M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de revenir sur les principales stipulations de cet accord, je dirai quelques mots sur les relations qu’entretient la France avec le Qatar, afin de mieux appréhender l’intérêt de ce texte et le contexte dans lequel il s’inscrit.
Le Qatar est un allié stratégique de la France, dans un contexte de fortes tensions au Proche et au Moyen-Orient. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Levant, le pays accueille 24 personnels de notre armée de l’air et de l’espace engagés dans l’opération Chammal et déployés sur la base militaire américaine d’Al-Udeid.
Par ailleurs, au Sahel, le Qatar a fourni un appui capacitaire à la force conjointe du G5 Sahel en livrant une cinquantaine de véhicules blindés au Mali et au Burkina Faso.
Le partenariat franco-qatarien s’exprime aussi dans le domaine industriel de défense. D’après le dernier rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, le Qatar était le premier client de la France pour la période 2015-2020, avec près de 18 % des commandes d’armes françaises.
Ces dernières années, le pays a notamment signé deux contrats pour l’acquisition de 36 Rafale au total, qui, pour l’essentiel, ont déjà été livrés.
Compte tenu de ces grands contrats d’armement, notre coopération militaire prend également la forme d’activités de formation au bénéfice des forces armées qatariennes.
Ainsi, ces dernières années, quelque 230 Qatariens ont été formés au pilotage du Rafale sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, et 40 personnes environ ont suivi des études dans nos écoles militaires. Enfin, lors de la crise afghane d’août 2021, le Qatar a appuyé la France dans l’opération Apagan d’évacuation de ressortissants français et afghans – ces derniers étaient pour la plupart d’anciens auxiliaires de l’armée française, menacés en raison de leur engagement aux côtés de notre pays.
J’en viens à présent au contenu de l’accord.
Son objet est de renforcer le cadre juridique de notre coopération militaire avec le Qatar, en définissant les principes de sa mise en œuvre. L’absence d’un tel accord constitue aujourd’hui un réel frein à l’approfondissement de nos relations bilatérales en ce domaine ; à titre d’exemple, le plan annuel de coopération franco-qatarien comprend une centaine d’actions, mais moins de la moitié d’entre elles a pu être mise en œuvre, faute d’instrument juridique couvrant l’intégralité des champs de la coopération.
Les dispositions de ces accords s’appliqueront tant aux personnels militaires qu’aux personnels civils, par exemple les agents de la direction générale de l’armement appelés à se déplacer dans le cadre des contrats d’armement.
Le texte soumis à notre examen est de facture tout à fait classique. Il régit notamment les conditions d’entrée et de séjour sur le territoire de l’autre partie, le port de l’uniforme et des insignes militaires, ainsi que la détention, le port et l’utilisation des armes de dotation par les militaires de chaque partie. En outre, les parties reconnaissent, sur leur territoire, la validité des permis de conduire pour les véhicules et engins militaires de l’autre partie.
Enfin, il est important de souligner que cet accord est conforme à nos exigences constitutionnelles et conventionnelles ; il s’agissait d’une condition sine qua non à sa signature, puisque le Qatar continue d’appliquer la peine capitale. En effet, en 2020, un ressortissant népalais a été exécuté à la suite de sa condamnation à mort pour meurtre, ce qui a mis fin au moratoire observé dans le pays depuis 2003.
L’article 11 de l’accord franco-qatarien protège ainsi les membres du personnel et les personnes à charge des deux États contre la peine capitale et les traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces peines ne seront ni requises ni prononcées. Si toutefois elles étaient prononcées, elles ne seraient pas exécutées.
Il convient de souligner à cet égard que les termes de cet accord protègent à la fois les personnels français et les personnes à leur charge, mais également les personnels qatariens soumis à la juridiction française et pouvant faire l’objet d’une mesure d’extradition ou d’expulsion.
Cet accord répond donc aux intérêts de la France en ce qu’il renforce le cadre juridique de notre partenariat, noué dans une région stratégique pour notre défense et notre sécurité. Il vise à définir le statut juridique des personnels civils et militaires du ministère des armées lorsque ceux-ci sont amenés à se rendre au Qatar pour une opération extérieure ou une activité de coopération.
