Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Malet.
Mme Viviane Malet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons ce soir est certainement pour nous, sénateurs des territoires ultramarins, l’une des dernières occasions, pour ce qui est de cette législature, d’évoquer assez longuement les spécificités de nos territoires.
Si ce débat intervient dans un contexte qui se révèle particulier et préoccupant aux Antilles, je souhaite axer mon propos sur des sujets qui me tiennent à cœur en tant qu’ancienne adjointe au maire de Saint-Pierre chargée de l’action sociale. De mon expérience d’élue locale, je conserve en effet un attachement à œuvrer pour la prise en compte des réalités du terrain et des attentes et besoins des habitants.
Prendre la parole aujourd’hui dans cet hémicycle, c’est donc l’occasion pour nous, représentants des outre-mer, de rappeler que nos collectivités ont un réel besoin de rattraper le retard persistant qui est le leur par rapport à l’Hexagone.
Il ne s’agit pas de « pleurnicher », comme on nous le reproche parfois de façon quelque peu caricaturale, mais d’attirer l’attention de tous sur la nécessité d’une véritable ambition pour ces territoires.
Or aucun texte spécifique aux outre-mer n’est venu changer la vie des Ultramarins ces dernières années.
Nous nous attachons donc à résorber certaines inégalités par le biais d’amendements. La reconnaissance des spécificités ultramarines se trouve dès lors souvent cantonnée dans des articles additionnels créés pour l’occasion, seul moyen dont nous disposons pour tenter de faire cesser des différences de traitement qui ne se justifient pas ou ne sont pas en adéquation avec les besoins de nos territoires…
Pourquoi nous imposer des mesures hexagonales qui nous sont structurellement inadaptées ? Pourquoi ce qui est possible dans l’Hexagone ne l’est-il pas chez nous ?
Je vous livre ici deux exemples saisissants que j’évoquerai rapidement.
Le premier concerne une injustice que j’ai tenté de corriger en déposant un amendement au projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) – mais celui-ci fut déclaré irrecevable, de façon incompréhensible, en application de l’article 45 de la Constitution.
Comment peut-on justifier que s’applique à La Réunion l’obligation d’un avis conforme de la CDPENAF, la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, alors qu’un avis simple est requis sur le territoire métropolitain ?
Deuxième exemple, comment l’application mécanique de la trajectoire fiscale de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) peut-elle méconnaître la particularité du contexte réunionnais, qui est contraint par l’exiguïté du territoire et la saturation des sites d’enfouissement ? Je tiens à cet égard à saluer ceux qui ont soutenu la démarche que j’ai engagée – vous en faites partie, monsieur le ministre – lors de l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative pour augmenter les taux de réfaction applicables à la TGAP outre-mer et soutenir ainsi les efforts déployés par nos collectivités pour réduire l’enfouissement des déchets de 80 % à l’horizon de 2025.
L’un des sujets majeurs sur lesquels je souhaite aujourd’hui insister est le vieillissement de la population ultramarine, les questions fondamentales de la prévention et des conditions de logement me préoccupant tout particulièrement.
Nos sociétés sont certes jeunes, mais le vieillissement de la population y devient réalité. Or la précarité et le faible niveau de vie n’épargnent pas nos seniors. À La Réunion, par exemple, la part des seniors vivant en dessous du seuil de pauvreté est de trois à quatre fois supérieure, selon les tranches d’âge, à celle que l’on observe dans l’Hexagone. Ne parlons pas de nos agriculteurs, qui attendent toujours une revalorisation de leurs pensions de retraite scandaleusement basses… Là encore, nos amendements ont été rejetés, dans l’attente d’un grand plan de réforme des retraites.
La solidarité familiale et intergénérationnelle a toujours été une marque de fabrique de la société domienne, mais cette solidarité se fragilise, voire s’effrite, du fait de la part de plus en plus importante de personnes âgées vivant seules, l’évolution du mode de vie ayant conduit les jeunes à quitter le domicile familial.
