Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.
2. Candidature à une commission
3. Allocution de M. le président du Sénat
4. Décision de la Russie de faire la guerre à l’Ukraine. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. Jean Castex, Premier ministre
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères
Mme Florence Parly, ministre des armées
5. Suspension des travaux en séance publique
Nomination d’un membre d’une commission
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Pierre Cuypers.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 25 février 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que l’armée russe intensifie, en ce moment même, ses attaques en bombardant Kharkiv, en resserrant son étau autour de Kiev, en donnant l’assaut à Marioupol et en prenant pour cibles les populations civiles, je souhaiterais que nous rendions, ensemble, hommage à la résistance du président Zelensky, des autorités et du peuple ukrainiens, qui affrontent avec bravoure l’invasion de leur pays. (M. le président du Sénat ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
C’est pour cette raison que j’ai voulu la présence, dans notre hémicycle, du drapeau de l’Ukraine, aux côtés des drapeaux français et de l’Union européenne.
Je voudrais adresser, en votre nom à tous, un salut fraternel au président de la Rada de la République d’Ukraine, M. Ruslan Stefanchuk, et aux collègues parlementaires ukrainiens. Le parlement ukrainien a toute sa place dans la grande famille du parlementarisme européen.
J’aurais dû m’entretenir cet après-midi même par téléphone avec le président de la Rada, mais pour assurer sa sécurité il a dû se mettre, sans tarder, à l’abri des bombardements.
Mes chers collègues, dans l’hémicycle du Sénat, ce 25 février, sur l’initiative de notre collègue Christian Cambon et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées qu’il préside et en présence de l’ambassadeur d’Ukraine en France, les commissions des affaires étrangères et de la défense des parlements des vingt-sept États membres de l’Union européenne et du Parlement européen ont adopté, par consensus, une déclaration solennelle de solidarité à l’égard de l’Ukraine. Cette déclaration intervenait dans le cadre du volet parlementaire de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Mais au-delà de la manifestation de solidarité, la déclaration adoptée s’est voulue exigeante. Elle a demandé aux gouvernements européens et à la Commission européenne d’intensifier encore les mesures prises à l’encontre de la Russie et d’amplifier le plan de soutien au Gouvernement ukrainien, qu’il s’agisse de l’aide humanitaire, des mécanismes de protection civile ou de la fourniture à l’Ukraine de tous les moyens nécessaires, y compris militaires.
En cet instant de gravité, il importe d’être à la hauteur des circonstances, car les destins de l’Ukraine et de l’Union européenne sont intimement liés : en Ukraine se jouent aussi la sécurité et les valeurs de l’Union européenne.
4
Décision de la Russie de faire la guerre à l’Ukraine
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la décision de la Russie de faire la guerre à l’Ukraine.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous informe que, au regard de l’évolution de la situation sanitaire, les orateurs pourront retirer leur masque lorsqu’ils s’exprimeront depuis la tribune.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en décidant, dans la nuit du 23 au 24 février, de déclencher une attaque militaire massive contre l’Ukraine, la Fédération de Russie a commis un acte de guerre qui enfreint toutes les règles du droit international, rompt avec tous ses engagements et bafoue les valeurs de paix et de liberté sur lesquelles le continent européen a construit son équilibre depuis plusieurs décennies.
Comme le Président de la République l’a souligné, nous faisons face à une situation de guerre, mais également à un tournant dans l’histoire de l’Europe et de notre pays.
Je veux le redire ici d’emblée : la France condamne de la manière la plus absolue cette agression cynique et préméditée.
En ces instants tragiques, je veux redire tout notre soutien au peuple ukrainien qui vit des moments terribles, ainsi qu’à toutes les victimes de ce drame, absolument inconcevable entre deux pays voisins en Europe au XXIe siècle.
Je veux également dire mon admiration au président Zelensky qui, depuis Kiev assiégée, mène le combat et fait face avec courage, responsabilité et dignité.
Je veux enfin saluer le travail remarquable de nos agents en poste à l’ambassade de France en Ukraine. Cette équipe, sous l’autorité de notre ambassadeur, Étienne de Poncins, œuvre dans des conditions particulièrement difficiles. Pour des raisons de sécurité, elle s’est déplacée hier de Kiev à Lviv. Nous restons extrêmement attentifs à sa protection.
Je veux aussi saluer plus largement le travail des agents de l’État qui, jour et nuit, se relaient pour porter assistance aux Français et marquer notre soutien aux autorités ukrainiennes.
La gravité de la situation m’a conduit à proposer, dès la semaine dernière, aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale et aux présidents de groupe et des commissions compétentes des deux assemblées de réunir sans délai un comité de liaison qui nous a permis de partager, vendredi dernier, des informations importantes et de répondre à l’essentiel des questions qu’ils ont bien voulu nous soumettre. J’ai invité hier, dans le même esprit, les candidats à l’élection présidentielle.
J’ai également souhaité répondre à la demande légitime que la représentation nationale tout entière puisse s’exprimer sur ce sujet de la plus haute importance, ce qui me conduit à vous soumettre aujourd’hui une déclaration au titre de l’article 50-1 de la Constitution portant sur le conflit en Ukraine. Cette déclaration sera suivie d’un débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France n’a pas ménagé ses efforts ces dernières semaines et ces derniers mois pour faire valoir, jusqu’au bout, la voie de la raison et de la paix.
Ce faisant, nous nous sommes inscrits dans la ligne constante qu’a suivie notre diplomatie vis-à-vis de la Russie du président Poutine depuis le président Chirac. Ce fut le cas dans le cadre du conflit en Géorgie avec le président Sarkozy. Ce fut le cas encore pour l’Ukraine depuis le premier jour des tensions, en 2013, et ensuite avec les accords de Minsk de 2014, signés alors que le président Hollande était à l’Élysée.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, en tant que présidente en exercice du Conseil de l’Union européenne, au regard aussi de ce que sont ses valeurs et l’idée qu’elle se fait de la paix et du mode de résolution des conflits, la France se devait, se doit, d’assumer son rôle. Les initiatives prises par le chef de l’État se sont multipliées, en liaison étroite avec nos partenaires européens et les États-Unis.
Ces efforts n’ont pas abouti. Vladimir Poutine a non seulement déchiré les accords de Minsk, mais il a aussi rompu tous les engagements qu’il avait pris dans les derniers jours. Il en porte la pleine et entière responsabilité.
Évidemment, la France n’a jamais sous-estimé le risque du scénario du pire. Nous observions avec nos partenaires et alliés le déploiement progressif d’un dispositif militaire massif en Biélorussie, aux frontières de l’Ukraine, en mer Noire : plus de 150 000 hommes, équipés des moyens les plus modernes. Ce dispositif militaire, le président russe nous assurait qu’il se retirerait une fois les exercices terminés, tout en appelant au dialogue diplomatique sur des garanties de sécurité pour la Russie, et tout en répétant que la Russie ne s’apprêtait pas à envahir l’Ukraine.
Vladimir Poutine a menti.
Il a menti à la communauté internationale, il a menti au Président de la République, il a menti à son propre peuple. Non, aucun génocide n’a eu lieu contre les populations russophones du Donbass. Non, il n’y a pas d’armes nucléaires sur le sol ukrainien. Non, M. Zelensky n’est pas à la tête d’un régime nazi, terme particulièrement infâme quand il est appliqué à un pays pleinement démocratique.
La suite, vous la connaissez : le 21 février, les masques sont tombés. La reconnaissance par le président de la Fédération de Russie des deux régions séparatistes de l’est de l’Ukraine, l’ordre donné aux forces russes d’occuper ces territoires et l’invasion de l’ensemble du territoire ukrainien depuis la Russie, la Crimée et la Biélorussie constituent le premier acte de cette crise qui sera sans doute longue.
Vladimir Poutine a ainsi fait le choix de la guerre. Il a fait le choix de vouloir inverser le cours de l’Histoire et de revenir sur les acquis qui avaient suivi la fin de l’Union soviétique. Il a pris le prétexte de la situation dans la région du Donbass pour violer la souveraineté territoriale et chercher à renverser le gouvernement légitime d’un pays de 44 millions d’habitants.
Face à cette agression inacceptable, il convient de réagir dans l’unité et dans la durée pour, à la fois, soutenir nos amis ukrainiens et ne pas laisser cet acte de guerre sans réponse ni conséquence.
Nous devons pour cela nous appuyer sur quatre principes d’action.
Le premier principe, c’est la fermeté.
D’abord, par respect pour le droit international, dans l’enceinte des Nations unies : la résolution présentée en urgence devant le Conseil de sécurité n’a pas été adoptée en raison du veto russe, mais elle a permis de démontrer l’isolement de la Russie, de même que les échanges, très intéressants, qui ont suivi en Assemblée générale et qui ont donné lieu à une condamnation extrêmement large et ferme par la communauté internationale.
Ensuite, par la mise en place de plusieurs trains de sanctions que nous avons voulu prendre très rapidement. Le Conseil européen, sous présidence française, a ainsi approuvé trois paquets de sanctions les 23, 25 et 27 février. Ces mesures prises en coordination avec nos alliés couvrent un éventail large des activités économiques russes.
Tout d’abord, nous avons décidé d’assécher la capacité de financement extérieur de l’économie russe. Depuis hier, quatre heures du matin, toutes les transactions avec les réserves de la banque centrale russe sont interdites et ses avoirs détenus à l’étranger sont gelés. Cette mesure est complétée par l’interdiction imposée à la majorité des banques russes d’accéder à la messagerie de transmission des paiements Swift.
Ce paquet de sanctions financières est inédit par son ampleur et ses effets sont déjà palpables : le rouble a dévissé de près de 30 % à l’ouverture des marchés lundi matin.
L’Union européenne a également fermé l’intégralité de son espace aérien aux aéronefs et aux compagnies aériennes russes, y compris l’aviation d’affaires.
En outre, les avoirs et les ressources économiques détenus et contrôlés par les personnes sur lesquelles s’appuie le pouvoir de Vladimir Poutine ont été gelés. Les personnes visées – 476 à ce jour – ne pourront plus accéder à leurs avoirs détenus dans les pays ayant pris ces sanctions, qui comprennent la Suisse et Monaco – j’insiste sur ce point, parce que nous y avons pris notre part –, et elles ne pourront plus s’y rendre. Vladimir Poutine fait d’ailleurs partie de la liste des personnes sous sanction, tout comme Sergueï Lavrov.
Par ailleurs, les différentes coopérations entre l’Union européenne et la Russie dans les domaines industriel, scientifique, culturel ou sportif sont suspendues.
Le Conseil européen a également demandé la préparation d’un paquet de sanctions – ce sera le quatrième – contre la Biélorussie, qui a pris une part très active dans cette agression.
Les échanges se poursuivent pour aller plus loin. Nous y sommes prêts. L’essentiel était d’agir rapidement, de bien cibler nos mesures pour qu’elles produisent un effet massif sur l’économie russe, à court terme bien sûr, mais aussi et surtout dans la durée, quitte à les durcir encore au cours des prochains jours.
Évidemment, ces sanctions ne seront pas indolores pour les économies européennes. Nous le savons et nous vous proposons de l’assumer, sauf à se contenter de mesures sans réelle portée. Bien sûr, nous savons que la Russie arrêtera à son tour des contre-mesures et nous devons nous tenir prêts.
Nous devons accompagner nos concitoyens et nos entreprises afin qu’ils supportent au mieux les impacts économiques de ces mesures, notamment les probables tensions sur les approvisionnements et les prix de certains produits. À la demande du Président de la République, le Gouvernement prépare à cet effet un plan de résilience qui sera finalisé dans les tout prochains jours et, si ce plan nécessitait l’adoption de mesures législatives, nous demanderions évidemment leur inscription à l’ordre du jour du Parlement.
Je pense en particulier à certaines de nos filières industrielles et agricoles ; comment ne pas évoquer ce dernier secteur au moment où se tient le Salon international de l’agriculture ?
Je pense aussi aux ménages, notamment en tant que consommateurs d’énergie, et d’autant plus qu’un mouvement de hausse très puissant les affecte déjà très fortement depuis plusieurs mois.
Pour tous ces acteurs de notre vie économique et sociale, des mesures très fortes de protection ont déjà été prises depuis septembre dernier. Le bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie a ainsi permis de consacrer plus de 16 milliards d’euros à la protection de nos concitoyens et de nos entreprises face à la hausse des prix de l’énergie. Ces mesures d’accompagnement et de protection seront prolongées et renforcées autant que nécessaire, sur la base des travaux en cours.
Mais c’est bien la Russie qui va souffrir le plus des conséquences de ces sanctions. La guerre unilatérale et injustifiée que Vladimir Poutine a déclenchée doit avoir un coût élevé pour lui et ses soutiens.
Le deuxième principe de notre action, c’est la solidarité avec le peuple, le gouvernement et le parlement ukrainiens. Cette solidarité, le Président de la République l’a réitérée au président Zelensky lors de leurs entretiens quasi quotidiens.
Cette solidarité, nous l’exprimons symboliquement par le maintien de notre représentation diplomatique – elles sont peu nombreuses à continuer d’être présentes – et par l’attention permanente que nous portons à nos ressortissants.
Ce sont environ un millier de nos compatriotes qui vivent en Ukraine – certainement moins à cette heure. Nous sommes en contact avec eux dans le cadre du dispositif mis en place par le centre de crise et de soutien sous l’autorité du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Des équipes consulaires ont été déployées aux postes-frontières dans les pays limitrophes pour accueillir nos concitoyens qui veulent et peuvent quitter le pays ; selon les chiffres disponibles ce matin, 252 d’entre eux sont partis. Hier, vous le savez, la possibilité de quitter Kiev par le sud leur a été signalée.
Nous exprimons aussi notre soutien à l’Ukraine par un appui économique renforcé portant sur 300 millions d’euros d’aide immédiate.
Nous soutenons également les forces armées ukrainiennes – je sais que c’est un sujet qui vous préoccupe – avec des livraisons de carburant et de matériel militaire, y compris de l’armement, en liaison avec nos partenaires européens ; Mme la ministre des armées aura l’occasion d’y revenir. Nous continuerons de le faire aussi longtemps que nécessaire.
Nous nous préparons, au niveau de l’Union européenne, à faire face aux conséquences humanitaires de cette crise. Je pense évidemment en particulier à l’afflux de réfugiés, dont on peut craindre qu’il soit massif. Le mécanisme de protection civile de l’Union européenne a d’ores et déjà été activé : dans ce cadre, 33 tonnes de matériel humanitaire parties de Paris sont déjà arrivées à la frontière ukrainienne. Les acheminements se poursuivent cette semaine, incluant de l’aide médicale ; il y en a tous les jours.
La France soutiendra aussi les pays frontaliers de l’Ukraine qui accueilleront les réfugiés et nous proposerons, dans le cadre de la présidence du Conseil de l’Union européenne, qu’un dispositif de solidarité permette une juste répartition des efforts d’accueil de ces réfugiés entre les pays de l’Union. Bien entendu, nous y contribuerons nous-mêmes.
Je veux aussi souligner la forte mobilisation spontanée de nos concitoyens, des collectivités territoriales ou encore du milieu associatif pour apporter une aide humanitaire au peuple ukrainien. Cet élan de générosité fait honneur à la France et, bien entendu, l’État l’organisera et l’accompagnera.
Troisième principe de notre action, l’unité.
Tout ce que nous faisons – c’est une condition d’efficacité –, nous le décidons conjointement avec nos partenaires au sein de l’Alliance atlantique comme de l’Union européenne.
Vous l’avez vu et constaté comme tous nos concitoyens : la réponse de l’Europe a été unitaire, rapide, forte. Cette unité, cette rapidité, cette intensité ont surpris, y compris, sans doute, le président Poutine.
Cette unité, cette rapidité, cette intensité sont inédites. Nous pouvons collectivement en être fiers. Nous pouvons être fiers du rôle que la présidence française a pu jouer pour les stimuler, car la France, le Président de la République et le Gouvernement – c’est notre rôle – sont à la manœuvre et à l’initiative.
Tout cela nous montre plus largement le cap : faire des Européens les acteurs de leur sécurité collective et renforcer leur souveraineté. Cet enjeu que, je vous le rappelle, la France porte depuis longtemps – ai-je besoin de faire référence au discours prononcé par le Président de la République à la Sorbonne il y a quelques années ? – sera au cœur du prochain Conseil européen des 10 et 11 mars prochains qui examinera notamment le projet de boussole stratégique que nous avions, dès avant le début de cette crise, placé au premier rang des priorités de la présidence française.
Le quatrième principe, enfin, sans doute le plus difficile à appliquer en ce moment, c’est le maintien du dialogue.
Comme je vous l’ai déjà dit, la diplomatie française n’a jamais ménagé ses efforts pour éviter cette crise et chercher inlassablement le chemin de la désescalade.
Le Président de la République s’est personnellement engagé et continue de le faire. Nous restons persuadés que la diplomatie a encore toute sa place pour mettre fin à la guerre et nous continuerons de dialoguer avec tous les protagonistes de cette crise, sans relâcher nos efforts et sans céder sur les principes du droit et du respect de la souveraineté des États.
Ce dialogue est indispensable, mais, si Vladimir Poutine ou ses collaborateurs souhaitent négocier, ils doivent d’abord faire taire les armes. Encore hier, le chef de l’État s’est entretenu longuement avec le président russe. Il a réitéré la demande de la communauté internationale d’un cessez-le-feu immédiat. Il a appelé au respect du droit international humanitaire et de la protection des populations civiles comme de l’acheminement de l’aide, conformément à la résolution portée par la France au Conseil de sécurité des Nations unies.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette crise sera longue et aura des conséquences majeures sur l’avenir de l’Europe, mais pour autant c’est bien le droit, la paix et la démocratie qui devront à la fin en sortir vainqueurs.
Nous assistons au premier acte. Il n’est pas terminé et, sans surprise, il fait apparaître le déséquilibre des forces en présence, mais aussi le courage admirable du peuple ukrainien et la mobilisation inédite de la communauté internationale.
