M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !
Mme Maryse Carrère. Cela étant, chacun se décidera selon ses convictions, conformément à la liberté de vote qui caractérise notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après vingt mois d’impréparation, d’erreurs et de mensonges, j’ai découvert cette nuit que le Gouvernement avait radicalement changé d’orientation.
Après l’annonce tant attendue de la démission du ministre de la santé, le Parlement décide enfin d’en finir avec le passe sanitaire le 15 novembre prochain et fait sauter l’obligation vaccinale, tout comme celle du port du masque.
L’état d’urgence permanent qui nous est imposé depuis dix-huit mois, avec une affligeante docilité parlementaire, est enfin abandonné.
Pour lutter contre la résilience de la maladie, le traitement et la prise en charge du covid long sont actés. La recherche d’un traitement est privilégiée, en même temps que le soutien aux vaccins français. La chaîne industrielle nationale et indépendante, qui doit nous garantir un approvisionnement sans pénurie, est désormais une priorité.
Les moyens humains nécessaires aux contrôles aux frontières sont débloqués pour mieux contenir les résurgences épidémiques.
Après des années de saccage de l’hôpital public, un grand plan pour nos hôpitaux et nos personnels soignants sera présenté par le nouveau ministre de la santé dans la journée.
L’application TousAntiCovid, coûteuse et dangereuse, et les contrôles numériques sont proscrits, les verbalisations et les tests payants abandonnés.
Le chef du Gouvernement annonce même, je le cite : « Nous avons écouté, nous avons entendu le peuple français. Ainsi, la loi redevient légitime : orientée vers l’unité du peuple et le bien commun ».
Les visages, les sourires, le contact, la simplicité, la confiance, l’esprit de voisinage et de communauté sont de retour. La France est de retour !
Je n’ai pu, mes chers collègues, retenir un large sourire de satisfaction, en même temps que coulaient sur mes joues des larmes d’émotion.
M. Martin Lévrier. Oh ! Oh !
M. Stéphane Ravier. Et puis… mon réveil a sonné et je me suis réveillé ! (Exclamations.)
De ce retour à la liberté il n’est nullement question : le Parlement est toujours aussi docile et l’Ausweis sanitaire sera, j’en ai bien peur, reconduit. (Protestations.)
Le chantage à la vaccination est confirmé ; son corollaire du tout-contrôle est généralisé ; enfin, le secret médical est levé avec, pour conséquence, une fracture toujours plus grande entre les citoyens.
Le seul qui soit sur la sellette, ce n’est pas le ministre de la santé qui se sera trompé ou qui aura menti depuis le début de la crise sanitaire. Non !
M. Fabien Gay. Raoult !
M. Stéphane Ravier. Le seul sur qui les pouvoirs publics et pharmaceutiques s’acharnent aujourd’hui,…
Mme Éliane Assassi et M. Fabien Gay. Raoult !
M. Stéphane Ravier. … c’est le professeur Raoult ! (Exclamations amusées.)
Cet irréductible gaulois de la médecine, qui aura commis le seul crime de soigner à un coût dérisoire, est aujourd’hui lâché par des élus dont je tairai le nom, mais qui, alors qu’ils étaient atteints du covid, se sont précipités à l’institut hospitalo-universitaire de Marseille pour bénéficier du traitement de celui qu’ils traînent aujourd’hui dans la boue. En les écoutant, on ressent le besoin urgent d’un traitement contre la nausée ! (Mme Françoise Gatel proteste.)
Ces libertés retrouvées n’étaient donc qu’un rêve, le songe d’une nuit d’automne. Il ne tient pourtant qu’à nous, mes chers collègues, d’en faire une réalité. Tel est l’espoir de la France et des Français ! Puissiez-vous enfin les écouter !
M. Martin Lévrier. Incroyable !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Cela va nous changer ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de regretter l’absence du ministre de la santé. Je vous le dis à vous, madame Bourguignon – nous nous connaissons depuis longtemps ; je vous apprécie, et vous le savez, indépendamment de vos évolutions politiques : il est tout à fait significatif qu’à l’occasion d’un débat aussi important que celui qui nous occupe aujourd’hui le ministre de la santé ait considéré que sa présence n’était pas nécessaire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Pour la onzième fois en vingt mois, nous nous apprêtons à examiner un texte visant à faire face à la crise sanitaire. Et pour la onzième fois, l’exécutif nous pousse à examiner à la hâte un texte qui, pourtant, touche au cœur de nos libertés publiques et de nos droits les plus fondamentaux.
Ce qui pouvait, au début de la pandémie, se justifier par l’urgence peine aujourd’hui à s’expliquer, soit par un manque d’anticipation, soit par une absence de considération du rôle du Parlement – j’y ai fait référence en préambule de cette intervention.
Que propose le Gouvernement ? Rien de moins que de prolonger jusqu’à l’été 2022, c’est-à-dire au-delà de la fin du quinquennat, le cadre juridique permettant de déclarer l’urgence sanitaire ou le régime transitoire aujourd’hui en vigueur.
Parce qu’il dessaisit le Parlement pour une durée au-delà de l’acceptable, par ce qu’il impose pour une durée exceptionnelle et excessive au regard de la nécessité, ce projet de loi porte atteinte au bon fonctionnement de notre démocratie.
Pourquoi faudrait-il proroger l’état d’urgence pour si longtemps ? La tenue d’élections, aussi essentielles pour notre démocratie soient-elles, ne peut pas être un motif valable.
Rappelons que le Parlement peut toujours être réuni, à tout moment si besoin. Quand bien même nous ne partagions pas les orientations du Gouvernement, nous avons toujours fait preuve de réactivité et su nous mobiliser ; nous avons largement prouvé notre capacité à voter un tel régime dans une temporalité très courte.
En mars 2020, vous vous en souvenez, nous l’avons fait dans des conditions que l’on pourrait qualifier d’extrêmes, en plein confinement.
La situation sanitaire n’est aujourd’hui plus la même : le taux d’incidence est désormais inférieur au premier seuil d’alerte dans presque tous les départements, et la covid-19 fait partie de notre quotidien.
Je reprends d’ailleurs l’argument très juste de mon collègue Bernard Jomier. Lors de l’audition du ministre de la santé, qui s’est déroulée mardi, il indiquait que, si le virus en restait au stade de « bruit de fond », avec des résurgences cycliques, notre système de santé était en mesure de le prendre en charge, comme les virus saisonniers que nous connaissons bien, et dont – c’est le cas de la grippe, par exemple – nous oublions parfois un peu vite la dangerosité.
Aussi, si nous devons apprendre à vivre durablement avec le virus, nous devons le faire dans un régime de droit commun. Nous ne pouvons accepter de prolonger aussi durablement un régime d’exception, qui porte profondément atteinte à l’État de droit. Nous ne devons pas nous habituer à vivre dans une société où les libertés sont restreintes.
Il apparaît au contraire nécessaire de nous interroger régulièrement, au vu de la situation, pour savoir si ces restrictions sont toujours justifiées.
Ces questionnements n’ont pas manqué de traverser les rangs mêmes de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale. Je pense évidemment à l’amendement du député de La République En Marche Pacôme Rupin, adopté en commission, qui tend à circonscrire l’utilisation du passe sanitaire aux départements dont le taux d’incidence du virus dépasse les 50 cas pour 100 000 habitants par semaine. Mais au-delà, soulignons que ce projet de loi n’a été adopté que d’une très courte majorité – 10 voix – à l’Assemblée nationale.
Au Sénat, les modifications apportées sur l’initiative du rapporteur et adoptées par la commission des lois vont plutôt dans le bon sens même si, pour mon groupe, elles restent perfectibles. Elles ont notamment pour mérite de limiter les mesures d’exception dans le temps et, ainsi, de contraindre le Gouvernement à revenir devant le Parlement en cas de nécessité.
Toutefois, la commission pose des conditions au maintien d’outils tels que le passe sanitaire, qui sont insatisfaisants à nos yeux : nous proposerons donc de les amender.
Est-il pertinent de maintenir ce passe sanitaire ?
Je rappelle que, dès son instauration, le Gouvernement avait affirmé qu’il n’était justifié que le temps de la campagne de vaccination. Or près de 50 millions de nos concitoyens sont désormais vaccinés. De plus, cet outil, qui a pu s’apparenter à une obligation vaccinale masquée, semble avoir perdu de son sens, à en juger par la constante diminution des doses quotidiennes injectées depuis le courant du mois de septembre – moins de 25 000 doses par jour.
Le passe sanitaire ne représente plus aujourd’hui un levier efficace pour convaincre le reste de la population éligible de se faire vacciner.
Se pose dès lors la question légitime de la prolongation d’un dispositif, qui a épuisé tous ses effets d’incitation à la vaccination, qui est faiblement efficace sur la circulation virale et qui pose par ailleurs de réels problèmes en termes de libertés publiques.
Nous proposerons, au travers d’un amendement, que le passe sanitaire ne s’applique plus dans les départements où le taux de couverture vaccinale au sein de la population éligible est supérieur à 80 %, ce qui inclurait d’ores et déjà l’ensemble de la métropole – nous avons, bien entendu, pleinement conscience que la situation sanitaire en outre-mer ne permet pas à ce jour de mettre fin aux mesures d’exception.
À défaut, nous proposerons plusieurs aménagements qui permettront de tenir compte dès maintenant de l’amélioration notable de la situation, comme la prise en considération du taux d’incidence sur sept jours ou encore la fin du passe sanitaire en extérieur.
Notre objectif est toujours le même : celui d’une vaccination universelle, solution que le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont rejeté en juillet et en octobre, et qui est pourtant la seule solution claire, durable et transparente.
Il est dès lors de la responsabilité du Gouvernement de trouver les moyens de convaincre les plus réticents de se faire vacciner et de conduire une éventuelle campagne de rappel, campagne qui semble même avoir commencé pour une partie de la population, bien que certains arbitrages se fassent toujours attendre. Le passe sanitaire intégrera-t-il cette troisième dose de rappel ? Sera-t-elle obligatoire pour les soignants ? À ce jour, le ministre de la santé n’est pas capable de répondre !
Sur ces différents sujets, le Gouvernement peine à fournir des éléments précis et à rétablir un climat de confiance, tant avec la représentation nationale qu’avec les Français.
Notre groupe s’oppose également à la disposition introduite par le Gouvernement lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, qui autorise les chefs d’établissement du primaire et du secondaire à connaître le statut virologique et vaccinal de leurs élèves. La commission a choisi de la supprimer, et c’est heureux.
Le Sénat s’était déjà opposé à cette mesure en juillet dernier. Personne ne la souhaite, ni les chefs d’établissement ni les parents d’élèves, d’autant qu’elle soulève d’importantes questions de principe, notamment par rapport au secret médical.
Mes chers collègues, encore une fois, la méthode n’est pas à la hauteur du débat que méritent les Français. Le contenu du texte suscite bien plus d’inquiétudes qu’il n’en calme, alors même que la situation sanitaire nous laisse entrevoir un retour prochain à une vie normale.
Nous vivons avec cette pandémie depuis maintenant de nombreux mois. Même si tout le monde en est un peu lassé, le port du masque, les gestes barrières et les mesures visant à freiner la propagation de l’épidémie sont toujours largement acceptés et suivis. Dans le même temps, la couverture vaccinale a beaucoup progressé.
La lutte contre la pandémie va dorénavant s’inscrire dans un temps extrêmement long. Le moment est largement venu de retrouver nos libertés fondamentales et de renouer avec l’État de droit. C’est un enjeu pour notre démocratie et pour la République.
La position du groupe socialiste est claire : nous refusons d’accorder un blanc-seing pour une période qui enjambe deux élections nationales majeures.
Toute restriction des libertés doit relever de la seule compétence du Parlement.
M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. En cela, nous partageons l’analyse du rapporteur, qui vient encore de le manifester de manière expressive.
