M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, nous dénoncions les méthodes employées par le Gouvernement afin de faire passer des réformes de grande ampleur par ordonnances, sans même en débattre au sein du Parlement.
Aujourd’hui, le présent texte nous invite encore à dénoncer ces empiétements, qui participent au déclassement de notre rôle de parlementaires. Il faut en remercier nos collègues du groupe du RDSE.
Si, comme le prévoit l’article 24 de la Constitution, le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement », le régime de la Ve République ne permet pas d’assurer réellement ce rôle, même après la révision constitutionnelle de 2008, dont la mise en œuvre n’est que partiellement respectée. Nos pouvoirs d’information et d’investigation sont essentiels, mais la reconnaissance d’un outil de contrôle de la pleine application des lois votées au sein de notre hémicycle manque.
La crise a exacerbé cette habitude du Gouvernement de tenir à l’écart le Parlement, en méprisant le processus législatif et la représentation nationale démocratique. Alors que les lois nécessitent des règlements d’application pour entrer effectivement en vigueur, il est fréquent que le Gouvernement ne respecte pas l’intention du législateur en s’abstenant de prendre ces décrets. Le Parlement n’ayant pas de moyens reconnus officiellement pour contraindre l’exécutif, il dépend souvent du bon vouloir de ce dernier, ce qui n’est pas acceptable. La motion de censure, quasiment impossible à mettre en œuvre en raison du fait majoritaire, aggravé par la proximité des élections présidentielles et législatives, est notre seule arme.
Le Gouvernement profite de ce déséquilibre en sa faveur. En 2020, le taux global d’application des lois a reculé, passant de 72 % à 62 %. Ce taux est moins élevé pour les textes issus de propositions de loi que pour ceux issus de projets de loi.
En même temps que l’exécutif use à foison de la procédure accélérée, des ordonnances qu’il ne prend même plus la peine de faire ratifier, les délais de publication des textes d’application de la loi s’allongent. Le processus législatif ordinaire respectant les prérogatives du Parlement est de moins en moins la norme.
Le juge reconnaît la faculté à des justiciables d’obtenir la publication d’actes d’application de la loi en engageant la responsabilité du Gouvernement du fait de la méconnaissance de ses obligations. Ce pouvoir d’injonction peut être utilisé si et seulement si un intérêt à agir est reconnu. Malgré leurs missions constitutionnelles, le juge administratif ne reconnaît pas aux parlementaires une présomption d’intérêt à agir en cas d’atteinte aux prérogatives du Parlement. Cette situation aboutit à des jugements incongrus, où l’intérêt à agir de parlementaires se fonde sur leur qualité de consommateur de produits pétroliers, d’actionnaire d’autoroute ou encore de téléspectatrice, comme cela fut le cas en son temps pour notre camarade Nicole Borvo Cohen-Seat.
Nous pensons, comme le professeur de droit Olivier Renaudie, que la réserve du Conseil d’État est dépassée. C’est pourquoi nous abondons dans le sens de cette proposition de loi, qui ne fait qu’aménager le recours pour excès de pouvoir déjà existant, afin de nous donner cet intérêt à agir contre le refus de prendre des mesures réglementaires d’application de la loi, ou encore contre les ordonnances qui sortent de leur champ d’habilitation.
La commission des lois a amélioré ces aspects du texte. Cependant, nous regrettons le recul consistant à restreindre le bénéfice de ce recours aux seuls présidents des assemblées parlementaires et des commissions permanentes. Nous ne comprenons pas que soient exclus du dispositif les groupes d’opposition et minoritaires.
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr !
Mme Éliane Assassi. Ce rééquilibrage institutionnel ne peut être un moyen dans les mains de certains, alors que nous avons tous la même qualité de parlementaire et les mêmes comptes à rendre aux citoyens.
