Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Corinne Imbert, M. Dominique Théophile.
2. Mises au point au sujet de votes
3. Adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, rapporteur
Clôture de la discussion générale.
Adoption, par scrutin public n° 124, du projet de loi dans le texte de la commission.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Corinne Imbert,
M. Dominique Théophile.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, hier soir, lors du scrutin public n° 120 sur l’article 2 du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, maintenant provisoirement un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la covid-19, mes collègues Colette Mélot, Pierre Médevielle, Pierre-Jean Verzelen, Emmanuel Capus, Vanina Paoli-Gagin, Jean-Pierre Grand ainsi que moi-même souhaitions nous abstenir, tandis que Jean-Louis Lagourgue souhaitait voter contre.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, lors du même scrutin public n° 120, ma collègue Marie-Laure Phinera-Horth souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
3
Adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède (projet n° 782, texte de la commission n° 803, rapport n° 802).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le président de la commission et rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis honorée de présenter aujourd’hui au Sénat ce projet de loi visant à autoriser les ratifications des deux protocoles au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et du Royaume de Suède.
Vous mesurez comme moi, je le sais, l’importance de ces deux textes, et je tiens à vous remercier d’avoir permis leur examen rapide, malgré le calendrier particulièrement chargé qui est le vôtre.
Les demandes d’adhésion formulées par la Suède et la Finlande constituent une évolution historique pour ces deux pays, attachés traditionnellement à des politiques de non-participation à des alliances militaires.
Pour la Suède, il s’agit d’une rupture avec près de deux siècles d’une neutralité décidée à la suite du conflit qui l’avait opposée à la Norvège en 1814.
Avec cette décision, la Finlande, quant à elle, tourne la page des premières heures de la guerre froide et de la neutralité forcée imposée par l’Union soviétique en 1948.
Difficiles à envisager il y a encore six mois, ces demandes sont la conséquence directe de l’évolution de notre environnement de sécurité provoquée par l’agression militaire commise par la Russie contre l’Ukraine depuis le 24 février.
Ces demandes sont le fruit de décisions souveraines, prises à l’issue de larges consultations nationales et internationales, et qui reflètent des évolutions majeures de l’opinion publique dans chacun de ces deux pays.
Je signale au demeurant que la Finlande et la Suède avaient déjà adapté leurs politiques de défense à la suite de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass en 2014 et, plus généralement, dans un contexte marqué par une posture russe de plus en plus menaçante et de plus en plus agressive.
Ces demandes répondent à un besoin de sécurité accru de la Suède et de la Finlande. En devenant les trente et unième et trente-deuxième membres de l’Alliance atlantique, ces deux alliés pourront bénéficier du principe fondateur de l’Alliance qu’est l’obligation d’assistance en cas d’attaque armée contre l’un de ses membres, inscrite à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.
Ces adhésions constitueront également un gain pour la sécurité de l’espace baltique et pour la sécurité collective des Européens.
En effet, la Suède, comme la Finlande, dispose de capacités militaires robustes qui contribueront significativement à la sécurité de l’ensemble des alliés.
L’armée finlandaise compte parmi les plus fournies d’Europe en termes d’effectifs et d’artillerie. La Suède, qui entretient une industrie de défense compétitive, a annoncé une importante revalorisation de son budget de défense, qui atteindra bientôt 2 % de son produit intérieur brut (PIB).
Ces deux pays sont dotés de capacités et d’équipements qui sont déjà communs à de nombreux alliés, permettant une parfaite interopérabilité au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Je signalerai en outre que la France a pu voir à l’œuvre et apprécier les capacités suédoises et finlandaises, dans le cadre de la participation active d’Helsinki et de Stockholm à la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne dans des zones prioritaires pour nos intérêts.
La Suède a notamment activement contribué à la task force Takuba au Sahel à partir de 2020 et, depuis 2013, à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la Minusma. De son côté, la Finlande participe à la mission de formation de l’Union européenne au Mali (European Union Training Mission – EUTM Mali) et à la Minusma.
Par ailleurs, l’engagement de ces deux pays pour la défense européenne ne fait aucun doute : en témoigne leur participation à l’initiative européenne d’intervention (IEI), dont la principale vocation est de faire émerger une culture stratégique et opérationnelle commune aux Européens.
Enfin, et c’est un point fondamental, l’adhésion de la Suède et de la Finlande renforcera la place des Européens dans l’Alliance atlantique. En portant à vingt-trois le nombre d’États membres de l’Union européenne au sein de l’Alliance, ces adhésions consolideront l’OTAN elle-même, mais aussi son pilier européen.
Cela aura également un effet bénéfique pour l’autonomie stratégique de l’Union européenne, c’est-à-dire sa capacité à assurer elle-même la défense de ses propres intérêts de sécurité.
C’est d’ailleurs une ambition de plus en plus assumée par ses États membres, comme le montre la décision récente du Danemark, soutenue à plus de 66 % par sa population consultée par voie de référendum, de s’intégrer désormais pleinement à la politique européenne de sécurité et de défense commune.
L’adhésion de la Suède et de la Finlande confortera en outre les choix stratégiques faits par de nombreux États membres qui, à la suite notamment du sommet de Versailles, en mars dernier, ont décidé de réinvestir dans leur défense.
Je précise qu’il ne s’agit pas de compétition entre organisations, mais bien d’un vaste mouvement de réveil stratégique de la part de nos partenaires, dont bénéficieront tant l’OTAN que l’Union européenne, notre sécurité collective européenne et transatlantique, et donc la sécurité de la France et des Français.
Pour l’ensemble de ces raisons, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il est fondamental que nous soyons au rendez-vous de ce moment historique pour la sécurité européenne.
C’est notre responsabilité à plusieurs égards.
C’est tout d’abord notre responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de nos alliés, dont les chefs d’État ou de gouvernement ont soutenu à l’unanimité les candidatures de Stockholm et d’Helsinki lors du sommet de l’OTAN à Madrid le 29 juin dernier.
Comme vous vous en souvenez, cette unanimité a été difficile à obtenir en raison des réserves d’un allié, la Turquie, au motif affiché de différends bilatéraux, en particulier avec la Suède, concernant la lutte contre le PKK. Ces réserves ont été levées à la faveur d’un mémorandum d’entente signé par la Turquie avec la Finlande et la Suède, en marge du sommet.
Je précise cependant que, si ce mémorandum a eu le mérite de lever les réserves turques, il ne constitue en rien un engagement de nature à lier l’OTAN ni l’ensemble de ses membres.
Cet accord a ouvert la voie, le 5 juillet à Bruxelles, à la signature des protocoles d’adhésion par la Suède, la Finlande, ainsi que les représentants permanents des trente alliés auprès de l’OTAN. La phase de ratification par les trente alliés, selon le droit interne de chacun, est ouverte depuis lors, plusieurs d’entre eux ayant eu recours à des procédures accélérées.
À ce jour, dix-huit alliés sur trente ont déjà ratifié les protocoles, parmi lesquels le Canada, le Royaume-Uni et nombre de pays européens, dont l’Allemagne ou encore la Pologne. Ce matin même, alors que je m’apprêtais à vous dire que seuls dix-sept alliés les avaient ratifiés, la Belgique a achevé son processus de ratification.
Aux États-Unis, les deux textes ont été approuvés par la Chambre des représentants et sont désormais soumis à l’examen du Sénat. En France, le projet de loi autorisant la ratification de ces deux protocoles d’adhésion a été examiné par le Conseil d’État le 12 juillet, puis en conseil des ministres le 13. Il est désormais soumis à votre approbation.
C’est ensuite notre responsabilité vis-à-vis de nos compétiteurs et rivaux stratégiques.
Jusqu’à leur adhésion effective, Stockholm et Helsinki ne seront pas formellement couvertes par l’article 5 et pourraient être exposées à des actions de provocation ou de déstabilisation conduites par des pays hostiles à cet élargissement, dont ils perçoivent bien qu’il réduira à terme leurs marges de manœuvre.
Nous avons d’ailleurs fait part de notre disposition à apporter des mesures de réassurance pour cette période intermédiaire si la Finlande et la Suède le souhaitent.
Par ailleurs, et comme le Président de la République l’a rappelé, ces deux pays bénéficient de la clause d’assistance mutuelle prévue à l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne (TUE).
Il y va enfin, et peut-être surtout, de notre responsabilité à l’égard de nos concitoyens, dont la sécurité est notre priorité. Nous pourrons assurer encore plus efficacement leur sécurité en renforçant notre sécurité collective.
La France participe pleinement depuis 2014, et plus encore depuis le 24 février dernier, au renforcement de la posture de l’Alliance sur son flanc oriental. Elle participe à la présence avancée de l’OTAN en Roumanie, en tant que nation-cadre, ainsi qu’en Estonie. Elle contribue également aux opérations de police du ciel et de surveillance maritime dans l’espace considéré.
Ainsi, comme l’a dit le Président de la République, nous devons être au rendez-vous de l’Histoire en menant à bien le processus de ratification de ces deux protocoles.
Enfin, je rappellerai que les dispositions de ces deux textes sont pleinement compatibles avec, d’une part, les engagements pris par la France dans le cadre des Nations unies – ils correspondent aux articles 2 et 51 de la Charte –, et de l’autre, avec ses engagements dans le cadre de l’Union européenne. L’article 42, paragraphe 7, du TUE, que je mentionnais il y a un instant, renvoie effectivement aux engagements souscrits par les États membres dans le cadre de l’OTAN.
