Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.
2. Hommage à Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération
3. Questions d’actualité au Gouvernement
déploiement du plan france 2030 (i)
Mme Mélanie Vogel ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Mélanie Vogel.
gestion des flux migratoires entre la france et le royaume-uni
M. Jean-Pierre Decool ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.
M. Roger Karoutchi ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Roger Karoutchi.
assassinat de samuel paty, un an après
M. Pierre-Antoine Levi ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; M. Pierre-Antoine Levi.
revenu d’engagement des jeunes (i)
M. Pascal Savoldelli ; Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ; M. Pascal Savoldelli.
déploiement du plan france 2030 (ii)
Mme Patricia Schillinger ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Rachid Temal ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Rachid Temal.
vaccination à saint-pierre-et-miquelon
M. Stéphane Artano ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Stéphane Artano.
M. Daniel Gremillet ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Daniel Gremillet.
revenu d’engagement des jeunes (ii)
Mme Monique Lubin ; Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ; Mme Monique Lubin.
situation des urgentistes dans le cher
M. Rémy Pointereau ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Rémy Pointereau.
cloud de confiance et stratégie pour notre souveraineté
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Catherine Morin-Desailly.
M. Jérôme Bascher ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail ; M. Jérôme Bascher.
rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église
M. Hervé Gillé ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Hervé Gillé.
Mme Céline Boulay-Espéronnier ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; Mme Céline Boulay-Espéronnier.
M. Jean Hingray ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
Conclusions de la conférence des présidents
5. Mises au point au sujet de votes
6. Candidatures à des commissions
7. Candidatures à des commissions mixtes paritaires
8. Vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi
M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 rectifié quater de Mme Sylviane Noël. – Rejet par scrutin public n° 7.
Amendement n° 2 rectifié de M. Bernard Jomier. – Rejet.
Rejet, par scrutin public n° 8, de l’article unique de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
9. Candidatures à une commission mixte paritaire
10. Intégration des jeunes majeurs étrangers. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 3 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 1 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Rejet de l’article.
Amendement n° 4 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 2 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Rejet de l’article.
Rejet, par scrutin public n° 9, de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
11. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Clément Beaune, secrétaire d’État
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
12. Ordre du jour
Nomination de membres de commissions
Nomination de membres de commissions mixtes paritaires
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage à Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion que nous avons appris hier la disparition d’Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération, qui vient d’entrer dans l’Histoire. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)
Il fut, comme le déclarait le général de Gaulle, le dernier membre de « cette chevalerie exceptionnelle, créée au moment le plus grave de l’histoire de la France fidèle à elle-même, solidaire dans le sacrifice et dans la lutte ».
C’est ce chevalier des temps modernes que nous honorons aujourd’hui.
Fils d’un officier général issu des troupes coloniales, Hubert Germain naît le 6 août 1920 à Paris. Il prépare le concours de l’École navale au lycée Michel-de-Montaigne de Bordeaux, au moment de la déclaration de guerre.
Après la défaite, Hubert Germain décide de continuer le combat et part de Saint-Jean-de-Luz pour rejoindre l’Angleterre. À l’Olympia Hall de Londres, il rencontre le général de Gaulle et s’engage immédiatement dans les Forces françaises libres.
Au printemps 1941, il est affecté, en Palestine, à la 1re division française libre, la célèbre 1re DFL. Il participe alors à la campagne de Syrie.
En février 1942, il est affecté à la 13e demi-brigade de Légion étrangère. Il participe à la bataille de Bir Hakeim ; le père de notre collègue Pierre Frogier, clairon du bataillon du Pacifique, était à ses côtés. Il prend ensuite part à la bataille d’El-Alamein, puis à la campagne de Tunisie.
Le 24 mai 1944, pendant la campagne d’Italie, près de Monte Cassino, il est grièvement blessé. Évacué à Naples, il est décoré de la Croix de la Libération par le général de Gaulle.
En août 1944, il reprend le combat : il participe au débarquement de Provence et aux combats de la 1re armée française, qui remonte la vallée du Rhône vers l’Allemagne.
Après la guerre, il devient aide de camp du général Kœnig, qui commande les Forces françaises d’occupation en Allemagne.
Ce soldat exemplaire s’engagera dans la vie politique au service de ses concitoyens.
Il est maire de Saint-Chéron dans l’Essonne, alors dénommée la Seine-et-Oise, puis député du XIIIe arrondissement de Paris.
Il devient ministre des postes, télégraphes et téléphones, puis ministre chargé des relations avec le Parlement dans les gouvernements de Pierre Messmer.
À partir de 2010, Hubert Germain est membre du Conseil de l’Ordre de la Libération. Il est pensionnaire de l’Institution nationale des Invalides à Paris. Le général Thierry Burkhard, à l’époque chef d’état-major de l’armée de terre, lui rend visite le 31 juillet 2019, le jour même de sa prise de fonction.
Par décret du 25 novembre 2020, Hubert Germain est nommé Chancelier d’honneur de l’Ordre de la Libération.
Le 11 juin dernier, anniversaire du dernier jour de la bataille de Bir Hakeim, une cérémonie est organisée en son honneur sous ses fenêtres, aux Invalides.
Le 11 novembre prochain, lui, le dernier des 1 038 compagnons de la Libération, sera inhumé dans la crypte du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien, où le dernier caveau l’attendait, comme le souhaitait le général de Gaulle.
Il rejoindra ses seize premiers compagnons qui y reposent déjà. Certains sont d’ailleurs tombés à ses côtés lors de la bataille d’El-Alamein et de la campagne d’Italie.
Hubert Germain n’a jamais cessé de résister. À plus de 100 ans, il déclarait : « Quand le dernier d’entre nous sera mort, la flamme s’éteindra. Mais il restera toujours des braises. Et il faut aujourd’hui en France des braises ardentes ! »
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous demande d’observer une minute de silence en hommage à Hubert Germain et à l’ensemble des compagnons de la Libération. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent une minute de silence.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres, ainsi que du temps de parole. Nous avons rappelé cet impératif lors de la conférence des présidents.
déploiement du plan france 2030 (i)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Notre collègue effectue ce jour sa première intervention en séance publique : je lui souhaite la bienvenue. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDPI.)
Mme Mélanie Vogel. Merci beaucoup, monsieur le président.
Madame la ministre de la transition écologique, j’ai écouté hier avec beaucoup d’attention, comme la plupart d’entre nous, j’imagine, les annonces du Président de la République sur le plan France 2030.
Et je dois dire que je n’ai pas tout compris !
Sur les 8 milliards d’euros annoncés sur l’énergie, même pas 10 % concernent les énergies renouvelables, et il n’y a rien sur l’efficacité énergétique et la sobriété. Or nous savons, vous savez que ce sont les clés de la transition énergétique.
Je me suis demandé si c’était bien le plan France 2030, parce qu’il ressemble terriblement au plan France 1970 que mes parents ont connu. (Murmures de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Certes, il y a une différence, et elle est de taille : on passe de milliards d’euros investis dans des gros réacteurs très chers, qui ne marchent peut-être pas, à des milliards d’euros investis dans des petits réacteurs très chers, qui ne marchent peut-être pas non plus… (Rires sur diverses travées.)
Ce qui est grave, au fond, c’est que, alors que nous avons des solutions alternatives avec les énergies renouvelables, plus sûres, moins chères… (Marques de désapprobation sur les travées à droite et au centre.) Messieurs, contrôlez vos émotions ! (Murmures sur les mêmes travées.) Ce sont des énergies décentralisées, qui garantissent des emplois locaux non délocalisables, et ces milliards d’argent public gaspillés dans le nucléaire vont nous manquer pour investir dans la rénovation des bâtiments, mais aussi dans les services publics, dans l’école, dans la culture, dans les hôpitaux.
Madame la ministre, ma question est simple : quelle perspective offrons-nous, en France, aux générations futures, si nous décidons d’être la seule Nation au monde à investir dans une énergie du passé…
M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas vrai !
Mme Mélanie Vogel. … et à y engloutir des milliards d’euros si nécessaires pour construire un avenir durable et solidaire ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice Vogel, au nom du Gouvernement, je vous adresse toutes mes félicitations pour votre élection. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ce plan France 2030, il faut bien le voir comme faisant partie d’un ensemble pour l’avenir. En tant que responsable de la politique énergétique de ce pays, mon rôle est de faire en sorte, d’abord, que nous atteignions nos objectifs de baisse d’émissions de gaz à effet de serre, et, ensuite, que tous nos concitoyens puissent avoir accès à l’électricité dont ils auront besoin dans les années, les décennies à venir.
Pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre, madame la sénatrice, il y a deux solutions.
La première solution, que vous avez soulignée à juste titre, c’est de faire des économies d’énergie. Or nous avons en France un plan massif d’économies d’énergie, notamment dans l’habitat, avec MaPrimeRénov’ et tout ce que nous avons inscrit dans le plan de relance pour isoler les bâtiments et améliorer leur consommation d’énergie. Par ailleurs, nous aidons les entreprises à se décarboner.
La seconde solution, c’est de limiter notre consommation de pétrole, qui représente, vous le savez, les deux tiers de la consommation d’énergie en France. Pour ce faire, il convient de reporter des utilisations de pétrole vers l’électricité, par exemple en faisant passer le parc automobile du thermique à l’électrique. Or nous savons que ce choix va entraîner une augmentation très forte de la demande d’électricité dans les décennies à venir.
M. Vincent Segouin. Eh voilà !
Mme Barbara Pompili, ministre. En dix ou quinze ans, nous n’avons pas le temps, quand bien même nous le souhaiterions, d’avoir assez de réacteurs nucléaires ; donc nous devons développer énormément les énergies renouvelables. Mais, pour la suite, et nous en reparlerons au moment où RTE sortira ses travaux, il va falloir faire des choix entre plusieurs options. Aujourd’hui, sur le nucléaire, nous avons besoin d’autres solutions que les EPR. C’est ce à quoi sert le plan France 2030 : investir dans un certain nombre de nouvelles technologies, y compris renouvelables, pour pouvoir être prêts à affronter l’avenir.
France 2030, c’est la souveraineté écologique.
France 2030, c’est tout simplement anticiper l’avenir en investissant dans la recherche, ce dont nous avons bien besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour la réplique.
Mme Mélanie Vogel. Merci beaucoup de cette réponse. J’avais également une autre petite question : pourquoi le Président de la République s’est-il lié en parlant d’hydrogène vert, lequel est issu des renouvelables, alors que, nous le savons, l’hydrogène que vous avez prévu est de l’hydrogène jaune, qui vient, lui, du nucléaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marie-Pierre Monier et M. Yan Chantrel applaudissent également.)
gestion des flux migratoires entre la france et le royaume-uni
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le ministre de l’intérieur, dans les Hauts-de-France, vous êtes venu délivrer un message ferme à propos de l’épineuse maîtrise des flux migratoires entre la France et le Royaume-Uni.
En septembre, les Britanniques avaient fait monter la pression en annonçant vouloir réviser leur interprétation du droit de la mer. Vous aviez déjà tiré la sonnette d’alarme sur un tel comportement, qui plus est dangereux pour les personnes tentant cette périlleuse traversée.
La pression migratoire s’accentue et nous observons une hausse exponentielle du nombre de tentatives pour rejoindre l’eldorado britannique. Ceux que l’on appelle les « petits bateaux » ont été deux fois plus nombreux à atteindre les côtes anglaises cet été. Ces frêles embarcations sont dangereuses et les personnes qui les empruntent sont fragiles.
La gestion de cette frontière est un vieux « serpent de mer » encadré par de nombreux accords, notamment ceux du Touquet en 2003.
Dernièrement, un accord a été conclu concernant le financement du renforcement des forces de l’ordre françaises sur nos côtes. Le Royaume-Uni nous doit plus de 62 millions d’euros sur deux ans. Vous avez réclamé le montant de cette dette. En réponse, les Britanniques nous en ont promis le paiement. Avez-vous des précisions sur ce point ?
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la révision de certains traités et négociations. Nous devons dénoncer les accords du Touquet et imaginer une nouvelle relation. Le Brexit aurait pu être le moment de ces renégociations. Nous l’avons manqué ! Le Gouvernement compte-t-il s’emparer de ce sujet à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne ?
Enfin, monsieur le ministre, sur le terrain, les forces de l’ordre et de sécurité disposent des équipements de haute technologie existants. Je pense aux drones, qui, pour l’heure, ne peuvent pas être utilisés. Pourtant, dans le cas qui nous occupe, une utilisation nocturne des drones à détection thermique serait déterminante. Pouvons-nous espérer une solution rapide sur ce dossier ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Stéphane Artano applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Très bonne question !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Decool, vous m’avez accompagné, avec d’autres élus, lors d’un énième déplacement dans la région des Hauts-de-France, plus précisément dans le Nord et dans le Pas-de-Calais.
Je veux répondre très concrètement à votre interrogation en cinq points.
Premier point : oui, vous avez raison, le gouvernement britannique a fait savoir, dimanche soir, par la voix de sa ministre de l’intérieur, qu’il paierait les 62 millions d’euros prévus dans le cadre de l’accord pour renforcer la protection de la frontière que nous gardons pour nos amis et alliés anglais. C’était bien la moindre des choses, et je l’en remercie. Je savais que les Anglais étaient des femmes et des hommes d’honneur.
Deuxième point : nous sommes très attachés au respect du droit de la mer – je regarde le ministre des affaires étrangères, avec qui je travaille sur cette question –, un droit exigeant, un droit qui respecte la souveraineté des États et l’humanité des personnes ; nous n’imaginons pas que les Anglais puissent le bafouer.
Troisième point : je veux souligner que ce problème est évidemment européen. Il faut ainsi savoir que 50 % à 60 % des migrants qui se présentent à Dunkerque et à Calais viennent de Belgique. J’ai donc donné des consignes très strictes, à la demande du Premier ministre, au préfet de la région Hauts-de-France pour mieux tenir la frontière avec nos amis belges et leur faire aussi passer le message qu’il leur revenait de maîtriser cet afflux de migrants, qui touche Dunkerque, Grande-Synthe, Calais et, de manière générale, les Hauts-de-France.
Quatrième point : oui, nous devons négocier un nouveau traité avec nos amis britanniques, puisqu’il est évident que nous avons manqué quelque chose au moment du Brexit. J’ai eu l’occasion de le dire, je regrette que M. Barnier n’ait pas pu négocier ce point de désaccord avec la Grande-Bretagne. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce sera à nous, lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, de jeter les bases d’un nouveau traité Grande-Bretagne-Europe, et ce sujet sera évidemment sur la table des négociations.
Cinquième point, enfin : je veux redire mon soutien aux forces de l’ordre et, évidemment, mon attachement aux nouvelles technologies qui les équipent. Je sais que le Sénat accompagnera sans doute cette demande quand nous aurons à faire voter, dans quelques jours – M. le sénateur Daubresse le sait bien –, une disposition qui nous permettra de faire enfin voler des drones pour lutter contre l’immigration irrégulière. J’espère alors retrouver une unanimité aussi forte que celle qui a caractérisé votre question, pour assurer la protection de notre territoire et de la vie humaine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
place de la france en afrique
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre des affaires étrangères, au moment où le président algérien Tebboune fustige la politique française en matière migratoire ; au moment où l’on apprend le report du sommet sur la francophonie, qui devait se tenir en Tunisie ; au moment où les gouvernants maliens et centrafricains contestent la politique militaire et le niveau de la présence des forces françaises dans leur pays ; au moment où le Sénégal proteste contre le retrait des capitaux et des investissements français au profit des investissements chinois ; au moment où les établissements français installés en Afrique, notamment nos établissements culturels, se plaignent du manque de moyens, y a-t-il encore une politique française en Afrique ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président Karoutchi, au moment où (Sourires.) le président Tshisekedi considère que le président Macron est l’interlocuteur de l’Europe pour le développement de l’Afrique ; au moment où nous commençons à sentir les effets de la grande conférence qui s’est tenue à Paris, sur l’initiative du président Macron, le 18 mai dernier, pour la mobilisation d’un nouveau pacte de relance pour l’Afrique ; au moment où les responsables politiques d’Afrique du Sud reconnaissent, après le déplacement du président Macron à Pretoria, l’action de la France pour lutter contre les risques pandémiques et permettre la production de vaccins à partir de leur pays ; au moment où, au Sénégal, on développe un hub universitaire franco-sénégalais qui fait l’admiration de tous, en même temps que l’on construit, en relation avec le président Macky Sall, une unité de production de vaccins ; au moment où nous préparons un sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, sous présidence française, pour développer une nouvelle charte de la relation entre l’Europe et l’Afrique… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je peux continuer, monsieur Karoutchi : au moment où le niveau de l’aide au développement de l’Afrique n’a jamais été aussi substantiel, ce qui est reconnu par tous, y compris dans cette même assemblée ; au moment où, au Sahel, nous sommes à la tête d’une coalition regroupant soixante pays, dont une dizaine d’européens, qui sont convaincus que leur sécurité se joue aussi là, alors oui, monsieur le président Karoutchi, il y a vraiment une politique africaine de la France qui est reconnue par beaucoup de chefs d’État et de gouvernement, mais aussi par les sociétés africaines, comme elles l’ont marqué lors du sommet de Montpellier, voilà quelques jours.
Oui, il y a une politique africaine de la France et ce n’est pas la Françafrique ! Peut-être est-ce ce qui vous dérange,…
M. Roger Karoutchi. Oh non !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … mais la Françafrique n’est plus. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, je veux vous rassurer, je ne suis pas un nostalgique de la Françafrique.
M. Roger Karoutchi. Mais au moment où la Chinafrique investit massivement, souvent à notre place, obtenant des positions beaucoup plus importantes que les nôtres ; au moment où la Russafrique envoie les milices Wagner et des conseillers militaires dans des pays qui étaient traditionnellement sous influence française ; au moment où la Chinafrique, encore elle, au Sénégal ou à Djibouti, installe des bases militaires, peut-être la France doit-elle s’interroger sur la réalité de sa relation avec l’Afrique.
Je vous le concède, monsieur le ministre, le problème ne date pas de trois ou quatre ans : depuis dix ans, un doute s’est installé sur ce que nous sommes censés faire aux niveaux économique, financier – regardez ce qui se passe avec le franc CFA et nos investissements –, ainsi que migratoire. Nous avons du mal à gérer tout cela, et il nous faut revoir complètement la politique française en Afrique. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
assassinat de samuel paty, un an après
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Ce samedi 16 octobre, cela fera très exactement un an que Samuel Paty a été assassiné, victime d’un attentat islamiste.
Depuis, de très nombreux hommages lui ont été rendus. Le groupe Union Centriste s’y joint encore aujourd’hui.
Son image est devenue un symbole de la défense de la liberté d’expression et de la lutte contre la poussée islamiste dans l’éducation nationale.
À l’approche du triste anniversaire de sa mort, monsieur le ministre, votre ministère a proposé aux établissements qui le souhaitent d’organiser un nouvel hommage ce vendredi. Vous avez par ailleurs annoncé que, dans chaque rectorat de France, une salle porterait le nom de Samuel Paty.
Nous ne pouvons que souscrire à ces initiatives, mais le mal est bien plus profond et ne se réglera pas par la seule commémoration.
Un an après, le docteur en sciences politiques et romancier David di Nota, dans son livre-enquête J’ai exécuté un chien de l’enfer, dénonce l’attitude de la hiérarchie de Samuel Paty, qui lui aurait demandé dans un premier temps de s’excuser, avant de lui reprocher de ne pas suffisamment maîtriser le concept de laïcité.
En entendant cela, c’est un sentiment de colère qui m’envahit.
L’éducation nationale aurait-elle déjà cédé face à la pression islamiste pour ne pas faire de vagues ? Si tel n’est pas le cas, monsieur le ministre, quelles mesures concrètes ont été prises depuis l’assassinat de Samuel Paty pour y faire face, en particulier pour soutenir les enseignants menacés et les protéger ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’abord d’avoir rappelé les mesures que nous avons prises pour la commémoration en tant que telle. C’est très important.
Vendredi prochain, notamment lors de la dernière heure de cours, des minutes de silence, des moments dédiés à l’enjeu de la liberté, à la place de l’éducation et du professeur dans notre société, auront lieu dans nos écoles, collèges et lycées.
Samedi, jour de ce triste anniversaire, il y aura une série de commémorations. Je serai au collège de Conflans-Sainte-Honorine et nous inaugurerons une plaque commémorative en présence de la famille de Samuel Paty.
Il est très important que tout cela se passe dans l’unité nationale, dans la dignité, dans le recueillement, parce que, comme vous l’avez dit, Samuel Paty est devenu maintenant un symbole, l’emblème de la République et de la liberté.
Je suis d’accord avec vous, la commémoration ne suffit pas. Il y a bien d’autres problèmes sous-jacents sur lesquels il faut agir. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait.
Je n’entrerai pas dans le détail des commentaires qui sont faits sur ce qui s’est passé avant et après l’assassinat. N’oubliez pas qu’il y a une procédure judiciaire et que les faits font encore l’objet d’investigations. En revanche, je puis vous dire qu’aussi bien la principale du collège que les instances de l’académie de Versailles ont été aux côtés de Samuel Paty avant le drame.
Il importe d’éviter de rapporter des éléments parcellaires ou de se mettre à condamner très facilement des gens qui, au contraire, ont fait leur travail. Malheureusement, la tragédie a eu lieu. Aujourd’hui, elle nous conduit à agir sur toutes les dimensions du problème.
Vous le savez, et je l’ai dit dès 2017, la doctrine du ministère de l’éducation nationale n’est pas ou n’est plus, si vous préférez, de mettre les problèmes sous le tapis. Tous les signalements remontent, et je veux adresser ce message à tous les professeurs : quand il y a un problème, l’institution est là pour vous soutenir. Des équipes ont ainsi été créées dans les rectorats pour venir dans les établissements lorsqu’il y a des problèmes de ce type.
Certes, il y a encore des incidents et la situation n’est pas parfaite. Je le reconnais bien volontiers. Cependant, nous avons tout mis en place pour que la doctrine soit claire et se concrétise dans l’organisation : soutien à tous les professeurs et à tous les personnels ; visites des équipes dédiées dans les établissements. Une autre traduction de cette doctrine est la mise en œuvre d’un plan de formation sur la laïcité, les enjeux et les valeurs de la République, à destination de l’ensemble des professeurs de France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.
M. Pierre-Antoine Levi. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Tout cela est très bien, mais, ce que veulent les enseignants, c’est exercer leur métier en toute sécurité. Il y a encore eu des agressions d’enseignants ces derniers jours, à Combs-la-Ville et à Boulogne-sur-Mer. Tous les enseignants de France attendent fermement des mesures concrètes de votre part. Ne les décevez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jérôme Bascher applaudit également.)
revenu d’engagement des jeunes (i)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, depuis le début de la crise, nous voyons régulièrement ces images choquantes de centaines de jeunes faisant la queue pour recevoir des paniers alimentaires.
Emmanuel Macron avait annoncé le projet de revenu d’engagement pour les jeunes, le 12 juillet dernier. Ce dispositif devait permettre d’atteindre l’ensemble des jeunes sans travail ou sans formation, mais son ambition a depuis été revue à la baisse, puisque le nombre de jeunes pouvant y aspirer a été réduit de plus de moitié, moins de 500 000 jeunes étant désormais concernés.
Aujourd’hui, il semblerait même que le projet soit enterré. Un article du journal Libération daté d’aujourd’hui cite à ce sujet un élu : « Ce n’est pas au moment où l’on manque de serveurs ou de personnes sur les chantiers qu’il faut laisser penser qu’on va filer 500 euros aux jeunes. » C’est donc cela, l’horizon que l’on propose à une partie de la jeunesse ? La précarité ! Travaille et tais-toi !
Concrètement, madame la ministre, qu’en est-il de ce dispositif ? Qui pourra y prétendre si ce projet voit le jour, et que comptez-vous faire de celles et ceux qui, aujourd’hui, n’ont d’autre choix que d’aller à la soupe populaire ou de s’inscrire sur une plateforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Monsieur le sénateur Pascal Savoldelli, contrairement à ce que vous laissez entendre, aucun Président de la République n’a autant agi en faveur de la jeunesse. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et Les Républicains.)
Alors que notre pays a traversé l’une de ses crises les plus graves, 3 millions de jeunes ont pu trouver un emploi, un apprentissage, une formation ou un accompagnement grâce au plan « 1 jeune, 1 solution ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Nous avons mobilisé 9 milliards d’euros et les résultats sont là : le taux d’emploi des jeunes est revenu à son niveau d’avant-crise. Je rappelle qu’après la crise de 2008-2009 le taux de chômage des jeunes avait explosé, avec une hausse de plus de 30 %. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Désormais, la reprise économique ouvre de nombreuses perspectives d’emploi ou d’apprentissage, dont les jeunes bénéficient pleinement. Nous devrions égaler, voire dépasser, le record de plus de 525 000 apprentis atteint en 2020. Notre volonté, c’est que cette reprise bénéficie également aux jeunes les plus éloignés de l’emploi. C’est tout le sens des travaux que nous menons, à la demande du Président de la République.
Monsieur le sénateur, il ne faut pas forcément croire tout ce qui est écrit dans les journaux. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est vrai !
M. Jérôme Bascher. Il ne faut pas forcément croire le Gouvernement non plus !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il nous faut tout d’abord redoubler d’efforts pour aller vers ceux qui ne viennent pas spontanément dans les missions locales. Pour eux, je souhaite construire, en lien étroit avec le ministre chargé des solidarités, Olivier Véran, et la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wagon, des parcours sur mesure, mobilisant les missions locales, mais aussi les associations de terrain et les collectivités.
Nous voulons également améliorer les parcours d’accompagnement en capitalisant sur les solutions qui ont fait leurs preuves dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » : les immersions en entreprise, les prépas apprentissage, les formations qualifiantes. Les travaux sont en cours de finalisation et j’espère pouvoir compter sur votre soutien dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022.
Notre volonté, c’est de permettre à chaque jeune d’accéder au plus vite à l’emploi. Je pense que c’est un combat qui devrait pouvoir rassembler largement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, vous avez demandé des publications : je vais vous en montrer ! (L’orateur brandit un document.) Voici le dernier rapport d’activité de l’Armée du salut : à la une, un livreur qui vient y manger. Ce média vous convient-il ?
Je veux vous dire une deuxième chose, et je tiens à le faire devant mes collègues : ce que vous venez de me répondre, de nous répondre à tous, c’est que la promesse du président Macron est enterrée ! Vous n’en avez pas dit un seul mot dans votre intervention ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Vous avez enterré une promesse sociale : voilà ce que vous venez de faire !
Je veux enfin vous dire ceci : la situation est trop grave pour que vous nous fassiez un bilan plein d’une autosatisfaction à valeur morale ! Ce n’est pas possible, madame la ministre ; ce n’est pas acceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST et Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Nous n’avons pas tous le même avis dans cet hémicycle, madame la ministre, mais, franchement, s’il était question non pas de ces jeunes qui n’ont rien, mais de banques ou d’entreprises, on les aurait aidées, la promesse aurait été tenue !
M. Pascal Savoldelli. Alors, ne réfléchissez pas à une quelconque morale à la place de ces jeunes, qui tentent de survivre !
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. Notre société et sa cohésion sont en danger, madame la ministre ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
déploiement du plan france 2030 (ii)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Mme Patricia Schillinger. La crise sanitaire, dont notre pays commence à peine à entrevoir la fin, a mis notre économie à rude épreuve. Pourtant, plus d’un an après les premières mesures sanitaires, qui menaçaient d’affecter durement et durablement notre économie, celle-ci se porte bien. Alors que nous venons de traverser l’une des pires crises qu’a pu connaître notre pays, le taux de chômage pourrait, selon l’Insee, n’être plus à l’automne que de 7,6 %, soit le taux le plus bas que la France ait connu depuis 2007 !
La volonté de protéger notre économie, « quoi qu’il en coûte », nous a ainsi permis de sauver nos emplois et de préserver de la faillite nos entreprises. En décidant d’investir massivement dans la relance, la France a pu retrouver une activité supérieure à celle du début du quinquennat. Parallèlement, notre taux de croissance devrait dépasser 6 % et nous placer largement au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro, estimée à 4,8 %.
Ne pas mettre ces bons résultats au crédit de la stratégie mise en œuvre par le Gouvernement serait faire preuve d’une certaine mauvaise foi.
Toutefois, si notre pays a fait la démonstration de sa capacité de résilience, la crise sanitaire a aussi agi comme un révélateur de notre dépendance à l’égard de l’étranger en matière industrielle.
De ce constat naît l’impérative nécessité de permettre à la France de retrouver sa souveraineté économique.
Pour atteindre cet objectif, le Président de la République a annoncé hier un plan ambitieux de 30 milliards d’euros sur cinq ans.
Monsieur le secrétaire d’État, au moment où la Chine décide d’augmenter sa production de charbon dans un contexte de pénurie énergétique, comment la France peut-elle retrouver son âge d’or industriel et ainsi faire de ce secteur un vivier de plein emploi, sans rompre avec ses engagements sur le climat ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice Schillinger, comme vous l’avez rappelé, le Président de la République a présenté hier un plan d’investissement intitulé France 2030. De fait, ce plan doit permettre à notre pays et à l’Europe de se mettre en position pour faire face aux défis économiques, mais aussi sociétaux, des années à venir.
Ce plan me paraît au fond porter deux messages : un message de progrès et un message d’indépendance.
Il s’agit d’un investissement dans le progrès.
Si nous voulons faire en sorte que nos sociétés et nos économies soient capables de répondre aux grands défis qui les attendent – le défi environnemental, le défi de la transition énergétique, y compris avec le nucléaire, le défi du vieillissement, ou encore celui de l’alimentation –, alors il nous faut profondément innover pour transformer tout aussi profondément nos modes de production et de consommation.
Il s’agit aussi d’un investissement dans l’indépendance.
Vous aurez noté, madame la sénatrice, en citant la Chine, que les derniers grands champions technologiques sont américains et chinois. Ce que nous voulons faire avec ce plan, ce que nous avons commencé à faire avec l’écosystème des start-up françaises, c’est faire en sorte qu’émergent en France et en Europe les champions technologiques et économiques de demain, ceux qui prendront en quelque sorte la relève des inventeurs et des innovateurs, qui, aux XIXe et XXe siècles, ont fait le rayonnement technologique et la prospérité économique de notre pays.
Pour aller plus loin encore, madame la sénatrice, il ne me semble pas inutile, dans un moment où le débat politique peut sembler quelque peu crépusculaire et où il semble que le « c’était mieux avant » trouve une forme popularité, de faire en sorte, en renouant avec le génie français en matière économique, de parler aux Français de l’indépendance de la France et de l’avenir de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
lutte contre le racisme
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Madame la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, près de 45 % des agences d’intérim sondées, voire deux tiers d’entre elles dans certains réseaux, acceptent de discriminer nos compatriotes à la demande d’entreprises : voilà le triste bilan de l’opération de testing menée par l’association SOS Racisme.
Ces agences d’intérim et les entreprises clientes s’engagent dans des pratiques illégales au regard du code du travail et du code pénal. Rappelons que ce dernier les punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende !
Aussi, madame la ministre, on peut se demander ce que le Gouvernement va dire et faire. Va-t-il, comme en février dernier, ouvrir une plateforme en ligne, un numéro vert, ou encore un chat ? Ce serait trop peu, ce ne serait pas au niveau requis. Va-t-il, comme vous l’annoncez, convoquer les entreprises pour « échanger » avec elles – c’est le terme employé dans votre communiqué de presse – sur leurs pratiques discriminatoires ?
Madame la ministre, il nous faut une réponse forte, ici et maintenant, sur ces faits extrêmement graves : la discrimination brise la vie de millions de nos compatriotes chaque jour. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur Rachid Temal, je vous remercie pour votre question, bien que la matière dont vous me la posez m’étonne quelque peu. Je sais bien sûr que la lutte contre les discriminations est un sujet qui vous tient fortement à cœur ; c’est également un combat extrêmement important pour ce gouvernement.
Sur le fond de ce que vous venez d’évoquer, je voudrais vous exprimer que, comme vous, je crois que les résultats de cette enquête sont extrêmement graves. SOS Racisme a braqué la lumière sur des faits que nous ne pouvons ni accepter ni tolérer. Notre devoir républicain, en tant que responsables politiques, est de mener ce combat partout sur le territoire français, dans l’Hexagone, mais aussi dans les territoires ultramarins.
C’est pourquoi j’ai immédiatement réagi, dès la publication de l’enquête. J’ai voulu échanger, oui : il faut bien que je puisse le faire, que je puisse parler avec ces agences d’intérim pour comprendre comment on a pu avoir dix agences d’intérim en France qui acceptent des discriminations punies par la loi.
Ces faits sont extrêmement choquants, je le sais. Vous avez mentionné la plateforme de lutte contre les discriminations que nous avons ouverte en février dernier. Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais il y a aujourd’hui des personnes qui sont seules face à ces discriminations : que le Défenseur des droits puisse répondre à ses personnes, les aider et les accompagner dans les dispositifs qui existent pour faire respecter leurs droits me paraît extrêmement important. Ne minimisons pas l’impact de ces plateformes, qui ont été contactées plus de 10 000 fois depuis leur mise en place.
Je voudrais également préciser que c’est tout de même ce gouvernement-ci qui a lancé une grande consultation citoyenne sur les discriminations, du 8 avril au 31 mai derniers. Cette consultation, inédite sur le sujet, a été un temps fort de débat, de dialogue et de propositions avec tous ; nous avons mené ce travail avec des associations comme SOS Racisme et nous continuons de le mener aujourd’hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les discriminations sont bien plus que des entorses à nos valeurs républicaines ; elles en sont la négation, elles constituent des atteintes à la dignité de leurs victimes et elles sapent notre cohésion sociale. C’est pourquoi ce gouvernement, aux côtés des associations, que je tiens d’ailleurs à remercier, est absolument déterminé à les enrayer.
Au-delà des postures, lutter contre les discriminations doit être un combat transpartisan ; celui-ci exige de créer des outils concrets et efficaces, susceptibles d’orienter les victimes et de recueillir leur parole pour qu’elles puissent faire valoir leurs droits… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Madame la ministre, il est normal que l’on vous pose des questions : entendez bien que c’est le droit le plus élémentaire du Parlement vis-à-vis du Gouvernement ! C’est d’ailleurs bien ainsi que s’appelle notre séance.
Effectivement, la discrimination vient miner chaque jour le pacte républicain ; elle touche des millions de nos compatriotes, partout sur le territoire national. J’entends bien tout ce que vous nous dites des consultations et des propositions, mais je vous rappelle l’existence d’un rapport publié par le Défenseur des droits en juin 2020 (L’orateur brandit le document.), qui recense les discriminations à l’emploi, au logement, et dans d’autres domaines encore, mais contient également des propositions.
Si nous vous interrogeons aujourd’hui, c’est parce que ces propositions, qui viennent d’une institution reconnue par tous, ne sont pas mises en application.
Quant aux agences d’intérim, rappelons qu’Adecco a été condamnée il y a dix ans ; aujourd’hui, aucune de ces agences n’accepte officiellement la discrimination. Il faut parler, mais il faut aussi condamner et punir ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
vaccination à saint-pierre-et-miquelon
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Stéphane Artano. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, depuis le début de la crise du covid-19, on relève à Saint-Pierre-et-Miquelon 31 cas détectés et guéris sans hospitalisation, zéro décès. Le taux d’incidence est aujourd’hui également de zéro. Le taux de vaccination atteint 90 % en première dose et 88 % en seconde dose ; on atteindra 90 % dans peu de temps.
Depuis le début de la crise, grâce à l’écoute du Gouvernement, même s’il a parfois fallu un peu batailler, nous avons pu adapter les principales mesures sanitaires au territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, en prenant parfois des décisions courageuses, restrictives de liberté. Je tiens à le dire ici aujourd’hui : la population a joué le jeu.
Je suis vacciné mais j’ai voté contre le passe sanitaire, au côté de Loïc Hervé, et contre l’obligation vaccinale pour certaines professions. Depuis le 5 août dernier, cette loi s’applique à Saint-Pierre-et-Miquelon sans différenciation. À ce jour, 95 % du personnel soignant a reçu une seconde dose de vaccin.
Toutefois, depuis plusieurs jours, les membres non vaccinés de ce personnel ont tenté d’engagé un dialogue avec le préfet de manière à adapter cette règle à Saint-Pierre-et-Miquelon au regard de la situation sanitaire du territoire. On leur a opposé une fin de non-recevoir.
Aujourd’hui, des tensions sociales sont en train de naître dans un territoire où le virus ne circule pas, un territoire qui a traversé sans heurts la crise sanitaire.
À compter du 15 octobre, soit vendredi prochain, des sanctions financières sont prévues pour les soignants non vaccinés. Pour ma part, monsieur le ministre, je vous demande de donner des instructions pour que l’on puisse assouplir intelligemment cette règle, dans notre territoire comme dans d’autres où les soignants ne sont pas tous vaccinés.
Des familles vont être mises en difficulté ; des contrats de travail vont être rompus. Avec un seul centre hospitalier sur ce territoire, comment imaginer qu’ils retrouveront un emploi ?
Alors, monsieur le ministre, si vous voulez bien y être favorable, je demande qu’un dialogue s’instaure à nouveau avec les services de l’État : aujourd’hui, il est complètement rompu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Laurence Cohen et Sylviane Noël applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Avant tout, monsieur le sénateur Artano, merci d’avoir souligné l’engagement extraordinaire de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire qui ne compte que deux lits de réanimation ! On a pu voir, au cours des vagues qui se sont succédé dans d’autres territoires ultramarins, combien l’éloignement géographique rendait compliqué de faire face à une épidémie de cette ampleur.
La population de Saint-Pierre-et-Miquelon a demandé au Gouvernement à bénéficier en une fois de la totalité des doses nécessaires pour se vacciner ; nous avons dit oui. Désormais, la population de ce territoire affiche bien un taux de vaccination proche de 90 % : tant mieux, car elle se protège ainsi.
Aujourd’hui, seuls treize salariés des établissements sanitaires et médico-sociaux de ce territoire, ainsi que cinq ou six pompiers, ne sont pas vaccinés.
J’ai défendu devant vous les dispositions de la loi du 5 août dernier instaurant l’obligation vaccinale du personnel soignant et de celui des établissements médico-sociaux, qui a d’ailleurs recueilli l’adhésion d’une forte majorité parlementaire, dans les deux chambres. Cette obligation a pour objet de protéger non seulement les soignants eux-mêmes, par définition plus exposés, raison pour laquelle ils sont d’ailleurs appelés à recevoir une troisième dose de vaccin, mais surtout les personnes fragiles et malades avec lesquelles ils sont en contact ; nous avons eu suffisamment de cas groupés, de clusters, dans les hôpitaux et les Ehpad, pour savoir que nous devons en faire des sanctuaires.
Cette loi, que vous nous avez permis de mettre en œuvre, mesdames, messieurs les sénateurs, s’applique dans de bonnes conditions sur tout le territoire national. Parmi les agents qui ont été suspendus temporairement parce qu’ils avaient refusé la vaccination, un grand nombre a finalement fait le choix de se vacciner, également parce qu’ils ont été rassurés par l’expérience de leurs collègues, force de discussion et de dialogue.
Le dialogue avec les soignants et le personnel médico-social qui font encore aujourd’hui le choix de ne pas se vacciner n’est pas rompu, il ne le sera jamais, mais les lois de la République s’appliquent partout. Des mesures d’exception concernent les zones où s’applique l’état d’urgence sanitaire, qui impose déjà une forte mobilisation à l’hôpital.
Dès lors, monsieur le sénateur, je ne peux pas être d’accord avec votre demande. L’obligation vaccinale doit s’appliquer à Saint-Pierre-et-Miquelon. S’il y a des suspensions de salaire, elles seront immédiatement levées dès lors que ces treize salariés et ces cinq ou six pompiers auront fait le choix de se protéger et de protéger celles et ceux qu’ils soignent au quotidien. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.
M. Stéphane Artano. Selon votre logique, monsieur le ministre, le passe sanitaire devrait s’appliquer à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais il n’y est pas mis en œuvre, parce que cela n’aurait aucun sens aujourd’hui. Le même raisonnement vaut pour l’obligation vaccinale de ce personnel soignant et des pompiers volontaires : si une intervention devait être requise, la moitié des effectifs serait suspendue ! Cela n’a aucun sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
hausse des prix de l’énergie
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, la flambée des prix de l’énergie est dramatique pour le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Elle pèse sur la relance de notre économie et sur sa décarbonation.
Les prix de marché ont crû, entre le 28 mai 2019 et ce lundi, de 307 % pour l’électricité, 94 % pour le gaz et 22 % pour le pétrole. Cette flambée des prix était pourtant prévisible : la commission des affaires économiques du Sénat avait estimé, dès juin 2020, qu’il fallait s’attendre à « un effet inflationniste en sortie de crise, les prix étant susceptibles de flamber ». Elle proposait alors déjà de lutter contre la précarité énergétique en revalorisant le chèque énergie.
Je déplore que nous n’ayons pas été entendus, mais je constate que le Gouvernement est coutumier du fait : nous avions proposé une revalorisation de l’énergie nucléaire dès la loi Énergie-climat de 2019, puis dans une proposition de résolution au début de cette année, et encore lors de l’examen de la loi Climat et résilience l’été dernier ; nous avons aussi défendu un paquet législatif inédit en faveur de l’hydrogène. Nous étions bien seuls !
Ces retards pris dans nos choix énergétiques sont insupportables : ils ont de lourdes répercussions, chaque hiver, sur la facture d’énergie et la sécurité de nos approvisionnements !
Ils sont d’autant moins admissibles au regard de l’intensité de la compétition internationale : la Chine bloque ses prix de l’énergie et construit de nouvelles centrales nucléaires et au charbon.
Alors, monsieur le Premier ministre, allez-vous prendre les mesures qui s’imposent ? Abaisserez-vous durablement la fiscalité énergétique ? Bloquerez-vous durablement les tarifs réglementés ? Répondrez-vous au signal d’alarme des industriels ? Reviendrez-vous sur le calendrier de fermeture des 12 réacteurs nucléaires d’ici à 2035 ? Lancerez-vous enfin la construction de nouveaux EPR ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur Gremillet, à mon sens, si l’on veut pouvoir avancer sur ce sujet très important, il faut éviter de faire des amalgames qui nous induiraient en erreur. De fait, la hausse des prix que nous vivons actuellement pour les différentes sources d’énergie n’a absolument rien à voir avec tel ou tel choix que nous avons fait ou que nous sommes en train de faire en France.
La hausse des prix du gaz est liée à la reprise économique et au fait que, à l’échelle européenne, nous sommes encore trop dépendants de cette source d’énergie. La hausse actuelle des prix des carburants, que l’on peut déplorer même si elle n’est pas de la même ampleur, est pour sa part due à la hausse des cours mondiaux du pétrole.
Ne mélangeons pas tout ! On ne pourra pas trouver les bonnes solutions si l’on ne pose pas le bon diagnostic.
Pour ce qui est de l’urgence, il faut évidemment que nous aidions nos concitoyens à faire face à cette crise qui apparaît maintenant. Aussi M. le Premier ministre a-t-il annoncé un certain nombre de mesures. Vous avez mentionné le chèque énergie : eh bien, à la fin de l’année, nous allons procéder à un versement exceptionnel de 100 euros supplémentaires, au titre de ce chèque, à près de 6 millions de nos concitoyens les plus modestes. Nous avons également mis en place un bouclier énergétique, que ce soit pour le gaz, en bloquant les prix dès à présent, ou pour l’électricité, en limitant l’augmentation de ses tarifs réglementés à partir de février. Bref, nous faisons face à l’urgence ! Quant aux automobilistes, nous prendrons évidemment des mesures si nous voyons que la hausse des prix du carburant continue.
À plus long terme, il faut avoir une politique globale qui nous permette de faire face aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. C’est l’objet du travail accompli par RTE, qui va en présenter le 25 octobre prochain les conclusions ; des projections sérieuses y étaieront différents scénarios, dont les avantages et les inconvénients seront détaillés. Nous pourrons avancer et faire des choix à partir de là. C’est ainsi, selon moi, qu’il convient de procéder, et non en réagissant de manière assez épidermique, ce qui me paraît une mauvaise façon de travailler sérieusement à l’avenir de nos concitoyens. (Murmures de protestation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Quelle suffisance !
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.
M. Daniel Gremillet. Madame la ministre, les faits sont têtus ! La réalité est la suivante : en très peu de temps, nous avons doublé le nombre de jours où nous devons importer de l’électricité, où nous sommes dépendants d’autres pays.
Vous nous parlez de scénarios, mais, gouverner, ce n’est pas seulement en faire : c’est aussi décider ! En réalité, au cours des cinq dernières années, vous avez complètement hypothéqué la souveraineté et l’indépendance énergétiques de notre pays ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
revenu d’engagement des jeunes (ii)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, en janvier 2021, vous n’avez pas voulu de notre proposition de loi ouvrant le RSA aux jeunes de moins de 25 ans.
Alors que 22 % des jeunes font partie de ceux que l’on qualifie de « pauvres », je tiens à rappeler, comme notre collègue Pascal Savoldelli vient de le faire, que le Président de la République avait annoncé la création d’un revenu d’engagement destiné aux jeunes de moins de 25 ans les plus en difficulté, dont le nombre est estimé à 1,2 million. Cette mesure, qui se voulait forte, s’est transformée en une éventuelle demi-mesure, qui aurait pu concerner 500 000 jeunes ; maintenant, il se murmure même qu’il n’y aurait rien d’ici à la fin de cette mandature. Il semble d’ailleurs, madame la ministre, que vous veniez de le confirmer.
Pourtant, la crise sanitaire a révélé au grand jour la situation extrêmement fragile dans laquelle de très nombreux jeunes se trouvent. Et que l’on ne vienne pas nous dire qu’ils n’ont qu’à travailler et que, pour ce faire, ils n’ont qu’à traverser la rue ! Ceux qui ont franchi pour la première fois les portes des associations caritatives pendant l’épidémie de covid-19 étaient justement ceux qui travaillaient pour subvenir à leurs besoins quotidiens.
Dans cette tranche d’âge des 18-25 ans, les situations sont très diverses : des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation – NEET, selon l’acronyme anglais – aux étudiants pauvres, en passant par ceux qui n’osent pas élargir leurs horizons, ceux qui ne vivent plus chez leurs parents pour différentes raisons, ceux qui vivent de petits boulots et tant d’autres encore. Ils sont tous différents, mais ils ont un point commun : parce qu’ils ont moins de 25 ans, ce pays, qui fait d’eux des citoyens dès l’âge de 18 ans, ne leur donne pas droit au revenu minimum de subsistance, qui leur permettrait justement de démarrer dans la vie.
Je sais bien que l’on me répondra, ici ou là, que c’est aux parents d’assumer, ou que ces jeunes n’ont qu’à faire comme leurs anciens, qu’à se débrouiller. Mais que deviendront ceux dont les parents ne peuvent pas assumer le soutien financier sur une durée aussi longue, que deviendront ceux qui n’ont ni les clés ni les réseaux nécessaires pour s’en sortir seuls ?
Madame la ministre, quand donnerez-vous une majorité sociale aux jeunes de ce pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Madame la sénatrice Monique Lubin, je vous le confirme : notre volonté est bien de permettre à chaque jeune d’accéder à l’emploi. En effet, nous pensons que les jeunes peuvent attendre de nous mieux et plus qu’une allocation.
C’est là toute la philosophie du plan « 1 jeune, 1 solution », qui a pleinement atteint ses objectifs. Cet investissement, dont je rappelle qu’il est de plus de 9 milliards d’euros, porte ses fruits : le nombre d’embauches est resté au niveau d’avant-crise ; le taux de chômage des jeunes y est revenu. Je voudrais insister sur ce point : certes, il peut sembler banal d’être déjà revenu au niveau d’avant-crise, mais après la crise de 2008-2009 le chômage des jeunes avait augmenté de plus de 30 % !
Si la reprise économique offre de nombreuses occasions d’embauche, je suis néanmoins parfaitement consciente que certains jeunes ne pourront pas accéder à l’emploi sans un accompagnement renforcé. On constate en effet que près d’un jeune sur deux qui est sans emploi ni formation l’est depuis plus d’un an, alors qu’une majorité d’entre eux souhaite effectivement accéder à l’emploi.
Comme le Président de la République nous l’a demandé, nous devons faire plus pour ces jeunes. Cela suppose d’aller chercher ceux qui ne vont pas vers les missions locales, mais aussi d’améliorer les parcours d’accompagnement de ces jeunes, pour leur redonner confiance et leur permettre de choisir un métier, puis d’accéder à une formation et, in fine, à un emploi.
La logique que je défends s’inspire de la garantie jeunes : elle comprend un accompagnement personnalisé mobilisant toutes les solutions qui ont fait leurs preuves dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » et assorti d’une allocation pour ceux qui en ont besoin.
Madame la sénatrice, je vous le confirme donc : les travaux sont en cours de finalisation et je ne doute pas que nous pourrons compter sur votre soutien pour les moyens supplémentaires qui vous seront présentés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. Je le redis : comme nous le faisons depuis le début de la crise avec le plan « 1 jeune, 1 solution », nous voulons permettre à tous les jeunes, y compris à ceux qui ont le plus de difficultés, d’accéder à un emploi. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Madame la ministre, ce n’est pas à cet hémicycle que vous allez expliquer ce qu’est la garantie jeunes : nous la connaissons parfaitement ! De fait, nous ne parlons pas de la même chose : pour ma part, je vous invite à mettre en œuvre un revenu minimum de subsistance pour tous les jeunes, de manière à aider à entrer dans la vie active ceux d’entre eux dont les parents n’ont pas les moyens de les soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
situation des urgentistes dans le cher
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé ; j’y associe ma collègue Marie-Pierre Richer.
Monsieur le ministre, l’heure est grave, et je pèse mes mots. Le week-end dernier, l’hôpital de Bourges s’est retrouvé, pour la énième fois, dans l’incapacité de prendre en charge des patients à cause de l’absence de structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) primaire et secondaire. Cette situation a obligé les hôpitaux des villes de Vierzon et Saint-Amand-Montrond à suppléer celui du chef-lieu du département. Or ces villes se situent à plus de quarante minutes de Bourges ; de surcroît chacun de ces hôpitaux ne dispose que d’une seule ambulance.
Les maires de ces villes ont porté plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui, en raison de l’absence de SMUR et de la pénurie de médecins urgentistes à temps plein ; je souscris à leur démarche.
Alors, monsieur le ministre, ma question est simple : après avoir été interpellé à plusieurs reprises, par différents acteurs et sur plusieurs années, au sujet de la pénurie chronique d’accès aux soins et aux urgences dans le Cher, quelles solutions immédiates comptez-vous apporter pour répondre à cette situation, qui expose nos populations rurales à une perte de chance de survie en cas d’urgence vitale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Rémy Pointereau, merci pour votre question. Comme vous l’avez souligné, cela fait plusieurs années que les pouvoirs publics divers et variés font l’objet d’interpellations au sujet de la démographie médicale dans votre très beau territoire de Bourges, qui fait face à une pénurie d’urgentistes.
À vrai dire, si l’on interrogeait l’ensemble des sénateurs et des sénatrices, il y aurait fort à parier que l’on trouverait beaucoup d’hôpitaux souffrant d’une pénurie de médecins urgentistes. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que nous avons supprimé le numerus clausus, qui a creusé progressivement, quarante ans durant, ce trou démographique dont nous sommes tous victimes, sur l’ensemble du territoire.
De fait, à Bourges, les chiffres sont les suivants : sur vingt-cinq postes d’urgentistes ouverts, six sont occupés par des praticiens hospitaliers ; six autres, par des praticiens associés. Cela met effectivement en difficulté l’hôpital de Bourges, qui a dû renoncer le 8 octobre à ouvrir dans des conditions normales, comme vous l’avez exposé. C’était la deuxième fois que cela arrivait au cours des trois derniers mois, ce qui n’est absolument pas normal.
Je ne peux que souscrire à ce diagnostic, monsieur le sénateur, mais, une fois celui-ci fait, il faut également proposer des solutions ! Or je ne peux, à l’évidence, fabriquer des urgentistes : il faut pouvoir en identifier là où ils existent.
C’est pourquoi un audit a été réalisé en 2019 pour l’hôpital de Bourges ; il a conduit à réorganiser les soins du service des urgences afin d’en améliorer l’organisation fonctionnelle. Un programme de travaux est également mené pour adapter dans les prochaines années le service aux flux de patients.
Mais la condition principale du rétablissement d’un fonctionnement normal pour ce service d’urgence, c’est sa capacité à recruter des urgentistes. Qu’est-ce qui a été fait à cette fin ? Quatre médecins étrangers ont reçu un accompagnement pour passer l’épreuve de vérification des connaissances, qui leur permettra très prochainement d’exercer une activité normale, à temps complet, en tant que praticien hospitalier. À compter du 1er novembre, un docteur junior et un assistant-spécialiste vont en outre venir renforcer les équipes du centre hospitalier en temps partagé, de manière à pouvoir sortir un peu la tête de l’eau, si je puis dire.
Mais c’est une solution de fond qu’il faut. La question de la filière de la médecine d’urgence se pose plus largement, car on voit que la pénurie est criante dans bien des points du territoire. En général, il faut poser la question de la démographie médicale : vous ne trouverez aucun sénateur dans cet hémicycle pour considérer qu’il y aurait trop d’urgentistes dans l’hôpital de son territoire ! Nous en manquons globalement, car il fallait en former plus ; c’est désormais le cas. Il faut donc encore un peu de patience ; en attendant, on identifie des solutions : les médecins étrangers, les internes, les temps partagés, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ou encore les liens entre ville et hôpital, partout où de tels problèmes se posent. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, vous faites un constat, comme moi, mais vous ne parlez pas du problème des intérimaires aux urgences. Je vous ai pourtant alerté sur ce sujet voilà plus d’un an,…
M. Rémy Pointereau. … mais peut-être attendez-vous qu’un drame se produise dans le département avant de réagir ? Je n’ai jamais de réponse à mes courriers ! Je les ai là ! (L’orateur brandit les courriers. – M. le ministre des solidarités et de la santé s’exclame.)
Autrefois, les ministres prenaient la peine de répondre aux élus (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE. – M. le ministre des solidarités et de la santé proteste en montrant son dossier.), qu’ils appartiennent ou non à la majorité. Par respect pour nos institutions, je pense qu’il serait bien que le nouveau monde s’inspire de l’ancien…
M. le président. Il faut conclure !
M. Rémy Pointereau. … et qu’il prenne la peine de répondre aux élus, surtout lorsqu’il s’agit des populations rurales qui sont en danger. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
cloud de confiance et stratégie pour notre souveraineté
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, notre groupe a interrogé le Gouvernement à plusieurs reprises sur la souveraineté des données de nos concitoyens, notamment lorsque nous avons découvert que la gestion du Health Data Hub, la plateforme de nos données de santé, avait été confiée à Microsoft sans débat ni appel d’offres.
Au prétexte qu’aucune entreprise française ne serait apte, ce qui est faux, et qu’il faut rattraper notre retard, plutôt que de mener une politique industrielle offensive visant l’indépendance technologique, vous avez annoncé une nouvelle doctrine – le cloud dit « de confiance » – et incité les sociétés françaises à acheter sous licences les technologies des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) pour traiter nos données les plus sensibles.
Le 2 juin, au lendemain de l’accord entre Microsoft, Orange et Capgemini, je vous interpellais déjà sur cette stratégie, qui nous paraît être un contresens. Je vous interroge de nouveau aujourd’hui sur le récent accord entre Thalès et Google, lequel est très préoccupant.
Mes chers collègues, c’est non plus seulement la « gafamisation » de nos administrations qui est en cours, mais celle du complexe militaro-industriel français, donc de notre défense, de la sécurité de l’État et des organismes d’importance vitale ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice Morin-Desailly, je répéterai ici ce qu’a dit hier le Président de la République de manière extrêmement claire : l’objectif du Gouvernement est de faire émerger des champions technologiques français. Tel est le sens de notre action depuis quatre ans.
J’accueille d’ailleurs avec gratitude vos félicitations : la France a été le seul pays européen à avoir progressé de sept places dans le classement mondial de l’innovation, le seul pays européen à être passé de trois licornes à la fin de l’année 2017 à vingt licornes en 2021, le seul pays européen à avoir multiplié par quatre les investissements dans son écosystème technologique.
Ce que nous voulons, et je pense que c’est l’un des grands succès de ce quinquennat, madame la sénatrice, c’est progresser vers l’indépendance technologique (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.), y compris dans le cloud.
J’aurai d’ailleurs l’occasion, avec Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance, et Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, d’annoncer dans les jours qui viennent, aux côtés des acteurs français, que vous connaissez bien – OVH, Scaleway – une stratégie pour développer les champions français du cloud.
En réalité, madame la sénatrice, est-ce que, aujourd’hui, les acteurs français du cloud offrent exactement les mêmes possibilités que les acteurs américains ? Non ! C’est faux. D’ailleurs, ils procèdent eux-mêmes à des arbitrages sur les composants. Aucun acteur français du cloud n’utilise des machines virtuelles ou des microprocesseurs français. Ils font le même choix que vous, madame la sénatrice, quand vous décidez d’avoir une page Facebook ou un compte Twitter. Je ne pense pas que vous ayez une page sur leurs concurrents américains.
Notre volonté est double : il s’agit, d’une part, de faire émerger des champions, et, d’autre part, de faire en sorte que les entreprises françaises qui doivent passer par des acteurs américains nouent une alliance entre des groupes français et américains. C’est, je pense, la politique la plus logique. C’est en tout cas la seule qui a de l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je ne pense pas, monsieur le secrétaire d’État, que votre stratégie soit la bonne. Quand on parle de souveraineté, il faut s’entendre sur le sens de ce mot.
D’abord, il est faux techniquement de dire que le cloud de confiance sera la garantie de notre souveraineté. C’est en fait une opération de rhabillage et de ré-encapsulage, Google conservant la maîtrise totale. Nous n’aurons aucun accès au code source ; nos services de renseignement ne pourront pas l’auditer ; nous serons donc totalement dépendants de ces technologies, dont les licences coûteuses ne produiront aucun emploi, aucun impôt, aucune richesse en France.
Juridiquement, ce cloud ne nous protégera pas contre la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), qui permet aux services secrets américains d’obtenir, sur requête fédérale, les données traitées par ces sociétés américaines.
Même si cette phase est transitoire, force est de constater qu’on se met dans les mains de ces géants, qui renforcent ainsi leur avance et leur domination dans un domaine où pourtant la France excelle : le logiciel. À quoi bon avoir les meilleures écoles d’ingénieurs au monde si ce n’est pas pour préserver et renforcer notre écosystème logiciel ?
À juste titre, le monde cyber s’inquiète et nos hébergeurs se sentent trahis. La stratégie dont vous assurez la promotion en portant ostensiblement, lors de manifestations, des maillots aux couleurs de Google – excusez du peu ! – est totalement incompréhensible, et je pèse mes mots. Elle est en tout cas contradictoire avec la construction de la grande Nation de l’innovation que vient d’annoncer Emmanuel Macron en présentant le plan France 2030. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Max Brisson et Bruno Retailleau applaudissent également.)
retraites
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le ministre, le 7 octobre dernier, l’Agirc-Arrco a dû prendre la décision de ne revaloriser les retraites complémentaires de nos concitoyens retraités que de 1 %, soit moins de la moitié du taux de l’inflation attendu selon l’Insee.
C’est un coup de rabot, monsieur le ministre, sur les retraites, qui se transforme une fois de plus en ras-le-bol pour les retraités. (Sourires.) Alors que vous avez augmenté la CSG des retraités en 2018, puis oublié de revaloriser les pensions deux années consécutives, les retraités sont aujourd’hui les plus maltraités par le Gouvernement. L’Insee l’avait déjà souligné en 2019 dans une note.
Quelle réforme des retraites comptez-vous mettre en œuvre, monsieur le ministre ? Allez-vous opter pour la technique du rabot et la baisse continue des pensions de retraite ou, au contraire, comme l’a suggéré l’un de vos alliés, porter l’âge de la retraite à 67 ans ? Ou bien, comme d’habitude et comme vous l’avez fait jusqu’à présent, allez-vous financer cette réforme par la dette ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le sénateur Jérôme Bascher, vous avez rappelé la façon dont l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire des salariés, a décidé d’assurer la maîtrise budgétaire de son système, notamment en garantissant un niveau de réserves suffisantes. Les partenaires sociaux ont fait le choix de sous-indexer – ou éventuellement sur-indexer d’ailleurs – de 0,5 point les pensions au regard de leur indicateur de suivi de l’évolution des coûts, qui n’est d’ailleurs pas le même que celui du Gouvernement.
Vous n’avez pas rappelé dans votre question, monsieur le sénateur, vous auriez pu le faire, que, pour sa part, le Gouvernement prendra en compte l’évolution du coût de la vie hors tabac pour les régimes de base. Le choix du Gouvernement de maintenir le pouvoir d’achat des pensionnés est une bonne nouvelle pour les plus de 15 millions de retraités que compte notre pays.
Vous m’avez ensuite interrogé sur la façon dont il faut financer notre système de retraite. La réalité, c’est que le déficit de nos systèmes de retraite – de nos 42 régimes de retraite différents, soit autant de règles et de modes de financement –, s’élève à environ 8 milliards d’euros pour cette année. Pour tracer une perspective, sachez que, d’ici à 2030, ce déficit s’élèvera en moyenne à 10 milliards d’euros par an, soit un horizon de 100 milliards d’euros au total.
La réalité, c’est que, si nous voulons avoir un système de retraite propre à garantir la solidarité entre les générations, à créer la confiance entre les plus jeunes qui s’engagent aujourd’hui dans la vie active et leurs aînés, dont ils paient les pensions par leurs cotisations, il nous faut trouver un système à la fois pérenne et équilibré – un système par répartition, c’est important pour la solidarité, mais il doit être équilibré dans la durée –, mais aussi équitable. Il ne peut y avoir autant de disparités dans notre pays. On ne peut fonder la retraite sur le statut.
En conclusion, monsieur le sénateur, vous l’avez déjà entendu de la bouche du Président de la République, du Premier ministre, à présent de la mienne : il faudra travailler plus pour financer tout cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, ce que vous oubliez de dire, c’est que le régime de l’Agirc-Arrco est obligé d’être à l’équilibre et, donc, de prendre ces mesures désagréables pour les retraités parce que vous n’avez pas tenu la promesse du Président de la République de procéder à une réforme des retraites. Vous avez préféré vous perdre et perdre les élections régionales plutôt que de faire cette réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre de l’intérieur, 216 000 mineurs auraient été victimes d’un clerc, 360 000 si l’on y ajoute ceux qui ont été abusés par le personnel laïc ; on dénombrerait a minima entre 2 900 et 3 200 prédateurs hommes, prêtres ou religieux, depuis 1950. Voilà les conclusions accablantes du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église : c’est une véritable onde de choc. La communauté catholique tout entière est brutalement confrontée à une réalité inacceptable, douloureuse et, avec elle, tous les Français sont profondément émus par l’ampleur de ces crimes, par ces vies abîmées, ces enfants blessés, si longtemps condamnés au silence.
Ce rapport a été unanimement salué pour la qualité de son analyse. Il contient quarante-cinq recommandations qui ont été rédigées en concertation avec les associations de victimes, afin de poser les bases d’une réparation de l’irréparable et d’envisager la réforme d’une institution.
Au-delà d’une concrétisation matérielle indispensable de la réparation des préjudices subis, la question primordiale – Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, le dit clairement – est la « faillite institutionnelle » de l’Église. Selon elle, l’Église doit fondamentalement revoir son mode de gouvernance, la formation des clercs, sa théologie morale, sa conception de la sexualité.
Or le rapport le souligne, les « silences » et les « défaillances » face à la pédocriminalité présentent un « caractère systémique ». Alors que la parole se libère et que d’autres voix se feront entendre, peut-on laisser l’Église seule face à ses défis ?
En France aujourd’hui, le Gouvernement de notre République laïque peut-il être absent ou simplement observateur des mesures de prévention et d’accompagnement des victimes ? Quelles suites entendez-vous donner, monsieur le ministre, aux propositions et recommandations qui s’adressent à l’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, face à l’ignominie évoquée dans l’excellent rapport Sauvé, je tiens tout d’abord à dire tout le courage de l’Église de France d’avoir commandé ce rapport,…
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. … d’avoir laissé toute liberté à M. Sauvé, personnalité indiscutable, de composer sa commission comme il le souhaitait et de lui avoir permis, en lui ouvrant ses archives pendant trois ans, d’en arriver à ce constat qui nous effraie tous. Il faut souligner ce courage, quand bien des institutions qui accueillent des enfants n’ont rien fait de tel.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. L’Église de France a été courageuse. (MM. Jean-Michel Arnaud, Loïc Hervé, Michel Savin et Bruno Sido applaudissent.)
Je dirai ensuite que Mgr Moulins-Beaufort a tenu des propos malheureux. À la demande du Premier ministre, j’ai invité le président de la Conférence des évêques de France. Évidemment, il n’y a jamais, pour aucun culte, pour aucune section d’opinion ou de croyance en France, de loi supérieure à celle de la République. M. le président de la Conférence des évêques de France a fait part dans un communiqué de presse de ses regrets pour cette phrase ; l’incident est clos.
Pour notre part, nous allons accompagner l’Église de France sur le chemin de la réparation. Se posent deux grandes questions pour l’État.
La première est celle de la responsabilité.
Selon le rapport Sauvé, l’auteur du crime sexuel n’est pas seul responsable, l’Église de France, le diocèse, l’Église tout court, en tant que personnes morales, le sont aussi. Les questions financières de responsabilité ainsi soulevées sont très fortes. Nous sommes, je l’ai dit à Mgr Moulins-Beaufort, à ses côtés pour accompagner juridiquement l’Église, en tant que personne morale, dans cette responsabilité. Il s’agit d’examiner les choses les yeux dans les yeux.
La deuxième question porte sur le secret de la confession, qui est un secret professionnel.
Il n’appartient pas à l’État de revenir sur ce secret. Cela étant, des exceptions sont prévues s’agissant des crimes commis sur des enfants. Je l’ai dit à Mgr Moulins-Beaufort, de notre point de vue – la dépêche du garde des sceaux le démontre –, lorsqu’une personne a connaissance qu’un crime est en train d’être commis, le secret de la confession ne peut pas être gardé. Qu’elle soit clerc ou laïque, cette personne doit dénoncer l’auteur des faits à la justice. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Élisabeth Doineau, MM. Stéphane Demilly et Loïc Hervé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Nous prenons acte de votre entrevue avec Mgr Moulins-Beaufort. Je rappelle toutefois que, en Irlande, il y a vingt ans, après les révélations des abus dans l’Église, l’État, après concertation avec plusieurs ministères, avait mis en place des actions communes et prévu un investissement important de la justice.
M. Hervé Gillé. Notre responsabilité collective est de protéger nos enfants ; c’est aussi la vôtre. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
violence à l’école
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Monsieur le ministre, voilà quelques jours, une professeure a été jetée à terre dans sa classe, sous les rires moqueurs des élèves. Cette situation traumatisante pour l’enseignante a été aggravée par la diffusion de la scène sur les réseaux sociaux.
Avant toute chose, monsieur le ministre, j’ai une pensée pour cette enseignante et pour tous les enseignants qui subissent au quotidien les provocations des élèves, mais aussi parfois des parents.
À travers cet acte, c’est l’autorité d’un professeur de l’école de la République qui a été bafouée. Une situation comme celle-ci n’a malheureusement plus rien d’exceptionnel et il ne s’agit pas là d’un acte isolé. Tous les jours, des enseignants sont confrontés à la violence et à la disparition de toute forme de respect à leur égard.
Pour un événement relayé par les médias, combien sont passés sous silence ? Avez-vous des chiffres à communiquer au Parlement sur la violence qui s’est développée inexorablement dans notre système scolaire ?
Comment l’éducation nationale va-t-elle appréhender aujourd’hui la situation de l’élève qui a violemment bousculé son professeur ? Au-delà de la réponse pénale – il me semble que la sanction vient de tomber –, comment l’éducation nationale entend-elle endiguer la violence qui gangrène l’école de la République, se propage et se banalise sur les réseaux sociaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, la question de la violence à l’école n’est pas nouvelle. Elle est très importante et je vous remercie de l’évoquer.
Les événements qui se sont produits en fin de semaine dernière sont en effet significatifs. Ils sont révélateurs de la violence qui existe dans notre société – l’école n’y échappe pas –, mais aussi de la réaction de l’institution.
Rappelons l’enchaînement des faits : dès qu’ils ont eu lieu – ils sont évidemment scandaleux, je les condamne comme vous, bien sûr, et j’ai fait part de ma solidarité à la professeure, dont l’attitude a été exemplaire –, le chef d’établissement a immédiatement réagi et toutes les procédures nécessaires ont été mises en œuvre avant la médiatisation.
Ce qu’il s’est passé, c’est ce que nous souhaitons qu’il soit fait aujourd’hui en pareil cas : signalisation et début du processus de sanction. Nous avons en effet immédiatement porté plainte. Dans le même temps, l’incident a été diffusé sur les réseaux sociaux, ce qui, vous l’avez dit, est un élément aggravant. La personne à l’origine de cette diffusion doit d’ailleurs elle aussi être poursuivie. Je précise toutefois que ce n’est pas parce que cela a été diffusé sur les réseaux sociaux que nous avons réagi. Nous réagissons désormais à tous ces faits. C’est le cœur de votre question.
Je l’ai évoqué précédemment, nous avons installé dans chaque rectorat de France ce que nous appelons un « carré régalien », sur quatre sujets : les valeurs de la République et la laïcité, la lutte contre la radicalisation, les violences et le harcèlement. Auprès des trente recteurs de France, des équipes sont présentes pour intervenir dans les établissements, chaque fois que cela est nécessaire.
On a souvent dit que les problèmes étaient mis sous le tapis. Si cela a été le cas, ce ne l’est plus. Je l’ai dit dès 2017. Cela se traduit notamment par des signalements les plus exhaustifs possible. Chacun est invité à signaler les problèmes lorsqu’il y en a – c’est ce qu’a fait cette professeure. Je rends compte de ces violences chaque trimestre. Les violences n’ont pas spécifiquement augmenté depuis plusieurs mois ni même depuis quelques années. Nous sommes sur un plateau.
Bien sûr, tout acte violent est inacceptable, mais, ce qui est important, c’est que nous soutenions les professeurs et que nous prenions les sanctions nécessaires. Comme vous l’avez dit, l’élève concerné a été jugé aujourd’hui même en comparution immédiate et sanctionné pénalement. Bien entendu, il sera écarté de son établissement et scolarisé dans un établissement spécial ; j’y veillerai.
Nous sommes extrêmement fermes et stricts à la fois sur le plan pénal et sur le plan disciplinaire, comme cette affaire en témoigne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour la réplique.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. J’entends bien votre réponse, monsieur le ministre, mais je l’entends depuis des années !
Je le dis assez amicalement, votre nomination il y a cinq ans à la tête d’un ministère doté d’un budget extrêmement important a suscité de l’espoir, compte tenu de votre background, du fait que vous étiez issu de la société civile. Vos compétences étaient reconnues.
Cinq ans après, votre bilan est mitigé et suscite de la déception, non seulement chez les élus que nous sommes, mais aussi chez les parents, qui sont inquiets. Malgré le discours d’apparente fermeté que vous tenez, je pense que vous avez échoué à refaire de l’école de la République le sanctuaire qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
imbroglio des pneus neige
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, à partir du 1er novembre, nos concitoyens habitant en zone de montagne devront équiper leur véhicule de pneus d’hiver ou de chaînes à neige. La mise en œuvre de cette obligation prévue par la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne de 2016 pose un certain nombre de problèmes.
Elle pose un problème de pouvoir d’achat dans le contexte actuel de l’accroissement des prix de l’énergie, qui grèvent le budget des Français, surtout de celles et ceux qui utilisent leur véhicule au quotidien pour des raisons professionnelles. Est-il vraiment opportun de rendre obligatoire la pose de pneus neige dans quasiment la moitié des départements de France ? Si oui, ne faudrait-il pas aider financièrement les travailleurs les plus modestes, comme on le fait avec le chèque énergie ? Une fois de plus, ce sont eux qui paieront la facture.
Cette obligation pose également un problème d’assurance, monsieur le ministre. Vous avez récemment précisé que cette obligation ne serait pas assortie de sanctions la première année, qui doit être une année de transition et de pédagogie. À la suite de cette annonce gouvernementale, nombre de conducteurs peuvent ainsi se croire à tort à l’abri de toute forme de sanction.
Une question demeure : en cas de sinistre, quelle sera la position des assurances ? Ne pourraient-elles pas refuser d’indemniser pour ses propres dégâts un assuré responsable d’un seul sinistre pour la seule raison qu’il ne serait pas équipé de pneus neige, alors qu’ils sont rendus obligatoires ?
De plus, la mesure pose un problème de cohérence territoriale telle qu’elle commence à se dessiner. Sur un même itinéraire, des zones sans obligation d’équiper son véhicule succèdent à des zones où l’obligation est en vigueur : le tout n’est pas coordonné. Comment les usagers peuvent-ils s’y retrouver ? Même Joël Giraud, membre du Gouvernement, s’en est étonné lors d’un récent déplacement en Auvergne.
Enfin, la mesure pose dans l’immédiat un problème de pénurie, les équipementiers n’ayant pas de stocks suffisants pour faire face à cette demande.
Dès lors, monsieur le ministre, comment envisagez-vous d’aménager l’obligation pour qu’elle ne devienne pas insupportable aux yeux de nos compatriotes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je rappelle, comme vous l’avez fait, que cette loi, que nous appliquons, date de 2016. Chacun a pu le constater ou avoir des retours – vous êtes un élu de la montagne –, beaucoup de gens ont des accidents ou sont empêchés d’accéder à la montagne l’hiver. C’est la raison pour laquelle le gouvernement et le législateur précédents ont décidé cette obligation.
Permettez-moi également de corriger des informations qui sont dites et répétées, mais qui sont fausses. D’abord, il n’y a pas d’obligation d’utiliser des pneus neige. Les chaînes de montagnes suffisent. Je sais qu’un certain nombre d’entreprises essaient de faire croire à nos concitoyens qu’ils ont l’obligation de changer de pneus, mais ce n’est pas le cas. C’est ce qu’on appelle une fake news. Les chaînes qu’utilisent depuis très longtemps ceux qui se rendent à la montagne suffisent. Il suffit de les avoir dans son coffre et de les mettre quand c’est nécessaire.
Ensuite, le Gouvernement n’a pas prévu de sanction au cours de la première année, pour des raisons pédagogiques. Bien évidemment, je le dis clairement devant les représentants de la Nation, les assureurs ne pourront pas se prévaloir du fait que des sanctions ne seront pas appliquées cette année et de l’absence de port des chaînes ou de pneus neige pour invoquer une responsabilité.
Enfin, cette mesure ne concerne que 45 départements – les départements de montagne, bien évidemment. Les préfets peuvent, après concertation avec les élus, ne pas prendre d’arrêté. Monsieur le sénateur, vous ne pouvez pas nous dire tous les jours que nous prenons des décisions depuis Paris et nous reprocher de déconcentrer et de permettre aux préfets d’en prendre en concertation avec les élus. À ce jour, la moitié des préfets a instauré cette obligation par arrêté, l’autre non.
Je le répète : cette mesure est prise en application d’une loi de 2016. Il n’est pas obligatoire d’avoir des pneus de montagne, les chaînes suffisent. Il n’y aura pas de sanction au cours de la première année, qui sera une année pédagogique. Cela étant, certains sites de montagne ne sont accessibles l’hiver qu’aux véhicules équipés de pneus spécifiques ou de chaînes afin de ne pas bloquer la circulation ou de ne pas provoquer d’accidents. C’est là une mesure de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 20 octobre 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Conférence des présidents
Mme la présidente. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie ce jour, sont consultables sur le site du Sénat.
Conclusions de la conférence des présidents
SEMAINE SÉNATORIALE
Mercredi 13 octobre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 13 octobre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2, présentée par MM. Patrick Kanner, Bernard Jomier, Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Monique Lubin et plusieurs de leurs collègues (texte n° 811, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 octobre à 15 heures
- Proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, présentée par M. Jérôme Durain et plusieurs de ses collègues (texte n° 475, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 octobre à 15 heures
Le soir
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021
• Intervention liminaire du Gouvernement
• 5 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des affaires européennes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 h 30
• Réponse du Gouvernement
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 12 octobre à 15 heures
Jeudi 14 octobre 2021
À 10 h 30
- Désignation des 10 membres supplémentaires de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation
• Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de l’initiative parlementaire et des délégations, des candidatures : mercredi 13 octobre à 17 heures
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe GEST)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai (texte de la commission n° 22, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (texte n° 813, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 octobre à 15 heures
De 16 heures à 20 heures
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
- Proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 26, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : jeudi 14 octobre après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l’épidémie de covid-19, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues (texte n° 383, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 septembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 29 septembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 7 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 octobre à 15 heures
À l’issue de l’espace réservé du groupe RDSE
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs (texte de la commission n° 4, 2021-2022 ; demande du gouvernement)
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 13 octobre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Lundi 18 octobre 2021
À 16 heures et le soir
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (texte de la commission n° 47, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 13 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 18 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 18 octobre à 15 heures et mardi 19 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 15 octobre à 15 heures
Mardi 19 octobre 2021
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (texte de la commission n° 47, 2021-2022)
Mercredi 20 octobre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 20 octobre à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Éventuellement, suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (texte de la commission n° 47, 2021-2022)
- Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant la fonction de directrice ou de directeur d’école (texte de la commission n° 57, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 13 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 18 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 20 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 19 octobre à 15 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer l’adoption (texte de la commission n° 51, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 13 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 18 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 20 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 19 octobre à 15 heures
Jeudi 21 octobre 2021
À 10 h 30, 14 h 30 et le soir
- Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer l’adoption (texte de la commission n° 51, 2021-2022)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (texte de la commission n° 49, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances avec une saisine pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 13 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 18 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 20 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 20 octobre à 15 heures
Éventuellement, vendredi 22 octobre 2021
À 9 h 30 et 14 h 30
- Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (texte de la commission n° 49, 2021-2022)
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Lundi 25 octobre 2021
À 16 heures et le soir
- Projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante (procédure accélérée ; texte de la commission n° 55, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois avec une saisine pour avis de la commission des affaires sociales et de la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 13 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 25 octobre après-midi, mardi 26 octobre matin et après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 22 octobre à 15 heures
Mardi 26 octobre 2021
À 14 h 30 et le soir
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels (texte de la commission n° 36, 2021-2022)
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs de groupe : lundi 25 octobre à 15 heures
- Suite du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante (procédure accélérée ; texte de la commission n° 55, 2021-2022)
Mercredi 27 octobre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 27 octobre à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Éventuellement, suite du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante (procédure accélérée ; texte de la commission n° 55, 2021-2022)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle (texte de la commission n° 53, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 11 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 13 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 27 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Temps attribué à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 26 octobre à 15 heures
Jeudi 28 octobre 2021
À 10 h 30, 14 h 30 et le soir
- 4 conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’amendement au protocole de Göteborg du 1er décembre 1999, relatif à la réduction de l’acidification, de l’eutrophisation et de l’ozone troposphérique (texte de la commission n° 861, 2020-2021)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’avenant à l’accord de sécurité sociale sous forme d’échange de lettres des 7 et 20 septembre 2011 entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale pour l’énergie de fusion en vue de la mise en œuvre conjointe du projet ITER (texte de la commission n° 863, 2020-2021)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du Travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail (texte n° 802, 2020-2021)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la Mesure 1 (2005) annexe VI au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (n° 803, 2020-2021)
• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mardi 26 octobre à 16 heures
- Projet de loi autorisant la ratification de l’accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (n° 806, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 27 octobre à 15 heures
- Éventuellement, suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle (texte de la commission n° 53, 2021-2022)
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire
Ce texte a été envoyé à la commission des lois avec une saisine pour avis de la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 25 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 27 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 28 octobre à l’ouverture de la discussion générale
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : jeudi 28 octobre à l’issue de la discussion générale
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 27 octobre à 15 heures
Éventuellement, vendredi 29 octobre 2021
À 9 h 30 et 14 h 30
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, suite du projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 2 novembre 2021
À 14 h 30 et le soir
- Sous réserve du respect du délai d’information préalable du Gouvernement, proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à affirmer la nécessité d’un accord ambitieux lors de la COP26 de Glasgow permettant de garantir l’application effective de l’Accord de Paris sur le climat, présentée par MM. Didier Mandelli, Ronan Dantec et Jean-François Longeot (texte n° 39, 2021-2022 ; demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au premier auteur de la proposition de résolution : 8 minutes
• Temps attribué au deuxième auteur de la proposition de résolution : 6 minutes
• Temps attribué au troisième auteur de la proposition de résolution : 4 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 29 octobre à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
- Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (texte n° 680, 2020-2021) et proposition de loi visant à renforcer la régulation environnementale du numérique par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, présentée par M. Patrick Chaize (texte n° 837, 2020-2021 ; demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable)
Ces textes ont été envoyés à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Il a été décidé qu’ils feraient l’objet d’une discussion générale commune
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 18 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et les textes : mercredi 20 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 2 novembre début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale commune : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale commune : vendredi 29 octobre à 15 heures
Mercredi 3 novembre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 3 novembre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (texte n° 641, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 15 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 20 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 novembre matin
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 2 novembre à 15 heures
Jeudi 4 novembre 2021
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, demandant la mise en place d’un Agenda rural européen, présentée par M. Patrice Joly et plusieurs de ses collègues (texte n° 839 rectifié, 2020-2021)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 novembre à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
- Proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance, présenté par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe SER (texte n° 795, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 25 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 27 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 novembre à 15 heures
De 16 heures à 20 heures
(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu (texte n° 157, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 25 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 27 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 novembre à 15 heures
- Proposition de loi visant à mettre l’administration au service des usagers, présentée par M. Dany Wattebled (texte n° 76, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 25 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 27 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 2 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 3 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 novembre à 15 heures
À l’issue de l’espace réservé du groupe Les Indépendants et, éventuellement, le soir
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire ou nouvelle lecture (demande du gouvernement)
En cas de lecture de conclusions de la commission mixte paritaire :
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs de groupe : mercredi 3 novembre à 15 heures
En cas de nouvelle lecture :
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : jeudi 4 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : jeudi 4 novembre à 15 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : à l’ouverture de la discussion générale
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 3 novembre à 15 heures
PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Lundi 8 novembre 2021
À 16 heures
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (discussion générale ; texte A.N. n° 4523)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission des finances.
• Réunion de la commission pour élaborer son rapport : mercredi 3 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 5 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 8 novembre en début d’après-midi et à la suspension du soir, mardi 9 novembre matin, début d’après-midi et à la suspension du soir
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 h 30
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 5 novembre à 15 heures
Le soir et la nuit
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (discussion des articles ; texte A.N. n° 4523)
Mardi 9 novembre 2021
À 14 h 30, le soir et la nuit
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (texte A.N. n° 4523)
Mercredi 10 novembre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 10 novembre à 11 heures
De 16 h 30 à 18 heures
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (texte A.N. n° 4523)
Vendredi 12 novembre 2021
À 9 h 30, 14 h 30, le soir et la nuit
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (texte A.N. n° 4523)
Éventuellement, samedi 13 novembre 2021
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (texte A.N. n° 4523)
SEMAINE DE CONTRÔLE
Lundi 15 novembre 2021
À 17 heures et, éventuellement, le soir
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (texte n° 868, 2020-2021 ; demande du gouvernement)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 10 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 15 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 15 novembre à 16 heures
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 12 novembre à 15 heures
Mardi 16 novembre 2021
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Sous réserve de sa transmission, explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (texte A.N. n° 4523)
• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 15 novembre à 15 heures
• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 16 novembre à 12 h 30
- Débat sur l’action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 15 novembre à 15 heures
- Débat sur les priorités de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (demande de la commission des affaires européennes)
• Temps attribué à la commission des affaires européennes : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 15 novembre à 15 heures
- Projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (texte n° 755, 2020-2021 ; demande du gouvernement)
Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avec une saisine pour avis de la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 29 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 12 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 16 novembre après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 15 novembre à 15 heures
Mercredi 17 novembre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 17 novembre à 11 heures
À 16 h 30, le soir et la nuit
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, projet de loi de finances rectificative pour 2021 (demande du gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3 de la Constitution)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Réunion de la commission pour élaborer son rapport : mardi 16 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 16 novembre à 17 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 17 novembre à 14 heures
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 16 novembre à 15 heures
PROJET DE LOI DE FINANCES
Du jeudi 18 novembre à 14 h 30 au mardi 7 décembre 2021
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2022 (texte A.N. n° 4482)
Prochaine réunion de la Conférence des Présidents :
mercredi 3 novembre 2021 à 18 heures
Mme la présidente. En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
5
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 6, du 12 octobre, M. Alain Marc souhaitait voter pour ; Mme Colette Mélot, MM. Emmanuel Capus, Jean-Pierre Decool et Pierre-Jean Verzelen souhaitaient voter contre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Delmont-Koropoulis.
