Mme le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures vingt, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques.
Dans le débat, la parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe auteur de la demande.
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier mon groupe de l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, car les enjeux qu’il recouvre sont essentiels pour l’avenir de la France.
Ces enjeux sont globalement bien connus et bien compris de toutes les parties prenantes et de tous les acteurs politiques. Il s’agit du maintien de notre souveraineté territoriale et de nos droits exclusifs dans les zones concernées ainsi que de notre capacité à assurer une surveillance appropriée de ces espaces.
Nous devons non seulement empêcher les violations de notre domaine maritime et y prévenir les activités illicites, mais aussi être en mesure d’exploiter durablement toutes ses potentialités économiques, qu’il s’agisse des ressources halieutiques, énergétiques et minérales ou des multiples autres activités qui ont pour cadre le milieu marin.
Les défis considérables qui correspondent à ces enjeux sont de nature éminemment géopolitique. Il y va, ni plus ni moins, du rôle et de la place de la France dans le monde – celle qu’elle occupe actuellement, bien sûr, et celle qu’elle aspire à occuper dans les décennies qui viennent.
Pour y faire face, nous devons disposer d’une véritable vision stratégique, à moyen et long termes, et d’une approche holistique des problématiques très variées que recouvre une politique maritime digne de ce nom. Madame la ministre, c’est tout le sens du ministère de la mer, que vous dirigez.
Ce ministère est chargé de cette belle mission sans pour autant en maîtriser directement tous les aspects et tous les leviers. Ce n’est pas une critique personnelle, bien entendu. Tous les gouvernements successifs ont été confrontés à la même difficulté s’agissant de la politique maritime de notre pays : comment assurer la cohérence de l’action publique compte tenu de la grande diversité des décideurs politiques, des niveaux d’intervention, des administrations et des parties prenantes concernées ? Comment obtenir la mobilisation de moyens financiers, humains et logistiques suffisants au service de cette politique, compte tenu de l’ampleur considérable des besoins ?
Un cadre, qui n’est sans doute pas parfait, mais qui a le mérite d’exister, a été défini en février 2017, à savoir la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui retient quatre grands objectifs : le développement de l’économie bleue durable ; le bon état écologique du milieu marin ; la préservation d’un littoral attractif ; et enfin le rayonnement de la France.
Depuis l’adoption de cette stratégie, un quinquennat s’est écoulé : où en est-on aujourd’hui, qu’il s’agisse de sa mise en œuvre effective, des succès remportés, des difficultés rencontrées ou encore des nouveaux défis identifiés ?
Pour ma part, à l’occasion de ce débat, j’insisterai sur deux points qui me semblent particulièrement préoccupants.
Mon premier sujet d’inquiétude est le maintien, voire la défense, de notre souveraineté et de nos droits exclusifs sur les espaces qui constituent le domaine maritime de la France.
Le défi est évidemment très grand, compte tenu de l’immensité de ces espaces : ils représentent près de 11 millions de kilomètres carrés au total – je ne vous apprendrai rien en rappelant qu’ils constituent le deuxième domaine maritime mondial –, dont 97 % sont liés à nos départements et collectivités d’outre-mer ainsi qu’aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
Or, dans certaines des régions concernées, le contexte géopolitique est devenu particulièrement tendu. Je pense notamment au bassin indo-pacifique, où la Chine a accru ses capacités militaires de manière spectaculaire et où elle hésite de moins en moins à affirmer ses prétentions hégémoniques, comme le soulignent, dans leur rapport, nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda.
Le dernier référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, prévu depuis 1998, s’est tenu alors que la Chine laisse planer de telles menaces et que, par un véritable coup de théâtre, la France vient de se voir exclue de l’alliance constituée par les États-Unis avec l’Australie et le Royaume-Uni.