Aussi la ratification de ces protocoles ne nécessitera-t-elle pas de modification du droit français ou l’adoption de dispositions législatives ou réglementaires nouvelles.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède, aujourd’hui proposé à votre approbation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a seulement six mois, qui aurait cru que nous serions appelés à débattre de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN ? Voilà bien la preuve, s’il en fallait une, de la gravité de l’agression russe contre l’Ukraine et des conséquences innombrables que celle-ci engendre.
En vérité, comme vous l’avez dit, madame la ministre, il s’agit en effet d’un événement historique pour l’Europe, dont nous devons prendre conscience aujourd’hui.
Mesurons la révolution mentale, le changement d’ère que cet événement constitue tant pour les Finlandais que pour les Suédois.
Pour les premiers, il s’agit d’un stigmate de la guerre froide qui, soudain, s’efface. Pourtant, cette neutralité contrainte, le renoncement à une politique étrangère pleinement indépendante, la fameuse « finlandisation », visait précisément à survivre à la menace russe. Ces sacrifices semblent donc aujourd’hui insuffisants face à une Russie jugée plus menaçante qu’au pire moment de l’époque du rideau de fer.
En 2020, près de 20 % des Finlandais soutenaient l’adhésion à l’OTAN ; ils étaient 76 % à y être favorables en mai 2022. Les autorités d’Helsinki avaient tenté de conserver une approche équilibrée vis-à-vis de Moscou : tout cela aura été balayé par l’agression russe. Loin d’aboutir à la « finlandisation » de l’Ukraine, l’aventure de M. Poutine a précipité l’« otanisation » de la Finlande.
Pour les Suédois, le séisme est sans doute encore plus violent, et peut-être plus profond. En paix depuis 1814, ce pays peut se féliciter d’avoir échappé à toute invasion pendant deux longs siècles.
Et voici que, soudain, vole en éclat un élément constitutif de l’identité nationale, fondée sur l’alliance étroite entre neutralité, soutien sans faille au multilatéralisme et aide massive aux pays en voie de développement. La Suède ayant depuis longtemps lié son destin à celui de la Finlande en matière de sécurité extérieure, il était évident qu’elle allait lui emboîter le pas et demander à adhérer à l’OTAN.
Qu’apporte cette adhésion aux deux pays ? À l’inverse, qu’apporte-t-elle à l’Alliance, et de ce fait, que nous apporte-t-elle à nous Français ?
L’assurance stratégique que représente l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord constitue évidemment la première motivation de la Finlande et de la Suède. Avec l’agression russe, la fameuse garantie de sécurité est sortie des manuels de droit international pour redevenir le plus concret, le plus précieux des remparts.
Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, plusieurs pays européens se sentent directement menacés dans leur existence par la Russie. Les récentes déclarations des autorités américaines et de responsables de l’OTAN, selon lesquelles l’Alliance défendrait « chaque centimètre carré » du territoire des pays membres, n’ont fait que renforcer la valeur symbolique de cet article 5.
Du point de vue de l’OTAN, il s’agit d’un succès considérable. On est passé en moins de deux ans du constat d’une organisation en quasi-mort cérébrale, malmenée par le président américain, à une institution attractive et revivifiée. L’adhésion de deux pays dont la neutralité paraissait intangible marque ainsi une véritable résurrection.
Sur un plan concret ensuite, l’apport à notre sécurité collective n’est pas négligeable, bien au contraire.
Les armées de ces deux pays sont complètement interopérables avec celles de l’OTAN. Au-delà des mécanismes de coopération que vous avez rappelés, madame la ministre, ce lien a été forgé dans l’épreuve par les combats communs menés dans les Balkans, en Afghanistan et en Irak. Au terme de cette évolution qui s’est encore accélérée avec l’invasion de l’Ukraine, la Finlande et la Suède sont aujourd’hui, et de loin, les deux pays les plus proches de l’Alliance.
Ils disposent aussi d’importantes capacités. Sans revenir longuement sur ce point, qu’il me suffise de rappeler que la Finlande approche déjà les fameux 2 % du produit intérieur brut consacrés à la défense, seuil que la Suède a promis d’atteindre en 2028. Cette dernière dispose d’une solide industrie militaire et a récemment réintroduit le service militaire obligatoire, tandis que la Finlande peut mobiliser jusqu’à 870 000 réservistes.
Toutefois, nous aurions tort de mesurer l’apport que constitue l’adhésion de ces deux pays en nous contentant d’additionner les milliards d’euros, les équipements ou les hommes les uns aux autres, tout comme nous aurions tort de croire que ces chiffres suffisent à assurer notre sécurité – j’y reviendrai dans un instant.
D’un côté, ces adhésions offrent une profondeur stratégique nouvelle qui renforcera la posture de défense et de dissuasion du flanc oriental de l’OTAN. Elles créent de nouveaux dilemmes stratégiques pour la Russie et permettront certainement une défense plus crédible des pays Baltes, où, monsieur le président, nous nous sommes rendus récemment tous les deux.
De l’autre, cet événement nous confronte à une situation nouvelle, nous obligeant à redoubler de prudence. L’adhésion de la Finlande donne à l’OTAN 1 300 nouveaux kilomètres de frontière, le long desquelles il faudra à la fois contrer avec fermeté et discernement les inévitables provocations russes, et éviter tout risque d’escalade.
Le fait qu’Helsinki ait maintenu une tradition de bon voisinage avec la Russie et qu’il existe un intérêt évident pour elle à garder la situation sous contrôle constitue de notre point de vue un atout indéniable.
Inversement, il faut souligner qu’aucune demande n’a été formulée en vue du déploiement de forces ou d’équipements de l’OTAN sur les territoires suédois et finlandais, ces deux pays estimant être en mesure de se défendre eux-mêmes.
Cela étant, je souhaiterais rappeler deux points de vigilance très importants.
Tout d’abord, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, le chantage exercé par la Turquie, pays dont l’accord est requis pour l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, mais qui bloquait le processus, n’a été surmonté qu’au prix de la signature d’un mémorandum trilatéral qui ne laisse pas de soulever des interrogations, et ce pour au moins deux raisons.
Premièrement, Helsinki et Stockholm se sont engagées à empêcher les activités, non seulement du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), mais aussi du PYD (Parti de l’union démocratique) et des YPG (Unités de protection du peuple), qui sont nos alliés au sein de la coalition internationale contre Daech en Syrie. Les deux pays ont aussi promis de lever leur embargo sur la vente de certaines armes à Ankara, ce qui pourrait poser problème.
Deuxièmement, Suède et Finlande se sont engagées à soutenir la participation de la Turquie aux initiatives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Une telle participation ne va pourtant pas de soi étant donné l’attitude actuelle de la Turquie vis-à-vis de la Grèce et de Chypre.
Comme l’ont souligné Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret dans leur rapport sur la boussole stratégique, au-delà d’un évident problème de compatibilité de valeurs, il faut éviter que les bénéfices de ce genre de coopération ne se révèlent déséquilibrés au profit d’un pays qui, en l’occurrence, ne respecte pas toujours les règles de l’OTAN.
Aussi est-il impératif de veiller à ce que l’Alliance ne s’aligne pas sur un mémorandum qui, par nature, ne doit pouvoir engager ni elle ni les alliés. Vous en avez pris l’engagement, madame la ministre – je vous en donne acte.
Autre point de vigilance : cette double adhésion signifie certes un renforcement de l’OTAN, mais de quelle OTAN parlons-nous ?
L’entrée de la Suède et de la Finlande pourrait avoir des conséquences sur la politique dite de la « porte ouverte ». Les candidats actuels sont l’Ukraine – chacun voit bien le problème que pose cette demande –, la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine. Ce sujet doit continuer à être abordé avec courage et lucidité. Chaque adhésion reste un processus individuel, lié à la mise à niveau de l’appareil de défense, mais aussi à la situation politico-militaire de chaque candidat.
Au-delà, le sommet de Madrid a abouti à une révision du concept stratégique de l’OTAN, avec une mention inédite du fait que les « ambitions et les politiques coercitives » de la Chine « remettent en cause nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs ». En outre, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande ont été pour la première fois invités à assister à un sommet de l’OTAN.
Nous pensons que, à rebours de cette évolution vers une alliance globale, l’entrée dans l’OTAN de deux pays membres de l’Union européenne doit constituer un levier pour renforcer la dimension proprement européenne de notre sécurité. La Suède et la Finlande se sont d’ailleurs engagées à renforcer la coopération entre l’Union européenne et l’OTAN, ce dont nous nous félicitons.
Remarquons toute de même que ces deux pays sont déjà, en tant qu’États membres de l’Union européenne, couverts par la garantie de sécurité prévue à l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne. Autant dire que celle-ci a encore beaucoup à faire pour asseoir sa crédibilité !
Dans le même ordre d’idée, nous devrons œuvrer au sein de l’OTAN pour que ce nouvel essor profite au renforcement des capacités de défense propres aux pays européens.
Sous ces réserves, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose, mes chers collègues, de ratifier l’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande, ces deux démocraties qui partagent pleinement nos valeurs.
Vous venez de le rappeler, madame la ministre, dix-huit pays de l’OTAN, dont la Belgique et la Lituanie ces toutes dernières heures, ont déjà ratifié les protocoles. Nous gardons quelques inquiétudes en ce qui concerne la Turquie.
En attendant la fin du processus de ratification, il serait peu prudent de se fier aux déclarations russes plus modérées qu’il y a trois mois sur ce sujet. C’est pourquoi nous nous félicitons de ce que la France ait proposé à Stockholm et Helsinki les mesures de réassurance que vous venez d’exposer.
