M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour présenter l’amendement n° 156 rectifié bis.
M. Laurent Somon. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 175.
M. Joël Labbé. La commission a jugé cet article disproportionné. Nous estimons, au contraire, qu’il est parfaitement justifié et adapté à la réalité de terrain, compte tenu de l’absence de concurrence. Celle-ci s’explique d’ailleurs pour les raisons qui viennent d’être exposées par Pierre Louault.
Cette mesure vise à garantir un accès plus équitable au foncier agricole à tous les agriculteurs et à garantir progressivement une égalité de traitement des candidats au travers des projets qu’ils portent, et non pas seulement au regard des meilleures conditions financières de reprise.
Il s’agit donc de renforcer l’efficacité du dispositif de contrôle des structures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Pour moi, le rétablissement de cet article traduirait une inversion de logique très dangereuse.
Nous cherchons tous à préserver avant tout l’activité agricole en France face aux risques de déprise. Or cet article permettait aux préfets de refuser une autorisation à un exploitant, alors même qu’aucun autre exploitant ne serait intéressé par la reprise de l’exploitation concernée. C’est contre-productif et ce serait un aveu d’échec des pouvoirs publics.
Je rappelle que la candidature à la reprise fait toujours l’objet de publicité. Si d’autres candidats sont intéressés, ils peuvent se faire connaître. La clé se trouve plutôt dans leur accompagnement. Il s’agit de restaurer l’attractivité de la profession et des exploitations, donc de ne pas interdire aux autres candidats de reprendre des exploitations qui en ont besoin.
Comment expliquerez-vous, par exemple, à un agriculteur qui veut prendre sa retraite qu’il ne peut pas céder son exploitation à un repreneur alors que personne d’autre n’est intéressé ? Que lui direz-vous ? D’attendre ?
Comme le disait la sénatrice Cécile Cukierman, il n’y a pas que des secteurs géographiques où l’on se bat pour le moindre hectare ; dans certains territoires, il n’y a pas de repreneur pour les exploitations agricoles à vendre. Quand on a la chance d’en trouver un, on risque de se retrouver, si l’on vous suit sur ce point, dans une situation où le préfet pourrait empêcher la reprise au seul candidat disponible, au motif que le prix serait un peu élevé.
On expliquerait donc à quelqu’un qui a sué sang et eau toute sa vie pour construire un outil de travail et obtenir une vente convenable que, parce qu’il n’y a qu’un seul candidat au prix qu’il a fixé, ce prix doit baisser. Il s’agit tout de même d’une entrave à la liberté d’entreprendre et de commercialiser son entreprise !
On pourrait ainsi lui opposer que le seul candidat est déjà de grande taille, qu’il le serait encore plus s’il reprenait son exploitation et que, comme il n’y a pas d’offre concurrente, il doit donc attendre avant de prendre sa retraite. Mais alors, autant donner son exploitation !
Nous devons veiller à ne pas mettre en difficulté un retraité qui a construit son outil de travail au long des années et qui souhaite le vendre. Et franchement, je ne me vois pas adopter une telle position.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur le rapporteur, il ne s’agit pas du tout du cas que vous évoquez. Vous faites référence aux propos de Mme la sénatrice Cukierman concernant un territoire dans lequel il est difficile de trouver des repreneurs. Pourtant, ce n’est pas du tout ce problème que ces amendements tendent à régler.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme moi, vous avez été confronté à de multiples reprises aux situations dont il est question. La constitution d’un dossier de reprise est toujours un secret de polichinelle ; tout se sait. Souvent, des personnes qui pourraient être intéressées par le dépôt d’un dossier se disent que, si untel le fait, c’est lui qui va gagner, et qu’elles n’ont aucune chance. Elles y renoncent par conséquent.
Objectivement, vous avez été confrontés à cette situation à de multiples reprises ; dans ce cas, le contrôle des structures ne peut absolument rien faire.
Ces amendements visent donc à donner la possibilité, dans ce cas précis, de faire en sorte que le contrôle s’exerce. Cela ne concerne absolument pas la configuration que vous évoquez, monsieur le rapporteur, et à propos de laquelle je partage entièrement votre point de vue.
Le temps de préparation d’un dossier est tellement long que tout le monde sait quel dossier est en train de se constituer. Certains se disent donc que si tel exploitant en prépare un, il ne sert à rien qu’ils y consacrent eux-mêmes du temps alors qu’ils n’auraient aucune chance de gagner. C’est cela, la réalité.
Si nous ne nous donnons pas la possibilité d’appréhender ces situations, nous perdons des possibilités de contrôle des structures et d’installation des jeunes agriculteurs ; c’est une certitude.
Je vous invite donc à adopter ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je soutiens naturellement la position de M. le rapporteur.
Monsieur le ministre, vous nous décrivez le problème que ces amendements sont censés résoudre, mais je ne vois pas ce que leur adoption changerait : si un candidat est si important que les autres personnes intéressées renoncent à monter un dossier, le fait que le préfet puisse le refuser ne changera rien à leur décision.
Je ne comprends donc pas en quoi votre proposition apporterait une solution et je reste donc bien entendu sur la même position que M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Dans un territoire, une personne qui a pignon sur rue ou qui possède déjà une structure d’une certaine importance peut faire savoir qu’elle souhaite reprendre une exploitation. Dans un tel cas, une autre personne qui l’envisagerait aussi, mais qui serait plus jeune, moins installée et plus hésitante ne déposera, le plus souvent, aucun dossier.
Le contrôle des structures ne pourra pas lui donner accès aux autres possibilités qui existent, dès lors qu’il n’a pas déposé de dossier, et alors même que, bien souvent, il a agi ainsi non pas par dépit, mais parce qu’il a le sentiment d’avoir échoué d’avance.
Une telle situation est relativement fréquente. Nous souhaitons donc ouvrir la possibilité de recourir à cet instrument, sans pour autant remettre en cause le discernement des organes de contrôle. Il n’y aura pas d’automaticité dans son application, surtout dans le cas évoqué par M. le rapporteur. En revanche, le dispositif pourra se révéler très utile dans certaines situations.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour explication de vote.
M. Pierre Louault. Les investisseurs spéculateurs ne sont pas des enfants de chœur !
Prenons le cas d’un père qui achète 200 hectares de terres pour y installer femme, enfants et petits-cousins comme agriculteurs. En très peu de temps l’exploitation atteindra 1 500 hectares, car il rachètera toutes les fermes à vendre dans le périmètre. L’investisseur y voit en effet un placement intéressant ; il spécule en se disant que le prix du foncier augmentera.
Tel est le processus qui conduit à ce que des entrepreneurs se retrouvent à la tête de terres agricoles d’une surface de 1 500 hectares.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Monsieur le ministre, pourquoi ceux qui n’ont pas voulu déposer de dossier choisiraient-ils tout à coup de le faire ? Je ne comprends pas.
Depuis le début de l’examen de ce texte, nous débattons d’un système que les comités techniques de la Safer ont mis en place pour garantir que les dossiers sont traités équitablement, de sorte que chacun puisse espérer que l’on retienne le sien, qu’il ait pignon sur rue ou non.
Au risque de paraître trivial, c’est là le fonctionnement du monde des affaires : dès lors qu’un individu qui veut reprendre une entreprise n’a pas le cran de présenter son dossier, on peut s’interroger sur ses capacités à mener à bien son projet !
Dans le monde des affaires, celui qui prétend avoir la capacité d’être chef d’entreprise doit avoir le cran de présenter et de défendre son dossier.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Il s’agit non pas du contrôle sociétaire, mais du contrôle des structures. La conditionnalité de concurrence n’existe pas dans le premier cas, mais elle s’exerce dans le second.
Ce qui vient d’être dit est très vrai : c’est la réalité des territoires. Nous souhaitons instaurer un droit de regard dans le contrôle des structures, sans le limiter au cas d’une offre concurrente qui, parfois, n’arrive pas, non pas parce que les entrepreneurs n’en ont pas les tripes, mais parce qu’ils ont mille projets en tête et qu’ils ne se lancent pas dans ceux dont ils estiment qu’ils n’aboutiront pas. Les jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer auront ainsi une corde supplémentaire à leur arc.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 rectifié, 46, 51, 113 rectifié, 136 rectifié bis, 156 rectifié bis et 175.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 19 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 145 |
Contre | 198 |
Le Sénat n’a pas adopté.
En conséquence, l’article 5 demeure supprimé.
Article 5 bis
I (nouveau). – À l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l’évaluation du dispositif de contrôle des cessions de titres sociaux mis en œuvre par la présente loi.
Le rapport comporte des éléments relatifs :
1° Aux seuils d’agrandissement significatif fixés par les représentants de l’État dans les régions en application de la présente loi, en recensant les seuils fixés sur le territoire national, en appréciant l’adéquation des seuils avec les objectifs du dispositif, et, le cas échéant, en formulant des recommandations pour leur évolution ;
2° Au nombre d’opérations de cession de titres sociaux ayant fait l’objet de notifications et de demandes d’autorisation, et ayant été instruites, ainsi qu’à la superficie des biens immobiliers à usage ou vocation agricole concernés et aux valeurs de transaction constatées ;
3° Au nombre d’opérations autorisées, rejetées ou autorisées sous conditions, permettant d’appréhender les types de mesures compensatoires demandées. Il précise le nombre de décisions administratives sanctionnant le non-respect d’engagements pris au titre de mesures compensatoires dans le cadre de la procédure d’autorisation des opérations de cession ;
4° Aux coûts induits pour les parties à l’opération et aux délais moyens d’instruction et d’autorisation constatés ;
5° À l’impact du mécanisme de contrôle des cessions de titres sociaux sur le marché du foncier agricole, en termes de disponibilité et de coût du foncier agricole en France.
Le rapport fait état, le cas échéant, des moyens dédiés par l’État à l’instruction des demandes d’autorisation, ou mis à disposition des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural dans ce même cadre.
Il comporte également des éléments relatifs au contentieux des autorisations prévues par la présente loi, incluant le nombre de recours dirigés contre des décisions administratives et des éléments statistiques relatifs à l’issue de ces recours.
Il se prononce sur l’opportunité de maintenir ou de réviser le dispositif de contrôle prévu par la présente loi et formule des recommandations sur les évolutions à y apporter.
II. – Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’étendue de l’accaparement et de la concentration excessive des terres agricoles dans la collectivité de Corse et les territoires ultramarins et recensant les méthodes utilisées pour y parvenir. – (Adopté.)
Après l’article 5 bis
M. le président. L’amendement n° 36 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 64, présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 5 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la transparence des données relatives au foncier et à l’activité agricoles. Ce rapport analyse les liens entre le manque de transparence et les phénomènes de concentration excessive et d’accaparement des terres sur le marché des parts sociales. Il présente également les pistes envisagées pour rendre plus efficiente la déclaration d’intention de cessation d’activité, notamment par le biais de l’instauration d’une sanction en cas de refus de sa mise en œuvre.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Je suis obligé de défendre cet amendement, puisque, cette fois, le Gouvernement n’a pas présenté d’amendement identique… (Sourires.)
Il s’agit de demander un rapport pour préciser la définition du foncier agricole. En effet, celui-ci n’est pas seulement composé par le fonds de terre, de sorte que le législateur gagnerait à disposer d’une meilleure information sur les autres éléments qui y participent. Qu’il s’agisse des bâtiments, de la valeur ajoutée du terrain ou de bien d’autres aspects, il est essentiel de mieux définir le foncier et ses différentes parts, de manière méthodique et approfondie.
De plus, ce rapport analysera les liens entre le manque de transparence et les phénomènes de concentration excessive et d’accaparement des terres sur le marché des parts sociales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Cette demande de rapport est satisfaite par l’évaluation du nouveau dispositif de contrôle prévu à l’article 5 bis.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 64.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 6
(Suppression maintenue)
Article 7 (nouveau)
I. – L’article 1er entre en vigueur à une date et selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. Ce même décret précise le délai dans lequel le représentant de l’État dans la région arrête le seuil d’agrandissement significatif mentionné au I bis de l’article L. 333-2 du code rural et de la pêche maritime après la promulgation de la présente loi et avant la date d’entrée en vigueur précitée.
La demande d’autorisation mentionnée à l’article L. 333-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la présente loi, est applicable aux opérations dont la date de réalisation est postérieure à une date fixée par le décret mentionné au I du présent article.
II. – Le I de l’article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la présente loi, est applicable aux opérations dont la date de réalisation est postérieure à une date fixée par le décret mentionné au I du présent article.
Le IV de l’article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la présente loi, entre en vigueur à une date et selon des modalités fixées par le décret mentionné au I du présent article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 151 rectifié, présenté par MM. Gremillet et Perrin, Mme L. Darcos, M. Karoutchi, Mme Belrhiti, M. Somon, Mme Goy-Chavent, MM. Anglars, Klinger, Burgoa et Chaize, Mme Thomas, M. Longuet, Mme Ventalon, MM. Milon et Pointereau, Mme Imbert, MM. Genet, Laménie, Tabarot et Bonhomme, Mme Gosselin et M. C. Vial, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette date ne peut être antérieure à un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
II. – Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette date ne peut être antérieure à un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
III. – Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette date ne peut être antérieure à un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Cet amendement vise à clarifier les étapes de mise en œuvre des dispositions de la présente proposition de loi.
M. le président. L’amendement n° 129 rectifié bis, présenté par MM. Menonville, Decool, Médevielle, A. Marc et Guerriau, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Wattebled, Capus et Chasseing, Mme Paoli-Gagin et M. Malhuret, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Franck Menonville.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Les dispositions de l’amendement n° 151 rectifié constituent un gage de sécurité juridique. La commission a donc émis un avis favorable.
Quant à l’amendement n° 129 rectifié bis, il vise à supprimer une disposition pertinente relative aux entrées en vigueur. Par conséquent, la commission en demande le retrait, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Le Gouvernement demande le retrait de ces deux amendements, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Gremillet, l’amendement n° 151 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Menonville, l’amendement n° 129 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Franck Menonville. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 129 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 151 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 7, modifié.
(L’article 7 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.
M. Christian Redon-Sarrazy. Nous étions censés nous attaquer à l’accaparement excessif du foncier agricole.
Prenons l’exemple d’un département où trois associés possèdent chacun une surface moyenne de 150 hectares, soit 450 hectares en tout. Dès lors que le préfet fixe le seuil à trois associés, toutes les exploitations d’une surface inférieure à 1 350 hectares échapperont au contrôle. Or il serait incompréhensible que l’on ne considère pas comme excessive une surface de 1 350 hectares.
Ce texte a été l’occasion d’instaurer de multiples dérogations, de sorte que l’on peut même les cumuler. Ainsi, pour agrandir la surface de son exploitation en échappant aux contraintes, il suffirait de se pacser avec son salarié qui est aussi son cousin éloigné !
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires sociales. C’est tout de même un peu pervers ! (Sourires.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Tout est possible, madame la présidente de la commission !
Ce texte ouvre donc de nombreuses stratégies de contournement, qui ne manqueront pas d’être saisies par opportunisme.
À l’origine de cette proposition de loi, il y avait les rachats de terres par les Chinois dans l’Allier et dans l’Indre. Nous sommes désormais très loin de cette préoccupation.
Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, il s’agit du monde des affaires. Quant au nôtre, c’est plutôt celui des jeunes agriculteurs dont nous souhaitons favoriser l’installation.
Cependant, le rapport de la mission d’information sur l’enseignement agricole établit clairement que les jeunes qui fréquentent les lycées agricoles sont désormais nombreux à ne pas être issus du milieu agricole.
On peut toujours vouloir maintenir le patrimoine familial,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Christian Redon-Sarrazy. … mais on est loin du compte ici. Il faudra chercher l’erreur, en comparant le nombre de cessions d’activités et le nombre d’installations.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite vous expliquer pourquoi je ne voterai pas ce texte.
Cette proposition de loi intervient après un certain nombre de faits divers qui se sont déroulés il y a cinq à six ans. Les Safer ont réussi à démontrer qu’il existait encore des pans du droit rural qui leur échappaient et à promouvoir un texte leur conférant des droits encore plus forts, pour les rendre toutes-puissantes, à la suite de l’affaire du Berry ; pas moins de 2 000 hectares avaient alors été rachetés par des entreprises et des particuliers chinois dans l’Indre et dans l’Allier, sur trois exploitations différentes, sans droit de regard de la Safer locale.
En se fondant sur ce fait divers, les Safer ont cultivé la peur d’un accaparement des terres par les Chinois ou par d’autres. Pourtant, le phénomène n’a rien de massif en France, et les Chinois sont repartis sans avoir réussi à s’implanter.
En outre, la Safer a édité en 2014 un prospectus traduit en mandarin et diffusé dans les salons viticoles chinois pour inciter les entrepreneurs de ce pays à acheter un vignoble français… Elle mettait ainsi en valeur son rôle et son utilité.
La Safer devient le dieu Janus aux deux visages, l’un s’opposant à l’accaparement des terres agricoles, l’autre faisant la promotion de la vente des vignes du Bordelais aux Chinois ! En réalité, on compte désormais 150 propriétaires chinois dans le domaine du Bordelais.
Pourquoi donc vouloir renforcer encore les pouvoirs de la Safer, alors qu’il existe déjà une procédure de contrôle des investissements étrangers en France, y compris dans les activités de production agricole ?
Je souhaite, comme je l’ai dit tout à l’heure, que les Safer en reviennent à leur rôle fondamental : installer des jeunes agriculteurs et réinstaller des fermiers évincés par les propriétaires.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Rémy Pointereau. Or ce n’est pas ce qu’elles font aujourd’hui. Il faut restructurer des exploitations en limite de zone urbaine et travailler sur les compensations de biodiversité avec les territoires « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui doivent se mettre en place.
M. le président. Il est vraiment temps de conclure.
M. Rémy Pointereau. Je ne voterai pas ce texte, car je refuse que les Safer soient complices de prédateurs qui investissent à bon compte dans le foncier de fermes en redressement et en difficulté…
M. le président. Votre temps de parole est écoulé !
M. Rémy Pointereau. … et qui ne respectent pas leur cahier des charges, bien qu’il soit précis. C’est scandaleux, et je tenais à le redire !
M. le président. Il faut respecter votre temps de parole, cher collègue.
La parole est à M. Bernard Buis, pour explication de vote.
M. Bernard Buis. Les blocages auxquels nous avons été confrontés de la part de la commission n’ont malheureusement pas été dissipés. Le niveau de compétences est départemental et non pas régional. Le seuil d’autorisation est excessif. La mission attribuée à la Safer a été minorée pour le contrôle du foncier. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire ne sont pas exemptées du dispositif.
Nous n’avons sans doute pas su convaincre. Même si, à certains moments, le vote aurait pu être favorable, le scrutin public en a décidé autrement. Nous espérons que, après le temps des débats, viendra celui du compromis en commission mixte paritaire, car, comme l’indique l’intitulé de cette proposition de loi, il y a urgence.
Nous voulons avancer. Nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Dans la discussion générale, nous avions dit que nous attendions depuis longtemps une grande loi foncière. Ce texte ne comble pas cette attente. En revanche, il le faisait en partie dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, je supputais l’issue des débats avant même qu’ils n’aient lieu. Nous ne pourrons pas voter cette proposition de loi, car la rédaction issue des travaux du Sénat n’est pas satisfaisante. C’est dommage, car nous avons besoin d’une régulation.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour explication de vote.
Mme Françoise Férat. Nous voilà arrivés au terme de nos débats. La route fut longue – n’est-ce pas, monsieur le rapporteur ? Les auditions ont donné lieu à des réflexions particulièrement intéressantes en commission. Les discussions ont été riches et quelquefois bouillonnantes, sur un sujet particulièrement technique.
Il fallait nous saisir de ce texte que nous savions essentiel et prendre en compte l’intérêt général. Je suis convaincue que nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée, qui permettra de répondre au besoin de régulation du foncier agricole, ce qui était notre objectif.
Je salue le travail de la commission et de notre rapporteur, sans oublier les services du Sénat. Nos débats ont été passionnants, tout en restant sereins. Comme je l’avais indiqué dans la discussion générale, le groupe Union Centriste votera ce texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Anglars. La régulation de la propriété agricole est ancienne. Elle repose sur les Safer, qui ont acquis au fil du temps des missions et des compétences supplémentaires, tels que le droit de préemption.
L’outil sociétaire a été identifié comme un instrument privilégié d’acquisition – certains diraient « d’accaparement » – des terres agricoles. Quoi qu’il en soit, ce modèle s’est beaucoup développé dans le monde agricole, car il présente des avantages. Il protège le patrimoine personnel en le séparant du patrimoine professionnel, il permet de dissocier les types d’imposition et il facilite la reprise des exploitations.
Loin d’être une grande loi sur le foncier agricole, ce que nous pouvons regretter, le présent texte prévoyait initialement un dispositif d’autorisation préalable sur les prises de participations sociétaires. Les outils actuels ne permettent qu’un contrôle limité, qui ne s’exerce pas sur les cessions partielles de parts de sociétés agricoles.
Le Sénat a choisi de maintenir ce dispositif dans ses grandes lignes et de le rééquilibrer. Nous l’avons recentré sur la lutte contre la concentration excessive et l’accaparement des terres agricoles. Nous avons délimité le rôle de chaque acteur, ajusté certains paramètres du contrôle et clarifié la procédure. Nous nous sommes aussi attachés à trouver un compromis entre la préservation des libertés constitutionnelles et la nécessité de mieux réguler le marché.
Je veux saluer le travail de M. le rapporteur, Olivier Rietmann, qui a eu la difficile tâche de trouver cet équilibre.
Lors de la discussion générale, il a rappelé les lignes qui ont guidé le Sénat dans ses travaux : territorialiser pour rapprocher la prise de décision du terrain ; recentrer le dispositif pour qu’il réponde mieux aux objectifs affichés, à savoir lutter contre l’accaparement des terres agricoles et faciliter l’installation des jeunes agriculteurs ; encadrer la procédure d’instruction par les Safer ;…