Il s’agit certes d’une coïncidence malheureuse. Mais, selon moi, en gérant ces dossiers et en communiquant comme il l’a fait, le Gouvernement n’a pas envoyé les bons messages à nos partenaires et concurrents. Il n’a pas suffisamment exprimé la détermination de la France à rester un acteur majeur dans l’Indo-Pacifique. Au contraire, le sentiment qui prévaut est que, sur le dossier du référendum, la France a été passive, pour ne pas dire absente, et que, sur le dossier des sous-marins, elle s’est tout simplement fait rouler dans la farine.
De manière plus générale, notre marine nationale est placée face à cette question : comment assurer une surveillance efficace de toutes les composantes de notre domaine maritime, non seulement pour décourager les tentatives d’intimidation militaire et de prise de possession territoriale voire, le cas échéant, y répondre, mais aussi pour lutter contre la piraterie, notamment dans l’océan Indien, et pour détecter et sanctionner toutes les activités illicites, à commencer par la pêche illégale ?
Madame la ministre, notre marine nationale est un légitime objet de fierté pour les Français, de même, d’ailleurs, que notre administration maritime. Néanmoins, pouvez-vous nous assurer qu’elle dispose de moyens suffisants pour accomplir toutes ses missions et se développer comme il se doit dans les années à venir ?
La question de l’intégrité de notre domaine maritime comporte aussi des aspects juridiques et diplomatiques.
Pour empêcher des revendications intempestives de la part de pays riverains, la France doit poursuivre ses efforts de délimitation territoriale dans toutes les zones où cette délimitation n’est pas encore fermement établie.
Elle doit aussi éviter de donner à certains de ces pays, au travers d’accords internationaux, un accès trop généreux à des eaux sur lesquelles ils pourraient être tentés ensuite de revendiquer des droits.
Je salue au passage la vigilance et l’action de notre collègue Philippe Folliot : concernant l’atoll de Clipperton et l’île de Tromelin, il a alerté sur une certaine négligence de la France dans la protection de ses intérêts.
Mon second sujet d’inquiétude est la capacité de la France à exploiter au mieux toutes les ressources et potentialités économiques offertes par son domaine maritime.
Comme vous le savez, mon mandat précédent au Parlement européen m’a conduit à me consacrer particulièrement à la politique de la pêche.
Au sujet de ce seul secteur, bien des choses pourraient être dites : ainsi, on laisse la politique commune de la pêche (PCP) évoluer vers toujours plus de contraintes et de restrictions pour nos pêcheurs sans se préoccuper des conditions dans lesquelles sont pêchés les millions de tonnes de produits de la mer importés chaque année dans l’Union européenne.
Petit aparté : s’agissant des retombées très négatives du Brexit sur la pêche française, le Gouvernement a, me semble-t-il, manqué de fermeté face à la passivité de la Commission européenne dont le rôle est de faire appliquer l’accord et non de céder aux injonctions des Britanniques.
Toutefois, le problème est évidemment plus large et s’étend également aux ressources énergétiques et aux matières premières, sans compter tous les secteurs de services et les industries d’aval, le tout représentant un ensemble d’activités économiques liées à la mer très important, sur le plan tant du PIB que des emplois associés.
Nombre des activités en question doivent être soutenues et développées, notamment celles relatives aux ressources minérales présentes dans les fonds marins – sulfures et nodules polymétalliques, encroûtements cobaltifères –, qui représentent un immense potentiel dans un contexte global de raréfaction et de renchérissement des matières premières, mais dont la plupart des gisements doivent encore être localisés et sont d’accès difficile.
Une course est déjà bien engagée entre les grandes puissances maritimes pour l’accaparement de ces ressources. Il importe, madame la ministre, que la France ne prenne pas de retard en la matière.
Cet exemple doit aussi nous rappeler l’importance de la science et de la recherche fondamentale et appliquée, pour une meilleure connaissance des fonds et du milieu marins.
C’est l’occasion de saluer l’action de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), qui incarne l’excellence française en la matière, mais dont les projets doivent s’inscrire dans une véritable vision stratégique, disposer de financements suffisants et associer, autant que faire se peut, le secteur privé.
Je voudrais conclure sur cette question des ressources et des occasions de développement économique offertes à la France par son vaste domaine maritime en mettant en garde contre certains excès liés à la préoccupation écologique.