Si nos seniors sont majoritairement propriétaires, ils vivent souvent dans des logements précaires et peu adaptés à la perte d’autonomie. Une enquête réalisée voilà quatre ans démontrait de surcroît que plus de la moitié de ces logements nécessitaient des travaux.
Mais le fait le plus marquant à La Réunion, par exemple, est que la dépendance s’avère toujours plus lourde et plus précoce. Il est donc impératif de mettre l’accent sur la prévention de la perte d’autonomie et d’envisager un meilleur accompagnement.
Nous devons travailler au bien vieillir de nos gramounes, sur cette terre de solidarité où l’accueil familial est développé via notamment les maisons d’accueillants familiaux (MAF). Dans ce contexte particulier, il nous incombe de faire en sorte que la création de résidences autonomie soit autorisée. Elle l’est dans l’Hexagone, mais pas encore dans nos territoires ; de nouveau, rien ne justifie cette différence de traitement. J’ai donc déposé un amendement au projet de loi 3DS afin qu’il soit pourvu à la légitime et nécessaire construction de logements et d’hébergements à loyer maîtrisé et social en même temps qu’adaptés au défi de la transition démographique.
Cette initiative reprenait une proposition formulée dans plusieurs rapports parlementaires, dont le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la politique du logement dans les outre-mer et le rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat sur la prévention de la perte d’autonomie.
Pourtant, cet amendement fut rejeté en séance au Sénat, le Gouvernement expliquant que la disposition proposée avait plutôt vocation à figurer dans le projet de loi relatif au grand âge et à l’autonomie, texte qui ne sera finalement jamais inscrit à l’ordre du jour du Parlement…
Nous nous raccrochons donc à l’espoir que suscite le dépôt par le Gouvernement, à l’Assemblée nationale, d’un amendement au projet de loi 3DS visant à lever les verrous faisant obstacle à la création de logements-foyers outre-mer. Mais pour que ces nouvelles dispositions législatives aient une traduction concrète sur le terrain, il faut que le Gouvernement précise rapidement leurs modalités de mise en œuvre et s’engage sur un calendrier réglementaire permettant de rendre effectif ce rattrapage légitime.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Viviane Malet. Restent en suspens des questions relatives à la gouvernance de ces structures, au coût des services adaptés et surtout au reste à charge dont devront s’acquitter les pensionnés qui touchent de petites retraites.
Par ailleurs, il convient de garantir l’adéquation qualitative des logements produits aux évolutions sociales…
Mme la présidente. Vous dépassez allègrement le temps de parole qui vous est imparti…
Mme Viviane Malet. … et démographiques de nos territoires – un effort doit notamment être consenti concernant les T1 et T2. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs jours de graves troubles marqués notamment par l’utilisation d’armes à feu, il est légitime que l’État rétablisse l’ordre. Mais l’image du GIGN, le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, venant mettre fin à une révolte populaire est pour le moins désastreuse.
Si la politique vaccinale est indispensable, j’ai déjà exprimé mes inquiétudes, ici même, à cette tribune, quant au fait qu’elle soit guidée par la contrainte plutôt que par la conviction. On constate d’ailleurs les limites de cette stratégie…
Alors que nous nous préparons à encaisser la cinquième vague de la pandémie, nous n’avions vraiment pas besoin de pénuries de personnel dans les hôpitaux ni d’émeutes urbaines.
Monsieur le ministre, au lieu de la « main ferme » de l’État, c’est de la souplesse qu’il faudrait proposer. Comme l’écrivait Jean Giono : « La vie c’est de l’eau. Si vous mollissez le creux de la main, vous la gardez. Si vous serrez les poings, vous la perdez. »
L’eau, précisément, est d’ailleurs, avec le coût de la vie et l’affaiblissement des services publics, au premier rang desquels l’hôpital, au cœur des revendications qui s’expriment dans la rue.
Pour limiter la propagation du virus aux Antilles, le vaccin, bien qu’indispensable, ne suffit pas. Il faudrait déjà que chacun ait accès à l’eau !
Comment imaginer, dans la septième puissance économique mondiale, des robinets à sec ou déversant une eau blanche saumâtre ?
Comment imaginer un rationnement tel que, depuis quatre ans, chaque commune de Guadeloupe est privée d’eau un à deux jours par semaine ?
Comment imaginer que l’eau du robinet puisse être régulièrement déclarée impropre à la consommation, car contaminée au chlordécone ?
Comment imaginer que les enfants puissent manquer un mois et demi de l’année scolaire, car les écoles sont privées d’eau ?
Comment imaginer, pour couronner le tout, que pour ce service calamiteux les Guadeloupéens paient 50 % plus cher qu’en métropole ?
Ce constat est sidérant. Il en faudrait infiniment moins, dans l’Hexagone, pour mettre les ronds-points à feu et à sang.
Ce constat, vous le connaissez, bien sûr : le réseau de canalisations est vétuste et mal entretenu, ce qui entraîne une invraisemblable déperdition de 60 % à 80 % de l’eau captée ; 70 % des stations d’épuration sont mal entretenues, mal surveillées, et les réseaux d’assainissement privés ne sont évidemment pas aux normes.
Cette catastrophe sociale se double naturellement d’une catastrophe écologique. Avec de telles pertes en ligne, le captage d’eau douce est très nettement supérieur aux besoins. Résultat : le débit des rivières diminue dangereusement, ce qui menace la continuité écologique et des pans entiers de la biodiversité de l’île. Les nappes phréatiques, souvent contaminées au chlordécone, risquent en outre la salinisation.
De l’autre côté du cycle, les rejets non contrôlés et les failles béantes du système d’épuration entretiennent ou aggravent la pollution des cours d’eau et des eaux littorales. Ainsi, la pêche est interdite en Martinique dans de nombreux cours d’eau à cause du chlordécone, et les récifs coralliens souffrent grandement.
L’ARS donne l’alerte : à ce rythme, d’ici dix ans, il n’y aura plus de coins de baignade de grande qualité en Guadeloupe. Un désastre écologique, touristique, donc économique, est en germe.
Le cas de la Guadeloupe est symptomatique ; mais j’aurais pu évoquer aussi bien les eaux contaminées au nickel, en Nouvelle-Calédonie, au mercure, en Guyane, ou les zones de baignade interdites, car l’eau y est fétide, qui pullulent en Guyane à cause des rejets des stations d’épuration.
Pour ce qui est de l’approvisionnement, comme l’a montré la commission d’enquête demandée par nos collègues députés du groupe La France insoumise, un litre d’eau sur deux est gaspillé, outre-mer, dans un réseau vétuste – gabegie invraisemblable !…
Monsieur le ministre, vous allez me répondre que vous prenez le problème à bras-le-corps. Mais, faute d’ouvrir suffisamment les vannes financières – 170 millions d’euros pour le réseau guadeloupéen, là où il en faudrait 600 voire 700 –, le Gouvernement s’est lancé dans de la plomberie administrative en créant un nouveau syndicat des eaux. Résultat des courses : vous avez promis, ce week-end, que le problème serait réglé dans… cinq ans ! Cinq ans supplémentaires, donc, de « tours d’eau » pour les Guadeloupéens. Il faut bien sûr aller plus vite.
L’eau est un bien commun de nécessité vitale. Il faut un plan Marshall de l’eau outre-mer pour en finir avec ce désastre social, économique et écologique.
Financement, ingénierie, main-d’œuvre, l’État doit suppléer les collectivités locales partout où c’est nécessaire. Il faut mettre en place une gestion publique de l’eau et cesser de confier ce commun précieux à la prédation de Veolia et consorts. Et il faudra, le rationnement passé, instaurer la gratuité des premiers mètres cubes d’eau afin notamment de compenser toutes ces années de coût invraisemblable de l’eau courante pour nos compatriotes ultramarins.
Il n’y a là nul cadeau, mais une dette que nous devons solder : la dette du chlordécone, la dette de l’orpaillage, la dette du nickel !
En outre-mer et partout en France, la gestion de la ressource en eau doit être élevée au rang de priorité nationale ; telle est la condition première de notre résilience. (Mmes Raymonde Poncet Monge et Marie-Noëlle Lienemann, ainsi que M. Franck Menonville, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer a lieu ici, au Sénat, dans un contexte de très forte tension, avec des mouvements sociaux dans les Antilles, en Martinique et en Guadeloupe, et alors que des tensions couvent également en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, pour d’autres raisons. Cette colère sociale s’était déjà exprimée par de puissants mouvements en Guadeloupe en 2009 et en Guyane en 2017. Elle n’a trouvé aucune réponse à la hauteur des attentes.
Pour la comprendre, il faut garder à l’esprit le passé de nos territoires ultramarins et, surtout, les rapports de l’Hexagone avec ces territoires. Je pense au passé colonial, esclavagiste, bien sûr, mais aussi au passé plus récent, lorsque l’État français permettait par dérogation l’utilisation du chlordécone, cet insecticide dont la toxicité était connue depuis 1976, mais qui a été utilisé dans les bananeraies des Antilles jusqu’en 1993 – au prix de la santé des travailleuses et des travailleurs de ces exploitations.
Le rejet du passe sanitaire et, dans certains cas, de la vaccination ne peut se comprendre hors de cette histoire, hors de ce contexte, où l’État français se manifeste pour imposer avec dureté et sans dialogue des mesures justes sans doute, mais qui portent sur un domaine, la santé et la vaccination, qu’il a jusqu’à présent négligé. Or dans les territoires ultramarins, les services publics, et particulièrement les hôpitaux, sont asphyxiés, plus encore que dans l’Hexagone. De plus, comme vous le savez, monsieur le ministre, les tests de dépistage pour le chlordécone ne sont toujours pas gratuits, alors que près de 90 % de la population serait infectée – ils sont gratuits pour celles et ceux qui ont travaillé au contact de cette molécule, mais pas pour l’ensemble de la population.
On peut dire la même chose au niveau social et économique. Vous n’avez apporté aucune réponse sur le fait que 30 % des Guadeloupéens n’auraient pas accès à l’eau. Rien sur le taux de chômage, de 15 % en Martinique, de 17 % en Guadeloupe. Enfin, quelles réponses sociales apporter aux 30 % de Guadeloupéens et de Martiniquais qui vivent sous le seuil de pauvreté ?
Oui, ces puissants mouvements sociaux prennent aussi leurs racines dans la lutte contre la vie chère. Pourtant, vous ne dites rien sur les marges de quelques grands groupes monopolistiques qui imposent des prix plus élevés que dans l’Hexagone. Ainsi, la bouteille de gaz coûte entre 28 et 30 euros en Martinique, et le prix du litre de supercarburant tourne autour de 1,80 euro en Guadeloupe. D’ailleurs, les populations ultramarines résument très bien ce système de profit et d’exploitation issu de l’histoire coloniale par le terme créole de « profitation ».
Après avoir légiféré, il y a quelques années, sur la transparence des prix, il nous faut passer à la vitesse supérieure et légiférer à présent sur la transparence des marges, exiger de ces grands groupes qu’ils les réduisent et bloquer les prix sur les produits de première nécessité.
Enfin, les Antillais ne demandent pas autre chose que le respect et le dialogue. C’est ce que j’ai entendu la semaine dernière lors du déplacement en Guyane et en Guadeloupe que j’ai effectué avec Fabien Roussel.
Oui, il faut ouvrir le dialogue avec les élus et celles et ceux qui sont mobilisés sur la question sanitaire et la vaccination, sans contraindre, mais en tentant de convaincre. En effet, la question est complexe, mais, quand la défiance a atteint un tel niveau, la seule voie possible est le dialogue. Tout au contraire, fidèle à une trop longue tradition de l’État français, oscillant entre abandon, mépris, mensonges et promesses non tenues, vous avez choisi la voie de la fermeté et de la répression.
Le Gouvernement a choisi d’envoyer le GIGN et le RAID en réponse à la crise sociale. Bien sûr, les pillages et les violences doivent être condamnés, mais il ne faut pas confondre, monsieur le ministre, ces quelques pillages et ces violences insupportables avec les femmes et les hommes, françaises et français, qui exigent l’égalité républicaine et qui sont la très grande majorité.
Vous avez choisi de culpabiliser les manifestants en menaçant la population de largage politique. Un débat sur l’autonomie de la Guadeloupe ? Vous savez parfaitement que toute évolution statutaire et institutionnelle doit se faire en consultant la population : il suffit de relire notre Constitution. Cela vous permet surtout d’éviter le débat sur la question sociale. Pourtant, si vous ne savez pas par où commencer, vous n’avez qu’à lire la plateforme des 32 revendications portées par les syndicats.
Je terminerai mon propos par ces quelques mots d’un des pères de la négritude, Aimé Césaire : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Monsieur le ministre, ne fermons plus les yeux. Réglons les problèmes de fond : services publics, vie chère et chômage endémique. Vous n’êtes pas responsable de tout, et certainement pas de quarante ou cinquante ans d’abandon de l’État, mais vous êtes aujourd’hui en responsabilité.
Alors il faut reprendre le dialogue sur place et régler toutes ces questions, pour que l’égalité républicaine résonne partout, enfin, sur l’ensemble des territoires, dans l’Hexagone comme dans nos territoires ultramarins. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je devais avoir 8 ans ou 9 ans quand, pour Noël, mes parents m’ont offert un atlas. Dans nos milieux populaires de la montagne tarnaise, c’était une période où l’on voyageait peu. Ainsi, j’ai pu voyager grâce aux cartes, ce qui m’a permis de prendre conscience du fait que notre pays ne se limitait pas à l’image que nous nous en formons souvent, c’est-à-dire à l’Hexagone. La question importante qu’il faut que nous nous posions est la suivante : la France est-elle continentale et européenne, ou mondiale et maritime ?
Les outre-mer sont-ils une charge ou une chance pour la France ? Pour moi, ils représentent une chance immense pour notre pays. Dès lors, il est essentiel de faire sortir nos outre-mer du cadre dans lequel ils se trouvent englués, si j’ose dire, depuis un certain nombre de décennies, avec un secteur public très important, une économie très liée au tourisme – comme l’a bien rappelé, entre autres, Jocelyne Guidez – et d’importants transferts sociaux.
Bien sûr, il y a d’autres secteurs d’activité : le nickel, le spatial, le secteur du bâtiment et des travaux publics, le commerce… Mais, en fait, nous assistons depuis plusieurs décennies à une succession de crises conjoncturelles. Si ces crises surviennent, c’est parce que nous n’avons jamais su résoudre un certain nombre de problèmes structurels pour nos territoires ultramarins. J’en citerai quelques-uns, monsieur le ministre.
La souveraineté, tout d’abord. Nous avons failli, et nous continuons à faillir, sur les enjeux de souveraineté outre-mer. Je ne reviendrai pas sur le cas de l’île de la Passion, aussi appelée île Clipperton, ni sur celui des îles Éparses, ni sur celui de l’île Tromelin, mais, quand l’État ne donne pas un bon signal en la matière, cela suscite un certain nombre d’interrogations sur bien d’autres points.
Il y a la question de la jeunesse. Si, dans l’Hexagone, nous avions le même taux de jeunes sans perspectives, situation ni avenir, nous connaîtrions la même situation de révolte sociale.
Il y a la question de l’autonomie alimentaire des outre-mer, qui n’a jamais été résolue, et qui renvoie à la nécessité d’engager enfin un véritable plan dans ce domaine.
Il y a les enjeux spécifiques à la sécurité et à l’immigration, notamment à Mayotte et en Guyane. Pour nos concitoyens, la situation est tout simplement invivable : personne ne supporterait dans l’Hexagone ce qu’endurent nos compatriotes ultramarins dans ces deux départements.
Il y a aussi les questions relatives à la santé, à l’eau, comme plusieurs intervenants l’ont déjà dit.
Il y a un certain nombre de questions relatives à la défense. Nous parlons beaucoup de l’Indo-Pacifique, mais, si notre zone économique exclusive se trouve à 98,5 % outre-mer, 90 % des moyens de la marine nationale sont concentrés dans l’Hexagone : il faudrait peut-être se poser des questions, car il y a des enjeux de souveraineté qui devraient requérir le prépositionnement de certaines forces.
Je terminerai mon propos en évoquant l’économie bleue. Si la France suivait les perspectives de croissance en la matière à l’échelle mondiale, dans les dix prochaines années, nous enregistrerions une création nette de 200 000 emplois. Et si, par volontarisme politique, nous faisions en sorte qu’un tiers des nouveaux emplois de l’économie bleue soient liés, affectés aux outre-mer, cela résoudrait une partie des problématiques économiques, et donc sociales.
Mme la présidente. Veuillez conclure.
M. Philippe Folliot. En somme, au-delà des enjeux d’actualité, nous devons prendre en compte la chance pour notre pays, pour l’Europe, que représentent nos outre-mer.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Philippe Folliot. Car ceux-ci nous confèrent une dimension planétaire et nous ouvrent des perspectives globales. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation sanitaire reste évidemment un déterminant majeur de l’évolution générale des territoires ultramarins. La vague de l’été dernier, due au variant delta, y a été particulièrement violente.
Certes, tous les territoires n’ont pas vécu la même détérioration sanitaire. Ceux qui étaient les mieux protégés par un taux élevé de vaccination ont franchi cette vague sans désastre. Mais, au total, nos compatriotes ultramarins, qui représentent 4 % de la population, comptent pour 30 % des décès du pays durant cette vague. C’est insupportable !
À la Martinique, en Guadeloupe, en Polynésie, les morts se sont comptés par centaines. Les hôpitaux ont subi un débordement bien supérieur à celui de la première vague en métropole et les soignants ont été contraints de procéder à des priorisations de soins chez des sujets de plus en plus jeunes, âgés de moins de 50 ans.
Partout, la situation est actuellement plus favorable, mais nous sommes particulièrement inquiets, car, dans plusieurs territoires, en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, le taux de protection de la population par la vaccination reste bas, beaucoup trop bas. Même en prenant en compte l’immunité naturelle acquise, en Guyane, le taux de protection n’est que de 62 %. La cinquième vague menace donc directement la population.
Nous partageons les constats et les propositions de la mission commune d’information du Sénat chargée d’évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités. Il nous faut mieux territorialiser les réponses et amplifier le soutien aux populations menacées.
Dans un contexte où le vaccin est l’objet d’instrumentalisations irresponsables, nous appelons à accentuer la mobilisation pour la vaccination, avec le concours de relais locaux et en prenant en compte les spécificités des populations concernées.
La survenue de la cinquième vague doit être anticipée par la reprise de renforts en soignants et par le renforcement de la coordination entre autorités sanitaires, établissements hospitaliers et professionnels libéraux.
Les stocks d’équipements, de matériels et de produits de santé doivent être l’objet d’une attention particulière. S’agissant de l’offre de soins, les investissements en outre-mer, notamment liés au Ségur de la santé, doivent être accélérés. Pour nous, les caractéristiques géographiques et populationnelles des territoires ultramarins justifient que l’offre hospitalière soit portée, dans certains cas, au-delà des moyennes observées dans notre pays.
