Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec ses onze millions de kilomètres carrés, l’espace maritime français représente le deuxième territoire maritime le plus important du monde.
Que faisons-nous de cette immense responsabilité aux enjeux multidimensionnels ? Cette responsabilité, je la mentionne non seulement à travers la fenêtre étroite du débat demandé ce soir par le groupe Les Républicains, celle de la garantie de nos intérêts économiques et stratégiques, mais aussi avec la hauteur qui sied au rôle que devrait jouer la France pour la protection de ce bien commun mondial stratégique pour l’avenir de la planète.
N’oublions pas les mots du poète : « La terre est bleue comme une orange. » Elle est bleue comme la masse des océans.
Il y a bien deux manières d’entrer dans ce débat : la recherche de la puissance, stratégique, économique, militaire, qui place inévitablement mers et océans au cœur de la compétition mondiale, ou la prise de conscience du rôle nouveau que peuvent jouer mers et océans dans la construction d’un avenir durable pour l’humanité tout entière.
Je crois que la France, sans naïveté aucune sur les rivalités de puissance qui se jouent sur les mers, devrait choisir la seconde approche. Elle nous donnerait plus d’ambition pour faire de notre souveraineté maritime un atout au service du bien commun mondial. Elle nous ouvrirait des champs immenses d’alliances et de coopérations nouvelles.
L’approche dominante de la mer et des océans reste calquée sur la conception de la mondialisation et des échanges, historiquement construite autour du contrôle politique, économique et militaire des grandes routes maritimes géostratégiques reliant de port en port les zones de ressources et de matières premières aux riches nations occidentales.
Nous prétendons maintenir à tout prix ce contrôle, alors que des régions entières nouvelles demandent à contrôler leurs ressources et à disposer elles aussi d’un droit d’accès à ces grandes voies de circulation mondiales, et que, d’autre part, réchauffement climatique et bouleversements géopolitiques redessinent la carte du monde et font surgir de nouveaux enjeux.
Résultat : notre vision de la sécurisation de l’espace maritime est doublement dépassée. Elle est centrée sur une vision dépassée de nos intérêts, et elle sous-estime les nouvelles ambitions nécessaires pour une stratégie maritime au service de la sécurité globale planétaire.
Tout montre, par exemple, la place grandissante des enjeux de protection civile et de protection de l’environnement dans la mission même de nos moyens militaires maritimes. Les exemples sont nombreux en la matière.
Tout montre aussi, dans ces cas comme dans bien d’autres, la faillite de la gestion européenne ou mondiale des crises. Rappelons-nous ainsi, s’agissant du secours aux migrants en mer, le sabordage de l’opération Sophia que nous avions tenté de construire, et ses conséquences qui font aujourd’hui des routes de l’exil les routes migratoires les plus dangereuses du monde en mer, selon les organisations non gouvernementales.
Pourtant, notre priorité n’est, semble-t-il, pas là. Notre approche sécuritaire reste avant tout militaire. Là encore, pour quels résultats ?
En Europe, le renouvellement des moyens de patrouille militaire bute sur le choix allemand de se fournir plutôt auprès de Boeing que de Dassault, l’Allemagne tournant ainsi, une fois encore, le dos à l’autonomie européenne. Dans l’Indo-Pacifique, États-Unis et Royaume-Uni nous ont écartés sans ménagement du contrat des sous-marins australiens.
Faut-il dès lors courir après l’escalade à la confrontation militaire ? Je crois que ce serait une folie.
C’est une autre conception qu’il convient de déployer. Mon camarade et collègue Jean-Paul Lecoq soulignait récemment, à l’Assemblée nationale, l’ampleur des actions stratégiques à conduire pour protéger et développer notre espace maritime : surveillance, sauvetage, lutte contre la piraterie et le brigandage maritime, lutte contre les pollutions de toute sorte, accidentelles ou criminelles, lutte pour la dépollution des océans, protection des ressources halieutiques et naturelles, aide en cas de catastrophe naturelle.
Nous devons tenir notre rang au service de la sécurité globale. Les domaines où il convient d’investir sont nombreux et ils sont à notre portée si nous mobilisons nos atouts nationaux et multiplions les coopérations internationales : pour relever les grands défis écologiques – les grandes invasions biologiques marines, par exemple –, développer une nouvelle conception de la pêche axée sur la protection des ressources halieutiques, réinvestir dans la construction navale, incroyablement délaissée dans notre pays qui possède pourtant le deuxième espace maritime mondial, et œuvrer pour le retour d’un État stratège dans le développement de nos ports, en métropole comme en outre-mer, ainsi que pour le développement des énergies marines renouvelables.
C’est au service de la protection de cette nouvelle conception de notre politique maritime que nous devrions réfléchir.
Je souhaite enfin dire un dernier mot sur une question qui vient d’être évoquée.
Les fonds marins regorgent de minerais précieux, de métaux rares. De nombreux États font la course pour accaparer ces ressources stratégiques. Lors du dernier congrès de l’UICN qui s’est tenu à Marseille, 81 % des États et 95 % des ONG ont voté en faveur de la motion demandant un moratoire sur l’exploitation et l’exploration minière des fonds marins. La France s’est abstenue.
Nous suggérons au contraire que la France reprenne cette proposition de moratoire, et propose aux États concernés de signer ensemble un traité international visant à protéger les fonds marins de toute exploitation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les conflits en Indo-Pacifique, les tensions en Arctique, en mer Noire ou en mer de Chine, les problématiques d’explorations marines ou encore la rivalité franco-britannique sur les accords de pêche post-Brexit sont autant de sujets qui illustrent l’importance, mais aussi l’aspect multidimensionnel des enjeux maritimes du XXIe siècle.
Depuis la Grèce antique, les nations les plus puissantes sont maritimes.
Comme cela a déjà été rappelé, la France détient le deuxième plus vaste espace maritime du monde, avec plus de dix millions de kilomètres carrés que nous devons, en grande partie, à nos outre-mer.
La sûreté de cet espace stratégique reste essentielle pour notre souveraineté, et notre marine nationale est déployée sur tous les océans à cet effet.
Une partie non négligeable de notre économie, de notre industrie et de notre diplomatie est tournée vers la mer.
Dans la vive compétition mondiale, dont les ressources océaniques et la sécurisation des intérêts nationaux sont aujourd’hui l’enjeu, la France dispose d’atouts pour asseoir et développer sa vocation maritime.
À ce titre, notre stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes articulée avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, entrée en vigueur en 2017, doit constituer un socle solide de réflexion pour que la France relève les défis de l’essor et de la survie de sa puissance maritime.
Compte tenu de l’étendue du sujet, je ne développerai que certains points qui me semblent essentiels, à commencer par la défense de nos intérêts stratégiques.
Entre tensions et convoitises, les défis de souveraineté de nos espaces maritimes ne manquent pas. Plusieurs contestations portent sur les délimitations de notre espace et opposent des États tiers à la France.
La remise en cause de l’extension de certaines zones économiques exclusives (ZEE), les manœuvres de bâtiments militaires étrangers, le développement d’activités illicites dans nos eaux doivent nous obliger à une certaine fermeté pour faire valoir nos droits, et assurer une surveillance de ces zones.
Autre sujet crucial pour nos intérêts stratégiques, celui des routes maritimes. Aujourd’hui, plus de 70 % de nos importations et exportations ainsi que le ravitaillement de nos territoires d’outre-mer et de nos forces militaires empruntent des voies maritimes.
L’accessibilité des grands axes est donc stratégique et vitale. À court terme, ces derniers ne devraient pas être bouleversés. Cependant, à moyen terme, compte tenu de la baisse des besoins en pétrole brut au profit des produits raffinés et de l’augmentation des besoins en gaz naturel, l’importance stratégique de certaines routes pourrait évoluer.
Il me semble important de mettre l’accent, avec les acteurs privés, sur l’analyse des évolutions des flux stratégiques et d’adapter notre stratégie à toute nouvelle menace sur les routes existantes ou futures.
Enfin, sur ce sujet des routes maritimes, il convient de souligner la décision de la CMA-CGM (Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime), qui s’interdit d’emprunter les routes du nord pour favoriser la protection des écosystèmes fragiles de l’Arctique. Nous ne pouvons que saluer, madame la ministre, cette décision respectueuse de l’environnement. La France s’est-elle exprimée pour inviter les armateurs étrangers à agir également en ce sens ?
Le deuxième point que je souhaitais évoquer a trait à nos intérêts économiques.
Certes, la France occupe une place centrale dans de nombreux secteurs de l’économie maritime.
Je pense, par exemple, à la construction, à travers les chantiers navals, au transport, via la présence d’armateurs dans les différents secteurs, ou encore à la présence d’entrepreneurs dans les services de travaux maritimes qui se développent avec l’économie bleue.
La marine marchande est un instrument de souveraineté pour garantir nos approvisionnements et nos exportations, très dépendants du transport maritime. Pourtant, depuis bien trop longtemps, ce secteur manque d’ambition commune pour garantir nos intérêts.
C’est pourquoi je salue, madame la ministre, le travail mené dans le cadre du Fontenoy du maritime visant à accroître la compétitivité du pavillon français pour renforcer la place économique et industrielle maritime française.
Il demeure cependant un problème central, celui de nos places portuaires qui continuent d’accuser un retard par rapport à nos voisins européens.
La puissance économique d’une nation se mesure par la présence ou l’absence de très grands ports de commerce. Aucun pays ne peut nourrir une ambition stratégique économique et écologique sans cela.
La modernisation en cours nécessite encore de lourds investissements d’infrastructures, mais aussi une diversification des activités portuaires.
Enfin, un mot sur les enjeux liés à la pêche. La crise des licences post-Brexit a mis en lumière, une fois encore, le poids économique de ce secteur, mais aussi, et surtout, le fort attachement des Britanniques à leur souveraineté maritime.
Au-delà des considérations politiques, une réalité s’impose à travers le monde : la demande de poisson étant croissante et les ressources halieutiques sauvages de plus en plus rares, l’accès aux différentes zones de pêche et sites aquacoles devient de plus en plus stratégique.
Ainsi, l’enjeu concerne la sécurité alimentaire de la population et la nécessité de fournir au marché français son apport en protéines issues du milieu marin. Nous devons continuer à défendre nos intérêts, notamment en coopération avec nos collègues européens.
Ces considérations m’amènent au dernier point que je souhaite évoquer : l’engagement de notre pays pour la protection de la biodiversité et de la ressource, mais aussi pour le développement d’une activité économique durable essentielle.
Notre souveraineté maritime réside également dans notre capacité à protéger nos ressources.
Face au dérèglement climatique et à la pollution des océans, la protection des mers est devenue un enjeu majeur pour la France, laquelle a développé un programme de protection de ses aires marines, en métropole comme dans les outre-mer. Ces aires marines protégées répondent à une volonté de préservation de la nature, qui n’exclut toutefois pas d’autres objectifs.
Qu’envisage-t-on, madame la ministre, à long terme, comme projets et comme avenir pour ces zones ?
Plus globalement, les acteurs de la mer entendent jouer un rôle dans la transition écologique de la France vers le développement durable, ainsi que contribuer à une économie prospère et à la préservation de la mer. L’État partage, bien évidemment, cette vision.
La presse se fait actuellement l’écho d’une réorganisation des services de l’État. Le Gouvernement prévoit de fusionner la direction des affaires maritimes et la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture. Pensez-vous, madame la ministre, que cette nouvelle direction de la mer disposera des moyens et des compétences requis pour répondre à la préservation de notre souveraineté en alliant les enjeux économiques et environnementaux ?
