M. Jean-Raymond Hugonet. Souffrez que Max Brisson, dont on connaît le talent, puisse vous interpeller !
Dès le début de notre débat, vous avez affirmé que nous ne connaissions rien au terrain. Or je ne me retrouve pas dans vos propos ; j’habite à trente kilomètres de Paris, un point c’est tout ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je vous propose un défi : vous répondre sans être interrompu ni par le sénateur Brisson ni par vous-même, monsieur Hugonet. Si Mme la présidente me garantit que c’est possible, je poursuis mon développement.
Mme la présidente. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je vous remercie, madame la présidente.
Oui, monsieur le sénateur Hugonet, ma stratégie est très claire, pour qui veut bien l’examiner : j’entends élever le niveau général et lutter contre les inégalités. Sur ces deux critères, les résultats sont là, notamment à l’école primaire, à laquelle nous avons accordé notre priorité.
Oui, ces chiffres existent bel et bien ! Je reconnais sans difficulté que nous rencontrons des limites au collège et que la réforme du lycée ne porte pas encore tous ses fruits. Mais les chiffres montrent le succès de notre politique à l’école primaire, c’est un fait. Et vous ne pouvez pas soutenir que nous n’avons pas de stratégie.
Si nous souhaitons tous faire progresser l’école de France, ne cherchons pas de vaines polémiques. Je n’ai jamais dit que tout allait bien. En revanche, j’affirme que, en cinq ans, nous avons investi : le budget a ainsi augmenté de 13 %. Nous avons défini des priorités – en l’occurrence, l’école primaire – et nous constatons les premiers résultats de nos efforts, tant en français qu’en mathématiques, puisque les élèves réussissent 26 items sur 32.
Nous sommes parvenus à traverser la crise sanitaire, puisque nous avons fait partie des 10 % de pays n’ayant pas fermé leurs écoles, malgré les innombrables critiques et oppositions entendues à ce sujet. Je prends rendez-vous avec vous : l’histoire jugera ; nous verrons ce qu’il en sera dans quelques années. Notre pays fait progresser ses enfants à l’école primaire, nous avons bâti les fondements de l’amélioration de l’enseignement secondaire et de la revalorisation des professeurs.
Beaucoup reste à faire, mais un pays ayant réussi à faire progresser ses écoliers tout en traversant une crise sanitaire ne doit pas rougir de son école. Nous devrions en être fiers collectivement, plutôt que de cultiver des polémiques. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, je n’ai pas évoqué ce qui, pour moi, est un échec – il s’agit du premier sujet dont nous avons parlé –, car je ne voulais pas ramener la discussion sur mon métier.
Pour autant, des actions comme La Rentrée en musique, mise en œuvre à votre arrivée, en 2017, c’est de la pure communication ! L’éducation nationale est aujourd’hui incapable d’assurer une pratique correcte de la musique dans les écoles, ou alors c’est en mettant un professeur des écoles au milieu de la cour avec un tambourin et un pipeau. Mais ce n’est pas cela, la musique !
Là où un véritable enseignement musical est dispensé, là où l’on fait de la musique un élément éducatif majeur, il y a intervention de détenteurs d’un diplôme universitaire de musicien intervenant. Et par qui sont-ils payés, monsieur le ministre ? Par les communes que votre gouvernement est en train de saigner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. En définitive, ce dont nous souffrons, c’est de ne pas avoir eu le temps d’aller au fond d’un sujet qui nous passionne les uns et les autres, indépendamment de nos convictions ; en effet, monsieur le ministre, nous avons tous la certitude que l’école est un des piliers de la République, ainsi qu’un outil de consolidation de notre société, de partage de valeurs et de construction de l’avenir.
Je voudrais remercier le groupe Les Républicains d’avoir accepté la demande de Max Brisson d’ouvrir ce débat.
Voilà longtemps que je suis rapporteur spécial du budget pour la mission « Enseignement scolaire » ; je le suis, en tout cas, depuis votre nomination, monsieur le ministre. À ce titre, j’ai exactement six minutes de temps de parole pour traiter un budget de 60 milliards d’euros – soit 10 milliards d’euros par minute !
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que chaque parlementaire ici présent a son expérience, son parcours de vie, son ressenti, et il se trouve que c’est vous qui recueillez cette expression trop longtemps bridée et aujourd’hui rendue possible par la demande de Max Brisson.
Il est difficile, en très peu de temps, de satisfaire tout le monde. Je vous ai connu lorsque vous étiez recteur de Créteil et j’avais apprécié – à l’époque, j’étais déjà rapporteur spécial du budget – votre implication sur le terrain. Mais vous n’êtes pas un homme politique, vous n’avez pas l’expérience du suffrage universel. La pratique des élections vous aurait épaissi le cuir, monsieur le ministre : il y a des piques qui n’ont simplement pas d’importance et qu’il faut accepter en tant qu’elles font partie du jeu !
Toutefois, allons plus loin, parlons des chiffres, car de l’impossibilité d’aller au bout de cette réflexion provient, je crois, le caractère frustrant du débat.
Prenons l’exemple de l’enseignement des mathématiques – pour lequel, d’ailleurs, je vous remercie d’avoir créé un groupe de travail. C’est un sujet ; peut-être y a-t-il à cet égard un malentendu immense… Mais un malentendu, lorsqu’il est immense, devient une affaire politique nationale, qu’il convient de désamorcer !
Au-delà des chiffres, réels ou non, de la diffusion de l’enseignement des mathématiques ou de la féminisation, avérée ou non, de l’effectif des enseignants en mathématiques, se trouve une réalité simple : le vivier des candidats à cet enseignement est trop faible, et les concours en subissent évidemment les conséquences.
Par ailleurs, nos professeurs des écoles sont essentiellement des littéraires, qui, certes, ont un diplôme bac+5, mais qui manquent d’appétence pour les mathématiques.
Je n’ouvre pas ce dossier, car je n’en ai absolument pas le temps. Mais cela prouve que l’on peut toujours se jeter des chiffres à la tête. Si l’on n’a pas le temps de pousser la réflexion au bout, cela ne suscite que de la frustration. Or un dialogue qui se transforme en affrontement n’est ni votre souhait, monsieur le ministre, ni le nôtre, ni celui de Max Brisson.
M. Gérard Longuet. Vous savez, je n’en suis pas à ma première élection présidentielle. Mes amis en ont gagné trois et perdu trois ou quatre autres. Franchement, la France continue d’exister après les élections ! En revanche, que l’éducation nationale ne prenne pas la bonne direction, c’est une véritable tragédie, car il s’agit d’un paquebot de très haute mer, dont il est extrêmement difficile de corriger le cap.
Prenons un second exemple : l’augmentation de 13 % de votre budget.
Certes, il y a une augmentation de 13 %, mais ayons l’honnêteté de reconnaître collectivement que cet accroissement provient, pour 60 %, du glissement vieillesse technicité (GVT) et du protocole relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations et à l’avenir de la fonction publique (PPCR).
Personne ne voulait de ce protocole, hérité de François Hollande, et pour cause : il permettait de soutenir les fonctionnaires les plus anciens, qui sont à peu près convenablement payés, mais n’aidait pas les plus jeunes, qui, eux, sont insuffisamment rémunérés. Vous avez essayé de corriger ce PPCR et, pour cela, parce qu’il allait dans la bonne direction, j’ai fait voter votre budget ici même. Cela étant, vous héritez d’un dispositif extraordinairement pesant ; nous ne vous en faisons pas le reproche personnellement, mais il faut le savoir.
Quelles conclusions apporter à ce débat ?
Sur l’école primaire, il faut avancer. C’est la base !
Il est également fondamental de travailler sur le lien entre lycée et université, trop de jeunes entrant à l’heure actuelle à l’université sans aucune préparation. Qu’il y ait des difficultés et des adaptations nécessaires, c’est une évidence. Il faut, à la fois, un peu de patience et un peu de compréhension.
À cet égard, monsieur le ministre, ce dont vous souffrez le plus, c’est de ne pas avoir d’alliés pour conduire la réforme : il sera nécessaire, pour vous ou votre successeur, d’en trouver. La réforme et les orientations prises ne sont pas en cause. Le problème, c’est votre solitude !
S’agissant de vos partenaires naturels, les collectivités locales, vous mettez en avant les cités éducatives. Comme c’est Mme Jacqueline Gourault qui paie, j’ai examiné son budget : 100 millions d’euros en trois ans, pour un objectif de 200 cités éducatives, correspondant à un 1 million d’élèves. Cela fait exactement 33 euros par élève et par an ! Je veux bien, mais si ce n’est pas là une opération de communication…
Les cités éducatives témoignent sans doute d’un engagement des élus, mais elles ne vont pas renverser la table en permettant la prise en main effective de certains enfants en difficulté.
C’est en ce sens, monsieur le ministre, que vous avez besoin d’alliés. Annoncer par des communiqués des orientations qui sont bonnes ne suffit pas si, dans la réalité, la mesure se heurte à toutes les difficultés liées à l’ampleur de ce ministère : la moindre évolution coûte tout de suite des centaines de millions d’euros ; une erreur de virgule se paie automatiquement par un effort du contribuable ou par une conduite du changement impossible à tenir. Autrement dit, ce qui est décidé ne sera pas nécessairement appliqué, comme les écoles du socle en sont la meilleure démonstration.
En réalité, monsieur le ministre, vous avez passé un excellent moment avec nous ! (Sourires.) Nous avons, vous le découvrez, la passion de l’éducation nationale, et nous serions tout à fait prêts à aider un ministère qui prendrait en considération les partenaires que sont les collectivités locales, les employeurs et, in fine, les parents.
En effet, c’est la famille qui fait les enfants, qui en a la responsabilité et qui les porte jusqu’à leur majorité. Un gouvernement ne considérant pas la famille comme élément premier de l’éducation passe à côté des réalités. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat visant à dresser un bilan de la politique éducative française.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Innovation en santé
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires sociales, de la proposition de loi relative à l’innovation en santé, présentée par Mmes Catherine Deroche, Annie Delmont-Koropoulis et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 223, texte de la commission n° 499, rapport n° 498).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la proposition de loi.
Mme Catherine Deroche, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré toutes les qualités de la recherche française en santé, malgré le très haut niveau dont peuvent, à raison, se prévaloir nos scientifiques, nos instituts de recherche et nos entreprises, nos capacités d’innovation en santé souffrent à présent d’un certain retard par rapport à celles de nos voisins.
La France a largement sous-estimé certaines tendances lourdes, dont l’effacement des frontières entre recherche fondamentale et recherche clinique et appliquée, le besoin d’investissements massifs pour prendre le virage des biotechnologies, ou encore la délocalisation des capacités de production en principes actifs.
L’indépendance sanitaire française en a été sérieusement entamée. Les difficultés que notre pays a éprouvées dans la production d’un vaccin contre la covid-19, en comparaison avec les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, sont symptomatiques de cette nouvelle donne paradoxale, faite d’excellence de la recherche « à la française » et de corsetage manifeste de ses potentialités. Résoudre cette tension est un impératif : il y va de l’accès des patients aux thérapies les plus susceptibles de les soigner.
Mes chers collègues, c’est ce à quoi s’emploie la proposition de loi que je vous présente ce soir. Elle découle de la fusion de deux précédentes propositions qu’Annie Delmont-Koropoulis et moi-même avions rédigées séparément, en 2019 et 2020. Elle est quelque peu technique, j’en conviens, mais peut constituer une réelle avancée pour les acteurs de la recherche et pour les patients, ce qui est le plus important.
Ce texte articule la défense de grands objectifs, comme la souveraineté sanitaire et le développement de la médecine personnalisée, avec la mise en œuvre de solutions concrètes pour fluidifier les procédures d’évaluation des recherches et permettre aux acteurs de l’écosystème de l’innovation en santé de produire, sans obstacle superflu, les traitements innovants les plus adéquats pour les patients.
Les dysfonctionnements sont, pour certains, identifiés depuis assez longtemps. La question de l’accès précoce est une préoccupation ancienne et constante de notre commission.
Dans un rapport que j’avais cosigné avec Yves Daudigny et Véronique Guillotin en juin 2018, en préparation du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) avait évalué le modèle français de l’accès précoce en cherchant à objectiver les conditions et les délais de mise à disposition des thérapies innovantes à chacune des étapes, des essais cliniques à la commercialisation des médicaments après leur autorisation de mise sur le marché (AMM), en passant par le système spécifique des autorisations temporaires d’utilisation (ATU).
D’autres éléments ont été précisés dans le rapport coécrit par Annie Delmont-Koropoulis, rapporteure de cette proposition de loi, et Véronique Guillotin dans le cadre du CSIS de 2021, qui a fourni en juin dernier un état des lieux actualisé de la situation, assorti de recommandations opérationnelles nouvelles.
Certaines avancées proposées par ces rapports ont été réalisées, comme les extensions d’indications. D’autres devraient être mises en œuvre prochainement par le Gouvernement, comme la création d’une agence de l’innovation en santé. Peut-être le secrétaire d’État nous en dira-t-il davantage sur le calendrier de sa création, annoncée en décembre dernier par le Premier ministre.