L’adoption d’un tel texte n’est évidemment pas un blanc-seing donné au Gouvernement ou à l’État du Qatar. Ce partenariat peut susciter des interrogations légitimes, s’agissant notamment du respect des droits de l’homme dans ce pays. Mais le but de cet accord est précisément de protéger les ressortissants français qui se rendent dans l’émirat pour mettre en œuvre cette coopération.
D’ailleurs, mes chers collègues, soyons pragmatiques : quelle que soit l’issue du vote, la coopération franco-qatarienne continuera d’exister, et même de se renforcer. En effet, le Sénat se prononce aujourd’hui non pas sur la nature des liens tissés entre la France et le Qatar dans le domaine de la défense, mais sur l’accord relatif au statut de nos forces.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Précision utile !
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. Le Parlement n’est pas non plus consulté sur la question des exportations d’armement, ce que l’on peut regretter, monsieur le ministre.
En effet, malgré un timide renforcement de l’information du Parlement sur le sujet, les représentants de la Nation restent exclus des processus de décision et de contrôle, car nous ne sommes consultés ni a prori – c’est-à-dire sur l’attribution des licences d’exportation par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre –, ni a posteriori, dans le cadre du contrôle assuré par un comité ministériel ad hoc.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite donc à adopter ce projet de loi, comme l’a fait la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat en février dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le développement des liens entre le Qatar et la France n’est plus à démontrer. Depuis longtemps, nos deux pays échangent dans de nombreux secteurs. Notre collègue rapporteur l’a très bien dit.
Dans le contexte actuel de la crise avec la Russie, j’insisterai, tout d’abord, sur la nécessité de densifier encore davantage nos échanges dans le domaine de l’énergie.
À cet égard, je me réjouis de la sélection, par le Gouvernement qatari, de TotalEnergies comme premier partenaire dans le projet North Field East (NFE), une décision qui permettra d’augmenter la capacité d’export de gaz naturel liquéfié (GNL) bas carbone vers l’Europe.
Comme l’a récemment souligné le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton, « un grand projet de gazoduc euro-arabe tracerait des perspectives de moyen et long terme en matière de sécurité des approvisionnements ».
Cette filière constitue aujourd’hui une réponse, certes partielle, au défi du changement climatique et de la transition énergétique et devrait atténuer la tentation de rouvrir des centrales à charbon que l’on constate ici et là…
S’agissant des questions de sécurité et de défense, qui focalisent déjà une grande partie des échanges entre Doha et Paris, elles doivent, bien entendu, être approfondies.
De la déclaration d’intention relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment à celle qui est relative à la mise en place d’un dialogue stratégique, de nombreux outils renforcent régulièrement notre relation bilatérale, qui contribue à la sécurité globale. Pour le RDSE, c’est une bonne chose, compte tenu de la situation sécuritaire au Proche et au Moyen-Orient. Et je n’oublie pas l’appui fourni par le Qatar à la force conjointe du G5 Sahel, ou encore son implication dans l’opération Apagan, dans le cadre de la crise afghane.
Un cadre de confiance et de coopération militaire s’est ainsi durablement installé entre la France et le Qatar, qui dépasse nos forces armées.
J’en viens ainsi au projet de loi sur le statut des forces.
Bien que ce texte soit indépendant des événements de la Coupe du monde de football qui se profile, et sans nous prononcer sur l’opportunité d’organiser une telle compétition dans un pays plus connu pour les richesses de son sous-sol que pour ses pelouses, nous avons tout intérêt à l’adopter rapidement, car il constitue un gage de bonne intention de la part du Qatar au regard de nos exigences constitutionnelles et conventionnelles.
Pour autant, nous savons tous pourquoi ce texte est sorti de la procédure d’examen simplifié. En mai 2020, l’exécution d’un ressortissant népalais condamné à mort par la justice qatarie inquiète légitimement. Qu’est devenu le moratoire sur les exécutions, mis en place depuis 2003 ?
Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, dans la droite ligne de votre prédécesseur Jean-Yves Le Drian, le développement croissant de nos relations avec le Qatar ne doit pas empêcher la tenue d’un dialogue politique lucide et exigeant, d’autant que la fermeté peut porter ses fruits. On a pu le constater concernant le droit du travail.