Nous avons toujours été clairs et nos amis ukrainiens l’ont d’emblée compris : un pays comme la France ne peut recourir à la force que si elle est directement attaquée ou dans le cadre des systèmes d’alliance dont elle fait partie.
L’Alliance atlantique dont nous sommes membres est une alliance défensive. Elle se défend lorsque l’un de ses membres est agressé, et l’Ukraine n’est pas membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Mais il n’y a aucun doute sur le fait que nous serions amenés à nous engager militairement pour la protection de nos alliés de l’Europe de l’Est si le conflit devait connaître d’autres extensions au-delà du territoire ukrainien, dans les pays membres de l’Alliance.
Le Président de la République a d’ores et déjà décidé de renforcer notre participation au dispositif de l’OTAN dans les pays baltes, en Pologne et en Roumanie. Tout en restant engagée dans l’approfondissement de l’Europe de la défense, la France tient sa place de membre actif, solidaire et impliqué dans l’Alliance atlantique. À ce titre, je rappelle que nos forces armées participent sans interruption depuis plusieurs années à la réassurance de nos alliés orientaux, notamment dans les pays baltes où notre engagement va se poursuivre à terre et dans les airs. Nous allons également prendre la tête, en tant que nation-cadre, d’un bataillon multinational qui va se déployer cette semaine en Roumanie.
Nous faisons cela, parce que nous le devons, mais aussi parce que nous le pouvons. Je veux ici rappeler à la représentation nationale et à l’ensemble de nos concitoyens que, si nous le pouvons, c’est parce que le Président de la République a su donner depuis 2019 une inflexion forte aux moyens affectés à notre défense nationale. (Murmures appuyés sur les travées du groupe Les Républicains.) En effet, ce sont les chiffres, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi de programmation militaire a porté les crédits du ministère des armées de 31 milliards d’euros par an à 41 milliards.
Nous devons désormais tout mettre en œuvre, collectivement, pour écrire les actes suivants de cette crise. Elle va s’inscrire dans le temps long. Le peuple russe va être, lui aussi, la victime collatérale des décisions de Vladimir Poutine – peut-être n’en a-t-il pas encore conscience, abreuvé par une propagande médiatique qui travestit la réalité des faits. Je ne suis pas certain que ce soit le destin qu’il ait choisi, car le peuple russe est un grand peuple.
Les efforts de guerre qu’il faudra payer, les sanctions économiques subies, la mise au ban des nations vont appauvrir et isoler la Russie au détriment de son peuple qui n’a évidemment pas été consulté par son président. Nous devons nous adresser au grand peuple russe et clairement mener la bataille de la communication, dans un cadre partenarial, comme nous avons commencé à le faire avec les chaînes d’information, ou plutôt de désinformation, contrôlées par le pouvoir russe.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, l’agression de l’Ukraine par les forces de Vladimir Poutine va bien au-delà d’un simple conflit entre deux pays. Cette agression, qu’il qualifie dans son narratif d’« opération militaire », est en réalité une atteinte majeure aux principes les plus fondamentaux du droit international, de la souveraineté et de l’intégrité des États. Ces bruits de botte à l’est de l’Europe nous replongent dans des périodes de l’Histoire que nous pensions durablement derrière nous.
À cela, nous voulons répondre différemment et collectivement, en privilégiant la plus grande fermeté dans nos actions, l’unité avec nos alliés et nos partenaires européens et surtout la solidarité sans faille avec le peuple ukrainien et ses dirigeants, qui, par leur résistance, leur dignité, leur courage, forcent notre admiration et nous obligent. Nous devons être à leurs côtés pour les soutenir, aujourd’hui et demain, par tous les moyens utiles.
À la fin des fins, nous devrons toujours chercher à privilégier l’arme de la diplomatie, la seule qui vaille dans nos démocraties. Nous le ferons, en nous adressant aux peuples russe et ukrainien, deux peuples matures auxquels nous rappellerons incessamment que la voie de la force et de l’impérialisme finit toujours par conduire à l’impasse.
Si aujourd’hui les chars russes envahissent Kiev et non pas Budapest ou Prague, c’est justement parce que l’Europe a su construire avec ses partenaires, autour d’aspirations communes, un ensemble sûr, uni, prospère. Le peuple ukrainien aspire, dans sa majorité, à rejoindre cet ensemble, à s’associer à ce mouvement. Ce mouvement reprendra assurément, car c’est le sens de l’Histoire. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon, ainsi que MM. Olivier Cigolotti et Hervé Maurey, applaudissent également.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre est de retour en Europe et, avec elle, ces images que nous pensions appartenir définitivement au passé : les sirènes hurlantes dans les villes ukrainiennes, la population qui se masse sous terre et les civils – femmes, enfants, vieillards – qui sont jetés sur les routes de l’exode.
L’Histoire est de retour et se rappelle à nos mémoires. Il règne actuellement dans toute la France et dans tous les esprits une émotion légitime. Parce que nous sommes parlementaires, nous nous astreindrons à un devoir patriotique d’unité. Je ne détournerai pas mon propos par des considérations politiques. Je veux m’en tenir à l’essentiel.
Parce que nous sommes parlementaires, des hommes et des femmes publics, nous devons répondre à deux questions essentielles. Premièrement, que faut-il faire ? Deuxièmement, quelle est la signification de cette guerre ? Le Président de la République a évoqué, à juste titre, un tournant : comment se préparer au monde d’après ?
Tout d’abord, que faire ? Il convient de parler clair et de désigner l’agresseur. Certes, des erreurs occidentales ont pu être commises dans le passé, mais j’affirme solennellement à cette tribune qu’aucune erreur ne saurait ni expliquer ni excuser l’agression et l’offensive armée de Vladimir Poutine contre l’Ukraine, un État libre et indépendant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
Poutine a maquillé cette agression, qu’il mène pour de mauvaises raisons, avec une rhétorique grossière : monsieur le Premier ministre, vous avez vous-même souligné que les termes de « nazification » et de « génocide » étaient hors de propos. Ce sont précisément les nazis qui ont attaqué Kiev en 1941 !
Au-delà du terme de génocide, le crime contre l’humanité correspond précisément à ce qu’ont vécu les Ukrainiens lors de l’Holodomor, la famine voulue par Staline en 1932. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
Vladimir Poutine mène cette guerre pour de mauvaises raisons. Il ne supporte pas la présence d’un pays démocratique à la frontière occidentale de la Russie. Alors que certains fêteront – si j’ose dire – le centième anniversaire de la naissance de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), il a en outre choisi d’attaquer un pays frère, l’Ukraine, afin, selon lui, de laver la grande humiliation de l’effondrement de l’URSS. Je tiens à cet égard à rappeler l’une de ses phrases prémonitoires, prononcée en 2005 : « Celui qui ne regrette pas l’Union soviétique n’a pas de cœur, celui qui souhaite son retour n’a pas de tête. » Poutine veut, à lui seul, rassembler toute l’histoire russe, des tsars jusqu’aux soviets.
Monsieur le Premier ministre, vous avez raison : nous devons mener la guerre de l’information – nous en parlions lors du débat nous ayant réunis au sujet du Sahel. Nous pouvons prendre exemple sur le président Zelensky qui se filmait devant des bâtiments publics de Kiev ce week-end.
Nous devons mener cette guerre en dissociant le régime russe du peuple russe. Ce grand peuple et cette âme slave ont donné à l’humanité ses plus grandes œuvres littéraires et ses plus grands écrivains tels que Tolstoï, Dostoïevski, Soljenitsyne, ou encore un académicien français, Andreï Makine.
Au-delà du « parler vrai », nous devons agir vite et fort. Vladimir Poutine a parié sur notre incapacité à défendre nos valeurs et nos intérêts, pensant que notre réaction se limiterait à des protestations officielles et à des indignations outragées. Quel bonheur de voir qu’il s’est trompé magistralement ! (M. le Premier ministre et M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement opinent.)
Lors du coup de force du Kremlin contre Berlin en 1961, le général de Gaulle, en évoquant l’impérialisme soviétique, disait que tout recul pouvait avoir pour effet de surexciter l’adversaire. Or seul compte le rapport de force pour Vladimir Poutine. Comme vous, je suis attaché à la négociation afin de trouver demain un compromis et un chemin pour la paix. Mais nous n’y parviendrons que si nous installons au préalable un rapport de force avec lui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
Je me réjouis des sanctions qui ont été décidées. La semaine dernière, je trouvais que celles-ci étaient trop graduelles et pas assez importantes – monsieur le Premier ministre, nous en avions parlé à Matignon. Mais depuis les mesures prises ce week-end, je n’ai jamais vu de sanctions aussi massives et aussi rapides dans l’Histoire récente.
Je veux dire à ceux qui doutent que l’économie russe sera certes touchée, mais que les sanctions sont un signal à la mesure de notre détermination. D’aucuns les critiquent en arguant que nous en pâtirons et que nous ferons face à des représailles. Nous devrons alors convoquer le « quoi qu’il en coûte » de l’État qui, cette fois, sera légitime.
Personne ne veut mourir pour Kiev. Nous n’allons pas faire d’une guerre régionale une guerre mondiale. Mais si personne ne veut agir pour Kiev, alors cessons la gesticulation et rendons-nous en cortège à Munich : nous pourrons alors nous abandonner à ce monde sans Histoire décrit par Vaclav Havel et rythmé par les petits soucis privés. Bien évidemment, nous ne voulons pas de ce monde pour nous et nos enfants.
Alors, que devons-nous faire ? Rien de moins que ce que vous accomplissez sur l’initiative du chef de l’État, monsieur le Premier ministre. En renforçant les positions orientales de l’OTAN en Pologne, en Estonie, mais aussi en Roumanie, nous envoyons à la fois un message de détermination et de fermeté, mais surtout un message d’unité.
J’observe au passage que le président de la Fédération de Russie aura finalement réussi à réveiller l’OTAN, prétendument en état de mort cérébrale. Celui-ci sera peut-être parvenu à créer l’Ukraine. En ce qui nous concerne, nous étions convaincus de l’existence de l’Ukraine, mais Poutine a suscité un élan national jamais vu dans le pays.
Nous devons aider le peuple ukrainien par tous les moyens. Comme je l’ai dit dans d’autres lieux, nous devrons accepter de recevoir des réfugiés, principalement des femmes et des enfants. Ce sera à l’honneur de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – MM. Martin Lévrier et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Faut-il accepter précipitamment l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ? Nous devons être prudents, car cette initiative pourrait être contre-productive, non seulement pour l’Ukraine, car nous ne devons pas jeter de l’huile sur le feu alors que nous recherchons le chemin de la paix, mais aussi pour l’Europe, qui se diluerait alors dans des élargissements successifs.
De nombreux moyens s’offrent à nous pour aider l’Ukraine. Mais toutes ces actions ne doivent jamais nous faire oublier la recherche de la désescalade. Tous les canaux de la voie diplomatique doivent rester constamment ouverts. En tant que responsables publics, que nous soyons ministres, sénateurs ou députés, nous devons veiller à la grammaire et à notre vocabulaire, et ne pas nous laisser griser par des mots qui peuvent constituer autant d’agressions inutiles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Hervé Maurey et Olivier Henno applaudissent également.)
J’en viens à la seconde question : quelle est la signification de cette guerre ? Pour la communauté internationale, celle-ci souligne la grande fragilité des institutions multilatérales. L’ordre mondial issu de la Seconde Guerre mondiale est chancelant, de même que les grandes et belles illusions sur la fin de l’Histoire et l’unification de la planète sous les auspices du droit et du marché. Quelque vingt et un ans après les attentats du 11 septembre, nous entrons définitivement dans le XXIe siècle. Malheureusement, nous y entrons avec les institutions que nous a léguées le XXe siècle.
Nous devrons faire montre de beaucoup d’imagination et d’audace pour jeter les bases d’un nouveau multilatéralisme. Le lien entre les États-Unis et l’Europe devra être refondé – ce sera plus aisé pour la France que pour certains de ses partenaires. Nous devrons nous inspirer de la formule d’Hubert Védrine à propos des relations entre la France et l’OTAN : « Amis, alliés, mais pas alignés ». Il nous faudra construire un vrai pilier européen au sein de l’OTAN.
Lorsque j’entends le chancelier allemand, j’ai le sentiment que nous sommes à la croisée des chemins. Nous disposons d’une occasion historique de construire une défense européenne.
Madame la ministre des armées, nous occupons une position singulière : la France est le seul pays de l’Union européenne à détenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que l’arme nucléaire. Le modèle de notre armée est complet et notre diplomatie, fondée sur l’équilibre, nous permet d’entretenir des relations non seulement avec l’Est et l’Ouest, mais aussi avec le Nord et le Sud.
L’Europe a connu un réveil brutal. Elle était façonnée pour un autre monde : nous avons cru, comme le soulignait Benjamin Constant, que l’âge de la guerre était terminé et que l’âge du commerce commençait. Or le tragique, la guerre et le rapport de force archaïque sont de retour. Nous avons affaibli notre souveraineté et nos capacités de puissance. Il faudra restaurer notamment notre souveraineté alimentaire, à l’heure où le programme européen Farm to Fork vise à diminuer notre production. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Il faudra restaurer notre souveraineté énergétique, à l’heure où tant d’observateurs préconisent de sortir du nucléaire, qui assure pourtant notre souveraineté. (Mêmes mouvements.)
Il faudra aussi rappeler au juge européen qu’en l’absence de transfert de compétence en la matière, il ne saurait y avoir de primauté du droit européen – en l’occurrence, la directive sur le temps de travail appliquée à nos militaires. (Mêmes mouvements.)
Il nous faudra également restaurer notre sécurité, non pas en la sous-traitant aux États-Unis, mais en la construisant nous-mêmes, sans doute avec les Britanniques au sein du pilier européen de l’OTAN et par le biais de grands programmes d’armement. Je ne crois pas à une armée européenne. En revanche, il existe un chemin que nous devons explorer.
Mes chers collègues, penser la puissance revient à écarter, au moins sur le moyen terme, la perspective fédéraliste, qui ne peut qu’affaiblir les nations, le seul instrument de puissance dont nous disposons aujourd’hui en Europe. Celles-ci sont le dépositaire de la volonté des peuples. La situation en Ukraine montre que la guerre est un choc des volontés. Si les nations peuvent coopérer, on sait depuis Périclès qu’il n’existe pas de meilleure arme que la volonté des peuples.
Je tiens à dire solennellement ce soir dans l’hémicycle du Sénat que le Président de la République a eu raison de qualifier cette guerre de « tournant historique ». Il nous faut trouver ce chemin français, celui de la liberté, de la souveraineté et de la Nation, car il correspond à l’histoire de la France et à la place qu’occupe la France dans l’Histoire. C’est ce que demande à cor et à cri le peuple ukrainien, les armes à la main.
Malraux, que vous lisez, monsieur le Premier ministre, disait que la France n’était elle-même que lorsqu’elle portait une part de l’espérance du monde. Aujourd’hui, la France porte une part de l’espérance du monde, ou plutôt une part de l’espérance ukrainienne.
Aujourd’hui, mes chers collègues, nous sommes tous ukrainiens. Vive la République, vive la France, et surtout vive l’Ukraine libre ! (Mesdames et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et SER.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 24 février, la Fédération de Russie a décidé, sur l’ordre de son président, Vladimir Poutine, l’invasion d’un autre pays souverain, l’Ukraine, en violation flagrante du droit international.
Une guerre se déroule sous les yeux du monde. Poutine a mis tout en œuvre pour cacher ses intentions, et désormais les morts et les blessés.
Mais le courage des Ukrainiens, notamment celui du président Zelensky, permet à la communauté internationale de prendre la mesure de la tyrannie de Poutine, qui résulte de trop nombreuses reculades – pour ne pas employer le mot de lâchetés.
Nous pensons à tous les Ukrainiens, ainsi qu’aux victimes de ce conflit qui n’a pas lieu d’être. Nous pensons à celles et ceux qui se sont établis en France et qui vivent dans la crainte pour leur famille et leurs amis restés là-bas. Nous pensons également à la communauté française résidant en Ukraine.
Comment ne pas y penser, nous qui pour beaucoup sommes liés par nos récits de vie à cette Europe de l’Est si souvent malmenée à travers l’Histoire ? Nos familles – ma famille – avaient trouvé refuge en France. Je pense aux familles d’Europe centrale, que celles-ci soient polonaises, tchèques, slovaques, roumaines, moldaves, bulgares, ukrainiennes, baltes, mais aussi russes. Toutes ont un jour trouvé un foyer dans notre pays. Alors, en m’exprimant à la tribune de la Haute Assemblée de la République, mes pensées sont imprégnées d’une émotion singulière.
Nous mesurons en ces instants que la guerre n’est pas le prolongement naturel de la politique, mais bel et bien la somme de la déraison et de la haine. Ici, dans ces travées, nombre d’entre nous sont nés et ont grandi dans un monde coupé en deux, dans lequel la menace du feu nucléaire planait de manière permanente. L’automne 1956 et le printemps 1968 avaient vu les cortèges d’espoirs décimés sous le poids des blindés et des bottes. Nous ne pouvons pas rester spectateurs de la répétition de l’Histoire et de ses pages le plus sombres.
Nous étions pourtant prévenus. Dans son discours d’adieu au Parlement européen, le 17 janvier 1995, le président François Mitterrand nous laissait un héritage à cultiver et nous disait : « Le nationalisme, c’est la guerre ! » Nous mesurons le poids de ses mots et notre engagement républicain doit être total au service de la construction de l’Europe.
Ces derniers temps, jusque dans notre propre pays, nous constatons la tentation d’opposer les Français entre eux, ou d’attiser les communautés entre elles. Nous combattrons cela avec la même énergie !
