Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial.
M. Édouard Courtial. Madame la ministre, je voudrais souligner la cohérence de nos débats aujourd’hui : celui sur le wokisme cet après-midi, puis celui sur les travaux de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire.
Les frontières sont ténues entre diplomatie culturelle, coopération scientifique, influences ou interférences – si l’on adopte un point de vue anglo-saxon – et ingérence. Saupoudrez le tout avec un hard power diplomatiquement appelé « narratif puissant » dans un contexte de sharp power, et vous comprendrez que l’exercice n’est pas aisé et qu’il appelle de la part des élus et de tous les acteurs une forte mobilisation.
La question qui m’importe est notre degré de conscience des différentes formes d’influence, leurs risques en termes de souveraineté et les politiques que nous y opposons.
Nous avons abordé dans le rapport le sujet du financement étranger d’établissements éducatifs privés. Les réponses australiennes à ce phénomène sont très instructives. Les questions des fonds d’investissement dans l’éducation et les nouvelles technologies dans l’enseignement supérieur imposent une forte vigilance.
Le cas du rachat par le fonds chinois Weidong Cloud Education de la Brest Business School en 2016 en est un exemple criant : le choix de cette ville n’est pas anodin, alors même qu’elle est un point stratégique de défense, avec une base militaire, un lycée naval et un centre d’instruction. À l’époque, le groupe avait mis en avant sa philosophie d’ancrage territorial fort. En tant qu’élus des territoires, nous ne pouvons qu’être interpellés.
Ces investissements dans la matière grise de très haut niveau, dont l’objectif est de développer des normes techniques et scientifiques en Occident, constituent un élément essentiel de la politique des nouvelles routes de la soie.
Cela se traduit aussi par la stratégie Made in China 2025, qui, à terme, vise non pas une pénétration des marchés, mais une intégration globale de tous les échelons. Concrètement, le but pour la Chine est la création, la diffusion et l’imposition de ses propres normes de production sur tous les marchés.
Quelles mesures peuvent-elles être prises pour recenser ces investissements dans le supérieur ? Comment mieux adapter la réponse existante, mais insuffisante, que constitue la politique interministérielle de protection du potentiel scientifique et technique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Courtial, vous m’interrogez sur les raisons qui nous empêchent de contrôler les financements du secteur privé, qui peuvent parfois se faire par des puissances étrangères avec des buts non amicaux.
Dans la loi de programmation de la recherche, j’avais proposé une ordonnance pour mieux encadrer le financement de l’enseignement privé en France, mais cette disposition a été retirée à la demande du Sénat…
Quand le Gouvernement formule des propositions, on a souvent l’impression qu’elles vont à l’encontre des intérêts du secteur privé.
Je tiens à le rappeler devant vous ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin d’un système d’enseignement supérieur mixte. Certaines structures privées, notamment les établissements privés à but non lucratif ou d’intérêt général, font partie intégrante de notre modèle d’enseignement supérieur.
Toutefois, il suffit de disposer d’un local susceptible d’accueillir du public pour créer une structure d’enseignement supérieur privée et se prévaloir du titre « d’école ». Aucune règle ne l’interdit !
C’est pourquoi j’avais souhaité, dans la loi de programmation de la recherche, que ces créations soient mieux encadrées. À l’époque, on m’avait rétorqué que j’étais contre l’installation du privé en France. Je serais ravie que vous portiez aujourd’hui un regard différent sur cette proposition.
Il faut bien entendu savoir résister aux investissements étrangers. C’est vrai pour l’université comme pour les collectivités, et c’est la raison pour laquelle nous devons développer un réseau de surveillance solide de toutes les installations effectuées en France qui, in fine, pourraient nuire à notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier André Gattolin de ce rapport.
Madame la ministre, l’université est assurément un haut lieu de la République, qui participe à la construction des futures générations ; la liberté d’expression doit bien entendu y régner. Or, la présente mission d’information l’a démontré, l’université est un lieu de conflits où la recherche d’influence peut devenir une véritable stratégie d’interférence.
Aussi, je soutiens pleinement le deuxième objectif avancé par la mission : il faut aider les universités à protéger leurs valeurs de libertés académiques et d’intégrité scientifique. La connaissance est assurément une question d’intérêt général !
Une première mesure concrète consiste à lutter contre la censure d’intervenants ou de conférenciers, notamment via le bénéfice de la protection fonctionnelle ou la possibilité d’actions en justice. On doit pouvoir laisser s’exprimer l’ensemble des opinions, dans le respect de la loi qui fixe des limites – diffamation, injure, provocation à la haine, etc.
Une seconde mesure consiste à réaffirmer l’autonomie de la recherche par un impératif renouvelé de neutralité axiologique, notamment via la possibilité d’une évaluation contradictoire des résultats d’une soutenance. La recherche doit transmettre des connaissances, et non traduire un jugement moral ou politique.
Dès lors, madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il renforcer les libertés académiques afin que l’université bénéficie de la variété de ses ressources conceptuelles ? Et comment se protéger des risques d’influence et d’ingérence étrangère, notamment en ce qui concerne la sécurité numérique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Moga, l’université est un lieu non pas de conflits, mais de débats, car débattre empêche de se battre. L’échange d’arguments permet de se forger des opinions, au-delà des idées préconçues.
L’apport de l’université, c’est précisément de faire prévaloir la méthode scientifique et le principe de l’évaluation contradictoire.
Nous avons tous observé, au cours de cette pandémie, comment se construit un consensus scientifique. Au début, chacun dit : « Je pense que… » À la fin, le pluriel l’emporte, car, sur certains points, nous pouvons dire « Nous savons », et, sur d’autres, « Nous restons dans l’ignorance et nous cherchons encore ». C’est ainsi que la science fonctionne.
Il est essentiel de préserver le débat contradictoire. Pour cela, chacun doit, dans le respect de son champ de compétences, être capable de proposer des hypothèses, de porter des idées et d’en débattre de manière argumentée, sans invectives ni disqualification préalable.
Si, à l’occasion d’un travail de recherche, vous ne trouvez que des éléments qui confortent vos hypothèses de départ, c’est probablement que votre bibliographie est mal construite ou que vous travaillez, non sur une question controversée, mais sur un sujet qui fait l’objet d’un consensus scientifique.
Quant aux problèmes de cybersécurité, ils sont bien réels. Nous y travaillons avec l’Anssi pour former les acteurs et les aider à se protéger au mieux. Nous effectuons notamment des tests grandeur réelle, au cours desquels nous mimons des attaques et nous observons la manière dont les acteurs réussissent à se protéger.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la ministre, ma question porte sur la sécurisation des données nécessaires à la recherche scientifique.
Les attaques dans l’espace numérique se sont multipliées, partout dans le monde, à un rythme quasi exponentiel ces deux dernières années. Tous les experts font part de leurs inquiétudes et confirment que la situation sécuritaire dans l’espace numérique est désormais particulièrement préoccupante et devrait continuer à se dégrader dans les années qui viennent. La capacité des cybercriminels à commettre leurs forfaits croît plus rapidement que celle de leurs victimes à se protéger.
L’une des recommandations du rapport de la mission est de généraliser la réalisation par l’Anssi d’un audit sur la sécurité des systèmes informatiques des universités, afin d’identifier les failles existantes.
Je pense notamment aux rançongiciels, qui ont pris d’assaut les systèmes informatiques de certaines entreprises, mais aussi d’hôpitaux, de laboratoires de recherche ou d’universités. Ces derniers font peser un risque, par la copie, voire la perte de données sensibles, et ce risque s’accroît avec l’essor des data lakes, qui permettent de stocker sans garanties sérieuses des données sensibles, ainsi sujettes aux attaques extérieures.
Quant à nos moyens de protection, dans son rapport d’avril 2021, la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) recommandait au Gouvernement de développer et de renforcer les liens entre les acteurs politiques publics et les industriels du numérique, afin de faire émerger des solutions de cloud de confiance.
Cette solution souveraine s’avère d’autant plus pertinente depuis que le Cloud Act, adopté au Congrès américain en 2018, permet un accès extraterritorial aux données stockées chez des fournisseurs de service établis sur le territoire des États-Unis.
Pourtant, un mois après la remise du rapport de la CSNP, votre gouvernement annonçait que « certaines des données les plus sensibles de l’État français et des entreprises peuvent être stockées en toute sécurité en utilisant la technologie cloud développée par Google et Microsoft, si elle est concédée à des entreprises françaises ».
Plus récemment, ce sont les opérateurs du nucléaire français qui annonçaient recourir au service cloud Azure de Microsoft pour stocker des données.
Dès lors, ma question est la suivante : le Gouvernement a-t-il pris conscience de la vulnérabilité des infrastructures informatiques de la France, en particulier s’agissant du stockage des données dédiées à la recherche scientifique, à l’heure où les principales puissances numériques sont au bord du cyberaffrontement ?
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Christian Redon-Sarrazy. Les mesures prises sont-elles à la hauteur du risque ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Redon-Sarrazy, le sujet que vous évoquez est pris extrêmement au sérieux ; nous y travaillons avec l’Anssi.
Comme le préconise le rapport, les audits des systèmes d’information des opérateurs du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ont commencé, avec notamment les tests grandeur nature que j’évoquais précédemment, qui permettent de mesurer si les préconisations de l’Anssi fonctionnent et si les établissements sont capables d’éviter quelques pièges classiques des cybercriminels. J’ai rencontré le directeur de l’Anssi pas plus tard que la semaine dernière pour travailler sur cette question.
Tous les centres de calcul sont aussi protégés de manière très spécifique, comme vous pouvez l’imaginer.
La question du cloud de confiance se pose au niveau européen. Malheureusement, il reste là encore un peu de travail avant de parvenir à un accord sur cette question. Mais, nous le savons, c’est collectivement que nous devrons trouver une solution.
Il faut aussi que tout un chacun s’informe et comprenne la situation. Les gens n’hésitent pas à communiquer de très nombreuses informations, dont certaines sont extrêmement précieuses, via leur téléphone portable. Ils ne comprennent pas que si celles-ci venaient à tomber entre des mains malveillantes, elles permettraient que l’on fasse pression sur eux ou sur notre pays.
L’éducation à la cybersécurité est donc essentielle, pour tous nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’excellent travail, mené en un temps record, par la mission d’information présidée par notre collègue Étienne Blanc, dont André Gattolin était le rapporteur.
Madame la ministre, les conclusions de ce rapport sont sans appel : la menace est réelle. La France est une cible pour les influences étrangères. Au-delà de la simple influence culturelle, certains États comme la Chine semblent réorienter leur stratégie autour de l’économie.
Tel est le cas de certains instituts Confucius, qui recentrent leurs activités sur la coopération économique en ciblant spécifiquement les entrepreneurs et les cadres dirigeants, avec la mise en place d’un réseau et de partenariats.
Si un partenariat universitaire n’est pas en soi une mauvaise chose, il doit être réalisé en toute transparence, et non sans une certaine vigilance. Les recommandations formulées dans le rapport tendent à sécuriser ces partenariats en permettant notamment la saisine des ministères concernés, l’économie, l’intérieur ou encore les armées.
Les auteurs proposent également que les accords passés avec les filiales françaises des entreprises étrangères extra-européennes soient systématiquement soumis à une procédure d’examen préalable.
Quelles suites allez-vous donner à ces recommandations, madame la ministre ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Bouloux, des dispositions réglementaires s’appliquent déjà à tous les partenariats internationaux établis par les établissements d’enseignement supérieur. C’est évidemment le cas des partenariats noués entre les instituts Confucius et les établissements d’enseignement supérieur, qui entrent dans la catégorie des partenariats internationaux.
Il est essentiel de préserver l’accès au système d’information de l’établissement, en veillant concrètement à l’existence de systèmes d’information séparés. Des personnes non autorisées ne doivent pas, en toute légalité, car on leur en aurait donné l’accès, s’introduire dans le système d’information.
Les actions de coopération sont menées sous la responsabilité des présidents ou des directeurs d’établissement. Ils en assurent la mise en œuvre dans le cadre de leur autonomie, mais doivent évidemment respecter les dispositions réglementaires, notamment celles qui concernent la protection du patrimoine scientifique et technique.
Toutefois, vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, nous devons aller encore plus loin, en intégrant les sciences humaines et sociales à la protection de ce patrimoine scientifique et technologique. Pour le moment, les actions étaient centrées sur l’intelligence économique et les technologies. Mais nous devons aussi nous prémunir contre les ingérences intellectuelles.
Chaque fois qu’ils rencontrent un problème spécifique, les établissements se retournent vers le ministère. Nous leur apportons des conseils et leur suggérons parfois de rompre leurs accords avec les instituts Confucius.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux, pour la réplique.
M. Yves Bouloux. Je ne doute pas de votre travail sur ce sujet, madame la ministre, mais j’insiste : dans un monde toujours plus dur, nous devons instamment protéger notre patrimoine.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Lorsque nous débattons des conclusions de ce rapport sur la meilleure manière de protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques, nous ne devons jamais oublier que le fondement même de l’université reste la circulation et le partage des connaissances, des idées, des hypothèses et des doutes ; vous l’avez d’ailleurs rappelé, madame la ministre.
Deux sortes de menaces peuvent finalement être identifiées : l’espionnage et la captation d’information, tout d’abord – en la matière, le rapport formule de nombreuses propositions ; l’influence, ensuite, une menace plus complexe, qui va de pair avec la circulation des idées.
Si nos chercheurs sont bons, on peut espérer qu’ils parviendront à déjouer les influences que certaines puissances souhaiteraient avoir sur eux. Mais il subsiste les pressions directes, qui, par le biais des menaces, peuvent peser sur les orientations de la recherche.
Je citerai en exemple les travaux de Mme Cécile Vaissié, consacrés aux réseaux du Kremlin en France, sur lequel notre mission d’information ne s’est pas particulièrement penchée d’ailleurs. En 2019, cette universitaire a dû faire face à des attaques en diffamation d’origines variées, dignes des meilleures procédures bâillons.
Il a fallu qu’elle trouve la force de se défendre et de contrer les menaces qui pesaient sur ses travaux. La justice lui a finalement donné raison, en confirmant le caractère sérieux et documenté de son travail, mais ce combat fut difficile, et elle s’est trouvée très isolée pour le mener.
Madame la ministre, quelles conséquences avez-vous tirées de cette expérience ? Comment, trois ans plus tard, proposez-vous de lutter contre ces menaces de procédures bâillons – il est beaucoup question de lanceurs d’alerte actuellement –, afin de prémunir nos chercheurs contre de telles opérations ? Il y va de la liberté académique et de la liberté de la recherche.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Leconte, vous avez raison de distinguer, d’une part, ce qui relève de l’espionnage – autrement dit de la captation de résultats obtenus dans des laboratoires français et de leur transfert non consenti vers d’autres laboratoires –, et, d’autre part, ce qui relève de l’influence.
S’agissant de l’influence, il convient également de séparer deux aspects. En matière de recherche, les idées circulent naturellement. Par définition et par principe, des chercheurs français ont pu influencer des chercheurs d’autres pays, et réciproquement.
Il y va autrement lorsque l’on contraint un chercheur à braver l’interdit et que l’on touche à son intégrité scientifique. Il est inadmissible de forcer un chercheur à renoncer à son intégrité, c’est-à-dire à publier, sous la pression, des résultats contraires à ses travaux.
Si la justice s’est mêlée du cas que vous rapportez, le monde académique, en général, se protège en réalité lui-même. Les autres chercheurs confirment ou infirment la validité de l’hypothèse scientifique qui a été émise, puis démontrée ou discutée par les pairs.
C’est en cela que réside la force de la recherche. C’est cela qui la rend internationale : elle est indépendante de toute action en justice, puisque c’est l’évaluation par les pairs qui fait foi, et cela dans le monde entier.
Dans le cas spécifique que vous mentionnez, rappelons encore et toujours la nécessité absolue de demander la protection fonctionnelle et de ne jamais rester seul dans ce genre de circonstances. L’institution est là pour protéger la liberté académique, donc protéger le chercheur.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues membres de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, en particulier André Gattolin, de ses travaux très bien documentés.
Madame la ministre, beaucoup s’inquiètent des importantes opérations d’influence, voire d’ingérence étrangère, dont la France fait l’objet. Dans tous les domaines, des efforts particuliers sont déployés pour déstabiliser notre pays.
Les travaux issus de la mission d’information ont permis de mettre en exergue cette réalité, longtemps ignorée et peu documentée : les influences étrangères sur le monde académique constituent aujourd’hui à l’évidence une menace réelle pour notre souveraineté nationale.
Ainsi, des États comme la Chine, la Russie, la Turquie ou encore certains États du Golfe persique s’emploient, dans nos universités, à détourner délibérément les valeurs de liberté et d’intégrité scientifique à des fins de politique intérieure ou d’ingérence.
Les travaux de la mission d’information soulignent que ces ingérences sont le fruit d’une combinaison d’au moins trois facteurs : premièrement, l’influence des ressources budgétaires, qui se matérialise, pour les chercheurs français, par des rémunérations et des conditions de travail moins favorables que dans les autres pays ; deuxièmement, la faiblesse administrative d’établissements, certes autonomes dans leur gestion, mais soumis à des injonctions souvent contradictoires ; troisièmement, et enfin, la culture d’ouverture d’un monde de la recherche par nature réticent à penser son activité dans un contexte de conflits et d’intérêts nationaux.
Madame la ministre, dans ces conditions, pourriez-vous nous indiquer les mesures que vous envisagez de prendre afin de pallier, ou tout au moins de corriger, ces trois fragilités majeures de notre système d’enseignement supérieur ?
Comment comptez-vous, par là même, aider les universités à faire face à ces ingérences et, finalement, mieux protéger notre patrimoine scientifique et notre liberté académique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Bonhomme, s’agissant de la première des trois raisons que vous avancez, nous avons la chance, je le répète, d’avoir un système protecteur de ce point de vue.
En effet, l’immense majorité des ressources budgétaires des établissements publics vient du secteur public, c’est-à-dire de l’État, des collectivités territoriales ou des fonds alloués à la formation continue, à la formation professionnelle ou encore à l’alternance. Ces établissements ne sont donc pas concernés par le financement massif par des puissances étrangères. Cela peut être le cas, parfois, de certains établissements privés ; il convient alors de faire preuve d’une extrême vigilance.
S’agissant, ensuite, de l’autonomie des établissements – la loi d’autonomie ayant été portée par Mme Pécresse, vous ne sauriez la remettre en cause, monsieur le sénateur –, il n’y a pas d’injonction contradictoire. Les établissements publics répondent aux politiques publiques et choisissent eux-mêmes la voie à suivre pour y répondre. Pour avoir été moi-même à la tête d’un établissement, je vous confirme que certains laboratoires doivent être mieux protégés que d’autres ; chaque chef d’établissement concerné le sait.
Enfin, vous évoquez la « naïveté » de certains chercheurs, qui estiment bien plus important de partager que de protéger et qui parfois, d’ailleurs, ne voient pas très bien en quoi leurs recherches peuvent intéresser au-delà de leurs collègues travaillant sur les mêmes sujets.
En la matière, précisément, nous devons faire preuve de persuasion et de pédagogie. Nous devons communiquer sur des exemples de recherches qui pouvaient paraître extrêmement conceptuelles ou fondamentales à l’origine et qui ont été néanmoins captées au bénéfice d’autres puissances. Cela suppose une certaine force de conviction, comme souvent dans l’université.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial.
M. Cédric Vial. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de remercier à mon tour Étienne Blanc et André Gattolin, respectivement président et rapporteur de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire.
Les travaux auxquels j’ai eu l’honneur de participer montrent à quel point les enjeux sont forts et notre situation préoccupante.
Nous péchons par naïveté. Ni notre souveraineté ni notre liberté académique ne peuvent être conditionnées au moindre compromis ou à de petits ajustements offerts ou concédés, sous l’influence méthodique de nations étrangères.
Toute relation diplomatique nous expose assez logiquement à des stratégies d’influence dans un cadre officiel. En revanche, des agissements nettement plus offensifs révèlent une ingérence et une volonté d’infléchir notre liberté académique, par des formes de censure, de pression, d’incitation financière ou de désinformation.
En l’état, force est de constater que notre réponse institutionnelle n’est pas adaptée, particulièrement en matière de sciences humaines et sociales. De plus, la tradition d’ouverture des établissements français prépare peu les universitaires et les chercheurs à prendre conscience de l’existence même de ces stratégies étrangères.
C’est pourquoi notre mission propose au Gouvernement de réaffirmer l’autorité et l’expertise des fonctionnaires de sécurité et de défense, en leur confiant un rôle de formation et de sensibilisation de l’ensemble de la communauté académique à ces risques d’influence.
Notre rapport préconise également d’associer les collectivités territoriales, particulièrement les régions, qui disposent du réseau et de la connaissance de terrain susceptibles de garantir une capacité de réaction importante et reconnue sur le territoire.
Madame la ministre, je souhaiterais vous entendre sur ces deux derniers points, en particulier sur le rôle que peuvent jouer les collectivités territoriales dans ce travail que nous devons mener en commun contre l’ingérence des États étrangers. Je vous remercie de bien vouloir nous éclairer sur la position du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Vial, nous en revenons toujours à cette question de la formation et de la sensibilisation.
Les fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD) seront bien sollicités pour mettre en place des formations. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) préparent, je le répète, des formations communes. Certaines ont déjà été dispensées auprès des recteurs ou des délégués régionaux. Elles sont sur le point d’être élargies aux chefs d’établissement.
Les FSD assurent également un relais sur le terrain, en adaptant les formations selon les disciplines, puisque toutes ne sont pas exposées aux mêmes risques. Certains risques sont transversaux, d’autres pèsent en particulier sur certaines disciplines.
Ainsi le SGDSN envisage-t-il des évolutions spécifiques aux sciences humaines et sociales. Ces dernières sont prises en compte dans les recommandations de la Commission européenne, qui englobent la recherche dans son ensemble et ne se limitent pas aux questions de souveraineté économique ou de protection scientifique et technologique.
Il est important que tout le monde s’y mette. Si les régions ont des compétences particulières dans la surveillance du territoire, en complément de la surveillance exercée au niveau national, pourquoi ne pas les mettre à contribution ?
L’essentiel à mes yeux est de travailler à la sensibilisation de tous. Comme toujours, on a l’impression que cela n’arrive qu’aux autres, jusqu’au moment où cela nous arrive. Cela passe souvent par des exemples. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues.