M. Patrick Kanner. C’est vrai !
M. Didier Marie. Tout à fait !
M. Jean-Yves Leconte. Il faudra en tirer tous les enseignements. En effet, on ne saurait se contenter d’affirmer qu’il s’agit là d’une exception qui ne se reproduira jamais. Il y va de l’efficacité de notre politique d’asile.
De son côté, depuis 2014, l’Ukraine paye au prix fort le fait d’avoir choisi la voie européenne. Depuis longtemps, les pays des Balkans ont eux aussi fait le choix de l’Europe, mais l’élargissement de l’Union européenne n’avance pas.
Il est heureux que cette présidence ait permis d’affirmer, même si c’est dans un contexte particulièrement tragique, la candidature de la Moldavie et de l’Ukraine à l’Union européenne, tout en dynamisant la candidature de plusieurs pays des Balkans occidentaux. J’en suis convaincu : aujourd’hui, pour renforcer l’esprit européen, il est absolument nécessaire de répondre à ces peuples qui considèrent le projet européen comme le leur, qui comptent sur lui pour assurer leur développement et améliorer leur gouvernance.
À cet égard, j’éprouve deux inquiétudes.
La première porte sur l’État de droit. Pour tenter d’obtenir un accord quant à la fiscalité minimum des multinationales, l’on a fait un certain nombre de concessions à la Pologne. Or il n’est pas possible de transiger sur l’État de droit ; il n’est pas possible de négocier telle taxation contre telle disposition du plan de relance, sans examiner comment la justice fonctionne dans les pays concernés.
Dans des pays qui refusent le parquet européen et qui ne disposent pas d’une justice indépendante, nous ne pouvons pas accepter la mise en œuvre du plan de relance européen sans le moindre contrôle.
Je termine en évoquant le budget et l’économie européenne. Le plan de relance, qui consiste à endetter l’Europe pour faire des plans nationaux – ce devait être un moment hamiltonien –, reste aujourd’hui un one shot. Or, parce qu’il faut reconstruire l’Ukraine, parce qu’il faut réussir la transition écologique, nous avons besoin de disposer de ressources propres et de transformer ce plan de relance, dans une démarche significative et de long terme, pour doter l’Europe d’une économie forte et attractive. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 décembre dernier, le Président de la République présentait les priorités de la PFUE. En l’abordant sous l’angle d’une Europe plus souveraine, il mettait en avant la stabilité et la sécurité de notre voisinage. Il estimait alors que l’on ne pouvait pas bâtir l’Europe de la paix en laissant les Balkans occidentaux dans leur situation d’alors, appelant donc à un réengagement fort de l’Union européenne dans la région.
Six mois plus tard, face à la nouvelle donne géopolitique en Europe, une telle affirmation est plus que jamais d’actualité. Mais le réengagement promis fait toujours défaut. En tant que présidente du groupe d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat, je ne peux que le regretter.
Lors du dernier Conseil européen, les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement ont accordé le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie. Face à l’agression russe, ce geste de solidarité et d’unité européennes était nécessaire.
Le Conseil européen a d’ores et déjà annoncé que le chemin vers l’adhésion serait long. Il a eu raison : la priorité est à la fin du conflit militaire, à la reconstruction, puis à la mise en œuvre progressive des acquis européens avant d’envisager toute accession à l’Union européenne.
Pourtant, la nouvelle donne a totalement bouleversé la perspective européenne des Balkans occidentaux. Quel a été le message envoyé à ces États voisins de l’Union européenne ? Y a-t-il eu un réengagement, comme l’avait promis le Président de la République ?
Malheureusement, la réponse européenne fut faible ; tout juste l’Union européenne a-t-elle réaffirmé à cette occasion son attachement total à la perspective de l’adhésion des Balkans occidentaux et à une accélération du processus.
Les conclusions du Conseil européen donnent l’impression que la région demeure au milieu du gué. Il y a pourtant urgence à réengager clairement la dynamique européenne des Balkans occidentaux. D’une part, les pays concernés nous adressent des signes de progrès : des tensions bilatérales s’apaisent, et des efforts sensibles de mise en conformité avec les règles européennes sont opérés ; cela doit être récompensé. D’autre part, l’influence sur la région de pays étrangers comme la Chine, la Russie ou la Turquie est grandissante – vous l’avez rappelé, madame la ministre – alors que la frustration et les tensions s’aiguisent face à l’absence de perspective européenne.
L’accélération demandée par le Conseil européen doit se traduire concrètement. Madame la ministre, la France et les institutions européennes doivent s’engager fermement pour mettre en musique les conclusions du Conseil européen sur les Balkans occidentaux.
Toujours au chapitre du renforcement de la souveraineté de l’Europe, il est tout aussi essentiel d’évoquer la question énergétique. Les conséquences de la guerre en Ukraine ont confirmé, s’il en était besoin, le caractère fondamentalement stratégique de l’énergie.
Qu’il s’agisse des livraisons alternatives de gaz de pétrole liquéfié (GPL), des achats communs de gaz ou de la gestion des stocks stratégiques, les réponses communes élaborées pendant la présidence française apparaissent aussi ambitieuses dans leur principe que fragiles dans leur mise en œuvre.
En effet, la PFUE n’aura pas permis d’avancées décisives sur l’organisation du marché de l’électricité – en l’occurrence, le débat n’a pas débouché sur des progrès suffisants –, sur la dépendance persistante à certaines matières premières et équipements indispensables au développement des énergies renouvelables ou encore sur le rôle du nucléaire, dont la place au sein de la taxonomie verte vient d’être confirmée in extremis au Parlement européen, mais qui fait toujours l’objet d’attaques virulentes.
Alors qu’aucune transition énergétique ne saurait être viable sans l’atome, la PFUE n’aura pas été l’occasion de remettre le nucléaire au centre du jeu énergétique européen.
Si l’Europe semble donc être revenue à davantage de raison dans le secteur de l’énergie, force est de constater qu’il y a encore du chemin à parcourir. Madame la ministre, la France a un rôle moteur à jouer en la matière ; elle doit se faire entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a plus de six mois, la France avait souhaité faire de l’environnement et du climat une priorité de sa présidence du Conseil de l’Union européenne.
À l’heure du bilan, le premier constat qui s’impose est que notre pays a réussi à aboutir à un accord global sur le paquet climat devant mettre l’Europe sur la trajectoire de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Ce résultat était loin d’être évident compte tenu de la taille du paquet proposé, de son caractère structurant et des positions parfois très divergentes des États membres sur les textes qui le composent.
Sur le fond, on peut par ailleurs se satisfaire globalement des orientations générales du Conseil. Vous avez évoqué, madame la ministre, des « avancées majeures », dont beaucoup correspondent aux points d’attention que le Sénat avait mis en exergue dans sa résolution sur le paquet climat et dans le rapport d’information que sa commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avait consacré à la réforme du marché carbone, ainsi qu’à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
Le Sénat s’est en effet investi dans la PFUE. Nous avions ainsi rappelé que la France devait, d’une part, maintenir le niveau d’ambition général du projet proposé par la Commission européenne, en cohérence avec l’objectif de réduction des émissions de 55 %, et, d’autre part, préserver l’acceptabilité sociale de l’ensemble du paquet.
Cet équilibre est globalement conservé par l’accord trouvé au Conseil, notamment grâce à la mise en place d’un Fonds social pour le climat, dont la taille est probablement insuffisante pour accompagner, à lui seul, les ménages, notamment les plus précaires, et les travailleurs, mais qui a le mérite d’avoir résisté aux attaques des États dits « frugaux » ; ces derniers n’en voulaient pas.
Toutefois, le compromis de dernière minute arraché par la présidence française l’a été au prix de plusieurs concessions abaissant quelque peu la portée de l’ensemble. Nous constatons d’ailleurs que la copie rendue par le Parlement européen est plus ambitieuse.
M. Didier Marie. Oui !
M. Guillaume Chevrollier. Ses positions correspondent souvent aux recommandations exprimées par notre commission lors de ses travaux du printemps dernier.
J’ai tout d’abord à l’esprit le rythme d’extinction des quotas gratuits sur le marché carbone. La date retenue, 2035, est lointaine ; cela retardera d’autant l’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières que nous étions nombreux à appeler de nos vœux.
Le Conseil aurait également pu aller plus loin, en intégrant à cette taxe carbone aux frontières d’autres catégories de biens, par exemple les produits chimiques organiques, les plastiques ou l’hydrogène, ainsi que nous l’avions proposé et que le prône aujourd’hui le Parlement européen.