Le patriotisme ne se mesure pas aux harangues et aux coups de menton. Ceux qui crient à une prétendue identité surannée sont aux abonnés absents quand il s’agit de tenir le drapeau. En cela, ils ne sont que les héritiers de ce que la France a produit de pire à travers son histoire. Lorsque l’on se revendique français, enfant du pays des Lumières, il n’y a pas de place possible pour une parole politique dont le projet est justement la destruction méthodique de la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Je le dis clairement : face à Poutine, l’heure n’est pas au doute. Le président russe s’attaque à la liberté de conscience et à la liberté d’expression. Il s’attaque désormais au principe fondamental de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui ne peut être apprécié selon une géométrie variable et opportuniste, n’en déplaise à certains de ses anciens amis français.
Poutine réveille ainsi de vieux démons : ceux d’une Europe en guerre permanente et ceux d’un continent qui prenait les armes tous les trente ans. Nous le réaffirmons ici : le projet de renaissance des anciens empires sur la scène internationale est l’une des sources les plus inquiétantes pour la stabilité du monde et pour la paix.
La mémoire de deux guerres mondiales a conduit l’humanité à se doter d’organisations internationales, afin d’éviter que les attitudes expansionnistes et paranoïaques de quelques dirigeants ne débouchent sur de tels drames. Poutine omet volontairement ces souvenirs dans le récit révisionniste de l’Histoire qu’il souhaite imposer. Voilà où peut mener le roman national lorsque la falsification remplace le travail des historiens.
Poutine est un prédateur et l’Ukraine n’est que la première marche de son projet impérialiste. Sa décision marque la pire des situations permises par un régime dictatorial. Mais il n’y a pas de fatalité. Le meilleur de la Russie se trouve dans le cœur du peuple russe. Je veux saluer le courage de ces femmes et de ces hommes qui ont manifesté à Moscou, à Saint-Pétersbourg, jusqu’en Sibérie et à Minsk également, malgré le danger que représentait l’interdiction décidée par le pouvoir. (Applaudissements.)
Je salue également les mouvements sportifs et culturels, qui ont su prendre leurs responsabilités.
Nous disons au peuple russe, trop souvent manipulé, que la France, l’Union européenne et le monde se tiendront à leurs côtés pour reconstruire la paix le moment venu.
Oui, nous voulons la paix, la tempérance, la sérénité pour notre génération et les générations futures, ici et partout dans le monde ! Les opinions publiques nous y invitent. C’est grâce au soutien des opinions publiques que l’Union européenne progresse comme elle ne l’avait pas fait depuis si longtemps.
Nous savons aujourd’hui, à l’épreuve des faits, que l’Europe de la défense ne doit plus être un vœu pieux. Sans porter atteinte à la souveraineté des États membres, elle est la garantie d’une véritable diplomatie européenne. Elle en représente la crédibilité et l’indépendance.
Comme vient de le souligner Bruno Retailleau, le projet européen doit être réécrit, y compris à l’aune de la pensée de ses pères fondateurs, plus que jamais d’une terrible actualité.
La mobilisation des peuples libres en faveur de la paix est réelle, et celle du peuple ukrainien doit être prise en compte. Nous devons nous entendre rapidement sur sa demande d’adhésion à l’Union européenne et trouver ensemble les voies et les moyens appropriés pour y répondre. (Murmures désapprobateurs sur des travées du groupe Les Républicains.)
D’ores et déjà, je propose que nous accueillions les réfugiés ukrainiens dans les meilleures conditions possible en leur octroyant provisoirement les mêmes droits que ceux détenus par les citoyens européens, afin qu’ils puissent se reconstruire un avenir.
La France devra prendre toute sa part dans l’application de la directive de 2001 relative à la protection temporaire. Pas moins de 7 millions de personnes seraient concernées, selon l’Union européenne. Je pense à ces femmes, à ces enfants et à ces personnes âgées, et je dénonce l’ignominie des propos tenus hier matin par l’un des candidats d’extrême droite à l’élection présidentielle française. (Mme Sophie Primas opine.)
Face au déferlement militaire, les mesures prises doivent être implacables. La plupart de nos demandes ont été entendues : la Russie a été exclue du système Swift, l’Union européenne a suspendu la diffusion de Russia Today (RT) et de Sputnik, ainsi que des messages d’intoxication de l’information propagés par le Kremlin. Le Gouvernement s’est engagé à envoyer des équipements et du matériel afin d’aider la résistance ukrainienne.
À ce stade, les sanctions sont là. Certains en discutent l’efficacité réelle ; pour notre part, nous considérons qu’elles sont nécessaires.
Nous demandons également au Gouvernement de prendre l’engagement ici de ne pas reconnaître, s’il devait advenir, un pouvoir fantoche en Ukraine, marionnette de la Russie.
Ces sanctions sont nécessaires, même si elles demanderont des efforts en retour. Nous devons les anticiper dès aujourd’hui : toutes les inégalités sociales, qui sont déjà insupportables, pourraient s’accentuer si l’on ne s’y attaque pas avec détermination.
Pour compenser les conséquences économiques à venir des décisions que nous avons portées, il faut nous atteler dès maintenant à construire un bouclier de justice sociale qui protégera les Français, particulièrement les plus fragiles, éventuellement en demandant un effort exceptionnel aux ménages qui ont le plus profité de ce quinquennat.
Cette question sociale n’est pas que conjoncturelle, mes chers collègues. Il faut avoir conscience que les inégalités sont le creuset des crises à venir, comme le sont aussi les questions environnementales et énergétiques. Nous devons prendre dès aujourd’hui la mesure des défis qui sont devant nous et agir sans délai, comme nous presse de le faire le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), lequel nous alerte sur les conséquences déjà irréversibles du réchauffement climatique.
Je le disais, personne sur ces travées, comme nulle part ailleurs, ne veut la guerre : nous recherchons le retour à la paix. Les pays baltes, les Balkans et l’ensemble des pays à proximité géographique de la Russie doivent savoir que nous sommes à leurs côtés.
Cet engagement pour la paix va de pair avec la confiance dans nos armées. Mon groupe a toujours soutenu le renforcement de nos capacités afin qu’elles aient les moyens opérationnels de mener toutes leurs missions de protection. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le Premier ministre, pour continuer dans cette voie.
Je salue d’ores et déjà l’engagement de nos militaires, prêts à toute éventualité, et je leur exprime notre profond respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes GEST, INDEP, UC et Les Républicains. – M. Pierre Laurent applaudit également.) Car tout démontre que c’est dans le rapport de force, y compris militaire, avec Poutine que la voie de la diplomatie pourra être retrouvée. Lui seul nous oblige à réagir ainsi. Ses crimes contre les civils en Ukraine relèveront aussi, un jour, de la Cour pénale internationale : je demande que la France prenne toute initiative en l’espèce. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Aucun traité ne saurait être arraché par la force ; c’est d’égal à égal, sous la protection de l’ensemble de la communauté internationale rassemblée au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), que l’Ukraine et la Fédération de Russie doivent définir les modalités de leur coexistence.
Je souhaite aussi attirer l’attention sur la nécessité du respect du Parlement, monsieur le Premier ministre. Nous sommes une démocratie – c’est aussi notre différence –, et l’exécutif a un devoir d’information du Parlement en cette période de crise sur la question des moyens à apporter à l’Ukraine, tant militaires qu’humanitaires, sur les modalités d’accueil des réfugiés en France, sur les positions prises dans les différentes organisations internationales.
De tout ce qui est mis en œuvre à chaque instant, le Parlement, je le répète, doit être informé. À cet égard, je vous remercie de l’initiative que vous avez prise de réunir voilà quelques jours les présidents des deux chambres et les présidents de groupe.
Plus que jamais, nous voulons souligner que le multilatéralisme est un outil de conquête de la paix et du progrès de l’ensemble des peuples du monde.
Mes chers collègues, je veux dire au nom de mon groupe, au nom du parti qui est le mien, comme sénateur socialiste et comme citoyen, qu’avant toute considération, à l’instar de tous les Français, nous sommes républicains : nous croyons à la force, à la sagesse, à la beauté de la République, ce projet de fraternité universelle que la Nation s’est choisi il y a plus de deux siècles et auquel elle a régulièrement démontré son attachement, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale.
Plus que jamais, dans la tempête et devant les incertitudes, nous affirmons que nous défendrons cette flamme, car elle est un phare dans le monde. En ce sens, sans rien concéder ni de la richesse de nos différences ni de la puissance du débat démocratique, nous prenons l’engagement de travailler avec détermination et vigilance dans l’unité républicaine pour parvenir à passer tous ensemble cette terrible épreuve pour la France, pour l’Europe et pour le monde.
Mes chers collègues, l’Ukraine nous oblige, l’Ukraine martyre mène un combat à mort pour la liberté, non seulement la sienne mais aussi la nôtre. Permettez-moi de saluer ici l’extraordinaire bravoure et, peut-être, le sacrifice suprême du président Zelensky, qui, cette après-midi, dans un échange avec les parlementaires européens, a proclamé : « Ne nous lâchez pas, la lumière doit vaincre l’obscurité ! »
Gloire à l’Ukraine ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe SER se lèvent et applaudissent vivement. – Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, au sixième jour de ce terrible conflit, alors que les chars russes sont aux portes de Kiev, mes premières pensées vont au peuple ukrainien et à ses dirigeants, qui font preuve d’un courage et d’un héroïsme forçant l’admiration.
Mes pensées vont également à nos compatriotes, pris au piège de la guerre aux portes de l’Europe.
Après avoir annoncé, le 21 février, la reconnaissance de l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass, Vladimir Poutine a commis l’irréparable en pénétrant en Ukraine à l’aube du 24 février, réduisant à néant les accords de Minsk, qui portaient l’espoir d’une solution diplomatique. Pis, il se justifiait en réaffirmant sa volonté de « démilitariser » et de « dénazifier » le pays, tout en le protégeant d’un « génocide » programmé…
Cette guerre est décidément celle de la désinformation et de l’image, une guerre de l’intox visant à déstabiliser une armée sur le plan psychologique.
Mais tout cela était sans compter sur la capacité de résistance de l’armée ukrainienne, sans compter sur la détermination du président Volodymyr Zelensky, sans compter sur la capacité de réaction unifiée de l’Europe.
Le délire paranoïaque de Vladimir Poutine l’a amené à justifier cette intervention militaire en invoquant l’article 51 de la Charte des Nations unies relative à la légitime défense.
« La sécurité absolue d’un acteur implique l’insécurité absolue de tous les autres », écrivait Henry Kissinger en parlant de l’URSS. Cette phrase est plus que jamais d’actualité et résume à elle seule la schizophrénie de Vladimir Poutine. Après l’Ukraine, quel sera le prochain pays à faire l’objet des velléités du dirigeant russe ? La Moldavie ? La Géorgie ?
Le maître du Kremlin, depuis son accession au pouvoir, n’a cessé de déclarer que le droit de sécession des quinze républiques de l’ex-URSS était une erreur historique et que la dislocation du bloc socialiste était la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Comment un homme seul peut-il décider du destin de tout un peuple ?
En bafouant les règles du droit international, Vladimir Poutine s’est isolé du reste du monde. Face à la résistance ukrainienne et à la détresse de toute une population, l’Occident a retrouvé l’unité qui lui a longtemps fait défaut. En quelques heures, l’Europe de la défense a pris forme afin de répondre à la plus abjecte des provocations, certains pays allant même jusqu’à sortir de leur neutralité en appliquant les propositions de sanctions ou en proposant la fourniture d’armes létales.
Alors oui, les sanctions économiques étaient nécessaires et amplement justifiées, et constituent un premier niveau de réponses.
Le deuxième volet de mesures de rétorsion décidées ce week-end paraît totalement adapté à la situation et à son aggravation : la fermeture de l’espace aérien de l’Union européenne à la Russie, l’interdiction de la diffusion des médias d’État russes ou encore l’isolement du réseau bancaire Swift des marchés internationaux.
Pour autant, cela suffira-t-il à dissuader Vladimir Poutine de mener une offensive destructrice sur l’ensemble du territoire ukrainien ? Nous n’en avons aucune certitude et il est permis d’en douter.
À l’issue des sommets européens, des réunions du G7 et de l’OTAN, le chemin du dialogue reste possible. Même si, au sixième jour de cette offensive, l’intensité des combats ne faiblit pas, nous devons conserver et privilégier la voie diplomatique pour résoudre le conflit.
Les évènements de ces derniers jours marquent un tournant historique et plongent l’ensemble du continent européen dans l’incertitude. Pour autant, monsieur le Premier ministre, ne laissons pas croire à l’Ukraine qu’elle pourrait demain adhérer à l’Union européenne par le biais d’une procédure simplifiée qui n’existe pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Victoire Jasmin et M. Mickaël Vallet applaudissent également.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Olivier Cigolotti. Au-delà du drame humain qui se joue en ce moment, et sur lequel reviendra ma collègue Nadia Sollogoub, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, nous devons également nous préparer au risque et aux dommages collatéraux engendrés par cette crise majeure.
Un manque d’approvisionnement et une flambée des prix sont à craindre sur bon nombre de marchés internationaux de matières premières, tels que ceux du blé, du maïs, du gaz ou du pétrole. La volatilité des prix sur le marché de l’énergie sera particulièrement inquiétante.
La question des stocks actuels et les perspectives quant à nos approvisionnements en minerais et en métaux risquent d’être encore plus compliquées. Je pense notamment au palladium, au titane, indispensables à nos industries aéronautiques et de l’armement, ou encore au nickel, nécessaire à la fabrication de nos batteries.
Ces heures sombres démontrent que les vingt-sept pays de l’Union européenne sont en mesure de formuler des réponses communes, fortes et rapides, qui doivent nous amener également à renforcer plus encore nos partenariats européens et transatlantiques afin d’assurer la sécurité de nos territoires et de nos alliés.
Personnellement, je suis persuadé que la solution viendra du peuple russe, en contradiction avec la vision paranoïaque et velléitaire du dictateur du Kremlin.
Alors oui, monsieur le Premier ministre, l’heure est à l’unité et à la solidarité. Vive l’Ukraine et vive la France ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, si le peuple ukrainien et son président suscitent autant d’émotion, autant d’admiration, c’est parce qu’aujourd’hui, par leur courage, par leur détermination sans limite, ils ne défendent pas seulement leur nation et leur territoire : ils incarnent la volonté farouche de résister à l’arbitraire, à la soumission, à l’agression.
Ils aspirent à la souveraineté, à la liberté, à la démocratie ; ils défendent ces valeurs qui sont aussi les nôtres au prix du sacrifice ultime.
La résistance de ce peuple et de ces soldats aguerris face aux offensives militaires russes nous inspire. À ce titre, nous leur devons un soutien sans faille, ferme et déterminé, par des actes qui leur permettront de résister et de garder espoir, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le Premier ministre.
Je veux dire ici au président Zelensky tout notre respect, toute notre admiration. Il incarne le chef de guerre que tant de peuples rêvent d’avoir : héroïque, inflexible au milieu de ses hommes et prêt à périr pour son peuple et pour notre paix à tous.
Ce jeudi 24 février 2022, l’Europe s’est brutalement réveillée dans une ère de guerre. On le redoutait. Le Président de la République et le Chancelier allemand ont tout tenté, par la négociation, par la médiation, pour l’éviter.
Ce scénario du pire s’est finalement réalisé parce que le président russe, porté par son ivresse de puissance, a décidé de faire fi du droit international, des principes de souveraineté et d’intangibilité des frontières, pour agresser militairement un État souverain, pour envahir l’Ukraine, alors même que la Russie n’était ni agressée ni menacée.
Cette tragique bascule nous ramène à nos souvenirs les plus effroyables de la guerre froide. Aux quatre coins de l’Ukraine, ce sont désormais les sirènes d’alarme antiaérienne, les tirs, les explosions des bombes, les victimes civiles et militaires qui jalonnent les jours et les nuits.
Voilà deux heures à peine, une frappe russe a touché la tour de la télévision à Kiev. À elle seule, cette frappe a visé ce qui est de plus cher à nos yeux : la liberté d’expression et la liberté d’information.
À cette heure, j’ai aussi une pensée pour nos ressortissants sur place. Je remercie l’équipe de notre ambassadeur, Étienne de Poncins, qui poursuit l’accompagnement de nos concitoyens.
Mes chers collègues, on comprend, avec le recul, que l’allocution télévisée du président russe annonçant sa reconnaissance des républiques autoproclamées du Donbass, quatre jours avant le début de cette guerre, constituait les prémices de sa réelle intention. Cinquante longues minutes durant lesquelles nous avons assisté à une réécriture surréaliste de l’Histoire, un discours composé de fausses accusations contre l’Ukraine.
Les mots étaient minutieusement choisis pour poser les premières pierres de son mensonge. En l’espace de quelques jours à peine, les masques sont tombés, d’hallucinants motifs sont venus justifier son passage à l’acte. Qui peut croire qu’un « génocide » est en cours en Ukraine et qu’une « dénazification » est nécessaire pour la survie de la Russie ?
Dimanche, la pression a atteint son paroxysme lorsque, face à des résultats militaires limités et à la multiplication des gestes de soutien envers Kiev, Vladimir Poutine, dans une démonstration désinhibée de puissance, a déclaré mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat. Comment la Biélorussie peut-elle continuer à être complice d’une telle escalade mortifère ?
Vladimir Poutine voulait recréer l’URSS ; il a fait l’unanimité contre lui, il a réveillé l’Europe, il a redonné tout son sens à l’OTAN.
Ensemble, nous avons déconnecté notre ciel européen.
Nous faisons le choix d’accélérer la lutte contre la désinformation russe, au point d’aboutir à l’interdiction totale de deux outils de propagande du Kremlin, RT et Sputnik, sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. J’appelle les réseaux sociaux à se battre à nos côtés.
À l’unisson des autres pays occidentaux, nous avons déployé d’innombrables sanctions économiques, d’une force de frappe sans précédent : sanctions contre les réserves en devises de la banque centrale de Russie ; exclusion de plusieurs banques russes du réseau interbancaire Swift. Et bien d’autres encore.
La démarche est sans équivoque : provoquer une véritable onde de choc dans la société russe pour pousser les citoyens à remettre en question la propagande du Kremlin. Les premiers résultats sont là.