L’espace maritime est une composante constitutionnellement affirmée de la République française, mais aussi un vecteur de l’autorité et du rayonnement de la France sur la scène mondiale.
Notre pays est un des rares États au monde riverain de trois océans : Atlantique, Pacifique et Indien.
Nous devons redoubler d’efforts pour conforter notre souveraineté maritime en protégeant nos ressources, pour des raisons politiques, économiques et environnementales, tout en travaillant à garantir la liberté de circulation sur les mers, dont on sait combien elle est aujourd’hui menacée. (M. Michel Canévet et M. Joël Guerriau applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le temps du Mare liberum cher à Hugo Grotius est-il en passe d’être révolu ? L’idéal de liberté propre à l’espace maritime se heurte de plus en plus à la compétition qui se joue en son sein.
La revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 décrit clairement l’espace maritime comme un enjeu traditionnel de rivalités entre grands États, ce que confirme l’actualisation stratégique de 2021 qui rappelle les rapports de force à l’œuvre dans les fonds marins.
Notre pays, en tant que deuxième puissance maritime, a le plus à perdre en termes de souveraineté, si rien n’est fait pour que soit davantage régulée l’activité à la fois économique et stratégique tirée des mers et des océans.
Madame la ministre, nous sommes face à un thème aussi complexe qu’évolutif, qui appelle forcément une multitude de réponses, c’est tout l’intérêt de notre débat et de nos échanges de ce soir.
Tout d’abord, peut-on envisager une planification de la gestion des mers à l’échelle internationale, comme les États membres de l’Union européenne s’y emploient, poussés par la directive de 2014 ? La France y trouverait-elle un intérêt compte tenu de sa position privilégiée due à ses territoires d’outre-mer ?
Sur quels critères organiser l’exploitation partagée, bien entendu de façon durable, d’un espace à haute valeur marchande et stratégique ?
La convention des Nations unies sur le droit de la mer doit, en tout état de cause, évoluer, afin que les grandes puissances n’imposent pas seules leurs règles. Parfois sournoises, celles-ci aboutissent à « vaincre sans combattre », pour reprendre le slogan de la Chine.
A minima, la question sensible et majeure des câbles sous-marins mériterait d’être mieux appréhendée sur le plan du droit international, la captation malveillante des données par ce biais étant de plus en plus courante.
Nous savons depuis Blaise Pascal que l’humanité n’a pas su faire en sorte que la justice soit toujours la plus forte et qu’elle a dû mettre la force à sa disposition. Aussi devons-nous disposer d’une force d’action navale imposante, entraînée, reconnue, et donc respectée.
C’est ce que représente actuellement notre force maritime avec ses navires, ses sous-marins, ses avions, ses satellites, et, bien sûr, ses femmes et ses hommes entraînés et engagés.
Parmi les réponses visant à consolider notre souveraineté maritime, et si le multicapacitaire est préservé par la loi de programmation militaire, la nécessité de disposer en permanence d’un porte-avions opérationnel, fer de lance de notre groupe d’action naval, indépendamment des contraintes matérielles de maintenance, doit charpenter notre réflexion. Les études concernant le second porte-avions sont lancées, nous nous assurerons que le biseau temporel couvre totalement notre besoin. Une réflexion sur sa date de mise en service et sur celle du retrait graduel du service actif du Charles-de-Gaulle s’impose donc.
Aujourd’hui, notre marine est en mesure d’assurer notre souveraineté dans les arbitrages maritimes, de faire respecter le droit international, d’assurer la protection de nos zones économiques exclusives, d’effectuer des sauvetages en mer. Qu’adviendrait-il toutefois en cas de conflit long et de haute intensité ?
La question de la présence de nos bâtiments qui patrouillent sur et sous les océans, de leur nombre, de leur armement et de leurs performances se pose, en lien avec nos capacités financières.
La mise en perspective de cette réflexion passe par notre place dans l’OTAN, pondérée par la nécessité complémentaire d’une montée en puissance du pilier européen de défense. La place de la dissuasion nucléaire, dont seule la France dispose au sein de l’Union européenne, doit, dans ce contexte, être également considérée.
De façon plus générale, la souveraineté d’un pays repose aussi sur sa réputation, sur sa notoriété et sur le respect qu’incarne une nation ; une réputation méritée, acquise et gagnée par ses agissements nationaux et internationaux et par la richesse de son histoire. Il en est ainsi de la construction de paquebots à Saint-Nazaire, lesquels, bien que navigant sous pavillons étrangers, contribuent à la grandeur de la France et à la démonstration de son savoir-faire. De même, les pays partenaires bénéficient de sa politique d’aide au développement, par la construction d’infrastructures, par son savoir-faire agricole ou encore par la diffusion de sa langue, de sa culture et de son enseignement.
La France porte dans le monde une réputation humaniste, celle d’être la patrie des droits de l’homme, comme la Grèce est celle de l’origine de la démocratie et les États-Unis, celle du concept de liberté individuelle.
Conforter la souveraineté maritime de la France, et ainsi garantir nos intérêts économiques et stratégiques, passe aussi par la fidélité à nos idéaux de justice et de générosité, lesquels doivent demeurer associés à notre présence maritime sur les océans. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si notre pays possède le deuxième domaine maritime mondial, plusieurs facteurs fragilisent le plein exercice de la souveraineté française sur ces espaces, d’une part, et nos politiques ne sont pas à la hauteur, en ne prenant pas suffisamment en compte cet atout, d’autre part.
« La mer est un espace de rigueur et de liberté », disait Victor Hugo. La réalité est aujourd’hui tout autre. Plaques tournantes stratégiques des échanges commerciaux, ces étendues deviennent le théâtre de nouveaux affrontements. L’exemple récent du refus du Royaume-Uni d’octroyer des licences aux pêcheurs français nous l’a montré à nos dépens.
Dans ce dossier, la faible implication de la Commission européenne et l’absence d’appuis suffisants de pays amis ont révélé la perte d’influence française au sein de l’Union, qui met à mal notre souveraineté. Nous attendons donc que la présidence française du Conseil de l’Union européenne permette de résoudre cette problématique, de remobiliser nos alliés et de mieux articuler compétences et intérêts nationaux et européens.
Le changement climatique ne fera qu’accroître ces tensions politiques, s’agissant, en particulier, de la liberté de navigation et de l’accès aux ressources maritimes. En effet, l’élévation du niveau de l’eau sous l’effet de la fonte des glaces va affecter significativement la délimitation des différentes zones maritimes et donc l’étendue de la souveraineté d’un État côtier comme le nôtre.
Nous plaidons donc pour que la France œuvre non seulement pour limiter le réchauffement de notre planète, mais aussi pour porter ces futures problématiques sur la scène internationale afin de prévoir des mécanismes de prévention de ces conflits.
Au-delà de la géographie, notre souveraineté maritime nécessite des infrastructures compétitives, sûres et sécurisées, au premier rang desquelles figurent les ports. Ceux-ci constituent un outil indispensable pour l’approvisionnement en toutes circonstances de nos territoires, la crise sanitaire l’a démontré.
À l’export, ils permettent la promotion de nos filières d’excellence. Autour de cet enjeu stratégique, je dirais presque régalien, d’importants défis sont à relever. Malgré plusieurs réformes, nos places portuaires accusent un important retard, notamment en raison de faibles investissements. Si nous saluons les moyens dégagés dans le plan de relance comme ceux qui ont été annoncés lors du CIMer, l’ensemble ne sera pas suffisant pour nous permettre de revenir dans la course.
Plus que jamais, en outre, l’économie doit être conjuguée aux impératifs écologiques pour préserver nos ressources océaniques. Garantir notre souveraineté maritime, c’est garantir notre accès au plein potentiel des océans, lesquels offrent des solutions infinies pour l’alimentation, la production d’énergie renouvelable, la technologie et la médecine. Or leurs richesses sont menacées par l’explosion du trafic maritime, la surexploitation des ressources, la pollution et le changement climatique.
Les bénéfices des océans sont par conséquent conditionnés à leur protection et à la préservation de la biodiversité. En somme, si l’accès à la mer constitue une formidable opportunité, il implique également une forte responsabilité.
En la matière, il y a loin de la coupe aux lèvres : l’ensemble des aires répondant aux critères d’une protection forte représente moins de 3 % aujourd’hui. Si la France s’est fixé un objectif de 10 % en 2022, ce dernier manque de précision dans sa définition par le Gouvernement et il est largement insuffisant. Des scientifiques estiment ainsi qu’il devrait être porté à près de 40 %.
De la même manière, dans le cadre de l’autorisation de l’exploration des grands fonds marins par le Gouvernement dans son plan d’investissement France 2030, nous demandons que des limites claires soient fixées rapidement pour éviter que l’exploration ne débouche sur des exploitations dommageables.
Les océans sont tout aussi indispensables au développement économique qu’au maintien de la vie sur Terre et à la régulation du climat. Si concilier ces enjeux contradictoires s’avère de plus en plus difficile, c’est néanmoins le défi que nous devons relever pour garantir notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la globalisation et la maritimisation des échanges dans le monde sont en constante augmentation. Elles sont au cœur des enjeux diplomatiques internationaux contemporains.
La présidence française du Conseil de l’Union européenne sera l’occasion de mettre au centre des discussions la question de la stratégie de l’Union sur ce point.
La France possède la deuxième zone économique exclusive au monde. Elle est le seul pays européen à disposer d’une telle ouverture et occupe une place importante dans plusieurs secteurs de l’économie maritime : la construction, le transport, la recherche ou encore l’armement.
Malgré cette situation exceptionnelle, l’économie bleue ne représente que 2 % de notre PIB. Notre potentiel économique maritime a été sous-exploité ces dernières décennies. Nos faiblesses sont connues : des ports métropolitains peu compétitifs et des ports d’outre-mer à l’écart des routes maritimes.
Forte de ce constat, vous avez agi, madame la ministre. Dès 2017, vous avez défini un cadre stratégique national pour la mer et pour le littoral.
Cette stratégie de long terme doit nous permettre de libérer notre potentiel dans trois domaines majeurs : l’économie, la connaissance et la protection des écosystèmes marins et du littoral. Vous l’appliquez en développant des territoires littoraux et maritimes durables et résilients ; en soutenant les initiatives et en levant les freins ; en promouvant une vision française au sein de l’Union européenne et dans les négociations internationales.
Cette feuille de route est traduite très concrètement aujourd’hui dans nos territoires. Deux exemples en Bretagne illustrent l’attention que vous portez à la politique maritime nationale.
Le premier concerne l’action en faveur du secteur maritime transmanche, doublement impacté par le Brexit et par la crise du coronavirus. En 2020, ce secteur d’activité a subi un recul de 80 % de son chiffre d’affaires. Brittany Ferries, la compagnie la plus affectée par la crise, compte près de 3 000 salariés. Vous le savez, elle constitue un modèle pour notre région. La préservation des emplois est donc une priorité pour tous les acteurs concernés par ce dossier. J’étais à vos côtés, le 18 novembre dernier, lorsque vous êtes venue confirmer l’engagement de l’État en faveur de ce fleuron de notre économie : 45 millions d’euros d’aides et 16 millions d’euros d’abandon de créance ; cette aide est financée en partie par des fonds européens, il est important de le rappeler.
Les acteurs économiques du transport transmanche ont acté le principe selon lequel la crise allait structurellement bouleverser ce secteur d’activité. Une stratégie globale dans le cadre du Fontenoy du maritime s’avère nécessaire, c’est le sens des travaux que vous menez.
Le second exemple de cette politique maritime qui se concrétise sur notre territoire porte sur l’intégration du port de Brest-Roscoff au réseau central des réseaux transeuropéens de transports. Depuis 2013, cette évolution était sollicitée par les élus comme par les acteurs économiques. Le Gouvernement nous a entendus et a agi auprès de la Commission européenne pour que ce projet puisse prendre forme dès l’année prochaine. Il s’agit d’une immense victoire pour l’Ouest breton.
En alliant fret maritime et ferroviaire, ce cluster maritime préfigure ce que seront les ports du futur en misant sur la décarbonation des transports. Les acteurs politiques et économiques ont unanimement salué ces actions majeures de l’État en faveur de l’aménagement du territoire.
Depuis le 1er janvier, la France assure la présidence du Conseil de l’Union européenne. Le 18 novembre dernier, à Saint-Pol-de-Léon, dans le cadre de votre allocution aux Assises de la pêche, vous avez rappelé que cette présidence offrait une occasion unique de faire avancer, voire de finaliser, certains dossiers.
J’appelle votre attention sur deux dossiers en particulier.
Le premier concerne la mise en place de clauses miroirs dans nos accords commerciaux. Il n’est plus acceptable que des produits alimentaires de la mer importés dans l’Union européenne ne respectent pas les mêmes normes que celles qui s’appliquent au sein de l’Union. Nos professionnels se heurtent depuis trop longtemps à une concurrence déloyale et s’en trouvent pénalisés. Pouvez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur les ambitions de la présidence française sur ce point particulièrement sensible ?
Le second sujet touche aux attentes des consommateurs, et au rôle de l’État pour accompagner et être le levier des transitions. Les consommateurs souhaitent de plus en plus disposer de produits durables, répondant à leurs attentes en termes de qualité, mais aussi de respect de l’environnement. Les acteurs économiques l’ont compris et s’engagent, mais il existe encore des freins au développement de certaines filières.
Permettez-moi de m’appuyer encore sur une situation que rencontre notre territoire breton pour illustrer mes propos.
Pour l’importation de produits bio au sein de l’Union, les États membres désignent des postes de contrôle frontaliers. À ce jour, seuls quatre ports en France disposent de l’agrément européen qui autorise l’importation de ces marchandises en provenance de pays tiers hors Schengen. Si l’ensemble des ports bretons est habilité pour l’importation de produits alimentaires non biologiques, aucun d’entre eux n’est à ce jour référencé comme point d’entrée pour l’importation de produits bio. Pourtant, de plus en plus d’entreprises locales souhaitent limiter leur empreinte carbone.
La situation actuelle est un véritable non-sens écologique, puisque les produits importés par ces entreprises bretonnes parcourent jusqu’à 500 kilomètres sur la route.
Dans ce cadre, le développement d’autorisations permettant d’ouvrir plus de points d’entrée frontaliers pour l’importation de marchandises bio dans nos ports français constituerait un signal positif. Pouvez-vous préciser la position du Gouvernement sur cette question ?
Le sommet international « Un océan » – ou One Ocean – se tiendra à Brest, en février prochain avec pour objectif de définir un cadre réglementaire afin de mieux protéger les océans, en particulier les eaux internationales des zones de grands fonds, très convoitées, et pour lesquelles le droit international est quasi inexistant.
Je salue à ce titre l’initiative de mon collègue sénateur de Polynésie française, Teva Rohfritsch, de créer une mission d’information sur « l’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins ».
Pour conclure, je vous souhaite à tous et à toutes une très bonne année sur des flots paisibles et tranquilles ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et RDSE.)