M. Max Brisson. Très bien !
M. Jean-Jacques Panunzi. Le drame de Furiani a touché la Corse : il concerne donc la Nation entière et le monde sportif français. Il est temps d’en tenir compte, collectivement, dans un esprit de concorde. C’est un devoir de mémoire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et GEST. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le soleil déclinait et l’ambiance montait. C’était un mardi, c’était il y a bientôt trente ans. La liesse générale faisait battre le cœur de tous ceux venus dans un élan de solidarité assister au match de demi-finale de la Coupe de France qui opposait le Sporting Club de Bastia à l’Olympique de Marseille (OM).
Le rêve était encore permis : l’espoir de victoire, l’engouement terrible de toutes les générations battaient ressac dans les gradins. Le peuple corse tout entier rêvait d’un grand exploit, de lendemains heureux remplis de promesses.
Trois minutes avant le coup d’envoi, dans la ferveur, sous les cris d’espoir et les encouragements, l’inouï, l’inconcevable, l’incroyable, est arrivé pour écrire la page la plus funeste de l’histoire du football français.
La tribune Nord du stade Armand-Cesari s’effondre, se dérobe, happant dans un grondement fracassant trois mille âmes dans le vide.
L’effroi, la stupéfaction, puis l’horreur, celle des décombres, des corps, celle d’une tragédie à ciel ouvert née du choix délibéré de maximiser le profit de cette rencontre au détriment de la sécurité des spectateurs, du choix de l’argent au détriment de la vie. Pour les victimes, pour leurs proches, le 5 mai 1992, c’était hier.
Le texte que nous vous proposons aujourd’hui est la résultante d’une promesse à la hauteur de ce drame national, celle prise par François Mitterrand que « plus aucune rencontre officielle ne [serait] organisée un 5 mai en France », celle qui incarne le courage politique, celui de réparer les manquements, les outrages de ceux qui ont échoué, de ceux qui ont minimisé.
C’est aussi le fruit d’un combat que je salue, celui du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, dont certains de ses membres sont parmi nous aujourd’hui et qui, depuis trente ans, lutte contre l’escalade de l’oubli, en dépit des déceptions, des promesses non tenues, des hésitations des instances du football.
C’est aussi l’émergence de la solidarité qui existe encore au sein de la communauté footballistique, laquelle a largement exprimé en diverses occasions son soutien en faveur d’un gel des matchs.
C’est aussi une volonté de réconciliation du peuple du football avec sa mémoire, l’histoire de la réparation d’un oubli qui dure désormais depuis trop longtemps envers les familles de victimes, lesquelles voient depuis cette triste date leur douleur et leurs droits piétinés.
Car, oui, Furiani porte le sceau d’une trahison, celle des responsables de cette série de dysfonctionnements, de négligences et de fautes irréparables et hélas fatales, et ce au nom de la cupidité.
De tels manquements obligent : ils obligent le service public, l’État et, en l’occurrence, la représentation nationale à agir, lorsque les fédérations et les ligues ne prennent pas spontanément leurs responsabilités.
Certains d’entre vous s’interrogent encore sur la nature de la solution à apporter. En est-il encore temps ? Non. Je crains que l’indifférence ne soit allée trop loin pour que nous puissions aujourd’hui reculer.
Sommes-nous capables, dans un élan d’humanité et de générosité, de voter cette proposition de loi qui ne demande que cinq journées sur les vingt prochaines années, contrainte bien dérisoire pour le calendrier du football lorsque l’on connaît l’imprévisibilité des mouvements sociaux ou des conditions climatiques ?
Aujourd’hui, le temps des questions est révolu. Il est à mes yeux un devoir tout aussi grand que celui de respecter la volonté de nos morts : le devoir d’accompagner ceux qui les pleurent, en leur offrant la possibilité d’honorer dignement leur mémoire.
L’adoption de ce texte n’enlèvera ni la peine de ceux qui ont perdu un proche ni la douleur de ceux qui ont été marqués dans leur chair et qui souffrent encore aujourd’hui dans leur corps, mais il évitera une souffrance de plus, un nouveau désaveu.
Ce que nous nous apprêtons à voter dépasse le football, dépasse la Corse : cette proposition de loi nous concerne tous, elle doit donc nous réunir et nous rappeler le sens du vivre ensemble, l’esprit de communion, la mémoire collective.
Ce texte est aussi l’occasion d’un symbole, d’un message, celui de réaffirmer que la vie peut prendre d’autres chemins que le drame, l’occasion d’inscrire dans le marbre de la loi que l’argent ne peut pas étouffer la vie ni l’oubli sacrifier la mémoire.
Aussi, mes chers collègues, à la suite du vote unanime de l’Assemblée nationale, c’est avec gravité et solennité que je vous demande de bien vouloir adopter sans modification ce texte, afin de ne pas briser l’espoir, juste et humain, de cette reconnaissance tant attendue. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Pierre Ouzoulias et Michel Laugier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la catastrophe de Furiani, qui nous rassemble aujourd’hui autour d’une proposition de loi du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est d’abord un drame humain qui a frappé de très nombreux Corses.
Je souhaite rendre hommage aux 19 morts, aux plus de 2 300 blessés, dont beaucoup gardent encore des séquelles, ainsi qu’à toutes les familles affectées, sur l’île comme sur le continent.
Les tragédies sont sans doute parfois inévitables. Celle-ci résulte d’une succession de mauvaises décisions, de fautes, de manquements, d’une accumulation de défaillances de différents organisateurs du match Bastia-OM, deux équipes qui se retrouvaient en demi-finale de la Coupe de France pour ce qui aurait dû être certes une compétition disputée, mais surtout une fête, comme le sont, comme devraient toujours l’être, les matchs de foot et les compétitions sportives en général. Aux problèmes de conformité des installations qui ont suscité les réserves de la commission de sécurité s’est ajoutée la mise en place d’une double billetterie masquant le nombre réel de spectateurs présents dans la tribune érigée à la va-vite et qui s’est, de ce fait, effondrée.
Comment donc ne pas voir aussi dans ce drame une volonté délibérée de faire passer des intérêts mercantiles avant tout, au détriment de vies humaines ? Il ne s’agit donc pas seulement d’honorer la mémoire des disparus, même si cela est essentiel, et d’apporter de la compassion à leurs proches ; il s’agit à nos yeux de réaffirmer avec gravité, avec force : « Plus jamais cela ! »
Nous nous réjouissons bien évidemment que le contrôle des installations sportives et les procédures d’homologation des équipements recevant des manifestations sportives ou des installations provisoires aient été renforcés. Nous nous réjouissons que la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel aient aussi mis en place des dispositifs permettant de contrôler l’émission de billets par les clubs.
En plus de ces mesures indispensables, les familles des victimes, qui ont reçu de larges soutiens, ont souhaité que les matchs de foot soient gelés à la date du 5 mai. Finalement, ce sont les mêmes intérêts mercantiles qui ont empêché jusqu’à présent, près de trente ans après, de trouver un accord satisfaisant.
Tout cela nous conduit aujourd’hui à légiférer. Beaucoup s’interrogent légitimement sur la pertinence d’en passer par la loi pour commémorer cette date et faire en sorte que plus aucun match n’ait lieu ce jour-là, en tout cas plus de matchs professionnels de ligue 1 et de ligue 2, de matchs de Coupe de France et du Trophée des Champions, puisque c’est de ceux-là qu’il s’agit.
Depuis 2012, le Collectif et les instances du football ont entamé une concertation pour déterminer quelles formes devait revêtir cette commémoration.
Ce n’est que trois ans plus tard, le 22 juillet 2015, sous la pression de l’État qui a essayé de trouver un compromis, qu’un accord a été trouvé, reconnaissant la catastrophe comme « drame national » et comprenant cinq engagements, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur.
Un premier pas a été fait vers le gel des matchs le 5 mai, mais uniquement lorsque cette date se trouve être un samedi. Cet accord demeure partiel et a déjà montré ses limites. Les familles des victimes ont le sentiment que la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel n’ont pas pleinement pris conscience des attentes mémorielles et de la symbolique des enjeux de cette journée.
Cette proposition de loi vise à répondre à ces attentes et notre groupe la votera.
Que personne ne s’inquiète des conséquences économiques d’une telle disposition, si d’aventure certains restaient animés par des intérêts mercantiles : seule une petite demi-douzaine de dates de matchs professionnels sera concernée d’ici à 2040.
N’hésitons pas : adoptons cette proposition de loi en saisissant ce qui est sans doute l’une des dernières chances pour poser cet acte fort à l’occasion du trentième anniversaire de ce drame. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – M. Claude Kern applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des moments de fureur qui ne peuvent pas s’éteindre vraiment, des moments de sidération que l’on ne saurait oublier trop vite, des tragédies qui doivent s’inscrire au-delà des mémoires. Furiani, trente ans plus tard, se rappelle à nous tous les 5 mai – et ce sera indubitablement encore plus vrai le 5 mai 2022.
La catastrophe reste gravée dans la chair et dans les corps, et, dans les esprits, ce sont des absences et d’inévitables questions en suspens, sans réponse. Rien de ce qui s’est passé ce 5 mai n’est anecdotique. Ce n’est pas qu’une histoire de bruit et de fureur, de fracas et de fatalité, c’est aussi et surtout une histoire d’irresponsabilité et d’inconséquence.
De fait, il ne s’agit plus ici de dénouer le fil des responsabilités, alors que justice a été rendue. Il s’agit avant tout de faire en sorte que ce drame soit pour toujours gravé dans les mémoires par une reconnaissance et un hommage qui iraient au-delà des mots. Que de la violence physique, morale et psychique de ce funeste soir, la France se souvienne par un recueillement à la hauteur de l’aberration subie et de la coupable quasi-indifférence qui s’ensuivit.
Ce qui doit rester aujourd’hui de cette soirée tragique, de cette soirée d’insouciance bafouée, de cette soirée de dommages irréversibles aux corps et aux esprits, c’est tout simplement le respect, celui que les vivants doivent aux morts, celui que l’on doit aux accidentés de la vie, celui que l’on doit à ce qui a été jugé et jaugé, celui de la parole donnée aussi. Il y a eu des insuffisances, des failles, des manquements, puis des trahisons : a fortiori, cela nous oblige en tant que Nation.
Faire respecter le 5 mai, c’est d’abord tenir à de vieilles promesses au lendemain d’une infâme, ineffable et incurable incurie : ne plus organiser de rencontres de football le 5 mai, tout simplement.
Il faut, en toute dignité, respecter la parole donnée, respecter le silence des morts et respecter les souffrances des victimes et ne plus taper dans un ballon de ligue 1 et de ligue 2 professionnelles sur aucune pelouse, parce qu’il n’est pas soutenable qu’un terrain de jeu soit devenu, un soir de mai, ce jardin effroyable. Il n’est pas soutenable qu’un 5 mai on puisse, comme si de rien n’était, s’amuser, faire du « football business » sur un rectangle vert, avec des joueurs encouragés par un public plus ou moins mobilisé mais, quoi qu’il en soit, peu concerné et pas assez sollicité pour orienter ses pensées vers les victimes, avec le respect qui leur est dû.
Aujourd’hui, l’incompréhension demeure vive entre les victimes directes ou indirectes de cette catastrophe et les instances nationales du football. C’est dans ce contexte que le trentième anniversaire du drame de Furiani doit mener à un certain apaisement et donner à cette échéance la valeur et la force d’une reconnaissance nationale. Compte tenu des insuffisances du dialogue entre les instances en cause et les victimes, le recours à la loi s’impose comme un pis-aller, à défaut du consensus naturel qui aurait pu – qui aurait dû ! – s’installer ici à l’occasion du souvenir de ce drame épouvantable, fondamentalement évitable, profondément injuste et indignement assumé par les autorités en cause.
Cette proposition de loi paraît équilibrée, en tenant à l’écart de cette indispensable restriction les matchs amateurs et les matchs internationaux. Rien, aucun obstacle technique ou juridique, ne justifie le report éventuel de telle ou telle rencontre après qu’elle aura été décalée.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication, dont je suis membre, prend acte de l’émergence, certes tardive, du compromis qui a été finalement obtenu et a adopté sans modification la proposition de loi. La nécessité de faire œuvre de mémoire et de commémorer le drame de Furiani est désormais unanimement reconnue. L’État a pris ses responsabilités et l’accord du 22 juillet 2015 est venu sceller les fruits de ce dialogue avec le Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992.
Il est regrettable que les instances du football n’aient pas fait preuve d’une empathie ou d’une énergie qui aurait pu dispenser le législateur d’intervenir en première ligne sur ce terrain glissant. En effet, cela pourrait ensuite encourager toutes sortes d’initiatives comparables, plus ou moins légitimes, qui ne relèvent pas forcément du travail ou du rôle des institutions parlementaires.
Cela étant, gardons-nous de faire jouer complaisamment le mauvais rôle aux sénateurs : il ne s’agit pas d’un vote purement technique. La dimension humaine nous invite non pas seulement à une cohérence intellectuelle, mais aussi à une ouverture du cœur.
Dès lors, dans sa majorité, le groupe Union Centriste ne participera pas au vote de ce texte, afin de permettre son adoption rapide. Pour ma part, compte tenu des éléments fondamentaux, facilitateurs et opportunément orientés que je viens d’évoquer, mais aussi de l’équilibre qui a été trouvé, je plaide pour un vote positif, ma conviction étant que ce texte mérite qu’on l’approuve. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, la tribune Nord du stade Armand-Cesari s’effondrait à Furiani il y a vingt-neuf ans, faisant 19 morts et plus de 2 300 victimes. Ce drame, survenu le 5 mai 1992, est encore aujourd’hui source de profonde affliction pour les victimes et pour leurs familles. Je souhaite à mon tour leur rendre hommage au nom du groupe RDSE et en mon nom personnel.
Permettez-moi également de saluer ici la mémoire de Bernard Tapie, dont on se rappelle la bravoure lors de cette catastrophe à laquelle il était présent, lui qui n’a pas hésité à rejoindre les équipes de secours pour tenter de sauver des décombres les supporters immobilisés.
Par-delà la question des effets de ce texte sur les compétitions de football professionnel, je tiens à souligner l’importance des enjeux soulevés par cette proposition de loi que sont la mémoire, la commémoration et la résilience.
Cependant, bien que je sois bien évidemment en accord avec le fond de ce texte, mes collègues du RDSE et moi-même nous interrogeons sur la pertinence de recourir à la loi pour régler cette question. En l’espèce, le législateur tente de réguler une situation qui, à nos yeux, relève d’abord de la compétence des instances sportives autonomes que sont la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel. Ces dernières se disent de leur côté prêtes à étendre les hommages, mais sans interdire les matchs. Je rappelle que la LFP plaide « en faveur d’une commémoration renforcée sur tous les terrains de France ».
Aussi, plutôt que d’interdire la tenue des matchs de football professionnel tous les 5 mai, il m’aurait paru plus convaincant de suivre l’exemple de nos voisins anglais. Après la catastrophe du stade d’Hillsborough qui a provoqué la mort de 96 personnes en 1989, divers dispositifs, tels que l’instauration d’une minute de silence, ont été mis en place en Angleterre.
Toutes les initiatives sont les bienvenues. Je pense par exemple au port d’un brassard noir. Je salue en ce sens l’action de l’AS Saint-Étienne (ASSE) qui, à l’occasion d’un match se tenant le 5 mai 2019, a créé des maillots spéciaux portant l’inscription « L’ASSE n’oubliera jamais, 5 mai 1992 ».
D’autres pays touchés par ce type de drame, comme la Grèce en 1981 ou la Belgique en 1985, ont également mis en place des dispositifs mémoriels équivalents, sans jamais annuler un match en guise de commémoration.
La mémoire ne résonne pas dans le silence. Si l’émulation est l’essence du football, comme le disait Pierre de Coubertin, alors nous devons honorer les victimes par le jeu, par la passion, par la ferveur, par le fait de laisser s’épanouir ce ciment social qu’est le football. Nous le savons, la pandémie de covid-19 a confiné nos stades et nos supporters trop longtemps. Les matchs à huis clos ne sont désormais plus qu’un mauvais souvenir, pour les supporters comme pour les joueurs, qui ont tous reconnu que jouer dans un stade vide ne procurait pas du tout les mêmes sensations.
Laissons vivre le souvenir dans l’action, dans l’émulation collective. Rendons hommage aux victimes en entretenant la flamme de leur passion.
En outre, pourquoi légiférer presque trente ans après le drame ? Il me paraît inopportun d’associer les auteurs de ce texte au phénomène de surenchère législative puisque la production de lois mémorielles relève de notre devoir de mémoire.
Le dispositif principal de cette proposition est à mes yeux contradictoire. Ne commémorons pas nos victimes dans le silence, mais faisons-le ensemble : taisons-nous ensemble pour elles, applaudissons-les ensemble, souvenons-nous ensemble.
Pour toutes ces raisons, notre groupe, à l’exception de l’un de ses membres, Jean-Noël Guérini, qui le votera par solidarité corse, ne prendre pas part au vote, bien que, je le répète, nous ne remettions pas en cause le fond de ce texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a près de trente ans, le 5 mai 1992, le Sporting Club de Bastia recevait dans son stade Armand-Cesari de Furiani l’Olympique de Marseille pour une place en finale de la Coupe de France de football.
Dès l’issue du tirage au sort et dans le cadre de la préparation de cette affiche, les autorités du club corse décidèrent de maximiser les capacités d’accueil du public et des supporters des deux équipes, intention traduite par la démolition de la tribune Nord Claude Papi le 28 avril 1992, qui avait une jauge de 800 spectateurs, et son remplacement par une autre, provisoire, qui en décupla le nombre de places. En moins de dix jours, la capacité du stade était portée de 6 800 spectateurs à près de 18 000.
Un accord oral est alors conclu par les autorités du club avec le directeur général de l’entreprise niçoise Sud-Tribunes. Responsable du chantier, celui-ci décidera de parer au manque de temps et de main-d’œuvre en procédant à un mixage de deux types de matériels : des éléments métalliques approuvés par la Société de contrôle technique et d’expertise de la construction (Socotec) et complétés par des éléments réservés d’ordinaire aux échafaudages.
À la suite d’un compactage également réalisé le 28 avril 1992, cette société de contrôle technique, agréée par l’État, rendra un avis favorable sur la solidité du sol d’assise, préalable à l’édification de la nouvelle structure.
Du côté des instances, la commission départementale de sécurité présidée par le directeur de cabinet du préfet se réunit à plusieurs reprises et décide finalement, quelques heures avant le début du match, qu’il n’y a pas lieu d’interdire la rencontre. L’enquête révélera par la suite la falsification de plusieurs procès-verbaux, ainsi que la mise en place d’une billetterie parallèle, assortie de comptes de recettes sous-évalués.
Ainsi de nombreuses irrégularités furent-elles commises, expliquées par l’appât du gain.
Les conséquences, terribles, conduisent à l’effondrement quelques minutes avant le début de la rencontre de 4 000 des quelque 10 000 places installées à la hâte, irrégulièrement et au mépris des règles élémentaires : absence de contrat écrit, absence de plans et de notes de calculs, absence de registre de sécurité. La catastrophe est vécue en direct à la télévision par des millions de Français. Le bilan, dramatique, s’établira finalement à 19 morts et 2 357 blessés, soulevant une très vive émotion dans tout le pays.
Dès le lendemain, le président François Mitterrand se rend à Bastia au chevet des victimes et déclare que plus aucun match de football ne sera joué en France un 5 mai.
Le 15 décembre 1995, la cour d’appel de Bastia confirme la condamnation du dirigeant de l’entreprise Sud-Tribunes à deux ans de prison ferme pour homicide et blessures involontaires et prononce huit peines de prison avec sursis assorties d’amendes à l’encontre du directeur de cabinet du préfet, d’un agent de la Socotec et de responsables de la Ligue de football corse, de dirigeants du Sporting Club de Bastia et de la Fédération française de football.
Dans l’opinion, ce jugement fut relativement mal reçu, étendant à l’autorité judiciaire le sentiment de défaillance global caractérisant cette affaire.
Depuis, pouvoirs publics, société civile et acteurs sportifs cheminent et tentent de s’entendre sur la réalisation d’un hommage aux victimes durable, le plus digne et le plus large possible. Toutefois apparaissent des conceptions opposées sur les façons de commémorer.
Là où la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel défendent une vision active du souvenir comme meilleur rempart à l’oubli et encouragent le déroulement des compétitions auxquelles seraient associés des gestes symboliques, les survivants et proches des victimes, pour certains réunis au sein du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, souhaitent quant à eux une trêve d’une journée dédiée à l’entretien du souvenir et au recueillement.
Dans ce travail mémoriel, une avancée importante est réalisée avec la mise en place de l’accord du 22 juillet 2015, soit cinq engagements collectivement pris, sous la direction de Thierry Braillard, alors secrétaire d’État chargé des sports. La reconnaissance des événements survenus à Furiani en tant que drame national est actée. Un ensemble d’actions concernant la promotion des valeurs éthiques et citoyennes du sport au sein des établissements scolaires sont instaurées, dont nous apprendrons par les différents acteurs auditionnés dans le cadre de l’examen de ce texte qu’elles sont très largement négligées.
Aujourd’hui, la proposition de loi et son article unique visent à franchir une étape supplémentaire dans la reconnaissance du drame de Furiani en insérant dans le code du sport une disposition neutralisant la tenue des matchs de football professionnel en France – ligue 1, ligue 2, Coupe de France, Trophée des Champions – à la date du 5 mai, dérogeant ainsi aux modalités actuelles d’organisation du calendrier concerné.
Cette mesure soulève quelques interrogations.
D’abord, elle acte la remise en cause du principe même de l’autonomie du mouvement sportif, c’est-à-dire le droit de chaque ligue sportive et fédération délégataire, chargée d’une mission de service public déléguée par l’État, de fixer, en vertu des articles L. 131-1 du code du sport et suivants, le calendrier des manifestations qu’elles organisent pour leurs licenciés, en constituant une forme d’ingérence.
Par ailleurs, nous pouvons questionner l’opportunité et le bien-fondé d’une réponse législative face à la revendication d’un groupe et aux attentes d’une partie de la collectivité nationale.
Pour quels motifs pertinents devrions-nous circonscrire ce dispositif dérogatoire au football professionnel ? D’autres matières pourraient-elles se voir elles aussi frappées par cette sanctuarisation de la date du 5 mai, par solidarité interdisciplinaire ? Quid du traitement mémoriel des catastrophes pouvant survenir à l’avenir dans d’autres secteurs accueillant du public, comme la culture, l’enseignement, etc. ?
Nous revient-il de légiférer sur le calendrier des matchs de football ?
M. Stéphane Piednoir. Non !
M. Jean-Jacques Lozach. Une étude d’impact aurait certainement permis de sécuriser davantage cette mesure restreignant les champs de compétences de la Fédération française de football et de la Ligue de football professionnel.
Les auteurs de ce texte proposent un rattrapage, voire une réparation, vis-à-vis de ce qui aurait dû être réalisé au cours de ces décennies afin de panser les plaies d’un profond traumatisme. Les réponses apportées sur le long terme ont été insuffisantes.
Si les propos de François Mitterrand n’ont pas pu être traduits en actes, ce drame a toutefois placé certains acteurs du football professionnel face à leur cupidité, en exposant publiquement le risque que l’on encourt à faire passer des intérêts économiques avant la sécurité des équipements recevant du public.
Comme trop souvent, c’est un choc qui conduit à la prise de conscience collective de la nécessité de faire évoluer les normes concernant la conception des enceintes sportives, l’accueil des supporters et la sécurité des compétitions. Il en a également été ainsi à la suite de l’accident le plus dramatique de l’histoire du sport français, qui causa la mort de 84 personnes lors des 24 heures du Mans de 1955.
En matière d’infrastructures, les efforts doivent être poursuivis par la mise en œuvre d’un plan d’investissement massif en faveur d’une modernisation de nos équipements sportifs, dont l’ancienneté, la vétusté et l’inadéquation à la spécialisation des activités sportives desservent le développement des pratiques et nuisent aux résultats de nos athlètes dans les compétitions internationales.
En 2009, la Cour des comptes pointait déjà ces carences en reprenant une estimation des économistes Jean-François Bourg et Jean-François Nys, qui chiffraient à 21 milliards d’euros le montant nécessaire à la rénovation du patrimoine sportif français, 6 milliards d’euros devant être attribués à la mise en conformité des installations et 15 milliards d’euros à l’adaptation des équipements aux nouvelles attentes des pratiquants.
Selon l’Association nationale des élus en charge du sport (Andes), 22 % des installations sportives ont plus de cinquante ans et deviennent obsolètes, voire inutilisables, 42 % des équipements ont plus de 36 ans, 7 équipements sur 10 n’ont jamais été rénovés, entraînant la saturation précoce de créneaux de pratique et le refus des clubs de valider de nouvelles adhésions. Les complexes aquatiques sont d’ailleurs plus vieillissants que la moyenne des équipements : 63 % ont plus de 25 ans et 50 %, plus de 36 ans.
Aussi n’est-il pas étonnant que l’Andes monte au créneau sur ce sujet en demandant une loi de programmation à hauteur d’un milliard d’euros, étalée sur cinq ans.
Madame la ministre, 21 milliards d’euros sont nécessaires à la rénovation de nos équipements sportifs. Ce n’est pas rien, surtout si l’on rapporte cette somme aux crédits alloués au sport pour 2022 dans le contexte particulier de la préparation des jeux Olympiques de 2024, soit 987 millions d’euros !
Au cours de la cérémonie en l’honneur des médaillés olympiques de Tokyo, le 13 septembre dernier, le Président de la République annonçait un plan massif en faveur des équipements sportifs de proximité pour la période 2022-2024, un plan inédit, déclarait-il, tant « par son ampleur » que « par son esprit ». Nous attendons de connaître les nouveaux schémas de financement, de construction et d’utilisation des lieux évoqués à cette occasion.
Aujourd’hui, alors que l’agenda présidentiel est essentiellement consacré au sport, nous aurons sans doute des réponses. Les collectivités locales ou les intercommunalités, propriétaires de la quasi-totalité de ces équipements, doivent être accompagnées.
Pour revenir à la proposition de loi, malgré nos réserves, solidaires du large consensus manifesté par nos collègues députés sur un texte consolidé en séance, saluant la mémoire des victimes et leurs familles, soucieux de répondre à l’aspiration mémorielle d’une partie de nos concitoyens, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront favorablement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)