Ensemble, faisons le choix de l’unité et de la solidarité face à l’impact humanitaire et à la crise migratoire que cette guerre entraîne aujourd’hui. Pour la première fois, nous avons enclenché le dispositif de protection temporaire automatique, avec des mesures pour répartir l’accueil des réfugiés entre les pays membres.
Je saisis cette occasion pour remercier nos communes, nos intercommunalités, nos villes, nos régions, mobilisées pour accueillir des réfugiés ou pour contribuer à l’aide d’urgence en faveur du peuple ukrainien.
Je remercie les associations et je remercie nos concitoyens : leur élan de générosité fait l’honneur de la France.
Enfin, la nécessaire autonomie stratégique de l’Union européenne, évoquée par le Président de la République dès le discours de la Sorbonne en 2017 – vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre –, n’a jamais connu un écho aussi retentissant. Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne a annoncé débloquer 450 millions d’euros pour acheter des armes létales destinées à être livrées aux forces armées ukrainiennes, ainsi que du carburant.
La Suède et l’Allemagne rompent avec leur doctrine selon laquelle elles ne livrent pas d’armes létales à un État en guerre.
L’Allemagne va plus loin encore : ce dimanche, devant le Bundestag, le chancelier Scholz a opéré un virage à 180 degrés dans la posture militaire du pays en annonçant une hausse des dépenses de défense, qui dépasseront 2 % de son PIB annuel, et la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour renforcer ses capacités de défense.
C’est un tournant historique, c’est un tournant majeur. Même la Suisse sort de sa neutralité !
Nos actions, nos sanctions et notre détermination sont dictées par une unique raison : la paix.
Je veux saluer ici la démarche du Président de la République, qui a toujours cru à la diplomatie et qui poursuit un dialogue avec lucidité, fermeté et courage.
Monsieur le Premier ministre, nous sommes conscients de l’impact que nos sanctions pourraient aussi avoir sur notre quotidien. Nous y sommes prêts au nom de notre sécurité collective et de la paix, parce que nous savons pouvoir compter sur le soutien du Gouvernement pour établir un plan de résilience qui soit à la hauteur. Et vous pourrez compter sur nous pour identifier les mesures qui aideront au mieux nos concitoyens.
Nous affronterons ensemble les difficultés : il y va de la force de nos démocraties et de l’unité de l’Europe.
Reculer devant le coût des sanctions, c’est s’exposer à devoir payer un prix infiniment plus lourd si le président russe atteint son objectif. Car d’autres bruits de bottes, en d’autres points du monde, n’attendront plus que le moment opportun pour se faire entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, SER, INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre déclenchée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février est inacceptable (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), elle est irresponsable, elle plonge le peuple ukrainien dans un cauchemar insoutenable, elle menace la sécurité de l’Europe et du monde. Le risque d’une escalade incontrôlable augmente chaque jour. La situation est donc d’une extrême gravité.
Quelle que soit l’opinion que l’on ait sur les causes de cette entrée en guerre de la Russie – j’y reviendrai –, je veux redire ici la condamnation totale qui est la nôtre : cette guerre est un crime contre la souveraineté d’un État, l’Ukraine, un crime contre le droit international, un crime contre la paix.
Rien ne peut excuser le sort infligé à des millions d’Ukrainiens aujourd’hui sous les bombes ou sur les routes de l’exode, dont nous sommes solidaires.
Dans un monde si interdépendant, cette guerre est un échec pour tous et un échec pour la sécurité collective de l’Europe. Elle montre les limites dangereuses atteintes par la militarisation des relations internationales et son cortège de discours guerriers, de haine et de nationalisme.
Pour toutes ces raisons, parce que cette guerre est illégitime et illégale, parce qu’elle est inhumaine pour le peuple ukrainien, parce qu’elle menace la sécurité du monde, parce qu’elle risque de nous entraîner vers l’irréparable, la première des exigences que nous clamons haut et fort est celle d’un cessez-le-feu immédiat (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER – Mme Nadia Sollogoub et M. Pierre Louault applaudissent également.), un cessez-le-feu pour épargner les vies, pour mettre fin à l’exode, pour garantir la tenue de discussions de paix.
C’est pour atteindre ces objectifs, pour stopper la guerre, que la pression internationale la plus large possible doit s’exercer. Le vote de l’assemblée générale extraordinaire en cours à l’ONU sera un moment important.
Faisons entendre les mobilisations citoyennes qui exigent partout le cessez-le-feu et la paix. Saluons les manifestations courageuses en Russie en demandant la liberté des opposants à cette sale guerre. Nous ferons tout, en ce qui nous concerne, pour encourager les mobilisations populaires pour la paix.
Les sanctions internationales contre le régime de Poutine peuvent participer à cette pression, à condition qu’elles frappent juste. Il s’agit pour nous non pas de mettre à genoux un peuple, mais d’isoler un pouvoir oligarchique, autoritaire, fauteur de guerre.
Le risque est grand, en pareil cas, de punir les peuples, en Russie et ailleurs, alors que les sanctions doivent viser le cercle du pouvoir impliqué dans les décisions guerrières et les oligarques qui pillent leur pays sans vergogne, avec la complicité tacite – et depuis bien longtemps – du monde de la finance internationale. Les tergiversations sur Swift montrent d’ailleurs le degré d’intimité qui règne dans la haute finance et les paradis fiscaux. Retenons au passage qu’il est donc possible, quand on en a la volonté politique, de cibler les flux financiers au plus haut niveau. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Autre urgence : tout doit être fait pour renforcer l’aide humanitaire et sécuriser son accès aux zones de conflit, conformément au droit humanitaire international, avec la livraison de matériel de protection, l’accueil des réfugiés et, notamment, l’ouverture de couloirs humanitaires sécurisés, l’accueil dans tous les pays de l’Union et pas seulement dans les pays frontaliers.
Là aussi, je vois que bien des tabous sont levés, qu’il est possible d’accueillir des réfugiés en nombre, ce dont nous nous réjouissons, même si le tri ethnique que semblent vouloir organiser la Pologne et la Hongrie avec la complicité de l’Union européenne est parfaitement indécent. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.) L’Union africaine s’en est émue hier : on ne trie pas les victimes des guerres !
Les livraisons d’armes sont l’autre sujet brûlant. Face à l’agression russe caractérisée, qui oserait dénier à l’Ukraine le droit de se défendre ? La France parle d’aider à renforcer ses moyens de défense, mais on entend aussi parler d’avions de chasse, ce qui pourrait impliquer directement ou indirectement le système de l’OTAN.
Le Parlement doit être clairement informé et connaître avec précision ce qui a été livré et ce qui sera livré. Son contrôle sur ces évolutions rapides est essentiel.
J’entends des hourras saluer le soudain emballement militaire de l’Union européenne et l’annonce d’un réarmement de l’Allemagne à hauteur de 100 milliards d’euros, le double de notre budget militaire. La gravité des enjeux devrait nous inciter à plus de clairvoyance et de lucidité.
Il s’agit là de questions hautement inflammables. La frontière est fragile vers une escalade entraînant dans la guerre des pays européens membres de l’OTAN, une escalade aux conséquences alors incalculables. La mise en alerte de la force de dissuasion russe par Vladimir Poutine est, dans ce contexte, parfaitement irresponsable. Toutes les puissances nucléaires, parmi lesquelles figure la France, ont l’immense responsabilité de ne pas entraîner le monde dans cette folie.
À ce sujet, la déclaration de Bruno Le Maire, qui parle de « guerre totale à la Russie », jette dangereusement de l’huile sur un feu déjà brûlant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
Tout n’a pas été fait pour éviter la guerre. Des efforts pour une désescalade ont été engagés, mais tout n’a pas été fait dans ce sens, ou bien trop tardivement.
Aujourd’hui, la guerre ne doit pas éteindre les efforts de paix ; elle doit au contraire les renforcer. J’entends la voix des boutefeux nous dire qu’il faut oublier tout cela, que seul importe d’armer l’Ukraine. Mais la guerre, c’est le peuple ukrainien qui en est la première victime ! Le cessez-le-feu, l’arrêt des bombardements, la reprise de discussions de paix respectant la souveraineté de l’Ukraine doivent rester la colonne vertébrale de l’action de la France.
La paix est plus que jamais une affaire de sécurité globale et collective. La guerre en Ukraine nous dit combien la militarisation des relations internationales a atteint sa cote d’alerte.
Dès la décennie 1990, après la dissolution du Pacte de Varsovie, des opportunités historiques se présentaient pour construire un monde débarrassé de l’affrontement des blocs, ouvrant la voie à un désarmement massif. C’est le contraire qui a été fait ! Tandis que les oligarques pillaient la Russie sous le regard complice de multinationales à l’affût de leur part du gâteau, la seule logique à l’œuvre fut celle de l’extension de l’OTAN et de l’hégémonie mondiale.
Après l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, les États-Unis ont poussé les feux de cette confrontation et les Européens n’ont jamais trouvé les voies d’une parole unie et indépendante pour ouvrir le chemin du dialogue avec la Russie sur ce qu’Emmanuel Macron appelait en 2018 « une nouvelle architecture de sécurité européenne », ou sur ce que nous appelons, pour notre part, « une initiative multilatérale pour un nouveau traité paneuropéen de paix et de sécurité ».
La Russie s’est enfoncée dans cette logique guerrière de confrontation, singulièrement depuis 2014 et l’annexion de la Crimée jusqu’à cette guerre dramatique en Ukraine. Durant toutes ces longues années, il faut le dire, jamais l’occasion ne fut saisie pour ouvrir sérieusement de réelles voies de négociations, laissant la confrontation et la force seules s’exprimer.
Vingt ans d’obsession otanienne pour le surarmement, vingt ans de réarmement russe, vingt ans d’exacerbation des nationalismes : le bilan est désastreux. Que de temps perdu, qu’il faudra maintenant regagner en faveur de la paix ! (Mme Éliane Assassi applaudit.)
Alors oui, même au cœur de ce terrible orage de bombardements, la paix doit rester notre projet politique. La paix, et non pas l’équilibre de la terreur ou la confrontation des puissances. La paix pour l’Ukraine, avec le cessez-le-feu immédiat et le départ des troupes russes. La paix pour la Russie, qui doit trouver avec l’Europe les conditions d’une sécurité sans l’OTAN à ses portes.
Même quand il paraît si étroit, un chemin existe toujours pour le dialogue. La France doit aider les belligérants à l’emprunter en usant de la voix forte qui est la sienne à l’ONU comme au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
La paix aussi pour la Géorgie, la Moldavie, l’Arménie, dont l’intégrité doit être préservée. La paix pour tous les Européens, qui doivent assurer leur sécurité souverainement, dans le respect mutuel des États, sans la tutelle américaine otanienne. La paix par le désarmement nucléaire et conventionnel multilatéral. La paix partout dans le monde, en Afrique, au Moyen-Orient, avec la fin des opérations militaires extérieures.
Oui, mes chers collègues, comme l’a déclaré le secrétaire général des Nations unies, le 18 décembre dernier, en recevant la Lampe de la paix de saint François : « Dans un monde où nous pouvons tout choisir, choisissons la paix. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 1991, la chute de l’URSS et du rideau de fer annonçait pour beaucoup la fin de l’Histoire et le triomphe à venir d’un modèle universel de démocratie libérale.
Malheureusement, trente ans plus tard, comme si la guerre de Yougoslavie n’avait pas suffi, le nationalisme fait son retour tragique aux portes de l’Union européenne en charriant son lot de désespoir et de désolations.
L’invasion injustifiée et inqualifiable de l’Ukraine par l’armée russe sonne bien comme un tragique retour en arrière.
De 2014 à 2022, d’une conférence de Munich à l’autre, la séquence diplomatique, beaucoup plus longue en réalité que ce qu’en a perçu l’opinion publique, a laissé la place aux armes. La guerre est au cœur de l’Europe et menace l’ordre international établi depuis la Seconde Guerre mondiale, fondé sur le respect du droit international et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Au nom du RDSE, je tenais à exprimer notre solidarité sans réserve à l’égard du peuple ukrainien, qui se bat pour sauver la souveraineté de son pays et sa liberté. Je salue son courage, ainsi que celui du président Zelensky, demeuré au cœur de la capitale assiégée et présent aux côtés de ses soldats et de la population. J’ai également une pensée pour les Ukrainiens de France, qui s’inquiètent pour leurs proches.
Enfin, mon groupe souhaite que l’Union européenne accueille dans les meilleures conditions les réfugiés qui affluent. Il va de soi que c’est un devoir moral, mais aussi une nécessité politique pour montrer que notre vision de ce qu’est une société est à l’opposé du projet mortifère qui se déploie en Ukraine.
Je pense également au peuple russe, qui va payer le prix de l’isolement politique et économique. Il faut rappeler que beaucoup de Russes, soit par peur, soit par résignation, soit par un patriotisme mal alimenté, ne font que subir la posture martiale de leurs dirigeants, bien aidés – il faut le souligner – par une propagande intérieure très efficace.
La situation des États baltes, de la Pologne et de la Roumanie, qui sont nos alliés et amis au sein de l’OTAN, doit aussi retenir toute notre attention. Nous savons que le chef de l’État leur a donné tous les gages de notre soutien. Je pense aussi à la situation de la Moldavie, dont une partie du territoire est occupée par l’armée russe, et qui ne doit pas devenir la prochaine visée de l’expansionnisme de Moscou. Je pense également à nos amis suédois et finlandais, nommément menacés par le chef de l’État russe.
Enfin, je n’oublie pas nos concitoyens français, qui, après deux ans de guerre contre un virus, aspiraient au retour à une vie normale. Ils observent avec incrédulité et angoisse la guerre qui se déroule à quelques heures d’ici, sans savoir quand et comment elle s’arrêtera.
En attendant, nous devons tenir un langage de vérité. Le Président de la République s’est exprimé en ce sens. Il faut nous préparer à parer à toutes les situations, y compris les pires.
À ce stade, que peut-on promettre ? Entre la politique de prise de sanctions économiques et la riposte armée, il n’est pas aisé de trouver des mesures possibles. Vladimir Poutine le sait bien. Les démocraties ne sont évidemment pas prêtes à s’engager dans un conflit frontal. La dissuasion nucléaire joue pleinement son rôle, mais montre aussi ses limites.
Dans ces conditions, sanctionner l’économie russe et s’attaquer aux oligarques semblent constituer pour le moment le meilleur outil de pression contre le régime russe et son vassal biélorusse, même si, encore une fois, la population sera la première à en souffrir.
Cependant, à court terme, cette stratégie sera coûteuse pour les Ukrainiens, qui vont devoir résister en espérant tenir. Le soutien matériel et humanitaire doit être amplifié autant que possible. La France s’en honore, comme tous ses partenaires.
La décision historique de l’Union européenne d’envoyer du matériel militaire létal permettra peut-être, à plus long terme, de catalyser la formation d’une Europe enfin souveraine sur le plan stratégique et militaire. La décision de l’Allemagne de se réarmer montre aussi que, paradoxalement, la décision d’envahir l’Ukraine coûtera à la Russie, sur le long terme, la formation d’un bloc ouest européen plus uni et plus puissant.
Cette situation aura, bien sûr, un coût pour les pays européens ainsi que pour d’autres, matérialisé tout d’abord par la hausse des prix de l’énergie et de nombreuses matières premières. Cependant, le renoncement est très vite apparu inenvisageable.
Le groupe du RDSE soutient donc sans réserve la politique de sanctions décidée conjointement par les États-Unis, l’Union européenne et de nombreux autres pays du monde. Les premiers effets peuvent déjà être mesurés. Cependant, il est évidemment trop tôt pour en tirer des conclusions, car le géant russe peut aussi se tourner vers son partenaire chinois – bien qu’il n’existe pas d’amis en géopolitique, mais seulement des intérêts convergents.
L’activité diplomatique doit, bien entendu, se poursuivre. Le maintien d’un dialogue, certes exigeant, reste la clef de la résolution du conflit. Ce dialogue, même biaisé, existe bien : entre les belligérants, mais aussi entre l’Union européenne et le dirigeant russe, hier encore par la voix du Président de la République. Toutes les initiatives en ce sens doivent être encouragées et soutenues. Néanmoins, à ce jour, les conditions d’un règlement du conflit posées par le président russe demeurent inacceptables.
Au sein de la communauté internationale, il faut continuer à isoler Moscou. La Chine et la Turquie ont émis des signes de retenue qui doivent être préservés.
Je rappellerai ainsi un principe formulé par le général et théoricien militaire prussien Clausewitz : « La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens. » Vladimir Poutine sait parfaitement entremêler diplomatie et actes de guerre. Après tout, le conflit d’aujourd’hui n’est que la continuation de ce qui se passe au Donbass et en Crimée depuis au moins 2014.
Bien sûr, il est toujours facile de réécrire l’Histoire. Oui, peut-être, une fois le mur tombé, aurait-il fallu créer une véritable organisation de la sécurité en Europe qui n’aurait pas constitué un épouvantail pour le Kremlin. Mais n’inversons pas les responsabilités !
Oui, notre main a sans doute tremblé un peu lorsque les troupes russes sont entrées en Transnistrie en 1992, en Géorgie en 2008 ou ont annexé la Crimée en 2014.
Oui, il est possible que nous ayons sous-estimé le rêve poutinien d’une grande Russie, alors même que plusieurs indices étaient présents, encore récemment au travers de l’allégeance du président biélorusse Loukachenko.
Quelle que soit l’Histoire, le temps n’est plus au regret, d’autant qu’il est difficile de savoir a posteriori ce qui aurait pu arrêter le dirigeant russe dans sa volonté d’expansion et d’hégémonie. Le discours du 21 février dernier n’était ainsi qu’une réécriture fallacieuse de l’histoire de l’Ukraine, servant à justifier l’invasion.
Mes chers collègues, pour conclure, dans ce climat empreint d’une extrême gravité, je souhaiterais malgré tout souligner un point positif. Il s’agit de la remarquable unité que l’Union européenne a manifestée dans cette épreuve (M. le Premier ministre manifeste son approbation.).