La Ve République est à bout de souffle. L’hyperprésidentialisation et le musellement du Parlement empêchent un exercice démocratique du pouvoir. Cette proposition de loi tire en quelque sorte les conséquences de ce constat. Pour notre part, nous défendons un changement de régime constitutionnel bien plus global. Néanmoins, si notre amendement visant a minima à faire bénéficier de ce dispositif les présidents de groupes politiques des assemblées, ou un autre amendement qui s’en approche est adopté, nous voterons ce texte. Sinon, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président Requier, quelle bonne idée de nous avoir présenté ce texte ! Quel dommage que son examen ait été programmé un jeudi après-midi, ce qui nous empêche d’être plus nombreux ici à vous écouter et à vous soutenir pour redonner du pouvoir au Parlement, à un moment où celui-ci en a quand même besoin. En effet, nous nous sentons parfois démunis, voire découragés devant la multiplication des ordonnances et des procédures accélérées.
Je sais bien, monsieur le ministre, qu’une procédure accélérée dure de six mois à huit mois, comme vous nous l’avez expliqué l’autre jour, mais cela signifie une seule lecture dans chaque assemblée, ce qui est parfois trop court pour mener une réflexion sur un texte.
La lecture unique n’est pas satisfaisante, surtout si elle est noyée dans une diarrhée législative. Tout cela peut finir par des catastrophes, comme la suppression du renouvellement des juges consulaires. Vous vous rappelez certainement cette histoire, où les effets cumulés d’un certain nombre de textes ont fait « sauter » une disposition par mégarde.
Qu’est-ce que le contrôle sans moyen d’action et sans sanction ? Pour ma part, je crois tout à fait à ce recours pour excès de pouvoir, qui sera une arme puissante et légitime d’un contrôle effectif.
Nous avions eu un débat très important sur les conventions fiscales internationales. Le scandale des Pandora Papers nous rappelle que, dans cette matière, le Parlement arrive « à la fumée des cierges ». On ne peut absolument rien faire, puisque l’on ne peut pas amender les conventions fiscales. Même si le Sénat ne les vote pas, en général, elles sont quand même appliquées, comme dans le cas du Panama.
La loi relative à la régulation des naissances de 1967 a été appliquée en 1970. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a mis deux ans à être appliquée. La loi Littoral, votée en 1986, n’a été pleinement mise en application que dix-huit ans après. Il est vrai que ces délais énormes sont maintenant révolus, et heureusement, mais l’application de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, a néanmoins pris du temps.
Je veux revenir sur un exemple qui me tient à cœur, car il est pour moi emblématique des cas où l’action parlementaire n’a absolument aucun effet. Il s’agit de la création du répertoire national commun de la protection sociale en 2007 pour aider à gérer plus de 137 organismes de sécurité sociale contre 292 risques. En 2012, cette disposition n’était toujours pas appliquée. Malgré des questions écrites et des réponses ministérielles, rien n’est venu. En octobre 2014, de nouveau, un amendement est adopté lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale : toujours rien !
Résultat, depuis 2007, le répertoire national commun de la protection sociale n’est pas complet et ne fonctionne toujours pas. Ce point a été soulevé dans le cadre de la mission que le Premier ministre Édouard Philippe avait confiée à la députée Carole Grandjean et à moi-même. En auditionnant les représentants de la Cour des comptes, nous avons appris que le dispositif serait bientôt en place. Je vous rappelle qu’il a été voté en 2007… Finalement, en août 2021, surgit un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) qui réfléchit à la façon d’organiser ce répertoire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à quelques jours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, et nous allons nous retrouver avec les mêmes problèmes que l’année dernière, que l’année d’avant, etc. pour contrôler les dépenses de santé et coordonner les systèmes de soins. Tout cela n’est pas très raisonnable.
À la lumière de cet exemple, vous voyez bien que les outils dont nous disposons ne sont pas suffisants. Les amendements, les textes votés, la loi de financement de la sécurité sociale publiée, les questions écrites, les questions orales : rien n’y fait, ce répertoire, outil absolument indispensable pour la gestion de nos services de santé, n’est toujours pas en place !
Je le répète, je suis extrêmement favorable à la proposition de loi présentée par le président Requier. Comme je l’ai annoncé lors de l’examen en commission, j’ai également déposé un amendement pour étendre aux présidents de groupe politique cette possibilité, parce que je ne vois pas pourquoi les groupes d’opposition et minoritaires seraient privés de ce droit, qui est un droit absolument républicain. Il est donc normal de le partager dans une assemblée parlementaire.
Monsieur le ministre, je pense que nous avons beaucoup à gagner à travailler plus ensemble, pour plus d’efficacité de la loi. Il y va de l’accessibilité et de l’intelligibilité de nos textes législatifs. Comme je le disais, nous allons aborder l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Entre nous, trois minutes de temps de parole pour un rapporteur, quand on sait la masse de travail que représente un rapport, c’est tout simplement indécent. Ce texte va être voté dans un délai très contraint. Votre gouvernement n’y est pour rien, mais convenez que nous travaillons dans des conditions qui sont décourageantes.
On se plaint qu’il y ait trop peu de parlementaires présents en séance publique, mais c’est aussi parce que, tous tant que nous sommes, nous perdons un peu la foi dans notre capacité à amender ou à faire valoir nos arguments.
Tout cela pour dire que nous voterons des deux mains la proposition du président Requier. Nous allons évidemment soutenir les amendements qui visent à étendre aux présidents de groupe la possibilité de ce recours pour excès de pouvoir. Je sais que le Gouvernement, par l’entremise de son ministre des relations avec le Parlement, fait tout son possible pour que les rapports entre le Sénat et le Gouvernement soient excellents. Qu’il en soit remercié ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et GEST, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de la présente proposition de loi ont entendu répondre au souhait de plusieurs de nos collègues et à celui du président de notre assemblée, Gérard Larcher, de reconnaître au Parlement, et plus précisément aux parlementaires, un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir.
Sans aucun doute, ce nouvel outil permettra par la même occasion de renforcer les prérogatives qui se rattachent à notre mission de contrôle de l’action du Gouvernement.
L’objectif de ce texte s’inscrit donc naturellement dans la continuité de la proposition de loi déposée le 23 décembre 2010 par notre ancien collègue Yvon Collin.
Je rappelle que le succès de la procédure de recours pour excès de pouvoir est lié à la facilité d’accès au juge administratif qu’elle offre à tout justiciable qui justifie d’un intérêt à agir concernant un acte administratif qu’il estime contraire à la légalité. Au titre de cette facilité, l’acception très souple de l’intérêt à agir du requérant tient une large place. La condition d’un intérêt à agir n’est en effet qu’une vérification de l’adéquation entre l’auteur du recours et l’action qu’il intente. L’intérêt à agir permet alors, sans filtrer abusivement les recours, d’exclure ceux qui ne présentent aucun lien avec la situation du demandeur. Dès lors, le requérant qui justifie d’un intérêt direct, personnel et certain peut contester l’acte auquel il serait lié.
Eu égard à ce raisonnement, on peut s’interroger sur le cas des membres de nos deux chambres, pris à titre individuel. En d’autres termes, un parlementaire peut-il, ès qualités, exercer un recours pour excès de pouvoir contre un texte réglementaire ou une ordonnance ?
Le Conseil d’État est resté très longtemps évasif lorsqu’il avait à se prononcer sur la possibilité de reconnaître à nos collègues la qualité à agir afin d’enjoindre au Gouvernement de prendre une mesure réglementaire d’application d’une loi. Au regard de sa jurisprudence récente, le Conseil d’État estime qu’un parlementaire ne peut arguer de cette seule qualité pour justifier d’un intérêt à agir ou d’une présomption d’intérêt à agir contre le refus du Premier ministre de prendre une mesure réglementaire d’application de la loi.
Toutefois, on peut noter que le juge administratif accepte le recours classique en annulation avec injonction et astreinte contre la décision implicite ou explicite de ne pas adopter un décret à l’expiration d’un délai raisonnable, lorsque ce délai n’est pas précisé par la loi.
À l’heure actuelle, le Parlement ou les parlementaires n’ont aucun mécanisme institutionnel leur permettant d’obtenir la publication des mesures d’application d’un texte législatif dans un délai raisonnable.
Dans ce contexte, il semble nécessaire de donner au Parlement des moyens concrets et effectifs pour assurer ses prérogatives constitutionnelles. En l’espèce, comme l’a précisé Jean-Claude Requier, il faut mettre à la disposition des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, à titre individuel, un outil de contrôle de la pleine application de la loi qui s’étendrait au-delà du seul rôle d’information, qui relève pour sa part classiquement d’un contrôle politique.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi se veut donc une réponse pragmatique et juridiquement encadrée à une question fondamentale, celle des moyens de garantir le respect de l’intention du législateur au travers du contrôle des mesures d’application d’une disposition législative.