Enfin, la crise sanitaire met à mal l’offre générale de soins dans plusieurs territoires. Alors que celle-ci avait progressé depuis dix ans à la Réunion, en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe, nous redoutons que l’épuisement dû à la crise et les tensions sociales et politiques qui se sont développées ne compromettent l’attractivité médicale de ces territoires. Nous appelons donc à préparer dès maintenant une stratégie pour renforcer cette attractivité.
Plus que jamais, en effet, nous sommes déterminés à défendre le droit des populations d’outre-mer à accéder au même niveau de soins que toute autre personne sur le territoire de notre République. La santé se construit dans l’égalité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise de la covid-19 a durement frappé la France et le monde depuis deux ans. Elle n’est pas terminée, mais son bilan humain et social est déjà lourd. Toutefois, ses conséquences ne sont pas limitées au seul domaine de la santé publique. Elles ont pu se révéler particulièrement redoutables dans certains territoires fragiles.
C’est le cas des nombreuses collectivités ultramarines, qui souffrent de problèmes économiques et sociaux profonds : un taux de chômage important, notamment chez les jeunes, une forte dépendance des circuits économiques, un coût de la vie élevé, l’insuffisance de certains services publics, un manque de confiance dans les institutions. Les constats ne manquent pas !
Récemment, la commission des lois du Sénat a étudié une proposition de loi dont l’objectif était de rénover le service public de l’eau en Guadeloupe.
Ces problématiques ne sont pas nouvelles, monsieur le ministre, et la crise sanitaire n’a fait que les renforcer. Le débat d’aujourd’hui prend tout son sens au regard des événements récents, que nul n’ignore ici. Un mouvement social important s’est déclenché en Guadeloupe et en Martinique, dépassant rapidement la question de la vaccination des soignants, qui en était à l’origine.
Ce mouvement s’est malheureusement accompagné d’actes de violence et de destruction, que nous devons collectivement condamner – et je voudrais ici rendre hommage aux forces de l’ordre engagées outre-mer pour restaurer le calme et la tranquillité.
Lors de votre très récent déplacement en Martinique, monsieur le ministre, vous avez laissé entrevoir une possibilité d’adaptation de l’obligation vaccinale. Pouvez-vous nous préciser si cette adaptation s’imposera après la date du 31 décembre, qui est celle du report de l’obligation vaccinale ?
Dans ce contexte, nos outre-mer ont besoin d’un engagement ferme de la part des pouvoirs publics. Cet engagement doit se traduire au niveau national par une véritable vision pour la France d’outre-mer, prévoyant l’indispensable renforcement de la compétitivité des économies de ces territoires, ainsi que de leurs liens avec leur environnement régional.
Il est essentiel, aussi, de renforcer la sécurité publique outre-mer, pour éviter la répétition des scènes de violence qui nous ont tant choqués ces derniers jours. Interrogeons-nous aussi sur la méthode à employer. Au Sénat, chambre des territoires, écho des collectivités territoriales, notre ambition doit être de passer par les collectivités ultramarines elles-mêmes, car un pilotage depuis Paris serait une nouvelle fois incompris et inefficace.
Plutôt que d’ouvrir à la va-vite un débat sur l’autonomie, il serait peut-être plus sage de s’appuyer avec bon sens sur les travaux du Sénat en matière de décentralisation et de différenciation. Ces travaux existent : je pense notamment aux cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales présentées par le président Larcher.
Les collectivités territoriales doivent aiguiller l’action future avant que des volontés de séparatisme et d’indépendance ne se fassent jour. Après tout, ce sont bien les départements et les régions qui assument les politiques sociales et économiques. Ouvrir la voie à des statuts sur mesure permettrait aux collectivités ultramarines de disposer de marges de manœuvre renforcées, en particulier pour adapter les normes nationales aux réalités locales.