Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre. … plus nous risquons d’être la cible d’ingérences, dont nous devons nous prémunir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, les élus de notre groupe ont récemment lancé une mission d’information sur un sujet connexe.
Il s’agit de mieux documenter ce paradoxe si français : comme vous l’avez rappelé, notre recherche est excellente, mais nous n’avons que trop peu de nouveaux champions économiques européens ou mondiaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. En matière d’ingérence étrangère, nous connaissons depuis longtemps l’espionnage industriel et économique, avec les nombreuses techniques de captation d’information sur lesquelles il se fonde. Nous disposons d’ailleurs d’un certain nombre d’exemples récents.
En revanche, les stratégies d’influence dans le monde universitaire sont plus insidieuses et n’ont encore été que peu analysées. Avant tout, je me félicite que le Sénat se soit saisi de ce sujet, qui représente un enjeu de taille pour notre pays. Le rapport de notre mission d’information l’a confirmé, et je saisis cette occasion pour remercier nos collègues Étienne Blanc et André Gattolin de leur travail de qualité.
Nous sommes face à une menace réelle, reposant sur des stratégies nouvelles et planifiées à long terme.
Nos établissements d’enseignement supérieur, notamment nos universités, obéissent aussi à un objectif d’ouverture et de rayonnement international. Or ils ne semblent pas suffisamment armés face aux pratiques de désinformation, de propagande ou d’intimidation.
Madame la ministre, lors de votre audition devant notre mission d’information, vous avez souligné que plusieurs dispositifs existaient, et c’est exact. Vous avez notamment mentionné les fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD) désignés au sein de chaque établissement, ainsi que les collaborations entre les responsables des universités et le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) pour l’instruction des partenariats.
Toutefois, le rapport de la mission d’information montre clairement la mauvaise coordination de tous ces acteurs et la nécessité de former l’ensemble de la communauté académique face aux risques liés aux influences extra-européennes.
Aussi, pouvez-vous nous dire s’il est possible d’envisager un dispositif spécifique et, surtout, coordonné pour former non seulement les membres des instances de gouvernance universitaire, mais aussi les doyens, les directeurs de laboratoires et même l’ensemble des chercheurs ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Piednoir, vous soulignez avec raison l’une des conclusions majeures de la mission d’information : les relais existent, mais leur coordination reste à améliorer.
Il est essentiel de mettre en réseau tous les fonctionnaires de sécurité de défense avec le HFDS ; il est tout aussi nécessaire que le secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN) travaille en lien étroit avec l’Anssi.
J’ai évoqué les cyberattaques. À ce titre, nous travaillons précisément avec le SGDSN et avec l’Anssi pour concevoir des formations communes dispensées en cascade, en commençant par les chefs et responsables d’établissement et en poursuivant avec l’ensemble des chercheurs et enseignants-chercheurs. En effet, ce sont eux qui, en général, noueront des contacts avec les homologues : ce sont donc eux qui, les premiers, pourront déceler des attitudes inamicales, en tout cas s’interroger sur la réciprocité des collaborations scientifiques engagées.
Enfin, votre mission d’information préconise une meilleure prise en compte des sciences humaines et sociales. Il faut le reconnaître : pour l’heure, on s’attache essentiellement à la protection scientifique et technologique. Or, vous le rappelez avec raison, à l’instar de M. Gattolin, ces influences peuvent aussi s’exercer par le biais d’intimidations dont sont victimes les sciences humaines. Nous avons attiré l’attention du HFDS et des FSD sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. La mission d’information sur les ingérences étatiques extra-européennes à l’université a eu le mérite d’explorer un nouveau champ de réflexion pour l’action gouvernementale : la protection des universités contre ces manœuvres.
Les mots ont un sens, tout particulièrement celui d’« ingérence ». Notre rapporteur l’a clairement rappelé, il s’agit là d’une zone grise entre, d’une part, l’influence, laquelle est parfois légitime, et, de l’autre, l’intrusion, la captation, le vol ou la trahison, qui sont, eux, déjà sévèrement punis par notre droit national.
C’est de cet entre-deux que le danger semble provenir. Si le Gouvernement se décide à contrer ces dérives, il devra suivre une ligne de crête entre protection de notre souveraineté et préservation des libertés académiques.
En effet, ces libertés sont une richesse pluriséculaire de notre pays. Nos universités ont tout loisir de nouer des partenariats et de dialoguer scientifiquement avec les établissements d’autres pays. Elles sont autant de ponts qui relient les cultures ; elles constituent les vecteurs de notre influence nationale et de l’enrichissement du patrimoine scientifique mondial. Cette richesse doit être préservée.
Madame la ministre, voilà pourquoi il me semble important de ne pas surréagir : il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal.
À cet égard, j’attire votre attention sur la vingtième préconisation de notre rapport : soumettre les projets d’accords internationaux des universités à l’avis des ministères concernés. J’insiste sur ce point : il s’agirait d’un avis simple et non d’une autorisation. C’est un impératif si l’on ne veut pas rogner un certain nombre de libertés, fondamentales pour notre pays.
Dès lors, ma question est simple. Si une politique gouvernementale est indispensable en la matière, quelles garanties pouvez-vous nous donner qu’elle ne se traduise pas, dans les faits, par le renforcement du contrôle de l’État sur les universités ?
Pour ce qui concerne les sciences humaines et sociales, les propos tenus en début d’après-midi par votre collègue Sarah El Haïry comme par les membres du groupe Les Républicains ne m’ont pas rassuré : on peut bel et bien craindre que l’État n’entreprenne de soutenir une recherche autorisée, face à une autre jugée déviante.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Dossus, je tiens à vous rassurer : l’avis simple est d’ores et déjà la règle.
Chaque fois qu’un établissement souhaite signer un accord de coopération avec un autre établissement, il le signale au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. La plupart du temps, cette procédure ne pose aucune difficulté, si bien que le projet d’accord ne reçoit pas de réponse à ce titre.
J’ajoute que la mention d’une difficulté n’est en aucun cas synonyme d’interdiction. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pointe simplement le risque auquel un tel accord nous expose ; mais en aucun cas il ne prononce une autorisation ou une interdiction, et c’est bien normal.
Les collaborations entre chercheurs ne faisant pas l’objet d’une convention entre établissements sont encore plus libres : elles se nouent au gré des rencontres, lors de colloques, d’écoles d’été, ou encore à la faveur de relations interpersonnelles.
C’est pourquoi il est très important de former jusqu’à la base les chercheurs et les enseignants-chercheurs : personne n’a intérêt à voir de telles ingérences prospérer.
Un grand nombre de chercheurs reçus au titre des programmes d’accueil aux scientifiques en exil nous décrivent les pressions qu’ils peuvent subir dans leur pays. Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), nous consacrerons d’ailleurs, à Marseille, deux journées de travail aux moyens permettant de préserver les libertés académiques, de soutenir les échanges universitaires et la diffusion de la connaissance. Il est bel et bien essentiel de s’assurer que les partenariats conclus obéissent à un esprit de réciprocité et respectent nos valeurs.
S’ils prennent pleinement conscience de ces risques, les chercheurs et les enseignants-chercheurs seront les mieux placés pour s’en prémunir : en ce sens, je le répète, les formations ont toute leur importance.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, en début d’après-midi, nous avons débattu du woke. À présent, nous en venons aux ingérences chinoises à l’université : je perçois une certaine continuité dans l’ordre du jour du Sénat ! (Sourires.)
Madame la ministre, André Gattolin le souligne dans le rapport qu’il a établi au nom de notre mission d’information, la fragilité du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche peut provenir d’une trop grande dépendance des institutions aux financements fournis par les droits d’inscription des étudiants étrangers et par les relations avec des entreprises dont l’origine des fonds n’est pas toujours connue avec précision.
Vous connaissez ma passion pour le classement de Shanghai… (Sourires.) Les services que nous avons auditionnés – vous devinez à qui je fais référence – nous l’ont certifié : de toute évidence, il s’agit là d’un outil de repérage et de ciblage destiné à recueillir les informations les plus intéressantes.
La modicité des droits d’inscription et l’octroi de financements publics annuels assurés sont des outils forts pour protéger notre indépendance. Le modèle de l’université à la française, que l’on déclare souvent dépassé ou archaïque, pourrait donc être un outil majeur au service de notre souveraineté nationale.
Dès lors, je vous propose cette formule : remplacer le classement de Shanghai par le classement Leclerc de l’indépendance nationale ! (Sourires.)
M. Stéphane Piednoir. Vous êtes incorrigible, mon cher collègue !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Ouzoulias, j’ai plusieurs fois eu l’occasion de rappeler l’origine de ce classement, créé à Shanghai par l’université Jiao Tong à la demande du gouvernement chinois : ce dernier entendait mesurer l’effet des investissements massifs qu’il s’apprêtait alors à consentir en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur sur la visibilité des universités chinoises.
Dès lors qu’un tel classement devient mondial, suivre la progression des universités chinoises, c’est scruter l’évolution de l’ensemble des universités retenues dans ce cadre.
Évidemment – c’est d’ailleurs un combat que je mène à l’échelle européenne –, nous devons préserver notre système universitaire, majoritairement financé par des fonds publics.
Je puis parler du cas français en connaissance de cause : plus des trois quarts, et même généralement près de 80 %, des financements de nos universités proviennent de l’État, auxquels s’ajoutent les financements des collectivités territoriales, les ressources liées à la formation continue et à l’apprentissage. Si des financements privés sont apportés, ils passent par le biais de fondations extérieures aux établissements, lesquelles disposent d’une comptabilité particulière et sont soumises à des contrôles spécifiques.
Bien sûr, ce modèle nous protège. En revanche, les chercheurs et les enseignants-chercheurs eux-mêmes restent parfois quelque peu naïfs quant aux liens interpersonnels qu’ils peuvent nouer avec leurs collègues. À ce titre, ils doivent conserver une vue d’ensemble : c’est tout le sens de ce rapport sénatorial, et ce sera l’objet de l’information qui leur sera adressée.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, à l’instar de mon collègue André Gattolin, j’en suis convaincu : il faut absolument promouvoir un autre classement dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Un tel outil permettrait de mesurer précisément, d’une part l’intégrité scientifique, de l’autre la qualité de l’expertise : il faut s’assurer que cette dernière est dégagée de tout conflit d’intérêts.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la ministre, l’excellent rapport établi par notre collègue André Gattolin, au nom de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, met en lumière les travaux du chercheur Antoine Bondaz. Ce dernier a souligné la priorité donnée en Chine, depuis les années 2010, à l’intégration civilo-militaire. Il met l’accent sur les échanges d’informations entre les laboratoires chinois de recherche civile et leurs équivalents militaires.
Dans le rapport qu’il a consacré, l’an dernier, aux opérations d’influence chinoises, l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem) relève que de nombreuses universités civiles chinoises contribuent à la recherche militaire, voire à certaines activités : « Au moins quinze universités civiles ont été impliquées dans des cyberattaques, des exportations illégales ou de l’espionnage. » C’est Xi Jinping lui-même qui préside la commission centrale pour le développement de la fusion civilo-militaire !
L’entreprise des technologies de l’information et de la communication Huawei a ouvert en France six centres de recherche de pointe. En 2018, cette société a déposé un brevet pour une technologie permettant d’identifier des personnes d’origine ouïghoure. Or les doctorants, qui, pour certains, relèvent de conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), signent une clause de confidentialité au profit de l’entreprise.
Quels garde-fous a-t-on prévus pour que les universités et les chercheurs entretenant des liens avec la Chine ne puissent contribuer à des applications militaires ou à l’élaboration de technologies de surveillance, de contrôle et d’oppression de la population chinoise ?
Enfin, lors de votre visite à Shanghai en 2018, vous aviez été informée de la coopération stratégique engagée entre l’Institut Pasteur de Shanghai et le laboratoire P4 de l’institut de virologie de Wuhan. Le P4 jouit désormais d’une notoriété mondiale, puisqu’il est au centre des interrogations sur les origines du virus de la covid-19.
Qu’a décidé, à l’époque, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation quant à la suite de ces coopérations ? Ces dernières se poursuivent-elles ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Cadic, tout d’abord, il faut garder à l’esprit que, lorsque vous vous rendez en Chine pour rencontrer des responsables d’université, notamment leurs présidents, ils sont toujours accompagnés d’un membre du parti.
M. Pierre Ouzoulias. Voilà ! Il faut y revenir ! (Sourires.)
Mme Frédérique Vidal, ministre. La liberté académique n’y est pas tout à fait conçue dans les mêmes termes qu’en Europe ; c’est une réalité.
Je vous le confirme, un certain nombre d’universités civiles chinoises sont impliquées dans les dossiers militaires. Mais, de même, plusieurs laboratoires de nos universités concluent des contrats avec l’armée. La recherche duale existe aussi en France, par exemple au Centre national d’études spatiales (CNES), comme dans de très nombreux pays.
Il s’agit évidemment d’un champ extrêmement protégé et surveillé. D’ailleurs, dans les universités, les premières zones à régime restrictif (ZRR) ont été créées pour les laboratoires dédiés à la recherche duale.
Vous évoquez également les Cifre, qui peuvent être passés avec des entreprises. Un référent sécurité s’y consacre tout particulièrement au sein de l’association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT). De plus, l’avis du haut fonctionnaire de sécurité et de défense est sollicité en amont, lorsque les bourses Cifre soulèvent telle ou telle interrogation. Tous les travaux sensibles sont bien sûr pris en compte au titre de la PPST.
L’Institut Pasteur de Paris collabore avec l’Institut Pasteur de Shanghai et le P4 de Wuhan n’a rien à voir avec lui. À l’origine, une coopération visant à former les personnels du P4 de Wuhan a été menée avec le P4 de Lyon. Toutefois, faute de réciprocité, elle s’est éteinte d’elle-même. L’Institut Pasteur de Shanghai travaille, lui, sur des souches virales locales, sans transfert de souche – nous y avons veillé.
M. Olivier Cadic. Je vous remercie, madame la ministre !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Le partage des connaissances est vital pour le travail scientifique. Il permet des progrès qui bénéficient à l’humanité tout entière : nous ne pouvons que le réaffirmer en ces temps de pandémie, la collaboration scientifique internationale ayant permis le développement d’un vaccin en un temps record.
Si la circulation des idées est essentielle, on ne peut occulter les luttes d’influence que subit actuellement notre monde académique.
Ces stratégies sont pensées sur le long terme et orchestrées par des États extérieurs à l’Union européenne, qui, à cette fin, mettent en œuvre des moyens parfois colossaux. Elles dépassent le cadre de la diplomatie d’influence – celui du soft power –, qui n’est pas une activité anormale pour un pays. Au contraire, il s’agit ici d’offensives visant à instrumentaliser certains enseignements et à s’emparer de données sensibles.
Dans son rapport d’information, notre collègue André Gattolin, dont je tiens à saluer le travail, recommande l’adoption d’un référentiel de normes et de lignes directrices, afin de mieux sanctionner ces interférences. Il s’agirait de dispositions de valeur nationale, européenne et internationale. Il suggère à ces fins de mettre à profit la présidence française de l’Union européenne.
Madame la ministre, est-ce une solution qu’envisage le Gouvernement ? Ce sujet donne-t-il lieu à une concertation entre, d’une part, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et, de l’autre, le secrétaire d’État chargé des affaires européennes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Fialaire, la Commission européenne a d’ores et déjà formulé un certain nombre de propositions au titre de la boîte à outils que j’évoquais précédemment.
Au sein de l’Union européenne, de grandes différences nationales demeurent, qu’il s’agisse du système universitaire ou du monde de la recherche. Il est important que les uns et les autres puissent s’approprier les dispositifs qui correspondent le mieux à leurs besoins.
Ce que nous avons prévu dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, ce sont deux journées de travaux, à Marseille, au début du mois de mars prochain.
La première réunira les différents ministres de l’Union européenne chargés de ces questions ; la seconde s’ouvrira aux représentants de pays avec lesquels l’Union européenne a l’habitude de collaborer.
Il est absolument essentiel de réaffirmer le principe de la liberté académique : il s’agit de l’une des valeurs défendues par toutes les universités où la recherche peut être menée sans entrave, partout dans le monde. À cet égard, il faut bien sûr garantir l’intégrité scientifique : certaines manœuvres d’ingérence peuvent contraindre telle ou telle personne à y renoncer. Il faut donc réaffirmer ces principes très clairement.
Nous devons aussi définir dans quel cadre il nous paraît opportun de développer ce que l’on appelle des « coopérations équilibrées ».
Il est extrêmement difficile de maintenir des liens scientifiques avec des pays dans lesquels la liberté académique est mise à mal, mais c’est aussi parfois la seule corde de rappel pour nos collègues qui travaillent dans ces pays. Ils peuvent ainsi compter sur la mobilisation de la communauté scientifique si, par malheur, il leur arrive quelque chose dans leur pays d’origine.
Nous devons en permanence rechercher un équilibre.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Madame la ministre, le 20 octobre 2020, à l’occasion d’une conférence consacrée à l’Espace européen de la recherche, la déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche scientifique a été adoptée par les ministres de la recherche des vingt-sept États membres de l’Union européenne.
Le texte décrit notamment la liberté scientifique comme « le droit de définir librement les questions de recherche, de choisir et de développer des théories, de rassembler du matériel empirique et d’employer des méthodes de recherche universitaires solides ».
Cette définition implique également le droit de « partager, diffuser et publier ouvertement les résultats, y compris par le biais de la formation et de l’enseignement ». La déclaration affirme par ailleurs la liberté des chercheurs d’exprimer leur opinion sans être désavantagés par le système dans lequel ils travaillent.
Ce texte engage bien évidemment les gouvernements à mettre en place un système européen de surveillance de la liberté académique et de protection de la recherche contre toute intervention politique.
Force est de constater que cette déclaration a eu peu d’écho en France, où, à l’exception d’un communiqué du ministère des affaires étrangères, elle n’a pratiquement pas été relayée dans les milieux universitaires ; mais peut-être me démentirez-vous, madame la ministre.
Les auteurs du rapport préconisent, dans leurs recommandations 24 et 26, de mettre à profit la présidence française de l’Union européenne pour proposer une stratégie ambitieuse de diplomatie scientifique, à la fois défensive et offensive, dans la lignée du début de prise de conscience de nos partenaires, mais aussi de promouvoir une norme européenne et internationale de clarification des échanges universitaires.
Madame la ministre, au-delà des journées de travail de Marseille, qui permettront de réaffirmer ce cadre, irez-vous plus loin ? Qu’attendez-vous très concrètement de cette présidence de l’Union européenne ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Houllegatte, vous avez raison de le rappeler, la déclaration de Bonn a proposé une définition consensuelle des libertés académiques que nous devons a minima préserver dans le cadre de l’Union européenne.
En revanche, je ne vous suis pas quand vous prétendez que cette déclaration n’a pas eu d’écho. La majorité des organismes et des universités ont décliné cette déclaration dans des chartes, ce qui montre qu’elle a également été adoptée sur le terrain, et pas seulement au niveau gouvernemental.
Au-delà, une université du nord de l’Europe, en lien avec des universités canadiennes, me semble-t-il, a proposé de mettre en œuvre une surveillance mondiale de la question des libertés académiques au sein de l’Observatoire mondial des libertés académiques.
L’Europe a adhéré à cet observatoire, qui, à partir d’un certain nombre de critères, évalue le niveau des libertés académiques dans les différents pays. La note maximale est égale à 1 et, de mémoire, la France affiche un score de 0,881. Je me réjouis certes que nous fassions partie des pays classés entre 0,8 et 1, mais c’est tout de même la moindre des choses.
Nous avons donc encore des progrès à faire pour mieux défendre les libertés académiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je précise, madame la ministre, que la déclaration de Bonn est disponible sur internet en anglais, mais pas en français…
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Cela m’ennuie un peu de vous le dire, madame la ministre, mais je reste sur ma faim. Nous avons travaillé d’arrache-pied pour produire ce rapport en deux mois. Quatre mois après, on nous égrène quelques orientations de propositions dans des circulaires qui rappellent l’existant. C’est certes important, mais nous attendons de l’État français qu’il mette en œuvre une vraie politique.
J’ai passé mon temps, après la publication de ce rapport, dans des comités interministériels et des réunions pour expliquer la situation. Et l’on se contente de rappeler aux gens qu’ils doivent respecter la déclaration de Bonn dans le cadre de leurs partenariats et coopérations !
Nous avons dit explicitement que le délai d’un mois dont disposent les pouvoirs publics pour s’opposer à un accord n’était pas acceptable. Comment expliquer qu’une université aussi renommée que ParisTech ait signé en août dernier deux partenariats avec des établissements chinois liés à l’armée populaire de libération chinoise, alors qu’elle avait été alertée plusieurs fois par les services ?
Nous attendons donc une véritable politique publique, coordonnée, en la matière. Bien sûr, vous n’engagez ici que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. D’autres administrations sont impliquées, et je sais qu’un rapport a été remis au Premier ministre.
Dans les mois qui viennent, assisterons-nous vraiment au déploiement d’une palette d’instruments permettant de répondre aux problèmes que nous avons posés ? En l’état, j’ai l’impression que c’est business as usual…
La boîte à outils contenue dans le rapport de la Commission européenne du 18 janvier dernier fait soixante pages. Ce ne sont certes que des recommandations et des orientations, mais elles sont détaillées. Nous aimerions avoir une vision plus panoramique.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Gattolin, oui, je le disais dans mon propos introductif, il est important de rappeler les principes, mais cela ne suffit pas.
C’est pourquoi nous avons travaillé à l’élaboration d’un plan de protection, conjointement avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et la DGSI. Des référents ont par ailleurs été nommés dans les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT).
Nous avons commencé des cycles de formation de tous les recteurs et délégués régionaux académiques, avant de nous adresser aux présidents d’université et aux directeurs d’établissement.
Nous allons enfin travailler sur la question des délais de réponse que vous avez évoqués, mais il faut un peu de temps pour cela.
Quoi qu’il en soit, je vous assure que les rappels effectués n’ont pas été inutiles.
Quant au point spécifique que vous soulevez, si vous évoquez la fondation ParisTech, c’est un organisme de droit privé, qui n’a pas à demander au ministère avec qui elle doit passer des accords. Malheureusement, je n’ai pas été sollicitée par la fondation ParisTech, qui n’a aucun lien avec le ministère.