Pour être cohérents avec notre texte et ne pas mettre le juge administratif dans une position délicate, nous devons déterminer le champ des bénéficiaires de ce droit à agir institutionnel. Doit-il être ouvert à tous les parlementaires, sans exception, ou faut-il le limiter aux seuls présidents des deux chambres et aux présidents des commissions permanentes, selon la rédaction proposée par la rapporteure à la commission et adoptée par celle-ci ?
Même si, dans un premier temps, la solution d’une limitation de la saisine a été privilégiée, nous pourrions aussi envisager une autre piste : ouvrir plus largement la porte de la saisine, en offrant cette possibilité aux présidents des groupes parlementaires, dans la volonté d’assurer une équité démocratique.
Vous aurez compris, mes chers collègues, que le RDSE vous appelle à soutenir cette proposition de loi dans un esprit constructif. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe CRCE et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est une heureuse initiative que M. Requier a prise en déposant ce texte ; je tiens à l’en féliciter, ainsi que son groupe, car c’est une nécessité que de permettre aux parlementaires de saisir le Conseil d’État pour excès de pouvoir.
J’ai constaté que M. le ministre accueillait cette proposition de manière plutôt mitigée. Au moins, monsieur le ministre, vous n’avez pas atteint dans vos arguments les sommets de votre collègue du Gouvernement, qui avait répondu la semaine dernière à nos discours sur l’ordonnance réformant puissamment l’État républicain par des considérations que je qualifierai de « glaciales ».
Cela dit, j’espère que les choses s’amélioreront et que le Gouvernement reconnaîtra que l’excès d’ordonnances auquel nous assistons constitue une atteinte aux prérogatives du Parlement et à l’équilibre des pouvoirs ; j’espère surtout, monsieur le ministre, que, lorsque nous examinerons le 4 novembre prochain une nouvelle proposition de loi ayant pour objet de revenir à l’esprit et à la lettre de la révision constitutionnelle de 2008, à savoir que les ordonnances doivent recevoir une ratification expresse du Parlement, l’accueil du Gouvernement ne sera ni glacial ni mitigé, mais peut-être enthousiaste.
En tout cas, monsieur le ministre, vous aurez bien compris qu’il faut que les choses changent. Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est un pas en avant dans la direction du changement. Je suis un réformiste, un socialiste réformateur ; je trouve donc que tous les pas qui vont dans le bon sens sont appréciables.
Je voudrais évoquer, monsieur le ministre, mes chers collègues, la singulière expérience que j’ai vécue en 2004. J’avais saisi le Conseil d’État au nom de soixante sénateurs qui considéraient que l’ordonnance prise par le Gouvernement sur les partenariats public-privé n’était pas du tout conforme à la loi d’habilitation que le Parlement avait adoptée. Plein d’espoir, j’ai assisté à l’audience, qui a duré quatre heures – et pendant laquelle, naturellement, on ne peut rien dire, ce qui est tout de même assez frustrant, mes chers collègues ; que voulez-vous, c’est la règle ! Toujours est-il que le Conseil d’État a considéré que, comme un alinéa de l’ordonnance en question avait été cité dans un amendement qui avait été adopté, alors que ni le Gouvernement ni d’ailleurs le Parlement ne s’en étaient rendu compte, cette ordonnance avait été implicitement ratifiée. Ainsi, le Conseil d’État a pu rejeter la requête des sénateurs sans avoir à statuer sur la recevabilité de celle-ci. Ainsi, de façon très élégante, il avait botté en touche.
Cette esquive s’est reproduite, comme l’a expliqué Mme Assassi à l’instant.
Il est vrai que M. Didier Migaud, qui était un membre éminent de l’Assemblée nationale, avait été admis à agir devant le Conseil d’État, non pas comme député, mais en tant que consommateur de produits pétroliers, ce qui est une caractéristique commune à beaucoup de Français ! (Sourires.)
Il est aussi vrai que M. François Bayrou s’est vu reconnaître un intérêt à agir en tant qu’actionnaire d’une société d’autoroute ; de ce fait, il connaissait bien le sujet !
Il est vrai enfin que Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, avec laquelle nous avons longtemps siégé dans cet hémicycle et dialogué, s’est vu reconnaître un intérêt à agir en tant qu’usager du service public de la télévision !
