M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Raymonde Poncet Monge. L’article 1er de la proposition de loi n’aurait de sens que dans le cadre d’une réforme plus ambitieuse de la politique familiale faisant droit à la justice sociale.
Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe Union Centriste, portée par notre collègue Olivier Henno, tend à rétablir l’universalité des allocations familiales, supprimée en 2015 durant le quinquennat de François Hollande et remplacée par une modulation pour les familles les plus aisées, au nom du redressement des comptes publics.
Alors que l’arrivée au pouvoir d’un Président de la République et d’une majorité parlementaire de gauche, en 2012, était porteuse d’espoirs et laissait entrevoir des progrès sociaux, la remise en cause de l’universalité des prestations familiales en 2014 a été l’un des symboles du refus de rupture du gouvernement de l’époque avec les restrictions budgétaires appliquées aux politiques sociales.
La modulation des allocations familiales n’a certes pas mis fin à l’universalité de l’accès aux prestations familiales, mais elle a entraîné la disparition de l’universalité du montant des prestations versées aux familles. Dès 2014, nous avions dénoncé la remise en cause du principe d’universalité de la protection sociale, hérité du Conseil national de la Résistance et pierre angulaire de notre politique familiale.
Contrairement à la fiscalité, qui remplit un rôle de redistribution verticale, les prestations familiales jouent un rôle de redistribution horizontale en faveur des familles ayant des enfants à charge, sans considération de leur milieu social ou de leurs ressources. Cette participation de chacune et chacun à notre système de protection sociale est fondamentale pour son existence. Or, en modulant les prestations familiales, on prend le risque que les plus aisés refusent de continuer de participer au financement de la sécurité sociale et préfèrent le système assurantiel. Ainsi, la modulation porte une atteinte à la cohésion sociale en renforçant le sentiment d’illégitimité des prélèvements.
En outre, il existe un lien entre la baisse de la natalité et la politique familiale menée.
Selon le rapport du Haut-Commissariat au plan du 15 mai 2021 consacré à la démographie, l’augmentation de la population française se poursuit, mais à un rythme moins important qu’entre 2008 et 2013. Sont en cause, toujours selon ce rapport, dans cette baisse quasi mécanique de la natalité, le vieillissement de la population et l’entrée plus tardive sur le marché du travail des nouvelles générations. Ainsi, la fécondité serait également un révélateur des difficultés à concilier vie familiale et vie professionnelle.
La politique familiale ne se résume donc pas au financement des prestations familiales. Bien d’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme les congés accordés aux parents ou encore les moyens consacrés à l’accueil de la petite enfance. Or, vous le savez, nous connaissons des retards en la matière. Pour ce qui nous concerne, nous défendons depuis longtemps le principe d’un grand service public de la petite enfance.
Enfin, même si je sais que nous sommes très contraints par le périmètre de nos propositions de loi, je regrette que le présent texte ne rétablisse pas le versement des cotisations patronales à la branche famille. En effet, depuis la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2013, les employeurs étaient exonérés de ces cotisations. Depuis 2019, les cotisations des employeurs à la branche famille ont été purement et simplement supprimées et remplacées par l’affectation d’une part du produit de la TVA. C’est profondément injuste. C’est la raison pour laquelle nous continuons de plaider en faveur du rétablissement des cotisations sociales patronales.
Tout en ayant parfaitement conscience de l’intérêt politique pour le groupe Union Centriste de s’adresser aux familles les plus aisées à quelques mois des élections présidentielle et législatives, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront en faveur du rétablissement de l’universalité des allocations familiales, en parfaite cohérence avec notre opposition, en 2014, à la modulation des prestations familiales. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, UC, INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Très bien !
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à apporter une première solution pour ralentir, voire inverser la baisse de natalité qu’a connue notre pays ces dernières années. Ainsi, elle a pour objet de supprimer la modulation des allocations familiales selon le revenu de la famille, qui a été introduit voilà six ans.
Alors que la question démographique était absente des débats chez la plupart de nos voisins européens, la France s’est distinguée dans les années 1930 en mettant en place une politique volontariste pour les familles. Cette politique sera renforcée, dès 1945, autour d’un principe : la solidarité envers les familles ayant des enfants à charge. Ce fut un véritable succès, puisque le taux de natalité de la France fut l’un des plus importants du continent.
Pierre angulaire de la politique familiale en France, les allocations familiales ont un caractère universel, c’est-à-dire qu’elles sont versées à toutes les familles, dès la naissance de leur deuxième enfant. Il s’agit d’inciter les parents à avoir plusieurs enfants afin de renouveler les générations. Notons, au demeurant, qu’il s’agit d’un élément majeur pour soutenir notre système de retraite par répartition.
Les allocations familiales permettent de faire partiellement face aux coûts engendrés par ces naissances. Elles étaient d’un même montant, quel que soit le revenu des familles, et elles étaient majorées lorsque naissait un enfant supplémentaire. Le principe de modulation mis en place sous le quinquennat Hollande constitue ainsi une remise en cause du principe égalitaire qui régissait les allocations familiales. Lorsque leur montant était identique pour tous les foyers, elles avaient pourtant une signification symbolique importante : les charges de famille devaient avoir le même sens politique et social pour l’ensemble de la population. La remise en cause de leur caractère égalitaire et universel fait à cet égard peser un risque majeur de délitement de la cohésion sociale entre les familles.
La famille centriste a toujours été attachée à ce principe d’universalité et nous regrettons qu’il ait été remis en question voilà quelques années. Philosophiquement, ces allocations se justifient par les éléments précités. Il ne s’agit pas de compenser une quelconque disparité de moyens financiers entre les familles. Pour cela, il existe d’autres compensations.
Avec cette modulation, le principe d’universalité, s’il n’a pas été supprimé, a toutefois vu sa portée limitée. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, et avec l’aval du Gouvernement, qui cherchait certainement à faire des économies, les députés ont adopté des amendements socialistes tendant à prévoir que, à compter de juillet 2015, les allocations familiales de base pour les foyers comptant deux enfants seraient divisées par deux à partir de 6 000 euros de revenus mensuels et par quatre à partir de 8 000 euros.
Cette modulation avait alors suscité des débats entre les différentes familles politiques, au Sénat notamment. La majorité sénatoriale a voté sa suppression, au motif qu’elle tendait à exclure des familles plutôt qu’à se recentrer sur l’enfant. Elle a toutefois été rétablie à l’Assemblée nationale.
Dans un contexte de natalité en baisse, il était important de remettre le sujet sur la table. À cet égard, je remercie notre collègue Olivier Henno d’avoir déposé cette proposition de loi. Je note qu’un seul amendement est d’ailleurs porté à notre discussion. Je salue le travail de notre collègue, qui, en sa qualité de rapporteur de la branche famille de la sécurité sociale, est parfaitement en mesure d’anticiper la soutenabilité de cette mesure.
Cependant, dire que la natalité dépendrait d’une allocation familiale reviendrait à considérer que les parents faisant le choix d’avoir plusieurs enfants le font uniquement pour obtenir une contrepartie financière. Tel n’est évidemment pas le cas. Ce serait de toute façon difficile à mesurer.
Nous ne pouvons toutefois pas ignorer que le contexte actuel joue un rôle dans le choix d’un couple d’avoir un premier enfant, un deuxième ou plus. Il ne faut pas oublier que ces dernières années n’ont pas été faciles à maints égards : attentats, crise sanitaire, inquiétudes pour l’avenir.
Une baisse de la natalité a ainsi été constatée en France et en Europe. Une étude menée par The Lancet a d’ailleurs fait ressortir que 40 % des 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans interrogés remettaient en question leur désir d’enfant par crainte du réchauffement climatique. Ces chiffres interpellent, même si avoir des enfants n’est pas la préoccupation première de cette tranche d’âge.
Pour autant, le parallélisme entre la baisse de la natalité et la modulation des allocations familiales dans notre pays en 2015 est indéniable. Nous sommes ainsi passés de 818 000 naissances en 2014 à 753 000 naissances en 2019. Il y a donc réellement matière à s’interroger. Le lien avec ce tournant de notre politique familiale ne peut être occulté.
L’article 1er de la proposition de loi supprime donc la modulation du montant des allocations familiales en fonction du revenu du foyer.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Annick Jacquemet. En réaffirmant le soutien de l’État à l’égard des familles, nous ferions un premier pas pour renforcer la politique familiale, socle de notre modèle social.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue ! Vous avez dépassé votre temps de parole de vingt secondes.
Mme Annick Jacquemet. Notre collègue Olivier Henno propose un texte court et efficace. C’est pour cette raison que notre groupe le votera à la quasi-unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pourquoi soutenons-nous la natalité en France ? Pourquoi la famille a-t-elle toujours été, dans notre pays, au cœur de l’action publique ? C’est parce que notre politique familiale vise le renouvellement des générations. C’est aussi parce qu’elle a pour but de maintenir le niveau de vie des familles, malgré les coûts induits par la naissance et l’éducation des enfants. Elle participe, de fait, à la lutte contre la précarité et la pauvreté sur notre territoire. C’est enfin parce que notre modèle vise à favoriser la meilleure articulation possible entre vie familiale et professionnelle. Il s’agit donc d’un pilier essentiel pour garantir une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans notre pays.
Depuis l’ordonnance du 4 octobre 1945, différentes aides ont été mises en place pour atteindre ces objectifs, mais, ces dernières années, de nombreuses réformes isolées ont été menées sans véritable réflexion sur ce qui signifie « faire famille » au XXIe siècle ou même sans réelle cohérence globale. Nos mesures de soutien ont par conséquent perdu en lisibilité et leur mode de versement s’en est retrouvé plus complexe que jamais.
La modulation du versement des allocations familiales, dont nous débattons aujourd’hui, a par exemple été adoptée par amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale, sans étude d’impact ni concertation avec les acteurs concernés. Cette réforme fut une véritable double peine pour nos classes moyennes, qui avaient déjà subi l’abaissement du plafond du quotient familial en 2013 et en 2014.
Or les allocations familiales ont historiquement été mises en place pour soutenir tous les citoyens français désireux d’avoir un enfant, indépendamment de leurs ressources. Face aux pays anglo-saxons, nous nous enorgueillissions de ce modèle d’équité fondé sur une solidarité horizontale, les ménages sans enfant reversant aux familles avec enfants.
Notre démographie, dynamique, semblait y répondre plus que favorablement : nous restons le pays le plus fécond d’Europe. Cependant, depuis 2014, 2015, l’indice conjoncturel de fécondité n’a fait que baisser, passant même au-dessous du seuil de renouvellement des générations en 2018.
La naissance d’un enfant engendre nécessairement des coûts qui rendent le niveau de vie des ménages avec enfants plus faible que celui des ménages n’en ayant pas. D’après un rapport de la direction générale du Trésor de 2015, l’écart entre les familles sans enfant et celles avec trois enfants et plus s’élèverait à 26 %.
Le principe d’universalité des allocations familiales n’est pas qu’une mesure symbolique. Nous ne pouvons exclure systématiquement une tranche de la population de nos systèmes de redistribution sociale si nous souhaitons que cette solidarité perdure.
Notre dispositif d’aides comprend un volet important de redistribution verticale pour soutenir les foyers les plus vulnérables : je pense notamment à l’allocation de rentrée scolaire, aux primes de naissance ou d’adoption et au complément familial. Depuis 2015, d’autres réformes importantes ont permis de soutenir tout aussi efficacement le niveau de vie des ménages les plus pauvres, comme la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA), dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, et la création de la prime d’activité.
Il importe de rappeler que la réforme de 2015 sur la modulation n’a pas bénéficié aux ménages les plus fragiles. Il s’agissait uniquement de réduire le déficit de la branche famille. Or le versement des allocations familiales ne peut et ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire.
Mon groupe parlementaire conditionnera son vote à l’adoption de l’amendement de notre collègue Colette Mélot, qui vise à supprimer l’exonération d’impôt sur le revenu dont bénéficient les allocations familiales.
Pour ma part, je voterai la proposition de loi visant à renforcer l’universalité des allocations familiales, présentée par notre collègue Olivier Henno, dont je salue le travail.
Je profite de cette occasion, monsieur le secrétaire d’État, pour vous interpeller sur la nécessité de redonner un cap stratégique à notre politique familiale face à la diminution du nombre d’enfants par ménage, à l’augmentation du nombre de familles monoparentales et à la multiplication des schémas familiaux. Il est indispensable de lancer un Family Act à la française. Un tel appel a déjà été lancé par une mission d’information parlementaire, mais est malheureusement resté sans réponse jusqu’à ce jour. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’un texte remettant en cause un principe fort auquel le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est particulièrement attaché : la justice sociale.
Oui, c’est lors du quinquennat de François Hollande, et plus précisément lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, que la modulation du montant des allocations familiales et de ses deux composantes, en fonction des ressources du ménage ou de la personne qui a la charge des enfants, a été instituée.
Certes, cette mesure s’est traduite par une meilleure maîtrise des finances publiques, à un moment où les comptes de la branche famille étaient déficitaires, mais, surtout, elle a permis, tout en respectant le principe d’universalité, d’aider davantage les familles modestes, qu’il s’agisse des familles nombreuses ou monoparentales.
Oui, cette modulation, qui avait avant tout un objectif de justice sociale, a permis de dégager des marges de manœuvre pour revaloriser l’allocation de rentrée scolaire, l’allocation de soutien familial ou encore le complément familial. Nous avions l’ambition non seulement de réduire la pauvreté, mais également de la prévenir et d’en limiter la reproduction d’une génération à l’autre, ce qui justifiait un soutien accru aux familles modestes et à leurs enfants.
Nous considérions, et c’est toujours le cas aujourd’hui, qu’une politique en direction des familles ne doit pas avoir pour unique finalité d’améliorer un taux, en l’espèce celui de la fécondité par femme. Il s’agit plutôt de déployer toute une série de mesures, que ce soit par l’État, les collectivités territoriales ou les organismes de sécurité sociale, pour aider les familles à élever leurs enfants, à faire face aux charges financières qu’entraînent leur naissance et leur éducation.
Ces mesures peuvent prendre la forme de prestations financières versées aux parents ou d’aides publiques en direction d’infrastructures qui facilitent la garde des enfants ou l’exercice des fonctions parentales.
Tout ne passe donc pas par les prestations familiales et c’est bien pour cela que nous plaidons toujours pour la mise en place d’un véritable service public de la petite enfance.
C’est bien pour cela, aussi, qu’il est erroné d’affirmer que la modulation des allocations familiales aurait constitué une remise en cause d’un des principes fondamentaux de notre solidarité nationale. Il n’y a pas de plus grande solidarité que d’aider les plus vulnérables.
Il est tout aussi excessif d’affirmer que la réforme introduite en 2015 serait responsable d’une baisse de la natalité. L’Insee vient d’indiquer que la France restait en tête des pays européens en la matière. On peut tordre les chiffres dans tous les sens, les faits sont là !
Évoquer les conséquences du rallongement des études et de l’entrée tardive sur le marché du travail permettrait, bien plus que la modulation des allocations familiales, d’expliquer la baisse du taux de fécondité selon les tranches d’âge.
Pour encourager la natalité dans notre pays, je note qu’il est de bon ton, ces derniers temps, de faire des propositions démagogiques, voire populistes, comme le versement de 10 000 euros pour chaque nouvelle naissance dans une famille « de la France rurale ».
Revenons plutôt à des mesures qui ont fait leurs preuves pour encourager les femmes à avoir des enfants : augmentation des solutions d’accueil et de garde, politiques volontaristes en matière de logement ou pour la sécurisation des parcours professionnels. Permettre aux femmes d’avoir des enfants et de travailler, de conserver un emploi stable : voilà qui devrait davantage occuper certains candidats à la présidentielle !
Enfin, nous trouvons dommage que cette proposition de loi ne s’appuie sur aucune donnée chiffrée précise. Compte tenu des enjeux, notamment budgétaires, une étude d’impact aurait permis de lever bien des doutes.
À titre personnel, j’avoue ne pas avoir non plus compris les sous-entendus de M. le rapporteur, pour qui la modulation des allocations familiales conduirait à s’interroger sur la possibilité que d’autres prestations, jusqu’ici universelles, comme les prestations d’assurance maladie, soient elles aussi modulées, ce qui remettrait en cause notre modèle social. Il n’en a évidemment jamais été question lors de la réforme de 2015 et il ne me semble pas que cela soit à l’ordre du jour. C’est donc hors sujet ! Je le dis, car, à l’imprécision, il ne faudrait pas ajouter des contrevérités.
Vous l’avez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi, d’autant que la France traverse une période difficile, dans un contexte sanitaire instable qui est venu encore fragiliser nos compatriotes les plus vulnérables, notamment les enfants mineurs de familles monoparentales, dont 40 % vivent au-dessous du seuil de pauvreté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Olivier Henno tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales repose sur la thèse selon laquelle leur modulation, introduite en 2015, a précipité la baisse des naissances dans notre pays.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a, je le rappelle, posé le principe d’une modulation des allocations familiales, des majorations pour âge et de l’allocation forfaitaire en fonction des ressources du ménage.
Cette réforme, souhaitée par le gouvernement d’Alain Juppé, par celui de Lionel Jospin, et mise en œuvre par celui de Manuel Valls, a été menée dans un souci assumé de maîtrise des dépenses publiques, alors que les comptes de la branche famille de la sécurité sociale étaient déficitaires.
Concrètement, cette réforme fait porter sur les familles les plus aisées un effort de solidarité en divisant par deux le montant des allocations familiales qui leur sont versées lorsqu’elles perçoivent des revenus supérieurs à 6 000 euros par mois ou par quatre lorsque leurs revenus dépassent 8 000 euros. En 2016, environ 450 000 familles étaient concernées, soit moins de 10 % du nombre total d’allocataires.
Permettez-moi, dans le peu de temps qui m’est accordé, de revenir sur certains des arguments qui ont été avancés par notre rapporteur.
Le premier d’entre eux revient à confondre, à mon sens, causalité et corrélation.
Il est vrai que la France enregistre depuis quelques années une baisse de sa natalité. En 2014, elle comptait 818 000 bébés ; en 2019, on en dénombrait 753 000, soit une baisse de 8 %. Peut-on affirmer pour autant que la réforme des allocations familiales en est l’une des causes principales ? À vrai dire, nul ne le sait.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’ensemble des pays de l’OCDE connaissent une baisse de leur natalité. La France, qui avait fait longtemps figure d’exception, n’échappe plus à la règle. Elle demeure pourtant, avec 1,8 enfant par femme, contre 1,56 enfant en moyenne, à la première place des pays européens.
Le second argument consiste à dire que la modulation des allocations familiales est une remise en cause des principes d’universalité et de solidarité.
Mes chers collègues, entendons-nous bien : il s’agit non pas de remettre en cause le caractère universel des allocations, mais bien de fixer un principe de répartition. Au-delà du fait que l’ensemble des prestations liées à la politique familiale fonctionnent selon ce principe, c’est justement parce que cette mesure d’économie repose uniquement sur les foyers les plus aisés qu’elle a un sens.
En 2019, les familles monoparentales représentaient près d’un quart des familles avec enfants. Elles sont, vous le savez, plus souvent en situation de précarité que les autres. Dans la majorité des cas, le parent seul est une femme. Par ailleurs, 40 % des enfants mineurs élevés dans ces familles vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire. Comment accepter, dans ce contexte, que les 830 millions d’euros que coûterait ce retour en arrière bénéficient uniquement aux familles les plus aisées ?
Comment expliquer demain à nos concitoyens qu’une famille dont les parents gagnent le SMIC percevra le même montant qu’une famille de cadres, alors même que celle-ci bénéficie déjà largement de notre politique familiale ?
Ce constat, que nous sommes nombreux à partager dans ce pays, ne signifie pas pour autant que la situation actuelle est satisfaisante.
Beaucoup pourrait être fait pour rendre les allocations familiales plus justes, qu’il s’agisse d’en modifier les seuils ou de renforcer le soutien aux familles monoparentales, mais cela fera peut-être l’objet d’un prochain débat.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nos priorités étant différentes, notre groupe votera résolument contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Bruno Belin applaudit également.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà deux siècles, Malthus nous disait en substance qu’il fallait restreindre la croissance démographique d’une nation pour ne pas mettre en péril son avenir. Nous savons aujourd’hui qu’une population nombreuse est l’une des conditions de la puissance.
La période révolutionnaire et napoléonienne nous a démontré très tôt que le nombre faisait bien souvent la force. La démographie dynamique de la France a longtemps nourri sa puissance, sans d’ailleurs que des allocations soient alors distribuées. Mais celle-ci s’est émoussée !
Plusieurs initiatives privées ont débouché sur la mise en place d’allocations destinées aux parents au sortir de la Première Guerre mondiale, mais c’est le gouvernement d’André Tardieu qui a le premier mené une politique familiale volontariste, avec la loi du 11 mars 1932.
L’objectif visé par le versement d’allocations familiales est de contribuer au renouvellement des générations par une politique de soutien à la natalité et de maintenir le niveau de vie des familles. Cela explique que ces allocations aient longtemps été décorrélées des ressources des parents.
Le gouvernement de Manuel Valls a réussi là où celui de Lionel Jospin avait échoué, en parvenant à faire adopter la modulation du montant des allocations familiales en fonction des revenus des parents. La politique nataliste s’est alors teintée de justice sociale.
Notre collègue Olivier Henno, rapporteur et auteur du texte, nous invite à revenir sur cette corrélation, pour que le montant des allocations familiales ne soit plus lié aux ressources des bénéficiaires.
Si nous sommes tous attachés à la politique familiale menée par la France depuis plusieurs décennies, beaucoup, en revanche, sont partagés sur le sujet de cette décorrélation. Nombreuses, monoparentales ou recomposées, les familles françaises ont beaucoup évolué durant ces soixante-dix dernières années.
Les ménages ont ainsi vu leur taille moyenne se réduire de près d’une personne. Ce changement est dû à plusieurs facteurs : augmentation des séparations et développement de la monoparentalité, baisse du nombre moyen d’enfants par famille, vieillissement de la population, augmentation du nombre de personnes vivant seules. Sur la question qui nous intéresse aujourd’hui, il est important de tenir compte de l’augmentation du nombre de familles monoparentales et du risque de précarité associé à cette situation.
Les deux positions peuvent se justifier.
D’un côté, la politique familiale ne vise pas, a priori, un objectif de justice sociale. Elle a pour vocation non pas de corriger une différence de revenus, mais bien d’encourager à avoir des enfants. Les allocations devraient donc être fonction des enfants et non pas des ressources.
D’un autre côté, il peut apparaître tout à fait légitime de ne pas revenir sur la modulation des allocations en fonction des revenus. La valeur incitative de leur montant se justifie difficilement pour les parents ayant des revenus élevés.
À titre personnel, j’ai déposé deux amendements sur ce texte.
Le premier a pour objet d’intégrer ces allocations dans l’assiette de l’impôt sur le revenu. Il me semble cohérent que celles-ci soient traitées comme des revenus.
Mon second amendement a été jugé contraire à l’article 40 de la Constitution par la commission. Il visait à permettre le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Le seuil de deux enfants encourage en effet les familles à atteindre, si ce n’est à dépasser, le seuil fatidique du renouvellement de la population, à savoir 2,1 enfants par femme. Il me semble néanmoins que cette incitation ne justifie pas qu’aucune allocation familiale ne soit versée pour le premier enfant.
Je note d’ailleurs que les fonctionnaires ont droit au supplément familial de traitement dès leur premier enfant. Je constate également que les allocations familiales sont versées dès le premier enfant dans l’intégralité des autres pays de l’Union européenne, ainsi qu’au Royaume-Uni.
À l’heure où la population européenne vieillit, il nous faut continuer d’inciter nos concitoyens à avoir des enfants. Si nous ne voulons pas voir notre population décroître, et notre puissance avec elle, nous devons surtout donner aux Français des raisons de croire que demain sera mieux qu’aujourd’hui.
Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront selon leurs convictions.