Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chaque année, 3 000 personnes en moyenne demandent à changer de nom, pour des raisons multiples : leur nom est difficile à porter ou à prononcer, la plupart du temps, ou encore, dans certains cas, leur nom porte une charge affective qui renvoie à un mal-être ou un traumatisme, tel qu’un parent violent ou délaissant.
Depuis 2014, ce changement de nom est déjà possible, mais à la suite d’une longue procédure administrative, inscrite à l’article 61 du code civil, qui impose de saisir le ministre de la justice et de lui indiquer les motivations de cette demande. À l’issue d’une instruction qui dure environ deux ans, un décret de changement de nom est publié, si l’avis définitif est favorable.
Le texte initial de cette proposition de loi de liberté visait principalement à modifier cette longue procédure pour permettre de changer de nom de famille plus facilement, une fois dans sa vie, de manière à faire cesser des souffrances et à apaiser des familles.
Le texte initial offrait une réponse pertinente aux demandes des associations et à celles de milliers de nos concitoyens, qui alertent sur les difficultés résultant de la rigidité du droit actuel, même si celui-ci a évolué en la matière depuis quelques années.
En effet, pendant longtemps, les motifs affectifs n’étaient pas retenus comme pouvant justifier un changement de nom. Il a fallu attendre l’année 2014 pour que le Conseil d’État décide que ceux-ci puissent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du code civil.
Comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi : « En dépit de cette évolution, il est apparu pour le moins anachronique d’opposer à ces situations individuelles éminemment douloureuses une procédure aussi longue et incertaine, puisque soumise à l’appréciation de ces motifs affectifs, qui relèvent pourtant de l’intime. »
La commission des lois du Sénat a admis que la justification demandée pour changer de nom était abusive ou excessive et qu’il appartenait à chacun de souhaiter changer de nom pour des raisons affectives qui lui sont propres et intimes. Ce volet du texte initial a donc été conservé, ce que nous saluons.
Cependant, si le texte initial proposait une véritable simplification de la démarche, la version dont nous discutons désormais revient, à l’exception des motifs à faire valoir, à la longue procédure existante, la commission ne souhaitant pas mettre en place une procédure déclarative par simple formulaire Cerfa.
Nous considérons qu’il s’agit là d’un recul profond par rapport au texte de la proposition de loi initiale et nous le regrettons.
De plus, la commission des lois justifie cette position par des difficultés administratives, tout en pointant dans son rapport que la section du sceau du ministère de la justice devrait « perfectionner ses méthodes de travail et accélérer son temps de traitement administratif pour répondre plus efficacement aux demandes de changement de nom, quitte à prioriser les dossiers dans les cas les plus sensibles. »
Si je puis me permettre, cela paraît compliqué et contradictoire : si les motifs de demandes de changement ne sont plus exprimés, comment les demandes pourraient-elles être priorisées ? Cela ne pourrait se faire que de manière subjective, voire nécessairement discriminante.
Ainsi, au regard du droit positif en vigueur, la rédaction actuelle reste une avancée, au moins sur le fond. Nous simplifions en n’exigeant plus des personnes désirant changer de nom de s’en justifier par des arguments qui les regardent et qui sont du ressort de l’intime. En revanche, la difficulté demeurera s’agissant de la démarche à engager. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Cette proposition de loi, a priori anecdotique, révèle certaines problématiques sociétales d’importance et s’ancre dans une vision progressiste de la société, notamment en ce qui concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, tout en œuvrant à une meilleure prise en compte de la diversité des individus et des spécificités de chacun. Il est regrettable de l’avoir ainsi substantiellement modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par une évidence : un nom, ce n’est pas qu’une simple suite de lettres, c’est aussi l’expression de l’identité au quotidien.
Le nom, c’est ce qui nous rattache à notre passé, à l’histoire de notre famille, comme un symbole d’appartenance et de reconnaissance.
Le nom, c’est aussi notre futur, avec la responsabilité de sa transmission, génération après génération, afin de le faire perdurer.
Le nom, c’est parfois le sien et parfois celui qu’un mariage, ou une adoption, nous aura permis de prendre afin d’intégrer une famille. Dans ces cas-là, c’est un choix, très souvent positif, et cela peut être une source de fierté.