La pression exercée sur Doha par de nombreux pays occidentaux, dont le nôtre, a permis d’améliorer une situation dramatique et scandaleuse dans le secteur du bâtiment.
Mme Nathalie Goulet. Ah bon ?
M. André Guiol. Certes, tout n’est pas à la hauteur de nos attentes, mais de tels accords – celui que nous examinons aujourd’hui en fait partie – contribuent à converger vers un minimum de standards.
En effet, outre la protection de nos ressortissants concernés par cet accord, c’est aussi par la multiplication de ce type de relations entre pays, au demeurant très différents, que des progrès sensibles dans le domaine des droits de l’homme peuvent être actés. C’est pourquoi mon groupe approuvera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Mickaël Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, adopté par nos collègues députés, pour technique ou formel qu’il puisse paraître, ne saurait être examiné en nous contentant d’une simple étude de texte et sans nous interroger sur le contexte. J’avais déjà tenu le même discours à cette tribune à propos de l’accord similaire relatif à l’organisation de la prochaine Coupe du monde de football.
Sur le texte et ses effets juridiques, le propos est assez simple. La France et le Qatar ont établi de longue date un partenariat militaire stratégique. Cette relation privilégiée se traduit concrètement par la vente d’avions de combat à l’armée de l’air qatarienne et par la formation de ses pilotes de chasse.
On notera ainsi que, sur la décennie 2010-2020, le Qatar est tout de même le deuxième client de la France en matière d’armement, sans compter les autres achats que ce pays effectue auprès de pays européens. On souhaiterait que certains de nos partenaires de l’Union en fassent autant quand ils décident de se réarmer de façon importante… Comme Mme le rapporteur, je n’oublie pas l’aide du Qatar pour l’évacuation de nos ressortissants d’Afghanistan, sans compter les nombreux autres apports de cette coopération.
Néanmoins, ce partenariat stratégique va bien au-delà des seuls aspects commerciaux. Nos deux pays organisent régulièrement des exercices militaires, et la France a pu compter sur le soutien des forces armées qatariennes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamique au Sahel et au Levant.
L’approfondissement de ce partenariat impose une convention bilatérale protégeant les droits et libertés fondamentales des membres de nos forces de l’ordre lorsque ceux-ci se trouvent en territoire qatarien. L’accord sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui répond à cet impératif, puisque, ainsi que l’ont rappelé M. le ministre et Mme le rapporteur, si les personnels des forces de l’ordre sont tenus de respecter la législation qatarienne, ils ne peuvent être privés du droit à un procès équitable et ne peuvent encourir la peine de mort.
Toutefois, mes chers collègues, comme je l’ai déjà expliqué lors de l’examen de l’accord relatif à l’organisation de la Coupe du monde, autour du texte, il y a le contexte, et la question de la crédibilité de la France dans le choix de ses coopérations militaires se pose. Voilà une question précise qui appelle une réponse claire, car, chacun le sait, il faut aller vers l’Orient compliqué avec des idées simples.
Aussi, disons les choses simplement : les droits et les libertés fondamentales pour lesquelles la France a payé un lourd tribut au cours de son histoire sont régulièrement bafoués par le Qatar. La Coupe du monde dite « de la honte », dont les conditions d’attribution sont entachées de corruption, jette une lumière crue sur la réalité de l’État de droit dans l’émirat et interroge sur l’opportunité d’un tel niveau de coopération et sur sa signification politique.
Il convient de rappeler à cette tribune que le processus d’attribution de l’événement fait en ce moment même l’objet de procédures judiciaires lourdes. Les magistrats du parquet national financier ont ouvert une information judiciaire pour « corruption » et « recel et blanchiment ». Des procédures similaires sont en cours aux États-Unis et en Suisse. Et c’est à très haut niveau que ces faits de corruption sont présumés dans l’entourage des plus illustres supporters français du Paris-Saint-Germain qatarien.