En choisissant de rejoindre l’OTAN, la Suède et la Finlande ont fait un choix historique, qui crée une communauté de destin encore plus étroite avec les autres pays européens. Au moment où nous devons opposer l’unité et la fermeté à une agression intolérable, leur entrée au sein de l’Alliance représente pour nous, et pour tous ceux qui soutiennent l’Ukraine martyrisée, un apport précieux tant en faveur de la paix que de notre propre sécurité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE et RDPI. – M. Rachid Temal applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, deux pays européens, partenaires proches de l’Alliance, ont déposé des demandes formelles d’adhésion auprès du secrétaire général de l’OTAN, le 18 mai dernier : il s’agit de la Finlande et de la Suède.
Nous vivons, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, un moment historique.
L’OTAN et la Suède partagent des valeurs communes, entretiennent un dialogue politique ouvert et régulier, et mènent une coopération pratique dans un large éventail de domaines.
La coopération a débuté en 1994, lorsque la Suède a rejoint le programme de partenariat pour la paix. Sa première contribution, une opération dirigée par l’OTAN, remonte à 1995, quand elle a déployé un bataillon en Bosnie-Herzégovine. Depuis, au Kosovo, en Libye ou en Afghanistan, la Suède s’est engagée aux côtés de l’OTAN.
De son côté, après 1947, la Finlande a pu rester une démocratie parlementaire et n’a pas eu à intégrer le pacte de Varsovie, en échange de sa non-adhésion à l’OTAN et de son refus de bénéficier du plan Marshall. Dans les années 1950, on a ainsi commencé à parler de « finlandisation » pour désigner la neutralisation d’un pays dans la sphère d’influence d’une grande puissance.
Toutefois, comme pour la Suède, la coopération de la Finlande avec l’Alliance a débuté en 1994. Cet État a participé aux exercices de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine, aux Balkans, en Afghanistan, en Géorgie, en Albanie, en Moldavie et en Irak. En 2017, il a créé un centre d’excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides à Helsinki, et signé l’accord-cadre sur la cyberdéfense.
Historiquement, l’OTAN a pleinement respecté la politique de non-alignement militaire de la Suède et de la Finlande. Mais, aujourd’hui, le temps de la « finlandisation » est dépassé, voire renversé. Le fait que ces deux pays neutres demandent à rejoindre l’OTAN témoigne de la gravité et du caractère inédit de la situation en Europe, notamment au vu de la guerre en Ukraine.
En tant que nation, cela nous oblige. Les pays se sentant menacés ne veulent plus s’isoler, se replier sur eux-mêmes, mais au contraire s’inscrire dans des structures plus larges. Bien sûr, un tel processus doit aussi se faire en cohérence avec la construction de l’Europe de la défense.
« Une OTAN élargie et forte peut tout à fait coexister avec l’Europe de la défense », comme l’a rappelé hier, lors de son audition devant notre commission, le ministre des armées, Sébastien Lecornu. C’est une volonté forte de notre Président de la République, Emmanuel Macron.
L’Europe s’étant toujours construite durant les périodes de crise, nous disposons de nombreuses occasions d’avancer sur ces questions de défense.
Le 4 juillet dernier, à l’issue du sommet de Madrid, les pourparlers d’adhésion ont été menés à bien au siège de l’Organisation, à Bruxelles. Le lendemain, les alliés ont signé les protocoles d’accession, qui doivent désormais être ratifiés par les trente pays membres de l’OTAN.
Suède et Finlande font partie des six partenaires « nouvelles opportunités ». Ils participent aux programmes de transport aérien stratégique, SAC (Strategic Airlift Capability) et SALIS (Strategic Airlift International Solution), aux programmes de science au service de la paix et de la sécurité, et à la mise en application de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité.
Comportant douze membres lors de sa création, l’OTAN s’est déjà élargie à huit reprises depuis 1949 pour accueillir dix-huit nouveaux membres. Expliqué en détail, le processus d’adhésion peut paraître fastidieux, mais il a duré moins de deux ans pour la Macédoine du Nord.
Au vu de la situation, l’adhésion de ces deux pays devrait vraisemblablement être encore plus rapide. En effet, les différents critères à respecter ne devraient pas poser de problème. Le secrétaire général de l’OTAN s’est dit « confiant » s’agissant des chances d’adhésion de la Finlande et de la Suède.
Néanmoins, la demande d’adhésion de ces deux pays est tout de même ralentie par deux facteurs bloquants : la Turquie d’une part, la Russie d’autre part.
Après leur avoir demandé, en marge du sommet de Madrid à la fin du mois juin, de faire le nécessaire pour extrader les membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) présents sur leurs territoires, le président turc Recep Tayyip Erdogan a accusé Stockholm et Helsinki d’être des « auberges pour les terroristes du PKK ». Ce lundi 18 juillet, de nouveau, il a menacé de « geler » ces adhésions, exerçant ainsi un chantage à la veille du sommet tripartite réunissant la Turquie, la Russie et l’Iran à Téhéran. Le ministre des affaires étrangères turc a été plutôt rassurant en reconnaissant que la Finlande se montrait « très respectueuse des inquiétudes » du président Erdogan. En réalité, la Turquie semble vouloir négocier la fin de l’embargo imposé sur ses drones.
Vladimir Poutine affiche aussi son hostilité à cet élargissement de l’OTAN, dont il fustige les ambitions impérialistes. Sur le plan géopolitique, les Russes redoutent l’installation par l’OTAN d’un arc nucléaire à leur frontière.
À ce jour, comme vous l’avez rappelé, dix-huit États membres ont déjà ratifié les protocoles. Un tel élargissement est conforme aux stipulations de l’article 10 du traité de l’Atlantique Nord relatif à la « politique de la porte ouverte », soutenue par la France. Sur le plan militaire, l’adhésion de la Finlande et de la Suède permettra ainsi à l’Alliance, et donc à la France, de bénéficier du potentiel que représentent les 280 000 soldats et 870 000 réservistes finlandais, et du poids de l’industrie de défense suédoise. Dans le cadre de leur adhésion à l’OTAN, la Finlande et la Suède s’engagent à maintenir leur niveau d’investissement militaire à 2 % de leur PIB.
Le Bureau de la planification et de la politique générale des ressources de l’OTAN a établi que la Finlande contribuerait à hauteur de 24 millions d’euros et la Suède à hauteur de 50 millions d’euros aux financements communs annuels de l’Alliance. En conséquence, la contribution de la France diminuera et une économie de plus de 5,4 millions d’euros, pour le budget militaire, et de presque 1 million d’euros, pour le budget civil, sera réalisée, selon l’estimation préalable faite par la représentation permanente de la France auprès de l’OTAN.
Bien entendu, le groupe RDPI est favorable à ce projet de loi autorisant la ratification de ces deux protocoles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire du XXe siècle fut celle de la lutte à mort entre les démocraties et les totalitarismes. Parfois très près de la perdre, nous l’avons gagnée par deux fois : la première lors de la chute du mur de l’Atlantique, la seconde lors de la chute du mur de Berlin. Nous avions cru cette victoire définitive. Le XXIe siècle nous apprend que nous nous trompions et le 24 février 2022 ne marque une rupture que pour ceux qui ne l’avaient pas encore compris.
L’invasion russe n’est qu’un épisode particulièrement sanguinaire illustrant le retour de cette lutte mortelle, retour qui a commencé à Grozny et qui s’est poursuivi en Ossétie, en Abkhazie, en Transnistrie, en Syrie, en Libye, qui a lieu aujourd’hui en Ukraine et en Afrique, et demain, en mer de Chine.
Ne nous y trompons pas : ce n’est pas la Russie, au PIB égal à celui de l’Espagne, qui va changer la donne, malgré ses rodomontades nucléaires. C’est la Chine, bientôt première puissance mondiale, qui scrute attentivement l’issue du conflit en Europe pour déterminer sa stratégie à l’égard de Taïwan et du monde démocratique. Les Américains le savent au moins depuis Obama. Les Européens auraient aimé conserver leurs illusions. Ils pensaient, certains par mercantilisme, d’autres par anti-américanisme, d’autres enfin par lâcheté ou naïveté, que le bourreau leur accorderait encore un instant.
La sale guerre de Poutine, c’est atroce à dire, nous a ouvert les yeux. Victime du piège de Thucydide, le tueur du Kremlin est allé trop loin, trop tôt. Il pensait diviser l’Europe, il la cimente ; ridiculiser l’OTAN, il la retrempe ; humilier les États-Unis, il ressuscite Biden après le revers de Kaboul ; rallier les dictatures sous sa bannière, la Chine s’inquiète de cette erreur stratégique, la Turquie montre les dents, le Kazakhstan refuse l’envoi de ses soldats.
L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN est un symbole majeur indiquant que nos yeux sont enfin ouverts, tout comme le sont les sanctions enfin efficaces, l’aide militaire importante accordée à l’Ukraine et la mobilisation unanime des démocraties.
La prise de conscience est – hélas ! – tardive ; c’est toujours le point faible des démocraties. Croire, en 2008, après la guerre en Géorgie, qu’on pouvait continuer d’être des partenaires de la Russie, renoncer à répondre aux attaques chimiques dans la Ghouta en 2013, se borner à quelques sanctions lors de l’annexion de la Crimée en 2014, c’était laisser la porte ouverte aux rêves de conquête du petit caïd de Saint-Pétersbourg, devenu colonel du KGB, puis dictateur, puis boucher.
Ne recommençons pas ces erreurs. À ceux qui espèrent le lâche soulagement d’une négociation conduite par-dessus la tête des Ukrainiens, il faut répondre que c’est aux Ukrainiens de décider, et qu’ils ont décidé de défendre jusqu’au bout leur liberté et la nôtre. À ceux qui craignent d’humilier Poutine, il faut rappeler que, pendant des décennies, ce sont les peuples d’Europe de l’Est qui ont été humiliés, occupés, colonisés par l’Union soviétique ; que c’est l’Ukraine qui est aujourd’hui humiliée, massacrée et détruite ; que toute autre solution que celle du retour aux frontières de l’Ukraine antérieures à 2014 serait la défaite de ce pays, celle des démocraties et du droit international. Elle préfigurerait d’autres agressions, d’autres conflits et d’autres défaites. Elle signifierait, pour les alliés de l’Occident, la certitude que d’autres abandons surviendraient, à Taïwan, au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs. Et pour les pays qui hésitent, elle représenterait une tentation irrésistible – regardez déjà les votes à l’ONU ! –, celle de tomber du côté des dictatures. Notre objectif doit être la défaite de Poutine.
Le deuxième point faible des démocraties est celui du long terme face à une guerre qui affecte l’économie, qui aggrave l’inflation, qui augmente les dépenses d’énergie. Il faudra tenir quand la mauvaise petite musique de la cinquième colonne des extrémistes de droite et de gauche, munichois hier, poutiniens aujourd’hui, renforcée par tous les trolls, les bots et les trash media, viendra susurrer à nos oreilles que la guerre coûte trop cher, que tout n’est pas noir ou blanc, que nous sommes les agresseurs, que ce n’est pas notre guerre, alors que bien sûr elle l’est, n’en déplaise à ceux qui, ici ou à l’Assemblée nationale, s’apprêtent – honte à eux ! – à voter contre ce texte de ratification.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. Claude Malhuret. Troisième défi : la guerre a convaincu les Européens d’accepter enfin la boussole stratégique proposée par Emmanuel Macron, qui jusqu’à présent prêchait dans le désert. Parviendrons-nous à réaliser ce réarmement et combien de temps mettrons-nous ? Et comprendrons-nous enfin que c’est un siècle d’affrontement des dictatures et des démocraties qui s’ouvre de nouveau, que les dictatures et les totalitarismes – aujourd’hui la Russie, demain la Chine – portent en eux la guerre comme la nuée l’orage et qu’il faut choisir son camp ?
Prétendre échapper à ce cadre géostratégique ou y occuper une position de neutralité, tout en comptant sur la protection du parapluie américain, serait une incompréhension des rapports de force. L’Europe puissance ne se conçoit que dans l’existence d’une alliance toujours plus étroite avec les autres démocraties, alliance qui assure notre sécurité depuis 1945, et dans l’appartenance renforcée à l’institution qui incarne cette alliance depuis 1949 : l’OTAN. Bienvenue à nos frères finlandais et suédois ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois, je recevais à votre demande, monsieur le président, le président finlandais Sauli Niinistö.
À ma grande surprise, alors que des notes et des rapports soulignaient que la Finlande ne voulait pas changer de position et cherchait à s’arranger, ou à trouver un terrain d’entente, avec la Russie, le président finlandais, conservateur élu en 2012, m’annonçait avoir conclu un accord avec sa Première ministre sociale-démocrate, en poste depuis 2019, et souhaiter adhérer à l’OTAN, contrairement aux déclarations de la classe politique finlandaise ou suédoise depuis des années. J’ai immédiatement transmis cette information au président du Sénat, en lien avec le Quai d’Orsay.
Mes chers collègues, je tiens à vous rassurer – je vous sentais inquiets –, le groupe Les Républicains, votera ce projet de loi.
M. Rachid Temal. Ah !
M. Roger Karoutchi. Il est exact de dire que c’est un énorme succès pour l’OTAN. C’est un énorme succès de compter parmi ses membres ces deux États européens puissants, dotés de fortes armées, de consciences politiques et d’un passé. Le président Cambon l’a rappelé : la Suède est neutre depuis deux siècles, depuis Bernadotte, et la Finlande, malheureusement pour elle, a été « finlandisée », contre son propre avis, après la Deuxième Guerre mondiale et l’invasion soviétique de 1940 en Carélie.
Néanmoins, c’est aussi le résultat d’un échec. C’est le résultat de l’agression russe en Ukraine, qui a suscité en Europe de l’Est, sinon de la terreur, au moins de très fortes inquiétudes.
Si les pays baltes et la Pologne ont adhéré, dans le passé, à l’OTAN, c’était effectivement pour y participer et être protégés du géant russe voisin. Aujourd’hui, la Finlande et la Suède se disent qu’il n’est plus possible de discuter, de négocier ou de trouver des accords avec la Russie, et qu’elles ont besoin du bouclier de l’OTAN.
Le président Cambon rappelait que l’OTAN était qualifiée, il y a deux ou trois ans, de « machin quasi mort » dont on se demandait s’il fallait y mettre un terme et créer une autre organisation. On parlait alors davantage du bouclier européen, du modèle européen ou d’une armée européenne, de la capacité de l’Europe à se défendre par elle-même.
Cependant, aujourd’hui, le réalisme l’a emporté. Toute l’Europe se réjouit d’avoir la protection des Américains et des États, comme la Finlande et la Suède, s’empressent de revenir vers l’Alliance. Alors qu’ils auraient pu se contenter de la solidarité des États membres de l’Union européenne en cas d’agression armée, définie par l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne, ils préfèrent bénéficier, en plus, de la protection de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.
Effectivement, un premier résultat de l’agression sauvage de Poutine en Ukraine est la résurrection de la volonté européenne de participer à l’OTAN et, en France, de l’accord des opinions publiques, qui étaient très divisées sur le sujet et qui maintenant font bloc au regard de ce qui se passe en Ukraine.
Je ne veux pas être trop long, puisque les choses sont claires pour nous : cette adhésion apporte une force supplémentaire. La Finlande a 1 300 kilomètres de frontières avec la Russie ; elle l’a durement payé dans le passé – et Poutine est un peu imprévisible, il faut le dire. En effet, en France ou ailleurs, madame la ministre, au début de cette année, on affirmait qu’il n’y aurait pas d’invasion russe de l’Ukraine. Puis l’invasion a eu lieu et, à partir de ce moment, les gens ont réagi avec émotion, avec toutes les tensions que cela implique, et nous sommes évidemment partie prenante.
Cette adhésion, on l’a dit, entraîne un nouveau chantage du maître d’Ankara : chantage au sujet du PKK, chantage au sujet des mouvements avec lesquels nous avions des accords dans le cadre de la lutte contre Daech.
Jusqu’où l’OTAN et ses États membres doivent-ils aller pour satisfaire la Turquie et l’empêcher de bloquer l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN ? C’est un réel enjeu. J’ose espérer, madame la ministre, comme vous l’avez dit, que ce mémorandum n’était pas un engagement de l’ensemble de l’Europe et de l’OTAN, mais seulement de la Suède. Mais enfin, quelle est l’étape suivante ?
Pour le moment, la Turquie n’a pas donné son accord à l’adhésion de ces pays. N’allons-nous pas avoir dans les jours qui viennent de nouvelles demandes, de nouveaux chantages ? Hier, le gouvernement turc s’exprimait de nouveau, à travers deux voix : d’un côté, celle des « durs », qui soutenaient ne pas avoir obtenu assez pour accepter l’adhésion ; de l’autre, celle des diplomates qui essayaient d’enrober le propos.
Cela souligne néanmoins que, si nous sommes contents que la Finlande et la Suède adhèrent à l’OTAN, ce n’est pas facile tous les jours de gérer l’OTAN avec la Turquie.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est vrai !
M. Roger Karoutchi. Il existe donc un problème permanent ayant trait à la vie, à l’avenir de l’OTAN.
Et puis, les orateurs précédents l’ont dit, on ne sait pas ce qui va se passer avec la Chine. Hier, des annonces ont été faites par des organismes chinois, certes non gouvernementaux, semblant indiquer que le règlement de la question de Taïwan n’était plus qu’une question de semaines. On pourrait en déduire qu’ils estiment que l’affaire ukrainienne montre qu’ils peuvent avancer. Bien sûr, les États-Unis et leur flotte sont présents et la protection de Taïwan assurée.
J’ajouterai, madame la ministre, que Poutine a ressuscité non seulement Biden, mais aussi la volonté d’hégémonie américaine. Les États-Unis sont ainsi les champions en Europe, les champions en Ukraine, dotés d’une industrie militaire capable de répondre aux demandes de tous les États qui, par inquiétude, augmentent leurs crédits et leurs budgets militaires et vont passer des commandes. L’industrie militaire américaine va très bien s’en porter.
En Asie, les États-Unis nous demandent, alors que nous avons toujours soutenu avoir un modèle indo-pacifique, que nous avons la Nouvelle-Calédonie, que nous voulons négocier avec l’Australie – plus ou moins bien – et avec les uns les autres, si finalement nous n’allons pas être obligés de nous aligner sur leur position à l’égard de la Chine, puisque tout est lié dans un ensemble mondial. Ainsi, Poutine se rapproche de la Chine, donc les États-Unis soutiennent Taïwan et l’Europe, et ils nous poussent à participer à l’OTAN.