Je relève que, des quatre grands objectifs de la stratégie nationale pour la mer et le littoral – définis en 2017 comme je l’indiquais à l’instant –, trois sont entièrement ou en grande partie liés à la protection de l’environnement. Ces objectifs sont évidemment légitimes, mais leur atteinte ne doit pas occulter, selon moi, la nécessité pour la France de donner la priorité à la défense de ses intérêts stratégiques et économiques, dans un contexte global où d’autres grandes puissances maritimes ne s’embarrassent pas toujours – vous ne pourrez pas me dire le contraire, madame la ministre – des mêmes contraintes.
Dans plusieurs rapports sur la pêche, aussi bien au Parlement européen que dans cette assemblée, j’ai utilisé, en paraphrasant Staline, l’expression de « durabilité dans un seul pays » pour souligner la faiblesse intrinsèque de politiques qui font reposer sur la France ou sur la seule Union européenne le poids des efforts à consentir pour assurer la protection du milieu et la préservation des ressources.
La France, dans la définition et la mise en œuvre de sa stratégie maritime, ne doit pas tomber dans ce travers. Il importe donc que son action résolue en faveur du milieu marin s’exerce avant tout dans le cadre des organisations internationales, multilatérales et régionales compétentes, en s’assurant en permanence d’un effort partagé équitablement par tous les pays concernés, plutôt que de manière unilatérale.
À quelques mois d’un nouveau quinquennat,…
Mme la présidente. Cher collègue, il ne faudrait pas trop dépasser votre temps de parole.
M. Alain Cadec. … et d’un nouveau cycle politique pour la France, il était en tout cas opportun pour cette assemblée de faire le point, en prenant un peu d’altitude et de recul, sur ces importantes thématiques afin d’assurer, pour utiliser une métaphore maritime, que le cap est le bon et que la barre est fermement tenue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. André Guiol et Joël Guerriau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays entretient un lien particulier avec la mer. Notre histoire nous a conduits à parcourir et à traverser tous les océans. Ainsi, le territoire national de la République française se trouve aussi bien en Amérique du Nord, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, dans les océans Indien et Pacifique, qu’en Antarctique.
Cette diversité est une chance pour notre pays. Nous nous réjouissons à cet égard que les Néo-Calédoniens aient fait pour la troisième fois le choix de rester Français en décembre dernier.
La délégation sénatoriale aux outre-mer a produit un grand nombre de rapports, très riches en préconisations. Je me souviens en particulier de l’un d’entre eux dont j’ai été le coauteur en 2014, qui préconisait d’instituer un ministère de la mer. Aussi, je me réjouis de votre présence ce soir, madame la ministre.
Dans ce rapport, nous avions formulé plusieurs recommandations concernant la promotion aux échelons national, européen et mondial d’un cadre normatif pour une économie bleue durable, notamment par la prise en compte dans le code minier de la fragilité du milieu marin.
Quelles sont les avancées sur le plan international, madame la ministre ? Où en est la convention de Montego Bay ? La Chine, qui a ratifié le texte, en piétine les principes, que les États-Unis, qui ne sont pas signataires de la convention, défendent.
Nous préconisions aussi la restructuration de nos activités marines en filière intégrée, de la recherche jusqu’aux activités marchandes. Avons-nous progressé à ce sujet ?
Le domaine maritime revêt pour la France une importance toute particulière au vu de sa présence sur l’ensemble du globe. Ce domaine est une richesse que beaucoup nous envient et que nous devons savoir mettre en valeur.
Pour cela, il est essentiel de connaître avec précision la composition de ces espaces. Le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) est l’un des principaux piliers de cette connaissance.
Le développement d’un prototype de robot sous-marin devrait nous permettre de nous doter d’une capacité d’investigation à grande profondeur à la fin de cette année. L’Ifremer a mené plusieurs études visant à améliorer la connaissance de nos fonds marins, mais force est de constater qu’il nous reste encore beaucoup à découvrir.