Après la solidarité sanitaire et la solidarité budgétaire, la solidarité est au rendez-vous pour assurer notre sécurité collective. Espérons que, conjuguée à l’appui de nos nombreux alliés, cette unité pourra contribuer à sauver la paix, la liberté et l’indépendance de l’Ukraine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, l’invasion de l’Ukraine pourrait bien être le premier clou sur le cercueil de la dictature de Poutine, comme l’invasion de l’Afghanistan fut le premier clou sur le cercueil de l’Union soviétique.
Poutine est fou comme le sang est rouge. Ce n’est pas une insulte, c’est un diagnostic. Le discours sépulcral du 21 septembre ne laisse aucun doute : c’est un paranoïaque doublé d’un mythomane. Plus il élimine toute contradiction, plus il échappe à la réalité, au profit de son idée fixe et funeste : se venger de la chute de l’URSS.
Comme beaucoup de dictateurs, ce Caligula botté souffre d’une autre infirmité. Ceux qui ont découvert stupéfaits la taille grotesque de la table où il recevait notre Président ont cru à une manœuvre pour l’humilier. Les réunions ubuesques qu’il tient avec ses ministres, éloignés de lui de vingt mètres, révèlent la vérité : le covid-19 le terrorise. Néron se faisait raser par ses filles de peur d’être égorgé, Staline faisait goûter ses aliments, lui, chef de la deuxième force nucléaire au monde, qui se fait filmer dans de fausses chasses à l’ours, pétoche devant le virus comme un matamore fuyant devant une souris. (Sourires et applaudissements sur de nombreuses travées.)
En face de lui, un homme, debout : Zelensky. Lorsqu’on ignore la réalité, elle se venge. Poutine voulait diviser l’Europe, il la cimente. Il voulait ridiculiser l’OTAN, il la retrempe. Il voulait humilier les États-Unis, il ressuscite Biden après Kaboul.
Il voulait rallier à lui les régimes autoritaires ; la Chine s’inquiète, la Turquie montre les dents, et le Kazakhstan refuse l’envoi de ses soldats. Il pensait prendre l’Ukraine en trois jours, il est embourbé pour longtemps.
Confiné dans son bunker, il n’a pas vu le monde changer. Il se croit encore au temps où ses complices du KGB et du politburo mataient par des chars la Hongrie ou la Tchécoslovaquie, et où lui-même rasait Grozny à l’abri des caméras. Il n’a pas compris que les images des smartphones faisaient le tour du monde en une seconde et qu’en 2022 personne, pas même les Russes, n’était prêt à accepter les bombardements de Kiev et les morts.
S’il en est arrivé là, c’est en partie à cause de nos propres lâchetés. L’invasion de la Géorgie, l’annexion de la Crimée, le Donbass, la Transnistrie, les crimes contre l’humanité commis en Tchétchénie ou en Syrie, les centaines d’assassinats et les milliers d’emprisonnements en Russie même : tout cela, nous l’avons laissé faire. Quelques discours ont été prononcés à l’ONU sur les droits de l’homme et le droit international, et puis, circulez, il n’y a rien à voir !
Ce n’est pas seulement par lâcheté que nous n’avons rien fait. C’est parce que les démocraties ont en leur sein une cinquième colonne, le plus souvent soudoyée par le Kremlin, qui reprend mot à mot sur les réseaux antisociaux, au moyen de milliers de faux comptes, de trolls et de bots pilotés depuis Moscou, sur les radios et télévisions de RT, Sputnik et, hélas !, d’autres encore, la propagande de Poutine : l’Ukraine n’existe pas, elle est dans la sphère russe, ses dirigeants sont des nazis.
Vladimir Zemmour, Joseph Vissarionovitch Mélenchon et Anastasia Le Pen sont depuis longtemps les généraux en chef de cette cinquième colonne. (Sourires et applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mais leurs dernières déclarations atteignent des sommets. Mélenchon a ainsi déclaré le 18 janvier dernier : « Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? » Le Pen a dit pour sa part : « Mon point de vue sur l’Ukraine coïncide avec celui de la Russie. » Quant à Zemmour, il a affirmé : « Il faut arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé. Poutine est l’allié qui serait le plus fiable. »
Depuis que tout le monde a compris leurs mensonges, ils ont réinventé le « oui mais ». Ils condamnent, car ne pas le faire serait un suicide électoral, mais ils ne changent pas d’avis. Tout est de la faute de l’Occident, il ne faut surtout pas de sanctions et faire attention à la troisième guerre mondiale.
Mélenchon continuait ses bobards jeudi dernier : « Je n’ai jamais soutenu Vladimir Poutine, jamais. » Le pire, c’est Zemmour, le trois fois condamné pour racisme, qui crache sur les résistants ukrainiens et sur les réfugiés, et qui donne des leçons de patriotisme, lui qui, après s’être soustrait au service militaire, n’a pas hésité à se rendre samedi sur le plateau des Glières. Ses propos souillent les tombes des maquisards. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
Ces paillassons de Poutine, après en avoir été les caniches, sont candidats à la Présidence de la République. Ils ont condamné le dictateur du bout des lèvres, mais leurs trolls inondent les réseaux de messages à sa gloire et leurs députés européens ont refusé de voter l’aide à l’Ukraine.
Pendant des années, nous avons tenté de faire comprendre qui était Poutine. Nous étions trop peu nombreux face aux idiots utiles de l’Europe. L’Allemagne s’est mise dans les griffes de l’ours et de son gaz après avoir commis l’incroyable erreur de céder aux Verts sur le nucléaire. En France, le fond de l’air, fait d’un gaullisme du pauvre qui n’a rien à voir avec le gaullisme et d’un antiaméricanisme héritier de la vieille droite anti-anglo-saxonne et de la vieille gauche anticapitaliste, conduit certains à prêcher l’équidistance entre l’Amérique et la Russie – et, demain, entre l’Amérique et la Chine –, sans comprendre qu’il y a d’un côté le camp de la démocratie et de l’autre celui des dictatures. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Trop peu nombreux, nous étions par là même trop faibles.
Le 24 février 2022 restera dans l’Histoire comme le jour prodigieux du grand basculement. Le plus grand succès de Poutine, c’est de nous avoir ouvert les yeux. Nous nous sommes réveillés bien tard, mais nous nous sommes réveillés !
Pour la première fois, nos sanctions sont plus que des coups de griffe. Elles comprennent le blocage des réserves de la banque centrale, la déconnexion du système Swift, l’arrêt de Nord Stream 2, la saisie des avoirs des corrompus, la fermeture des espaces aériens, le bonheur de la livraison d’armes aux Ukrainiens par l’Allemagne elle-même – mouton devenu, non pas tigre, mais au moins lionceau – et, enfin, la chasse aux agents de désinformation.
Voilà cinq ans que je demande la fermeture de RT, de Sputnik et de leurs satellites, cinq ans que l’on me répond que ce serait bafouer la liberté d’expression. On vient enfin de comprendre que les organes de propagande du FSB n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Mélanie Vogel et M. Daniel Salmon applaudissent également.)
Mesdames, messieurs les dirigeants européens, permettez-moi d’ajouter à mes félicitations pour ces sanctions une supplique : qu’elles soient précises, sans exception, efficaces, non contournables et prolongées, et surtout qu’elles soient rapides et accrues car les résistants ukrainiens, aussi héroïques soient-ils, ne tiendront pas longtemps par leurs seuls moyens. Je demande enfin qu’elles soient accompagnées du message clair selon lequel l’assassinat de Zelensky entraînerait une riposte bien plus massive encore.
Quant à la cinquième colonne, elle va se déchaîner dans toute l’Europe pour relayer les menaces du tyran et expliquer que, comme vous êtes responsables de la guerre en Ukraine, vous serez responsables, demain, de la troisième guerre mondiale dont Poutine brandit la menace.
Pour l’heure, autre miracle : personne n’y croit. Comment penser qu’un hypocondriaque qui s’ausculte toute la journée soit prêt à mourir sous les frappes ou à finir ses jours dans un abri antiatomique, comme Caïn dans son souterrain ?
Lorsque nous aurons pris ces sanctions et que nous nous serons préparés à un long conflit – car cette guerre sera longue –, il nous faudra relever un autre défi, plus redoutable encore : celui du rétablissement de la puissance de l’Europe. « L’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau », disait Nietzsche. Ces propos étaient prophétiques, car l’Europe est née des charniers de la Seconde Guerre mondiale et n’a progressé qu’en surmontant ses crises.
Celle du covid-19 a permis un pas de géant par la mutualisation des dettes du plan de relance. L’invasion sanglante de l’Ukraine a fait comprendre à tous, à commencer par les Allemands, ce que le Président de la République ne cesse d’expliquer depuis le début de son mandat : l’Europe ne sera jamais une puissance si ses États ne se réarment pas et si une défense commune ne voit pas le jour. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.) Jamais Poutine n’aurait pu nous faire un meilleur cadeau.
Pour l’heure, nous allons participer à cette guerre au moyen des mesures déjà prises, de notre unité avec nos alliés européens et américains, et de notre fermeté face au tyran qui s’est lancé dans une aventure sans issue.
Toutefois, ce n’est pas nous qui allons la gagner. Les seuls qui peuvent la gagner, ce sont deux peuples. Il s’agit tout d’abord du peuple russe qui, pour la première fois, malgré une répression impitoyable et une propagande effrénée, est en train de comprendre que Poutine le conduit vers le gouffre. Le sursaut viendra-t-il de la rue, ou de quelques Brutus qui comprendront l’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard ? Je ne sais. Cependant, le dénouement pourrait bien surprendre.
Ceux qui vont gagner cette guerre, ceux qui sont déjà en train de la gagner quel qu’en soit le coût, ceux qui nous donnent une grandiose leçon de courage, guidés par un président devenu en quelques jours un héros de la trempe d’un de Gaulle ou d’un Churchill, Volodymyr Zelensky, ceux qui vont gagner cette guerre, donc, ce sont surtout les membres du peuple ukrainien soudés contre Poutine et prêts au sacrifice pour défendre sa liberté – et la nôtre –, sa démocratie et les valeurs européennes qu’il partage. Puissions-nous les admirer, les acclamer, les soutenir et nous montrer dignes d’eux ! (Mmes et MM. les sénateurs des groupes INDEP et RDPI se lèvent et applaudissent vivement. – Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, depuis six jours, nous vivons dans un état de sidération. La guerre est de retour en Europe, à l’initiative d’une grande puissance nucléaire qui déploie toutes ses capacités militaires contre un pays souverain.
Nos pensées vont naturellement vers les Ukrainiennes et les Ukrainiens qui ont déjà perdu des proches, perdu des enfants, qui vivent en ce moment même la peur au ventre sous les bombes, sous les balles, au son des canons et des sirènes, ou qui ont tout abandonné derrière eux pour préserver leur vie et celle de leurs enfants.
Ils et elles sont aujourd’hui les victimes d’une guerre d’agression indéfendable, d’une violation caractérisée du droit international et d’un déploiement de violence commis par l’une des plus grandes armées au monde, sous la coupe d’un dictateur impérialiste et révisionniste qui refuse la simple existence de leur nation.
Nous avons une conscience aiguë de l’extraordinaire courage dont ils font preuve pour défendre leur État, leur nation, leur liberté comme la nôtre, et pour défendre la démocratie. Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, au courage et au sang-froid extraordinaires, et dont le monde entier connaît désormais le nom et le visage, vient nous rappeler une nouvelle fois que, bien plus que l’inverse, c’est l’Histoire qui fait les grands hommes.
N’ayons pas peur des mots : le peuple ukrainien est aujourd’hui notre avant-garde sur le front oriental du combat pour la démocratie et la liberté. Cette sombre perspective a permis une prise de conscience généralisée de l’intérêt commun qui lie les démocraties et de la nécessité absolue, pour l’Europe, de devenir un acteur géopolitique.
Nous saluons les décisions historiques des derniers jours. Le mot n’est pas galvaudé. Nous saluons l’action de la France et de l’Union européenne sous présidence française. Nous nous félicitons de l’extraordinaire unanimité des Vingt-Sept. Sans le vouloir, Vladimir Poutine a ouvert la mer en deux et le chemin vers une Europe de la défense que les écologistes ont toujours défendue.
Vladimir Poutine, qui depuis tant d’années joue de nos divisions, n’avait sans doute pas anticipé cet élan d’unité. Il s’était préparé à des sanctions économiques, mais vraisemblablement pas à des sanctions de cette ampleur.
Ces sanctions n’épargneront pas le peuple russe, qui dans sa majorité n’a pas choisi cette guerre et qui est pétrifié par cette mise au ban des nations. Nous lui témoignons notre amitié et notre respect pour la mobilisation courageuse dont il fait preuve malgré les interdictions de manifester.
Vladimir Poutine n’avait pas non plus anticipé la résistance militaire et l’héroïsme des Ukrainiennes et des Ukrainiens, qui ont empêché une prise rapide du pays. Si Kiev devait tomber entre les mains de Poutine, il ne pourrait maintenir son contrôle sur une population éprise de liberté. On n’occupe pas un pays contre son peuple.
Nous n’en sommes cependant pas là encore.
L’urgence est de venir en aide à la résistance ukrainienne. Nous approuvons le soutien financier, opérationnel, humanitaire et les livraisons d’armes que la France, l’Europe et nos partenaires transatlantiques lui apportent, tout comme nous approuvons toutes les sanctions financières décidées contre la Russie et ses oligarques. À ce sujet, nous demandons au Gouvernement de faire preuve de la plus grande vigilance concernant l’accroissement supplémentaire des prix de l’énergie qui découlera de cette situation. La puissance publique doit protéger davantage nos concitoyens les plus modestes face à cette flambée.
L’urgence est aussi de venir en aide aux réfugiés qui fuient l’Ukraine par millions. À ce titre, nous saluons la volonté de la présidence française de proposer jeudi prochain au Conseil de l’Union européenne l’activation de la directive relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées. La puissance publique doit faciliter le transit de celles et ceux qui veulent rejoindre l’ouest de l’Europe.
Alors que l’Union africaine s’inquiète de la situation des ressortissants africains, dont certains seraient bloqués à la frontière par les autorités polonaises, et alors qu’un discours nauséabond s’installe doucement, visant à qualifier les réfugiés selon la couleur de leur peau ou leur religion, je veux rappeler ici avec force qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais réfugié. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.) Toute personne, quelle que soit sa nationalité, a le droit de quitter un pays en guerre, et nous avons le devoir de l’accueillir.
Aussi, nous demandons à la présidence française de faire preuve de la plus grande vigilance sur la situation aux frontières orientales de l’Union européenne et d’obtenir des garanties des pays concernés.
Monsieur le Premier ministre, nous saluons – une fois n’est pas coutume – la démarche de transparence et de concertation que vous entreprenez malgré la complexité de la situation, et que nous espérons durable.
Cette crise conforte notre rapport au monde et à l’Europe, et notre attachement à la liberté et à la démocratie.
Le chemin de la paix est, hélas !, encore long, mais il passera inévitablement par une Europe unie, plus intégrée, capable de créer par la voie diplomatique les conditions d’un avenir pacifique et la sauvegarde de l’intégrité de la nation ukrainienne. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, comme tout le monde ici, je suis très inquiet face à la guerre qui se déclenche en Ukraine. Je suis bien évidemment partisan d’un cessez-le-feu et d’un rétablissement de la paix.
Ce point est très important car je crois, très honnêtement, que M. Poutine a été au-delà du raisonnable dans cette affaire. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Loïc Hervé. Comme c’est bien dit !
M. Jean Louis Masson. Je voudrais dire cependant que ce n’est pas en jetant de l’huile sur le feu que l’on arrive à régler les problèmes. (Exclamations sur de nombreuses travées.)
J’ai entendu un certain nombre de discours. Certains voulaient en rajouter…. Nous avons assisté à un concours de virulence ! D’autres néanmoins se sont montrés plus raisonnables. Ainsi, alors que je n’ai presque jamais voté dans le même sens que notre collègue Pierre Laurent, je dois dire que sa modération au cours du présent débat mérite d’être prise en compte. (Exclamations amusées sur diverses travées.)
M. Loïc Hervé. On aura tout vu !
M. Jean Louis Masson. À force d’en rajouter, nous ne savons pas où cela peut nous mener ! Des négociations, des discussions dans lesquelles chacun essaie de tenir compte des problèmes de son interlocuteur, constituent des solutions qui mériteraient d’être mises en œuvre.
Par ailleurs, plusieurs personnes ont dit que la démocratie se définissait comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Eh bien, moi, je suis d’accord ! (Mêmes mouvements.) Les Ukrainiens doivent pouvoir disposer d’eux-mêmes. Toutefois, il faut reconnaître qu’un référendum a eu lieu en Crimée, par exemple, par lequel les habitants se sont prononcés…
M. Jean-Yves Leconte. Sous la menace des baïonnettes ! C’est inacceptable !
M. Jean Louis Masson. On nous parle des démocraties en Europe. L’Arménie fait partie de l’Europe. Or qu’avons-nous fait quand le turc Erdogan est allé financer et organiser la guerre dans le Haut-Karabagh ? Les habitants du Haut-Karabagh n’ont-ils pas le droit, eux aussi, de se prononcer pour décider de leur destin ? Qu’avons-nous fait ? Nous avons fait le mort !
Je ne crois pas qu’il y ait de bons dictateurs et de mauvais dictateurs. Il n’y a que de mauvais dictateurs ! (Exclamations.)
L’OTAN et l’Union européenne ont été absolument nulles lors des évènements qui ont eu lieu en Arménie. Et actuellement, la France est très fière de vendre des avions, des canons à l’Arabie saoudite…
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean Louis Masson. Les dictateurs de l’Arabie saoudite veulent en finir avec tous les Houthis, alors qu’ils se trouvent dans leur territoire : cela est absolument honteux ! (Marques d’impatience sur diverses travées.) Chacun doit assumer ses responsabilités !
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les couleurs de l’Ukraine sont le bleu d’un ciel d’azur sur l’or des champs d’une terre fertile. Nous pourrons désormais y ajouter la trace indélébile du sang versé par un peuple héroïque qui tente, heure par heure, de résister à l’invasion de l’armée russe.
Je vous parle ce soir avant tout en tant que citoyenne, une citoyenne française fière d’appartenir au continent européen. Je vous parle également en tant que présidente du groupe d’amitié France-Ukraine.
En temps normal, l’amitié entre deux pays doit être le terreau de relations culturelles, économiques, commerciales et bilatérales qui croissent et prospèrent. En temps de guerre, l’amitié entre deux pays, ce sont les angoisses, les nuits blanches, les colonnes de réfugiés, les nouvelles auxquelles on ne peut pas croire, le décompte des victimes et la douleur de l’impuissance.
Alors que d’immenses convois militaires convergent vers Kiev et que les missiles pleuvent sans cesse, l’urgence est d’obtenir une trêve, et une évacuation humanitaire.
Les civils, femmes et enfants essentiellement, tentent de fuir, malgré la dangerosité du voyage. Les routes sont exposées aux frappes aériennes, constatées à neuf kilomètres de la frontière polonaise, nous a-t-on dit hier au Quai d’Orsay.
Il y aurait eu ces jours derniers jusqu’à quatre-vingts heures d’attente pour entrer en Pologne, et plus de trente heures pour la Moldavie. Alors que 650 000 civils ont déjà quitté l’Ukraine, ils pourraient être bientôt plus de six millions.
Monsieur le Premier ministre, en plus de prendre en charge ces réfugiés qui arrivent de façon massive, pouvons-nous leur faciliter l’accès aux postes-frontières et, sans porter atteinte à la souveraineté des pays d’accueil, les aider sur un plan logistique à rétablir un flux susceptible d’éviter tout simplement une catastrophe humanitaire sur les routes ?
Les inquiétudes se portent aussi sur le ravitaillement. Bientôt, la capitale sera assiégée. Doit-on craindre un nouveau Sarajevo ?
Hommes, femmes et enfants se retrouvent piégés, parmi lesquels un peu plus de 1 000 Français. Les cellules de crise réalisent un extraordinaire travail de contact individuel, de localisation, de recensement et de soutien, mais elles n’ont pas de solution à proposer, l’évacuation aérienne étant pour l’instant, hélas !, une hypothèse à écarter.
Monsieur le Premier ministre, nous savons plus que jamais que les pires menaces prospèrent dans l’ombre.
À cet égard, je souhaite exprimer une inquiétude particulière concernant la sécurité des installations nucléaires en Ukraine, M. l’ambassadeur d’Ukraine en France m’ayant alertée sur l’incapacité du pays à garantir le fonctionnement du site de Tchernobyl, tombé entre les mains des Russes. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) appelle à la plus grande prudence sur ce sujet, mais ne peut pas exclure la possibilité qu’une augmentation de l’ambiance radiologique ait pu être constatée. Il s’agit donc d’un point de vigilance.
Danger à Kharkiv, danger à Kiev, danger sur les routes de l’exode, danger sur les sites sensibles : l’Ukraine n’est que danger et douleur. L’Ukraine n’est que courage. Face à l’ennemi, la pression massive d’une Europe unie et déterminée doit être absolue. Nous croyons en l’efficacité de cette stratégie, après avoir tant cru aux canaux diplomatiques qui, malgré tout, restent et doivent rester ouverts.
Nous mesurerons dans les jours qui viennent l’impact de la rupture des échanges avec la Russie et, dans le même temps, les limites de nos fragilités et dépendances économiques et énergétiques.
À court terme, il nous faudra nous adapter à des pénuries de matières premières, à un prix du carburant prohibitif, à des hausses de prix probablement difficilement supportables et à des pertes de marchés. La paix est à ce prix.
Le groupe Union Centriste mesure tous ces enjeux et soutient fermement la politique nationale et européenne.
Dans mes veines coule autant de sang russe que de sang ukrainien. Nous sommes nombreux dans ce cas. J’espère encore qu’un être humain ne puisse pas tuer son propre frère.
Au péril de leur vie, près de 500 chercheurs et journalistes russes ont publié une tribune dans laquelle ils expriment leur protestation et exigent la paix. « Cette guerre est injuste et absurde », disent-ils, « la guerre avec l’Ukraine est un pas vers le néant ».
Il faut que Poutine, l’homme sans vérité, l’homme sans humanité, soit désormais un homme sans peuple et sans allié. Il faut qu’il soit seul, de plus en plus seul, et que ce soit son énorme et fatale fragilité. Le fil de l’histoire du peuple russe reprendra son cours. Faisons bien la différence entre le président Poutine et la nation russe qu’il tente de museler !
Nous sommes à l’heure des décisions collectives, qui doivent être à la mesure de l’immense leçon de courage que nous donne chaque Ukrainien, et en premier lieu le président Zelensky.
« L’Ukraine se bat avec la certitude qu’elle défend le monde entier », nous a dit M. l’ambassadeur Vadym Omelchenko. Répondons-lui ici, dans ce même hémicycle, qu’il n’est pas seul, que l’Ukraine n’est pas seule, que le peuple ukrainien n’est pas seul. Slavia Ukraini, gloire à l’Ukraine ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’Ukraine n’a jamais menacé la Russie, encore moins les Russes. Ces Russes qui, par milliers, sont aujourd’hui détenus dans les geôles poutiniennes pour avoir courageusement marché dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg contre cette guerre infâme dans laquelle Vladimir Poutine les a entraînés.
L’Ukraine n’a jamais menacé la Russie ni les Russes. En revanche, le choix de l’Ukraine pour la démocratie menace la dictature de Vladimir Poutine : c’est bien de cela qu’il s’agit.
Cette guerre n’est pas une guerre entre les Ukrainiens et les Russes. C’est une guerre entre la volonté d’un peuple d’être libre et celle d’un tyran de l’en empêcher.
Cette guerre n’est pas une guerre entre l’OTAN et la Russie. C’est une guerre entre la démocratie et la dictature, une guerre existentielle pour l’Europe entière, une guerre qui a réveillé la conscience de ce que nous sommes en tant que citoyens européens.
Vladimir Poutine voulait affaiblir l’Europe : il a récolté sa force.
Vladimir Poutine voulait diviser l’Europe : il a récolté sa plus puissante unité.
Jamais on n’aura vu les Européens se mobiliser autant, dans toute l’Europe, pour crier leur refus de la brutalité, leur refus des chars et des missiles, leur solidarité sans équivoque avec le camp de la démocratie et de la paix.
Jamais on n’aura vu les institutions européennes si unies et si efficaces, réagir si vite, si clairement et si massivement, ensemble. L’Europe renaît à Kiev.
Elle renaît lorsque, au milieu des bombes, sous les tirs de missiles, Zelensky signe la demande d’adhésion à l’Union européenne. Ce faisant, il n’affirme pas seulement l’identité européenne de l’Ukraine : il affirme l’identité politique de l’Europe. Il rappelle pourquoi et contre quoi nous avons construit l’Europe. Il nous rappelle ce que nous sommes et ce que nous devons faire pour le protéger.
Il nous rappelle que nous devons nous doter d’une politique de défense commune, arrimée à nos valeurs, et sortir sans attendre des énergies fossiles, ce qui implique notamment de sortir Total de la Russie.
Nous devons investir massivement dans les énergies renouvelables, qui sont des énergies de paix, et dans l’efficacité énergétique. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce n’est pas une lubie des écologistes… (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Loïc Hervé. Pas du tout…
Mme Pascale Gruny. En tout cas, cela y ressemble !
Mme Mélanie Vogel. C’est un enjeu purement et simplement vital !
Enfin, nous devons tenir ensemble pour nos valeurs.
Jamais une crise ne l’aura démontré à ce point : la solidarité européenne est la condition sine qua non de la protection de nos démocraties. En effet, les sanctions sans précédent qui ont été décidées affecteront les Européens, en premier lieu celles et ceux qui vivent dans les États dépendant encore massivement du gaz russe. C’est notre honneur de les assumer collectivement et de venir en aide, en Européens, à celles et ceux qui paieront le prix le plus fort pour protéger la paix de toutes et tous.
Nous devons aux Ukrainiens, qui paient de leur vie la défense de nos valeurs, d’être à la hauteur du moment. Nous devons poursuivre avec eux la construction de notre projet commun : celui d’une Europe libre, d’une Europe de la solidarité et de la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’offensive russe contre l’Ukraine provoque une onde de choc, en Ukraine d’abord, où l’on déplore déjà tant de victimes civiles, mais aussi dans tout le continent européen.
Renouant avec des heures sombres qu’on espérait révolues, l’Union européenne se trouve directement menacée à ses frontières par une Russie qui, après l’annexion de la Crimée en 2014, a décidé d’agresser l’Ukraine, ébranlant ainsi l’ordre international établi et menaçant la démocratie, la paix et la liberté, qui sont les valeurs fondatrices de l’Union européenne.
Face à ce séisme, l’Union européenne a réagi rapidement et a fait preuve d’unité en adoptant des sanctions particulièrement sévères contre la Russie : gel des avoirs et interdiction de séjour pour les plus hauts dirigeants russes, y compris le président Poutine, suspension des vols vers la Russie, bannissement des médias d’État russes qui mènent des actions de désinformation en Europe et exclusion de plusieurs banques russes du système interbancaire international Swift. La banque centrale russe elle-même est bannie de toute transaction et ses avoirs en devises ont été gelés, ce qui a provoqué l’effondrement du rouble.
J’ai pu m’entretenir précédemment avec mes homologues des pays frontaliers de l’Ukraine et de la Russie : tous sont satisfaits de cet arsenal inédit de sanctions.
En complément, l’Union s’est mobilisée pour soutenir l’Ukraine. Elle a activé la Facilité européenne pour la paix (FEP), ce nouvel instrument extrabudgétaire de réponse aux crises internationales, qui est dotée de 5 milliards d’euros pour la période 2021-2027.
À ce titre, l’Union européenne a ainsi débloqué 500 millions d’euros, qui s’ajoutent aux livraisons d’armes décidées de façon bilatérale par les États membres, dont certains, comme l’Allemagne ou la Finlande, ont rompu ce faisant avec un tabou ancien. (M. le Premier ministre opine.)
Par ailleurs, on a décidé de mettre les règles de l’espace Schengen entre parenthèses pour ne pas entraver les ressortissants ukrainiens fuyant la guerre.
En outre, le Conseil a déclenché le dispositif intégré de l’Union européenne pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR), afin de permettre une prise de décision rapide et coordonnée, comme lors de la crise migratoire de 2015, puis pour faire face à la pandémie.
Les ministres se sont aussi entendus pour accorder la protection temporaire à l’ensemble des ressortissants ukrainiens qui ont trouvé refuge dans les États membres, sans préjuger de leur qualité de réfugiés.
Au-delà de l’urgence, cette crise ébranle profondément l’Union, qu’il s’agisse de sa sécurité, de son équilibre, de son unité ou même de son identité.
Tout d’abord, nous vivons un moment déterminant pour la sécurité de l’Union européenne. Si l’Ukraine tombe, nul ne sait où l’agresseur va s’arrêter.
Le peuple ukrainien mène son combat pour toute l’Europe : en défendant sa liberté, il défend la nôtre. C’est pourquoi nous lui devons reconnaissance, admiration et soutien. (M. le Premier ministre acquiesce.)
Les États baltes sont particulièrement inquiets – cette après-midi même, je me suis entretenu par téléphone avec leurs représentants. Le sort de la Moldavie ou de la Géorgie doit aussi nous préoccuper.
Il s’agit de préserver l’espace démocratique que nous avons construit depuis soixante ans : nous sommes donc à un tournant. Non seulement la défense européenne doit devenir opérationnelle, mais sa capacité de projection est en jeu.
Ensuite, nous devons faire face à l’exode de guerre et à l’afflux de réfugiés. Selon l’ONU, à l’heure où nous parlons, 677 000 Ukrainiens ont déjà quitté leur pays. Plus de la moitié ont rejoint la Pologne, les autres la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie. L’Union européenne doit se préparer à une crise humanitaire d’une ampleur historique, touchant plus de 7 millions de personnes.
Ce défi gigantesque frappe d’abord les pays limitrophes, lesquels nous ont déjà fait valoir les limites de leurs capacités d’accueil, malgré leur bonne volonté.
Aujourd’hui, l’ensemble des États membres se disent prêts à accueillir les réfugiés ukrainiens, mais la question se posera rapidement de leur répartition entre les pays. La solidarité entre les États membres sera alors, une nouvelle fois, mise à rude épreuve.
La crise ukrainienne aura aussi des répercussions économiques certaines : d’ores et déjà, elle renchérit encore davantage les prix de l’énergie.
La crise ukrainienne met en lumière la fragilité que constitue, pour l’Union, sa dépendance au gaz russe : elle est de l’ordre de 43 % en moyenne, mais le taux peut atteindre 80 % pour certains pays. Il est de 55 % pour l’Allemagne, laquelle a renoncé à mettre en service le nouveau gazoduc Nord Stream 2 – ce dernier aurait privé l’Ukraine des ressources qu’elle tire du transit sur son sol du gaz russe exporté vers l’Union.
Cette crise exige de penser la transition énergétique au prisme de l’autonomie stratégique. Elle annonce des hausses de prix accrues pour les Européens, si bien que la Commission européenne envisage de développer la « boîte à outils » qui, depuis l’automne dernier, permet aux États de répondre à la crise de l’énergie par des aides publiques et des abattements fiscaux.
Se profilent aussi une flambée des prix des matières premières, y compris agricoles, des difficultés d’approvisionnement de certaines filières industrielles européennes en composants et métaux critiques, comme le titane ou le nickel, et des ruptures dans les chaînes de production européennes en Russie, sans compter l’impact des représailles russes, qu’il faudra bien sûr assumer.
L’Union européenne revoit d’ores et déjà à la baisse ses prévisions de croissance, de l’ordre de 0,3 % à 1 %, et l’inflation s’accentue encore après le record de ce mois de janvier.
Un dernier défi ébranle l’Union : la demande officielle de l’Ukraine d’entrer sans délai dans l’Union européenne.
La présidente de la Commission européenne a répondu hâtivement de façon positive, rejointe par plusieurs États membres d’Europe centrale. Exprimée de longue date, cette demande reflète la volonté majoritaire du peuple ukrainien ; mais nous parlons de décisions qui engagent durablement et qui, de ce fait, doivent être mûries.
Ce n’est pas un hasard si la procédure d’adhésion est un processus au long cours : il faut du temps pour rapprocher la législation du pays candidat du droit européen et remplir différents critères, comme la stabilité politique ou une économie de marché viable. C’est aussi pourquoi la décision même d’octroyer à un État le statut de pays candidat relève de l’unanimité des Vingt-Sept.
N’oublions pas que les trois pays baltes ont dû patienter près de neuf ans pour entrer dans l’Union et que quatre pays des Balkans occidentaux, officiellement candidats, sont bloqués depuis des années dans l’antichambre de l’Union européenne, sans compter les deux autres, qui ne sont encore que candidats potentiels.
L’Ukraine, elle, est liée à l’Union européenne par un accord d’association signé en 2014 dans le cadre du partenariat oriental, qui concerne aussi la Moldavie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et le Belarus. Lancé en 2009 par l’Union, ce partenariat propose des relations économiques et politiques plus étroites en échange de réformes, mais sans promesse d’adhésion.
Je rappelle que la tragédie que traverse l’Ukraine depuis novembre 2013 a commencé par une manifestation pro-européenne, en réaction à la décision du président d’alors de ne pas signer l’accord d’association avec l’Union européenne, document paraphé dès mars 2012. C’est ce qui a conduit au changement de gouvernement et aux élections législatives d’octobre 2014, lesquelles ont porté au pouvoir des partis réformistes pro-européens. (M. le Premier ministre le confirme.)
Cet accord d’association, qui prévoit un libre-échange complet, offre de nouveaux débouchés économiques tant à l’Union qu’à l’Ukraine. Il a permis à l’Union de conforter sa position de premier partenaire économique de l’Ukraine : en 2019, le volume des échanges bilatéraux s’élevait à 43,3 milliards d’euros et l’Union représentait plus de 40 % du total des échanges commerciaux de l’Ukraine.
En outre, depuis 2014, l’Union européenne et ses institutions financières ont mobilisé plus de 15 milliards d’euros sous la forme de subventions et de prêts.
Aujourd’hui plus que jamais, nous devons miser sur cet outil – le partenariat oriental –, qui a fait la preuve de son efficacité et peut nous permettre de renforcer sans délai le soutien de l’Union à l’Ukraine.
Parallèlement, la construction de l’Union européenne doit se poursuivre sans que nous soyons aveuglés par l’urgence : c’est un projet de long terme, qui doit rester au service de la promotion des valeurs européennes.
Soyons actifs, mais prudents. La véritable urgence, c’est d’assurer la désescalade ; c’est de rétablir la paix sur le sol ukrainien. Ce sera l’honneur de l’Union européenne ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, en une semaine nous avons changé d’époque. L’invasion dramatique de l’Ukraine par la Russie a rebattu en un instant toutes les cartes géopolitiques, changé nos références et bouleversé nos perspectives. Il nous faut maintenant dresser un constat lucide de la situation, en tirer les conséquences et déterminer enfin dans quelle voie il convient d’avancer.
Le constat, c’est d’abord celui d’un véritable choc de valeurs. En effet, nous assistons à une mobilisation puissante, déterminée et rapide de l’ensemble des démocraties occidentales contre la guerre, contre cette guerre inutile et sale voulue par un homme seul.
Très clairement, les gouvernements et, désormais, les opinions publiques de nos pays ont conscience qu’il s’agit d’une agression contre la démocratie et contre la liberté. Les Ukrainiens veulent vivre libres : Vladimir Poutine ne le supporte pas.
