Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre nom est un pilier de notre identité. Il est depuis la Révolution française, à de rares exceptions près, immuable. Si la rigidité de l’état civil fut assouplie par la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, l’état actuel de la législation relative à la possibilité de changer de nom n’est plus adapté à certains besoins de notre société.
Si un nom de famille peut être synonyme de fierté, il peut tout autant représenter un véritable fardeau, source de souffrance.
Je pense, bien sûr, à toutes ces personnes dont le nom rappelle, à chaque moment de leur existence, un parent absent, violent ou incestueux. Je pense aussi à toutes les mères élevant seules leurs enfants et qui, ne portant pas le même nom qu’eux, doivent sans cesse prouver leur lien de filiation. Je pense enfin à celles et ceux qui sont dotés d’un nom difficile à porter, souvent victimes de quolibets, de moqueries et, dans les pires situations, de harcèlement.
Or la procédure de changement de nom, complexe, longue et coûteuse, est souvent insurmontable pour toutes ces personnes, condamnées à subir une partie de leur identité.
Les dispositions permettant de simplifier le processus de changement de nom prévues par les députés sont donc les bienvenues. Il en va de même de l’assouplissement des conditions dans lesquelles une personne peut porter, à titre d’usage, celui des noms de ses parents qui ne lui a pas été transmis.
Malheureusement, la commission des lois du Sénat semble sous-estimer l’importance que représentent certaines des dispositions adoptées à l’Assemblée nationale pour nos concitoyennes et concitoyens.
Je regrette la suppression du recours à la procédure déclarative auprès des officiers d’état civil, actée en commission. Les arguments avancés, notamment la peur de voir apparaître un état civil à la carte, ne sont pas raisonnables. L’idée de ce texte est non pas de démanteler notre état civil, mais bien de l’adapter, dans l’intérêt des Françaises et des Français. J’espère donc que nos discussions permettront à ce texte de retrouver sa consistance initiale.
Je souhaite, enfin, que ces débats ouvriront la voie à d’autres évolutions visant à assouplir les modifications d’état civil relatives aux changements de prénom et de genre, afin de rendre notre société plus inclusive pour toutes les personnes souhaitant changer cette partie de leur identité. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais commencer par remercier Marie Mercier, notre rapporteur, de la série d’auditions qu’elle a conduites et auxquelles j’ai pris un plaisir tout particulier à participer, puisqu’elles nous ont permis de préparer le débat de ce jour.
Je voudrais saluer la présence en tribune de l’auteur de la proposition de loi, notre collègue Patrick Vignal, député de l’Hérault. Par sa présence ici, il témoigne de l’intérêt qu’il porte à nos travaux.
Mes chers collègues, légiférer sur le nom est tout sauf anodin. Le nom relève de l’intime, mais ce qui fait la singularité de cet intime, c’est qu’il revêt une dimension à la fois individuelle et collective.
En effet, le nom est le marqueur d’une filiation, de l’appartenance à une famille. Il proclame aux yeux des tiers l’identité unique et singulière propre à chaque personne. C’est grâce à ce nom que l’être humain est identifié et distingué par la société, mais aussi qu’il s’inscrit dans une histoire et dans une trajectoire personnelle, familiale et sociale.
Cependant, le nom renvoie aussi à une réalité sociale : celle de la prégnance de nos coutumes, de nos traditions, de nos mœurs. Le nom est le fruit d’un héritage culturel et social.
Si, depuis les années 1980 – comme M. le garde des sceaux l’a rappelé tout à l’heure –, l’usage du terme « patronyme », renvoyant au nom du pater familias, au père de famille, tend à s’estomper, c’est principalement dû à l’action du législateur, qui a tenu à rendre à la mère la place qui devait être la sienne dans l’attribution du nom de son enfant.
En effet, héritage du code civil de 1804 et de la loi du 6 fructidor an II, le nom, tant de famille que d’usage, transmis aux enfants a longtemps été strictement et uniquement celui du père.
L’article 43 de la loi du 23 décembre 1985, dite « Badinter », est venu rompre avec cet usage et cette habitude. Il a en effet permis à toute personne majeure ou mineure d’adjoindre à son nom, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui avait pas été transmis à la naissance, ouvrant ainsi la possibilité aux enfants d’ajouter le nom de leur mère à celui de leur père.
Intervint ensuite la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, votée sous le gouvernement de Lionel Jospin, qui a supprimé la transmission automatique et exclusive du nom du père. Elle a ainsi permis aux parents de choisir le nom de famille de leur enfant : soit celui du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre de leur choix.
Enfin, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a complété ce dispositif dans un souci de meilleure égalité entre les parents.
Pourtant, malgré les évolutions successives du droit et l’existence de possibilités nouvelles, les chiffres fournis par l’Insee en 2019 nous apprennent que, parmi les enfants nés en France cette année-là, 81,4 % ont reçu le nom de leur père, 11,7 % portent un double nom et seulement 6,6 % portent le nom de leur mère. Cette réalité participe à une « invisibilisation » du nom des mères auprès de leurs enfants.
Comme le résume si justement et si tristement Marine Gatineau-Dupré, présidente du collectif Porte mon nom, « la mère donne la vie et, toute sa vie, elle va devoir le prouver ». Ces réalités ont des conséquences fâcheuses au quotidien pour les parents séparés et les familles recomposées. C’est en partie pour répondre à ces situations que notre collègue, le député Patrick Vignal, a rédigé cette proposition de loi.
Le texte qui avait été voté à l’Assemblée nationale nous semblait aller dans la bonne direction. Force est de constater qu’il n’a, hélas, pas été accueilli de la même manière par la majorité sénatoriale et par Mme le rapporteur. Je le regrette.
Quels étaient les objectifs de ce texte ?
Il s’agissait tout d’abord de faciliter les conditions de vie au quotidien des mères et des beaux-parents de familles recomposées.
L’ambition de cette proposition de loi était aussi de répondre à certaines violences et à certains traumatismes survenus dans le cadre intrafamilial – un enfant souhaitant, par exemple, se défaire du nom d’un père coupable d’inceste ou de féminicide.
Cette proposition de loi représentait également un espoir pour les personnes auxquelles le hasard de la vie a attribué un patronyme tristement célèbre. Porter le même nom qu’un terroriste, par exemple, peut constituer un poids pour les personnes concernées et ne facilite ni leur recherche d’emploi ni leur insertion professionnelle.
Pour certains et certaines de nos compatriotes, ce nom, que l’on doit normalement porter avec fierté, devient un poids, parfois même un boulet. Or en refusant la substitution pure et simple du nom d’usage pour les enfants, je crains, mes chers collègues, qu’indirectement nous ne laissions s’instaurer un climat favorable au harcèlement de ces enfants, notamment en milieu scolaire.
Ce texte se donnait aussi pour vocation de simplifier les procédures pour les parents en difficulté face aux lourdeurs administratives et aux frais suscités par de telles démarches.
La démarche de changement de nom peut effectivement durer plusieurs années – nous avons reçu plusieurs témoignages sur ce sujet – et même coûter cher si le demandeur finit par demander le concours d’un avocat. Il est évident que ces paramètres peuvent être de nature à décourager les familles en situation de précarité, notamment les femmes élevant seules leurs enfants.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) ne saurait voter ce texte, tel qu’il a été modifié par la commission des lois du Sénat.
Notre groupe a déposé des amendements susceptibles de trouver un équilibre subtil entre le texte sorti de l’Assemblée nationale et les apports rédactionnels bienvenus de Mme le rapporteur Marie Mercier.
Sur un sujet aussi sensible, je forme le vœu que nous n’ayons pas pour seul argument à opposer à cette loi, qui est tant attendue, l’hostilité de principe de telle ou telle corporation professionnelle. Je ne souhaite pas que nous ayons pour seule réponse à opposer à celles et ceux qui nous demandent cette loi la position de principe ou la réticence de principe d’un haut fonctionnaire, aussi responsable soit-il.
Mes chers collègues, nous passons notre temps ici, comme à l’Assemblée nationale et comme partout ailleurs, à plaider pour la simplification administrative. Pour une fois que nous avons l’occasion d’œuvrer pour cette dernière, qu’allons-nous expliquer à ces quelques milliers de Françaises et de Français qui nous demandent pourquoi ce qui est légitime et bon dans le domaine économique ne le serait pas aussi pour ce qui concerne le droit de la personne ?
En conclusion de mon intervention, je voudrais vous dire que tout changement législatif créera nécessairement une surcharge de travail et des évolutions administratives. Mais les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales sont là pour exécuter les décisions souveraines du Parlement.
Je ne saurais accepter que les oppositions de principe de fonctionnaires, aussi responsables et respectables soient-ils, relevant de tel ou tel ministère ou de tel ou tel syndicat de fonctionnaires locaux, viennent entraver l’action du législateur.
En outre, que pèse cette surcharge de travail face aux souffrances des personnes que nous avons entendues et qui nous ont décrit les difficultés qu’elles portent avec elles, parfois depuis tant d’années ?
Répondre à cette question en toute conscience et de manière responsable, c’est ne pas céder à la tentation d’apporter des réponses homéopathiques et consentir à changer vraiment et réellement la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, GEST et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous l’ignorez peut-être, mais, jusqu’en 2000, les Français nés à Mayotte étaient identifiés par une série de vocables, sans distinction du nom et du prénom. L’ordonnance du 8 mars 2000 a alors créé un service d’état civil de droit commun.
Les personnes majeures relevant du statut civil de droit local applicable nées avant la publication de ladite ordonnance – c’était mon cas – devaient choisir un nom parmi les vocables figurant dans leur acte de naissance, parmi les vocables servant à identifier leurs ascendants, ou encore parmi les surnoms sous lesquels elles justifiaient être connues dans la société. Un magistrat veillait évidemment à ce que ces choix ne soient pas trop baroques.
Je reconnais que, dans mon département, cette possibilité élargie a pu entraîner une certaine confusion en matière de filiation.
Toutefois, en l’espèce, mes chers collègues, le texte qui nous réunit aujourd’hui ne révolutionne pas les règles de dévolution du nom de famille, qui doivent répondre à un enjeu de stabilité – nous sommes tous d’accord sur ce point. Il ne crée pas non plus un état civil à la carte.
Non, la présente proposition de loi vise simplement à faciliter les démarches des personnes qui souhaitent porter le nom du parent qui ne leur a pas été transmis à la naissance, tant à titre d’usage que s’agissant du nom de famille. Les mesures qu’elle contient s’inscrivent donc dans le strict cadre familial et dans la filiation. Ce point devrait pouvoir nous fédérer assez largement sur ces travées.
Concernant les règles relatives au nom d’usage, celui que l’on utilise dans sa vie quotidienne et sociale, le texte introduit la possibilité de remplacer le nom du parent qui a été transmis à la naissance par le nom de son autre parent et codifie ce que la loi de 1985 permet déjà, c’est-à-dire l’accolement du nom de ses deux parents.
Pour tenir compte de difficultés particulières auxquelles font face de nombreuses personnes, notamment les mères qui élèvent seules leurs enfants et doivent en permanence apporter la preuve de leur parentalité pour effectuer des démarches scolaires, administratives, médicales ou de loisir, nos collègues députés avaient prévu que l’un des deux parents puisse adjoindre unilatéralement son nom à celui de son enfant, à titre d’usage exclusivement.
La commission des lois a supprimé, pour les mineurs, ces deux facultés de substitution et d’adjonction unilatérale.
Nous vous proposerons de les rétablir, car elles nous semblent suffisamment assorties de garanties. La substitution du nom à titre d’usage est conditionnée à l’accord des deux parents titulaires de l’autorité parentale, ce qui permet de prévenir les conflits familiaux. Quant à l’adjonction unilatérale du nom de l’autre parent, le dispositif prévoit déjà l’information préalable en temps utile de l’autre parent pour que celui-ci puisse, en cas de désaccord, saisir le juge aux affaires familiales, qui statuera dans le seul intérêt de l’enfant.
L’autre objectif du texte est de faciliter les démarches de ce millier de personnes qui demandent chaque année à changer de nom, parce qu’elles supportent leur nom plus qu’elles ne le portent, comme vous l’avez très justement dit, monsieur le garde des sceaux. Dans certains cas tragiques, il s’agit pour elles d’effacer le nom d’un parent incestueux, violent ou délaissant.
Aujourd’hui, la procédure est complexe, puisqu’il faut justifier d’un intérêt légitime ou affectif, se soumettre à de lourdes obligations de publicité et adresser sa demande au ministère de la justice. Elle est également longue, voire très coûteuse.
Grâce à cette proposition de loi, toute personne âgée de 18 ans pourra, au moyen d’un formulaire en mairie, une seule fois, choisir son nom de famille pour garder celui de sa mère ou celui de son père, ou les deux, dans le sens qu’il souhaite.
La commission a fait le choix de revenir sur la procédure simplifiée de changement de nom de famille étendue aux demandes consistant à porter le nom de famille du parent qui ne l’a pas transmis, en les exonérant seulement de la preuve de l’existence de motifs légitimes.
Nous souhaitons le rétablissement de ce dispositif : cette procédure simplifiée ne concernera qu’un nombre restreint de demandes consistant à opter pour le nom du parent qui n’a pas transmis le sien ; elle ne s’appliquera pas aux autres demandes de changement de nom.
Par ailleurs, elle ne crée pas de missions inconnues pour les officiers de l’état civil, qui sont déjà compétents en cas de demande de changement de nom fondée sur la disparité entre le nom porté en France et le nom porté à l’étranger et en cas de demande de changement de prénom.
Enfin, l’officier d’état civil pourra toujours, en cas de difficulté, saisir le procureur de la République, lequel pourra s’opposer à la demande.
Sur ces points majeurs, le texte tel qu’il est issu de l’Assemblée nationale nous paraissait répondre de façon pragmatique à des difficultés modernes et à des situations douloureuses, tout en tenant compte de l’évolution de notre société ou de la libération de la parole. Je note d’ailleurs, madame la rapporteure, en saluant au passage la qualité de votre travail, que vous avez évolué vers plus de souplesse dans votre positionnement à l’article 2, par un amendement qui a été déposé tardivement, mais dont nous débattrons tout à l’heure.
Le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), que je représente, espère que les débats sauront nous réunir dans la suite de la navette sur les moyens permettant d’atteindre effectivement les objectifs que nous partageons tous, sans pour autant priver le texte de ses principaux effets. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le nom de famille nous distingue et nous identifie, tant dans nos rapports avec les autres que dans ceux que nous entretenons avec l’administration.
Le nom est avant tout un héritage. C’est un flambeau qui se transmet de génération en génération. Il contient une signification, une histoire, que nous recevons et que la majorité d’entre nous conserve jusqu’à la mort.
Pendant des siècles, les femmes ont été exclues de cette histoire. Elles ne transmettaient pas leur nom de famille à leurs enfants.
Pendant longtemps également, ce sont uniquement les femmes qui adoptaient le nom de famille de leur mari, à titre d’usage. Le nom de jeune fille s’effaçait devant le nom de l’épouse. Les choses changent, et la loi offre désormais à nos concitoyens davantage de liberté.
Depuis 2003, les parents peuvent décider du nom transmis à leur enfant et choisir notamment celui de la mère. Cette possibilité n’est pas majoritairement mise en œuvre : plus de 80 % des enfants nés en 2020 portent le nom de leur père, mais cette attribution n’est désormais plus imposée ; elle est laissée au libre choix des parents.
Cette plus grande liberté n’a cependant pas permis de résoudre toutes les difficultés, car notre nom de famille est choisi pour nous ; nous en héritons.
Cet héritage est parfois lourd à porter. Il est parfois bien difficile d’être « le fils de » ou « la fille de ». Porter un nom qui prête à rire l’est parfois tout autant. Si certains noms nous font sourire, nous avons du mal à mesurer le fardeau qu’ils constituent pour ceux qui les portent.
Dans d’autres cas, le nom de famille renvoie à un passé douloureux. Il rappelle cruellement une histoire de violence, de maltraitance ou d’abus.
Pour des raisons qui leur appartiennent, nombre de nos concitoyens demandent à changer de nom chaque année. La procédure est souvent longue et toujours complexe ; elle nécessite la démonstration d’un intérêt légitime.
La proposition de loi que nous examinons vise à accroître la liberté de nos concitoyens en matière de nom, en ce qui concerne tant le nom de famille lui-même que le nom d’usage.
Le texte entend ainsi clarifier la possibilité pour les époux de prendre le nom de leur conjoint à titre d’usage. Il précise également le régime du nom d’usage pour les mineurs. Si cette dernière possibilité n’est pas très usitée – les mineurs sont moins de 2 % à s’en être emparés –, il demeure important de clarifier les règles en la matière pour leur permettre de mieux s’en saisir.
Le cœur de la proposition de loi est constitué par l’instauration d’une procédure simplifiée de changement de nom. Si une telle évolution paraît nécessaire à tous, les avis divergent quant aux moyens d’y parvenir.
Le texte initial proposait un changement de nom par déclaration auprès de l’officier de l’état civil, ouverte aux personnes qui souhaitent substituer ou ajouter à leur nom le nom de famille du parent qui n’a pas transmis le sien. Chaque Français pourrait alors, par simple dépôt de formulaire, changer de nom une fois dans sa vie.
La commission des lois du Sénat a craint qu’une telle procédure ne banalise le changement de nom. La solution qu’elle a retenue consiste à maintenir la procédure actuelle, mais à ne pas exiger d’intérêt légitime lorsque le changement de nom de la personne porte sur le nom de ses parents. Cela nécessite toujours la prise d’un décret, mais devrait réduire les délais de traitement.
L’objectif de ces deux propositions est identique, mais les formules qu’elles avancent diffèrent. Nous devons nous assurer qu’elles parviennent à trouver un équilibre entre sécurité juridique et liberté. En effet, le changement de nom n’est pas une procédure anodine. Nous sommes néanmoins convaincus que nos concitoyens doivent bénéficier de la plus grande liberté dans leur appréciation de ce qui leur convient.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient l’objectif porté par ce texte et votera donc en faveur de son adoption. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, en mars 1804 était promulgué le code civil des Français. Innovation juridique majeure, il a permis d’unifier les diverses coutumes et droits écrits.
En matière d’affaires familiales, notamment, sa rédaction a été guidée par le souci d’offrir aux Français une stabilité et une traçabilité de leur état civil. Ne sous-estimons pas ce progrès majeur, fruit d’un long processus historique marqué par l’apparition des noms de famille au Xe siècle.
Depuis l’Antiquité, la tradition veut que ce soit le nom du père qui soit transmis. Quoi qu’en pensent les auteurs de cette proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, celle-ci n’a jamais fait l’objet d’une contestation d’ampleur dans la société française.
Les noms de famille font partie de notre patrimoine. Si un comptage précis est difficile, il est certain que la France en détient le record mondial, avec 1,4 million, selon l’Insee.
La question de la protection de la filiation et des noms de famille s’est toujours posée, surtout quand certains d’entre eux pouvaient être menacés de disparition, par extinction de la lignée ou en raison de la primauté du nom du père.
Depuis la loi du 4 mars 2002, les parents peuvent transmettre à leur descendance le nom du père, celui de la mère ou les deux, dans l’ordre de leur choix. Malgré cela, quelque 81,4 % des enfants nés en 2019 portent encore le nom de leur père, 11,7 % un double nom et 6,6 % uniquement le nom de leur mère, preuve que la transmission du patronyme fait toujours consensus.
Pour les auteurs de la proposition de loi, pourtant, ces chiffres apporteraient la preuve, non démontrée, que la conservation du seul nom du père serait le fruit d’une oppression patriarcale.
Il faut pourtant rappeler cette évidence : l’encadrement de la liberté de choisir son nom n’est pas guidé par une quelconque oppression des Français. Au contraire, il s’agit de faciliter l’identification et les interactions, de stabiliser le droit dans le temps et de sécuriser juridiquement les transmissions. C’est aussi un outil de police générale.
Si cette proposition de loi part d’une bonne intention, ses conséquences peuvent se révéler graves. Il est d’ailleurs regrettable qu’aucune étude d’impact n’ait été réalisée.
L’usage de la procédure accélérée sur un texte qui nécessite de prendre le temps de la réflexion est problématique. Cela a d’ailleurs été rappelé par la commission des lois et son rapporteur, Marie Mercier, dont je voudrais saluer le travail.
Bien sûr, certains aspects de cette proposition de loi peuvent faire consensus. L’article 1er se contente ainsi de codifier le droit existant concernant les noms d’usage. La commission y a apporté des améliorations substantielles en retirant l’autorisation de substitution pour les mineurs. Elle a aussi empêché la possibilité pour un parent de décider seul d’adjoindre, à titre d’usage, son nom de famille au nom de l’enfant.
L’article 2, toutefois, ouvre la procédure simplifiée de changement de nom par déclaration devant l’officier de l’état civil. Un simple formulaire Cerfa pourrait ainsi permettre un effacement du nom. La notion d’intérêt légitime, qui pouvait justifier un changement de nom, disparaît.
Cette disposition risque de déconstruire la famille, la généalogie, la transmission et la filiation, en plus de faciliter l’usage par les délinquants du changement de nom afin d’échapper aux autorités.
La commission a donc eu raison de supprimer la procédure déclarative par Cerfa. Nous comprenons qu’il existe des situations individuelles dramatiques, mais ne transformons pas des cas particuliers en règle générale. Ne simplifions pas à l’extrême les procédures pour apporter des réponses à des difficultés individuelles. Les 2 000 demandes de substitution ou d’adjonction de nom par an ne justifient pas l’instauration d’un état civil à la carte.
Comme le rappelle la philosophe Sylviane Agacinski, l’état civil, c’est l’institution de la personne dans son identité sociale, son inscription symbolique dans une généalogie, un ordre qui ne dépend pas d’elle, et chacun ne peut pas décider de la loi commune.
Ne nions pas les motivations idéologiques de ce texte, justifié par un individualisme forcené et un rejet de la masculinité.
Méfions-nous de cette tendance qui consiste à transformer des droits objectifs en droits subjectifs, au nom de l’individu-roi et de la déconstruction.
Finalement, cette proposition n’apportera pas de liberté supplémentaire par rapport à la loi de 2002 ; n’ayant pas été sérieusement évaluée, notamment au plan administratif, elle créera plus de problèmes qu’elle n’en aura résolus. Elle pourrait constituer un bouleversement non maîtrisé, que ne peuvent justifier des drames personnels ou des objectifs idéologiques.
Oui aux libertés pour les Français. Oui à la simplification des procédures administratives quand cela est légitime. Non aux lois précipitées, qui remettent en cause notre droit et la sécurité juridique des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de grande importance, dans la lignée des combats féministes contre l’invisibilisation des femmes, pour leur liberté et leur égale dignité.
Si notre nom est bien le symbole social de notre statut d’individu inséré dans une société, être contraint d’y renoncer, comme être contraint de le garder contre son gré, c’est bien être contraint d’abdiquer son individualité.
C’est à cela que sont tenues depuis des siècles les femmes, au travers du mariage et de la filiation, et c’est cela qu’elles continuent majoritairement à faire aujourd’hui. Car c’est un fait : la loi française actuelle n’est toujours pas adaptée aux objectifs que se donne notre société. Si elle a bien tenté de rendre notre cadre légal moins sexiste, en permettant aux parents de choisir quel nom transmettre à leurs enfants et en brisant ainsi le monopole des hommes dans la transmission du nom, elle n’a su tenir compte du fait que le patriarcat allait néanmoins perdurer.
Ainsi, malgré la loi, dans 80 % des cas aujourd’hui, l’enfant porte encore le seul nom du père. Seulement 6 % des enfants ne portent que le nom de leur mère. Ce n’est évidemment pas parce que, par hasard, les noms des hommes seraient consensuellement considérés comme plus jolis à transmettre que les noms des femmes, lesquels ne sont d’ailleurs, en général, que les noms des hommes de la génération précédente.
Non, c’est bien que les dominations systémiques ne s’estompent pas d’elles-mêmes ; elles perdurent si on ne les contraint pas à disparaître. Or on ne le fait pas en négociant au neuvième mois de grossesse, quand la naissance arrive, à un moment qui n’est pas idéal pour gérer un conflit et pour résister à des pressions du père ou de sa propre famille.
Par ailleurs, au-delà de la violence symbolique qui consiste à effacer le nom des femmes dans 80 % des cas, la situation actuelle les contraint à gérer des complications et des souffrances additionnelles par la suite, comme les enfants qui ne portent pas le nom de leurs deux parents.
Le collectif Porte mon nom recueille ainsi tous les jours de nombreux témoignages émouvants, dont certains exemples ont déjà été mentionnés.
Je souhaitais vous en livrer un, qui est personnel. Ma mère a été abandonnée par ses deux parents ; son père a disparu à peu près immédiatement, sa mère non, mais celle-ci ne s’est pas occupée de sa fille. Ma mère a été élevée par ses grands-parents, pour être plus précis par sa grand-mère maternelle biologique et par le deuxième mari de cette dernière, le premier, violent, ayant fini par être éloigné.
Ma mère portait le nom de son « père », qui n’en était évidemment pas un. Plus tard, sa mère a eu deux enfants avec un autre homme, ses frères, mes oncles, qui portent le nom de leur père à eux.
Toute ma vie, ma mère m’a dit : « Je ne m’appelais comme personne. J’étais la seule à avoir ce nom, ce nom que personne ne partageait, le nom d’un inconnu qui m’avait abandonnée. Je ne m’appelais pas comme ma grand-mère, pas comme mon grand-père, pas comme ma mère, pas comme mes frères, pas comme mon oncle, pas comme ma cousine, pas comme mes cousins, je ne m’appelais comme personne. »
C’est pour cette unique raison que, lors de son mariage, elle a pris le nom de mon père, non pour s’appeler comme lui, comme sa famille à lui, mais pour pouvoir s’appeler comme nous, ma sœur et moi, ses enfants. Et lorsque nous avons voulu, pour un de ses anniversaires, prendre son nom comme nom d’usage, on nous a dit que c’était impossible. J’avais 17 ans. (M. Vincent Segouin s’exclame.)
À elle seule, cette histoire montre que rien ne va. Pour réparer la blessure de porter seule le nom d’un négligent inconnu, ma mère a dû prendre celui d’un autre homme. Si elle avait pu s’appeler comme ses frères, comme ses grands-parents, comme sa mère, si nous avions pu nous appeler comme elle, son nom n’aurait pas été une violence qui exclut, mais au contraire un lien qui aurait pu apaiser.
C’est à ces injustices que nous souhaitons mettre fin, en donnant la possibilité au parent n’ayant pas transmis son nom à son enfant – la plupart du temps, c’est la mère – de le faire librement et simplement ; en donnant la possibilité aux individus de changer de nom, notamment de prendre le nom du parent qui ne leur a pas transmis le sien, simplement et librement ; en automatisant la transmission du nom des deux parents, afin de sortir cette question de la négociation interpersonnelle, qui, on le voit, ne produit pas de résultat égalitaire.
Certains élus se sont inquiétés que l’on aille ainsi vers un changement profond de l’état civil traditionnel français, qui participerait à la déconstruction de la société et de la famille traditionnelle. Je veux les rassurer : ils ont raison, c’est bien notre idée ! Il s’agit de déconstruire un système traditionnel dans lequel le nom de la moitié du monde disparaît à chaque génération et de bâtir un système égalitaire et libre.
Nous espérons donc que les débats permettront d’entendre ces préoccupations et nous déterminerons notre vote en fonction du sort qui sera réservé à un certain nombre d’amendements. Cela signifie que, vraisemblablement, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)