Attention, madame la ministre : oui, nous sommes évidemment tous d’accord en France pour soutenir l’Ukraine ; oui, nous sommes évidemment tous d’accord pour condamner la Russie ; oui, évidemment, nous sommes tous d’accord – peut-être pas tous d’ailleurs – pour dire que l’adhésion de la Finlande et de la Suède est une bonne idée pour protéger des nations européennes qui peuvent avoir besoin d’un bouclier et ont intérêt à en avoir un.
En même temps, madame la ministre, j’ai entendu le Président de la République parler de la boussole stratégique européenne, de la souveraineté de l’Europe. Il faut faire attention à ce que la crainte et la peur suscitées par l’invasion de l’Ukraine, la crainte de ce qui peut se passer à Taïwan, ne fassent pas des États-Unis le seul pays capable de fédérer les États afin de faire face aux craintes, aux tyrans, aux dictatures et pour défendre les démocraties.
L’Europe doit exister davantage. L’Europe doit imposer, dans certains cas, sa vision. Je pense – et vous l’aviez dit d’ailleurs, madame la ministre, à plusieurs reprises – que la force de l’Europe doit se manifester. Oui à l’adhésion de la Suède et de la Finlande, mais oui aussi à une Europe qui conserve sa puissance, sa force et ne soit pas uniquement à la traîne des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons dans des conditions relevant d’une extraordinaire urgence, justifiées par un bouleversement géopolitique tout aussi extraordinaire, la demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.
Cela a été dit et redit, jamais, au regard de la neutralité historique – imposée ou pas – de ces deux pays, nous n’aurions imaginé la tenue d’un tel débat, il y a encore quelques mois. Cette volonté de la Suède et de la Finlande de rejoindre l’Alliance atlantique, mettant fin à des siècles pour l’une, des décennies pour l’autre, de neutralité militaire, illustre avec force le bouleversement extraordinaire de l’ordre mondial et des équilibres géopolitiques européens provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine.
Trente et un ans après la chute de l’URSS, l’OTAN a brusquement, et malheureusement, retrouvé sa raison d’être. Ce retour de la puissance américaine aux affaires européennes, quelque peu délaissées depuis le début de la présidence Obama, est également un fait nouveau qui n’est pas sans soulever des interrogations.
Elle illustre en tout cas la faiblesse, réelle ou ressentie, de l’Union européenne lorsqu’il s’agit d’assurer sa sécurité collective. Le souhait de la Finlande et de la Suède de rejoindre l’OTAN témoigne de la confiance, toute relative, que ces deux pays accordent à l’article 42 du traité sur l’Union européenne, qui garantit l’entraide militaire mutuelle entre ses membres.
Nous ne pouvons par conséquent que nous interroger sur l’efficacité de l’action diplomatique de la France ou, plus accessoirement, sur l’influence politique des écologistes dans la recherche d’une défense européenne collective. Je ne ferai pas mystère des positions historiques de ma famille politique, qui a toujours milité pour le développement d’une défense européenne capable de renforcer l’autonomie diplomatique et stratégique du continent à l’égard du partenaire états-unien.
Je n’aurais pas imaginé me retrouver un jour dans la position de plaider avec force pour un élargissement de l’OTAN. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Comment, alors que la Russie agresse l’Ukraine et menace la Suède et la Finlande, ne pas répondre favorablement à leur demande souveraine et démocratiquement concertée d’adhésion à l’Alliance ? Comment pourrions-nous envoyer à la Russie et au monde un tel message de désunion et de faiblesse ? Il n’est pas acceptable de briser la solidarité des pays occidentaux, qui est la seule voie possible pour que l’Ukraine sorte victorieuse de ce conflit et que la paix soit ainsi rétablie sur le continent.
En cohérence avec le soutien sans faille apporté au peuple ukrainien par les écologistes européens, c’est tout naturellement que nous soutiendrons la demande de la Suède et de la Finlande de bénéficier de la sécurité collective qu’apporte l’OTAN aux pays européens.
C’est le prix de la défense de la démocratie, de la liberté et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, menacés aux frontières orientales du continent.
Comme l’a excellemment montré le rapport de la commission, commis dans la plus grande urgence – qu’il me soit permis de saluer ici le professionnalisme de notre administration –, il n’y a aucune difficulté juridique, économique ou militaire à intégrer ces deux pays qui réunissent tous les critères fixés par le traité fondateur de l’Alliance.
Fidèle à nos positions historiques, je forme le vœu – car j’y crois sincèrement – que l’intégration de nouveaux pays, jusque-là profondément isolés, à l’effort collectif européen soit une pierre supplémentaire apportée à la construction d’une défense collective. Elle s’inscrit d’ailleurs dans un épisode historique de réarmement et de renforcement des capacités de défense des pays de l’Union européenne, au premier rang desquels figure l’Allemagne.
En effet, et c’est le paradoxe de la période, le regain d’intérêt que suscite l’OTAN n’est peut-être que conjoncturel. En tout cas, le renforcement de l’Alliance ne peut passer que par le renforcement des capacités propres des pays européens, objectif compatible avec celui d’une Europe de la défense.
C’est l’objectif de la France, rappelé avec force lors du sommet de l’Alliance des 28, 29 et 30 juin dernier, que de renforcer la relation Union européenne-OTAN et d’insister sur le renforcement du « pilier européen » au sein de l’Alliance. Les écologistes soutiennent cette position française.
Je conclurai mon propos en évoquant deux préoccupations, rappelées par plusieurs autres intervenants.
Le protocole d’adhésion ne le prévoit pas, mais rappelons clairement que cet élargissement, qui ajoutera désormais 1 250 kilomètres de frontières avec la Russie, ne saurait se traduire par le déploiement de forces de l’Alliance en Finlande et en Suède. La situation est suffisamment conflictuelle avec le belligérant russe, pour ne pas ajouter inutilement de l’huile sur le feu.
Un dernier mot pour dénoncer le chantage inacceptable de la Turquie, qui demande à la Suède l’extradition de trente-trois membres du PKK en échange de la ratification du présent traité. Nous faisons confiance au Royaume de Suède, au regard des positions déjà exprimées, pour ne céder en aucun cas au chantage. Les Kurdes, qui n’ont de cesse de nous protéger contre la menace du terrorisme islamiste, n’ont pas à être les victimes collatérales de la guerre en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous engageons donc, au pas de charge, la discussion destinée à valider l’adhésion de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l’OTAN.
Le Gouvernement a ajouté ce projet de loi à l’ordre du jour le 16 juillet, nous le votons cinq jours plus tard. Une procédure exceptionnelle, expéditive, dans un hémicycle peu garni, pour une décision de portée majeure dans le contexte de guerre actuel : ce n’est ni sérieux ni responsable.
On nous demande de ratifier les adhésions de ces deux pays, déjà validées au nom de la France au sommet de l’OTAN le 28 juin, sans aucun débat approfondi ni évaluation parlementaire préalable portant sur la nouvelle doctrine de l’OTAN adoptée à Madrid, dans laquelle ces adhésions s’inscrivent.
De fait, l’agression inacceptable de la Russie contre l’Ukraine, et les crimes qu’elle entraîne depuis, a ouvert une nouvelle page de l’histoire des relations internationales. Parmi toutes ces conséquences dangereuses pour la paix du monde, elle provoque aujourd’hui le basculement historique de deux pays, ancrés de longue date dans la neutralité, vers le ralliement à la logique du bloc militaire atlantiste, au moment même où celui-ci durcit sa logique agressive. Qui peut sérieusement y voir une bonne nouvelle pour la sécurité internationale ? (M. Claude Malhuret s’exclame.)
Comme membres de l’Union européenne, la Suède et la Finlande pouvaient déjà faire appel aux clauses d’assistance mutuelle prévues par les traités européens. Leurs armées sont déjà interopérables avec celles de l’OTAN, dans le cadre du partenariat euro-atlantique. Plus que sécuritaire, la décision est donc politique et géostratégique. Ce qui change, c’est l’intégration systémique de leurs forces dans un dispositif sous commandement otanien, autrement dit sous commandement américain.
Seront-ils mieux protégés ou sommes-nous en train de les transformer en une potentielle première ligne de front entre l’OTAN et la Russie, donnant ainsi, comme il est dit, « de la profondeur stratégique à l’OTAN » ? Nous prétendons les protéger, quand nous les exposons encore plus au danger. D’autant que, si l’installation de bases militaires sur leur sol est aujourd’hui écartée, elle pourrait advenir à tout moment à l’avenir. (M. Claude Malhuret proteste.)
Ces questions mériteraient un débat approfondi, car la politique d’extension de l’OTAN, loin d’être un facteur de paix, a déjà, par deux fois au moins, directement contrecarré la possibilité de travailler à de nouvelles architectures de sécurité collective paneuropéenne : après la chute du mur de Berlin et la fin du pacte de Varsovie, où un autre chemin était alors possible, et après la première guerre de 2014, quand les accords de Minsk ont ouvert une voie laissée en jachère. Aujourd’hui, l’escalade continue du côté de la Russie, comme du côté de l’OTAN. Jusqu’où ?
Sous l’impulsion américaine, la doctrine révisée par l’OTAN à Madrid assume un tournant particulièrement inquiétant. Elle va pousser au surarmement massif dans toute l’Europe, et renforcer la logique mondiale d’affrontement de blocs militaires.