Ce choc a entraîné de façon quasi instantanée des révisions spectaculaires. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne et la Suède vont livrer des armes à un pays belligérant. La Finlande envisage désormais d’adhérer à l’OTAN. Même la Suisse décide de s’aligner sur l’ensemble des sanctions européennes. Le monde du sport, d’habitude réfractaire à toute idée de positionnement politique, exclut la Russie de toutes les compétitions.
Face au dynamitage de l’architecture de sécurité conçue à la fin de la guerre froide, ceux qui, comme nous tous, ont cru à la possibilité et même à la nécessité de dialoguer avec la Russie de Vladimir Poutine doivent aujourd’hui se rendre à l’évidence : pour dialoguer, il faut être deux.
Il est tout à fait légitime que la Russie ait le souci d’assurer sa sécurité, mais l’Ukraine ne la menace nullement ; et de telles considérations ne sauraient en aucun cas conduire un pays à dépecer un État souverain voisin ou à lui interdire les choix de société qu’il entend faire.
Les Ukrainiens ont choisi collectivement de vivre selon un modèle démocratique, et c’est leur droit.
La conséquence de ce constat, c’est qu’en cinq jours, par cette folle action, Poutine a tiré l’OTAN de sa léthargie. Il a fait avancer la défense européenne de trente ou cinquante ans, en réveillant l’esprit de défense qui sommeillait dans le cœur des Européens. (M. le Premier ministre opine.)
Aujourd’hui, il semble que le pouvoir russe soit surpris par la vigueur et l’unanimité des réactions occidentales. C’est bien là le cœur du problème.
Les régimes autoritaires sont profondément convaincus que les démocraties sont faibles et incapables de faire face à la violence. C’est une profonde erreur, mais elle se paye au prix fort. Ce soir, près de 700 000 réfugiés sont sur les routes et des milliers de morts sont déjà à déplorer.
En cet instant, je tiens à rendre hommage au peuple ukrainien, qui nous donne une si grande leçon de courage et de dignité au moment où il subit tant de souffrances, ainsi qu’à son chef, le Président Zelensky. Je sais que nous éprouvons tous ce sentiment.
Alors que les Russes viennent de bombarder la tour de la télévision ukrainienne pour faire taire les médias, pour faire taire la voix de l’Ukraine libre, il faut que le peuple ukrainien le sache : nous continuerons d’entendre sa voix, d’entendre la voix dénonçant les crimes qu’il subit.
Contrairement à nos démocraties, Poutine n’accorde que peu d’importance et de valeur à la vie humaine et aux libertés. Son bilan effroyable en Tchétchénie, dans les conflits gelés, avec ses milices ou contre ses opposants, en donne une sinistre illustration.
Le pseudo-référendum biélorusse de dimanche dernier est tout aussi préoccupant.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Cette consultation revient sur l’accord de 1994, lequel consacrait le statut dénucléarisé de la Biélorussie et de l’Ukraine. C’est un facteur de risque supplémentaire, ainsi qu’une preuve que le dessein de Vladimir Poutine dépasse largement la seule Ukraine.
Poutine sera au moins parvenu à ce résultat : rendre à l’Europe son unité et sa détermination.
Il y a seulement dix jours, qui, dans cet hémicycle, aurait cru que l’Union européenne financerait la livraison d’avions de combat à un pays en guerre ne comptant pas parmi ses États membres ? De même, l’ouverture de la Facilité européenne de paix à l’achat d’armes létales est un tournant majeur.
S’y ajoute une autre conséquence, plus étonnante : après avoir commis de nombreux actes hostiles dans la période récente, la Turquie se range maintenant clairement du côté de l’OTAN. Cela changera-t-il la donne en Méditerranée ? Il est sans doute trop tôt pour le dire. Du moins le monde entier voit-il qu’un coup de force militaire est une option qui peut se révéler très coûteuse.
C’est aussi cela, l’enjeu de cette crise : l’affirmation par les pays occidentaux que le droit international existe et que nous pouvons le faire respecter si, ensemble, nous le voulons.
Tirons immédiatement les conséquences de cette nouvelle donne et, avant tout, portons un regard neuf sur l’état de notre propre défense.
La loi de programmation militaire (LPM), que le Sénat a votée à plus de 95 %, marquait une remontée salutaire de notre effort de défense. Mais le monde a changé plus vite que nous ne l’avions prévu et nous devons accélérer la réponse au sujet de nos points plus faibles.
Ainsi, nous devons faire un énorme effort pour augmenter nos stocks de munitions, en particulier de munitions complexes. Lorsque, sur Kharkiv, des lance-roquettes russes tirent en une minute ce qu’un régiment français tire en un an à l’entraînement, nous devons bien sûr réagir tous ensemble. (Mme Jocelyne Guidez approuve.)
De même se pose la question de notre aviation de combat.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre des armées, vous le savez : le Sénat reste inquiet du prélèvement de 10 % de nos Rafale pour des contrats à l’export. Certes, nous les avons soutenus ; mais, à présent, il faut remplacer ces avions sans tarder, car nous ne pouvons rester au niveau envisagé. Il en est de même pour les frégates de la marine.
Dans les trois armées, il nous faut fournir les efforts nécessaires pour que nos forces gagnent en masse et en épaisseur. C’est indispensable pour faire face, le cas échéant, à des conflits de longue durée.
Nous devons également tirer la leçon de cette crise pour nos coopérations européennes.
En décidant un quasi-doublement de son budget de la défense, l’Allemagne vit une véritable révolution. Mais ces chiffres considérables doivent surtout nous inciter à construire avec elle, comme avec tous nos voisins européens, cette Europe de la défense qui renforcera notre sécurité collective.
Alors, qu’allons-nous faire maintenant ?
Bien sûr, la priorité est au soutien à l’Ukraine. Nous devons notamment assurer des livraisons d’armes, le plus vite possible.
Madame la ministre des armées, notre commission a auditionné ce matin votre directeur de cabinet et nous vous le répétons : la France doit pouvoir apporter ce soutien au plus vite. C’est une priorité. (Mme la ministre des armées le confirme.)
S’y ajoute une autre urgence : la protection des frontières de l’Union et de nos amis et alliés de l’Est – États baltes, Pologne, Moldavie, Géorgie et Roumanie. La France est présente auprès de ses alliés et elle demeure à leurs côtés. Ainsi, des Rafale français décollent désormais deux fois par jour pour aller protéger la frontière polonaise. Cette opération mobilise 600 de nos aviateurs.
Mes chers collègues, c’est cela, l’Europe d’aujourd’hui ; c’est du concret.
Il nous faudra donc faire des choix collectifs. L’exécutif qui sortira des élections du printemps prochain sera confronté à toutes ces questions, dont la première sera : comment aller plus loin que la loi de programmation militaire actuelle ?
J’ai bien dit « aller plus loin ». Notre commission se bat depuis 2019 pour la pleine exécution de la LPM. Il faudra avoir le courage d’accorder réellement les 3 milliards d’euros d’augmentation promis par le Président de la République à partir de 2023. Sans doute faudra-t-il faire plus encore. C’est à ce prix que nos coopérations européennes élargies pourront être à la hauteur des menaces nouvelles qui émergent.
Le drame affreux que vit l’Ukraine doit nous servir de leçon.
Bien sûr, notre diplomatie doit être renforcée dans ses moyens et dans son statut pour prévenir et écarter de tels dangers. Dans les moments extrêmes comme celui que nous vivons, nous mesurons toute l’importance des très grands professionnels de notre corps diplomatique : en de telles circonstances, les négociations sont évidemment fondamentales. C’est un atout de notre pays, et il a trop souvent été victime de logiques comptables à courte vue.
Il nous faudra réinvestir dans notre diplomatie, car il faudra bien que, tôt ou tard, la diplomatie succède à la violence. Il faudra rebâtir une architecture de sécurité pour l’Europe et assurer le retour à une paix durable.
En effet, ne soyons pas dupes : d’autres conflits tout aussi atroces peuvent surgir ailleurs dans le monde.
Aujourd’hui, la France et l’Europe mettent enfin un terme à leur naïveté. En soutenant l’Ukraine contre cette agression inqualifiable, nous agissons pour que cesse au plus vite ce martyre. Mais nous montrons aussi au reste du monde que, dans notre combat pour la liberté et la démocratie, nous disposons de moyens tout aussi redoutables que les armes pour garantir la paix dans le monde ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des armées.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution fait honneur à notre pays.
Il lui fait honneur, car il marque l’unité de la Haute Assemblée pour témoigner au peuple ukrainien et à ses courageux dirigeants l’amitié, la solidarité et le plein soutien du peuple français.
Le 24 février dernier, la Russie a lancé une attaque illégale et massive contre l’Ukraine. Cela fait maintenant six jours que l’armée ukrainienne et le peuple ukrainien se battent avec courage et héroïsme contre l’agresseur.
M. Premier ministre l’a rappelé : pendant plusieurs semaines, nous avons observé le déploiement progressif d’un dispositif militaire massif le long de la frontière de l’Ukraine et en Biélorussie, sous couvert d’exercices militaires. Vladimir Poutine s’était engagé à retirer ce dispositif militaire à l’issue desdits exercices, ce qu’il n’a pas fait malgré tous les efforts diplomatiques déployés, au premier rang desquels ceux du chef de l’État.
Tout d’abord, je tiens à vous indiquer très rapidement ce que nous observons. Nos moyens de renseignement, notamment nos satellites, nous permettent d’avoir une appréciation souveraine de la situation, que nous communiquons bien sûr à nos alliés.
Ce que l’on peut dire à cette heure, c’est que les Russes poursuivent leur offensive sur tous les fronts : au sud, depuis la Crimée ; dans l’est, depuis le Donbass, en appui des forces séparatistes ; et au nord, où ils mènent une offensive importante. Kiev est encerclée et des frappes sont en cours.
Les frappes des premiers jours ont principalement ciblé des équipements, des infrastructures militaires et stratégiques. Le but, pour la Russie, était de conquérir la supériorité aérienne. Mais aujourd’hui la situation est plus confuse et les informations sont difficiles à vérifier. Les forces russes maintiennent un blocus naval en mer Noire et en mer d’Azov.
Face à cela, nous avons de bonnes raisons de penser que les forces armées ukrainiennes résistent bien. Elles livrent des combats acharnés et font mieux face à l’invasion que ce que les Russes avaient anticipé. Cette combativité est le reflet du courage de tout un peuple, qui s’est levé pour défendre son indépendance et ses valeurs, lesquelles sont aussi les nôtres.
J’en viens maintenant à ce que nous faisons, aussi bien à titre national qu’avec nos partenaires et nos alliés.
Nous agissons dans deux directions : tout d’abord, pour aider les Ukrainiens à se défendre ; ensuite, pour assurer notre posture de défense, afin que la Russie comprenne bien à quoi elle s’exposerait si elle s’en prenait à l’Alliance.
Comme vous le savez, un engagement direct de nos forces ou de celles de nos alliés pour soutenir l’armée ukrainienne face à la Russie n’est pas une option. Il ferait de nous des cobelligérants de ce conflit. Or un pays comme la France ne peut recourir à la force que s’il est directement attaqué ou dans le cadre des alliances auxquelles il appartient.
Pour autant, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et laisser la résistance ukrainienne démunie face à un ennemi résolu à l’écraser, au mépris de toutes les règles du droit international. C’est pourquoi nous avons décidé de répondre à l’appel de l’Ukraine et de lui livrer des équipements de défense.
Vous le comprendrez aisément, je ne puis en donner ici le détail. Sachez toutefois que nous parlons non seulement d’équipements de protection et de carburants, mais aussi de missiles et de munitions. Comme vient de l’indiquer le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées, des détails ont été donnés à huis clos ce matin quant à la nature de cette aide.
L’Europe, elle aussi, est pleinement engagée dans cette voie. Elle a pris la décision de livrer pour 500 millions d’euros d’équipements de défense à l’Ukraine – vous avez certainement suivi cette annonce. C’est la première fois que la Facilité européenne de paix est utilisée depuis sa création, il y a un an, après des mois d’efforts auxquels la France a pris toute sa part.
En effet, cette Facilité européenne de paix n’a pas surgi miraculeusement des tiroirs des bureaux bruxellois : c’est le résultat des efforts engagés sous l’impulsion du Président de la République dès le discours de la Sorbonne, en septembre 2017. C’est donc un pas historique pour l’Europe, qui a su agir vite et fort.
À l’heure de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), nous sommes déterminés à aller encore plus loin pour donner à l’Europe de la défense tous les outils dont elle a besoin.
Nous avons aussi décidé hier, avec l’ensemble des ministres de la défense européens, des moyens de coordonner nos aides bilatérales à l’Ukraine. L’état-major de l’Union européenne a été désigné pour répondre aux demandes ukrainiennes, qu’il s’agisse des équipements de protection, des armements ou des munitions. L’Union européenne va également pouvoir s’appuyer sur un hub logistique en Pologne.
Comme vous le savez, la France est un contributeur majeur à la sécurité de ses alliés. Au lendemain de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance atlantique s’étaient accordés pour le déploiement d’une présence avancée renforcée dans les États baltes et en Pologne. Il s’agissait de montrer à tout agresseur potentiel que le territoire des pays baltes et de la Pologne était bien couvert par la garantie de l’Alliance ; nous y avons pris toute notre part depuis le début et nous continuons de le faire.
La situation créée par l’agression russe nous a conduits à décider le renforcement de ces dispositifs, non pas dans le sens d’une escalade, mais tout simplement pour défendre et rassurer nos alliés de l’Est. Le Président de la République a été très clair lors du Conseil européen, jeudi dernier, et lors du sommet de l’Alliance atlantique, le lendemain.
Nous allons donc accélérer et renforcer le déploiement déjà prévu de nos avions de chasse dans les États baltes. Dès la mi-mars, quatre Mirage 2000, appuyés par une centaine d’aviateurs, seront déployés en Estonie. Depuis le 24 février, des patrouilles quotidiennes de deux Rafale et d’un avion ravitailleur s’envolent depuis la France pour réaliser des patrouilles dans les espaces aériens situés sur le flanc Est de l’Europe.
Par ailleurs, nous renforcerons ponctuellement notre dispositif en Estonie, où une compagnie d’infanterie de montagne, composée de 200 militaires, sera déployée aux côtés de nos alliés danois et britanniques.
Enfin, nous avons accéléré le déploiement de moyens en Roumanie dans le cadre de l’OTAN, comme le Président de la République l’avait proposé dès le mois de janvier dernier. Le déploiement des premiers militaires a eu lieu ce week-end, et la montée en puissance du dispositif jusqu’à 500 militaires avec leurs véhicules blindés se poursuivra tout au long de la semaine.
Dans un second temps, nous serons rejoints par des alliés et la France assurera le rôle de nation-cadre au sein d’un nouveau dispositif créé par l’OTAN.
Pour terminer, je souhaite partager avec vous quelques réflexions sur ce à quoi nous nous préparons. La crise que nous vivons a fait brutalement prendre conscience à l’opinion publique que la guerre n’était pas une réalité se résumant à des conflits asymétriques sur des théâtres éloignés. (Mme Françoise Gatel le confirme.) L’invasion de l’Ukraine et les menaces proférées par le président Poutine à notre égard montrent que notre sécurité se joue directement en Europe.
Ce constat – vous le savez bien, ici, au Sénat – n’est pas nouveau pour le ministère des armées. Dès 2017, dans le cadre du travail stratégique engagé pour préparer la loi de programmation militaire, nous avions décrit le retour des stratégies de puissance et leurs conséquences.
L’hypothèse d’un conflit majeur en Europe a été pleinement prise en compte dans l’élaboration de la loi de programmation militaire 2019-2025, qui, comme le Président de la République l’a voulu, est une loi de remontée en puissance. Elle a donné lieu à un travail conceptuel sur la notion de conflit de haute intensité, qui nous a conduits à poser trois questions et, surtout, à commencer d’y répondre.
Tout d’abord, quelle est notre crédibilité face à un agresseur puissant et déterminé ? C’est tout l’enjeu de la remontée en puissance de notre outil de défense. Après des décennies de sous-investissement, la dernière loi de programmation militaire a précisément inversé la tendance pour moderniser nos forces et pour sécuriser un modèle d’armée complet à l’horizon de 2030.
Ensuite, quelle est notre capacité à agir en commun avec nos alliés et nos partenaires ? Soyons clairs, il y a peu d’hypothèses dans lesquelles la France serait engagée seule dans un conflit de haute intensité. Les mesures que j’ai évoquées, il y a un instant, montrent à quel point notre engagement au sein de l’Union européenne comme de l’Alliance atlantique est une composante essentielle de notre défense. Depuis cinq ans, nous avons fait grandir l’Europe de la défense et, grâce aux dispositifs que nous avons construits, comme la FEP, nous sommes désormais capables de réagir vite et fort pour faire face à une situation inédite.
Enfin, quel est le niveau de résilience de la Nation et est-elle en mesure d’encaisser un choc ? Là aussi, c’est un enjeu essentiel que nous avons d’ores et déjà pris en compte, en bâtissant une capacité à surmonter des attaques cyber massives ou des tentatives qui viseraient à paralyser nos satellites, ce qui n’est pas une situation totalement inédite.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vivons, vous l’avez tous dit, un moment historique. Il est historique pour l’Ukraine, qui lutte pour sa survie en tant que Nation et pour les valeurs que tous les Européens ont en partage. Il l’est aussi pour l’Europe, qui doit être à la hauteur. Soit l’Europe fait face, soit elle s’efface.
Avec les mesures très fortes prises au cours de ces derniers jours, et cela dans l’unité – je le souligne –, l’Europe fait face et nous faisons face. La France, vous pouvez en être certains, continuera de jouer un rôle moteur dans cette action européenne. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du tourisme, des Français de l’étranger, de la francophonie et des petites et moyennes entreprises.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, et auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Katyn en mars 1940, Budapest en 1956, Prague en 1968, Sarajevo en 1992, Kharkiv et Kiev aujourd’hui : l’Ukraine s’ajoute à la liste tragique des cauchemars européens.
