Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Notre pays sera-t-il alors en mesure de les recevoir ?
Pour sa part, le Sénat, qui sera tout au long du semestre la seule institution stable de notre République, s’engagera pleinement dans le succès de la présidence française, dont il prépare activement le volet parlementaire avec l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons manquer cette occasion et ce rendez-vous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
(M. Vincent Delahaye remplace Mme Valérie Létard au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’y a-t-il de commun entre la crise pandémique qui nous frappe depuis bientôt deux ans, l’urgence climatique, le durcissement de la vie internationale et les inconnues de la révolution numérique ?
À mes yeux, la réponse est très claire : ces bouleversements globaux sont autant de défis que nous ne pouvons espérer relever pleinement que si nous y faisons face en Européens, avec nos partenaires des Vingt-Sept à nos côtés.
C’est la conviction qui a toujours guidé l’action du Président de la République et du Gouvernement. C’est pourquoi la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui commencera le 1er janvier prochain, constitue, pour nous, une échéance politique décisive.
Alors que nous entrons dans la toute dernière ligne droite, je me réjouis de pouvoir évoquer avec vous les avancées de notre travail de préparation, dont il reviendra au Président de la République de présenter aux Français les premières orientations, au début du mois prochain.
Ce que je puis d’ores et déjà vous indiquer, c’est que l’impératif de souveraineté européenne, que vous avez évoqué, monsieur le président de la commission, avec l’autonomie stratégique, sera notre fil d’Ariane pour accélérer le vaste mouvement de prise de conscience qui parcourt l’ensemble de notre Europe depuis qu’elle a commencé à sortir du temps de la naïveté et de l’innocence pour ouvrir pleinement les yeux sur les formes de dépendance excessive dans lesquelles nous avons pu nous laisser entraîner, sur la brutalisation du monde et sur les risques de fracture menaçant notre Union.
Pour répondre à chacun de ces dangers, nous devons nous mettre en capacité de faire nos propres choix, en affirmant cette souveraineté collective, qui, dans un monde de compétition à outrance, est de toute évidence le prolongement et la meilleure garantie de nos souverainetés nationales.
Oui, j’y insiste : la souveraineté collective que les Européens affirment ensemble, c’est aujourd’hui le prolongement et la meilleure garantie de la souveraineté de la France ! C’est un fait géopolitique, stratégique et politique. C’est pourquoi il n’y a pas à choisir entre la France et l’Europe.
Comme le disait le Président de la République, en s’adressant à nos compatriotes voilà tout juste une semaine, « la France ne sera pas forte toute seule ». Car notre Europe, en nous donnant le surcroît de puissance et d’influence qui rend notre nation plus solide et plus robuste pour affronter la mondialisation, vient consolider les forces qui sont les nôtres.
Voilà, vous le sentez bien, tout le sens de notre engagement européen, dont cette treizième présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) de notre histoire doit être un temps fort.
Ce que nous porterons, tout au long de cette présidence, c’est d’abord l’ambition d’une relance européenne souveraine et solidaire, pour continuer à tirer les leçons de la crise du covid et nous donner les moyens de réussir les grandes transitions de demain.
Il s’agit de rebâtir nos capacités industrielles et technologiques, en misant sur l’innovation, notamment par le lancement de nouveaux Piiec, les projets importants d’intérêt européen commun, sur l’électronique, la connectivité 5G-6G, ainsi que sur l’hydrogène. Pour réarmer l’économie européenne, nous continuerons aussi à nous battre pour que nos entreprises jouent à armes égales avec leurs concurrentes dans une économie mondialisée, en luttant contre toutes les formes de concurrence déloyale. Des textes sont en préparation ; ils devraient aboutir au cours de notre présidence.
Il s’agit aussi d’avancer dans la construction de l’Europe de la santé, dont nous avons su poser les bases au cœur même de la première vague pandémique, en brisant des tabous et en allant même au-delà de nos traités.
Il s’agit également de donner corps à l’idée d’une Europe sociale, qui n’est plus, désormais, un simple slogan.
Il s’agit aussi de continuer à décliner notre agenda de souveraineté numérique après le succès du RGPD, le règlement général sur la protection des données, en nous donnant des outils pour mettre en place de vraies règles du jeu sur les marchés numériques et en luttant plus efficacement contre les contenus illicites et préjudiciables. C’est pourquoi nous ferons tout notre possible pour faire avancer les négociations sur les règlements DMA et DSA, afin de continuer à bâtir, étape par étape, un modèle de régulation numérique européen.
Il s’agit, enfin, de travailler à mettre en œuvre le Pacte vert proposé par la Commission en juillet dernier. De la COP21, dont nous avons défendu les acquis contre vents et marées, à la COP26 qui vient de s’achever, l’Europe a souvent montré la voie.
Le pacte de Glasgow pour le climat, s’il enregistre de réels progrès, montre bien que les efforts doivent se poursuivre pour que nous soyons, collectivement, à la hauteur de la situation et de sa gravité. C’est bien pour cette raison que nous continuerons à avancer, sur notre continent, par des actes concrets.
Pour autant, nous veillerons également à ce que l’Union ne retombe pas dans une forme de naïveté, qui consisterait à sacrifier notre compétitivité et l’attractivité économique de notre continent.
Collectivement, nous avons su faire preuve d’une détermination remarquable en nous fixant un double objectif de réduction de nos émissions d’au moins 55 % en 2030 et de neutralité climatique en 2050.
Nous devons, ensemble, faire preuve de la même détermination pour nous assurer que notre politique environnementale ira de pair avec la préservation de nos intérêts et l’affirmation de règles de concurrence plus équitables au niveau international, en mettant en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières européennes et en faisant du respect de l’accord de Paris une clause essentielle de nos accords de libre-échange.
Cette souveraineté réaffirmée n’est tenable que si, dans le même temps, notre Europe assume enfin la puissance qu’elle porte en elle. Ce sera donc la deuxième ligne de force de notre présidence. Disons-le, pour des raisons qui tiennent à l’histoire dont elle est le fruit, notre Union n’a pas toujours eu le réflexe de la puissance. Pourtant, là aussi, une prise de conscience commence à faire bouger les lignes, à l’échelle du continent.
En témoignent les progrès de la défense européenne, qui se poursuivront, grâce à l’adoption, je l’espère, sous présidence française, de notre première boussole stratégique, qui doit tirer toutes les conséquences du recentrement de notre allié américain sur une définition plus ciblée de ses intérêts fondamentaux.
Il s’agit de définir une approche proprement européenne des menaces qui pèsent sur nous aujourd’hui, de renforcer nos capacités opérationnelles et industrielles et de défendre nos intérêts et notre liberté d’action dans les espaces contestés, notamment dans l’espace exoatmosphérique. Ainsi, le récent test d’un missile antisatellite par la Russie – acte irresponsable, que je condamne fermement – a démontré une fois de plus que l’espace était devenu un espace de confrontation.
Il y va de notre sécurité et de notre souveraineté. Il y va aussi de l’avenir de l’Alliance atlantique, car il est clair que le renforcement de la défense européenne ne pourra se faire que dans le cadre d’un rééquilibrage et d’une refondation des liens entre les États-Unis et les Européens. Et les échanges que le Président de la République et le président Biden ont eus à Rome à la fin du mois dernier montrent que notre partenaire américain commence à intégrer cette nécessité.
Ce qui témoigne aussi de cette prise de conscience stratégique, c’est le regard nouveau, plus pragmatique et plus lucide, que nous portons désormais sur les atouts qui sont les nôtres : notre marché intérieur, qui est le premier marché au monde et qui constitue notre meilleure base arrière pour peser dans la mondialisation ; notre rang de premier bailleur mondial d’aide publique au développement ; nos efforts pionniers dans la régulation du numérique.
Il s’agit non pas seulement de fiertés européennes, mais aussi, à une époque d’extension de la compétition géopolitique à tous les champs de la vie internationale, de nouveaux attributs de puissance. Et nous sommes en train de le comprendre, à vingt-sept ! Nous saisissons enfin que l’Europe est armée pour être une grande puissance du XXIe siècle, à condition, mais cette condition est essentielle, que nous fassions un usage stratégique de ces atouts.
La puissance européenne que nous travaillerons à faire émerger pleinement, c’est donc une puissance qui se joue sur les deux tableaux suivants : la grammaire traditionnelle des rapports de force, notamment sur le plan de la défense, et les nouvelles batailles de l’influence.
Assumer notre puissance européenne, c’est aussi construire de nouvelles voies de coopération, particulièrement dans les régions qui ont une importance stratégique au regard de nos intérêts et de ces biens communs qu’il est, au fond, également de notre intérêt de défendre. Je pense notamment à l’Indo-Pacifique et à l’Afrique.
Au regard de notre dimension de puissance, nous nous efforcerons, dans le domaine migratoire, de faire en sorte que les éléments du pacte sur la migration et l’asile puissent avancer. Vous y avez fait référence, monsieur le président de la commission.
Il faut tirer toutes les conséquences des phénomènes migratoires que nous constatons, toujours dans le respect de nos valeurs, en trouvant le juste équilibre entre responsabilité des États de première entrée et solidarité de tous les États membres, ne serait-ce que pour ne plus donner prise aux instrumentalisations cyniques et aux tentatives de déstabilisation inacceptables de certains dirigeants étrangers, à commencer par M. Loukachenko.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Au sein même de l’Union, nous nous battrons enfin pour ces principes et ces valeurs, qui fondent notre appartenance à une même communauté, au moment de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et du lancement de l’Année européenne de la jeunesse, que nous célébrerons en formulant des propositions concrètes vis-à-vis de cette nouvelle génération d’Européens.
Tel est, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le triptyque – relance, puissance, appartenance – sur lequel nous nous employons à bâtir cette nouvelle présidence française, pour aller plus loin, à vingt-sept, dans la construction de cette souveraineté européenne dont nous avons besoin pour garder la maîtrise de notre destin au XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le ministre, à moins de six semaines du début de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, les ambitions de notre pays sont nombreuses, mais les incertitudes qui entourent les actuelles tractations politiques chez notre principal partenaire, l’Allemagne, limitent encore la visibilité de ce qui pourra réalistement être engagé.
À cette incertitude s’ajoute celle d’une actualité imprévisible, qui vient régulièrement bousculer un agenda européen déjà très contraint, sous la forme de crises et de tensions nouvelles appelant des réponses rapides et si possible coordonnées.
Entre le devoir de répondre à ces crises impromptues et la nécessité de renforcer les fondations de l’Union, sous peine d’un déclassement international, il est d’ores et déjà indispensable de se doter d’instruments visant à prévenir des menaces qui se profilent à bas bruit, mais qui ne devraient pas manquer malheureusement de s’amplifier dans les mois à venir.
Parmi ces sujets de préoccupation, la question de la protection des libertés académiques au niveau européen est loin d’être anodine.
La récente mission d’information sur ce sujet, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a mis en lumière les effets dévastateurs des ingérences étatiques extraeuropéennes dans nos universités et la nécessité de prendre des mesures pour préserver nos libertés académiques et protéger notre patrimoine scientifique.
Le problème n’est pas, tant s’en faut, propre à la France. Les travaux menés par Scholars at Risk et le Global Public Policy Institute mettent clairement en lumière les menaces qui pèsent sur les libertés académiques dans la plupart des pays de l’Union, libertés qui constituent le fondement de l’indépendance, de l’intégrité et de la qualité de nos systèmes universitaires et de recherche.
Pourtant, nous manquons aujourd’hui d’un cadre juridique solide à l’échelle européenne pour protéger ces valeurs essentielles.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que la présidence française pourrait être l’occasion d’accélérer l’élaboration du cadre à mettre en œuvre dans ce domaine à l’échelle européenne ? (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur André Gattolin, vous avez produit un rapport très pertinent sur les nouveaux risques qui se présentent à nous, en particulier les stratégies d’influence agressives, qui brouillent les frontières et, parfois, normalisent certaines formes d’ingérence.
Vous avez souhaité, dans votre rapport, qu’il y ait une prise de conscience renforcée de ces menaces et de ces risques. J’ai coutume de dire que la différence entre le hard power et le soft power a complètement disparu et que les batailles d’influence, les enjeux de puissance et les conflictualités sont partout.
Il n’y a pas, d’un côté, ce que je nommais tout à l’heure la « grammaire traditionnelle des rapports de force », et, de l’autre, ce qui serait plus léger et sur lequel il faudrait porter moins d’attention, à savoir les risques de domination par influence. Je pense que vous avez raison de soulever ce sujet au niveau national. Il faut en effet que nous puissions nous mobiliser davantage sur ce point.
C’est l’une de mes préoccupations en tant que ministre des affaires étrangères. Selon moi, la réponse doit s’intégrer à l’agenda de souveraineté engagé par la boussole stratégique. M. le président Jean-François Rapin faisait référence au fait que cette boussole a été mise sur la table hier lors de la réunion du Conseil des affaires étrangères.
Il convient de développer, pendant la présidence française, certaines actions en particulier.
Ainsi, il faut protéger au niveau européen nos dispositifs d’enseignement supérieur, qui sont des actifs stratégiques. Nous devons échanger sur les bonnes pratiques, disposer de références pour le faire et mener, ensemble, une action de promotion, afin de projeter l’excellence de nos universités et de nos établissements de recherche européens, notamment en Afrique et en Indo-Pacifique, pour les préserver.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ce pourrait être un élément important de la boussole stratégique. Nous serons amenés à en discuter à ce moment-là. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Joël Guerriau. Monsieur le ministre, la situation internationale se tend. C’est un fait qui dure depuis plusieurs années et qui est devenu encore plus concret depuis l’été dernier. Je pense au peuple afghan plongé dans la frayeur, mais aussi à la rupture du « contrat du siècle », avec la formation de l’alliance Aukus dans la zone indo-pacifique, où des alliés n’hésitent pas à nous livrer une concurrence acharnée au péril de nos relations. Je pense aussi à la détérioration sans précédent de la situation économique du Liban, à la crise diplomatique avec l’Algérie, aux tensions au Sahel et, plus récemment, aux agissements de la Biélorussie, qui instrumentalise une crise migratoire.
Le monde bouge vite, et nous constatons toujours la lenteur des réactions de l’Union européenne. Celle-ci est due non pas à un manque d’outils ou de mécanismes pour réagir, mais à une absence de vision claire et partagée. Les Vingt-Sept États membres ont des histoires différentes, bien qu’elles soient communes, des ambitions diverses, bien qu’elles soient entremêlées, et l’Union n’est à son aise que dans le compromis. Pourtant, une vision ambitieuse à la hauteur de notre continent est nécessaire.
C’est l’objectif, vous l’avez rappelé, de la boussole stratégique qui a été lancée durant la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne. Notre pays aura en charge de la finaliser.
Les enjeux sont multiples, mais résident principalement dans notre rapport avec les grandes puissances mondiales. La stratégie de la Chine est complexe et efficace, surtout en Europe. De leur côté, les États-Unis ont leur propre agenda.
Quant à nous, Européens, nous n’avons pas tous la même relation à ces pays, et notre division est une faiblesse. La crise sanitaire a été révélatrice de notre niveau de dépendance. Il est devenu primordial de nous doter d’une stratégie multidimensionnelle et globale.
Monsieur le ministre, pendant la présidence française, comment comptez-vous mettre les Européens d’accord sur une boussole stratégique ambitieuse, dont vous avez reçu les plans hier, et particulièrement sur la stratégie à déployer face à la Chine et aux États-Unis ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous posez, monsieur le sénateur Guerriau, des questions essentielles.
Vous l’avez rappelé, la boussole stratégique a été communiquée hier au ministre des affaires étrangères de l’Union européenne. Il s’agit en quelque sorte d’un Livre blanc de sécurité et de défense. C’est la première fois qu’existent, dans l’histoire de l’Union européenne, un tel document et une telle volonté. Cela correspond à ce que je disais tout à l’heure, à savoir l’affirmation de l’Europe en tant que puissance.
Avec cette boussole, l’Europe doit prendre ses responsabilités pour assurer sa propre sécurité, en s’en donnant les moyens. Un consensus, qui semblait impossible, mais qui est en train de se constituer, m’a particulièrement frappé lors des échanges que nous avons eus hier. La maquette de la boussole stratégique fait l’objet de convergences me laissant penser que nous pourrons trouver un accord sous la présidence française.
L’objectif est en effet d’aboutir à un accord dans le cadre du Conseil européen du mois de mars prochain. Pour y parvenir, de nombreux échanges seront organisés, en particulier un séminaire, dont nous prendrons l’initiative et qui se déroulera au cours du mois de janvier. Il aura lieu à Brest – je ne sais pas si ce sera là un facteur de mobilisation ! (Sourires.) – et il réunira les ministres des affaires étrangères et de la défense de l’Union.
Désormais, et cela aussi m’a particulièrement frappé, les termes de « souveraineté européenne » sont couramment admis, y compris par ceux qui antérieurement étaient rétifs à un tel concept.
Par ailleurs, concernant l’analyse des menaces et des risques, la convergence est assez forte, y compris sur l’identification de notre positionnement à l’égard de la Chine et des États-Unis.
Ces éléments positifs me laissent espérer la bonne mise en place de la boussole stratégique.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre Richer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom de la présidente de la commission des affaires sociales, Mme Catherine Deroche, retenue en ce moment par la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Son intervention, à laquelle, bien évidemment, je souscris, porte sur la déclinaison de l’une des priorités de la présidence française, celle de l’autonomie stratégique, dans le domaine de la santé, plus particulièrement des produits de santé.
En effet, même si les entreprises européennes n’ont pas démérité dans la course aux vaccins, la crise sanitaire a illustré le besoin de reconquête d’une plus grande autonomie à l’échelle du continent, en particulier dans l’hypothèse, avérée au plus fort de la crise, de la rupture ou de la fragilisation des chaînes d’approvisionnement.
Le sujet est complexe, tant il est évident que nous avons intérêt à privilégier le développement d’activités innovantes à forte valeur ajoutée sur notre territoire, alors que le besoin peut aussi se faire sentir d’une production industrielle portant sur des produits moins élaborés. C’est donc la question de la flexibilité de notre outil industriel qui est ainsi posée.
La tentation est forte de faire peser cette politique industrielle sur l’assurance maladie. La sécurité sociale y prend bien sûr sa part, en solvabilisant très fortement la dépense de produits de santé. Mais elle ne peut assumer seule cette politique, qui nécessite des investissements importants.
Monsieur le ministre, dans quels termes le Gouvernement entend-il porter ce sujet au niveau européen sous la présidence française ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Afin de ne pas être redondant, car le domaine de la santé fera sans doute l’objet de questions variées au cours de ce débat, je formulerai une réponse globale.
La crise pandémique a conduit l’Union européenne en quelque sorte à se surpasser, en brisant les tabous et en œuvrant au-delà des traités. Elle a en effet posé, sous l’effet de la nécessité, les premières bases d’une véritable Europe de la santé, même si celle-ci a été critiquée au début. Sans doute n’était-elle pas à la hauteur, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’une compétence de l’Union européenne.
Depuis lors, elle a réussi, d’une part, à mutualiser les efforts des États membres en réalisant des achats groupés d’équipements de protection et de vaccins, et, d’autre part, à agir d’une seule voix pour négocier avec les laboratoires pharmaceutiques au meilleur coût. Elle a également permis de lutter contre la pénurie et les goulets d’étranglement, en mettant en place un contrôle des exportations de doses, face à des partenaires et des industriels qui ne respectaient pas toujours les engagements pris et, progressivement, de faire monter en puissance la production européenne.
Au cours de la présidence française, l’enjeu pour nous sera de transformer ce qui s’est imposé par les faits, de manière plutôt positive, au cours de la dernière période de combat contre la pandémie, en un dispositif structurant.
Pour ce faire, le paquet santé a été mis sur la table. Il vise notamment à renforcer les mandats du Centre européen de contrôle et de prévention des maladies et l’Agence européenne des médicaments. Nous ferons en sorte que ce paquet aboutisse dans le cadre de la présidence française, avec d’autres sujets, qu’il conviendra de mettre sur la table, pour nous nous doter des compétences santé les plus essentielles.
J’aurais d’ailleurs l’occasion, pour la première fois, d’organiser une réunion commune des ministres des affaires étrangères et des ministres de la santé, ce qui ne s’était jamais fait jusqu’alors, pour essayer de faire en sorte que nous avancions ensemble.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Richer. Monsieur le ministre, l’Union européenne a trop longtemps fait preuve d’une certaine naïveté dans ce domaine.
La présidence française doit être l’occasion de retrouver une ambition stratégique pour l’industrie des produits de santé, en définissant des priorités et en favorisant des investissements structurants, à la fois dans la recherche, l’innovation et le développement industriel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, « la présidence française de l’Union européenne doit démarrer avec une ardoise vierge des infractions de la France envers le droit de l’Union européenne ». Cette déclaration n’est pas de moi, mais du Président de la République, qui a pris cet engagement majeur.
Pourtant, à la veille de cette présidence, si l’on consulte la liste disponible sur le site de la Commission européenne, on s’aperçoit que notre pays est encore impliqué dans 108 procédures d’infraction au droit européen. L’ardoise est donc loin d’être vierge !
Biodiversité, énergie, agriculture et j’en passe, les domaines concernés par des procédures d’infraction sont nombreux. Il s’agit, par exemple, de la mauvaise application de la directive Oiseaux visant à stopper l’effondrement de la biodiversité, ou encore, pour ce qui concerne la qualité de l’air, du dépassement constant des valeurs limites du dioxyde d’azote dans douze très grandes agglomérations françaises. Je pense également, en matière d’économie circulaire, aux objectifs de réduction des déchets d’emballage, qui ne sont pas atteints.
Ces manquements au droit communautaire, qui sont massifs, reflètent l’écart entre vos déclarations européennes et la réalité de vos politiques publiques. Cet écart demeurera-t-il, monsieur le ministre ? Les engagements pris pour obtenir une ardoise française vierge ont-ils encore quelque consistance ?
Pour illustrer par un autre exemple l’écart entre les discours et les actes, j’évoquerai le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il serait en effet désastreux que ce dispositif essentiel pour le climat soit repoussé vers 2036. Maintenir les quotas gratuits alloués aux secteurs de l’industrie et de l’aviation serait inconcevable, d’autant que la Cour des comptes européenne a démontré leur caractère contre-productif.
Là encore, la position et, surtout, l’action de la France s’accompagneront-elles de la détermination qui s’impose ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé le devoir d’exemplarité qui s’impose à nous. Je prends bonne note de vos observations et je conviens avec vous qu’il nous faudra, pendant la présidence française, réaliser un effort pour abréger la liste d’infractions que vous avez dressée.
S’il doit y avoir concurrence quant au nombre de procédures d’infraction, il ne me semble pas que la France compte parmi les plus mauvais élèves. En revanche, si nous voulons promouvoir l’Union européenne, son autonomie stratégique et sa souveraineté, nous devons également être à l’avant-garde pour le respect de ses règlements.
J’ai pris bonne note de tous ces éléments, monsieur le sénateur, mais surtout, si vous me permettez de le dire ainsi, j’ai pris bonne note de votre souci de voir la présidence française accorder une importance particulière à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou MACF.
Ce mécanisme est l’une des treize propositions législatives déposées par la Commission européenne dans le cadre des politiques d’ajustement à son objectif Fit for 55. C’est sans doute la plus sensible, voire la plus spectaculaire d’entre elles.
L’objet de ce mécanisme est strictement climatique : il s’agit de lutter efficacement contre les fuites de carbone en appliquant aux importations une tarification équivalente à celle qui existe sur le marché européen du carbone. De cette façon, nous ferons en sorte que l’intégrité environnementale de nos efforts ne soit pas fragilisée et ne se retourne pas contre nos entreprises, tout en incitant nos partenaires étrangers à nous suivre dans cette voie : c’est une question de cohérence et d’efficacité.
Bien sûr, le MACF devra être pleinement compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce, puisqu’il s’appliquera de manière non discriminatoire et tiendra compte de la politique climatique des pays tiers.
Nous souhaitons être en mesure de faire valider le MACF au cours de la présidence française ; certes, je mesure bien que l’application des treize propositions législatives du paquet Fit for 55 sera difficile, mais nous la considérons toujours comme une priorité, voire comme une nécessité pour aller de l’avant.