Vous apprécierez, mes chers collègues, le caractère assez pitoyable de ces palinodies !
C’est donc une bonne idée que de permettre aux parlementaires de saisir ès qualités le Conseil d’État. Vous craignez, monsieur Requier, qu’il y ait une inflation des recours. Mais tous les Français peuvent saisir la justice administrative, donc le Conseil d’État : ce n’est pas parce que quelques centaines de parlementaires supplémentaires pourront le faire que le système sera déséquilibré !
C’est pourquoi nous soutenons réellement votre initiative, mais il me faut vous dire, mon cher collègue, que le premier mouvement est souvent le bon ! Votre proposition de loi était parfaite ! Vous avez ensuite eu quelques scrupules, vous avez admis qu’il fallait limiter cette prérogative aux présidents des assemblées et de leurs commissions. Franchement, je ne comprends pas pourquoi. Établissons donc un droit pour tous les parlementaires !
C’est ce que nous vous proposons, mes chers collègues, dans un amendement qui, je l’espère, sera adopté. Si par malheur il ne l’était pas, nous avons déposé un amendement de repli, similaire à ceux de plusieurs de nos collègues, de manière à ce que, à tout le moins, les présidents de groupe puissent saisir le Conseil d’État.
J’espère donc que cette proposition de loi sera adoptée dans une rédaction respectant sa très belle intention initiale. En tout cas, je remercie encore le groupe du RDSE de nous l’avoir soumise ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous réunit aujourd’hui, au-delà de sa dimension technique, suscite un débat vivant qui avait déjà animé notre hémicycle en 2011 et qui se nourrit de travaux successifs et d’une jurisprudence elle-même évolutive.
À notre sens, la discussion sur la présente proposition de loi, qui vise à instituer une présomption d’intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir, peut intégrer deux principales évolutions.
La première évolution est celle de la jurisprudence du Conseil d’État sur cet intérêt à agir.
Alors que, jusqu’en 2011, comme cela a été bien rappelé, le Conseil d’État oscillait entre le contournement, préférant masquer le parlementaire derrière sa qualité d’administré, et l’évitement, la question récurrente a été tranchée par la négative en 2011, puis en 2020.
Plusieurs motifs de réticence, bien dégagés par la doctrine et rappelés par notre rapporteure, ont fondé le refus de reconnaître l’intérêt à agir des parlementaires, notamment la volonté de respecter le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.
Ce motif m’amène à la seconde évolution qui doit être prise en compte dans le présent débat, à savoir celle des contours et des modalités de la séparation des pouvoirs.
Outre la question prioritaire de constitutionnalité, dont le Conseil constitutionnel est saisi sur renvoi du Conseil d’État, ou encore la possibilité pour ce dernier d’intervenir comme conseil des parlementaires sur les propositions de loi, certains auteurs soulignent l’apparition, dans la jurisprudence, d’un droit administratif des assemblées parlementaires.
Plus généralement, comme cela a été rappelé, des dispositions législatives impliquant des effets sur les relations entre le juge administratif et les pouvoirs exécutif ou législatif n’ont pas été jugées contraires au principe de séparation des pouvoirs, laissant penser que la présente proposition de loi serait conforme à la Constitution.
En réalité, plus encore que la question des catégories de personnes auxquelles il peut être reconnu un intérêt à agir – ce point sera abordé lors de l’examen des amendements –, c’est celle des types d’actes pouvant faire l’objet de la présomption d’intérêt à agir qui doit être posée.
Cette approche plus matérielle semble d’ailleurs de nature à répondre à l’inquiétude, légitimement soulignée par M. le ministre, d’une dénaturation du recours pour excès de pouvoir comme moyen de continuation du débat politique et vecteur de confusion des rôles.
Sur ce point, le champ de la proposition de loi est clairement plus réduit que celui du texte dont le Sénat avait débattu en 2011, où figurait le recours contre une mesure réglementaire édictant une disposition relevant du domaine de la loi.
La présente proposition de loi ne retient pas cette finalité, qui relèverait d’ailleurs plutôt de la Constitution au regard de la procédure de délégalisation régissant, en son article 37, les cas d’empiétement du pouvoir législatif sur le pouvoir réglementaire. Mais c’est là ouvrir un tout autre débat.
