 2021/784, afin de poser un cadre juridique commun et harmonisé pour l’ensemble des États membres. Cette proposition de loi intègre de nouveaux mécanismes à notre droit ; elle modifie notamment la LCEN, en y ajoutant un article unique.
La France, frappée plusieurs fois dans sa chair, est déjà armée, numériquement parlant, dans ce combat contre les contenus terroristes en ligne ; je pense, par exemple, à la plateforme Pharos. Au cours de la seule année 2021, les enquêteurs de la plateforme dédiée au signalement de contenus et comportements illicites en ligne ont formulé pas moins de 10 000 demandes de retrait de publications à caractère terroriste sur les réseaux sociaux.
Ces nouvelles dispositions vont permettre de se doter d’outils différents, afin de renforcer notre système de défense numérique.
Il m’est impossible de voter contre ce texte, n’ignorant pas, en particulier, que la messagerie Telegram a été utilisée par les terroristes du Bataclan. Nous ne pouvons plus nous permettre de telles dérives : il y va de la sécurité de nos concitoyens.
La présente proposition de loi vise à préciser la responsabilité, qui est grande, des fournisseurs de services d’hébergement. Ces derniers doivent assumer leur rôle et prendre toutes les mesures appropriées, raisonnables et proportionnées pour garantir la sécurité de leurs services. Sous peine de sanctions, il leur revient de détecter et de supprimer le plus rapidement et efficacement possible les contenus de propagande et d’apologie du terrorisme en ligne.
Toutefois, la vigilance des fournisseurs doit être maximale à l’égard de la liberté d’expression et d’information. Le respect de cette liberté fondamentale est le signe d’une bonne santé démocratique. On ne peut négliger cet aspect en préférant la censure ou le tout-sécuritaire.
Dans le doute, je m’abstiendrai donc.
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous apprenons à vivre avec les réseaux sociaux, mais ceux-ci évoluent sans cesse, tout comme leurs usages.
J’ai évoqué, lors de la première lecture de ce texte, le récent acte terroriste d’extrême droite commis aux États-Unis, à Buffalo, par un suprématiste blanc. L’auteur a diffusé ses actes en direct sur Twitch. La vidéo dont il est question a été retirée en moins de deux minutes : comme nous l’a rappelé France Culture, « c’est considérablement moins que les 17 minutes qu’il avait fallu à Facebook pour retirer une vidéo similaire, diffusée par le suprématiste blanc autoproclamé qui avait tué 51 personnes dans deux mosquées néo-zélandaises, à Christchurch, en 2019 ». Pourtant, ces deux minutes ont suffi pour que certains copient les images concernées et les diffusent à leur tour.
Le temps réel constitue bel et bien un défi en ce qui concerne le contrôle de la propagation des contenus terroristes en ligne.
La proposition de loi que nous examinons en séance a trait à ces enjeux. Nous nous interrogeons de nouveau, comme beaucoup de collègues sur toutes les travées, sur le véhicule législatif choisi.
L’adoption du règlement TCO nécessite une adaptation de la législation nationale. Ne pas procéder à celle-ci placerait la France en contradiction avec ses obligations et ses engagements européens.
Pour cette raison, un projet de loi s’imposait. Le Parlement aurait tiré profit de l’étude d’impact et, surtout, de l’avis du Conseil d’État sur la compatibilité du règlement avec notre ordre constitutionnel, un sujet qui a soulevé de nombreuses questions, comme l’a rappelé tout à l’heure notre rapporteur.
Peut-être le secrétariat général du Gouvernement, auditionné demain en commission, pourra-t-il nous fournir des explications et répondre à notre souhait qu’il ne soit plus abusé de la procédure législative par voie de proposition de loi.
L’objectif principal de la présente proposition de loi, à savoir la lutte contre le terrorisme et sa propagande, n’est pas contestable. Le dispositif qu’elle met en œuvre a vocation à s’insérer dans le cadre du régime de blocage administratif en vigueur dans notre droit interne. Si l’hébergeur ou le fournisseur de contenus refuse de se conformer dans l’heure à l’injonction de retrait du contenu, une demande de blocage pourra être adressée par l’autorité administrative au fournisseur d’accès à internet, à l’issue d’un délai de vingt-quatre heures, conformément à l’article 6-1 de la LCEN.
Rappelons que les mesures de lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne doivent être complétées par des stratégies de lutte contre le terrorisme, de la part des États membres. Il s’agit du renforcement de l’éducation aux médias et de l’esprit critique et de toute autre initiative permettant de réduire à la fois l’impact des contenus à caractère terroriste en ligne et la vulnérabilité à leur égard.
Il ne faut pas sous-estimer l’investissement nécessaire dans le travail social, dans les initiatives de déradicalisation et dans le dialogue avec les communautés touchées, afin de parvenir à une prévention durable de la radicalisation dans la société.
Dans le droit fil de l’accord trouvé – l’essentiel du désaccord persistant, qui portait sur les modalités d’appel des décisions de blocage, a trouvé une issue favorable –, accord qui intègre les apports du Sénat au texte initial, notre groupe adoptera les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)