Quand les grands défis de sécurité mondiale sont alimentaires, énergétiques, climatiques et sociaux, des centaines de milliards d’euros supplémentaires vont être engloutis par les pays européens membres de l’OTAN dans les dépenses militaires, alors que l’OTAN représente déjà plus de la moitié des dépenses d’armement du monde, trois fois plus que la Russie et la Chine réunies ! Ces dépenses profiteront, pour au moins les deux tiers, aux industries d’armement américaines.
Élargir l’OTAN, c’est accroître encore la tutelle américaine sur l’Europe, et perdre un peu plus la bataille de l’autonomie stratégique européenne. La doctrine stratégique de l’OTAN endosse d’ailleurs pour la première fois l’élargissement de ses objectifs à la Chine, progressant vers l’objectif américain d’une alliance militaire à vocation mondiale, tournée à la fois vers l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
Enfin, comment ne pas manifester notre indignation devant le mémorandum signé avec le dictateur et maître chanteur Recep Tayyip Erdogan afin de marchander son appui à cette double adhésion !
La manière dont l’Alliance et notre gouvernement minimisent l’importance ce mémorandum de la honte est scandaleuse. Les faits sont là : nous troquons contre le feu vert turc l’extradition de démocrates kurdes pour les livrer à Erdogan, qui, après une parodie de justice, les laissera pourrir dans les prisons turques. Est-ce ainsi que nous remercions les Kurdes qui ont versé leur sang pour combattre Daech ? L’hypocrisie qui consiste à prétendre que ce mémorandum trilatéral n’engage ni l’Alliance ni la France ne fait qu’ajouter à l’indécence de la validation de facto par la France de ce deal indigne avec un dirigeant turc qui tenait un sommet, il y a deux jours, avec Poutine et l’iranien Ebrahim Raïssi.
À propos de la Turquie, je vous repose la question, madame la ministre, à laquelle vous n’avez pas répondu en commission. Tout le monde craint une nouvelle offensive contre les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie et des frappes ciblées ont déjà eu lieu ces derniers jours. Qu’attend la France pour réagir et dénoncer ce nouveau coup de force ? Le chantage otanien a-t-il pour prix ce silence coupable ?
Pour toutes ces raisons, vous le comprendrez, nous allons nous opposer à ce nouvel élargissement de l’OTAN. Tout semble se résumer dans votre esprit à préparer la guerre…
M. Claude Malhuret. Elle est déjà là !
M. Pierre Laurent. Nous attendons, pour notre part, l’ouverture d’un débat urgent sur la relance de voies nouvelles vers la paix : celle de l’indépendance et de l’autonomie stratégique, celle de nouvelles architectures de sécurité collective, incluant la solution politique des conflits intra-européens toujours non résolus – je pense à Chypre et aux Balkans –, celle de la relance du désarmement multilatéral.
Ces voies nouvelles pour une sécurité humaine globale sont attendues dans le monde entier, par une majorité de pays du monde qui refusent l’alignement sur la logique des blocs.
Pour son avenir, madame la ministre, la France devrait écouter la voix du monde, pas seulement celle du bloc atlantiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des moments où les peuples ont rendez-vous avec l’Histoire, avec leur histoire ; et il est des moments particulièrement importants pour les démocraties, notamment quand il s’agit d’assurer leur défense.
La scandaleuse agression de l’Ukraine par la Russie, à laquelle nous avons assisté au mois de février dernier – pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, sur le continent européen, un État attaquait un autre État –, a eu un certain nombre de conséquences.
Nous avons mesuré la fragilité de la sécurité collective, telle que nous l’avions imaginée, que nous pensions quasiment éternelle en Europe. C’est cette prise de conscience qui explique, de la part de nos amis finlandais et suédois, la volonté de rejoindre l’OTAN.
Malgré lui, M. Poutine a sorti de sa léthargie une alliance qui affichait jusqu’alors un « encéphalogramme plat ». Il lui a redonné une forme d’attractivité et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Au regard de cette situation, les élus du groupe Union Centriste apporteront bien entendu leur soutien à ce projet de loi. Toutefois, il est important et même essentiel de rappeler un certain nombre de points.
Je ne reviendrai pas sur les propos des précédents orateurs, qu’il s’agisse de l’intérêt de cette double adhésion pour l’Alliance ou de ses conséquences. Je pense en particulier à l’importance de l’outil militaro-industriel suédois et à celle de l’armée finlandaise, forte de ses 870 000 réservistes : un tel chiffre nous rend nécessairement un peu envieux.
Au-delà, nous devons saisir cette occasion pour réfléchir ensemble à un certain nombre de questions.
Tout d’abord, force est de constater que nos amis et alliés suédois et finlandais ont préféré la protection de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord à celle de l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne (TUE).
Cette situation doit nous interpeller. Au regard de tout ce que nous avons dit, depuis bien longtemps, de la sécurité collective en Europe et de l’autonomie d’une forme de défense européenne, il s’agit d’un cruel constat d’échec, qui nous impose de poursuivre notre réflexion.
Quelque temps après l’OTAN, fondée le 4 avril 1949 à Washington, est apparue l’Assemblée parlementaire de l’OTAN : c’est l’une des spécificités de cette alliance. Pour la première fois, l’on créait à côté d’une organisation internationale militaire une organisation démocratique réunissant des parlementaires de tous les États membres et d’un certain nombre de pays partenaires. Nos collègues parlementaires suédois et finlandais y siègent du reste à nos côtés. Ils s’associent aux réflexions menées par l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, dont j’ai l’honneur d’être membre.
Nous devons aussi saisir cette occasion pour réfléchir aux enjeux que soulèvent les trois nouvelles candidatures à l’OTAN actuellement formalisées, à savoir celles de la Bosnie-Herzégovine, de la Géorgie et de l’Ukraine, laquelle se trouve bien sûr dans une situation particulière. Il est clair que nous devons scinder ces demandes d’adhésion pour les examiner selon les critères d’opportunité, les difficultés et les problématiques qui leur sont propres.
Ensuite, si l’Alliance est aujourd’hui obnubilée par le conflit russo-ukrainien, nous ne devons pas pour autant oublier les autres défis stratégiques qui s’imposent à elle.
Je pense aux difficultés relatives aux Balkans occidentaux, qui ne sont toujours pas résolues…
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est vrai !
M. Philippe Folliot. Nous y avons réfléchi à de multiples reprises au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN.
Je pense également à la situation du Sahel. D’ailleurs – c’est l’une de ses spécificités –, la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN rappelle systématiquement les enjeux relatifs au Sahel et au Moyen-Orient : le « flanc sud », pour reprendre une expression chère au président Cambon, ne doit pas être oublié.
Il s’agit là de questions extrêmement importantes. Pour autant, nous ne devons pas être dupes ou naïfs au sujet de l’OTAN. L’attitude de la Turquie nous interpelle tout particulièrement, car elle pourrait in fine entraîner de mauvaises surprises quant au processus de ratification. La séparation des pouvoirs est revendiquée par la France au nom de la démocratie ; mais elle s’observe également en Turquie, où l’on pourrait craindre les conséquences d’une sorte de « jeu de rôle » entre exécutif et législatif. Gardons-nous des procès d’intention ; mais, dans le même temps, soyons lucides.
S’ajoutent un certain nombre d’enjeux tenant au fait que les Américains ont repris la main. Ne nous y trompons pas : leur objectif est de favoriser les ventes sur étagère, les exportations d’armements dans nombre de pays européens, notamment à l’est de notre continent. Cette situation nous interpelle : à l’évidence, pour ce qui concerne l’industrie de défense, il est nécessaire de structurer la stratégie européenne. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam acquiesce.) Le lien entre l’Union européenne et l’OTAN est, en tant que tel, problématique à cet égard.
D’autres questions se révéleront, un jour ou l’autre, capitales.
On observe ainsi, de la part des Américains, la volonté d’élargir le cadre de l’OTAN. Dans cette logique, ne devrait-on pas l’étendre au Pacifique ?
Nous serons tous d’accord ici pour l’affirmer : l’OTAN est une organisation régionale (Mme la ministre acquiesce.), relative à l’Atlantique Nord et, en particulier, à l’Europe. Elle ne saurait en aucun cas être entraînée dans des schémas dépassant ce cadre strict. C’est, à mon sens, un point majeur.
N’oublions pas que, il y a quelques mois, l’article 4 du traité de l’Atlantique Nord a été sciemment violé par deux États membres – les États-Unis et la Grande-Bretagne, pour ne pas les nommer –, lors de la conclusion de l’alliance Aukus ; et je ne parle pas du rôle trouble que joue à ce titre l’un de nos alliés historiques, à savoir l’Australie. Il est important et même essentiel de garder en mémoire l’ensemble de ces enjeux.
Chaque fois que la famille des démocraties se consolide à l’échelle européenne pour œuvrer à la sécurité collective, il s’agit d’une bonne nouvelle : c’est donc non seulement avec lucidité, mais aussi avec enthousiasme, que les membres de notre groupe voteront en faveur de la ratification des protocoles assurant l’adhésion de ces deux pays.
Nous leur souhaitons la bienvenue au sein de la famille de l’OTAN. Tous ensemble, nous nous efforcerons de relever les défis de cette organisation et les défis de sécurité collective, qui – nous nous en rendons compte aujourd’hui – sont éminemment prégnants ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout a été dit quant aux bénéfices incontestables d’une adhésion de la Suède et de la Finlande au traité de l’Atlantique Nord.
Tout d’abord, en vertu du vieil adage « l’union fait la force », en passant de trente à trente-deux membres, l’OTAN augmentera fort logiquement ses capacités militaires. Les deux pays dont il s’agit possèdent en effet des moyens significatifs en la matière. La Finlande peut ainsi compter sur d’importantes ressources humaines. La Suède dispose quant à elle d’une industrie de défense compétitive.
Ensuite, sur le plan stratégique, avec la fin d’une neutralité historiquement bien ancrée dans ces deux pays, la défense du continent européen se trouverait clairement renforcée sur son flanc oriental.
J’ajouterai – M. le président de la commission et Mme la ministre l’ont déjà rappelé – que les partenariats de défense existants entre l’OTAN et ces deux pays règlent la question de l’interopérabilité.
Cette perspective est donc très positive pour la sécurité collective du continent européen comme pour l’approfondissement du concept euro-atlantique.
Dans ces conditions, les élus de mon groupe sont favorables au projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui. J’évoquerai tout de même quelques inquiétudes, que nous sommes nombreux à éprouver.
Au regard des dérives de Vladimir Poutine, la Finlande et la Suède souhaitent adhérer sans délai à l’OTAN.
Madame la ministre, je salue la promptitude de la France et celle de nos nombreux alliés qui se sont vite engagés dans le processus de ratification. Le souci – on le sait – vient du côté turc. Sommes-nous certains qu’Ankara ratifiera rapidement ce texte ? Des accords ont été conclus : sont-ils solides et compatibles avec les engagements dus aux Kurdes qui luttent contre Daech ?
De plus, si la renaissance de l’OTAN, actée à Madrid à la fin du mois de juin dernier, est une bonne chose sur le plan capacitaire, elle signifie aussi une forme d’« otanisation » de l’Europe. Comment la boussole stratégique, que l’Union européenne veut instituer et que la France a défendue activement pendant sa présidence européenne, s’inscrit-elle dans ce contexte ?
Sans faire concurrence à l’OTAN, mais, à l’inverse, en agissant en parfaite complémentarité avec elle, l’Union européenne doit conserver une certaine autonomie pour ses décisions stratégiques. La guerre en Ukraine se déroule à ses frontières et les défis qu’elle doit régler au Sud, au Sahel en particulier, la concernent aussi directement par leurs impacts migratoires et sécuritaires.
En outre, le renforcement du pilier européen au sein de l’OTAN ne doit pas conduire à alimenter la seule industrie de défense américaine au détriment de l’industrie européenne. Je rappelle qu’aujourd’hui 60 % des achats militaires européens proviennent des États-Unis.
À cet égard, je me félicite de ce que Bruxelles conditionne le projet d’acquisition conjointe de matériel, à hauteur de 500 millions d’euros, au principe d’achat à des producteurs installés en Europe ou sous contrôle européen.
La fin de l’ère des restrictions budgétaires en matière de défense qu’implique le retour de l’OTAN me conduit, pour conclure, à déplorer un paradoxe.
À l’heure où l’humanité court de graves dangers climatiques, au point que l’on envisage désormais sa disparition, nous sommes conduits à augmenter nos dépenses militaires pour faire face aux régimes autoritaires qui cherchent à affaiblir nos démocraties. Cette situation m’apparaît comme une ineptie. En effet, le défi environnemental exige des moyens colossaux, faute de quoi ce ne sera pas que la guerre, mais une terre meurtrie, qui signera notre perte.
Malgré ces réserves, la guerre en Ukraine et la posture martiale de la Russie nous obligent à considérer l’élargissement du pilier européen de l’OTAN comme incontournable. Les membres du Rassemblement Démocratique et Social Européen voteront donc en ce sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous est demandé de ratifier l’accession de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, la portant à trente-deux pays en 2022.
Une question se pose : dans quel but ?
Aujourd’hui, au sein de cette organisation, l’absence d’unité de vues crée les conditions d’une impuissance collective. Cela revient à réduire l’autonomie des États souverains européens en les soumettant aux exigences des États-Unis, dont les intérêts sont souvent divergents des nôtres.
Pendant ce temps, la Russie tente de faire revenir dans son giron les anciennes provinces soviétiques ; la Chine fourbit ses armes contre Taïwan ; et la Turquie, pourtant membre de l’OTAN, entretient le mythe de l’Empire ottoman en soutenant l’invasion de la province arménienne indépendante d’Artsakh par l’Azerbaïdjan, en occupant militairement une partie de Chypre et en adoptant une attitude belliqueuse envers la Grèce en mer Égée.
Ces impérialismes défendent leurs propres intérêts, leur propre destinée, et il en va de même pour le bloc nord-américain, qui trouve dans la guerre actuelle en Europe l’occasion parfaite, pour ne pas dire l’opportunité, d’élargir son emprise et de souder les États liés au sein de l’OTAN contre l’ennemi russe.
Résultat : les embargos à l’égard de la Russie favorisent les exportations de produits américains, notamment dans le domaine énergétique, et nous nous autocondamnons aux pénuries et à l’inflation.
Élargir l’OTAN, c’est réduire le monde au conflit entre deux blocs, anéantir la troisième voie et les tampons entre les États-Unis et la Russie. Avec un tel scénario, le risque de conflit mondial est réel.
Nous rendons potentiellement belliqueux deux pays culturellement habitués à la neutralité en les forçant à faire leur le principe de défense collective, tout en rendant progressivement inatteignable l’unanimité nécessaire à l’action.
Le Président de la République, en 2019, l’avait pourtant affirmé : l’OTAN est en état de mort cérébrale. À quoi bon, dès lors, avoir intégré encore l’année dernière la Macédoine du Nord et intégrer la Finlande et la Suède aujourd’hui ?
Cette organisation archaïque, issue de la guerre froide, dessert nos intérêts souverains. Elle nous a conduits à baisser nos budgets de défense au point que nous devons nous en remettre et même nous soumettre au protectorat américain.
L’OTAN, sous l’égide des Américains, c’est l’échec en Afghanistan. Ce sont nos quatre-vingt-dix valeureux soldats morts pour l’honneur. Ce sont les bombardements de civils et la guerre fratricide en Serbie. C’est la déloyauté d’alliés comme les États-Unis, qui mettent sur écoute nos dirigeants, ou comme la Turquie, qui brandit régulièrement la menace migratoire et agresse les bâtiments de notre marine en Méditerranée.
La pragmatique Allemagne ne croit plus dans le mythe otanien. Elle a pris le tournant du réarmement, investit 100 milliards d’euros pour moderniser son armée et possède désormais un budget annuel de défense deux fois supérieur au nôtre.
Dans le conflit russo-ukrainien, la vocation de la France devrait être, pour retrouver sa tradition de non-alignement diplomatique, de dialoguer pour préserver l’espoir de paix.
Dans cet esprit, je m’opposerai à l’élargissement de l’OTAN comme je me refuse d’ouvrir la voie à l’entrée de l’Ukraine en son sein.
Mes chers collègues, je vous invite à faire de même afin que nous retrouvions notre indépendance, notre efficacité et notre stabilité !
M. Claude Malhuret. Si l’on comprend bien, vive Poutine !
M. Rachid Temal. C’est ça !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la succession des événements récents nous démontre qu’en matière de géopolitique il n’y a pas de certitude absolue.
Si l’histoire et la géographie peuvent venir éclairer les analyses des gouvernants, les nécessités immédiates emportent souvent les décisions.
À ce titre, le rôle de notre chambre est essentiel. Nos débats doivent permettre d’éclairer celles et ceux qui nous succéderont et auront, un jour, à prendre leur part dans la conduite de notre pays. En ce sens, nous devons toujours nous efforcer d’aller plus loin dans nos échanges que ne le laisserait penser le simple résumé de nos votes.
C’est d’autant plus important sur un sujet comme celui que nous abordons aujourd’hui en séance : l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN.
Ne nous cachons pas derrière de faux-semblants : face aux nécessités de l’actualité, le vote de ce jour laisse peu de place au doute.
Naturellement, nous souhaitons que la ratification définitive de ce protocole d’adhésion ne soit pas, à la fin, l’occasion d’un chantage à l’abandon de nos alliés kurdes.
Dans un contexte où le dirigeant de la Fédération de Russie s’est mué en assaillant aux portes de l’Union européenne, attaquant l’Ukraine, un pays souverain à nos frontières, il est évident que les autres pays géographiquement proches vont rechercher toutes les voies leur permettant d’assurer la protection de leur population et l’intégrité de leur territoire.
La première observation, c’est que ce sont bien les gouvernements de la Suède et de la Finlande qui demandent à rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Ils s’adaptent ce faisant à une nouvelle réalité géopolitique imposée soudainement par l’agression de la Russie. Ils répondent aussi à une demande interne, exprimée par leurs propres citoyens, jusqu’alors historiquement attachés à la neutralité et au non-alignement, singulièrement vis-à-vis de leur voisin russe.
Pour dire les choses clairement, cette demande n’est pas contrainte. Elle n’est pas imposée par les États-Unis ou par un autre État occidental.
Elle ne répond pas non plus à une stratégie d’encerclement de la Russie menée par les pays occidentaux, que ce soit au sein de l’OTAN ou de l’Union européenne. Elle résulte bel et bien de la mutation d’un État voisin en un potentiel agresseur ayant lui-même démontré qu’il ne se contentait plus de mots, mais était capable de passer à l’acte à tout moment et sur simple décision de son président absolu, Poutine.
En ce sens, aucun autre État, encore moins un État européen, ne saurait abandonner la Suède et la Finlande à leur sort. La solidarité ne peut qu’être entière et assumée.
Cela étant, cette nécessaire solidarité ne doit pas nous empêcher d’observer et d’interroger le sujet qui nous occupe : l’adhésion à l’OTAN, en 2022, de deux pays membres de l’Union européenne depuis 1995.
En effet, notre analyse ne saurait masquer le fait que cette demande met en lumière une réelle faiblesse de l’Union européenne.
Si l’Alliance atlantique est la première et principale garantie de la sécurité et du maintien de la paix en Europe, si, lorsque le danger de la guerre se profile en Europe, le réflexe instinctif de protection est de se tourner vers l’OTAN, cela veut dire que l’Union n’a pas encore réussi à devenir ce que nous attendons d’elle.
Les faits le démontrent, la défense européenne en est à ses balbutiements. L’armée européenne n’existe pas en dehors de quelques débats qui débouchent sur quelques tentatives administratives, un régiment franco-allemand et quelques essais infructueux sur le terrain. Je pense par exemple à la force Takuba, que le Président de la République nous avait vendue comme le début visible de cette armée européenne. Ses propos avaient d’ailleurs été relayés ici même par le Premier ministre et la ministre des armées.
La coopération européenne en matière de défense est concrètement, la plupart du temps, issue d’accords directement pris entre les pays concernés. À ce stade, l’armée européenne ressemble à une armée de papier, mais les plus beaux schémas avec des flèches et des pointillés dessinés comme il faut, voire des noms en face de fonctions, ne feront jamais une armée opérationnelle sur le terrain, capable de conduire des missions, encore moins dans le cadre d’un combat défensif à haute intensité. Il ne s’agit pas de jeter la pierre à qui que ce soit, mais simplement de constater où nous en sommes réellement. Nous avons encore beaucoup de travail avant que l’Union européenne ne soit capable de se défendre seule.
En l’état, les choses sont claires : la défense européenne n’existe pas et, si armée européenne il y a, ce n’est qu’au sein de l’OTAN.
Cette armée n’est donc pas seulement européenne. Elle s’inscrit dans un cadre plus large, où les États-Unis d’Amérique jouent un rôle particulier, entre membre éloigné de la famille, capitaine d’équipe et leader économique.
D’ailleurs, les États-Unis n’ont pas toujours la même appréciation de ce qu’est l’OTAN. Souvent, ils aimeraient surtout la voir comme un espace économique leur permettant de vendre leurs matériels de défense à des partenaires privilégiés. Mais il faut être le plus juste possible : constatons aussi que, mis à part le drame syrien, marqué par l’absence tragique de l’OTAN en 2014, alors que la France, par la voix de son président, François Hollande, s’était engagée auprès du peuple syrien, les États-Unis ont répondu présent aux côtés des Européens chaque fois que cela s’est révélé nécessaire dans notre histoire.
L’Europe a beaucoup progressé sur le fond depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945. Néanmoins, elle s’est peut-être trop contentée d’élargissements successifs depuis la chute du mur de Berlin, sans se poser de nouveau la question de son projet et des moyens à engager. Dans le domaine de la défense, l’écart est gigantesque entre les intentions, les réalisations, les nécessités actuelles et futures.
Enfin, cette double demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande nous oblige à interroger le positionnement de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie.
La guerre en Ukraine se poursuit, avec son lot de haines et de misères. Mais, cette guerre, la Russie ne pourra pas la remporter. L’Union européenne a et aura toujours des frontières communes avec ce pays, qui est aussi un membre à part entière de la grande histoire de l’Europe.
Par-delà le vote de ce jour, par-delà les adhésions de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, nous devons répondre à une autre question : celle de l’équilibre de nos relations avec la Fédération de Russie, dès lors qu’elle aura cessé son agression et aura rappelé l’ensemble de ses troupes dans son espace territorial.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiennent, bien entendu, la demande d’adhésion de la République de Finlande et du Royaume de Suède ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Esther Benbassa et M. Philippe Folliot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un honneur, mais surtout une joie pour moi, en tant que vice-présidente de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et présidente du groupe des élus de droite et de centre droit de cette assemblée, de participer à ce débat sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la Finlande et de la Suède.
Je suis fière, également, que la France soit parmi les premiers pays membres de l’alliance euro-atlantique à être en mesure de le ratifier, dans des délais particulièrement courts.
Cela n’avait pas été le cas dans le passé ; la France avait été, par exemple, l’avant-dernier pays à adopter le projet de loi relatif à l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’OTAN, dont j’étais le rapporteur au Sénat, après un processus particulièrement long.
Aujourd’hui, nous sommes le dix-neuvième État à entamer une procédure de ratification parlementaire et je compte sur vous, madame la ministre, pour pousser l’Assemblée nationale à suivre l’exemple du Sénat et à adopter ce projet de loi le plus vite possible.
Le 18 mai dernier, la Suède et la Finlande déposaient officiellement leur demande d’adhésion ; dix jours plus tard, à l’occasion de la réunion de printemps de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, en Lituanie, les présidents des parlements de Finlande, Matti Vanhanen, et de Suède, Andreas Norlén, étaient venus à Vilnius nous demander de soutenir leurs candidatures, approuvées, nous avaient-ils indiqué, par plus de 80 % de leur population.
Nous, parlementaires de l’OTAN présents, les avions assurés de notre soutien total et de nos efforts pour que cette adhésion soit ratifiée dans les meilleurs délais. Elle répond en effet à une impérieuse nécessité, car l’Histoire s’est accélérée et a pris une tournure dramatique le 24 février dernier, avec l’attaque brutale et injustifiable de l’Ukraine, pays souverain, indépendant et démocratique, par une Russie violant tous les principes de la coopération internationale et causant dévastation, morts et souffrances ainsi qu’une crise humanitaire et alimentaire à l’échelle de la planète. L’ONU estime ainsi à 255 millions le nombre de personnes risquant de souffrir de famine dans le monde, à la suite de cette guerre.
Il nous fallait être à la hauteur de l’Histoire et c’est une grande satisfaction de voir que tous les pays européens, les petits comme les grands, se sont retrouvés pour s’engager dans l’aide à l’Ukraine, bien que celle-ci n’appartienne pas à l’OTAN et ne puisse donc prétendre à une aide directe sur son territoire.
Cette solidarité s’est affirmée lors du sommet historique de Madrid les 29 et 30 juin dernier, marqué par l’unanimité de nos pays membres en faveur de cette adhésion.
J’ai beaucoup entendu critiquer la Turquie, mais je voudrais souligner ici le travail positif des représentants turcs, membre de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, pour aider à obtenir l’accord turc lors du sommet de Madrid.
Comment aurions-nous pu refuser cette demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède, deux pays qui partagent, qui incarnent même, nos valeurs démocratiques ; deux pays avec lesquels nous coopérons depuis des décennies, qui ont participé à nos efforts de guerre dans les Balkans, en Afghanistan, en Syrie, au Sahel, au Mali et qui accueillent des exercices militaires de l’OTAN sur leur territoire ?
Ils nous honorent en demandant à rejoindre notre alliance et font preuve d’un grand réalisme, alors qu’ils étaient jusqu’à présent attachés au principe plus confortable, mais un peu utopique, de neutralité.
Ils nous rendent aussi un immense service, dans le cadre des nouveaux enjeux stratégiques et de la défense de la paix dans toute la région, et pas seulement autour de la mer Baltique. Dans une dynamique vertueuse, ils nous apporteront leur expertise en termes de résilience, mais aussi leurs capacités militaires.
Voltaire avait écrit que l’humanité n’avait jamais connu la paix, mais seulement des entre-deux-guerres. Avec l’OTAN, qui a fait ses preuves en tant que facteur de paix et de stabilité, cet entre-deux-guerres a duré plus de soixante-dix ans et notre devoir envers les générations futures est d’éviter l’extension du conflit russo-ukrainien pour maintenir la paix en Europe.
L’adhésion de la Finlande et de la Suède nous rendra tous plus forts ; elle enverra un signal à l’agresseur russe et accroîtra notre défense collective. Elle offrira aussi une protection à ces pays, puisque l’article 5 dispose qu’une attaque contre l’un de nos pays est une attaque dirigée contre tous. Le principe selon lequel « qui veut la paix prépare la guerre » est une constante géopolitique.
Pour conclure, alors que la France a toujours été d’une grande prudence en matière d’élargissement, j’estime, à titre personnel, que le Parlement a le devoir d’agir comme un aiguillon du Gouvernement, surtout quand il s’agit de la défense de nos peuples.
C’est pourquoi il me semble essentiel d’aider à l’adhésion d’un autre pays ami de la France, la Géorgie, à qui cette évolution a été promise depuis des décennies et qui la mérite par les réformes qu’elle a entreprises et parce que ce serait essentiel pour sa sécurité…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’avais souligné cela dans un rapport présenté en 2014 à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et adopté à l’unanimité, mais auquel le sommet du Pays de Galles n’a malheureusement pas donné suite.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’atlantique nord sur l’accession de la république de finlande et la ratification du protocole au traité de l’atlantique nord sur l’accession du royaume de suède
Article 1er
Est autorisée la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande, signée à Bruxelles le 5 juillet 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Est autorisée la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède, signé à Bruxelles le 5 juillet 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède.
J’ai été saisi de trois demandes de scrutin public émanant, la première, de la commission, la deuxième, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et la troisième, du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 124 :
Nombre de votants | 348 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 323 |
Contre | 17 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements au banc des commissions, ainsi que sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
4
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 26 juillet 2022 :
À quatorze heures trente :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (texte de la commission n° 797, 2021-2022) ;
Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi maintenant provisoirement un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la covid-19.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quarante.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER