Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Madame la ministre, en matière énergétique, avec cinquante-six réacteurs répartis sur dix-neuf sites, la France dispose du parc nucléaire le plus important d’Europe. Il s’agit d’un véritable atout, d’une chance, dans la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, je rappelle que la part d’émissions de CO2 de notre pays à l’échelle européenne est de 1,1 %, contre 10 % pour l’Allemagne et 12 % pour les Pays-Bas.
Premier pays exportateur d’électricité d’Europe, la France fournit 30 % de l’électricité de l’Union européenne et permet de réduire d’autant la dépendance aux énergies fossiles. Ces dernières, comme le charbon, le fioul ou le gaz, voient leur demande s’accroître et leur prix augmenter. Les Français sont alors mécaniquement confrontés à une hausse généralisée du prix de l’énergie.
Afin d’anticiper les besoins futurs en électricité, qui s’annoncent exponentiels, la France va devoir mettre en œuvre de nouvelles capacités de production d’électricité. Nous devons consolider notre indépendance énergétique, notamment au travers de notre parc nucléaire.
Je note d’ailleurs que le Président de la République, après un déni de trois ans – madame la ministre, rappelez-vous le discours du 27 novembre 2018 ! –, vient de le découvrir – comme quoi, l’approche des échéances électorales peut rendre lucide !
Il nous faut donc reconditionner nos centrales existantes, continuer notre programme EPR et développer les microcentrales SMR, tout cela bien entendu dans le cadre d’un mix énergétique dans lequel le photovoltaïque et l’éolien ont toute leur place.
Cependant, il est impératif que l’éolien, notamment offshore, ne soit pas implanté n’importe où, n’importe comment et à n’importe quel prix. Je pense bien évidemment au parc de la baie de Saint-Brieuc, qui ne coche pas les cases : c’est n’importe où, n’importe comment et à n’importe quel prix ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la ministre, quelle est votre position sur ce parc, qui fait l’unanimité contre lui ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Cadec, nous sommes relativement d’accord en ce qui concerne la philosophie générale de notre trajectoire de moyen terme : réduction de la consommation – c’est indispensable – et production d’électricité s’appuyant en partie sur le renouvelable et sur le nucléaire.
La programmation pluriannuelle de l’énergie, adoptée en 2018, prévoyait déjà 50 % d’énergie nucléaire en 2035 et une montée progressive des renouvelables.
Pour satisfaire nos besoins en matière de consommation électrique, nous allons continuer de développer les renouvelables et le nucléaire. Dans ce dernier domaine, nous nous appuierons sur la technologie EPR, en prolongeant, lorsque c’est possible, nos réacteurs, et nous accompagnerons les fermetures programmées, de façon à éviter l’effet falaise évoqué voilà quelques instants.
En ce qui concerne l’éolien offshore, nous allons retravailler la planification par façade maritime, ce qui permettra une meilleure visibilité et une meilleure concertation. Mais cette planification n’aura lieu qu’après un débat préalable avec les élus.
Le parc de Saint-Brieuc, quant à lui, fait l’objet de débats et d’échanges renouvelés avec les élus depuis son attribution, voilà huit ans. Un effort de réduction de la capacité a déjà été engagé.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, c’est peu de dire que les propos du Président de la République, le 9 novembre dernier, au sujet du renouvellement de notre parc nucléaire, ont eu un certain écho dans l’opinion publique, tant la question agite aujourd’hui le débat politique.
Néanmoins, les observateurs peinent à identifier les réelles intentions de l’exécutif. En effet, l’annonce d’une relance de la construction de réacteurs est frappée d’un flou artistique particulièrement inadéquat dans ses considérations scientifiques et stratégiques.
Dès lors, madame la ministre, nous comptons sur vous pour préciser un certain nombre de points. S’agirait-il des Small Modular Reactors, les fameux SMR évoqués voilà quelques semaines par Emmanuel Macron lui-même, ou bien d’EPR de deuxième génération, dont la puissance reste à préciser ? Ou s’agirait-il d’une orientation guidée par des éléments nouveaux dont le Président de la République ne disposait pas au début de son quinquennat ?
Par ailleurs, puisque nous évoquons notre souveraineté énergétique, quelle est la position du Gouvernement concernant le nucléaire du futur, qui passe nécessairement par le cycle fermé du combustible, principe inscrit dans le marbre de la loi en 1991 et en 2006 ?
Si le Président de la République vise effectivement un tel objectif, pouvez-vous nous expliquer la cohérence de l’abandon du programme de recherche Astrid sur les réacteurs à neutrons rapides, les réacteurs de quatrième génération, seuls à même de nous assurer une véritable indépendance grâce au stock considérable de plus de 300 000 tonnes d’uranium appauvri dont nous disposons sur notre territoire ?
Madame la ministre, à défaut d’avoir été consulté dans ces processus de décision, le Parlement attend des réponses claires de votre part. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Piednoir, le Président de la République a donné une orientation en annonçant que nous devions continuer d’investir dans le nucléaire, pour atteindre notre souveraineté énergétique et cet équilibre de production d’électricité décarbonée qui, je le répète, s’appuie d’une part sur le nucléaire, et de l’autre sur les énergies renouvelables.
En ce qui concerne le nucléaire, nous allons travailler à la fois sur l’évolution progressive des centrales actuelles, entre fermetures programmées et prolongation des tranches, en fonction des situations, et sur le lancement d’une production nouvelle, qui pourrait passer d’abord par des EPR, technologie plus mature, puis par des SMR, technologie d’appoint qui viendra plutôt après 2030.
Pour ce qui est du projet Astrid, le Gouvernement, en liaison avec la filière nucléaire, a acté, dans le cadre de la PPE, que le besoin d’un démonstrateur industriel de ce type s’est éloigné de plusieurs décennies, sans pour autant avoir totalement disparu. En effet, les ressources en uranium naturelles sont aujourd’hui abondantes et disponibles à bas prix ; elles devraient le rester jusqu’à la seconde partie du XXIe siècle.
Par ailleurs, la recherche conduite depuis plus de vingt ans montre que les réacteurs de quatrième génération ne suppriment pas le besoin d’une solution de stockage des déchets radioactifs.
Au regard de ces constats, et en raison de son coût élevé, le projet Astrid a été suspendu à la fin de 2019. Le Gouvernement a décidé de concentrer ses efforts sur le multirecyclage des réacteurs de troisième génération, dans la préfiguration d’un développement plus performant de nouveaux réacteurs, notamment en matière de gestion des déchets. Le plan France 2030 s’inscrit dans cette logique.
Pour autant, la PPE prévoit le maintien d’un programme de recherche sur la quatrième génération, reposant sur un volet de simulation et sur un volet expérimental, afin de garantir un socle de compétences et de permettre la construction d’un éventuel démonstrateur industriel à l’avenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, dans quelque domaine que ce soit, la souveraineté ne se construit pas sur le temps court, ni dans la précipitation, et encore moins à la faveur d’une campagne électorale.
J’aurais aimé vous entendre reconnaître l’incongruité des décisions prises depuis plus de dix ans visant à condamner la filière nucléaire et des déclarations plus récentes, qui semblent en faveur d’un renouveau du nucléaire, mais qui sont marquées par une forme d’« insincérité incontestable », pour reprendre les termes de notre collègue Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bernard Fournier. Madame la ministre, la souveraineté, notamment la souveraineté énergétique, est au cœur de tous les débats. La crise sanitaire a fait évoluer la plupart de nos paradigmes, et même les plus libéraux redécouvrent aujourd’hui les bienfaits de l’indépendance économique et industrielle.
La hausse abrupte des coûts de l’énergie – gaz, pétrole, électricité –, qui était prévisible, nous oblige aussi à revoir nos politiques et à réhabiliter ce qui était vilipendé ces dernières années. Bien évidemment, je pense ici au nucléaire.
Le Gouvernement a arrêté, en 2019, le projet de recherche sur les réacteurs de quatrième génération, décision très discutable et très commentée par toute la filière.
Ainsi, comme souvent, mes chers collègues, il aura fallu deux événements majeurs pour que nous nous rendions compte de la triple chance qu’avait notre pays de disposer d’une énergie à un coût relativement bas, très peu émettrice de CO2 et qui nous assure une relative indépendance. Je suis donc ravi que le Gouvernement engage un aggiornamento de notre politique énergétique, dont le point principal est notre souveraineté.
Le discours du Président de la République, qui souhaite que la France investisse 1 milliard d’euros dans l’énergie nucléaire d’ici à 2030, avec la construction de petits réacteurs, va dans la bonne direction. Toutefois, mes chers collègues, cela ne pouvait bien évidemment pas suffire…
Si, d’un côté, la politique du mix énergétique doit être poursuivie, avec bien sûr la montée en puissance des énergies renouvelables, de l’autre, la France doit impérativement renouveler son parc de réacteurs nucléaires. Ainsi, la semaine dernière, M. Emmanuel Macron a annoncé vouloir mettre en œuvre un nouveau plan pour le développement du nucléaire dans les prochaines années.
Aussi, je souhaiterais connaître, madame la ministre, les modalités de ce nouveau plan et le nombre de nouveaux réacteurs de type EPR que le Gouvernement compte construire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Fournier, je souhaite redire que la base de notre stratégie énergétique – baisse de la consommation et appui sur les renouvelables et sur le nucléaire – était déjà posée dans la programmation pluriannuelle de l’énergie de 2018.
La PPE prévoyait bien une augmentation très forte du renouvelable, dont nous avons toujours besoin – les scénarios de RTE soulignent tous que nous devons augmenter rapidement la part des renouvelables, dans des conditions maîtrisées d’acceptabilité, qu’il s’agisse de l’éolien terrestre, de l’éolien en mer ou du photovoltaïque –, ainsi que le maintien de notre capacité hydroélectrique et de notre capacité nucléaire.
La PPE fixait également un objectif de 50 % de nucléaire en 2035. Nous avons prolongé cette trajectoire jusqu’en 2050, ce qui nous amène au renouvellement de nos capacités nucléaires. Nous allons donc travailler sur ces trois dimensions : l’accompagnement de l’évolution des tranches nucléaires actuelles, la prolongation de quatorze des vingt-six installations au-delà de la visite décennale prévue par la PPE d’ici à 2035 et le développement du nouveau nucléaire, à la fois sous forme d’EPR et de SMR.
Vous avez raison de le souligner, le Président de la République a annoncé un investissement de 1 milliard d’euros dans l’innovation nucléaire, en complément de ce plan de soutien à l’excellence de la filière.
Le reste des modalités sera annoncé prochainement et soumis à débat public. Il ne m’appartient pas de faire des annonces ici, aujourd’hui, mais les orientations générales sont bien celles que j’ai dites : maintien et répartition dans le temps des fermetures programmées des réacteurs arrivant en fin de vie, pour éviter l’effet falaise ; développement du nouveau nucléaire sur base d’EPR et de SMR ; enfin, soutien à l’innovation, à la technologie et à l’excellence.
Il s’agit des fondamentaux du volet nucléaire de notre stratégie et de notre souveraineté énergétiques.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je vais essayer de résumer la position de notre commission des affaires économiques, qui, comme vous le savez, est très attachée à la souveraineté énergétique.
Comme l’a souligné notre collègue Serge Babary, une énergie peu chère et peu émissive conditionne tout à la fois le pouvoir d’achat des ménages, la compétitivité des entreprises et la décarbonation de nos modes de production et de consommation. C’est la condition sine qua non pour une économie résiliente, capable de soutenir la concurrence, de s’insérer dans la mondialisation et de tirer profit de son ouverture, plutôt que d’en subir les contrecoups, comme aujourd’hui.
Or, si notre souveraineté énergétique a longtemps semblé aller de soi, en raison de la force de l’énergie nucléaire, la diversification de notre mix la met aujourd’hui incontestablement au défi.
Que l’on en juge : tout d’abord, la filière économique, malgré les annonces, est toujours en berne. La loi de transition énergétique de 2015 impose la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires, les deux réacteurs de Fessenheim ayant cessé de fonctionner en mars et en juin 2020 ; Mme Pompili connaît bien cette décision, dont elle a été actrice lors du précédent quinquennat.
Dès lors que ces réacteurs sont viables sur le plan de la sûreté nucléaire, de tels arrêts sont un immense gâchis, une perte de valeur, un non-sens au regard de nos objectifs énergétiques et climatiques.
M. André Reichardt. Tout à fait !
Mme Sophie Primas. C’est la raison pour laquelle notre commission a allongé le calendrier de fermeture de dix ans dans la loi Énergie-climat de 2019. Elle a, en outre, conditionné toute nouvelle fermeture de réacteur à une étude d’impact sur la sûreté nucléaire, sur la sécurité d’approvisionnement et sur nos émissions de CO2 dans la loi Climat et résilience de 2021.
Pis, au-delà du parc existant, les perspectives de construction de réacteurs de troisième génération ou de recherche sur ceux de quatrième génération sont très floues – vous avez eu raison de le souligner, mes chers collègues.
Si la construction de nouveaux réacteurs a été annoncée, on ne sait rien de concret sur leur nombre, leur type, leur coût, le calendrier, alors que la durée minimale d’un chantier est de dix ans – quinze ans, disiez-vous, madame la ministre – et que le parc actuel fera face à un effet falaise dès 2040. Il y a donc urgence à offrir de la lisibilité aux industriels, mais aussi aux citoyens et aux parlementaires.
Par ailleurs, les projets de recherche nucléaire ne sont pas assez soutenus. Je pense naturellement au démonstrateur de réacteur à neutrons rapides Astrid, projet abandonné en 2019 et pourtant prometteur pour réussir la fermeture du cycle du combustible. Madame la ministre, c’est une faute !
Je pense aussi au réacteur à fusion d’hydrogène ITER, que la France peut s’enorgueillir d’accueillir sur son sol.
La nécessité de renverser cette situation a été rappelée dans notre résolution, adoptée par le Sénat en mars dernier. Je rejoins la position de notre collègue Gérard Longuet : la reconnaissance du nucléaire dans la taxonomie européenne est indispensable, mais elle est mal engagée – vous le savez, madame la ministre. C’est d’ailleurs le signe d’un manque d’influence de notre pays au sein de l’Union européenne.
Hormis l’énergie nucléaire, les filières des énergies renouvelables sont insuffisamment valorisées. Si je me réjouis que le Premier ministre ait indiqué, cet été, que « la croissance verte s’appuie sur l’hydroélectricité », tel n’a pas toujours été le cas. Il ne fut pas simple, cher Daniel Gremillet, de faire aboutir notre proposition de loi sur l’hydroélectricité, adoptée à l’unanimité du Sénat en mars dernier, puis intégrée à la loi Climat et résilience en août. Pourquoi une telle hostilité à l’égard de cette source d’énergie renouvelable, la plus ancienne, la plus importante et la plus territorialisée ?
Par ailleurs, l’essor légitime et nécessaire des énergies renouvelables ne doit pas détériorer notre souveraineté énergétique. Or ces énergies ont une face sombre : leur dépendance aux métaux rares.
C’est pourquoi il faut favoriser non seulement la production d’équipements, mais aussi l’extraction de métaux en France et en Europe. Dans la loi Énergie-climat de 2019, la commission a donc appliqué le critère du bilan carbone aux projets d’énergies renouvelables attribués par appels d’offres. Elle a prévu son extension aux projets attribués en guichets ouverts et a consacré un objectif de souveraineté minière dans la loi Climat et résilience de 2021.
Nous attendons du Gouvernement qu’il réponde réellement et concrètement aux enjeux posés par notre souveraineté énergétique. Pour ce faire, il doit revaloriser l’énergie nucléaire, consolider les énergies renouvelables et, corrélativement, veiller au projet minier, la souveraineté minière étant au fondement de notre souveraineté énergétique.
La loi quinquennale prévue en 2023 doit poser les concours de cette reconquête énergétique, qui est tout à la fois une nécessité climatique et une opportunité industrielle. Notre commission y veillera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur l’action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française.
5
Communication relative à des commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l’information du Parlement sur les finances publiques sont parvenues à l’adoption de deux textes communs.
6
Priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne
Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, sur les priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, président de la commission qui a demandé le débat.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dissipons tout malentendu : à partir du 1er janvier prochain et pour six mois, la France ne présidera pas l’Union européenne, mais assumera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Il s’agit de l’une des quatre institutions européennes majeures, puisqu’elle adopte la législation européenne avec le Parlement européen et développe la politique étrangère et de sécurité de l’Union, selon les orientations du Conseil européen.
La France assumera cette présidence dans un contexte national très particulier, puisque ce semestre sera aussi celui des élections présidentielle et législatives. Au cours de cette période, il est probable que trois ministres se succéderont pour présider le Conseil au nom de la France.
Nous aurions pu éviter une telle situation : il est déjà arrivé que des États membres demandent, pour de tels motifs, à intervertir l’ordre prévu des présidences : ainsi, l’Allemagne et la Finlande ont échangé leur présidence, en 2006, pour cause d’élections législatives.
La France n’a rien demandé de tel. Le Président de la République a donc souhaité cette présidence, qu’il veut faire coïncider avec les derniers mois de la sienne.
C’est un exercice périlleux, politiquement tout d’abord. Il l’est au premier chef pour les membres du Gouvernement, qui devront assurer la présidence des différentes formations du Conseil – sauf vous, monsieur le ministre, puisque le conseil Affaires étrangères reste présidé par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Naturellement, dans le sillage du Gouvernement, le président français se trouvera valorisé sur la scène européenne, même s’il ne présidera pas le Conseil européen, dont la présidence stabilisée est aujourd’hui confiée à Charles Michel. Le risque de confusion, en période électorale, est évident.
Cette présidence compressée est aussi un exercice périlleux pour notre pays, car l’expérience montre que l’imprévu s’invite toujours à la table européenne. On l’a vu en 2008, lorsque notre dernière présidence a été bouleversée par la crise financière.
La crise sanitaire représentera déjà un défi énorme, mais d’autres crises pourraient survenir, se cumuler et, finalement, accaparer notre semestre de présidence.
Lorsque la commission que je préside a auditionné le secrétaire général des affaires européennes et le secrétaire général de la présidence française, voilà un an, je me suis inquiété de savoir comment notre pays pouvait mener de front la gestion d’une crise au niveau européen et une campagne électorale présidentielle, puis législative, au niveau national. Ils m’ont tous deux répondu que notre pays, quoi qu’il arrive, devrait rester mobilisé, du 1er janvier au 30 juin prochain, sur la présidence, qui concerne tout le monde, du sommet de l’État aux fonctionnaires chargés de préparer une réunion de travail.
Je comprends, monsieur le ministre, que le Gouvernement entend s’en remettre aux fonctionnaires pour assumer la présidence au deuxième trimestre. Mais reconnaissez que ce n’est pas satisfaisant. Il ne nous reste plus qu’à espérer que les crises ne seront ni trop nombreuses ni trop aiguës.
Une présidence du Conseil, c’est aussi un exercice contraint. Elle s’inscrit dans la continuité des travaux commencés de nombreux mois, voire de nombreuses années auparavant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les présidences fonctionnent en trio : en l’occurrence, la présidence française ouvre les dix-huit mois d’un nouveau trio associant notre pays à la République tchèque et à la Suède, qui lui succéderont.
Nous devrons convenir d’une programmation de moyen terme, dans laquelle inscrire notre propre programme semestriel de court terme. Si la présidence se doit d’être neutre et de rechercher avant tout un compromis dans l’intérêt général européen, elle joue aussi un rôle d’impulsion, ne serait-ce que par la maîtrise du calendrier et de l’ordre du jour. C’est sur ces priorités que nous avons souhaité vous entendre aujourd’hui.
Voilà un an, le Gouvernement a annoncé que la présidence française serait construite autour de trois mots-clés : relance, puissance, appartenance. Puis, il a constitué un comité de réflexion et de propositions pour donner au travail technique et législatif une cohérence d’ensemble, en intégrant la diversité des enjeux.
En juillet dernier, la commission des affaires européennes a entendu le président de ce comité, M. Thierry Chopin, ainsi que trois autres de ses membres. Je reconnais que la réflexion qu’ils avaient engagée semblait prometteuse. Elle devait aboutir cet automne. Où en est-elle ? Espérons que vous nous en direz plus, car nous ne sommes plus qu’à quelques semaines de l’échéance.
Dans cette attente, nous tenions à attirer votre attention sur les enjeux que le Sénat juge majeurs pour ce prochain semestre.
Il s’agit tout d’abord de la relance, car il est essentiel de consolider la sortie de crise après le choc profond de la pandémie.
Le plan de relance se décline partout en Europe, son financement par l’emprunt est acquis, mais la France devra faire avancer la discussion sur les ressources propres de l’Union européenne, car elles en sont la contrepartie indispensable.
Nous fêterons aussi en janvier prochain les vingt ans de l’euro, et cela doit nous conduire à examiner son bilan pour consolider son avenir, également comme monnaie numérique. Il importera aussi d’ouvrir des perspectives nouvelles au service de la finance et du capitalisme responsables, sans oublier le devoir de diligence des entreprises et la mise en place d’un salaire minimum.
Ensuite, l’autonomie stratégique se construit bien sûr en matière de défense. L’affaire des sous-marins nous l’a cruellement rappelé : l’Europe doit pouvoir compter sur ses propres forces. Le haut représentant Josep Borrell l’a confirmé hier, en vous présentant, ainsi qu’à vos vingt-six homologues, la « boussole stratégique » de l’Union, qui vise à la création d’une capacité autonome de déploiement rapide.
Le moment est propice. Très structurante pour notre sécurité et notre résilience, la boussole devra être finalisée en mars 2022, pendant la présidence française. Sans doute notre pays devra-t-il pour cela éviter le discours de la puissance, qui raidit nos partenaires, mais assurément favoriser une affirmation de l’Union européenne comme centre de pouvoir ouvert. Cette affirmation, notre présidence devra également la défendre à l’égard du Royaume-Uni.
L’autonomie stratégique se construit aussi sur le plan technologique : l’Europe doit remédier à ses vulnérabilités structurelles, dans des secteurs clés comme la santé, la cybersécurité, l’intelligence artificielle et bien sûr le spatial. Conclure les négociations sur les actes régulant les marchés et services numériques s’impose aussi comme un objectif décisif de notre présidence, car il s’agit d’affranchir l’Europe de sa dépendance aux Gafam.
L’enjeu est le même en matière d’indépendance énergétique. Aussi la France doit-elle veiller à obtenir l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie des investissements verts. Nous venons d’avoir un débat sur ce sujet. Tenez-en compte, monsieur le ministre !
Toutefois, n’oublions pas l’autonomie alimentaire de l’Europe : comment la préserver sous présidence française, tout en déclinant le Pacte vert pour ce qui concerne l’agriculture européenne ?
Le troisième enjeu s’impose déjà à notre présidence : il s’agit du défi migratoire, aussi bien dans la Manche que dans le contexte des attaques hybrides que mène la Biélorussie sur la frontière orientale de l’Union et de l’effondrement de l’Afghanistan. La négociation du pacte européen pour l’asile et les migrations est gelée, et notre pays aura la responsabilité de trouver une issue pour la redynamiser, au service d’une sécurisation des frontières européennes et d’une plus grande solidarité avec les États de première entrée.
Néanmoins, il devrait aussi – je reviens d’Italie avec cette conviction – encourager la Commission à travailler sur la dimension extérieure de ce sujet et à nouer des partenariats avec les États de départ, notamment africains, en capitalisant sur leur relation avec certains États membres.
Dernier défi à relever : nourrir l’appartenance. Cela passe non seulement par un dialogue sur le sens que les Vingt-Sept donnent aux valeurs qui les unissent et sur l’identité de l’Europe, questionnée par le Brexit et les partisans de l’élargissement aux Balkans, mais aussi par la promotion de la culture européenne et du multilinguisme et par une réflexion sur le moyen d’articuler la primauté du droit européen et le respect de l’identité constitutionnelle des États membres.
Sur l’ensemble de ces sujets, la Conférence sur l’avenir de l’Europe avancera sans doute des propositions au printemps.