D’autres dysfonctionnements font précisément l’objet du présent texte. Nos deux collègues rapporteures proposaient ainsi de moderniser le fonctionnement des comités de protection des personnes, les CPP.
Ces comités, chargés d’émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine, sont aujourd’hui surchargés. Cet engorgement retarde les essais cliniques indispensables à l’élaboration de nouveaux traitements.
L’article 6 s’attaque tout particulièrement à ce sujet et propose une solution originale pour externaliser les dossiers de recherches non interventionnelles, qui sont les dossiers en plus forte croissance, vers d’autres acteurs.
Il est en cela conforté par les articles 4, 5, 8 et 9, qui visent à améliorer le fonctionnement et à renforcer l’attractivité de ces comités de protection des personnes, à organiser leur évaluation et à favoriser les bonnes pratiques, ainsi qu’à renforcer la prévention des conflits d’intérêts par la création d’un déontologue au sein de la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine.
Il s’agit aussi de donner corps à la notion de souveraineté et de sécurité sanitaire, que la proposition de loi range parmi les objectifs des stratégies nationales de recherche et de santé, avec l’amélioration de la qualité de vie.
L’autre grand enjeu de cette proposition de loi est l’accès des patients aux innovations.
Le forfait diagnostic cancer prévu par l’article 14 et la détermination, par l’article 16, d’un critère nouveau de « valeur thérapeutique relative » sont autant de dispositions qui entendent favoriser l’accès des patients aux fruits de l’innovation médicale. La facilitation des essais cliniques en ambulatoire, l’organisation du transport sanitaire des enfants atteints de pathologies rares vers les centres spécialisés y contribuent de façon plus indirecte, mais tout aussi importante.
Par ailleurs, le texte introduit dans la loi la définition de la médecine personnalisée. Certains la connaissent sous le terme de « médecine de précision », « médecine 4P » ou « médecine 5P ». Son développement s’appuierait sur la recherche appliquée en santé, également définie par l’article 12, ainsi que sur des volets spécifiques au sein de la stratégie nationale de santé et de la stratégie nationale de recherche, comme le prévoit l’article 13.
À la fluidification de l’évaluation des recherches, à la facilitation de l’accès des patients à l’innovation, à la consécration des objectifs de souveraineté sanitaire et de développement de la médecine personnalisée, s’ajoutent enfin quelques dispositions sur la problématique des données personnelles de santé.
L’accès à ces données d’une incroyable richesse doit être facilité pour mieux comprendre les effets d’un traitement. C’est tout l’enjeu, notamment, de l’exploitation des données en vie réelle, sur lesquelles la Haute Autorité de santé doit s’appuyer plus systématiquement.
L’accès aux données de santé doit toutefois faire l’objet d’un encadrement équilibré : la confiance de nos concitoyens dans le système national des données de santé (SNDS) est effectivement indispensable pour permettre à ce dernier de déployer son plein potentiel au bénéfice des patients.
La sécurisation du stockage des données personnelles de santé au niveau européen, visée par l’article 22, est un moyen déterminant du renforcement de cette confiance.
Anticipant quelque peu sur la mission d’information relative aux données de santé que la commission des affaires sociales lancera très prochainement, je saisis d’ailleurs l’occasion fournie par l’examen de cette proposition de loi pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, davantage d’explications sur les conditions dans lesquelles le contrat de prestation liant Microsoft et la plateforme des données de santé a été conclu en avril 2020.
Où en sont, par ailleurs, la recherche et le développement des solutions techniques de substitution de niveau européen pour héberger et gérer les données personnelles de santé ? Il ne paraît pas possible de se satisfaire de la situation actuelle, qui est, il faut bien le dire, assez bancale.
Cette proposition de loi me semble offrir un arsenal de mesures cohérent et assez large pour développer l’innovation en santé sur notre territoire.
Je voudrais enfin remercier la rapporteure, Annie Delmont-Koropoulis, qui a conduit un travail de consultation de grande ampleur sur ce texte et l’a profondément amélioré, conformément aux intentions de son auteure, dans un souci permanent de prise en compte des réalités de terrain. Elle est allée jusqu’à proposer des solutions assez audacieuses pour faire sauter les derniers verrous – je songe au désengorgement des comités de protection des personnes ou à la création de CPP spécialisés.
Je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Annie Delmont-Koropoulis, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a indiqué Catherine Deroche, ce texte reprend certaines des propositions que nous avions formulées séparément en 2019 et en 2020, ainsi que celles qui sont issues des derniers travaux de la commission, notamment le rapport que j’ai coécrit avec Véronique Guillotin dans le cadre du CSIS de 2021.
J’ai en outre auditionné, pour l’occasion, près d’une soixantaine de personnes, reflétant toute la richesse de l’écosystème de la recherche en santé : acteurs de la recherche académique, industriels du médicament, spécialistes des traitements innovants en oncologie ou en pédiatrie, autorités de régulation, entrepreneurs des biotechs, acteurs de l’évaluation éthique de la recherche. Il s’agissait pour moi de solliciter les vues les plus larges sur ce sujet d’importance majeure, pour les patients d’abord, pour le rang de la France dans la compétition scientifique et industrielle ensuite.
Le premier volet de ce texte vise à améliorer le système d’évaluation éthique des recherches conduites dans le domaine de la santé. En effet, toute recherche impliquant la personne humaine doit faire l’objet d’un avis favorable d’un comité de protection des personnes. Or ces instances sont mal équipées pour absorber la charge de travail qui leur revient. D’où les solutions proposées par le texte : mieux les équiper et alléger cette charge de travail.
L’article 3 visait ainsi, afin de garantir aux comités les moyens matériels nécessaires à l’exercice de leurs missions, à les rattacher systématiquement à un centre hospitalier universitaire (CHU).
La commission a proposé d’élargir cette possibilité aux centres hospitaliers et aux établissements de santé publics et privés d’intérêt collectif – qui peuvent être, par exemple, des centres de lutte contre le cancer. Elle a également proposé que certains CPP soient spécialisés en pédiatrie et en maladies rares, car ce sont des compétences spécifiques, dont la bonne identification contribuera à soutenir le développement des recherches.
L’article 8 prévoit la valorisation de la participation aux travaux des CPP dans la carrière des universitaires et praticiens hospitaliers, afin de remédier au déficit d’attractivité de ces activités, aujourd’hui faiblement indemnisées et exercées pour l’essentiel par des passionnés.
L’allégement de la charge de travail des CPP fait l’objet de l’article 6. Plus d’un tiers des demandes de recherche soumis aux CPP pour évaluation sont des recherches non interventionnelles. Il s’agit de la troisième catégorie de recherches définie par la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite Jardé, d’où leur nom : RIPH 3. Elles sont sans risque pour la personne humaine.
Les fabricants de dispositifs médicaux étant appelés à réaliser davantage de recherches post-commercialisation, le nombre de RIPH 3 a vocation à croître encore.
Dans notre rapport, Véronique Guillotin et moi-même proposions de transférer ces dossiers à un comité d’éthique spécialisé. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) formulait déjà une proposition analogue en 2014.
Les auditions m’ont toutefois conduite à reconsidérer le problème.
Peu d’interlocuteurs semblent croire à la solution du comité unique spécialisé, pour des raisons tenant à son volume d’activité attendu et au risque de concentration des conflits d’intérêts. Je reste par ailleurs sceptique sur la solution proposée par le député Cyrille Isaac-Sibille lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, consistant à créer des « comités d’éthique locaux » coiffés de leur propre commission nationale de coordination et de recours.
La commission a finalement accepté de suivre ma proposition consistant à décharger les CPP des RIPH 3 en faisant appel aux comités d’éthique de la recherche (CER) qui existent déjà.
Ces comités, aujourd’hui consultatifs et logés dans les universités, examinent les recherches n’impliquant pas la personne humaine au sens de la loi Jardé, qui peuvent concerner la santé, mais aussi les sciences de l’homme. S’il arrive que des membres de CER soient aussi membres de CPP, on peut dire, je crois, que les deux mondes s’ignorent largement.
Qu’est-ce qui empêche pourtant d’imaginer leur convergence, jusqu’au partage, dans des conditions ne privant pas les CPP de leur compétence, d’une matière commune, laquelle a pour principal critère de définition d’être sans risque pour les personnes se prêtant à la recherche ?
Cela exigera, certes, de porter les CER au niveau de compétences qui est exigé pour ce type de recherches. Or il se trouve que conférer une base légale et mieux encadrer la création, le fonctionnement et l’évaluation des CER, c’est précisément l’objet de l’article 9.
C’était aussi un peu celui de l’article 4, qui rendait la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine compétente pour chapeauter les « pratiques » des CER, aussi bien que des CPP, constituer un référentiel commun, établir un annuaire des experts mobilisables, proposer des formations et abriter un déontologue chargé de prévenir les conflits d’intérêts.
Toujours afin de faciliter et mieux encadrer la recherche, l’article 1er précise les dispositions relatives aux essais cliniques en ambulatoire, rend possible le recours à la télémédecine lorsque les patients sont suivis à domicile et tâche de remédier au problème du transport des enfants atteints de pathologies rares vers les centres spécialisés, qui sont donc peu nombreux et mal répartis, où les essais cliniques peuvent être conduits.
Le deuxième volet de ce texte vise à soutenir la recherche dans le domaine de la médecine personnalisée.
Les articles 11 à 13 tendent à faire du développement de la médecine personnalisée un objectif commun aux politiques de recherche et de santé publique.
L’article 11 prévoit que la politique nationale de recherche et la recherche publique contribuent au renforcement de la souveraineté et de la sécurité sanitaire, ainsi que de l’amélioration de la qualité de vie.
Pour améliorer la qualité de prise en charge, rangée par l’article 12 parmi les objectifs de la politique de santé, la médecine personnalisée, désormais définie comme l’adaptation des actions de prévention et des stratégies diagnostiques et thérapeutiques aux spécificités du patient et de l’affection, serait selon moi un puissant adjuvant.
Le troisième volet consiste à favoriser l’accès des patients à l’innovation.
L’article 14 introduit un mécanisme original visant à mieux prendre en charge le diagnostic d’un cancer. De tels actes sont aujourd’hui financés par une enveloppe fermée au sein de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) et rendue trop étroite par les progrès du séquençage de nouvelle génération.
Issu des réflexions que j’ai pu avoir avec Dominique Stoppa-Lyonnet, professeure de génétique et ancienne membre du Comité consultatif national d’éthique, cet article consiste à prendre en charge forfaitairement la recherche de biomarqueurs diagnostiques, pronostiques ou théranostiques pour tout nouveau cancer diagnostiqué chez un patient.
L’article 15 confie à la Haute Autorité de santé une mission de veille et de prospective, que la future Agence de l’innovation en santé exercera peut-être, mais qu’il n’est pas inutile, en attendant, d’inscrire dans la loi. En outre, il assouplit légèrement l’organisation de la Haute Autorité.
Les articles 16 et 18 visent à favoriser l’accès des patients aux médicaments innovants.
Le premier prévoit, à titre expérimental, que le Comité économique des produits de santé (CEPS) pourra fonder le prix d’un médicament innovant, dont l’amélioration du service médical rendu est par hypothèse difficile à mesurer par comparaison avec un autre, sur un critère nouveau, celui de sa « valeur thérapeutique relative », qui serait soumis à des réévaluations périodiques en fonction des données de vie réelle collectées.
La dernière partie du texte est relative aux données de santé.
Les titulaires d’une autorisation de mise sur le marché ou les exploitants d’un traitement peuvent avoir besoin, pour évaluer son efficacité en vie réelle, d’accéder aux données de santé du SNDS.
L’article 20 vise à mieux encadrer cet accès et à le conditionner à la remise annuelle d’une étude évaluant les effets de la prescription des produits, ainsi qu’à la validation d’un protocole de recherche par le comité compétent.
Les articles 21 et 22, enfin, visent à renforcer les garanties des citoyens patients quant à l’usage de leurs données personnelles de santé.
L’article 21 interdit l’usage de ces données par les organismes complémentaires à des fins de sélection des risques.
L’article 22 tend à sécuriser le stockage des données en santé en réservant leur hébergement et leur gestion à des opérateurs relevant exclusivement de la juridiction de l’Union européenne.
Certes, il n’existe pas encore de solution technique souveraine à même de remplacer Microsoft Azure, l’outil auquel la plateforme des données de santé a recouru pour héberger et gérer les données de santé du SNDS. Toutefois, les risques sont réels et ils peuvent saper la confiance de nos concitoyens dans le SNDS, entravant ainsi le plein déploiement de ses capacités, en particulier au bénéfice de l’innovation en santé.
Je salue à ce propos l’ouverture de l’espace numérique de santé, indispensable pour améliorer le suivi des patients, ainsi que la coordination entre les médecins traitants et les spécialistes.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce texte s’efforce, dans un format réduit, de lever un certain nombre de freins à l’innovation en santé, dans le souci de soutenir l’ensemble de l’écosystème. Puisse-t-il bénéficier de la navette pour être amélioré et profiter à la recherche et à notre pays dans son ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)