En outre, l’accord au Conseil ne comble pas certains angles morts, comme les émissions du transport aérien international, qui sont couvertes non pas par le marché carbone, mais par un mécanisme Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation (Corsia) particulièrement peu ambitieux.
Le Parlement européen s’est saisi du sujet en proposant d’étendre le marché carbone aux vols internationaux au départ de l’Union européenne.
Enfin, on ne peut pas évoquer le bilan climat de l’Union européenne sans aborder notre dépendance énergétique, à l’heure où les centrales à charbon rouvrent partout en Europe en raison du conflit ukrainien. La possibilité d’une coupure totale du gaz russe, combinée à l’arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires, nous fait « craindre le scénario du pire », pour reprendre les propos du Gouvernement.
Cette crise énergétique menace très sérieusement la compétitivité de nos entreprises, mais aussi l’ensemble de nos compatriotes, en particulier les plus modestes, à l’heure où les prix de l’essence, de l’électricité et du gaz ne cessent de grimper. Elle démontre la nécessité de développer une politique européenne cohérente sur l’énergie, à la fois sur la production et sur la consommation, notamment en matière de lutte contre les passoires thermiques.
Cela ne fait plus aucun doute : si nous voulons atteindre nos objectifs climat, il nous faudra avant tout garantir une indépendance énergétique nationale et européenne, une vraie souveraineté dans ce domaine. La tâche demeure importante. La treizième PFUE n’a pas tout réglé ; il reste du travail à accomplir pour renforcer notre Europe ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Didier Marie, Jean-Yves Leconte et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Colonna, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions, commentaires, appréciations et questions.
J’ai entendu quelques compliments ; je vais commencer par y répondre de manière positive. (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.) Je suis en particulier très sensible aux remerciements du président du groupe Les Indépendants – République et Territoires, Claude Malhuret, et du sénateur Jean-Baptiste Lemoyne.
Ces compliments, cher Jean-Baptiste, je vous les retourne, car vous avez directement contribué au succès de la PFUE comme ministre délégué chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, puis comme ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, fonction que vous venez tout juste de quitter ; vous avez donc participé à l’essentiel de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Vous l’avez souligné, l’Union a entrepris de « reprendre le contrôle ». C’est une expression que j’ai entendue dans une acception bien différente voilà encore quelques semaines de l’autre côté de la Manche. Si nous la faisons nôtre, c’est de manière plus positive, en l’appliquant à l’Union européenne.
C’est par l’Europe que nous continuerons demain à peser dans le monde et que nous pourrons pleinement protéger nos concitoyens, définir nos standards, nos choix énergétiques, alimentaires, industriels, numériques.
Derrière tout cela, il y a une véritable réhabilitation de la politique industrielle et de la politique économique européenne. Je vous remercie d’avoir porté ce combat dans vos anciennes fonctions, cher Jean-Baptiste.
Plusieurs d’entre vous, notamment Jacques Fernique, Claude Kern et Marta de Cidrac, ainsi que le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin, ont évoqué à juste titre la hausse des prix de l’énergie.
Comme vous le savez, le Gouvernement a mis en place un bouclier tarifaire qui gèle les tarifs réglementés du gaz naturel. Ce dispositif sera prolongé – cela a été annoncé – jusqu’à la fin de l’année.
La coordination et la solidarité des partenaires européens seront déterminantes pour nous permettre de nous préparer au mieux à l’hiver prochain. Le Gouvernement y veillera, et la Commission européenne reviendra vers nous dès le 20 juillet avec un plan de réduction de la demande d’énergie. Là encore, il sera crucial de réagir en Européens solidaires.
La Commission a d’ores et déjà adopté une boîte à outils pour autoriser les aides d’État visant à soutenir les consommateurs et les entreprises. Nous poursuivrons nos efforts.
J’ai aussi entendu, après des commentaires constructifs et quelques compliments, des regrets.
Monsieur le sénateur Pierre Laurent, nous serions une « puissance passive » ? Si vous ne me croyez pas lorsque j’affirme que cette présidence a été une réussite, écoutez les autres Européens. Tous les pays de l’Union ont indiqué que la présidence avait, au contraire, été active et réussie. Tous les gouvernements, de droite, de gauche ou du centre, nous félicitent d’avoir fait progresser l’Europe dans une période au demeurant particulièrement difficile, voire dramatique, et de l’avoir rendue plus forte et plus unie.
Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont estimé que nous aurions manqué d’ambition sur la transition écologique. La vérité est que nous avons au contraire abouti à un record d’ambition et de rapidité avec le consensus obtenu sur le paquet climat.
Écoutez le vice-président de la Commission européenne chargé de ces questions, Frans Timmermans, qui a félicité la PFUE. Il a même indiqué que, en tant que socialiste, il aurait préféré ne pas avoir à le faire ; et pourtant, il l’a fait !
Sur le plan social, nous aurions obtenu des avancées « en trompe-l’œil » ? C’est inexact. Si celles-ci étaient aussi symboliques que vous semblez le penser, les discussions n’auraient pas donné lieu à des années et des années de négociations et de blocage. Ces textes attendaient parfois depuis dix ans ou quinze ans. Nous sommes parvenus à convaincre et à réaliser le consensus européen sur ces avancées ; c’est une bonne chose. Nous devrions reconnaître la réalité et nous retrouver pour nous féliciter ensemble de ce qui a été fait.
Certains sénateurs ont évoqué l’État de droit. Il n’est pas possible de dire que la présidence française ne se serait pas battue suffisamment pour que nos partenaires, certains États membres, respectent l’État de droit.
Nous avons mené le combat contre les régressions démocratiques qui apparaissent – c’est vrai – au sein même de notre Union. Il s’agit d’un combat juridique et politique. Nous le mènerons d’ailleurs autant qu’il le faudra.
Monsieur le sénateur Didier Marie, j’ai bien entendu vos déceptions, mais la vérité est que l’État de droit a été un fil conducteur tout au long de ce semestre. Nous avons notamment inscrit à l’ordre du jour la situation en Hongrie et en Pologne ; je reviendrai sur ce dernier pays.
Notre présidence a vu l’activation du mécanisme sur la conditionnalité relative à l’État de droit. Nous avons adopté des conclusions sur la protection des journalistes. Nous avons finalisé un accord au Conseil sur le financement et le statut des partis politiques européens. Nous avons soutenu une révision de la Charte des droits fondamentaux pour défendre le droit à l’avortement. Vous m’avez entendu rappeler la proposition du Président de la République à ce sujet ; elle est désormais reprise par le Parlement européen.
Nous n’avons donc évité aucun débat. Nous ne nous sommes enfermés dans aucun confort. Nous n’avons accepté aucune compromission sous prétexte de faire avancer notre agenda législatif.
Depuis plusieurs années, la situation de l’État de droit en Pologne est suivie avec une attention soutenue par l’Union européenne, et en particulier par la France. Au cœur de nos préoccupations se trouve le constat de défaillances structurelles, notamment celles qui compromettent l’indépendance de la justice.
À l’issue de longs échanges et d’une suspension du plan national de reprise et de résilience (PNRR), des engagements ont été obtenus de la part de la Pologne. Leur respect fera l’objet de contrôles.
Ainsi, si le 1er juin, la Commission a donné son feu vert de principe au PNRR polonais, le 1er juillet, la présidente de la commission, Mme von der Leyen, a indiqué que les progrès réellement effectués étaient insuffisants pour permettre d’aller de l’avant et de débloquer le premier paiement. Celui-ci n’a donc pas eu lieu. En cause : les questions de justice, qui sont au cœur des difficultés de l’État de droit en Pologne, la loi ne garantissant pas l’exclusion de toute poursuite disciplinaire à l’encontre d’un juge qui aurait interrogé le degré d’indépendance d’un autre juge.
Le dialogue se poursuivra au sein du Conseil, mais aussi dans le cadre de la procédure fondée sur l’article 7 du traité sur l’Union européenne, que nous avons mise en œuvre. Soyez assurés que nous serons vigilants.
Monsieur le président Jean-François Rapin, nous aurions subi un « revers » avec la démission du directeur français de Frontex ?
Quelles que soient les qualités de M. Leggeri, permettez-moi de souligner qu’il ne faut pas mélanger deux choses. Il y a, d’une part, une situation individuelle, que je n’ai pas à commenter – elle fait l’objet d’une enquête toujours en cours – et qui a conduit notre compatriote à présenter sa démission, et, d’autre part, le renforcement de l’agence Frontex, qui est engagé depuis des années et pour lequel a France a toujours plaidé. Ce n’est pas facile, parce qu’il y a beaucoup à faire pour renforcer la maîtrise des frontières extérieures de l’Union.
Je suis fière que les réformes aient été accélérées sous notre présidence. Le recrutement du corps permanent de garde-frontières et de garde-côtes ? C’est fait ! L’amélioration des procédures de signalement d’incidents graves ? C’est fait ! Idem s’agissant de la montée en puissance en matière de retour vers les pays d’origine en appui aux États membres.
Plusieurs d’entre vous ont également évoqué la réforme du pacte de stabilité et de croissance. Ce débat n’a pas été mis de côté. Je peux vous l’indiquer, la Commission européenne fera prochainement des propositions sur la base des orientations qu’elle avait décidées préalablement au sommet de Versailles du mois de mars et qui reposent sur plusieurs principes auxquels nous souscrivons.
Tout d’abord, nous avons besoin d’une politique économique coordonnée pour contrer les effets de la guerre en Ukraine, conforter la stratégie de relance adoptée par l’Union au mois de juillet 2020 et détendre les goulots d’étranglement qui font monter les prix, notamment de l’énergie.
Cette fonction de stabilisation, la Commission la promeut d’ores et déjà en étendant la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance jusqu’à 2023. Nous sommes donc toujours sous l’emprise de circonstances exceptionnelles, ce qui a permis à la Commission d’assouplir la contrainte.
Ensuite, il faudra élaborer une trajectoire intelligente de désendettement compatible avec l’investissement dans la double transition numérique et climatique. Pour cela, il sera très important de tenir compte des situations et des choix de chaque État membre, à l’instar de ce mécanisme d’appropriation qu’a permis l’élaboration des plans nationaux de relance et de résilience.
Après l’urgence et cette flexibilité qui a été étendue jusqu’à 2023, nous souhaitons nous inscrire dans une approche de moyen terme donnant à chacun la lisibilité et la prévisibilité nécessaires.
L’appartenance a-t-elle été la grande absente de notre présidence ? Monsieur le président de la commission des affaires européennes, j’ai entendu vos regrets, et je vous remercie de cette question, parce que c’est un mot-clé au cœur du triptyque de notre présidence. Cela va d’ailleurs de pair avec la volonté de la France de bâtir une Europe plus souveraine.
Pourtant – permettez-moi de le dire – les regrets que vous avez exprimés paraissent presque paradoxaux au moment où plusieurs peuples, ukrainien, moldave, géorgien, ont exprimé leur aspiration forte à intégrer l’Union européenne. Le sentiment d’appartenance ne doit pas se trouver seulement à l’extérieur de l’Union européenne ; il doit également être à l’intérieur. C’est cela que nous devons encourager et c’est ce que nous avons voulu faire. Nous sommes conscients que l’Europe apparaît trop souvent, à tort, comme une entité lointaine. Il faut changer cela : nous devons conquérir les cœurs et les esprits plus encore que nous ne le faisons déjà. Cela a été l’un des axes de notre présidence, par le truchement de débats citoyens qui ont été menés pendant un an.
L’appartenance, c’est d’abord ressentir la force et la singularité de notre modèle, de nos valeurs, de nos convictions, de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux. À l’extérieur, l’Ukraine nous y appelle ; à l’intérieur, nous devons encourager le sentiment d’appropriation européen. Pour résumer, au cours de ce semestre, face à la guerre en Ukraine, le sentiment d’appartenance de tous les Européens n’a pas diminué ; il s’est accru.
Monsieur le sénateur Pierre Laurent, l’accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande n’est pas un accord mixte ; c’est bien un accord signé par l’Union européenne dans le cadre de ses compétences, au sens des institutions européennes. Il revient donc au Parlement européen de se prononcer, et il le fera. Sur le fond, il s’agit d’un bon accord, le plus ambitieux en matière de développement durable que l’Union européenne n’ait jamais conclu, sur le modèle qui nous conduit désormais à intégrer des clauses environnementales et sociales dans les accords de nouvelle génération. Ce n’était pas le cas précédemment s’agissant des accords commerciaux. Cet accord protège nos filières agricoles sensibles et 200 indications géographiques. Le Gouvernement viendra – j’en prends l’engagement – vous en présenter les enjeux.
Mme Guillotin s’est interrogée sur la ruralité et l’attention portée à la politique agricole. Là encore, notre action a été marquée par la guerre en Ukraine, une réalité qui s’est imposée à tous. Elle a permis de conforter trois objectifs cardinaux.
Le premier est la production. Alors que les pays du Sud sont exposés à l’insécurité alimentaire, dont la Russie porte l’unique responsabilité par son blocus et la guerre qu’elle mène, par les exactions qu’elle continue de perpétrer, notre continent doit plus que jamais être un continent de production et d’exportation.
Le deuxième est la réduction de nos dépendances. En matière agricole, nous dépendons trop souvent des intrants qui viennent d’ailleurs, par exemple de Russie et de Biélorussie pour les engrais phosphorés. (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Nous devons donc reconquérir notre autonomie stratégique.
Le troisième est la contribution à la lutte contre le réchauffement, à la préservation de nos écosystèmes et à la protection de la biodiversité. Cela reste un impératif de long terme, qui requiert des actions dès maintenant.
Ces trois objectifs ne sont pas incompatibles entre eux.
J’en viens à la politique agricole commune (PAC). Le 23 mars, donc environ un mois après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, la Commission a autorisé la mise en culture de jachères pour libérer de nouvelles capacités de production. C’est un pas. Sans doute faut-il l’encourager et, si la guerre devait s’installer dans la durée, réfléchir à de nouvelles évolutions. (M. Laurent Duplomb proteste.) Nous avons souhaité permettre tout de suite d’accroître les capacités de production européennes.
En parallèle, parce que le marché des céréales – c’est d’ailleurs vrai des marchés alimentaires en général – est mondial, nous devons veiller à maintenir le marché ouvert. C’est ce que nous avons fait en agissant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le dernier conseil ministériel du 12 juin a ainsi permis d’interdire des restrictions à l’exportation pour le Programme alimentaire mondial (PAM). Nous agissons également au sein du Fonds international de développement agricole (FIDA), et nous dotons le PAM de moyens supplémentaires.
Nos trois objectifs de production, de réduction des dépendances et d’affirmation agroécologique ne pourront aller ensemble que si nous protégeons nos marchés contre des productions qui n’auraient pas les mêmes niveaux d’exigence sociale et environnementale. C’est tout l’objet des fameuses clauses miroirs (M. Laurent Duplomb s’exclame.), sur lesquelles la Commission a marqué sa disponibilité à avancer.
Nous en sommes au début – je vous le concède –, mais nous avons souhaité que notre présidence en pose le principe, monsieur le sénateur Alain Cadec, parce que la réciprocité des normes est essentielle. Il y va de l’efficacité de nos propres règles. Cela permet de s’assurer que les efforts demandés à nos producteurs ne se traduisent pas pour eux par une perte de compétitivité. Croyez-moi : nous suivrons de près ce dossier, ainsi que les propositions de la Commission.
Pour résumer, certains ont évoqué la « modestie » nécessaire à nos fonctions ; je parlerais même d’« humilité ». Je ne tomberai certainement pas dans l’autosatisfaction en laissant penser que rien n’aurait été fait avant nous et que nous aurions tout fait en six mois. Ce n’est pas cela, une présidence. Cela suppose de l’humilité, de la persévérance, une vision.
Nous prenons l’Europe telle que l’on nous la confie, et nous la rendons à ceux qui nous suivent, si possible, en meilleur état. C’est ce que nous avons fait. Je veux souligner le travail de tous ceux qui nous ont précédés, comme de tous ceux qui vont nous suivre. Tout le travail accompli, qui a été salué partout en Europe, a été possible grâce à votre aide, à l’impulsion du Président de la République et au soutien de nos forces vives et de nos citoyens.
Je souhaite répondre à M. Marie et à Mme Guillotin sur ce qui est un long combat de la France. La transposition de l’accord de principe trouvé à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la taxation du numérique n’a pas pu aboutir sous notre présidence. L’OCDE vient elle-même de se donner un peu plus de temps.
Vous avez évoqué le débat sur la réforme du fonctionnement de l’Union européenne. Le Président de la République a promis que nous n’aurions pas de tabou à cet égard. Ce débat, qui concernera peut-être la sortie de l’unanimité, devra porter sur la politique étrangère, mais aussi sur la fiscalité. Nous le souhaitons, même si certains de nos partenaires seront sans doute plus circonspects.
Il y aura beaucoup d’autres chantiers. Je fais toute confiance à la présidence tchèque et à celles qui suivront pour continuer à construire une Europe plus souveraine, plus unie et qui réponde aux attentes de nos peuples. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.)