M. Philippe Bas, rapporteur. Et réciproque ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous refusons également que les directeurs d’école puissent connaître le statut vaccinal de leurs élèves.
M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous refusons la prolongation de toute forme de passe sanitaire dans les territoires où il n’est plus nécessaire.
M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous refusons de maintenir plus que de raison un régime d’exception.
Aussi, en l’état, et pour toutes les raisons évoquées, nous ne pourrons pas voter pour ce texte, même si les améliorations introduites par la commission sont notables. Nous conditionnerons notre vote au sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, fait son entrée dans l’hémicycle.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a indiqué M. le rapporteur, nous nous sommes retrouvés onze fois depuis le début de cette pandémie. Jamais un parlement en Europe n’a été autant sollicité ! C’est bien la démonstration que le Gouvernement est toujours à l’écoute de nos deux chambres. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.)
Comme l’a également souligné le rapporteur, notre compréhension, notre analyse et les outils en notre possession ont considérablement évolué depuis mars 2020. C’est aussi la raison pour laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui avec des mesures bien moins restrictives que le couvre-feu ou le confinement. Nul ne niera, par exemple, que le passe sanitaire a fait ses preuves.
Déposé le 13 octobre 2021, le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire vise à proroger le régime de sortie de crise sanitaire, donnant au Gouvernement la faculté de mobiliser une gamme d’outils de gestion de la crise si la situation l’exigeait, y compris de manière territorialisée, et ce, sous le contrôle du juge et sous le contrôle, renforcé lors de l’examen à l’Assemblée nationale, du Parlement.
Le texte comporte plusieurs mesures importantes : le report au 31 juillet 2022 de la fin du cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire, fixée aujourd’hui au 31 décembre 2021 ; la prorogation jusqu’au 31 juillet 2022 du régime de gestion de la crise et la possibilité de mobiliser le passe sanitaire par voie réglementaire, ainsi que le renforcement de la fraude au passe sanitaire ; la facilitation du contrôle de l’obligation vaccinale et le renforcement de son efficacité ; enfin, la prorogation de plusieurs mesures d’accompagnement pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, le dispositif d’activité partielle notamment.
Monsieur le rapporteur, depuis plusieurs jours, je lis dans la presse que l’issue du vote au Sénat ne fait aucun doute – je n’en prends pas acte – et, plus encore, que cette issue serait fondée sur une juste adaptation à la situation épidémiologique du pays.
Cette situation, il faut en parler.
Après huit semaines de baisse consécutive, le taux d’incidence a augmenté de 10 % durant la semaine du 10 au 17 octobre. Conséquence, le pays a dépassé le seuil d’alerte de 50 cas pour 100 000 habitants. Le nombre de nouvelles contaminations quotidiennes a, quant à lui, franchi la barre symbolique des 5 000 cas depuis trois jours.
À l’approche de l’hiver, les épidémiologistes gardent tous les yeux rivés sur les courbes. Nous devons collectivement faire de même.
Pour autant, 7 millions de Français ne sont pas encore convaincus. Si, en France, « les voyants virent au orange », comme le titrait Libération hier, la carte de l’Europe, quant à elle, se colore de rouge.
Le nombre de cas de covid-19 recensés chaque jour a augmenté d’une semaine à l’autre dans la quasi-totalité des pays du continent. La tendance est générale : hausse de 37,2 % des cas en Italie, de 48,5 % en Allemagne, de 57 % en Autriche, avec des pointes à 95 % en Pologne, et même à plus de 120 % en République tchèque.
À cela s’ajoutent la contagiosité accrue du variant delta, le ralentissement de la progression de la couverture vaccinale et la baisse progressive de l’efficacité de la protection du vaccin au fil du temps, en particulier chez les personnes âgées, premières cibles de la campagne.
Mentionnons enfin la possibilité de l’émergence de nouveaux variants, avec des facteurs de risque plus importants ou une moindre sensibilité aux vaccins disponibles. À cet égard, le Royaume-Uni et son nouveau sous-variant nous invitent à la vigilance. Nos voisins outre-Manche comptabilisent 50 000 nouveaux malades par jour.
Les scientifiques prévoient que le risque d’un rebond puisse persister au moins jusqu’à l’été 2022, ce qui légitime les échéances prévues dans le projet de loi initial. Cet état de fait appelle au maintien de dispositifs éprouvés et opérants.
Or, en application du texte de la commission, non seulement les mesures de freinage seraient agencées dans une nouvelle architecture bien complexe, mais le passe sanitaire ne pourrait plus être mis en œuvre dans les départements où le taux de vaccination de la population excède 75 %.
Faut-il rappeler que plus de 75 % de la population du Royaume-Uni est vaccinée ?
Voilà pour les chiffres.
Mais il n’y a pas que les chiffres. Pensons aux personnels soignants, épuisés par le travail extraordinaire qu’ils ont réalisé depuis deux ans. Ils veulent de la stabilité et de la clarté dans les mesures proposées. Changer notre fusil d’épaule juste avant la saison hivernale ou dans quatre mois ne leur rendrait pas service.
Ce texte doit nous permettre d’accélérer encore la vaccination.
Regardons au-delà de nos frontières : en Allemagne, certains Länder autorisent désormais les restaurateurs et les exploitants de lieux culturels à refuser les non-vaccinés, bien que testés négatifs ; en Autriche, si la situation s’aggrave, seuls les habitants non vaccinés pourraient faire l’objet d’un confinement. Que dire de la Chine, qui reconfine 4 millions de ses habitants ?
Personne, en France, ne souhaite en arriver là.
Il s’agit non pas d’accoutumance, mais de prévention. Il s’agit non pas de donner un blanc-seing au Gouvernement, mais de lui conférer l’agilité nécessaire pour faire face à une pandémie qui a mis le monde entier à genoux.
Il s’agit de s’adapter à la rapidité avec laquelle le virus continue de nous surprendre, au même titre que la Chambre Haute a su s’adapter à plusieurs reprises, en prorogeant certaines mesures exceptionnelles sans pour autant les pérenniser. Je pense notamment à l’examen des projets de loi des mois de mai et d’août 2021, à l’occasion desquels un accord a été trouvé.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe soutient le projet de loi tel qu’il nous est transmis par l’Assemblée nationale : il proroge des dispositifs validés par le Conseil constitutionnel, éprouvés au cours de la crise, et en renforce les garanties.
Notre groupe n’est pas favorable à la version issue de la commission des lois du Sénat, dont la temporalité et la complexité nuiront à la clarté et à l’efficacité, pourtant indispensables dans cette période de pandémie.
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suppose que vos boîtes mail ont été une fois de plus envahies, comme la mienne, par les milliers de spams envoyés par les antivax, les antipasse et, plus généralement, les « anti-tout-ce-qui-bouge » !
Robert Kennedy avait coutume de dire : « un cinquième des gens sont contre tout, tout le temps ». Je voudrais commencer par dire à ces trolls que les campagnes de spams déclenchent chez moi une réaction quasi-réflexe : l’envie de voter dans le sens opposé à ce qu’ils demandent, ou plutôt exigent. Je ne pense pas être le seul !
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Laurence Muller-Bronn. C’est vrai !
Mme Nathalie Goulet. Exactement !
M. Claude Malhuret. La quatrième vague, due au variant delta, qui est trois fois plus contagieux que la souche initiale, régresse depuis deux mois grâce à trois mesures : la vaccination massive, le respect des gestes barrières et le passe sanitaire.
La France est aujourd’hui l’un des pays, voire le pays au monde dont la population est la plus vaccinée, et cela lui permet d’être dans une situation très enviable, même si elle reste fragile. Nous savons désormais que le vaccin réduit de 92 % le risque d’hospitalisation chez les plus de cinquante ans. Ce chiffre finit de déconsidérer ceux qui, depuis des mois, tentent de discréditer la vaccination.
Cette dernière a fait ses preuves, le passe sanitaire aussi. Nous allons donc débattre des modalités de prolongation du passe sanitaire, et non du dispositif lui-même.
Le passe est autorisé jusqu’au 15 novembre, c’est-à-dire dans quinze jours, et la grande majorité de cette assemblée n’a aucunement l’intention, pour l’heure, de le supprimer. L’épidémie n’est pas finie : elle flambe à nouveau chez nos voisins et tous les scientifiques s’attendent à une recrudescence hivernale. Ne pas prolonger le passe serait une erreur majeure, n’en déplaise à ceux qui défilent au nom des libertés bafouées.
La plupart des Français le comprennent et l’acceptent. Ils savent que les quelques désagréments liés au passe sont peu de chose par rapport à un reconfinement, si la situation devait s’aggraver. Ils ont bien saisi que le passe est un outil, non de contrainte, mais de liberté.
Le Gouvernement a formulé deux demandes.
La première consiste à prolonger jusqu’au 31 juillet 2022 l’autorisation que nous lui avons donnée de rétablir l’état d’urgence sanitaire en cas de nécessité. Cette prolongation ne dispense pas le Gouvernement de demander l’avis du Parlement avant ce terme. Celui-ci n’est donc pas, dans ce cas, dessaisi de ses prérogatives.
La seconde est celle qui pose problème. Le Gouvernement entend prolonger plusieurs mesures, notamment le passe sanitaire, sans validation du Parlement avant le 31 juillet 2022. La commission souhaite une clause de revoyure.
Peut-on, sans dessaisir le Parlement de ses prérogatives, donner un blanc-seing au Gouvernement pendant plusieurs mois ? Certains arguments plaident en faveur d’un tel dispositif.
Tout d’abord, le Parlement suspendra ses travaux durant quatre mois à compter du 28 février. Ensuite, l’imminence de l’élection présidentielle risque, au mois de février, de transformer en pugilat un débat qui devrait rester technique. Enfin, le Conseil d’État, juge des libertés, n’y voit pas d’objection, estimant que la prorogation envisagée n’est pas contraire à la protection des libertés fondamentales. Le conseil scientifique l’approuve aussi et comprend la nécessité opérationnelle de cette durée, compte tenu de la persistance de risques potentiels jusqu’au 31 juillet.
Ces arguments ont du poids, mais nous sommes des parlementaires, jaloux à juste titre de nos prérogatives et toujours rétifs, lorsqu’il s’agit des libertés, à nous en dessaisir pour de longues périodes.
J’étais donc partagé sur ce sujet. Je ne le suis plus depuis que j’ai pris connaissance du texte de la commission, qui ne me paraît pas satisfaisant.
D’abord, il est devenu illisible, et je ne suis pas le premier à le souligner.
Il y avait jusqu’ici deux régimes, celui de l’état d’urgence sanitaire et celui de la sortie de crise ; ces deux-là perdureront jusqu’au 15 novembre avant de laisser la place à deux nouveaux régimes, qui ne portent pas de nom et comportent des mesures voisines, mais non identiques, sans que la raison nous apparaisse clairement.
La commission prévoit aussi de territorialiser le passe sanitaire sur le fondement de critères rigides et discutables, territorialisation qui entraînera une application différente du dispositif d’un département à l’autre. Une vraie usine à gaz !
Par ailleurs, la date du 28 février me paraît inopportune. Le déchaînement des passions que suscite le débat actuel, à l’Assemblée nationale, sur les réseaux sociaux et dans la rue – hier, et aujourd’hui encore, c’est une sono de 15 000 watts qui a été installée en face du Sénat par ceux qui se prennent pour la France libre… –, ne laisse hélas ! présager rien de bon : en février, à un mois de l’élection présidentielle, nous discuterons probablement de tout sauf des mesures contre l’épidémie.
Enfin, nous avons besoin d’une réponse rapide en cas de nouvelle flambée. En juin dernier, c’est l’intervention immédiate du Président de la République, faisant le choix du passe sanitaire devant l’explosion de l’épidémie, qui a permis l’adhésion de tous les Français à la vaccination. En cas de nouveau rebond, s’il devient nécessaire de généraliser dans l’urgence la troisième dose ou d’autres mesures, allons-nous attendre que l’Assemblée nationale puis le Sénat, qui auront alors suspendu leurs travaux, se réunissent ?
Chez la plupart de nos voisins, les mesures de lutte contre l’épidémie ont été prises par simple décret. En France, comme Philippe Bas l’a rappelé, c’est la onzième fois que le Gouvernement vient demander son autorisation au Parlement. Permettez-moi de penser, dans ces conditions, que les mines offusquées de ceux qui accusent l’exécutif de porter atteinte aux libertés sont largement surjouées. Nous ne nous y joindrons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous achevons nos travaux de la semaine par l’examen d’un texte important, sur un sujet qui nous est désormais très familier : la gestion de la crise sanitaire.
Le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire est d’ailleurs le onzième texte consacré à cette question, le Parlement ayant été amené, comme il se doit, à se prononcer régulièrement sur le maintien, le renforcement ou l’assouplissement des différents dispositifs de lutte contre le virus.
Chaque fois, le Sénat l’a fait dans une démarche de responsabilité à l’égard de nos concitoyens. Mais il l’a également fait en mesurant l’ampleur des perturbations que cela engendre dans la vie de nombre d’entre eux, en particulier les restrictions à certaines libertés que cela provoque. Pour ces raisons, notre assemblée a toujours été force de proposition et s’est efforcée, quand c’était possible, de parvenir à un compromis plus respectueux des droits et libertés des Français.
Aujourd’hui, le Gouvernement revient vers nous avec un nouveau projet de loi. Son objectif est, pour l’essentiel, de prolonger l’application de la plupart des dispositifs actuels : le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le système d’information national de dépistage, certaines mesures administratives et économiques d’accompagnement, mais aussi et surtout, le passe sanitaire.
Ce dernier fait débat tant parmi nos concitoyens qu’au sein de la représentation nationale. Sa mise en place, qui s’apparente à une obligation vaccinale qui ne dit pas son nom, aura sans doute permis d’éviter un confinement supplémentaire, de faciliter la reprise d’un certain nombre d’activités et d’accélérer la vaccination, dont le taux atteint à présent un niveau élevé en métropole, ce dont nous pouvons nous féliciter.
Toutefois, le passe sanitaire est aussi un dispositif dont l’application restreint nécessairement certaines libertés individuelles : il ne peut dès lors être mis en œuvre que de manière proportionnée et adéquate. À un moment où le taux de vaccination en France atteint un niveau élevé – 86 % des Français âgés de plus de 12 ans sont vaccinés – et où l’épidémie n’a plus l’intensité qu’elle pouvait avoir au début de l’été, il est légitime de songer à la sortie du passe sanitaire.
Certains parmi nous ont plaidé en faveur d’une fin plus ou moins immédiate de son application. Ne pas souhaiter demeurer plus longtemps que nécessaire sous l’empire de ces dispositifs est compréhensible.
Pour autant, la situation épidémique demeure fluide, et est susceptible de connaître des évolutions soudaines. Nous l’avons malheureusement constaté, le mois dernier, en Nouvelle-Calédonie. Le maintien d’un cadre robuste pour lutter contre la crise sanitaire est donc nécessaire.
Le taux de vaccination, s’il est élevé sur le plan national, n’est toutefois pas homogène et reste comparativement faible par endroits. C’est le cas en outre-mer, dont les territoires ont été tout particulièrement éprouvés par l’épidémie durant les derniers mois. Pas plus tard que le mois dernier, nous votions le prolongement de l’état d’urgence sanitaire dans un certain nombre de territoires ultramarins. Aujourd’hui encore, le Gouvernement nous demande de maintenir l’état d’urgence sanitaire en Guyane et Martinique.
La démarche de la commission des lois du Sénat a consisté à concilier ces différentes exigences : d’une part, ouvrir la voie à une sortie du passe sanitaire là où son application ne serait plus proportionnée et, d’autre part, conserver des outils adéquats pour permettre aux autorités de répondre au défi sanitaire.
Sur l’initiative du rapporteur Philippe Bas et du rapporteur pour avis Pascale Gruny – dont je salue ici le travail considérable, réalisé dans un laps de temps très court –, les commissions des lois et des affaires sociales ont voté un texte profondément modifié.
Plutôt que de reconduire l’actuel cadre juridique, le projet de loi ainsi amendé rénove et simplifie les multiples dispositifs en vigueur, afin que les pouvoirs publics soient en mesure de fournir une réponse plus lisible et, surtout, plus graduée.
Ainsi, l’exécutif bénéficiera de prérogatives adaptées à la situation sanitaire actuelle. Il pourra maintenir le passe sanitaire dans une version atténuée, mais uniquement dans les départements où moins de 75 % de la population est vaccinée et où le virus circule activement. Par contraste, là où la situation s’est améliorée, le passe sanitaire ne s’appliquera plus.
De cette manière, il sera possible de contrôler la propagation de la maladie là où il est nécessaire de le faire, tout en assouplissant les contraintes pesant sur les Français là où ces dernières ne seraient plus adaptées.
Par ailleurs, en cas de dégradation de la situation, le Gouvernement pourrait, par décret et pour une durée limitée à un mois, disposer de prérogatives renforcées, inspirées pour partie du dispositif de l’état d’urgence sanitaire.
Toutefois, s’il devait s’appliquer au-delà d’un mois, ce dispositif renforcé impliquerait un contrôle parlementaire par le biais d’un vote.
Le projet de loi soulève une autre problématique : le terme des différentes mesures proposées.
L’exécutif souhaitait proroger ces dispositions jusqu’au 31 juillet prochain. Pouvons-nous accepter que le Parlement ne se prononce plus sur ces problématiques relatives à la sécurité sanitaire et aux libertés fondamentales pendant plus de sept mois ? Pouvons-nous accepter d’enjamber ainsi des échéances électorales majeures dont le résultat est incertain ? Quel sera l’exécutif ? Quelle sera la majorité à l’Assemblée nationale ? Il ne serait pas responsable de prendre ce genre de risque.
C’est pourquoi notre commission a décidé de ramener cette durée à trois mois et demi, en parfaite cohérence, une fois encore, avec les précédents votes du Sénat. Du reste, le moment venu, si la situation de l’épidémie venait à l’imposer, rien dans les textes n’empêcherait le Gouvernement de revenir devant nous après, ou même avant, le 28 février.
Un point particulier a retenu notre attention lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, celui de l’accès des directeurs d’établissement scolaire aux données virologiques de leurs élèves. Cette dérogation injustifiée au secret médical nous avait déjà été proposée, dans la précipitation, en juillet dernier, et nous l’avions alors repoussée.
Pour les mêmes raisons, nous estimons qu’il n’est pas judicieux de mettre en œuvre une pareille mesure. Reconduire le dispositif actuel d’information des responsables des établissements d’enseignement scolaire, plus global, nous paraît donc préférable.
Enfin, le texte de la commission comprend un certain nombre d’autres améliorations appréciables, adoptées afin de veiller à la stricte nécessité de diverses prorogations, mais également de limiter le recours aux ordonnances. Ainsi, nos rapporteurs ont préféré supprimer du projet de loi plusieurs habilitations à légiférer par ordonnances et leur substituer occasionnellement des dispositions inscrites « en clair » dans la loi.
Là encore, le Sénat est en cohérence avec sa position historique sur les ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution. Nous aurons l’occasion d’en discuter plus longuement la semaine prochaine lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur.
Au-delà des mesures qui seront votées in fine, et parce que nous devrons vivre encore de longs mois avec ce virus, il convient de ne pas oublier que nous disposons d’outils simples et efficaces pour nous protéger et protéger notre entourage, comme les gestes barrières ou le télétravail par exemple.
Pour conclure, je salue une fois de plus l’approche pragmatique de nos rapporteurs. Partis d’un texte attentatoire aux libertés individuelles et au pouvoir législatif et de contrôle du Parlement, ils ont choisi de s’engager dans une démarche de clarté, de proportionnalité et d’équilibre, afin de réécrire le projet de loi soumis à notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)