Interrogent également, et même scandalisent, les conditions de travail épouvantables des milliers de travailleurs étrangers sur les chantiers de construction des stades. Pas un de nous ici ne pourrait les supporter plus de quarante-huit heures, et sans doute bien moins longtemps en réalité ! Si l’Organisation internationale du travail (OIT) et plusieurs ONG saluent certaines avancées, comme l’ouverture récente d’un bureau de l’OIT ou l’abolition de la kafala, nombreuses sont les organisations de défense des droits de l’homme qui continuent de les trouver profondément insuffisantes et qui mettent en doute le nombre de « morts au travail ».
Or c’est dans une perspective internationaliste, nous semble-t-il, que doivent toujours être défendues les conditions de travail des ouvriers. J’ajoute que construire des stades climatisés lorsque l’on est dans le peloton de tête mondial des pays producteurs de carbone – six fois plus que la Chine par habitant – ne vient pas améliorer le tableau…
Vous avez parlé d’interrogations légitimes, madame le rapporteur. Elles existent, comme je viens de les exposer. Il est donc aisé de comprendre que, au regard du décalage constaté entre cet accord de coopération accepté par le Gouvernement et la réalité de l’État de droit au Qatar, notre groupe ne pourra voter ce texte.
Seule la protection, nécessaire, offerte à nos forces de l’ordre nous empêche de voter contre ce projet de loi. Nous ne nous l’interdisons que pour elles, et pour elles seules.
En conséquence le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet accord, qui est le fruit de cinq années de négociations, comporte de véritables avancées. Il offre un cadre juridique protecteur à nos personnels français déployés au Qatar et à leurs proches qui les accompagnent, jusqu’ici soumis aux lois qatariennes, notamment à la peine de mort, qui, rappelons-le, est toujours en vigueur au Qatar.
Si le retour à la procédure normale de l’examen de ce projet de loi peut être l’occasion de dresser un état des lieux de notre relation bilatérale avec le Qatar, il ne doit pas se transformer, me semble-t-il, en procès à l’endroit de cet État. Ce serait vain et stérile.
L’examen de cet accord advient dans un contexte aussi inédit qu’incertain, en raison de la guerre en Ukraine. Et c’est en temps de crise que les partenariats stratégiques et la qualité des relations bilatérales prennent tout leur sens.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Bonne analyse !
M. Abdallah Hassani. La crise afghane, en août 2021, en constitue un exemple signifiant. C’est avec l’aide active du Qatar que nous avons pu exfiltrer vers Doha plus de trois cents Français et Afghans, preuve de l’importance et de la qualité de cette relation bilatérale dans une région historiquement instable.
Il est vrai, néanmoins, que nos relations avec le Qatar ne doivent pas occulter les sujets de discorde, tels que le respect des droits humains, la condition des femmes et la protection des travailleurs étrangers. Nous devons en ces domaines rester lucides, vigilants et exigeants.
Les faits dont la presse internationale s’est fait l’écho interrogent, certes, nos consciences. Mais ils ne sauraient occulter les progrès réalisés par le Qatar en termes de droits sociaux, de droits des femmes ou de salaire minimum.
Les femmes occupent désormais au Qatar des postes de responsabilité dans de nombreux secteurs ; à titre d’exemple, plusieurs femmes sont actuellement ministres. Le Qatar a été le premier pays de la région à abroger le système de la kafala, un mécanisme de mise sous tutelle étroite de tout travailleur étranger. S’il est indéniable que du chemin reste à parcourir pour rejoindre les standards français en matière de démocratie et d’État de droit, des progrès tangibles ont été réalisés.
En somme, parce que cet accord renforce le cadre juridique de la relation bilatérale de défense avec le Qatar, dans un contexte de tensions croissantes dans le Golfe arabo-persique et au-delà, le groupe RDPI votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, l’examen en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de divers projets de loi approuvant des conventions internationales n’a suscité aucune opposition. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a cependant souhaité que nous débattions en séance publique de celle qui a été conclue entre la France et le Qatar.
Cette convention vise à préciser le statut des forces armées déployées réciproquement dans ces deux États et concerne notamment le partenariat liant la gendarmerie nationale et la force qatarienne de sécurité intérieure.
Le Qatar et la France coopèrent dans de nombreux domaines – éducation, culture, économie – et, de plus en plus, dans le domaine sécuritaire. Le Qatar apprécie l’expertise française en la matière, qui a été déployée notamment dans le cadre de l’exercice Gulf Falcon.
