M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Monsieur le ministre, jeudi soir dernier, votre ministère s’est félicité d’être parvenu à un accord avec Saarstahl, le propriétaire allemand de l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve, lequel a renoncé à la délocalisation de près de 40 % de l’activité du site français en Allemagne.
C’est un soulagement pour les 300 employés du site, mais ne nous leurrons pas : les raisons qui ont amené le groupe allemand à envisager la délocalisation n’en ont pour autant pas disparu.
En effet, le site valenciennois d’Ascoval est, comme tant d’autres, étranglé par la hausse brutale des prix de l’électricité, multipliés par trois depuis le début de l’année. Ayant choisi l’électrification plutôt que les hauts-fourneaux, ayant fait l’effort d’investir dans l’industrie verte, il en paye le prix !
Monsieur le ministre, comment expliquer à nos industriels qui jouent le jeu et s’engagent dans la décarbonation que cela se fait au détriment de leur compétitivité ?
Comment justifier une telle schizophrénie de la réglementation européenne, alors même que notre mix énergétique national est parmi les plus décarbonés d’Europe ? Nous n’en récoltons pas les fruits. Au contraire, nos entreprises en sont punies !
Votre réponse, exclusivement budgétaire, me semble timide, ponctuelle et sans stratégie de long terme. Ascoval, comme bien d’autres entreprises, attend plus !
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous interroger. À l’approche de la présidence française de l’Union européenne, quelles sont les convictions que vous comptez défendre pour protéger notre souveraineté industrielle ?
Enfin, quel est votre plan pour inscrire ce sujet à l’agenda et faire bouger concrètement et rapidement les choses ? À défaut, combien de délocalisations énergétiques d’ici à 2025 devrons-nous supporter ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance. (Exclamations de surprise et de satisfaction suivies d’applaudissements.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »… (Sourires.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la sénatrice Létard, je veux qu’il n’y ait aucune ambiguïté : nous nous sommes battus ensemble…
Mme Valérie Létard. Bien sûr !
M. Bruno Le Maire, ministre. … avec les salariés, avec les syndicats, avec les élus locaux, avec vous-même – je vous remercie d’ailleurs de votre engagement –,…
M. Marc-Philippe Daubresse. Il faut aussi remercier Xavier Bertrand !
M. Bruno Le Maire, ministre. … pour sauver Ascoval il y a quatre ans, pour lui offrir des perspectives de développement économique, pour promouvoir une grande aciérie. Nous continuerons à nous battre. Nous avons empêché la délocalisation d’Ascoval : il n’y en aura pas, ni maintenant ni plus tard. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
En revanche, je tiens à vous rassurer sur notre stratégie. Nous voulons aller vers une économie décarbonée. Vous avez raison, cela a un coût : au regard des prix de l’électricité, produire une tonne d’acier avec un four électrique dans une aciérie décarbonée se traduit par une augmentation de 150 euros. Par ailleurs, on l’oublie trop souvent, une tonne d’acier produite chez Saarstahl avec un haut-fourneau classique entraîne l’émission de deux tonnes de CO2.
Il faut décider si nous voulons véritablement aller vers une économie décarbonée et des aciéries décarbonées qui émettent peu de CO2. (M. Jérémy Bacchi s’exclame.)
Avec Barbara Pompili,…
M. René-Paul Savary. Ah ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … avec l’ensemble du Gouvernement, c’est ce choix stratégique pour l’économie française que j’ai retenu. Nous le tiendrons. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)
Cela demande aussi de prendre des décisions de long terme pour anticiper l’augmentation des coûts. La première décision, la première bataille que nous avons commencé à livrer et que je livre personnellement au Conseil des ministres européens de l’économie, c’est de découpler le prix d’électricité du prix du gaz.
La France n’a pas à payer l’augmentation des prix du gaz par une augmentation de ses prix de l’électricité, alors qu’elle a des centrales nucléaires qui lui permettent d’avoir des coûts faibles de production électrique.
M. Marc-Philippe Daubresse. Cela fait vingt ans qu’on le dit !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je me battrai pour ce découplage (Applaudissements sur diverses travées.), parce qu’il est indispensable pour l’économie et indispensable pour l’environnement.
Le deuxième point, c’est de faire payer le CO2. C’est le projet Fit for 55, pour lequel nous nous battons, avec le soutien du Président de la République.
La troisième condition stratégique, c’est de mettre en place une taxe carbone aux frontières, car nous voulons faire payer l’acier carboné à tous ceux qui veulent faire entrer de l’acier sur le territoire européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Pascal Savoldelli. Tout cela a la froideur de l’acier ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour la réplique.
Mme Valérie Létard. Monsieur le ministre, nous partageons votre point de vue. La compétition économique d’aujourd’hui ne se joue pas qu’avec la Chine et le Brésil. Au sein même de l’Union européenne, nous devons défendre notre compétitivité, vous venez de le rappeler. C’est une urgence.
Il faut changer le mode de tarification de notre énergie, reconnaître le nucléaire comme une énergie décarbonée et donner la priorité à l’anticipation sans se limiter à la seule approche curative. C’est la clé de notre souveraineté industrielle !
Face aux difficultés rencontrées par Vallourec, par Ascoval à Saint-Saulve ou par Benteler, dans l’Yonne, chère Dominique Vérien, il faut reprendre la main et ne plus subir. Nous attendons de vous, monsieur le ministre, que vous nous défendiez auprès de l’Europe. La présidence française du Conseil de l’Union européenne doit permettre d’accélérer ces changements. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
lutte contre les violences faites aux femmes (i)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en préambule, je tiens à faire part de la solidarité de l’ensemble des membres du groupe CRCE aux populations d’outre-mer, qui luttent actuellement contre la vie chère et contre la fracture républicaine dont elles sont victimes depuis maintenant trop longtemps.
Madame la ministre, le 25 novembre approche, date symbolique de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes.
Ces violences, aggravées par la précarité, laquelle conduit parfois à la marchandisation des corps, existent partout : au sein du domicile familial, sur le lieu de travail, dans la rue ou encore sur internet.
C’est pour dénoncer ces violences qu’une foule immense a défilé à Paris le 20 novembre dernier. Autant de manifestants sont encore attendus samedi à Marseille.
Je sais – vous l’avez expliqué précédemment, madame la ministre – que vous avez tout bien fait ! Malheureusement, les chiffres sont là et ils ne sont pas bons. L’autosatisfaction dont vous faites preuve n’en est que plus indécente.
Durant le confinement, le nombre des appels pour signaler des violences conjugales a triplé et il continue d’augmenter. Le 18 novembre 2021, on dénombrait 101 féminicides, soit déjà 11 de plus qu’en 2020. Au total, 543 femmes ont perdu la vie depuis 2017.
Madame la ministre, quand allez-vous enfin prendre la mesure de la gravité de la situation et mettre en place un véritable plan ambitieux de lutte contre ces violences insupportables ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations sur diverses travées.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je pensais qu’il fallait partir, puis revenir, pour avoir droit à une ola, mais ce n’est finalement pas le cas ! (Sourires.)
Monsieur le sénateur Bacchi, puisque vous avez commencé par évoquer la situation en Guadeloupe, je tiens à vous dire que je n’ai pas le sentiment que l’on puisse parler d’une fracture républicaine dans ce territoire.
M. Pascal Savoldelli. De quoi, alors ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour le reste, nous avons pris la mesure des violences faites aux femmes et compris l’impérieuse nécessité de lutter contre elles. À cet égard, je vous rappellerai un certain nombre des mesures que nous avons prises, ne vous en déplaise !
D’abord, nous avons déployé dans toutes les juridictions de ce pays des bracelets anti-rapprochement. Dès qu’un tel bracelet est utilisé, la Chancellerie en prévoit immédiatement un nouveau.
Nous avons déployé 3 036 téléphones grave danger, ce qui évite des infractions au quotidien, des plus légères aux plus graves.
Nous avons accéléré la procédure des ordonnances de protection, qui sont aujourd’hui rendues en six jours, soit une accélération de 140 %, monsieur le sénateur.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est grâce au Parlement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous avons augmenté le budget de la médecine légale de 30 %, cette hausse étant naturellement consacrée aux victimes. Nous avons mis en œuvre le dépôt de plainte à l’hôpital, 80 conventions ayant été signées à ce jour entre les parquets et les hôpitaux. Nous avons augmenté de 25 % le budget de l’aide aux victimes. Nous avons mis en place la réalité virtuelle pour le suivi des auteurs. Nous avons ouvert 27 centres de suivi et de prise en charge des auteurs de violences conjugales et 3 autres sont en cours d’ouverture. Nous avons considérablement augmenté les capacités d’hébergement des victimes et des auteurs de violences.
Mme Éliane Assassi. Et les femmes qui sont mortes ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ces éléments, monsieur le sénateur, me permettent de vous dire très clairement que nous avons pris la mesure du problème. Bien sûr, notre travail n’est pas terminé ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour la réplique.
M. Jérémy Bacchi. Je commencerai par vous répondre d’une phrase sur la Guadeloupe, monsieur le garde des sceaux, puisque vous êtes intervenu sur ce sujet : lorsque l’égalité républicaine ne vaut pas partout sur l’ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer, je considère qu’il y a une fracture républicaine.
M. Jérémy Bacchi. Ce que nous demandons, monsieur le garde des sceaux, c’est que soit opéré un véritable virage politique global et qu’un budget ambitieux soit alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes, comme l’ont fait d’autres pays européens, à l’instar de l’Espagne. Pas moins de 1 milliard d’euros sont nécessaires !
Un tel budget permettrait l’adoption et la mise en œuvre de la loi-cadre que nous appelons de nos vœux depuis des années, la création d’unités de police spécialisées et surtout formées, un réel accompagnement des victimes, le renforcement de la prévention et la prise en charge des auteurs de telles violences, et ce dès le plus jeune âge.
La France doit être au rendez-vous. À défaut, nous considérerions que, dans ce pays, la condition de millions de femmes vaut malheureusement bien moins de 1 milliard d’euros. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Je tiens tout d’abord à adresser, au nom de mon groupe, tous mes vœux de rétablissement au Premier ministre, ainsi qu’à sa fille.
Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé.
L’épidémie n’est pas terminée. La cinquième vague est là, comme le démontrent les mesures radicales déjà prises chez nos voisins européens, chez qui les campagnes vaccinales n’ont pas été aussi étendues qu’en France.
Je tiens à dire la fierté ressentie par le groupe RDPI après la signature, avant-hier, d’un accord entre le Gouvernement et plusieurs syndicats concernant la revalorisation salariale des sages-femmes hospitalières. Elles sont près de 24 000 à exercer leur métier sur notre territoire, avec dévouement et passion. Cela faisait plusieurs années qu’elles attendaient une telle revalorisation, celle-ci est désormais actée.
De même, nous sommes fiers que les revalorisations salariales accordées lors du Ségur de la santé aient été étendues aux 20 000 salariés des établissements pour personnes handicapées financés par les départements.
Ce lundi, un collectif composé d’employeurs et de syndicats du secteur social et médico-social, auxquels se sont associées leurs familles, s’est mobilisé pour alerter l’ensemble des parlementaires finistériens de tous bords sur la crise que connaît ce secteur d’activité. Ils étaient une centaine, réunis devant ma permanence à Lannilis. Je tiens ici à souligner la qualité de nos échanges, qui se sont déroulés dans un climat de respect et d’écoute mutuelle.
Madame la ministre, mes douze collègues parlementaires et moi-même souhaitons que la mission si précieuse de ces personnels – l’aide à l’autonomie – soit mieux reconnue. Comment peut-on les accompagner ?
Ces professionnels demandent, entre autres, une revalorisation salariale, la mise en œuvre d’une convention collective qu’ils attendent depuis plus de quarante ans et, plus généralement, un soutien à l’attractivité de leur métier. Je rappelle qu’il s’agit d’emplois locaux, non délocalisables, qui s’exercent dans les zones rurales. En Bretagne, 50 000 professionnels sont concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Nadège Havet, la crise sanitaire a montré l’importance d’un système sanitaire fort, mais aussi d’une prise en charge sociale et médico-sociale solide. Pour ce faire, nous renforçons l’attractivité de ces secteurs en investissant massivement dans les établissements et dans les équipements.
En ce qui concerne les sages-femmes, je me félicite de la signature lundi, comme vous venez de l’indiquer, d’un protocole d’accord avec la majorité des organisations syndicales de la fonction publique hospitalière et la Fédération hospitalière de France (FHF), fruit d’un long travail de concertation entre le ministère, les syndicats et les organisations de sages-femmes.
Cet accord, au travers duquel nous reconnaissons l’engagement de ces professionnels, comprend des avancées importantes : une revalorisation nette de 500 euros par mois par sage-femme hospitalière, la création d’une sixième année de formation en maïeutique, la réaffirmation du rôle spécifique des sages-femmes au sein des établissements de santé.
Le Gouvernement s’est engagé à ce que ce protocole appliqué à la fonction publique soit aussi transposé au secteur privé. Les sages-femmes territoriales bénéficieront donc des mesures de revalorisation de la grille indiciaire.
Quant aux revalorisations dans le secteur social et médico-social, elles s’élèveront à plus de 10 milliards d’euros si l’on ajoute l’extension, que vous venez de rappeler, des mesures qui ont été décidées dans le cadre du Ségur de la santé. L’extension en faveur des 20 000 professionnels exerçant dans les établissements pour personnes handicapées financés par les départements a été récemment décidée. C’est d’ailleurs ici, au Sénat, qu’elle a été adoptée lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Cette mesure était importante pour prévenir les risques de voir traiter différemment des professionnels exerçant la même activité.
Nous poursuivons les échanges avec les représentants du secteur médico-social, comme vous l’avez rappelé, notamment avec le collectif que vous évoquez dans votre question. C’est dans cet esprit que nous travaillons depuis le début.
Comme vous le savez, nous avons également décidé une revalorisation des professionnels de la branche de l’aide à domicile. Je les ai rencontrés hier, je peux vous assurer qu’ils nous remercient, car cela faisait des années qu’ils n’avaient pas bénéficié d’une revalorisation.
D’autres secteurs seront concernés – il y a un morcellement extraordinaire dans ce domaine –, nous allons continuer, comme nous l’avons fait dans le cadre du Ségur, à prévoir des extensions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
soutien au secteur de la pêche (i)
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. J’ai bien entendu Clément Beaune, précédemment, mais ma question s’adresse à Mme la ministre de la mer.
Madame la ministre, le 9 janvier 2020 était conclu l’accord sur le Brexit, lequel comprenait un volet sur la pêche négocié dans les dernières heures des négociations afin d’éviter le no deal tant redouté.
Cet accord prévoit que nos pêcheurs peuvent continuer de pêcher, notamment dans les eaux des îles anglo-normandes, s’ils répondent à un certain nombre de conditions, en particulier s’ils remplissent un critère d’antériorité. Toutefois, les Britanniques refusent aujourd’hui d’attribuer un grand nombre de licences.
Vous nous avez affirmé il y a peu, à grand renfort de formules chocs, que la France ne resterait pas les bras croisés face à cet oukase. Or, lors du G20 de Rome, le Président de la République a appelé, à la suite d’une rencontre avec Boris Johnson, « à une désescalade ». S’agit-il d’un désaveu s’agissant d’éventuelles mesures de rétorsion ?
Cerise sur le gâteau, madame la ministre : la semaine dernière, vous avez annoncé brutalement et sans concertation au monde de la pêche, réuni à Saint-Pol-de-Léon, que le règlement de la crise nécessiterait un plan de sortie de flotte pour les navires n’ayant pas obtenu la licence à laquelle ils peuvent prétendre.
Madame la ministre, nous sommes passés de « nous sommes prêts à leur couper l’électricité » à « nous sommes prêts à détruire nos navires pour les satisfaire ». (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Quel grand écart !
Le monde de la pêche est abasourdi, révolté, écœuré ! Nous assistons à une reddition sans condition à la suite du diktat des Britanniques. En effet, c’est une humiliation pour la France de devoir accepter la destruction de ses navires pour satisfaire les Anglais !
Madame la ministre, les pêcheurs réclament non pas de l’argent, mais le droit d’exercer leur métier.
Cette décision, si elle était confirmée, serait inique et démontrerait une fois de plus notre faiblesse en Europe et votre incapacité à mobiliser nos partenaires de l’Union européenne.
Madame la ministre, le Gouvernement confirme-t-il cette capitulation ou est-il prêt à se ressaisir et à défendre les intérêts de nos pêcheurs ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la mer.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Alain Cadec, nous nous connaissons depuis très longtemps. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Comment pouvez-vous imaginer que je puisse renoncer ? Je pense que vous connaissez très bien ma réponse à votre question. Cela fait maintenant onze mois que nous nous battons et nous n’allons pas cesser de le faire.
Je suis régulièrement sur le terrain auprès des professionnels. Je me suis expliqué avec eux lors des assises de la pêche et des produits de la mer, ainsi que, dimanche, dans les Hauts-de-France.
Quelle est la vérité ? La vérité, c’est que, depuis onze mois, nous ne cessons de monter les dossiers techniques réclamés par le Royaume-Uni. La vérité, c’est que nous nous battons quotidiennement pour obtenir des licences : le Gouvernement, les professionnels, les élus, sauf ceux qui, en ce moment, ont besoin d’être un peu plus médiatisés et en oublient l’intérêt général ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Où en sommes-nous des licences ? Aujourd’hui, nous avons obtenu 85 % d’entre elles, il nous en manque 15 %. Pour les Britanniques, c’est un détail ; pour moi, c’est capital. Alors je continue de me battre pour chacune d’elles. Je me bats ainsi, notamment, pour l’armement Porcher, que vous connaissez bien. Cet armement extrêmement dynamique achète régulièrement de nouveaux navires, mais les Britanniques disent que ceux-ci n’ont pas d’antériorité. Nous leur expliquons qu’il s’agit de navires de remplacement. À cet égard, nous avons fait une proposition, qui a été reprise par la Commission européenne et qui est en cours de discussion depuis treize heures aujourd’hui entre le commissaire européen aux affaires maritimes et à la pêche et le ministre britannique de la pêche.
La négociation continue et nous irons jusqu’au bout, je l’ai dit aux pêcheurs. Ils sont d’ailleurs, si vous regardez la totalité de leurs déclarations, toujours derrière le Gouvernement et toujours alignés avec le plus grand nombre.
Un sénateur du groupe Les Républicains. C’est faux !
Mme Annick Girardin, ministre. Ils ont effectivement annoncé aujourd’hui leur volonté de faire entendre leur voix à travers des manifestations et c’est normal. Cela fait des mois qu’ils font preuve de patience ; cela fait maintenant onze mois qu’ils attendent des réponses alors qu’on leur avait dit qu’ils en auraient au bout d’un mois.
Qu’est-ce qu’a redit le Président de la République ?
Mme Sophie Primas. Rien !
Mme Annick Girardin, ministre. Il a laissé ouvert un espace de dialogue, mais indiqué qu’une date limite au dialogue devait être fixée. C’est à la Commission européenne qu’il appartient de la donner au Royaume-Uni. Ce sera sans doute chose faite dans les heures qui viennent.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Annick Girardin, ministre. Monsieur le sénateur, l’instrumentalisation politique… (Protestations et marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
Mme Annick Girardin, ministre. … ne me fera pas dévier. Je serai là pour chaque pêcheur, jusqu’au bout, et j’emploierai tous les outils nécessaires pour les soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
soutien au secteur de la pêche (ii)
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Martine Filleul. Madame la ministre, de Brest à Dunkerque, 150 bateaux français attendent les autorisations pour poser leurs filets dans les eaux britanniques, onze mois après l’entrée en vigueur de l’accord relatif au Brexit. Face à la stratégie délibérée du Royaume-Uni de refuser l’octroi de ces licences, le Gouvernement, lui, navigue à vue.
Il y a six semaines, madame Girardin, vous nous aviez demandé de vous laisser quinze jours pour préparer des ripostes. Après avoir menacé de diminuer l’approvisionnement en énergie outre-Manche, le Gouvernement a rétropédalé, arguant de la reprise du dialogue.
Jeudi dernier, vous avez évoqué, lors des assises de la pêche et des produits de la mer, une indemnisation pour les bateaux qui resteraient à quai…
M. Jean-Marc Todeschini. Mais elle s’est fait engueuler !
Mme Martine Filleul. … à l’issue des négociations, laissant sous-entendre une capitulation de la France. Le Président de la République a alors noyé le poisson. (Rires.) Cette annonce aurait été mal interprétée. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) La présidence française du Conseil de l’Union européenne permettrait de mieux faire entendre la voix des pêcheurs.
L’enlisement de la situation ne laisse rien présager de bon pour cette présidence. Surtout, il cause un préjudice économique et social énorme à une population fragilisée, qui ne peut plus attendre. La patience des hommes de la mer est à bout et leur colère est légitime. Sans solution gouvernementale, ils passent à l’action et envisagent des mesures de rétorsion visant les exportations vers le Royaume-Uni.
Madame la ministre, trouvez-vous normal que ce soit aux pêcheurs de forcer le respect de l’accord conclu ? Combien de temps encore vont-ils être les otages de ce sabordage et payer le prix d’une crise qui est en réalité diplomatique ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la mer.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Martine Filleul, j’étais chez vous dimanche (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) pour débattre avec les pêcheurs, mais également avec les mareyeurs et l’ensemble de la filière. Il était important que nous puissions échanger tous ensemble. Nous nous sommes réunis au Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes (Cross) de Gris-Nez afin de lister l’ensemble des problèmes que nous rencontrons avec le Royaume-Uni.
Je le redis ici : je leur ai rappelé que la priorité du Gouvernement est bien de se battre pour obtenir l’ensemble des licences. Il nous en manque un peu plus de 150. Nous nous battons pour chacune d’elles, avec des arguments précis, parce que chaque cas est particulier. Nous sommes dans des zones proches de la côte. Les navires concernés font le plus souvent moins de douze mètres, sauf les navires de remplacement que j’ai évoqués précédemment. Il faut donc effectuer un travail au cas par cas.
En même temps (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.), et je l’assume totalement, mon travail de ministre est aussi de prévoir l’avenir et d’anticiper les situations qui se présenteront demain.
Ma première action, bien entendu, est de continuer de mener le combat. Ma seconde action est d’accompagner les pêcheurs par des mesures. Un plan d’accompagnement a ainsi été présenté en janvier 2021. Il a été construit avec les pêcheurs à la fin de l’année 2020. Je n’ai rien dit de nouveau lors des assises, il y a juste eu une manipulation politique à la sortie ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’ai rappelé les différentes mesures de ce plan et j’ai parlé à tous ceux qui ont et qui vont connaître les conséquences du Brexit, mais j’ai aussi parlé à ceux qui connaissent celles du plan de gestion européen West-Med, qui s’applique en Méditerranée, et à ceux qui aujourd’hui pêchent dans le golfe de Gascogne. Les difficultés des pêcheurs ne sont pas liées uniquement au Brexit, même s’il s’agit d’un gros dossier, elles sont dues également à la crise du covid-19.
Ce plan d’accompagnement…