Comme nous l’avons souligné, nous avons eu l’occasion de regretter le retard pris par le programme « capacité hydrographique et océanographique future », à l’heure où le monde a les yeux rivés sur la zone Asie-Pacifique.
Les Russes et les Chinois se montrent très actifs en la matière et prêtent une grande attention à ce milieu qui voit passer l’essentiel du commerce mondial ainsi que d’importants câbles de télécommunication. Il est essentiel que notre pays ne prenne pas de retard dans ce domaine.
Au-delà de la connaissance, il est également primordial que la France dispose de la maîtrise de ses eaux. Nous avons vu certains pays tenter de déstabiliser nos territoires d’outre-mer. Nous en voyons d’autres tester régulièrement notre vigilance au large de nos côtes.
La France dispose d’une marine de premier ordre. Le Gouvernement a maintenu les efforts prévus par la loi de programmation militaire (LPM). Nous nous en félicitons. Notre pays est l’une des rares puissances mondiales disposant d’une dissuasion nucléaire sous-marine, silencieuse et indétectable. Nous devons conserver ce rang.
Nous voyons s’accroître les menaces. La stratégie de durcissement et de préparation à la haute intensité répond bien à cette réalité. Le budget de la défense doit être à la hauteur des missions qui sont confiées à nos armées.
Ces efforts doivent nous assurer la supériorité, notamment dans le domaine maritime. Les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de classe Barracuda figurent parmi les meilleurs de leur catégorie. Combinés aux autres moyens de la marine, ces bâtiments nous permettent d’assurer des missions de surveillance ainsi que de protéger la France et ses intérêts partout dans le monde.
La regrettable décision de l’Australie, revenant sur sa commande de sous-marins français pour finalement naviguer sur des bâtiments américains, n’enlève rien à l’implication de notre pays dans cette zone. Nos territoires ultramarins et notre coopération avec les acteurs de l’espace indo-pacifique nous y inscrivent dans la durée.
J’ai récemment eu la chance de visiter en Espagne le centre satellitaire de l’Union européenne. J’ai pu y voir des grappes de bateaux de pêche chinois escortés par des frégates pour ratisser les fonds de l’Indo-Pacifique. Cette réalité doit nous inciter à renforcer notre présence dans cet espace et à nous astreindre à l’exemplarité en matière environnementale.
La France participera à l’histoire de cette région qui compte parmi les plus stratégiques de la planète.
La Chine a compris que, pour dominer le monde, il fallait être une grande puissance maritime. Le général de Gaulle n’affirmait-il pas, en 1969 : « Les États chercheront à dominer la mer pour en contrôler les ressources » ? Nous y sommes : il est de notre responsabilité de préserver nos intérêts en nous donnant tous les moyens de le faire. (M. Olivier Cigolotti applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1994, Jacques Chirac disait : « Les Français aiment la mer, mais ils la connaissent mal. » Ces mots restent d’actualité près de trente ans plus tard.
Même si la France possède le deuxième domaine maritime mondial, après les États-Unis, les gouvernements successifs ne semblent pas avoir pris la mesure de ce bien stratégique pour notre économie et notre souveraineté, et cela malgré le récent Fontenoy du maritime.
La crise du coronavirus, le dérèglement climatique et le Brexit ont accentué la fragilité de l’économie maritime de notre pays, et donc de sa souveraineté.
En effet, il n’y a pas de souveraineté maritime sans une véritable ambition pour notre marine française, laquelle implique également une ambition portuaire. C’est sur ce sujet que je voudrais intervenir ce soir.
L’année dernière, le Sénat a été porteur d’une recommandation sur la stratégie nationale portuaire. Nous pouvons nous féliciter collectivement que ce rapport ait pu inspirer le Gouvernement, comme l’expliquait M. le Premier ministre lors du dernier comité interministériel de la mer (CIMer) qui s’est tenu au Havre en janvier 2021.
Toutefois, à l’approche de la fin du quinquennat, l’urgence est de mise. Il faut aller plus loin et s’inspirer directement des travaux de l’Institut Montaigne qui dessinent une véritable ambition pour la stratégie maritime française.