La France et son partenaire ont en outre engagé, en 2019, un dialogue stratégique. Le Qatar est l’un des principaux acquéreurs de l’armement français. Il a ainsi commandé 36 avions Rafale au cours des sept dernières années.
Certains s’émeuvent parfois du fait que la France figure parmi les trois plus grands exportateurs mondiaux en la matière ; c’est pourtant la condition de notre souveraineté. La seule commande de nos armées ne pourrait suffire à la viabilité de notre industrie de défense, et l’export est essentiel à notre souveraineté.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Évidemment !
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteur. Très bien !
M. Pierre Médevielle. Le Qatar a par ailleurs maintes fois démontré son attachement à la recherche de solutions négociées aux divers conflits que connaît la région. Ce fut le cas lors de l’accord de Doha, en 2015.
Son retrait en 2017 de la coalition menée par l’Arabie Saoudite lui permet également de faciliter le dialogue dans la guerre au Yémen. C’est le Qatar, encore, qui a proposé son aide pour débloquer les négociations sur le nucléaire iranien.
Le partenariat noué entre la France et le Qatar est bénéfique pour nos deux États. Notre relation privilégiée a ainsi été particulièrement précieuse au mois d’août dernier, lorsqu’il s’est agi d’exfiltrer en urgence nos personnels d’Afghanistan. Le Qatar a également participé à l’opération Barkhane.
Cette relation de coopération sert donc nos intérêts, mais elle permet également de diffuser nos valeurs. Nous voulons croire que la relation avec la France a contribué à l’amélioration relative des droits de l’homme au Qatar.
Le droit du travail a connu de nombreuses avancées. Depuis 2020, les employeurs ne peuvent plus détenir les passeports de leurs employés. L’exigence d’un visa pour quitter le territoire a été supprimée, et un salaire minimum est désormais en vigueur.
La condition des femmes a également connu des progrès. Celles-ci bénéficient de plus de liberté que dans bon nombre des États de la région, que ce soit en matière d’habillement, d’éducation ou encore de travail. C’est aussi au Qatar que les femmes sont les plus présentes sur le marché de l’emploi.
Cela ne signifie pas pour autant que ce jeune pays, qui progresse vers la démocratie, ait des valeurs identiques aux nôtres. Comme nous avions eu l’occasion de le dire lors du texte portant sur la sécurité de la Coupe du monde de 2022, c’est par la coopération que nous pourrons amener nos partenaires à se rapprocher de nos valeurs de tolérance et de liberté.
Quelles que soient les difficultés, l’indignation ne suffit pas. La France occupe une place bien particulière dans le monde et elle constitue une source d’inspiration pour nombre de pays.
Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont convaincus que son action dans le monde, si elle implique, comme toute action, une forme de pragmatisme, permet de diffuser et de renforcer nos valeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ouvertes au lendemain de l’indépendance du Qatar, les relations diplomatiques que la France entretient avec Doha célèbrent cette année leur cinquantième anniversaire.
Au fil de ce demi-siècle, la coopération bilatérale qui lie nos deux pays n’a cessé de se renforcer et s’est notablement accélérée ces dernières années, pour faire de ce petit pays du Golfe un partenaire incontournable de la France dans la région.
Particulièrement denses, nos relations se déploient dans le domaine économique, sportif, culturel et universitaire, mais aussi – cela nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui – dans le domaine militaire.
Bien entendu, le Qatar est un client très important de l’industrie française de l’armement – le deuxième lors de la décennie passée. Il est en particulier à l’origine de nombreuses commandes dans le secteur aéronautique.
Cette donnée est tout à fait majeure, mais notre coopération militaire, fondée notamment sur l’accord de défense signé en 1994, se révèle plus profonde et ne se limite pas aux seules ventes d’équipements et aux activités de formation qui en découlent.
Elle se traduit également au niveau opérationnel, notamment par la présence d’officiers français au sein de l’état-major qatarien et par la conduite régulière d’exercices conjoints. Elle s’est en outre déployée ces dernières années en lien avec des théâtres d’opérations majeurs pour la France, comme le Sahel, l’Irak ou la Syrie.