Outre les deux hypothèses qu’avait retenues le rapporteur de 2011, contre l’avis du gouvernement de l’époque, le présent texte prévoit une troisième hypothèse d’intérêt à agir : il s’agit du cas de recours contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.
Sur ce dernier point, nous émettons quelques réserves sur la réécriture retenue en commission, qui reconnaît l’intérêt à agir dès lors qu’un des moyens soulevés porte sur le non-respect du champ de l’habilitation, et non pas seulement lorsqu’il s’agit de l’unique moyen soulevé, comme le prévoyait le texte initial. L’argument selon lequel cette extension permettrait de limiter les cas dans lesquels le recours ultérieur d’une tierce personne serait nécessaire pour purger une ordonnance de l’ensemble de ses griefs nous paraît contestable, la portée de l’intérêt à agir étant indissociable de la qualité de l’auteur auquel il est reconnu.
En tout état de cause, au-delà de cette légère divergence d’appréciation, le groupe RDPI soutiendra cette proposition de loi, dont l’apport lui semble pertinent et raisonnable, sans préjudice des prérogatives de contrôle que prévoit la Constitution. Il soutiendra également l’amendement de rétablissement du texte initial qui sera présenté tout à l’heure. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois la loi adoptée, le rôle du législateur n’est pas terminé ; il est bon de le rappeler. Le contrôle de l’action du Gouvernement, avec l’exercice du pouvoir législatif, est au cœur des fonctions dévolues au Parlement. La Constitution, en son article 24, l’affirme clairement depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Une part importante de ce contrôle porte sur la mise en application des lois, qui constitue un enjeu primordial, car il apparaîtrait inadmissible que les lois votées ne soient pas appliquées dès leur promulgation, mais qu’elles restent lettre morte, partiellement ou totalement, comme l’ont rappelé Nathalie Goulet et plusieurs autres de nos collègues. À quoi bon voter des lois si elles ne produisent aucun effet ?
Aussi, s’assurer de la qualité de l’application des dispositions législatives, c’est préserver la sécurité juridique. Veiller à la mise en œuvre concrète des lois, c’est garantir la crédibilité de nos institutions parlementaires. Il y va du bon fonctionnement de notre démocratie !
À cet égard, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est pertinente et opportune, puisqu’elle tend à renforcer la fonction de contrôle du Gouvernement par le Parlement en ouvrant aux parlementaires un droit de recours devant le juge administratif dans trois cas spécifiques : contre le refus du Premier ministre de prendre des décrets d’application ; contre les ordonnances qui outrepasseraient le champ d’habilitation défini par la loi ; enfin, contre les décrets de ratification d’accords internationaux lorsque la ratification de ces accords nécessite une loi.
L’effectivité des lois votées par le Parlement dépend de la publication des mesures réglementaires d’application. Aussi, en permettant la prise de décrets toujours en attente de publication, cette initiative apporte une réponse pertinente ; elle pourrait remédier à des situations de blocage qui demeurent toutefois minoritaires au regard de l’ensemble des lois adoptées chaque année.
Il est également important de préciser que ce texte ne crée pas de nouvelles catégories de recours, mais adapte un recours qui existe déjà.
La commission a procédé à des ajustements. Elle a notamment souhaité limiter le champ des bénéficiaires de cet intérêt à agir aux seuls présidents des deux chambres, ainsi qu’aux présidents de leurs commissions permanentes. Cette position est sensée, dans la mesure où nos commissions permanentes assurent précisément le suivi de l’application des lois.
La commission a également tenu à préciser l’objet des recours pour excès de pouvoir. Ainsi, un recours sera possible contre tous les refus ministériels de prendre un règlement d’application, notamment dans le cas d’arrêtés ministériels, et non plus contre les seuls refus émanant du Premier ministre.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà les raisons pour lesquelles nous approuverons bien sûr cette proposition de loi, qui constitue une réelle avancée – je tiens à remercier nos collègues du groupe du RDSE de cette initiative – en renforçant les moyens du Parlement dans sa fonction de contrôle du Gouvernement et en lui permettant de mieux garantir le respect des intentions du législateur. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera avec enthousiasme en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, SER, UC et Les Républicains.)