Au-delà des 1,5 milliard d’euros destinés aux ports de l’axe Seine, des 650 millions d’euros attribués au volet maritime dans le plan de relance, et de la fusion des ports de l’axe Seine, les faiblesses de nos grands ports maritimes métropolitains et ultramarins, qui sont la base de notre stratégie maritime, sont bien identifiées.
Portes de l’Europe, passages incontournables, nos ports font face à un déficit de fiabilité et d’efficacité.
La première raison de cette situation est connue : il s’agit du climat social, assez instable depuis 2016, et marqué notamment par plusieurs opérations « ports morts ». Ces actes condamnent un peu plus chaque jour nos ports face à la concurrence de nos voisins, notamment ceux de l’hinterland du nord de l’Europe.
De plus, notre hinterland national est bien trop mal relié, malgré l’immédiate proximité de l’Île-de-France : trop de routes, pas assez de trains et de transports fluviaux.
La mer est ce qui nous relie au monde entier, mais sa frontière, la terre, doit être le bras armé efficace de notre politique de souveraineté maritime, et non son handicap.
C’est la condition de notre survie au moment où le Brexit affecte nos pêcheurs, nos ports et nos échanges internationaux. Vous le comprendrez, un plan Marshall du maritime en France est nécessaire pour une véritable ambition relative à notre souveraineté nationale. C’est ce que le Sénat appelle de ses vœux.
En effet, d’un point de vue économique comme d’un point de vue écologique, il est important de déployer une véritable stratégie d’aménagement du territoire impliquant le développement du report modal vers le ferroviaire et le fluvial.
Ce point doit être prioritaire, au moment où se créent notamment des axes comme le canal Seine-Nord, qui reliera les ports du nord de l’Europe à l’hinterland.
Le rapport du Sénat intitulé « Réarmer » nos ports dans la compétition internationale préconisait le triplement des aides aux transports combinés. Malgré l’augmentation prévue dans le plan de relance, nous sommes loin du compte pour les ports français, qui sont essentiels au développement de notre stratégie maritime.
Enfin, comme l’a signalé mon collègue Alain Cadec, dans le cadre d’un Brexit « dur » et des relations que nous entretenons avec les Britanniques, il est urgent d’expérimenter le concept de port franc afin de rivaliser avec les ports anglais.
C’est cette nouvelle bataille que nous devons gagner pour maintenir notre souveraineté sur l’ensemble de notre stratégie maritime. En lien avec les collectivités locales, les zones franches portuaires peuvent être un levier pour maintenir nos ports à flot.
Ces idées et ces dispositifs existent déjà, ils sont possibles. Déjà annoncés lors des deux derniers CIMer, mais non suivis d’effets, il est temps, madame la ministre, qu’ils aboutissent dans les meilleurs délais face à la férocité croissante de la compétition internationale dans ce secteur.
Le renforcement de l’attractivité de nos ports est plus que jamais un impératif pour doter la France des moyens d’agir efficacement afin de maintenir sa souveraineté maritime. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. André Guiol et Olivier Cigolotti applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Les changements que nous avons déjà provoqués dans le système océanique perdureront pendant des siècles et aggravent la crise climatique. » Ce sont les mots prononcés par Dan Laffoley, de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
La prise en compte de l’océan est effectivement essentielle si l’on veut parvenir à atteindre à la fois les objectifs climatiques de l’accord de Paris et les objectifs relatifs à la biodiversité.
La France, qui possède – nous l’avons dit – le deuxième espace maritime au monde, a un rôle déterminant à jouer pour la transition écologique du monde maritime. Notre groupe, et cela n’étonnera personne, ne partage pas sur ce point l’opinion de notre collègue Alain Cadec concernant ce qu’il considère, pour reprendre ses mots, comme des excès liés à la protection écologique.
Ces enjeux de durabilité sont d’autant plus importants à relever que la réalité économique du monde maritime pèse fortement. Le secteur maritime français représente en effet davantage d’emplois que l’industrie automobile.
Par notre débat de ce soir, nous nous interrogeons sur la politique nationale à mener pour conforter notre souveraineté maritime et garantir nos intérêts économiques et stratégiques. Cependant, nous savons tous que cette politique ne peut suivre une logique strictement nationale, et combien les capacités européennes et la coopération internationale sont déterminantes en la matière.
L’océan est aussi le jeu des puissances qui se disputent les espaces maritimes depuis l’Antiquité. La zone indo-pacifique est ainsi fortement marquée aujourd’hui par l’affirmation de la Chine.
Notre indépendance numérique se joue également au fond des océans. Notre pays, qui était en pointe sur la télécommunication sous-marine, a besoin d’une dynamique européenne forte pour pouvoir contrer la domination des Gafam.
Le défi de la France est de tenir son rang et ses responsabilités particulièrement pour la mise en œuvre de la transition écologique, par sa présence dans les océans à travers ses territoires d’outre-mer, et par de solides liens de coopération internationale.
L’enjeu est de contrer l’effondrement de la biodiversité, notamment par la lutte contre la surpêche, particulièrement la pêche illégale : il faut faire preuve de fermeté dans le bras de fer avec la Chine.
Comment assurer cette transition écologique alors que les tensions géopolitiques s’amplifient, que les enjeux géoéconomiques et stratégiques sont multiples, et que les intérêts d’exploitation économique à courte vue sont si puissants ?
La stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins présentée par le secrétariat général de la mer il y a un an et confirmée dans le plan d’investissement « France 2030 » a annoncé la couleur. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces orientations ont fait tache, au lendemain du congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature.
Le Président de la République a dit clairement son opposition à la proposition de moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins défendue par l’UICN, dévalorisant ainsi d’une certaine façon ses propres déclarations en faveur de la protection des océans.
Nous regrettons, pour notre part, que le Gouvernement n’exclue pas la possibilité d’exploiter des ressources minérales dans les zones protégées. Une telle gestion ne pourrait être rondement qualifiée de durable. Entendons les préoccupations exprimées par les scientifiques, selon lesquels la perte de la biodiversité sera inévitable si l’activité minière dans les grands fonds marins est autorisée.
Les avantages à long terme d’un océan sain dépassent de loin les opportunités à court terme offertes par l’exploitation minière des fonds marins. La demande de minerais nécessitera de plus en plus de processus efficaces d’économie circulaire. Alors, encourageons avant tout l’innovation, le recyclage et la réparation plutôt que de miser sur le mirage de l’économie bleue.
Engager résolument notre stratégie maritime dans la transition écologique, loin de freiner la France, est gage d’opportunités économiques, sociales et géopolitiques. Par quels engagements pourrons-nous y parvenir ?
Nous le ferons d’abord en crédibilisant l’objectif de neutralité carbone du transport maritime à l’horizon 2050, comme ont déjà commencé à le faire nos voisins scandinaves.
Nous le ferons ensuite en protégeant effectivement au moins 30 % de l’océan au moyen d’aires marines protégées. Les résultats des réserves marines, quand elles sont sérieuses et strictes, sont spectaculaires déjà à court terme. Les niveaux de plénitude des espèces peuvent être rapidement retrouvés à condition de n’effectuer aucun prélèvement.
Des réserves marines efficaces signifient bien sûr la reconquête de la biodiversité, mais aussi le repeuplement des zones de pêche. L’océanographe François Sarano l’a dit clairement devant notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : « Il est nécessaire de transformer les pêcheurs exploitants en pêcheurs gestionnaires, en passant d’une logique de subventions à la destruction à une logique de rémunérations à la gestion collective. » Le chalutage profond doit être banni. C’est encore loin d’être le cas.
J’ai voulu insister, en cinq minutes, sur cet enjeu majeur, plutôt que de passer en revue tous les volets du débat qui nous est proposé. Je laisserai le mot de ma conclusion de nouveau à Dan Laffoley : « La protection de l’océan est affaire de survie humaine. » Il s’agit d’en prendre acte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)