Au-delà de ces terribles échos de l’Histoire, le choix de la guerre par Vladimir Poutine, qui est un choix prémédité, délibéré, illégal, injustifiable et irresponsable constitue de fait une rupture avec tous les principes et tous les engagements qui nous ont permis de nous arracher collectivement à ce passé tragique, depuis la Charte des Nations unies jusqu’à la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, en passant par l’Acte final d’Helsinki.
En ce sens, le 24 février 2022 restera dans l’Histoire, et au regard de l’Histoire, comme le jour d’une régression majeure dans la vie internationale et le droit international.
Le jour où, en Europe, la Russie est revenue sur le primat du droit sur la force, alors même qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le jour où, en Europe, la Russie a voulu anéantir la souveraineté d’un État.
Le jour où, en Europe, la Russie, en lançant une guerre contre 44 millions d’Ukrainiens, a affiché son mépris des droits humains les plus fondamentaux, comme le disait le président Cambon, les droits « à la vie, à la liberté, à la sûreté de sa personne », tous reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Le président Retailleau rappelait combien il était nécessaire de repenser le multilatéralisme pour le rendre plus efficace, en faisant preuve d’imagination. C’est la raison pour laquelle la France porte un certain nombre d’initiatives, comme l’encadrement du recours au veto au Conseil de sécurité des Nations unies, lorsqu’une situation d’atrocités de masse est constatée – 105 pays se sont ralliés à notre proposition.
Le Président de la République a également souhaité redéfinir notre architecture européenne de sécurité et poser les bases de nouvelles règles, notamment dans le domaine de la guerre informationnelle que certains d’entre vous évoquaient. C’est le but de l’Alliance pour le multilatéralisme que Jean-Yves Le Drian – hélas, retenu en Pologne, pour les raisons que vous savez – a portée avec son homologue allemand.
Par conséquent, comme l’a dit le Président de la République et comme vous avez été nombreux aussi à l’exprimer sur toutes les travées, nous sommes à un tournant historique. Oui, l’Histoire s’écrit aujourd’hui, elle dépend de nos actes et elle engage notre avenir.
Cette brutalisation de la vie internationale et du champ informationnel, qui constitue en définitive une rupture stratégique, appelait une réaction sans faiblesse non seulement de notre part, mais aussi de la part des juridictions internationales. En réponse au président Kanner, je veux préciser que le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a annoncé l’ouverture d’une enquête, le plus rapidement possible, évoquant de lui-même des « crimes de guerre » et des « crimes contre l’humanité ».
C’est pourquoi la France a agi dans une unité parfaite avec ses partenaires et ses alliés. Unis pour tenter par la diplomatie de tracer un chemin de désescalade, nous avons tout essayé. Il le fallait.
Le Président de la République, dans un effort diplomatique entièrement coordonné avec nos partenaires, a proposé des options, mais Vladimir Poutine a toujours fait le mauvais choix. Il a refusé la voix de la diplomatie, il n’a pas tenu les engagements qu’il avait pris – le Premier ministre l’a rappelé –, il n’a pas honoré la signature de la Russie, il a menti : il porte donc seul l’entière responsabilité de sa décision d’engager cette guerre.
Le président Kanner évoquait le courage de Volodymyr Zelensky, que vous avez salué sur toutes les travées.
Alors que Vladimir Poutine a fait le choix de la guerre, le président ukrainien a fait celui de la résistance. Il l’a dit très clairement et nous affirmons de la même manière, puisque le président Kanner nous a interpellés sur ce sujet, que le seul gouvernement légitime de l’Ukraine est issu des urnes : c’est celui du président Zelensky. C’est lui et lui seul que nous reconnaissons et il n’est pas question d’adopter une autre position, ni aujourd’hui ni demain.
L’unité s’est manifestée également dans la solidarité européenne à l’égard de l’Ukraine, sous la forme d’un soutien économique de 1 milliard d’euros et d’une aide humanitaire – Nadia Sollogoub et Pierre Laurent y ont fait référence.
La France mobilise 100 millions d’euros au profit des populations qui sont victimes du conflit. Un premier envoi de 33 tonnes de matériel est arrivé aux frontières de la Pologne, hier. Aujourd’hui, deux rotations aériennes ont permis d’acheminer 8 tonnes de matériel médical ; demain, 40 tonnes partiront vers la Moldavie.
Le président Patriat mentionnait l’élan de générosité des collectivités locales et des associations. Je veux dire que nous avons pris la décision d’activer le dispositif Faceco (Fonds d’action extérieure des collectivités territoriales), qui permet d’agréger les efforts des collectivités à ceux de l’État. Je suis sûr qu’il rencontrera un grand succès au regard de l’élan de générosité qui s’est élevé.
Certains d’entre vous, dont le président Patriat, ont aussi rappelé le nécessaire accueil des réfugiés ukrainiens. Le ministre de l’intérieur a fait des annonces, cet après-midi, en amont du Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) qui se tiendra jeudi prochain, sur l’activation du dispositif de protection temporaire, sur l’extension des visas pour les personnes qui sont présentes sur notre sol, et sur le travail que les préfets conduiront avec les collectivités locales pour recenser toutes les propositions en matière d’accueil et d’hébergement. Au niveau national, nous mobilisons la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair).
Puisque nous parlons de solidarité, celle-ci s’exerce non seulement avec l’Ukraine, mais aussi – cela répondra à la question d’Olivier Cigolotti – avec la Moldavie et la Géorgie. Nous serons très attentifs à leurs besoins, conformément au message que le Président de la République a adressé hier, lors d’un entretien, à la présidente géorgienne. Jean-Yves Le Drian a également eu, ces derniers jours, des échanges téléphoniques avec ses homologues moldaves et géorgiens, qui sont effectivement inquiets de la situation.
La solidarité se manifeste naturellement aussi à l’égard de nos compatriotes établis en Ukraine. Notre communauté était forte d’environ 1 500 personnes au début de la crise ; on estime qu’elle est désormais réduite à 800 ou 1 000 personnes, puisqu’un certain nombre de ces Français ont pu prendre la route jusqu’à hier encore. Un dispositif reste en place, grâce à une centaine d’agents qui se relaient jour et nuit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Notre pays est en effet l’un des rares à maintenir une emprise diplomatique en Ukraine, laquelle est repliée à Lviv mais bien présente.
Certains agents ont été projetés depuis les postes frontaliers dans l’ensemble des territoires limitrophes, pour accueillir et recueillir nos compatriotes, faire face aux besoins d’hébergement, permettre la poursuite de la route et le retour à une vie normale.
Le Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères n’est pas en reste. Côtoyant ses agents tous les jours, je peux témoigner de l’importance du maintien de ce centre d’appels. Dans une logique proactive, nous appelons nos compatriotes, les situons géographiquement, apportons des réponses à leurs problèmes, qui sont parfois d’ordre médical, et ce en lien avec les autorités ukrainiennes. Ce fil, qui peut paraître ténu, fragile, est particulièrement précieux pour nos compatriotes.
Nous favorisons également les regroupements, afin d’organiser des convois. Un convoi, que nous suivons de près, est ainsi parti ce matin à onze heures quarante-cinq. Comme l’a dit Jean-Yves Le Drian, nous ne pouvons garantir tous les aspects sécuritaires. Dans une logique de « déconfliction », nous faisons passer des messages aux belligérants, pour faciliter le retour et l’accueil aux frontières de nos compatriotes.
À cet égard, je tiens à rendre un hommage appuyé à notre ambassadeur Étienne de Poncins pour son sang-froid, son courage et son engagement sans faille, ainsi qu’à toute son équipe. Ils sont au service de nos compatriotes, et continueront de l’être.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. Unité, disais-je, mais également fermeté. Je pense aux sanctions massives qui ont été adoptées, sur lesquelles Olivier Dussopt aura l’occasion de revenir. Ces sanctions sont les plus dures que nous ayons jamais prises, à la hauteur d’actes purement illégaux, injustifiables et irresponsables.
Cette fermeté se traduit également dans les enceintes internationales. Ainsi, dès vendredi dernier au Conseil de sécurité des Nations unies, nous avons isolé la Russie, puisqu’elle a été le seul État à voter contre la résolution que nous avons portée avec 82 autres États. Demain, à l’Assemblée générale des Nations unies, le sujet reviendra. Sans nul doute, le prochain vote témoignera d’une adhésion plus large encore à notre position. Et je n’évoque pas la suspension des droits de représentation de la Russie au Conseil de l’Europe.
Claude Malhuret a évoqué le nécessaire retour de la puissance de l’Europe. En l’occurrence, l’unité a été au rendez-vous. Depuis déjà plusieurs années, l’Europe a ouvert les yeux sur la dureté du monde. Elle est sortie, à mon avis, du temps de l’innocence, du temps de la naïveté, pour reprendre les termes de M. Cambon. Elle affirme désormais sa souveraineté, retrouvant sa capacité à jouer tout son rôle dans une nouvelle architecture rééquilibrée et renforcée.
Vous le savez, depuis 2017, le Président de la République s’est employé à accélérer cette prise de conscience collective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un moment d’épreuve pour le peuple ukrainien, pour les Européens et leurs alliés, mais aussi pour notre nation. M. le Premier ministre l’a dit, cette guerre durera et aura des conséquences dans nos vies. Sous son autorité, le Gouvernement s’y prépare.
Mais je suis convaincu d’une chose : dans un monde lourd de menaces et de bouleversements, nous avons su faire face voilà quelques années, sans jamais perdre de vue les valeurs universelles de notre République, au choc des attentats terroristes sur notre sol. Nous avons également su faire face, avec civisme, au choc sanitaire.
Nous saurons faire face, dans la solidarité et la détermination, au choc du retour de la guerre en Europe. Je n’en doute pas un instant, au regard de notre débat dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE, UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aborderai à la fois la question des sanctions et celle des conséquences économiques de la crise que nous traversons.
Pour ce qui concerne les sanctions, je serai bref. M. le Premier ministre l’a dit dans son intervention liminaire, l’Union européenne a pris trois paquets de sanctions. Un quatrième paquet a été décidé le 28 février au soir pour intégrer la Biélorussie, en tout cas des acteurs biélorusses, dans le champ des sanctions. Plus de 500 personnes ou entités sont concernées. Ce travail a été mené en coordination avec nos partenaires américains, puisque les États-Unis ont leur propre régime de sanctions.
Nous devons, après chaque décision du Conseil en matière de sanctions, attendre la mise en place du règlement y afférent. Nous y travaillons activement, afin de préciser le champ des actifs et des avoirs que nous voulons geler ou saisir, la nature exacte des marchandises interdites ou des trafics interdits, et les modalités d’intervention.
Je peux vous assurer de la détermination et de la mobilisation des services de l’État pour procéder à ces gels et à ces sanctions dans le cadre des règlements déjà publiés. Des navires ont d’ores et déjà été arraisonnés, et font l’objet d’un gel. Des avoirs sont en cours d’identification, également en vue d’un gel.
Nous avons appris avec beaucoup de satisfaction l’accord de la Suisse pour transposer dans son droit interne la totalité des règlements des sanctions prises par l’Union européenne, mais aussi l’accord de la Principauté de Monaco. Ces deux accords nous permettront une coopération beaucoup plus étroite entre les services de la direction générale des finances publiques (DGFiP), les services de la douane, ceux de Tracfin et leurs homologues monégasques, suisses et européens, pour procéder à des gels et à des saisies les plus efficaces possible.
Nous avons déjà commencé ce travail. Depuis un peu plus de vingt-quatre heures, les actifs de la banque centrale russe ont fait l’objet d’un gel. Ces actifs étaient placés, en France, dans des établissements privés, au sein desquels ils ont été gelés. Nous estimons que, à l’échelle de l’Union européenne – hors Suisse et Grande-Bretagne –, plus de 100 milliards d’euros d’actifs seraient ainsi gelés, et donc indisponibles pour la Russie si elle voulait soutenir sa propre devise.
Au-delà de ces gels et sanctions, nous intervenons pour accompagner l’Ukraine. Ce volet se traduit, à la fois, par l’initiative prise par les États membres de l’Union et la Commission en matière de livraisons d’armes – Mme la ministre des armées l’a dit –, par une assistance macroéconomique de 1,2 milliard d’euros accordés par l’Union européenne, ainsi que par une aide directe de la France à hauteur de 300 millions d’euros.
Comme le Président de la République s’y est engagé, nous veillons évidemment à la traçabilité de ces aides. Nous veillerons aussi à ce qu’elles soient accordées au gouvernement ukrainien légitime ; cela implique évidemment de suivre l’évolution de la situation en Ukraine, ce que nous faisons.
J’en viens à la question des conséquences économiques pour la France. L’économie française n’est pas l’économie la plus exposée aux difficultés liées aux échanges avec la Russie.
En effet, les exportations de la France vers la Russie représentaient 6,4 milliards d’euros en 2020, soit 1,3 % de nos exportations. Quant aux importations, elles s’élèvent à 9,7 milliards d’euros, soit 1,6 % de nos importations. Pour les trois quarts, elles concernent des produits énergétiques.
À l’échelle de l’Union, les exportations représentent 90 milliards d’euros, soit 4 % du total, et les importations, 145 milliards d’euros, soit 7 % du total. Là aussi, les trois quarts de ces importations concernent des produits énergétiques.
Pour l’économie française, les quatre secteurs d’exportation les plus directement touchés sont : le secteur des matériels de transport, pour 22 % des exportations ; celui de la chimie, de la parfumerie et de la cosmétique, pour 21 % ; celui de la pharmacie, pour 12 % ; celui des machines industrielles et agricoles, pour 10 %.
Nous portons une attention particulière, qui a été rappelée ici même et à l’Assemblée nationale, au secteur de l’agroalimentaire, qui représente un peu plus de 700 millions d’euros. À cet égard, je voudrais souligner trois points.
Tout d’abord, l’achat d’engrais azotés, à hauteur de 160 millions d’euros, se heurte à une difficulté d’approvisionnement, nombre d’agriculteurs européens se fournissant en la matière auprès de l’Ukraine et de la Russie. Cette difficulté est liée au coût, le prix du gaz influant assez fortement sur ce secteur.
Ensuite, j’évoquerai la question des céréales, et en particulier du blé. Certes, la France n’est cliente en matière de blé – si elle l’est, c’est de manière très marginale – ni de la Russie ni de l’Ukraine. Toutefois, nous le savons, l’arrêt de la production de blé en Ukraine se traduira par une augmentation des cours de cette céréale au niveau mondial, avec des difficultés pour nos propres producteurs et éleveurs. Il faut souligner aussi les risques de mouvements sociaux dans certains pays, notamment en Afrique du Nord, où le pain constitue la base essentielle de l’alimentation et le premier budget des ménages.
Enfin, le secteur des métaux rares, en particulier le titane, fait l’objet d’une attention particulière. Nous travaillons bien évidemment à une diversification de notre approvisionnement.
Nous mettons actuellement en place un plan de résilience destiné à accompagner notre économie. M. le Premier ministre l’a dit, nous aurons l’occasion de le présenter dans les jours qui viennent. Nous nous efforçons de bâtir un plan ne nécessitant pas de dispositions législatives nouvelles. Toutefois, si tel était le cas, le Parlement serait convoqué. Si nous pouvons agir à droit constant, nous le ferons, pour gagner en temps et en efficacité.
Quel sera l’impact sur les finances publiques de ces différentes mesures ? Il est évidemment trop tôt pour le savoir, et ce pour deux raisons.
Premièrement, nous ne savons pas mesurer, à ce stade, l’impact des événements récents sur la confiance des ménages et des investisseurs. Nous ne pouvons donc mesurer leur impact sur la croissance.
Deuxièmement, s’agissant du secteur de l’énergie, qui mobilise toute notre attention, je rappelle que le gaz consommé en Europe est du gaz russe à hauteur de 40 %. Par ailleurs, le prix de l’électricité peut aussi être concerné par l’augmentation du prix du gaz, puisque certaines centrales thermiques fonctionnent grâce au gaz. Surtout, les mécanismes de régulation du marché européen de l’électricité indexent largement le prix de l’électricité sur le prix du gaz.
Nous répondrons à cette situation, M. le Premier ministre l’a dit, en prolongeant autant que nécessaire le bouclier tarifaire concernant le gaz et l’électricité, que nous avions mis en place pour faire face à une autre crise de l’énergie. Il peut s’avérer utile pour protéger les ménages. Nous aurons également à traiter la question des entreprises, dont la plupart ne sont pas couvertes par le bouclier tarifaire.
Tous ces éléments sont des points d’attention et de préoccupation. Les conséquences indirectes de ce conflit peuvent avoir des effets sur notre économie, même si, je le répète, celle-ci n’est pas la plus exposée.
D’après nos estimations, une crise relativement brève pourrait représenter une perte de 0,2 point de la croissance mondiale. Dans le cadre d’un conflit plus dur, cette perte pourrait être de 1 point. Nous ne savons pas encore décliner ces chiffres pour l’Europe et la France. La Russie serait évidemment bien plus touchée puisque, selon les différents scénarios, la perte de PIB pourrait représenter de 1 point à 6 points du fait des sanctions que l’Union européenne et les États-Unis ont prises récemment.
Voilà ce que je peux dire, monsieur le président, en réponse aux différents intervenants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE, UC, INDEP et Les Républicains. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement relative à la décision de la Russie de faire la guerre à l’Ukraine.
5
Suspension des travaux en séance publique
M. le président. Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour.
Dans ces conditions, le Sénat va suspendre ses travaux en séance publique.
Cette suspension ne concerne que nos travaux en séance publique. Durant cette période, notre assemblée poursuivra les divers travaux engagés au sein de ses commissions, délégations, missions d’information et commissions d’enquête.
Nous pourrons cependant nous réunir à tout moment si nécessaire.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-deux heures.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Amel Gacquerre est proclamée membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de Mme Catherine Fournier, décédée.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER