M. Rémy Pointereau. Parce qu’il faut changer !
M. Julien Denormandie, ministre. Préservons la cohérence de nos différentes politiques sur le terrain.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre propos. Si, avec M. le rapporteur, nous estimons aujourd’hui qu’il est nécessaire d’aller jusqu’au quatrième degré, c’est parce que le schéma départemental de contrôle des structures n’a rien à voir avec la vraie vie.
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
M. Daniel Gremillet. Qu’a-t-on fait pour régler le problème de transmission du patrimoine que connaissent les exploitations de notre pays ? On a créé les groupements fonciers agricoles (GFA), qui s’étendent très souvent jusqu’au quatrième degré.
Je vous rejoins complètement ; mais ne brisons pas ce que nous avons eu tant de mal à construire pour préserver le patrimoine agricole familial. En cassant les GFA, on accélère la perte de contrôle, à rebours de notre objectif. (M. Bernard Fournier opine.) C’est pour cela que je soutiens pleinement notre rapporteur sur ce point. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Monsieur le ministre, vous êtes un homme de terrain. (M. le ministre le confirme.) Vous visitez régulièrement des exploitations et vous le savez très bien : il est désormais courant pour les exploitants agricoles d’avoir des cousins comme associés.
Je vous prends au mot : chiche, faisons évoluer le contrôle des structures ! À mon avis, c’est la solution la mieux adaptée.
Bien entendu, il faut encadrer ce dispositif pour éviter les effets d’aubaine ou de bord. Je maintiens que l’on ne peut pas réduire à moins de neuf ans l’ancienneté requise pour les salariés associés.
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
M. Olivier Rietmann, rapporteur. C’est pourquoi j’ai demandé à M. Chevrollier de retirer son amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour explication de vote.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos explications.
Vous parlez de cohérence. Mais aujourd’hui, selon qu’il s’agisse d’un montage sociétaire ou d’une transmission intrafamiliale hors forme sociétaire, il y a bien deux régimes différents. En effet, hors forme sociétaire, la vente au quatrième degré sans condition est bel et bien possible.
La cohérence implique le parallélisme des formes, puisqu’il y aurait deux régimes distincts dans le cas de parts viriles ou de participations sociétaires. Tel est le sens de mon amendement.
Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 56, 165 et 26 n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’amendement n° 80 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Je retire l’amendement n° 81 rectifié, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 81 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 82 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8, 22 rectifié bis, 50 et 154 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Monsieur Gremillet, l’amendement n° 141 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. Je suis surpris que la commission émette un avis défavorable. Je fais confiance à notre rapporteur, mais je rappelle qu’en l’état de la proposition de loi les successeurs reprennent les engagements du défunt.
Ces précisions étant apportées, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 141 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 83 rectifié et 109.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Monsieur Gremillet, l’amendement n° 148 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. Une nouvelle fois, je fais confiance à notre rapporteur, ainsi qu’à M. le ministre, qui juge nécessaire de revenir sur ce point d’ici à la commission mixte paritaire. J’y insiste, il faut régler cette question afin de ne pas bloquer les transmissions intrafamiliales.
Je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 148 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 84 rectifié et 166.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 86 rectifié n’a plus d’objet.
Je mets aux voix l’amendement n° 140 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 71 rectifié est présenté par MM. Cabanel, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Guiol, Requier et Roux.
L’amendement n° 87 rectifié est présenté par MM. Redon-Sarrazy et Montaugé, Mme Monier, M. Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Tissot, Devinaz, Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 110 est présenté par M. Buis, Mmes Schillinger, Evrard, Duranton et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
L’amendement n° 162 est présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 31
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
« 4° Les sociétés foncières agricoles qui satisfont cumulativement aux conditions définies au 1°, au b du 2° et aux 3°, 4° et 5° du 1 du II de l’article 199 terdecies-0 AB du code général des impôts ;
La parole est à M. Éric Gold, pour présenter l’amendement n° 71 rectifié.
M. Éric Gold. Cet amendement vise à rétablir l’exemption du dispositif de contrôle pour les sociétés foncières agricoles solidaires qui accomplissent un travail clairement identifié de préservation, de lutte contre la déprise agricole et contre la concentration des exploitations.
Pour être agréées, ces sociétés doivent cumuler plusieurs conditions figurant au sein du code des impôts et du code rural. Elles doivent être agréées « entreprises solidaires d’utilité sociale », exercer une activité d’acquisition et de gestion par bail rural ou encore rendre un service d’intérêt économique général.
Nous renvoyons à ces conditions, qui servent de garde-fous. Le format économique de ces sociétés, qui peuvent par exemple faire une acquisition par prise de titres ou d’actions majoritaires dans une société civile immobilière (SCI), pourrait les soumettre systématiquement au dispositif de contrôle de cession de titres.
Or les entreprises solidaires ne doivent pas voir retardées leurs opérations qui suivent des objectifs vertueux conformes à leur objet social.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour présenter l’amendement n° 87 rectifié.
Mme Viviane Artigalas. Selon nous, cette question est symptomatique des différences de traitement dont la commission des affaires économiques du Sénat a fait preuve.
Nous venons d’examiner de nombreux amendements visant à revenir sur la multiplication des dérogations, lesquelles ont été introduites massivement en commission.
La commission a systématiquement invoqué la nécessité de faire preuve de souplesse et de pragmatisme. Mais, quand il s’est agi des sociétés foncières agricoles d’utilité sociale, nous avons eu droit à une intransigeance totale. Pour supprimer cette dérogation, le rapporteur est allé jusqu’à évoquer un « souci d’équité et de clarté ».
Monsieur le rapporteur, si vous aviez opté pour une limitation globale de l’ensemble des dérogations, la suppression de cet alinéa aurait pu s’entendre. Nous aurions même pu comprendre votre démarche. Mais ce n’est pas du tout le cas et – vous en conviendrez – nous ne pouvons pas vous suivre sur ce terrain.
Au-delà de ces considérations politiques, il semble indispensable de défendre le fonctionnement et le développement des structures solidaires, dont l’objet social est la préservation de la terre agricole et la lutte contre la concentration foncière, en promouvant des exploitations à taille humaine et des modes d’exploitation durables, qui allient les performances économiques, sociales et environnementales tout en favorisant l’installation et la consolidation d’exploitations existantes.
Cet amendement vise donc à rétablir la dérogation supprimée en commission des affaires économiques pour les sociétés foncières agricoles d’utilité sociale.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, pour présenter l’amendement n° 110.
M. Bernard Buis. Nous tenons également beaucoup à cet amendement. En cohérence avec l’objectif de la proposition de loi, il vise à mieux réguler le marché foncier en encadrant l’action des structures sociétaires afin de mieux préserver les terres agricoles.
À cette fin, l’Assemblée nationale avait voté une exemption du dispositif au profit des foncières agricoles agréées « entreprises solidaires d’utilité sociale ».
Avec cet amendement, nous souhaitons soutenir toute association – je pense bien sûr à Terre de liens – qui accompagne et accueille les paysans dans leur accès à la terre, informe et rassemble le public autour des enjeux agricoles et ancre son projet dans une dynamique citoyenne et locale.
Nous ne comprenons pas le choix de la commission des affaires économiques en direction de cette association. Il entre en contradiction avec l’esprit qui nous animait lors de l’examen du projet de lois de finances pour 2020. Nous avions alors tous voté un amendement du rapporteur général, notre collègue Albéric de Montgolfier, en faveur d’une réduction d’impôts pour les investissements au sein des foncières solidaires chargées d’un service d’intérêt économique général.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 162.
M. Joël Labbé. Par cet amendement, déjà bien défendu, nous proposons de réintroduire l’exemption des sociétés foncières agricoles dotées d’un statut d’entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS).
Cette exemption nous paraissait être la plus pertinente au vu de l’intérêt général et de la nécessité de favoriser l’installation agricole, mais c’est celle que la commission a supprimée.
La foncière Terre de liens – il faut bien la nommer – joue un rôle considérable et son développement répond à un besoin. J’ajoute que son action est très bien encadrée. La suppression de l’exemption envoie un mauvais signal, qui nous paraît extrêmement dommageable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Ces amendements visent à rétablir l’exemption, supprimée en commission, applicable aux sociétés foncières agricoles disposant d’un agrément d’ESUS.
Si nous reconnaissons la qualité du travail et l’utilité sociale de ces sociétés, cette exemption nous paraît aujourd’hui injustifiée pour au moins trois raisons.
Premièrement, une seule société foncière est aujourd’hui concernée en France : la société Terre de liens, citée notamment par M. Buis. En parallèle, toutes les sociétés agissant sur le marché foncier agricole sont soumises au contrôle de l’agrandissement significatif.
Deuxièmement, cette société réalise la plupart de ses acquisitions par l’intermédiaire des Safer, dont les opérations sont déjà exemptées du dispositif de contrôle.
Troisièmement, elle met à bail les terres acquises aux seuls agriculteurs actifs en exploitation biologique. Or il n’est pas opportun, dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, de favoriser un type d’agriculture plutôt qu’un autre.
Notre agriculture n’a de sens que dans la richesse et la diversité de ses systèmes de production. La commission émet donc un avis défavorable sur ces quatre amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Il ne s’agit pas de privilégier tel ou tel mode de culture par rapport à tel autre, mais simplement de mettre en avant les foncières agricoles solidaires dans les conditions posées par le texte initial.
Pour ma part, je suis favorable à ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Parlons-nous franchement : on ne peut pas faire état « des foncières solidaires ». Tel qu’il est rédigé, cet article n’en vise qu’une seule. (M. le ministre proteste.)
Monsieur le ministre, combien de fois vous ai-je entendu parler de l’universalité de l’agriculture, de la nécessité de ne pas mettre en avant un système de production agricole plutôt qu’un autre ?
M. Jean-Claude Tissot. C’est ce que vous faites !
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Reconnaissons qu’en France tous les systèmes de production sont vertueux.
Cette foncière ne loue de terres qu’à des agriculteurs installés en production biologique. L’exempter du mécanisme de contrôle revient à mettre en avant un système de production – l’agriculture biologique – au détriment de tous les autres. (Mme Marie-Noëlle Lienemann manifeste son désaccord.)
M. Olivier Rietmann, rapporteur. N’oublions pas que cette foncière ne s’adresse quasiment qu’à la Safer pour acquérir ses terres, qu’elle est déjà propriétaire de plus de 6 000 hectares, qu’elle met en avant les seuls agriculteurs biologiques et qu’elle est anti-propriété.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.
M. Christian Redon-Sarrazy. Vous vous doutez de l’agacement que nous inspirent de tels propos.
Mes chers collègues, vous connaissez vos territoires mieux que personne. Aujourd’hui, nous parlons effectivement de Terre de liens. Mais, demain, il y aura peut-être d’autres foncières solidaires : pourquoi pas ? Elles seront peut-être deux ou trois et ce sera tant mieux ! (M. Bernard Buis le confirme.)
Que fait cette société, sinon aider à l’installation de nouvelles activités, soutenir des projets qui, sans elle, ne verraient pas le jour ?
On s’inquiète du renouvellement générationnel et de l’installation des agriculteurs ; mais, dans le même temps, on restreint l’accès au foncier pour ces structures. C’est proprement incohérent.
Cette exonération ne nuira en rien aux autres types d’agriculture. Il s’agit de l’agriculture biologique : et alors ? Dans nos territoires, notamment à la périphérie des villes, nos concitoyens ont envie de biologique : tant mieux si des foncières solidaires comme Terre de liens favorisent le développement de cette activité.
Supprimer cette disposition, c’est faire preuve d’un pur dogmatisme.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Monsieur le rapporteur, vous relevez que cette foncière solidaire est contre la propriété ; là n’est pas le sujet. Aujourd’hui, un certain nombre de candidats à l’installation ne peuvent pas acquérir de terres. S’il existe ne serait-ce qu’une seule société intermédiaire, très encadrée, qui permet à des jeunes faisant le choix de l’exploitation biologique de s’installer, où est le mal ?
Nous pouvons, nous aussi, vous retourner l’argument de la diversité : elle est souhaitable dans les deux sens. Dans les territoires, la foncière Terre de liens travaille en lien étroit avec les collectivités locales, qui sont demandeuses.
En matière de restauration collective, la loi impose 20 % de biologique. Cette disposition ne faisait peut-être pas l’unanimité, mais elle a été votée ; c’est la loi et il faut bien développer ce mode de production. C’est précisément ce que permet la foncière Terre de liens. Elle favorise une nouvelle forme d’agriculture, qui n’est pas incompatible avec l’agriculture traditionnelle, qui est attachée aux territoires et à l’alimentation localisée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le rapporteur, relisez le texte de l’amendement : rien ne dit que cet allègement ne bénéficiera qu’à une seule foncière solidaire. C’est une question de principe.
Aujourd’hui, le fait est qu’une seule société de ce type existe et qu’elle se concentre sur le biologique. Si, demain, une autre venait à se constituer sur un autre créneau, elle bénéficierait des mêmes avantages.
Il ne s’agit ni d’une rupture de concurrence ni d’un choix monomaniaque. Simplement, reconnaissons que l’expérience de Terre de liens est très prometteuse. Beaucoup de nos collègues l’ont expliqué : cette foncière permet souvent des projets qui, sans elle, ne verraient pas le jour. En matière agricole, un tel malthusianisme me paraît incompréhensible.
Par ailleurs, le rapport à la propriété est en train de changer, et ce ne sont pas les collectivistes qui vous le disent ! Prenez l’exemple des organismes fonciers solidaires, de ce que l’on appelle le bail réel solidaire (BRS)… (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. Le mur est tombé depuis longtemps !
M. Fabien Gay. Ça va !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ceux qui me connaissent savent que je suis une fanatique de la coopérative. Je ne suis absolument pas opposée à la propriété, qu’elle soit individuelle ou collective. Je suis même une spécialiste de l’accession sociale à la propriété, via l’acquisition d’HLM. Mais, pour favoriser cette accession sociale, on a précisément recours aux organismes de foncier solidaire afin de dissocier le foncier de l’activité qui s’y exerce, car le foncier est devenu trop cher.
En la matière, nous sommes face à une situation tout à fait comparable : il n’y a pas qu’une seule manière de développer l’agriculture en France. Les solutions seront plurielles et celle-là fait partie des réponses positives.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Mes chers collègues, ne nous emportons pas.
La problématique est la suivante : à ce jour, il n’existe qu’une seule foncière solidaire.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je comprends bien que ces dispositions n’ont pas été écrites spécialement pour elle, mais le fait est qu’elle est la seule en activité.
On peut la soutenir, on peut apprécier ce qu’elle fait – c’est plutôt mon cas. Mais, en adoptant la rédaction de l’Assemblée nationale, nous ferions une exception pour une seule société.
Peut-être avez-vous raison, monsieur le ministre. Peut-être Marie-Noëlle Lienemann a-t-elle également raison : peut-être le rapport à la propriété va-t-il changer. Mais reconnaissons-le : voter ces amendements, c’est légiférer en faveur d’une seule foncière solidaire. C’est la réalité.
Nous sommes, au Sénat, particulièrement attachés à la propriété familiale agricole et à l’exploitation familiale. (M. Christian Redon-Sarrazy manifeste son exaspération.) La majorité sénatoriale l’a exprimé, par exemple, au travers d’exemptions pour les membres de la famille jusqu’au quatrième degré.
À ce titre, vous avez argué que le contrôle du préfet ne préjugeait en rien de sa décision. Je vous retourne l’argument. (M. Christian Redon-Sarrazy désapprouve.) Au sujet de la foncière solidaire, le préfet n’émettra pas forcément un avis négatif, ou peut-être assortira peut-être son accord d’une demande de compensations.
J’y insiste : alors que nous sommes attachés à la valeur familiale de la propriété, nous sommes sur le point de créer un dispositif dédié à une foncière unique. Ce n’est pas l’état d’esprit dans lequel nous travaillons. En cas de contrôle, le préfet peut dire non, mais il peut dire aussi dire oui : ce dispositif ne nuit donc pas à la société considérée. (M. Yves Bouloux opine.)
M. Franck Montaugé. Mais nous n’avons pas été suivis précédemment !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. De manière tout à fait intéressante, on nous retourne l’argument de tout à l’heure : j’en déduis qu’il était bon.
Nous nous heurtons à une opposition complètement dogmatique au motif qu’il s’agit de modèles agricoles. Sans la mention du terme « biologique », cette disposition aurait sans doute été votée très facilement.
Aujourd’hui, il n’existe qu’une seule société de ce type, mais je rejoins Marie-Noëlle Lienemann : demain, d’autres sociétés similaires peuvent se créer.
Je ne vois pas en quoi l’argumentaire de la commission tiendrait. Cette disposition va dans le sens de l’intérêt général. Elle favorise le biologique – nous nous en réjouissons tout particulièrement –, mais je ne vois pas au nom de quoi l’on pourrait s’y opposer.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Il me semble important que nous poursuivions nos échanges dans le climat apaisé qui préside à nos débats depuis le début de l’après-midi.
Monsieur le rapporteur, contrairement à ce que vous sous-entendez, nous n’opposons nullement les agricultures les unes aux autres.
Je n’ai pas à démontrer à quiconque – me semble-t-il – à quel point je suis attaché à la pluralité de nos agricultures. Personne ici ne peut avoir le début du commencement du moindre doute sur ma position : je l’affirme à chacune de mes prises de parole.
Je le répète, nous sommes attachés au cadre familial, qui est très important dans nos territoires : je l’assume et le revendique.
Toutefois, beaucoup de jeunes veulent aussi s’installer hors cadre familial. Comme l’a dit Mme Lienemann – cela m’a rappelé les combats que j’ai pu mener avec elle, mais aussi avec Mme Primas et tant d’autres, dans de précédentes fonctions –, leur cas est encore plus compliqué : ces jeunes doivent d’abord faire d’énormes investissements pour acquérir le foncier.
D’ailleurs, avec la Fédération nationale des Safer, nous travaillons actuellement à un dispositif qui existe déjà dans certaines régions. Il s’agit de fonds de portage…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Julien Denormandie, ministre. … inspirés des organismes de foncier solidaire (OFS). Grâce à ces dispositifs, même si l’agriculteur n’est propriétaire du sol qu’au bout de quinze, vingt ou vingt-cinq ans, il est le seul à pouvoir l’acheter et à pouvoir l’exploiter auparavant.
J’en suis persuadé : d’une manière ou d’une autre, ces formes sociétaires auront, demain, encore plus de place qu’aujourd’hui, tout simplement parce que les jeunes agriculteurs rencontrent toujours plus de difficultés pour s’installer.
Ce débat le prouve, nous pourrions reprendre ce sujet dans le cadre d’une loi foncière plus globale,…
M. Christian Redon-Sarrazy. Quand vous voulez !
M. Julien Denormandie, ministre. … mais je ne voudrais en aucun cas que les positions des uns ou des autres soient caricaturées.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Je viens d’un territoire, la Bourgogne, qui a vu naître Buffon, qui parlait de nature cultivée, et qui a vu mourir Claude Lévi-Strauss, ce grand ethnologue qui parlait du « phalanstère rural ».
La ruralité ne s’est pas construite sur une idéologie, qu’elle soit capitalistique ou solidaire. Il est normal que de nouveaux modes de propriété des exploitations voient le jour. Mais il ne faut pas non plus que, à la suite du démembrement d’une famille, l’on casse des structures qui fonctionnent.
Sur les plateaux bourguignons, une ferme de moins de 400 hectares ne peut pas vivre. À l’inverse, dans la Brie, chez notre ami Pierre Cuypers, une exploitation de 100 hectares est tout à fait viable.
Chaque territoire est unique. Ne versons pas dans l’idéologie, car la ruralité ne supporte pas l’idéologie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Tout d’abord, certains déplorent que ces amendements visent une société en particulier. J’espère que l’on se souviendra longtemps de cet argumentaire et que, quel que soit le texte examiné, il en sera fini de ces kyrielles d’amendements, que les uns et les autres tentent de faire voter pour traiter des cas particuliers ne se posant que dans une seule commune, une seule intercommunalité ou un seul établissement.
Ensuite, je veux rassurer tout le monde : l’objectif de Terre de liens n’est pas la fin de la propriété privée ! Apparemment, il y a quelques angoisses à ce sujet. (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
J’y insiste : ce n’est pas plus la fin de la propriété privée que celle de la filiation ou des richesses pour ceux qui en ont.
Mes chers collègues, mieux vaudrait parler de l’agriculture et de la ruralité au pluriel.
Monsieur le rapporteur, j’entends ce que vous venez de dire, et vous avez en partie raison. Toutefois, dans mon département, comme dans beaucoup de territoires de montagne, le problème de l’élevage n’est pas là. Il ne s’agit pas de s’associer au cousin, à la cousine, à la nièce ou au neveu, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a personne pour prendre la suite ! (M. le ministre le confirme.)
Non seulement la valorisation du bien familial à transmettre est difficile – comment gagner de l’argent si l’on ne peut pas vendre ? –, mais l’aménagement du territoire est menacé. En effet, des exploitations qui ne sont pas reprises, ce sont des paysages qui se referment.
Le but de ces amendements n’est en aucun cas d’imposer un modèle, mais d’offrir des solutions face aux problématiques actuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Très bien !
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Mais on peut aller devant le préfet !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.