Le sujet est sensible, d’ailleurs, pour les femmes : choisir le nom de son père ou celui de son mari ? En effet, jusqu’à présent, avouons-le, nous avions rarement le choix du nom de la mère.
Choisir son histoire personnelle ou celle de la famille à laquelle on se lie ? Ou prendre les deux ? C’est souvent plus facile à justifier que de ne garder que son nom de jeune fille, tant, symboliquement, le nom est la marque du lien, qui est au plus serré au moment du mariage.
Le nom, c’est enfin la part d’intime de chaque famille. S’il peut apporter de la fierté, il peut également être porteur de drames et de douleurs. Dans certains cas, le mal est bénin – on pense à des noms un peu ridicules ou difficilement prononçables –, mais cela peut être une source de souffrance personnelle.
Pour celui ou celle qui aura subi un parent abusif ou violent, la filiation à travers le nom ne devrait pas s’imposer.
La société évolue. Nombre d’enfants aujourd’hui naissent en dehors du mariage. Les mariages ont des durées très variables, mais de plus en plus rares sont ceux qui durent une vie.
Papa et maman n’ont donc pas le même nom, et, au-delà de la tradition, comme personne n’est au courant, ou presque, que l’on peut donner les deux noms aux enfants, 80 % des enfants portent seulement le nom de leur père.
J’ai à l’esprit ces mères qui doivent sans cesse justifier leur lien avec leur enfant, parce qu’elles s’appellent autrement, contrairement à la nouvelle femme de leur mari, qui, elle, peut être sans souci considérée comme la mère, puisqu’elle a adopté le nom du père. On peut comprendre que cela entraîne lassitude et exaspération.
Il existe pourtant une façon de simplifier la vie des mères, suggérée par Marie Mercier, que je félicite de son excellent travail, une solution purement réglementaire, monsieur le garde des sceaux : il suffit de porter sur la carte d’identité le nom du père et celui de la mère. Ainsi, la mère n’a plus à prouver sa qualité et personne ne peut se substituer à elle sous prétexte de porter le même nom que l’enfant.
Revenons au changement de nom. De quoi parlons-nous ? Il y a nom d’usage et nom de famille. Pour le premier, la procédure existe déjà et elle est très simple. Une fois adultes, nous pouvons déjà ajouter à notre patronyme celui du parent dont nous n’avons pas été gratifiés.
Ce texte, dans sa version originale, proposait que l’un des deux parents puisse décider unilatéralement d’accoler les deux noms pour les enfants. La commission ne souhaite pas que cela se fasse sans l’accord de l’autre parent. Nous avons une petite divergence à ce sujet, car, de mon point de vue, l’accolement ne lèse personne.
Pour autant, il serait possible de limiter les risques de conflits concernant le nom des enfants bien en amont en faisant systématiquement remplir et signer par les deux parents le formulaire sur le choix du nom de famille. S’ils ont à se poser la question avant la naissance, les parents prendront le temps d’y réfléchir et pourront faire un choix éclairé. Cela éviterait ensuite bien du travail à vos services, monsieur le garde des sceaux.
Ce texte entendait également permettre aux enfants de substituer le nom du père, dans le cas le plus général, par le nom de la mère. Une substitution, c’est une disparition ; effacer un nom, c’est un peu effacer celui qui le porte.
Je trouve positif d’adosser les noms des deux parents, donc de montrer que les deux pèsent autant dans la famille, mais je ne puis me résoudre à l’effacement d’un parent, donc d’une partie de l’histoire de l’enfant. En cela, je rejoins la commission et son rapporteur.
Le nom de famille, quant à lui, est indélébile, ou presque, car même si la loi permet déjà de changer de nom de famille, la procédure pour ce faire est très longue, coûteuse et pas toujours couronnée de succès.
Pourtant, dans la majorité des cas, nous nous trouvons dans la situation qu’évoque le texte : les demandeurs souhaitent porter le nom du parent qui ne leur a pas été transmis. Pour eux comme pour les autres, il est nécessaire de justifier de la légitimité de la demande auprès de la Chancellerie.
Toutefois, dans ce cas précis, ne peut-on faire plus simple ? Ne peut-on pas apporter une réponse plus rapide ? C’est ce qu’a proposé notre collègue député Laurent Vignal, c’est aussi ce à quoi répond la commission des lois, mais avec une autre méthode. En effet, résumer un changement de nom à un Cerfa est une source de simplification évidente, mais qui va probablement trop loin. Nous mesurons tous ce que le nom porte de symbolique en nous.
Changer le nom ne peut se faire sans un minimum de démarche ; en moins de temps qu’aujourd’hui, car c’est nécessaire, mais pas au travers d’un Cerfa sur un coin de table.
C’est pourquoi je préfère la position de la commission consistant à améliorer la procédure existante en exemptant de toute justification une demande d’adjonction ou de substitution avec un nom de sa filiation. Cela simplifiera la tâche de la Chancellerie, tout en évitant les rejets de dossiers fondés sur l’absence de justificatifs.
En fin de compte, les propositions du Sénat ne trahissent pas l’objectif initial de la proposition de loi : faciliter la vie des Français en permettant de répondre efficacement à des situations pénibles, tout en préservant la solennité de l’acte.
Au regard de ces ajouts, et pour que le nom puisse toujours être un héritage qui se recueille et non un fardeau qui se subit, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « ne pas subir son nom pour ne plus subir son passé » : en quelques mots, la députée Aina Kuric explique la nécessité de simplifier le changement de nom. Elle témoigne : « J’ai été victime d’un père incestueux. […] Je souhaite simplement porter non plus le nom de mon bourreau, mais celui de la femme qui a fait de moi celle que je suis aujourd’hui, le nom de ma mère. »
Comme l’a souligné mon collègue héraultais Patrick Vignal, auteur du texte que nous examinons aujourd’hui, dont je salue d’ailleurs la présence dans nos tribunes : « Cette loi, c’est du bon sens ! » Elle répond non pas à un besoin théorique ou rhétorique, mais bien à une demande réelle des Français, qui ont des raisons personnelles pour cela.
La question est de tout premier ordre, car elle concerne les enjeux de construction identitaire et d’équilibre psychologique. Dans les faits, huit enfants sur dix portent encore le seul nom du père. Très souvent, cela ne pose pas de difficulté et relève du choix assumé de s’accorder avec une pratique traditionnelle dont les familles n’entendent pas se départir.
Il existe cependant des situations dans lesquelles cette pratique crée des difficultés. Le texte initial voulait y répondre. Il était question de permettre à chacun, une fois dans sa vie, de demander à prendre ou à ajouter le nom de son autre parent, par une simple démarche en mairie.
Il est important de préciser que la procédure simplifiée proposée ne permet pas de céder aux fantaisies, car tout ne sera pas permis. Elle rétablit simplement l’équilibre dans le cadre familial.
La commission des lois du Sénat a intégré de fortes modifications au texte. À l’article 1er, il a été décidé de refuser la faculté de substituer le nom d’un parent à celui d’un autre au titre de nom d’usage de l’enfant et de rétablir le consentement préalable de l’autre parent pour procéder à une adjonction de nom, tout en précisant le rôle du juge aux affaires familiales.
S’agissant du nom de famille, il a été décidé de supprimer la procédure simplifiée auprès des officiers de l’état civil, permettant à chaque majeur, une fois dans sa vie, de choisir parmi les noms de ses parents celui qui lui convient, sans avoir à le justifier.
Je regrette ces modifications, qui ne permettent pas, à mon sens, de simplifier la procédure et qui dénaturent complètement les enjeux du texte. « L’article 1er ne prend rien à personne », souligne Patrick Vignal, et il a raison : faisons confiance aux citoyens et nous retrouverons la leur.
Sur un point idéologique, la limitation du changement de nom à une unique occurrence préserve le caractère solennel d’une telle demande.
En outre, il nous faut prendre la mesure de ce que la majorité légale signifie : un élément de liberté et de responsabilité. À partir de cette étape, beaucoup de choix décisifs sont faits. Il convient, dès lors, en vertu tant de la liberté que de la responsabilité, de laisser chaque personne décider de son nom de famille. Cessons d’infantiliser les citoyens !
Enfin, il ne s’agit nullement d’éliminer le rôle du père, les noms pouvant être adjoints. Nous n’avons de cesse de réfléchir aux moyens de mieux sensibiliser les Français aux enjeux de la citoyenneté. En choisissant de ne plus les brider dans leurs choix les plus personnels, c’est-à-dire la construction de leur identité, nous optimiserons nos chances d’agir efficacement sur l’envie de chacun d’eux de dessiner plus globalement, au travers de l’exercice de la citoyenneté, l’identité nationale.