Je tiens par ailleurs à saluer le rôle qu’ont joué, plus récemment encore, les autorités qatariennes pour faciliter la mise en œuvre des opérations d’évacuation de nos compatriotes, mais aussi de nombreux citoyens afghans, lors de la chute de Kaboul.
La position stratégique du Qatar, au cœur du golfe Arabo-persique…
Mme Nathalie Goulet. Du golfe Persique !
M. Bernard Fournier. … l’importance de ses ressources énergétiques, sa diversification et son influence économique croissantes, les partenariats qu’il a su nouer avec des acteurs aussi nombreux que différents, ses rapports désormais en voie de normalisation avec ses voisins immédiats, sa volonté manifeste d’ouverture au monde sont autant d’éléments qui plaident en faveur d’une consolidation de la relation déjà forte que nous entretenons avec cet État clé du Moyen-Orient.
L’accord sur le statut des forces qui nous est soumis aujourd’hui y concourt et pose un nouveau jalon dans notre coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité.
En effet, en définissant de manière détaillée le droit applicable aux personnels français déployés sur le sol du Qatar, et réciproquement, il fournit dans de nombreux domaines très concrets un cadre juridique clair et pérenne, à même de faciliter, donc de stimuler, notre collaboration opérationnelle.
Surtout, il bâtit un cadre plus protecteur pour nos militaires et leurs familles par rapport à la situation actuelle, qui ne prévoit pas qu’un régime juridique particulier puisse leur être appliqué. Cela inclut une exposition à la peine de mort, toujours en vigueur au Qatar.
Certes, depuis 2003, un moratoire rend en théorie inapplicable le recours à la peine capitale. Mais, outre que celui-ci a connu une entorse en 2020, il était néanmoins fondamental que l’accord conclu le 24 novembre 2019 contienne une disposition permettant de protéger nos ressortissants contre ce risque, pour des questions de principe et de sécurité bien sûr, mais aussi de sérénité pour les hommes et les femmes dont la présence au Qatar est liée, d’une manière ou d’une autre, au service de la France.
Au-delà de cette clause particulière, le reste de l’accord est de nature relativement générique et paraît semblable aux nombreux autres textes de cette nature – plus de quatre-vingts à ce jour – signés par la France avec d’autres pays.
Sa conclusion est néanmoins rendue particulièrement nécessaire dans le contexte de la prochaine Coupe du monde de football. En effet, la France s’est engagée à contribuer de manière significative à la sécurisation de cet événement et envisage, pour ce faire, de mobiliser sur place davantage de personnels qu’à l’accoutumée.
Au-delà des divers questionnements qui peuvent entourer l’organisation de ce grand événement au Qatar, il était donc important que la sécurité juridique la plus robuste possible puisse être apportée à nos compatriotes dans l’exécution de leurs missions.
Reste bien sûr la question fondamentale des droits de l’homme. Si elle n’a pas de lien direct avec le texte que nous examinons aujourd’hui, elle suscite néanmoins de légitimes interrogations. Car personne ne peut l’ignorer : le Qatar demeure à ce jour très éloigné des standards que la France promeut en la matière.
Je note toutefois que, par rapport à d’autres pays de la région, il a connu des avancées encourageantes, qu’il s’agisse par exemple des droits des travailleurs étrangers ou des droits des femmes. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Je conviens naturellement que, dans ces domaines comme dans bien d’autres, les progrès qui restent à accomplir sont énormes. Je ne me berce pas non plus d’illusions en imaginant que le Qatar, comme d’ailleurs ses voisins, pourrait du jour au lendemain adopter le socle de valeurs qui est le nôtre. Ce cheminement sera nécessairement long, et sans doute sinueux. Je me félicite néanmoins que nous puissions en constater les prémices au sein de la société qatarienne.
En outre, il me semble que, dans ce domaine, la voie du dialogue – un dialogue certes exigeant – est toujours préférable à celle de l’ostracisme. C’est, je crois, la méthode la plus efficace pour accompagner les évolutions positives qui ont eu lieu ces dernières années et – pourquoi pas ? – en susciter de nouvelles.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de l’approbation de cet accord, qui apparaît tout à la fois conforme aux intérêts de la France et à ceux de nos personnels amenés à la servir sur le territoire qatarien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)