Aussi, n’oublions pas que ce texte résulte de l’écoute du terrain. Il vient de la société et de demandes concrètes de familles parfois en grande souffrance.
Le collectif Porte mon nom a notamment lancé une pétition qui a obtenu plusieurs dizaines de milliers de signatures et qui reçoit plusieurs dizaines de témoignages au quotidien. Les généalogistes, les responsables d’associations et collectifs concernés par cet enjeu, comme l’association SOS Papa, ont également apporté leur expertise.
Vous l’avez compris, l’ambition de la proposition de loi initiale ayant été malheureusement contournée en commission des lois, le RDSE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le nom est un élément constitutif de notre identité. C’est lui qui, avant même la nationalité, le genre ou l’apparence physique, nous singularise. Le nom, c’est aussi la famille, cet écrin de valeurs et d’attachements premiers, ce lieu de solidarité, d’éducation et de transmission.
Le patronyme qui lui est indissociable est parfois multiséculaire, car près de mille ans d’épaisseur historique ont donné aux noms de famille, notamment français, une valeur patrimoniale exceptionnelle.
Parce qu’ils furent ceux des illustres ou des moins illustres personnages de notre roman national avant de devenir les nôtres, nous leur devons sauvegarde et protection. À l’instar de nos monuments, de nos paysages, de nos œuvres picturales ou littéraires, ils prennent part à la richesse de notre pays et contribuent à faire de nous un peuple singulier.
Inscrit dans le marbre de la loi révolutionnaire en 1794, le principe d’immuabilité du nom a consacré sa portée identitaire et patrimoniale. Jadis, en violer les usages exposait d’ailleurs à l’emprisonnement, voire à la dégradation civique.
Les dispositions du code civil relatives au nom de famille ne datent pas non plus d’hier et font écho à ce qui constitue la structure familiale traditionnelle. Cette proposition de loi modifie donc une très ancienne législation, ce qui doit nous inciter à n’y toucher que « d’une main tremblante ».
Cela étant, la famille et les liens qui lui sont propres se sont transformés au cours des dernières décennies. Le modèle de la filiation légitime et de la prééminence du père ne va plus de soi. Il serait désuet, pour ne pas dire rétrograde, de postuler la primauté du lien de la filiation paternelle sur celui de la filiation maternelle.
Il y a plus de vingt ans, un rapport d’information sénatorial constatait déjà que la famille dite « légitime » ne constituait plus l’alpha et l’oméga de l’organisation sociale. À bon droit, le législateur a par la suite voté un certain nombre de textes pour accompagner ces évolutions et leur donner un cadre juridique propre.
Il nous appartient aujourd’hui de poursuivre cette adaptation pour répondre aux exigences de notre époque et à l’aspiration de nos concitoyens à une plus grande liberté.
C’est la raison pour laquelle les assouplissements prévus à l’article 1er sont les bienvenus. Ils épargneront notamment à de trop nombreuses femmes l’humiliation de voir leur maternité mise en doute.
Je salue également le travail de Mme le rapporteur, Marie Mercier, qui a su trouver le bon équilibre entre une procédure certes trop longue et fastidieuse et la simple déclaration devant un officier d’état civil. Ce dernier ne saurait, seul et sans nul autre élément qu’un formulaire Cerfa, décider de la substitution d’un nom de famille à un autre.
À cet égard, la nouvelle rédaction de l’article 2 conforte la gravité et la dimension presque solennelle d’un changement de nom, quels qu’en soient le motif et la nature. Je défendrai d’ailleurs des amendements aux fins de parfaire ces adaptations et de prévenir les risques d’une décision spontanée et irréfléchie.
Pour autant, certains témoignages nous obligent, notamment ceux de ces milliers de Français qui portent leur nom, il est vrai, comme un accablant fardeau.
Chacun de nous, mes chers collègues, a pris connaissance de ces récits poignants dont il émane une réelle attente. Et pour cause : c’est précisément parce qu’un nom n’a rien d’insignifiant qu’en changer plus aisément peut et doit pouvoir libérer d’une souffrance qui ne l’est pas davantage.
C’est à la croisée de ces enjeux qu’intervient cette proposition de loi. D’une part, il faut adapter notre droit aux évolutions de la société et aux attentes de nos concitoyens ; de l’autre, on ne doit pas rompre le fil de la transmission de ces noms, qui constituent, je le redis avec force, des repères historiques et patrimoniaux irremplaçables.
Je voterai cette version, rendue plus cohérente et plus sage par la commission des lois, de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice Belrhiti, je prends naturellement acte de votre conception de la famille et je respecte bien évidemment votre liberté de conscience.
Vous avez évoqué l’ordre patriarcal et la tradition française. Ce n’est pas de cela que je veux débattre à cet instant, parce que rien de ce à quoi vous tenez n’est au fond remis en cause dans cette proposition de loi : elle ne justifie en tout cas certainement pas votre crainte d’une déstructuration de la famille.
Je vais vous dire de quoi il s’agit avec simplicité et, je l’espère, le plus clairement possible.
Ce qui me gêne, c’est qu’une femme qui élève seule un enfant ne portant pas son nom soit obligée aujourd’hui de transporter avec elle son livret de famille pour l’inscrire à un cours de musique, au judo ou à l’école. Cela me chagrine, et je voudrais lui donner un petit coup de main. Ce n’est pas plus compliqué que cela ! (M. Jean-Pierre Grand applaudit.)
Ce qui me gêne aussi, c’est que des femmes qui portent un nom très prestigieux ne pourront pas le transmettre à leurs enfants, en raison de l’ordre patriarcal, pourriez-vous me dire. Je souhaiterais qu’on les aide, faute de quoi ces noms vont s’éteindre. C’est ainsi un petit pan de notre patrimoine qui risque de s’éteindre à cause des oppositions qui sont les vôtres, madame la sénatrice.
Ce qui me gêne encore plus, c’est la femme violée qui porte le nom de son violeur. Dans le journal La Croix, j’ai lu le témoignage d’une femme de 67 ans qui avait hâte que l’on puisse recourir à ce texte. Elle y expliquait porter son nom comme une plaie, une croix vivace. Elle ne voulait pas que le nom de son violeur soit sculpté sur sa tombe. Je trouve que ce type de déclaration mérite l’écoute, et c’est cette femme-là que j’ai envie d’aider.
Madame la sénatrice, j’ai reçu un nombre incroyable de courriers dans lesquels il est question d’un fils ou d’une fille qui souhaite rendre hommage à sa mère – ce n’est pas plus compliqué que cela – en adjoignant son nom à celui du père.
Mme Catherine Belrhiti. Mais c’est déjà possible !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On peut l’entendre, et cela ne déstructure en rien la famille, puisque, de toute façon, le nom de l’enfant découle soit du nom de son père, soit de celui de sa mère, soit de l’adjonction du nom de son père et de celui de sa mère, quel que soit l’ordre choisi.
Comme vous le savez, personne ne peut prendre un nom fantaisiste, et, avec ce texte, on reste dans le périmètre des patronymes de la parentèle. (Mme Catherine Belrhiti proteste.)
Pardonnez-moi de me répéter, mais ce texte ne déstructure strictement en rien la famille : il prend simplement en considération son évolution. Je l’ai souvent dit et j’ai d’ailleurs déjà eu l’honneur de le dire ici : ce n’est pas le droit qui fait la société ; c’est la société qui fait le droit, puis qui le fait évoluer.
Mme Catherine Belrhiti. Mais ce n’est pas le choix de la majorité !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce texte a pour objet de simplifier les choses. C’est un texte de liberté et d’égalité.
Les services de la Chancellerie ont grosso modo 4 000 dossiers à instruire aujourd’hui. Je ne plaide pas pro domo, mais la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a bien d’autres affaires à traiter.
Au fond, si l’on maintient le système actuel, on fait perdurer une forme d’aléa, parce que personne ne peut être certain aujourd’hui de voir aboutir sa demande de changement de nom.
J’ajoute que, pour changer de nom, on est obligé d’exposer la raison pour laquelle on le demande. Or il n’est pas toujours facile de dire à l’administration que l’on a été violé par son père ! Cela relève plutôt du registre de l’intime.
Dernier argument que l’une d’entre vous a avancé tout à l’heure : il ne faut pas infantiliser nos compatriotes. Il faut au contraire leur donner la possibilité de choisir. En définitive, il y aura probablement très peu de demandes, parce que la très grande majorité d’entre nous est fière de porter son nom.
Mme Catherine Belrhiti. Et voilà !
Mme Catherine Belrhiti. Vous venez de reconnaître que nous ne légiférons que pour une minorité !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous sommes en démocratie, et vous aurez l’occasion d’exprimer votre désaccord.
En outre, je pense à toutes ces Françaises et à tous ces Français qui portent un nom ou, plus exactement, comme je l’ai dit tout à l’heure, qui le supportent. Je veux pouvoir les aider : ce n’est pas plus compliqué que cela.
Madame la rapporteure, nous sommes au fond d’accord sur bien des choses.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Tout à fait !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je le dis parce que c’est une réalité. Vous proposez de centraliser la procédure de changement de nom au niveau du ministère de la justice. Or cela ne changerait rien pour l’adaptation des applicatifs des administrations. En effet, les changements de nom seront portés sur les actes de naissance des intéressés, qui sont tenus dans toutes les communes de naissance.
J’ajoute un dernier mot, même si nous en discuterons de nouveau tout à l’heure plus longuement – ou peut-être moins longuement d’ailleurs, madame la présidente, puisque ce qui est fait n’est plus à faire (Sourires.) –, à propos de l’actualisation des fichiers. Celle-ci ne pourra jamais s’opérer depuis le ministère de la justice, parce qu’il ne détient aucune base de données relative à l’état civil.
En d’autres termes, on met en place une machine supplémentaire ou, plutôt, on crée une boucle administrative qui est inutile et, me semble-t-il, superfétatoire.
« Simplicité », « liberté », « égalité », je pense que nous pourrions tous nous réunir derrière ces trois mots, qui finalement donnent son sens à ce texte, tel qu’il a été envisagé par l’Assemblée nationale. D’ailleurs, je sais que nous ne sommes pas loin d’être d’accord, madame le rapporteur, comme souvent sur un certain nombre de textes.
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation
Article 1er
I. – Le livre Ier du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 225-1 est complété par les mots : « , dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux » ;
2° La section 3 du chapitre Ier du titre VII est ainsi modifiée :
a) L’intitulé est complété par les mots : « et du nom d’usage » ;
b) Elle est complétée par un article 311-24-2 ainsi rédigé :
« Art. 311-24-2. – Toute personne majeure peut, à titre d’usage, intervertir l’ordre de ses deux noms accolés choisi par ses parents, substituer le nom de famille de l’un d’entre eux à son propre nom ou adjoindre à son nom, dans l’ordre qu’elle choisit, le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien, dans la limite d’un nom de famille pour chaque parent.
« À l’égard des enfants mineurs, cette faculté ne peut consister qu’en l’adjonction du nom du parent qui n’a pas transmis le sien, dans la limite d’un nom de famille, et dans un ordre choisi. Elle est mise en œuvre par les deux parents exerçant l’autorité parentale ou par le parent exerçant seul l’autorité parentale. En cas de désaccord, le juge aux affaires familiales peut être saisi par le parent qui souhaite adjoindre son nom pour statuer selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant.
« Dans tous les cas, si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis. »
II. – (Non modifié) L’article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est abrogé.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.
M. Jean-Pierre Grand. La proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation de mon collègue et ami Patrick Vignal, député de l’Hérault, a été détricotée par la commission ; en tout cas, c’est comme cela que je le perçois.
Je ne retiendrai à cet instant que l’article 1er, qui permettra à l’un des deux parents d’un enfant mineur d’ajouter son nom à titre d’usage, après en avoir informé l’autre parent. Voilà une simplification historique et qui ne change rien. N’allons pas chercher des problèmes ou des arrière-pensées là où il n’y en a pas, mais alors pas du tout ! (M. le garde des sceaux acquiesce.)
On parle d’un père et d’une mère. Or c’était le slogan de la Manif pour tous, mes chers collègues ! (M. le garde des sceaux rit. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Tout le monde devrait se réjouir que ce texte offre la possibilité d’adjoindre le nom du père et de la mère.
De plus, j’observe que ceux qui pourfendent la proposition de loi de mon collègue de l’Hérault étaient en première ligne de la Manif pour tous ! Je tenais à le dire, car je trouve que c’est vraiment étonnant.
Dans la période que nous traversons, j’estime qu’il faut être clair.