Mme Annie Delmont-Koropoulis. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 6, M. Henri Leroy souhaitait voter contre.
Mme la présidente. Acte vous est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
6
Candidatures à des commissions
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires économiques, de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la commission des finances et de la commission des lois ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Candidatures à des commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ordinaire et du projet de loi organique pour la confiance dans l’institution judiciaire ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
8
Vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2, présentée par MM. Patrick Kanner, Bernard Jomier, Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Monique Lubin et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 811 [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 29, rapport n° 28).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre de cette proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2, déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, alors que, ce matin même, M. le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, présentait, sauf erreur, le onzième projet de loi d’urgence sanitaire en conseil des ministres.
L’examen de notre texte permet de nouveau à la chambre haute de se pencher sur ce qui nous a mobilisés de nombreuses fois depuis un an et demi : l’épidémie de covid-19, qui a frappé durement notre pays et le monde entier. La crise n’est pas encore derrière nous, auquel cas cette proposition de loi n’aurait aucun sens. Mais nous commençons à disposer d’un certain recul, dont nous devons tirer des enseignements qui doivent nous guider, mes chers collègues.
Je précise tout de suite qu’avec ce texte notre groupe ne souhaite pas distribuer de bons ou de mauvais points sur la gestion de la crise. Comme toujours, que ce soit lors de l’examen des textes sur l’état d’urgence sanitaire, des débats en application de l’article 50-1 de la Constitution, des lois de finances rectificatives – et j’en passe –, nous souhaitons apporter à la discussion des mesures qui nous paraissent les plus justes et les plus efficaces.
Dans ce cadre, nous continuons à dire ce que nous disons depuis plusieurs mois : cette crise doit être gérée avec clarté et transparence. De la clarté, il en faut sur les objectifs visés, sur les mesures à prendre pour régler cette question fondamentale et rassurer nos concitoyens. La transparence, elle, est nécessaire concernant les prises de décision. Ces deux éléments sont indispensables pour créer une relation de confiance entre les pouvoirs publics et les Français.
Cette confiance est nécessaire pour que l’adhésion aux mesures sanitaires soit massive : l’effet d’entraînement est d’ailleurs la seule voie pour que nous sortions définitivement de cette épidémie.
Nous faisons donc le choix de cette clarté, de cette transparence, conformément à ce que nous défendons depuis juillet dernier et la mise en place du passe sanitaire. Le Gouvernement, en associant vaccination et conditionnement de la vie sociale à la présentation d’un passe sanitaire, a imposé aux Français une obligation de vaccination indirecte, qui ne dit et n’assume pas son nom. Nous pensons que l’obligation vaccinale doit donner lieu à un débat public et assumer sa nature. C’est l’exigence démocratique que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain porte à travers cette proposition de loi.
Par ailleurs, la vaccination obligatoire existe déjà pour certaines professions. Nous ne croyons pas que la lutte contre la pandémie puisse reposer sur quelques professions, qu’elle puisse se découper en tranches. Nous avons applaudi les soignants tous les soirs à vingt heures lorsque nous étions confinés. Nous ne pouvons pas les pointer du doigt une fois déconfinés !
La crise sanitaire impose une solidarité nationale. La vaccination est un devoir citoyen qui incombe à chacun pour se protéger et protéger les autres.
Certes, monsieur le secrétaire d’État, votre forme d’obligation masquée a produit ses effets cet été, il faut le reconnaître. Elle a permis de briser un premier plafond de verre vaccinal que nous sentions poindre, et qui faisait courir un grand risque à notre pays en raison de la propagation massive de ce méchant variant delta.
Aujourd’hui, nous le constatons, nous sommes devant un deuxième plafond de verre, avec environ 30 000, voire 35 000, primo-vaccinés par jour. C’est insuffisant, alors que nous devons vacciner encore 8 millions de personnes pour accéder à une immunité qui nous permettrait d’avancer avec davantage de certitudes que depuis mars 2020.
Si nous ne bougeons pas, si nous ne réagissons pas, nous atteindrons un taux de 90 % de vaccinés à l’été 2022. Trop tard pour passer avec sérénité la saison hivernale, propice au rebond épidémique ; trop lointain pour attester de l’efficacité d’une stratégie vaccinale limitée au passe sanitaire.
Le ralentissement de l’épidémie semble se confirmer en France. Tant mieux, il faut s’en réjouir, et constater que ce ralentissement est dû en majeure partie à l’augmentation de notre taux de couverture vaccinale. Pour autant, nous ne devons pas baisser la garde. Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur, nous alerte sur un potentiel redémarrage de l’épidémie à l’automne.
Grâce à la vaccination, cette vague, si elle a lieu, ne devrait pas être un calque des précédentes. Pour autant, elle pourrait tout de même provoquer des dizaines de milliers d’hospitalisations, avec son cortège de morts, de covid longs et d’embolie hospitalière.
Cela bat en brèche l’argument porté par certains, qui prétendent que cette proposition de loi arrive trop tardivement. Ce n’est pas parce que la covid-19 ne tient plus le haut de l’affiche depuis plusieurs semaines qu’elle a pour autant disparu. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, en excluant toute adaptation du passe sanitaire avant la mi-novembre et en maintenant un cadre légal qui permettrait d’avoir recours au passe sanitaire peut-être jusqu’au 31 juillet 2022, le Gouvernement semble partager notre analyse.
Je l’encourage donc à pousser sa réflexion jusqu’au bout et à assumer politiquement avec nous une vaccination obligatoire et universelle. Devant le risque que je viens d’évoquer, nous ne pouvons pas rester les bras ballants, avec un passe sanitaire qui reste un pis-aller bien imparfait, car il comporte des manques en termes de réduction de circulation virale. Quid, en effet, des métros, des supermarchés, des meetings électoraux ? Comme cela a été récemment confirmé par le ministre de l’intérieur, la campagne électorale ne passera pas par le passe sanitaire. Autant de trous dans la raquette sanitaire que viendrait combler notre proposition de vaccination obligatoire.
Oui, l’obligation engendre de meilleurs taux de vaccination ! C’est un outil qui s’est toujours avéré efficace. Utilisons-le comme nous l’avons fait en 1902, avec l’obligation vaccinale pour la variole.
J’entends aussi nos concitoyens qui s’interrogent sur le fait d’obliger à se faire vacciner avec un vaccin qui a été mis sur le marché il y a moins d’un an. Mais, pour être commercialisé, un vaccin doit obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les vaccins contre la covid-19 ont été développés en un temps record, certes, mais ils ont satisfait aux différentes phases d’essais cliniques habituellement exigés, et obtenu cette autorisation. Ce n’est donc pas un vaccin expérimental, et nous suivons simplement les recommandations des pouvoirs publics : fermons le ban sur ce point.
Ce que nous savons en revanche, c’est que les vaccins sont efficaces. Ils le sont en particulier pour éviter les formes graves et les morts, la saturation du système de santé et, de ce fait, également les morts indirectes liées à d’autres pathologies. Une étude française, menée sur 22,6 millions de personnes par EPI-PHARE, un groupement d’intérêt scientifique, montre que les personnes de plus de 50 ans ont neuf fois moins de risques d’être hospitalisées et de mourir par la covid-19 si elles sont vaccinées.
Nous avons désormais une solution pour éviter la saturation hospitalière et, avec celle-ci, le terrible tri des patients. C’est un devoir éthique, mes chers collègues, qui s’impose à nous.
Qui serait concerné par cette vaccination obligatoire ? Les personnes de plus de 60 ans en priorité, car elles sont plus vulnérables et susceptibles d’être hospitalisées. Nous voulons une application souple et intelligente de l’obligation vaccinale. Celle-ci permettrait d’étendre progressivement l’obligation par tranches d’âge, ou de l’interrompre rapidement selon l’évolution de nos connaissances médicales et l’apparition, que nous espérons, de nouvelles thérapies efficaces, par exemple.
Cette vaccination obligatoire est la seule mesure universelle aujourd’hui à notre disposition. Les publics éloignés de la vaccination, notamment les plus précaires ou ceux qui ne se sentent pas concernés par le passe sanitaire, entreront enfin de plain-pied dans la stratégie vaccinale française. Elle ne sera pas un frein à l’« aller vers », mais sera complémentaire, car elle permettra d’engager un dialogue avec celles et ceux qui sont encore dans l’angle mort de la vaccination.
Reste la question de la sanction. Il n’y en a pas dans notre texte d’origine, car l’expérience prouve que c’est l’annonce d’une obligation qui amène les populations à agir, et non l’annonce d’une sanction. On le voit, certes sur un échantillon démographique limité, en Nouvelle-Calédonie, où l’annonce de l’obligation a entraîné une hausse de la vaccination, alors qu’il n’y avait pas de sanctions pour la population générale.
Pour autant, un amendement a été déposé par une grande partie de notre groupe, que je soutiens. Il vise à la mise en place de sanctions proportionnées, à l’inverse de ce qui a été proposé pour le passe sanitaire.
Concernant le contrôle – question qui nous est fréquemment posée –, il faut également un dispositif proportionné. Plutôt qu’un contrôle partout, tout le temps, contre tous ceux qui n’auraient pas le passe sanitaire, nous pensons qu’un contrôle aléatoire serait tout à fait efficace.
Je tiens d’ailleurs à signaler, monsieur le secrétaire d’État, que nous constatons une forme de relâchement dans le contrôle du passe sanitaire sur le terrain. De mauvaises habitudes sont en train d’être prises, y compris chez les commerçants, voire même les restaurateurs.
En tout cas, le contrôle aléatoire serait beaucoup plus efficace, et nous pourrions le systématiser dans les lieux très fréquentés, avec une jauge importante.
Pour conclure, mes chers collègues, les principes qui nous ont amenés à déposer cette proposition de loi sont simples. L’obligation vaccinale ne doit pas être, et ne sera pas, l’alpha et l’oméga de la lutte contre le virus. Elle est cependant une pierre importante, fondamentale, qu’il faut additionner à une stratégie plus globale. En ce sens, nous continuerons à nous exprimer, monsieur le secrétaire d’État, sur la levée des brevets, sur le dispositif Covax, qui est loin d’avoir atteint ses objectifs, et sur les engagements internationaux de la France.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), par la voix de Maria Van Kerkhove, nous alerte, en nous disant que nous n’avons pas le contrôle du virus dans le monde. Il faut l’entendre. Rien que pendant la première semaine d’octobre ont été constatés 3 millions de cas nouveaux de contamination dans le monde, et 54 000 décès. Nous continuerons également à soutenir la recherche sur les traitements et les mesures sanitaires tant qu’elles seront nécessaires.
Mais je le répète, la vaccination universelle obligatoire est la seule solution efficace pour obtenir une couverture médicale nécessaire à notre protection collective. Avec l’obligation vaccinale, sous réserve de l’apparition de nouveaux variants résistants au vaccin, la covid-19 peut être réduite à une maladie à bas bruit, avec des résurgences saisonnières maîtrisées sur le plan sanitaire.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, parce que nous devons renforcer notre arsenal sanitaire, parce que la vaccination est un devoir citoyen, parce que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, je vous invite chaleureusement à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prix Nobel de la paix vient d’être décerné à deux journalistes courageux. L’une d’elles, Maria Ressa, apprenant sa distinction, a rappelé qu’« un monde sans faits signifie un monde sans vérité et sans confiance ».
Les faits, mes chers collègues, sont devenus des objets de débat. Les faits, et non pas la signification qu’on peut leur donner, les causes qui les déterminent, les conséquences qu’on en tire – toutes choses qui devraient être l’objet du débat politique. Mais il nous faut, en ce début de siècle, nous battre simplement pour dire la vérité des faits.
Et la vérité des faits, c’est que les vaccins contre la covid-19 sont efficaces comme peu de vaccins l’ont été, qu’ils sont sûrs, et qu’ils sont notre meilleure arme pour réduire la pandémie à l’état d’un bruit de fond sans graves conséquences économiques, sanitaires et sociales. Sans ces vaccins, tout notre pays aurait subi, à l’arrivée du variant delta, ce qu’ont subi ceux de nos territoires où les populations sont trop peu vaccinées.
Il nous faut maintenant, avec les vaccins, fournir un dernier effort, un effort collectif. En juillet dernier, pour justifier la vaccination obligatoire de certains professionnels contre la covid-19, le Gouvernement a mis en avant leur devoir d’exemplarité et leur responsabilité éthique vis-à-vis des personnes vulnérables. Face à un virus imprévisible, dont les mutations continuent de menacer la résilience de notre système de santé, la responsabilité de la lutte contre cette épidémie ne peut reposer que sur ces seuls professionnels. Elle est bien entendu collective, et chacun d’entre nous doit y prendre sa part.
Cette responsabilité collective comprend le respect des gestes barrières, oui. Mais la dernière étape pour tourner la page de cette épidémie, nous devons la franchir tous ensemble en mobilisant l’arme la plus sûre et la plus efficace : le vaccin. Par essence, se faire vacciner est un geste solidaire. Après 117 000 décès et un coût de la crise de plus de 400 milliards d’euros pour les finances publiques, qui parmi nous peut se permettre de faire l’économie d’un tel geste ?
Nous avons les moyens, avec la vaccination, de nous rendre collectivement maîtres de cette épidémie pour la transformer en un phénomène à bas bruit, contrôlé sur le plan sanitaire. Une très grande majorité de Français se sont fait vacciner. Ils aspirent donc légitimement à ce que les restrictions cessent.
Cet objectif est à notre portée si nous parvenons, à court terme, à un taux d’immunité, vaccinale ou naturelle, d’au moins 90 %. Il reste environ 9 millions de personnes à immuniser pour atteindre ce niveau de protection collective. Et ce n’est pas le passe sanitaire, dont les effets s’essoufflent considérablement, qui nous permettra d’y parvenir. Avec 30 000 primo-vaccinations par jour, nous ne pouvons espérer atteindre une proportion de 90 % de la population vaccinée, comme l’a dit Patrick Kanner, avant l’été prochain.
Or, d’ici là, la probabilité que nous connaissions une nouvelle vague existe bel et bien, avec tout ce que cela emporte d’hospitalisations, de décès et de covid longs, même si nous pouvons espérer que notre système de santé ne serait pas, de nouveau, saturé.
Sommes-nous prêts à prendre ce risque ? À côté d’une petite minorité bruyante d’antivax, j’entends cette majorité de Français qui se sont acquittés de cet acte citoyen qu’est la vaccination. J’entends les deux Français sur trois qui soutiennent l’obligation vaccinale universelle. C’est pourquoi le texte que nous examinons aujourd’hui propose d’inclure dans la liste des vaccinations obligatoires la vaccination contre le SARS-CoV-2, tout en ménageant entièrement au Gouvernement la souplesse réglementaire nécessaire pour son déploiement, en termes de rythme comme de populations.
Quant à ceux qui nous opposent qu’une obligation vaccinale est inopérante faute de moyens pour en contrôler le respect, je fais appel à leur mémoire.
L’obligation vaccinale n’est vraiment pas une nouveauté dans notre pays. La variole au début du siècle dernier, la diphtérie, le tétanos, la tuberculose, la poliomyélite : autant de maladies qui faisaient chaque année sensiblement moins de morts que la covid-19, et que nous avons maîtrisées grâce à la vaccination obligatoire.
Quelles étaient les sanctions encourues pour faire respecter ces obligations vaccinales historiques ? Des amendes contraventionnelles, et rien d’autre. Or qui peut dire ici que la vaccination obligatoire contre ces maladies n’a pas fonctionné ? L’existence d’une contravention implique-t-elle de contrôler chaque individu à chaque coin de rue ? Non. Les exemples récents de l’obligation vaccinale universelle contre le covid-19 en Nouvelle-Calédonie ou des obligations vaccinales votées en 2018 montrent que la hausse des personnes vaccinées a été obtenue en amont de toute sanction.
Je n’ai aucun regret des propos que j’ai tenus dans cet hémicycle en 2018 face à celles et ceux qui rejetaient déjà l’obligation vaccinale. Car les faits ont parlé, et la vérité des faits, c’est que les objectifs ont été atteints, et rapidement, et que nous sommes à présent en phase d’éradication de maladies contre lesquelles notre lutte patinait, stagnait et s’enlisait. Ce sont des enfants que nous avons sauvés, et des enfants auxquels seront épargnées de lourdes complications.
Il nous faut donc regarder au-delà de la sanction comme gage d’effectivité. Au-delà de la contravention, la mise en place d’un passeport vaccinal, sur le modèle récemment décidé en Écosse, c’est-à-dire limité à certaines situations à haut risque, pourrait renforcer l’obligation.
Enfin, ne sous-estimons pas l’impact psychologique d’une obligation vaccinale : dès lors que le vaccin est obligatoire et non plus seulement recommandé, sa perception comme outil efficace de santé publique en sort renforcée – cela aussi, c’est démontré.
Mes chers collègues, l’obligation vaccinale et une politique d’« aller vers » ne sont pas antinomiques. Tout au contraire, l’obligation, en plaçant l’État en situation de devoir, favorise cet « aller vers ».
L’exemple récent de la Nouvelle-Calédonie l’illustre. Les élus y ont adopté l’obligation vaccinale universelle le 3 septembre. Les communautés kanakes isolées ont en conséquence demandé à l’État, en l’occurrence au Haut-commissaire de la République, de leur apporter le vaccin en utilisant les hélicoptères de l’armée ; ce fut fait. Depuis, la part des personnes vaccinées est passée de 31 % à plus de 70 %. C’est aussi pour cette raison que le président du département le plus défavorisé de métropole soutient et demande l’obligation universelle.
Au fond, cette proposition de loi porte la conviction que la défense de l’intérêt collectif est la plus efficace pour protéger une société. Cette conviction doit émaner de chacun de ses membres, oui. Mais elle doit aussi savoir, lorsque c’est nécessaire, lorsque c’est légitime, être celle de la loi.
Je mesure, dans ce débat sur l’obligation, combien des années de progression de l’individualisme ont fini, à l’extrémité de l’échiquier politique, par transformer ce bien si précieux que sont nos libertés individuelles en un égoïsme sociétal maquillé, avec une parfaite indécence, en actes de résistance. Oui, c’est un choix politique que de décider, à l’heure de l’arbitrage, de ne pas réserver les obligations à certains – soignants ou gendarmes – pour en exonérer les autres.
Mes chers collègues, la commission des affaires sociales a rejeté le texte, que je vous invite, à titre personnel, à adopter. Je pense qu’il poursuit utilement un objectif que nous partageons certainement : rassembler l’ensemble de nos concitoyens dans un effort collectif pour vaincre cette épidémie et tourner la page d’une crise sanitaire qui n’a que trop duré. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Patrick Kanner, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi visant à créer une obligation de vaccination généralisée contre la covid-19.
Pour lutter structurellement contre l’épidémie de covid-19 et sortir progressivement de la crise sanitaire, la vaccination de l’ensemble de la population est bien la seule réponse efficace, durable et sûre, compte tenu des limites et des risques associés à la recherche d’une immunité collective par la circulation du virus.
La quatrième vague épidémique, provoquée dès cet été par l’apparition du variant delta, a été maîtrisée sans recourir à de nouvelles restrictions, ce qui montre d’ailleurs bien tout l’intérêt de la vaccination.
Depuis le début de l’année 2021, le Gouvernement a lancé une campagne de vaccination d’une ampleur sans précédent, selon un calendrier priorisant les populations les plus fragiles, puis certaines catégories professionnelles et, enfin, s’ouvrant à l’ensemble de la population adulte et, depuis la mi-juin, aux mineurs âgés de 12 à 17 ans.
Aujourd’hui, vous connaissez les chiffres et ils sont satisfaisants : près de 51 millions de schémas vaccinaux entamés, et 44 millions de schémas vaccinaux complets. Ce n’est là rien de moins que l’une des meilleures couvertures vaccinales d’Europe.
Si ces chiffres généraux sont satisfaisants, il ne faut évidemment pas, et sous aucun prétexte, relâcher nos efforts, ni pour la vaccination de ceux qui hésitent ou qui doutent encore – en effet, certains publics ou certains territoires, notamment en outre-mer, restent insuffisamment couverts – ni pour la campagne de rappel, sur laquelle je reviendrai.
Face aux inégalités sociales et territoriales dans l’accès à la vaccination qui viennent d’être évoquées, des actions dites d’« aller vers » ont été mises en place dès le printemps, afin de toucher les publics précaires ou éloignés du soin. Plus de 90 % des structures d’hébergement social, tels les foyers de travailleurs migrants ou les centres d’accueil pour sans-abri, ont été ciblées par au moins une opération de vaccination.
Le principal point de progression concerne aujourd’hui la vaccination des personnes âgées de plus de 80 ans, qui reste inférieure à nos attentes. Une instruction récente, cosignée avec le ministre de l’intérieur, vise à mobiliser l’ensemble des partenaires locaux et à faciliter à la fois la prise de rendez-vous et l’accès à la vaccination à domicile.
Des actions spécifiques concernent également les outre-mer ; nous avons eu l’occasion d’en discuter ici même la semaine dernière, lors d’un débat organisé par la délégation sénatoriale aux outre-mer et par son président, le sénateur Stéphane Artano.
Par ailleurs, nous progressons en matière de rappel vaccinal. Un déclin de l’efficacité vaccinale au cours du temps a en effet été observé, en particulier chez les personnes fragiles, face au variant delta. Cette perte d’efficacité s’observe du point de vue de l’infection et de la contagiosité, mais aussi des formes graves de la covid-19.
Face à ce constat, et conformément aux avis rendus par la Haute Autorité de santé (HAS) et par le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, la France s’est engagée, dès le début du mois de septembre, dans une campagne de rappel à destination des plus fragiles. Sont concernées, six mois après leur dernière dose de vaccin, les personnes de plus de 65 ans, celles présentant des comorbidités ou immunodéprimées et, quatre semaines après leur primo-vaccination, les personnes vaccinées avec le vaccin Janssen, ainsi que plus récemment les professionnels de santé et l’entourage des personnes immunodéprimées. Cela porte à 4,5 millions le nombre de personnes ainsi éligibles, compte tenu des intervalles à respecter entre primo-vaccination et rappel. Plus de 40 % d’entre elles ont déjà effectué leur rappel.
La campagne de rappel vaccinal française est l’une des plus dynamiques d’Europe, même s’il convient de l’accélérer encore, évidemment. La dose de rappel accroît la protection individuelle contre les formes graves, mais également notre protection collective, dans l’hypothèse où notre pays devrait affronter au cours de l’hiver une accélération brutale de la circulation virale.
La stratégie vaccinale retenue par le Gouvernement a fait toutes ses preuves, en faisant appel à l’esprit de responsabilité de nos concitoyens et en mobilisant toutes les énergies disponibles. À ce titre, il faut saluer la contribution de toutes les parties prenantes, notamment des collectivités territoriales et des élus locaux, à la conduite de cette campagne, avec le soutien opérationnel, humain et financier de l’État, en particulier celui des agences régionales de santé (ARS).
Nous avons souhaité un équilibre entre protection de la santé publique et liberté individuelle, en n’imposant pas de manière généralisée la vaccination à nos concitoyens. Il faut continuer, en poursuivant les opérations d’« aller vers », en les affinant plus encore vers les publics les plus éloignés du système de soins, et poursuivre la campagne de rappel, dont le public éligible va progressivement s’élargir.
Ce n’est toutefois pas en imposant une obligation générale, inapplicable…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi serait-elle inapplicable ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. … et qui pourrait même, selon nous, créer un certain nombre d’injustices, que nous parviendrons à l’achèvement de la couverture vaccinale. Seuls les professionnels se sont vu imposer une telle obligation, vous le savez, afin d’être protégés et de protéger les patients dont ils prennent soin.
Nous croyons à l’information, à la pédagogie, à l’incitation, à l’accompagnement, au rappel des gestes barrières, à la nécessité de contrôler les passes sanitaires et de ne pas baisser la garde, mais nous ne croyons pas à l’obligation vaccinale pour progresser sur le chemin de la vaccination collective.
Il faut convaincre et non forcer. C’est ainsi que nous avons avancé depuis le début, avec des résultats remarquables, grâce à l’implication de tous ; c’est ainsi que nous entendons poursuivre. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne soutiendra pas la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Véronique Guillotin et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi de nos collègues socialistes a, semble-t-il, ravivé la flamme du combat des antivax, non contents de crier au scandale, voire au « génocide planétaire », et d’appeler à la révolte contre cette nouvelle « arme biologique ».
Pour avoir reçu un grand nombre de sollicitations de cette teneur, je soutiens les auteurs et le rapporteur de la proposition de loi, qui ont dû faire face à une campagne massive d’intimidations. Au-delà du débat de fond auquel je vais me prêter, il n’est pas acceptable de voir ainsi menacés des élus de la République. Le pouvoir législatif doit pouvoir continuer à s’exercer et à être force de proposition, quels que soient le sujet et les crispations au sein de notre société.
J’aimerais avant tout rappeler, une nouvelle fois, combien je suis favorable à la vaccination. Elle est la seule manière de prévenir et de contenir les maladies infectieuses graves. Elle est notre seule porte de sortie dans cette crise. Elle est une chance formidable, alors que la pandémie nous entraînait inexorablement vers un abîme sanitaire, économique, social et – nous l’avons vu hier – éthique.
La baisse du nombre d’hospitalisations et de décès parle d’elle-même, ainsi que le différentiel entre les départements et les pays où le taux de vaccination est élevé et ceux où il reste faible. Le vaccin protège, même en présence de variants, des formes graves et sévères de la covid. Il réduit aussi la charge virale en cas d’infection, puisque les personnes vaccinées sont douze fois moins infectées que les autres. Une grande étude française, réalisée sur 22 millions de personnes et publiée cette semaine, confirme d’ailleurs cette efficacité : les personnes vaccinées de plus de 50 ans ont neuf fois moins de risques d’être hospitalisées et de mourir de la covid.
L’obligation vaccinale ne me choque pas dans l’absolu. La première, qui visait à lutter contre la variole, date de 1902. Nous en sommes aujourd’hui à onze vaccins obligatoires pour les enfants. J’ai soutenu cette réforme en 2018, convaincue qu’il fallait frapper fort, dans un contexte de défiance croissante à l’égard des vaccins, de recul de la couverture vaccinale et de résurgence inquiétante de certaines maladies que l’on croyait d’un autre temps.
Face à la covid, et comme l’a souligné très justement l’Académie nationale de médecine, la vaccination est non seulement un geste civique, mais encore un impératif éthique, car les conséquences sur la santé et la vie quotidienne de nos concitoyens sont quasiment sans précédent.
Néanmoins, j’ai le sentiment que cette obligation arrive au mauvais moment. Elle arrive trop tôt, non pas que le vaccin ne soit pas fiable ou qu’il ait été trouvé trop précocement, mais parce que, face à un virus encore mal connu et évolutif, nous ne maîtrisons ni le schéma vaccinal, ni le nombre de doses nécessaires, ni la fréquence d’injection.
Les variants nous imposeront probablement d’adapter le vaccin et nous n’avons encore que peu de visibilité sur l’évolution de cette maladie à moyen terme. En cela, la covid est bien différente des maladies ciblées par les onze vaccins déjà obligatoires.
D’une certaine manière, l’obligation vaccinale arriverait également trop tard. À ce jour, 85 % du public cible – les plus de douze ans – sont déjà vaccinés. Les jeunes âgés de 12 à 17 ans présentent des taux de vaccination encourageants, alors que les doses ne leur sont ouvertes que depuis le 15 juin dernier. Surtout, le passe sanitaire leur est imposé depuis le 30 septembre seulement.
La dynamique est là, elle est positive. Elle sera probablement renforcée par la fin de la gratuité des tests dans quelques jours. Malgré le bruit qu’ils font, les antivax et antipasse sont largement minoritaires. Enfin, prenons conscience du fait que tous les indicateurs sont au vert : l’incidence, la circulation virale, les hospitalisations… Nous devons cependant continuer à faire attention.
Aussi, proposer la vaccination obligatoire maintenant relancerait un débat qui semble aujourd’hui daté, puisque l’immense majorité de la population est désormais vaccinée.
D’une part, pour les plus récalcitrants, l’instauration d’une obligation, qui plus est assortie d’une sanction, raviverait les crispations, au moment où la résilience envers le vaccin et une forme de confiance semblent s’instaurer, au moment où la société se tourne vers son avenir et que se dessinent les contours d’une relance qui se doit d’être historique.
D’autre part, elle ne permettrait pas la vaccination de ceux qui souhaiteraient être vaccinés, mais qui en sont trop éloignés, en particulier les habitants des zones très rurales, les personnes rencontrant des difficultés pour se déplacer ou simplement pour prendre un rendez-vous. Je pense, par exemple, aux plus de 80 ans qui ne sont pas en établissements et chez qui le taux de vaccination reste insuffisant.
Enfin, même si la proposition de loi demeure vague à ce sujet, cette obligation vaccinale reviendrait à remplacer le passe sanitaire par un passe vaccinal… Sinon, comment effectuer des contrôles dans la population générale ? Dans le cas d’une obligation pour tous, devra-t-on interdire l’école aux enfants non vaccinés ? Ces questions restent en suspens, alors qu’elles me semblent encore primordiales.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE votera contre cette proposition de loi. Ne changeons pas notre fusil d’épaule aujourd’hui. Je le répète, nous sommes favorables à la vaccination la plus large possible et invitons tous les Français à s’engager sur cette voie, pour leur santé et celle des autres.
Le passe sanitaire, qui s’est montré éminemment efficace – la France affiche le meilleur taux de vaccination européen – nous semble pour l’heure suffisant, en ce qu’il permet de préserver les activités tout en assurant un certain degré de protection et de liberté. Pour être pleinement efficient, il doit néanmoins, nous le répétons, s’assortir de mesures plus fortes en matière de sensibilisation et de pédagogie.
Enfin, pour les personnes les plus éloignées de la vaccination, une campagne massive doit s’engager avec les collectivités locales, au plus près des territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, décidément, l’Élysée et Matignon savent pouvoir compter sur les idiots utiles en toutes circonstances ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Preuve en est, aujourd’hui même, aujourd’hui encore, tandis que le Gouvernement présente la prorogation du passe sanitaire en conseil des ministres : les sénateurs socialistes, jamais en retard d’une loi liberticide, veulent imposer l’obligation vaccinale aux Français, y compris aux mineurs, le tout assorti, bien évidemment, d’une amende en cas de non-respect de cette infamie.
Le passe sanitaire a pourtant déjà fracturé notre pays entre ceux dont la profession les oblige à être vaccinés, ceux qui se sont résignés à être vaccinés pour vivre sans être pourchassés, ceux qui ont été vaccinés volontairement, et ceux, dont je suis, qui ne sont pas vaccinés, qui ne veulent pas l’être (Protestations et quelques huées sur les travées du groupe SER.) et qui, pour en avoir marre d’être harcelés, seraient tentés désormais, plutôt que de faire un discours de trois minutes, de vous adresser pour seule réponse les cinq lettres si chères à Cambronne. Mais la bienséance sénatoriale me retiendra de le faire cette fois encore ! (Protestations sur toutes les travées.)
Après dix-huit mois de mensonges, d’impréparation, de manipulation et de culpabilisation, le pouvoir est arrivé à ses fins : chaque citoyen est devenu aux yeux de l’autre flic, juge ou criminel en puissance. Ce désastre ne vous suffit-il pas, que vous vouliez encore jeter de l’huile sur le feu de la division ?
La loi scélérate dresse les Français les uns contre les autres, alors que sa raison d’être est la réalisation du bien commun et de l’unité nationale.
À l’instar des pays autoritaires du Tadjikistan et du Turkménistan, qui sont les deux seuls pays à avoir imposé le vaccin à tous les adultes, la France devient le Macronistan, où la liberté de conscience de ses habitants est écrasée par l’argument de sécurité sanitaire. (M. Stéphane Ravier retire son masque. – « Le masque ! » sur les travées du groupe SER.)
Au contraire, et je le dis depuis de longs mois, il n’y a qu’une ligne qui soit tenable, mes chers collègues, et il nous faut l’ériger en principe de liberté indépassable : le vaccin doit toujours rester volontaire et ne jamais devenir obligatoire. Vous disposez d’assez de supports de propagande et de suppôts estampillés « journalistes » pour tenter de convaincre plutôt que de contraindre.
Cet été, pour justifier le passe sanitaire, vous annonciez « une charge virale mille fois supérieure du variant delta ». Mille fois ! Rien de tout cela n’a été observé dans la réalité, alors que plus de la moitié des Français n’étaient pas encore vaccinés. Vous vous êtes trompés, ou plutôt vous avez délibérément voulu tromper, voulu faire peur, une fois de plus.
En définitive, le dispositif législatif que vous nous présentez est gravement attentatoire aux libertés fondamentales et à l’universalité des droits. Sur les plans philosophique et conjoncturel, tout s’oppose à continuer cette fuite en avant autoritaire, engagée par le pouvoir en place.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je fais appel à votre esprit critique pour voter en faveur des libertés et contre l’obligation vaccinale, qui accélérerait, à n’en pas douter, le basculement de notre société dans un quotidien de surveillance et de contrôle généralisés. (Mme Laurence Muller-Bronn applaudit.)
M. Olivier Jacquin. C’est un vaccin contre la rage qu’il vous faudrait !
Mme la présidente. Permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler les règles concernant le port du masque dans l’hémicycle. Le masque n’est plus obligatoire à la tribune. Chaque sénateur ou sénatrice est libre de faire comme il ou elle le souhaite lors de son intervention à la tribune. (« Même les non-vaccinés ? » sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. On vient d’être infectés !
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Désinfectez le micro !
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je n’avais pas prévu de dire ces quelques mots, mais je considère ce que je viens d’entendre comme totalement inacceptable.
Je ne peux, monsieur Ravier, accepter et entendre vos insultes ! Vous n’avez pas le droit, parce que vous êtes parlementaire, de nous parler sur ce ton, de nous traiter d’idiots, de parler de loi scélérate… (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
C’est inacceptable ! (M. Stéphane Ravier s’exclame.) Vous n’avez plus la parole, monsieur Ravier, c’est moi qui suis au micro, ça suffit ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Nous sommes réunis pour débattre de la proposition de loi du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, tendant à instaurer une vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2. Il apparaît en effet légitime, à ce stade, de nous interroger, de questionner les politiques publiques visant à faire face à la crise sanitaire ; et, ce faisant, d’échanger sur ce sujet de l’obligation vaccinale avec l’ensemble de la représentation nationale.
En associant vaccination et conditionnement de la vie sociale à la présentation d’un passe sanitaire, le Gouvernement a mis en place une obligation de vaccination indirecte qui ne dit pas son nom. Nous ne voulons pas non plus que l’obligation vaccinale et la lutte contre la pandémie reposent uniquement sur quelques professions.
Sûre et efficace, la vaccination contre la covid-19 est aujourd’hui le seul moyen d’atteindre une protection collective suffisante pour espérer maîtriser durablement l’épidémie et permettre un retour à une vie normale. En limitant les formes graves et les hospitalisations, mais aussi en réduisant la transmissibilité du virus, la vaccination est la clé, à la fois d’une sortie de crise et de notre liberté collective.
Si l’annonce, à la mi-juillet, par le Président de la République, de l’extension du passe sanitaire a permis de relancer le rythme des vaccinations, on voit bien que cet outil a épuisé ses effets. Les primo-vaccinations ne progressent pas suffisamment. On observe même une tendance à la baisse depuis la fin juillet. Les personnes les plus vulnérables ne sont pas suffisamment vaccinées : 83 % seulement des plus de 80 ans sont vaccinés, contre 100 % en Espagne. Seuls 85 % de nos concitoyens présentant des comorbidités le sont. C’est trop peu.
De même, la vaccination est très inégale selon les territoires : les Français vivant dans les départements ultramarins sont insuffisamment vaccinés à ce jour. On y déplore un nombre d’admissions en réanimation et de décès sans précédent. La fracture territoriale est réelle : à la fin septembre, la Seine-Saint-Denis affichait, elle aussi, un taux de vaccination très en dessous de la moyenne nationale. C’est tristement dans les départements les plus pauvres que la population est la moins vaccinée.
En somme, il reste environ 9 millions de Français à vacciner. À ce rythme, ils ne le seront pas d’ici à l’été 2022. Or le risque d’une cinquième vague, cet hiver, n’est pas écarté par les épidémiologistes. Non, nous ne sommes pas sortis de la pandémie. Le variant delta représente toujours un risque élevé, capable de mettre une fois de plus notre système de soins en difficulté. Il faut donc agir au plus vite, pour gagner les quelques points de vaccination qui nous manquent.
Nous considérons qu’il est nécessaire d’aller vers les Français non encore vaccinés, en particulier vers les plus fragiles. La vaccination obligatoire en population générale créera une obligation, pour l’État, de déployer des moyens en matière de pédagogie et d’incitation à la vaccination. Ces derniers seront très utiles pour protéger ceux qui ont des difficultés d’accès aux soins et à l’information, ou qui sont dans la défiance.
Certaines politiques publiques, en particulier le passe sanitaire, souffrent aujourd’hui d’un manque de lisibilité. Ce dernier divise les Français et limite leurs libertés individuelles au travers de règles souvent peu cohérentes et peu compréhensibles par tous.
Grâce à la vaccination obligatoire, à l’inverse de ce passe, nous faisons le choix de la clarté et surtout de la responsabilité. Nous espérons, notamment, mettre fin aux trop nombreuses déprogrammations auxquelles nos hôpitaux sont aujourd’hui contraints. Elles ont des conséquences sanitaires considérables, entraînant notamment des retards en matière de prévention. L’obligation vaccinale doit permettre à l’hôpital public de reprendre l’ensemble de ses activités, au bénéfice de tous les patients.
Notre proposition de loi, qui s’inscrit dans le cadre légal existant de santé publique, se veut souple. Nous proposons que les personnes âgées de plus de 60 ans, plus vulnérables et susceptibles d’être hospitalisées, soient concernées en priorité. L’obligation doit s’appliquer de façon pragmatique et intelligente. Il s’agira d’étendre progressivement le dispositif, par tranche d’âge ou – cela a été dit – de l’interrompre rapidement selon l’évolution de nos connaissances médicales, en cas de nouvelles thérapies efficaces, par exemple.
Certains nous interpellent sur la légalité de notre proposition. Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de juger que, lorsque la santé publique l’exige, l’obligation vaccinale est une restriction de liberté proportionnée au droit à l’intégrité physique. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle a, en avril dernier, admis que si l’obligation vaccinale représentait une ingérence dans le principe du droit au respect de la vie privée, celle-ci était proportionnée au regard du principe de solidarité sociale et aux buts que sont la protection de la santé et la protection des droits d’autrui.
Du fait de l’ampleur des conséquences de la covid-19 sur la société en matière de santé, de restrictions des libertés fondamentales telles que la liberté d’aller et venir, ou sur la vie économique et sociale, nous sommes légitimement fondés à penser qu’il n’existe pas d’obstacles juridiques à reconnaître l’obligation vaccinale contre la covid-19 comme une solution proportionnée.
Quand la liberté individuelle porte une atteinte à la santé collective de la population, l’équilibre doit être rétabli par la loi afin de protéger l’ensemble de la société. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie met en œuvre cette obligation vaccinale depuis le début du mois de septembre. Elle voit son taux de vaccination augmenter rapidement depuis cette date et les choses vont dans le bon sens. De même, le passage de trois à onze vaccins obligatoires chez les enfants, voté en 2018, nous a permis d’atteindre les objectifs fixés, après de longues années de stagnation. Nous ne proposons rien d’original ou d’inédit.
Certains nous qualifient parfois d’irresponsables. Nous imposerions aux Français de se faire injecter un vaccin qui, selon eux, serait « expérimental ». Je rappelle, là aussi, que pour être commercialisé, un vaccin doit obtenir une autorisation de mise sur le marché. Les vaccins contre la covid-19 ont été développés en un temps record, certes, mais ils ont bien évidemment satisfait aux différentes phases d’essais cliniques habituellement exigées. Ils ont obtenu cette autorisation. Ce ne sont donc pas des vaccins expérimentaux. Nous suivons les recommandations des pouvoirs publics.
Mes chers collègues, agir pour assurer la sécurité des Français et protéger notre système de santé et le personnel soignant : voilà ce que nous vous proposons aujourd’hui. Savoir modifier la stratégie vaccinale de notre pays et, pour ce faire, ses outils, c’est tout simplement s’adapter à la réalité de l’évolution de la pandémie.
Pour les sénateurs et sénatrices du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, vous l’avez compris, l’heure de l’obligation vaccinale est venue. Elle seule constitue une démarche de protection collective, de lutte contre les inégalités territoriales, sociales, en créant un devoir pour l’État d’aller vers ceux qui sont aujourd’hui éloignés de la protection que constitue la vaccination. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout est ici question d’arbitrage et de choix politique. Quelles libertés sommes-nous prêts à sacrifier pour être mieux protégés ? (M. Loïc Hervé opine.) Quels dangers sommes-nous prêts à côtoyer pour garder le maximum de libertés ?
Chacun possède ses valeurs propres, sa représentation du monde, qui l’amènent à choisir un point d’équilibre entre liberté et sécurité. Et c’est le rôle même du législateur de construire ce point d’équilibre qui fait Nation.
Considérant la vaccination obligatoire comme étant le seul chemin pour sortir d’une politique de sécurité sanitaire et entrer dans une politique de santé publique, Patrick Kanner, Bernard Jomier, Marie-Pierre de La Gontrie, Monique Lubin et plusieurs de leurs collègues ont déposé au Sénat un texte, qui dans un article unique, propose de modifier l’article L. 3111-2 du code de la santé publique, afin d’ajouter la vaccination contre le SARS-CoV-2 dans la liste des vaccinations obligatoires.
Si nous comprenons l’objectif, car la vaccination est notre meilleur atout, nous ne pensons pas qu’une telle démarche soit nécessaire. L’intérêt public de la vaccination est indéniable. À ce jour et depuis le début de la campagne de vaccination en France, 51 millions de personnes ont reçu au moins une injection et plus de 49 millions de personnes ont désormais un schéma vaccinal complet.
Aussi, compte tenu de l’ampleur de notre couverture vaccinale, la pédagogie et la prospection des territoires en carence restent les approches les plus utiles à destination de nos concitoyens non vaccinés.
M. Loïc Hervé. C’est bien vrai !
M. Martin Lévrier. Souvenez-vous, il y a moins d’un an, le 3 décembre 2020, une enquête IFOP-Fiducial, menée auprès de 1 003 personnes, indiquait que seuls 39 % des Français avaient l’intention de se faire vacciner. Les doutes quant à l’efficacité du vaccin et la crainte d’éventuels effets secondaires après sa mise au point rapide, la perte de confiance dans les scientifiques, la montée de l’individualisme et l’hostilité aux institutions expliquaient en grande partie ces réticences. À titre de comparaison, les Allemands à la même époque y étaient prêts à 79 %, les Britanniques à 69 %, les Italiens à 65 %. Ce taux se situait à 64 % aux États-Unis. Les plus favorables à la vaccination étaient les Indiens et les Chinois, respectivement à hauteur de 87 % et 85 %.
En France, les incitations à la vaccination liées à la mise en place du passe sanitaire, laquelle préserve une liberté de choix pour ceux qui désireraient encore réfléchir, ont largement fait leurs preuves. D’ailleurs, il est à noter que du respect du confinement aux gestes barrières en passant par la vaccination, les Français ont joué le jeu, et ce depuis les prémices de la pandémie, et nous devons ici les remercier. (M. Loïc Hervé acquiesce.)
Nous avons eu raison de faire confiance à l’esprit de responsabilité de chacun. C’est la raison pour laquelle la vaccination tend aujourd’hui vers une couverture totale de la population, dans un climat qui s’apaise, voire qui est totalement apaisé.
La fin de la gratuité généralisée des tests de dépistage à la mi-octobre devrait, elle aussi, renforcer les incitations à la vaccination. Il en est de même des dispositifs d’« aller vers ». J’en avais exprimé la demande lors de la déclaration du Gouvernement sur la place de la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l’épidémie du 17 décembre dernier.
Les dispositifs d’« aller vers », développés très tôt pendant la campagne de vaccination, se poursuivent pour permettre la vaccination des personnes éloignées du système de soins, celle des personnes ne pouvant prendre rendez-vous en ligne, ou encore des personnes en situation de handicap, des travailleurs migrants, des détenus, etc.
Un premier bilan fait état de 1,2 million de patients vaccinés grâce à ces dispositifs d’« aller vers ». D’autres opérations sont en cours de montée en charge.
À la demande pertinente du Conseil de l’Ordre des médecins généralistes et avec l’appui du Gouvernement, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a validé, le 7 juillet, l’envoi aux médecins traitants de la liste de leurs patients non vaccinés.
M. Loïc Hervé. Qui le demande ?
M. Martin Lévrier. Nous comptions fortement sur ce point pour accentuer les efforts visant à informer et à convaincre les personnes n’ayant reçu encore aucune dose. Je profite d’ailleurs de ce temps de parole pour les encourager à continuer de contribuer au succès de cette mesure, peut-être la plus importante de toutes.
Aussi, alors que la situation sanitaire s’améliore et que certaines personnes vaccinées semblent réticentes à une troisième dose – elles sont sûrement suffisamment rassurées par les chiffres de la pandémie –, la proposition de loi du groupe socialiste aura un effet totalement contre-productif et braquera davantage les plus réfractaires. Si la pédagogie génère la confiance, la coercition, elle, rajoute de la peur à la peur.
En outre, le texte que nous examinons aujourd’hui reste muet sur les modalités de cette obligation vaccinale et sur les conséquences ou sanctions en cas de manquement, et laisse entière la question des moyens de contrôle de son respect. Dénuée de toute sanction, cette mesure « obligatoire » est dépourvue de tout effet crédible.
Une « bonne » loi, dois-je le rappeler, est d’abord une loi applicable, c’est-à-dire normative.
Enfin, et pour conclure, le Gouvernement et la majorité présidentielle, soucieux de déterminer le point d’équilibre entre liberté et sécurité, se voyaient – souvenez-vous – reprocher un abus de pouvoir et leur autoritarisme par des détracteurs. Ceux-là mêmes qui, hier, prônaient le « 100 % pédagogie » revendiquent, aujourd’hui, le « 100 % coercition ».
En résumé, vous vouliez la liberté ; désormais, vous prônez la sécurité absolue. Vous n’avez pas compris que le passe sanitaire était la concrétisation du « en même temps » : il construit le juste équilibre qui permet à chaque Français d’être acteur de la gestion de cette pandémie.
M. Loïc Hervé. C’est pour cela qu’il faut le supprimer !
M. Martin Lévrier. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la découverte en un temps record de vaccins contre la covid-19 a été une première et grande victoire, en particulier quand on pense aux vaccins à ARN messager qui ouvrent de nouveaux horizons thérapeutiques.
La vaccination massive de la population française a permis de stabiliser la situation sanitaire. Où en serions-nous, si nous n’avions pas de vaccin ? Vingt et un nouveaux départements sont passés sous le seuil d’alerte ce lundi, si bien que de nombreux enfants suivent désormais une scolarité sans masque. Je souhaite remercier les élus, les soignants et les sapeurs-pompiers, qui ont fait un travail considérable, aux côtés de l’État, pour mener à bien la campagne de vaccination.
À partir de cette semaine, les tests de confort ne seront plus remboursés par la sécurité sociale et nous entamons les campagnes de rappel pour les personnes immunodéprimées, les soignants et les personnes âgées de plus de 65 ans.
Actuellement, plus de 87 % de la population éligible a reçu une première dose de vaccin en métropole. Les médecins généralistes sont en première ligne pour poursuivre l’effort vaccinal – ils ont désormais la possibilité de disposer de vaccins Pfizer et Moderna.
Le passe sanitaire a permis de franchir un cap difficile, sans imposer une vaccination obligatoire pour tous. Ce dispositif incitatif a fait ses preuves, assurant la sécurité collective. Le Gouvernement se pose la question de son assouplissement et de sa suppression à terme.
De nombreuses incertitudes demeurent malgré tout, au premier rang desquelles figure la possible émergence de nouveaux variants résistants aux vaccins. Depuis des mois, les autorités scientifiques et médicales s’accordent à dire que le vaccin représente le meilleur moyen d’endiguer les vagues de contamination.
La vaccination sauve de nombreuses vies, comme le confirme la dernière étude de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et de la CNAM (Caisse nationale de l’assurance maladie), publiée ce lundi : « Les personnes vaccinées de 50 ans et plus ont neuf fois moins de risque d’être hospitalisées ou de mourir du covid-19 que les non vaccinées. » C’est un fait : les patients hospitalisés sont majoritairement des personnes non vaccinées – nous le constatons tous.
Nous avons été nombreux à éprouver la tentation de l’obligation vaccinale. Le groupe Les Indépendants avait approuvé l’obligation vaccinale pour les personnels soignants et un certain nombre de professionnels particulièrement exposés. La question d’une vaccination obligatoire plus large aurait donc pu se poser, comme l’avancent les auteurs de la proposition de loi.
Pour autant, il nous semble qu’imposer une obligation universelle n’est pas nécessaire à ce stade. Les 9 millions de Français éligibles qui ne sont pas vaccinés forment un ensemble très hétérogène. Alors que la vaccination progresse chez les jeunes, 15 % des plus de 80 ans ne sont toujours pas vaccinés. La participation des médecins généralistes et l’envoi de courriers invitant à la vaccination devraient permettre de combler ce retard chez les personnes les plus vulnérables.
Nous considérons donc que les données actuelles, qui sont favorables, ne justifient plus l’instauration d’une obligation vaccinale. Le passe sanitaire représente une solution de compromis qui a bien fonctionné.
Nous aspirons tous à sortir de la crise sanitaire le plus rapidement possible. Il nous semble cependant que cela doit se faire dans un esprit de concorde. L’exemple de l’Espagne montre qu’il est possible de lever les dernières résistances à la vaccination par la responsabilisation, le dialogue et l’incitation.
L’évolution positive de la situation sanitaire en France ne nous semble pas justifier, pour l’instant, la mise en place d’une vaccination obligatoire universelle contre la covid-19.
Par conséquent, notre groupe ne votera pas en faveur de cette proposition de loi : certains de ses membres s’abstiendront, d’autres voteront contre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les questions simples sont souvent celles dont les réponses sont les plus complexes. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en est l’illustration probante : un texte simple, proposant uniquement de compléter par un alinéa supplémentaire un article qui en compte déjà onze – a priori, un ajout anodin qui s’inscrit dans la lignée de cet article L. 3111-2 du code de la santé publique qui liste les vaccins obligatoires.
Cette proposition de loi prévoit d’instaurer la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2 pour tous, sauf contre-indication médicale – cette vaccination ne serait pas prise en charge par la sécurité sociale.
À titre personnel, je suis en général un ardent défenseur de la vaccination obligatoire, mais être convaincu sur le principe ne suffit pas. Permettez-moi de citer Claude Bernard : « À la source de toute connaissance, il y a une idée, une pensée, puis l’expérience vient confirmer l’idée. »
Si on applique cette démarche à l’examen de cette proposition de loi, il nous appartient de confronter l’idée de cette vaccination obligatoire à l’environnement juridique et scientifique au regard, notamment, de l’état des connaissances et des techniques.
La question posée par cette proposition de loi implique de déterminer si la protection individuelle et collective de la santé justifie de rendre obligatoire cette vaccination contre le SARS-CoV-2.
Dans sa résolution 2361, adoptée en janvier dernier, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a invité les États à « s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner ». En ce qui concerne les enfants, l’Assemblée demandait aux États « de veiller à un juste équilibre entre le déploiement rapide de la vaccination chez les enfants et l’examen justifié des préoccupations concernant la sécurité et l’efficacité des vaccins ».
Au Sénat, nous avons voté – j’en faisais partie – en faveur du principe d’une obligation vaccinale pour certains personnels visés par la loi relative à la gestion de la crise sanitaire publiée le 5 août 2021, à savoir les personnels soignants et les agents accompagnant les personnes vulnérables dans les établissements médico-sociaux.
La stratégie déployée depuis le mois de décembre a consisté à donner la priorité aux personnes les plus vulnérables qui étaient susceptibles de développer des maladies aggravantes. Cette stratégie évolutive par rapport aux tranches d’âge était nécessaire pour éviter l’engorgement des hôpitaux, mais également pour faire face au manque de doses, si dès le début de l’année 2021 il avait fallu vacciner une large majorité de la population.
Depuis cet été, une incitation à la vaccination plus forte, avec la mise en place du passe sanitaire, produit ses effets dans le pays : 50 millions de Français sont vaccinés, et je m’en réjouis.
Toutefois, dès l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, j’avais alerté sur les mutations de ce SARS-CoV-2 : de nouveaux variants sont apparus, mais ils n’échappent pas, pour l’instant, à la vaccination.
Mais sommes-nous sûrs que, dans les mois à venir, nous n’aurons pas un variant qui échappera à la vaccination ? Dans ce cas, nous serons obligés de prévoir tous les ans une vaccination obligatoire contre les variants du SARS-CoV-2.
Dans ces conditions, il semble plus judicieux et plus acceptable pour nos concitoyens d’aligner la vaccination contre ce virus sur le modèle de la vaccination contre la grippe, qui n’est pas obligatoire mais fortement conseillée pour les personnes vulnérables. Méfions-nous, le SARS-CoV-2 est en train de muter. Nous ne sommes pas sûrs de la pérennité de l’efficacité de la vaccination actuelle. Ne parle-t-on pas déjà d’une troisième dose ?
Bernard Jomier a insisté sur le fait qu’il existait déjà un certain nombre de vaccins. Je voudrais tout de même préciser que ces vaccins, qui fonctionnent très bien et ont protégé la population, en entraînant même parfois l’éviction complète de maladies, combattent soit des maladies bactériennes, par exemple la tuberculose, soit des maladies virales dont le virus ne connaît pas de variant. Nous ne sommes pas dans cette situation avec le SARS-CoV-2.
Les auteurs de cette proposition de loi prévoient aussi que la vaccination ne sera plus prise en charge par la sécurité sociale et ne sera donc plus gratuite, comme c’est le cas actuellement. Même s’il s’agit en fait de contourner l’article 40 de la Constitution, permettez-moi d’indiquer que j’aurais aimé qu’un remboursement par les complémentaires santé soit envisagé.
Enfin, cette proposition de loi, qui prétend pourtant imposer une obligation, ne prévoit aucune condition pour rendre cette obligation effective à l’égard des plus réfractaires ni de sanction en cas de non-respect de ladite obligation. L’article L. 3111-2 du code de la santé publique prévoit bien une sanction, mais elle concerne l’inscription des enfants en crèche et à l’école, alors que la vaccination contre le SARS-CoV-2 concerne uniquement les plus de douze ans… Cette proposition de loi ne prévoit donc aucune sanction, ce qui est tout de même gênant.
Ce texte ne revêt finalement qu’une dimension strictement proclamatoire. Écrire dans un article de loi que la vaccination est obligatoire n’a absolument aucun effet sur la généralisation de cette vaccination.
Au vu de ces différents éléments, l’ensemble du groupe Les Républicains votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’instauration du passe sanitaire, la vaccination a cessé de relever seulement d’un choix individuel, même si le principe éthique du consentement a été maintenu. Avec la fin du remboursement des tests qui fragilisera certainement la stratégie « tester, alerter, protéger », la question de la vaccination obligatoire cheminait ; nous y sommes !
Nous poursuivons le même objectif d’immunité collective que cette proposition de loi et les données sont sans équivoque : la vaccination protège des formes graves de la maladie et contribue à maintenir notre système de soins dans une moindre tension, alors que la pandémie l’a percuté au moment où il traversait une crise profonde.
Très vite, la vaccination a été l’alpha et l’oméga de la politique publique de santé, mais elle s’est heurtée à l’état des inégalités sociales et territoriales et à la crise de confiance dans la parole politique et institutionnelle.
Une des plus grandes études menées à ce jour sur la défiance vaccinale – son échantillon était de 135 000 personnes – montrait que cette défiance concerne majoritairement des personnes peu diplômées et faisant partie des 10 % les plus pauvres. Cette population vit une marginalisation et une relégation sociales qui nourrissent un manque de confiance envers les institutions, entraînant cette défiance envers la politique vaccinale. A contrario, c’est dans les pays où la confiance envers les autorités publiques est forte que l’on observe le plus haut taux d’adhésion à la vaccination.
Il faudrait revenir sur les obstacles, sur les inégalités d’accès aux soins, sur les déserts médicaux et sur la réalité de l’isolement d’une partie non marginale de la population, qui ont conduit les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État à mettre l’accent sur la démarche de l’« aller vers ».
Aujourd’hui, plus de 85 % de la population éligible, c’est-à-dire les plus de 12 ans, est complètement vaccinée. L’hypothèse, avec la vaccination obligatoire, serait qu’il nous faudrait gagner, avant la possible vague hivernale, les quelques points permettant d’atteindre une situation, estimée stable, relevant d’un bruit de fond endémique sans gravité.
Ce raisonnement transpose l’expérience des vaccinations obligatoires passées, notamment celles des enfants, où une vaccination protégeait des décennies entières, alors que l’on parle déjà de troisième dose, puisque la protection apportée par la vaccination décroît avec le temps, notamment pour les plus âgés.
L’atteinte de la couverture vaccinale totale et durable est un objectif qui se dérobe avec le temps, sans même parler des variants qui ne manqueront pas d’apparaître, alors que 75 % des vaccins administrés sont concentrés dans les dix pays les plus riches et que l’épidémie est mondiale. Il est probable qu’il faille renouveler régulièrement, le cas échéant tous les ans, le geste vaccinal.
La priorité nous semble plutôt résider dans le fait d’assurer la couverture vaccinale complète et suivie dans le temps des populations à risques élevés, et donc de mener une action résolue pour comprendre le retard français dans la vaccination de ces populations, notamment celle des plus de 80 ans.
Ainsi, 92,5 % des 65-74 ans présentent un schéma vaccinal complet, mais il y a près de 15 % de non-vaccinés chez les plus de 80 ans. Qu’apportera de plus l’obligation pour les populations isolées à leur domicile ou précaires ? A-t-on vraiment tout fait quant à la politique de l’« aller vers » ? C’est se donner un étonnant satisfecit, alors que plusieurs pays européens, dont l’Espagne, ont à peu près 100 % de vaccinés dans cette tranche d’âge sans avoir décidé une quelconque obligation.
Il n’y a pas de solution magique ou paresseuse ! Il nous faut comprendre les raisons de cette situation, puis consentir l’effort pour mettre en place les mesures correctives.
Quant aux populations rétives à la vaccination par défiance, plusieurs acteurs, notamment des professionnels du SAMU, soulignent qu’en prenant le temps, dans une rencontre de proximité, peu maintiennent leur refus. Là encore, ce défaut de confiance ou d’information ne sera pas résolu par une injonction institutionnelle supplémentaire. Au contraire, l’obligation risque d’être contre-productive et de figer la résistance.
Quant aux sanctions financières, voire aux interdictions de travailler, qui pourraient résulter de cette obligation, la société en sortira de nouveau fracturée et plus inégalitaire, puisque cela touchera d’abord les plus précaires.
Comme pour toute obligation, des mesures de contrôle et de surveillance en découleront. La France s’engagerait alors seule dans cette voie, réactivant une conception verticale, centralisée, de la gestion de la pandémie.
Enfin, comme le rappellent les spécialistes de l’Institut Pasteur, la vaccination obligatoire, même si elle permettait de couvrir l’ensemble de la population, ne permettrait ni un retour plus rapide à la vie quotidienne ni même d’en finir avec le passe sanitaire et les gestes barrières. Dire autre chose est inexact et, au pire, un mensonge.
Une telle position prendrait le contrepied de la position de l’OMS « Convaincre plutôt que contraindre » et, le virus étant là pour longtemps, la vaccination obligatoire pourrait peut-être permettre d’aller plus vite à court terme. Mais avec l’adhésion de la société, on ira nécessairement plus loin.
Le groupe écologiste remercie le groupe socialiste d’avoir permis ce débat. Sur ce sujet, il n’y a pas de vérité absolue, mais rien n’indique que la vaccination obligatoire soit le dernier recours. En conséquence, le groupe écologiste votera à l’unanimité contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre le covid-19 passe par une couverture vaccinale de l’ensemble de la population en France, en Europe et dans le monde.
Nous saluons la découverte, en un temps extrêmement court, de vaccins contre ce virus très contagieux et dangereux. Obtenir le meilleur taux de couverture vaccinale de l’ensemble de la population le plus vite possible est un objectif que nous partageons toutes et tous dans cet hémicycle.
Les derniers chiffres du site Covid Tracker sont rassurants. Le cap des 50 millions de Françaises et Français primo-vaccinés a été franchi le 6 octobre dernier, soit 75,4 % de la population, et 73,1 % de la population ont reçu les deux doses requises.
Ce sont des moyennes, les situations sont inégales, avec des taux plus faibles dans les territoires ultramarins. Et c’est sans parler de certains pays où l’accès aux vaccins est quasi inexistant. C’est pourquoi, pour nous, il est indispensable de mener de front la bataille en faveur de la levée des brevets des vaccins afin que ces derniers profitent à l’ensemble de la planète.
C’est dans ce contexte que nos collègues socialistes, que je remercie, ont déposé cette proposition de loi visant à rendre la vaccination contre le covid-19 obligatoire pour toutes les personnes majeures.
Au groupe CRCE, nous estimons que la persuasion est plus efficace que la contrainte et les sanctions financières que veut introduire le rapporteur.
Les raisons pour lesquelles des personnes n’ont pas aujourd’hui leur parcours vaccinal complet sont multiples. Parmi elles, on retrouve de nombreuses personnes âgées isolées à leur domicile : que signifierait pour elles une obligation vaccinale ?
Pour convaincre les personnes non vaccinées, il faut mener une véritable campagne de prévention nationale multipliant les actions qui consistent à « aller vers ». Pourquoi les plus de 80 ans sont-ils tous vaccinés en Espagne et au Portugal, et pas en France ?
Concernant l’obligation vaccinale, le président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, Alain Fischer, a lui-même reconnu que « la priorité est de vacciner les personnes vulnérables qui se trouvent en périphérie du système de santé ». Et de préciser que, « pour toucher les 14 % de plus de 80 ans encore non immunisés et les personnes précaires ou obèses éloignées des soins, l’obligation ne changerait rien : la seule façon de réussir à les protéger reste d’aller les chercher, quasiment une par une, grâce aux médecins traitants, aux infirmières et aux associations ».
En outre, l’obligation vaccinale va renforcer les inégalités sociales et territoriales de santé. Comme le disait récemment Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, « attribuer à l’individu la responsabilité pleine et entière de son comportement, sans apporter de soutien par une réelle politique de compensation des inégalités de santé, est voué à l’échec ».
L’adhésion à des mesures et leur respect par la population dépendent fortement de la crédibilité des gouvernements et de la confiance réciproque entre les autorités et la population. Il est tout à fait regrettable que le Gouvernement ait fait de la vaccination un enjeu politique, alors que c’est un enjeu de santé publique. Pour notre part, nous estimons que la question qui nous est posée pour vaincre la pandémie n’est pas l’obligation vaccinale, mais l’état de notre système de santé, mis à mal depuis près de vingt ans.
Comment améliorer l’accès aux soins des publics les plus éloignés, alors que les déserts médicaux en zones urbaines comme rurales entraînent des renoncements ?
Comment éviter la saturation des hôpitaux, alors que 100 000 lits ont été fermés en vingt ans pour réaliser 9 milliards d’euros d’économies et que 5 700 lits ont encore été supprimés en 2020 ?
Comment rassurer la population sans avoir la maîtrise de la production des médicaments, dont les vaccins, par un pôle public du médicament et des dispositifs médicaux ? Voir s’envoler les profits des laboratoires en pleine crise sanitaire, économique et sociale est indécent et sème le doute parmi les populations.
Comment faire en sorte que les professionnels ne quittent pas le chemin de l’hôpital, épuisés par leurs conditions de travail, dépités d’avoir été applaudis hier et stigmatisés aujourd’hui par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire qui a rendu la vaccination obligatoire pour eux avec, en cas de refus, une suspension immédiate de leur contrat de travail sans rémunération ?
Comment ne pas s’inquiéter de ces milliers de suspensions qui entraînent des tensions dans les établissements, alors qu’ils manquent déjà cruellement de personnel ? Par exemple, l’hôpital de Mulhouse a dû déclencher le plan blanc pour réquisitionner du personnel, et la loi ne peut être appliquée dans certains départements ultramarins au risque de fermer des établissements hospitaliers !
L’impératif de santé publique nécessite une véritable révolution copernicienne de notre système de santé avec un financement qui soit assuré selon les besoins en personnel, en lits et en hôpitaux de proximité, non selon des objectifs de réduction des budgets publics.
La grande majorité du groupe CRCE votera contre cette proposition de loi : si nous partageons l’objectif d’une couverture vaccinale la plus large possible, vous l’aurez compris, nous préférons une forte adhésion de la population à la contrainte. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à adresser un message de soutien à notre collègue Patrick Kanner et aux membres de son groupe qui, dans une situation de crise inédite, ont fait une proposition logique, méritant un débat de fond, éclairé, un échange d’arguments construits et en aucun cas le déferlement de menaces intolérables qui ne font que brouiller le débat de ce 13 octobre.
Mon message suivant ira, si je puis me permettre, à tous ceux qui croient qu’avec des milliers de mails, une avalanche d’invectives et autant de tapage, on influence le vote d’un sénateur. Nous ne légiférons ni à l’audiomètre ni au sonomètre ! (Applaudissements.)
Je respecte profondément le droit d’expression et le droit de manifestation, mais, à tous ceux qui en font trop, je demande simplement de me laisser m’informer à des sources fiables et travailler sereinement dans l’unique et constant souci de l’intérêt commun.
M. Loïc Hervé. Bravo !
Mme Nadia Sollogoub. Ce préambule étant posé, j’en viens au débat autour de l’obligation vaccinale que nous avons déjà eu dans l’hémicycle cet été, lorsque le Sénat s’est prononcé, dans sa majorité, pour l’instauration du passe sanitaire et la vaccination obligatoire pour les soignants.
Deux mois après ce vote et la mise en place de ces mesures, le groupe socialiste propose de nouveau d’étendre l’obligation vaccinale à l’ensemble de la population de plus de 12 ans. En effet, il apparaît que la courbe des vaccinations s’infléchit et que son rythme ralentit notablement.
Mais je suis surprise qu’avant de proposer une mesure radicale allant à l’encontre de ce qui vient d’être mis en place, nous ne prenions pas le temps d’une analyse approfondie des causes de ce phénomène de ralentissement vaccinal. Est-il prudent de s’attaquer au « comment » sans avoir bien étudié le « pourquoi » ?
J’ai relu avec attention le rapport de M. Jomier et je n’ai pas trouvé de réelle analyse des réticences vaccinales. Je me souviens pourtant bien du professeur Delfraissy nous disant en audition : « Il nous faut comprendre et respecter l’hésitation vaccinale. »
Il y a bien, dans le rapport, une synthèse exhaustive des opérations d’« aller vers », dont on ne sait pas d’ailleurs lesquelles sont encore en cours et lesquelles ont été interrompues : les opérations de vaccinations en entreprise, en milieu scolaire ou universitaire, au plus près des personnes dans les hébergements d’urgence, les prisons, les squats ou les bidonvilles…
Mais j’aurais aimé lire pourquoi certains ont refusé le vaccin et dans quelles proportions. Ont-ils été « touchés », approchés ? Quel retour sur ce point des ambassadeurs de la vaccination, les 700 personnes recrutées en contrat à durée déterminée pour assurer les campagnes d’« aller vers » ? À l’heure où chacun de nous est constamment sondé, je m’étonne qu’on ne les ait pas interrogés sur ce point capital.
On peut imaginer que la dernière poche de résistance est composée des antivax fermement opposés au vaccin. Quelle proportion représentent-ils ?
Mais le rapport indique aussi qu’« une part non négligeable des personnes de plus de 80 ans demeure éloignée de la vaccination, avec des situations d’isolement aggravées par des difficultés d’accès à un médecin traitant » et que ces personnes se trouveraient en situation de « mort sociale ».
Cela m’inspire trois remarques.
Premièrement, cette proposition de loi creuserait alors une inégalité sociale, ce qui n’est pas l’objectif, et ferait de ces personnes âgées isolées, en plus du reste, des hors-la-loi !
Deuxièmement, il y a fort à parier que, loin des quatre cercles que sont, selon le rapport, « la famille, les amis, le voisinage et les réseaux associatifs », ces personnes soient de pauvres vecteurs de maladie, car ils n’ont pas grand monde à qui la transmettre !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Tout va bien, alors !
Mme Nadia Sollogoub. Une obligation vaccinale ne résoudra en rien leur état de non-vaccinés qui relève plutôt de difficultés sociales et logistiques, auxquelles nous pouvons collectivement travailler.
Concernant les non-vaccinés « de principe », les farouchement « anti », on sent bien qu’une vaccination imposée ne ferait qu’aggraver les choses et qu’un bon nettoyage dans les fausses informations qui circulent serait plus efficace…
En l’absence d’information complémentaire, je ne sais pas pourquoi un certain nombre de personnes fragiles, avec des comorbidités, ne présentent pas de schéma vaccinal complet. Comment comprendre que les personnes vivant dans les territoires les plus défavorisés présentent les taux de vaccination les moins élevés ? Est-ce un problème d’accès aux soins ? Les habitants se sentent-ils tout simplement protégés par leur habitat dispersé ? Tout cela est à confirmer.
Les questions sont nombreuses et ne doivent pas nous amener à légiférer en creux, si je puis le dire ainsi : avoir fait tout ce chemin et finalement, pour parcourir les derniers mètres, qui sont toujours les plus difficiles, passer à une méthode radicale qui, d’une part, serait impossible à mettre en œuvre et qui, d’autre part, ne résoudrait pas la difficulté à toucher les personnes qui sont éloignées de tout.
Par expérience, je vous confirme que, quand il faut amener l’électricité, l’eau ou la fibre en ville, où les habitants vivent collectivement, c’est toujours plus facile qu’en grande ruralité. Tous les réseaux, y compris ceux au figuré – les réseaux humains –, sont alors plus longs, plus chers et plus compliqués à déployer.
Ce pourrait être une explication du ralentissement vaccinal. Il faut maintenant faire du cas par cas, des kilomètres, passer du temps, trouver des moyens humains pour aller chercher les derniers, qui ne sont pas tous des antivax, mais simplement des « éloignés ». Ce n’est pas une obligation générale qui permettra d’y parvenir, mais un travail de dentelle.
Outre ces difficultés, je n’arrive pas à envisager la mise en œuvre concrète de cette obligation vaccinale générale, au moment où le passe sanitaire a trouvé sa place et fonctionne plutôt bien. Sans passe, on n’entre pas au restaurant ni dans un train grande ligne. Dont acte, mais si l’on n’est pas vacciné, que fait-on, et comment ?
Reviendra-t-il toujours au restaurateur de contrôler ce qui serait désormais un « passe vaccinal », ou au gendarme ? Ira-t-on au domicile des gens contrôler leur statut vaccinal ? Que devient le passe sanitaire ?
Si le déploiement de la mesure devait être progressif, les deux passes cohabiteraient-ils ? Faudrait-il une dose, deux doses, trois doses ? Qui sera en règle ? Quid des patients guéris ?
M. Loïc Hervé. Il faut arrêter le passe !
Mme Nadia Sollogoub. Il faudra bien prévoir des contrôles à tout moment et en tout lieu, sans lesquels la mesure n’aurait pas de sens et serait inopérante.
Le 5 octobre dernier, le conseil scientifique a rendu un nouvel avis intitulé : « Une situation apaisée : quand et comment alléger ? ». Cet avis partage le constat selon lequel le niveau de vaccination chez les populations les plus âgées et les plus fragiles peut encore être amélioré en France.
Cependant, il constate aussi que les nouvelles contaminations journalières – environ 5 000 – sont en baisse régulière, alors même que des perspectives de traitement préventif des formes graves se dessinent.
Le rapport souligne également que « la situation sanitaire permet la reprise d’activités économiques et sociales dans des conditions se rapprochant de la normale. Il paraît donc légitime de poser la question d’une levée plus ou moins rapide des mesures de restriction. »
Avec toute la prudence requise, et en intégrant les incertitudes sur les paramètres, les différentes modélisations confirment toutes qu’on peut désormais envisager un allégement progressif des mesures.
Mes chers collègues, je pense sincèrement que si nous avions fait le choix, au mois de juillet, d’une obligation vaccinale généralisée, nous aurions aujourd’hui les mêmes taux de couverture vaccinale parce que les difficultés auraient été les mêmes pour toucher les plus éloignés, que les équipes de vaccination n’auraient pas pu faire plus, et que les stocks de vaccins étaient ce qu’ils étaient. Nous en serions donc sans doute à peu près au même point.
En revanche, la sortie progressive d’un système du « tout ou rien », n’existe pas.
À la suite des onze autres vaccins obligatoires, la vaccination contre cette maladie qui comporte tout de même une grande part de saisonnalité serait gravée dans le marbre, alors que celle contre la grippe ne le serait pas. A contrario, le maintien strict des gestes barrières, qui sont un des grands enjeux du contrôle de la pandémie sur le long terme, ne relève d’aucune mesure législative.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union centriste dans sa majorité, après avoir pesé les bénéfices et les inconvénients de cette proposition de loi et considéré ses limites, ne voyant pas les modalités pratiques de mise en œuvre d’un passe vaccinal deux mois après la mise en place d’un passe sanitaire ni les possibilités de son contrôle au moment où l’épidémie semble mieux maîtrisée et où il faut surtout renforcer les moyens de l’« aller vers » les plus fragiles, votera contre la proposition d’une vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Canévet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à entendre les partisans de la vaccination obligatoire, vacciner massivement les populations apparaît comme une décision simple, une décision de progrès qui s’imposerait à tous pour faire reculer le virus.
Ceux qui osent douter, réfléchir et finalement faire un autre choix seraient d’obscurs complotistes. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Pourtant, on trouve parmi eux des institutions très sérieuses, comme l’Académie nationale de médecine, qui s’est prononcée contre une troisième dose généralisée, le professeur Alain Fischer, « monsieur vaccin » du Gouvernement, qui se prononce contre la vaccination obligatoire, le contexte actuel ne la justifiant pas, ou encore le Conseil de l’Europe, qui demande dans sa résolution du 27 janvier 2021 que la vaccination ne soit pas obligatoire et qui affirme que personne ne doit subir de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner.
Récemment, quatre pays – la Finlande, la Suède, la Norvège et le Danemark – ont interdit le vaccin Moderna pour les hommes jeunes en raison des risques encourus. Citons également les nombreux collectifs de chercheurs et de scientifiques qui expliquent leur refus du vaccin obligatoire.
Enfin, la France a inscrit le principe de précaution dans sa Constitution. Il est impossible légalement d’imposer un vaccin usant de produits expérimentaux qui nécessitent un consentement libre et éclairé. (Exclamations indignées sur plusieurs travées.)
Je rappelle que les injections ARN messager sont toujours en phase 3 expérimentale, et ce jusqu’en 2023 (Protestations sur les travées du groupe SER.). Ces vaccins bénéficient donc d’une autorisation de mise sur le marché temporaire.
Chers collègues, au-delà des institutions, nous sommes tous destinataires d’informations vérifiées et de publications de qualité, d’études et de rapports français et internationaux.
Dans les documents qui nous sont transmis, on nous alerte sur l’insuffisance des preuves concernant l’innocuité et l’efficacité des vaccins, sur la sécurité des injections, sur la transmission du virus, ou encore sur les risques qui pèsent sur la vaccination des jeunes, des enfants, des sujets souffrant de pathologies graves, ou des femmes enceintes (Mêmes mouvements.). On nous alerte aussi sur les dégâts psychiques des injonctions sanitaires.
Il n’y a donc pas de consensus scientifique autour de la vaccination obligatoire et de masse. Il y a des vues et des orientations divergentes de la part de professionnels de santé.
Parmi elles figurent l’idée d’adapter la vaccination aux risques et de renforcer le ciblage des populations fragiles, celle de réhabiliter l’immunité naturelle, dont des études récentes ont confirmé l’intensité, la globalité et la durabilité qui la rendent bien supérieure à celle des vaccins,…
M. Martin Lévrier. Ce n’est pas sérieux !
Mme Laurence Muller-Bronn. … ou encore celle de rendre aux médecins le droit de soigner à l’aide des traitements précoces reconnus. Ce sont eux qui connaissent le mieux l’état de santé de leurs patients !
Certains préconisent également de mettre les données scientifiques et statistiques à la disposition des spécialistes de la pharmacovigilance, des universitaires, des virologues, des généticiens et des immunologistes.
Au vu de tous ces éléments, mes chers collègues, quelle légitimité aurions-nous, en tant que parlementaires, à rester sourds à d’autres arguments pour garantir la santé de nos concitoyens ? Comment pourrions-nous nous contenter d’une seule doctrine sur la situation ?
Quelle légitimité aurions-nous pour instaurer de manière autoritaire une vaccination obligatoire et une troisième dose, alors que des médecins, des chercheurs, des soignants qui ont les compétences et l’expérience du virus doutent – au point de renoncer d’ailleurs, pour certains, à exercer leur métier et aux revenus associés ?
Chers collègues, nous avons besoin d’un débat contradictoire, d’où pourront naître des lois équilibrées et respectées. Il nous faut ouvrir ce débat et le nourrir d’une information loyale, transparente et indépendante. Si le Gouvernement est convaincu et sûr de lui sur tous ces sujets, alors ouvrons le dialogue.
Nous ne sommes pas la chambre d’enregistrement du conseil scientifique. Aujourd’hui, il est de notre devoir, en tant qu’élus de la République représentant les Français, tous les Français, de restaurer le droit commun et les libertés publiques, car il y va de leur confiance.
À l’instant où l’épidémie nous offre une accalmie, où le taux de vaccination de la population française a atteint des niveaux élevés, il est temps de renoncer à la vaccination obligatoire, il est temps de renoncer à la troisième dose (Protestations sur les travées du groupe SER et au banc des commissions),…
M. Loïc Hervé. Il est temps d’arrêter le passe !
Mme Laurence Muller-Bronn. … il est temps d’arrêter de supprimer des lits dans les hôpitaux.
Bien au contraire, il est temps de dresser un bilan et d’envisager de façon rationnelle la suite, en sortant de la doctrine du tout vaccinal. Plutôt que de gouverner par la peur et par le contrôle, il serait bon d’agir avec calme et raison.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues. Je voterai contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quelle honte !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le sars-cov-2
Article unique
I. – Le I de l’article L. 3111-2 du code la santé publique est complété par un 12° ainsi rédigé :
« 12° Contre le SARS-CoV-2. »
II. – Le III de l’article 76 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 n’est pas applicable au I du présent article.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié quater, présenté par Mme Noël, M. L. Hervé, Mme Jacques, M. Pellevat et Mmes Pluchet, Muller-Bronn et Thomas, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Les différents vaccins contre le SARS-CoV-2 actuellement disponibles sur le marché bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle, dont la durée n’excède pas un an. Les essais cliniques de phase 3 sont toujours en cours, consacrant le caractère expérimental de cette vaccination inédite dans l’Histoire.
Pour rappel, selon le site de l’ANSM, une AMM conditionnelle permet « l’autorisation de médicaments qui répondent à un besoin médical non satisfait avant que des données à long terme sur l’efficacité et la sécurité ne soient disponibles. Cela est possible uniquement si les bénéfices de la disponibilité immédiate du médicament l’emportent sur le risque inhérent au fait que toutes les données ne sont pas encore disponibles. L’AMM conditionnelle rassemble tous les verrous de contrôle d’une autorisation de mise sur le marché standard pour garantir un niveau élevé de sécurité pour les patients. »
Rendre obligatoire l’administration de vaccins génétiques dont la phase expérimentale est toujours en cours est ainsi politiquement imprudent et moralement condamnable. C’est même impossible juridiquement en l’état actuel de la réglementation, pour des raisons parfaitement fondées liées à la préservation de la santé publique et au libre consentement de chacun.
Cette proposition de loi contrevient en effet à toutes les règles internationales en matière de santé publique, à commencer par la convention d’Oviedo de 1997 signée par 29 pays, dont la France, qui dispose qu’« une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
L’Assemblée du Conseil de l’Europe, à l’article 7.3.1 de sa résolution du 27 janvier 2021, demande instamment aux États membres de l’Union européenne « de s’assurer que les citoyennes et les citoyens sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner ».
Mme la présidente. Chère collègue, les deux minutes de temps de parole étant écoulées, je suis obligée de vous interrompre.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Nous venons d’avoir un débat très intéressant sur l’obligation vaccinale. Or cet amendement n’est pas d’opposition à l’obligation vaccinale – vous aurez l’occasion de repousser la proposition de loi –, mais d’opposition au vaccin.
L’objet de l’amendement reprend plusieurs arguments régulièrement avancés par ceux qui sont opposés à la vaccination. Je voudrais en citer quelques-uns.
Tout d’abord, vous invoquez le caractère expérimental de cette vaccination. Or il ne s’agit pas d’une expérimentation ! Ces vaccins sont titulaires d’une autorisation de mise sur le marché.
Certes, l’octroi d’une telle autorisation ne signifie pas que c’en est fini de la surveillance et des processus de pharmacovigilance à l’égard des produits concernés, mais il signifie que ces derniers ont satisfait à un ensemble de règles au cours des trois premières phases et sont donc susceptibles d’être distribués normalement. C’est ce qui se passe pour les vaccins contre le SARS-CoV-2.
Le nombre de vaccinations effectuées depuis que les vaccins ont obtenu l’AMM témoigne de leur parfait profil en matière d’effets secondaires.
La Food and Drug Administration (FDA) a d’ailleurs indiqué dans son avis, à l’issue de sa procédure de contrôle, que « le public peut être assuré que le vaccin répond aux normes élevées de sécurité, d’efficacité et de qualité de production dont la FDA exige le respect pour un produit autorisé ». Plus de 230 millions de doses ont été délivrées aux États-Unis.
Ce ne sont pas…
Mme la présidente. Merci, monsieur le rapporteur !
M. Bernard Jomier, rapporteur. Eh bien, vous aurez eu un argument… (Sourires et exclamations sur plusieurs travées.)
Mme la présidente. Je vous rappelle, mes chers collègues que le Sénat, dans sa grande sagesse, a décidé de ramener à deux minutes le temps d’intervention de chaque orateur. Nous appliquons donc cette règle.
M. Stéphane Ravier. Très bien !
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, cela ne s’applique pas à vous, car la Constitution nous l’interdit, malheureusement.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Vous l’aurez compris à l’écoute de ma déclaration liminaire, nous nous opposons à l’instauration d’une obligation vaccinale. Toutefois, madame la sénatrice, nous réfutons avec force plusieurs des arguments que vous avez développés.
Vous évoquez les AMM conditionnelles. Je ne peux pas laisser passer dans cette assemblée le sous-entendu relatif au caractère expérimental et non contrôlé des vaccins contre la covid-19.
M. Bernard Bonne. Très bien !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Depuis le début de la vaccination, plus de 7 milliards d’injections ont été réalisées dans le monde. Nous disposons désormais de près d’un an de recul à partir des premières injections. Vous ne pouvez donc pas parler raisonnablement d’un caractère expérimental et non contrôlé de ces vaccins !
Vous citez des éléments d’information délivrés par l’ANSM, qui rappelle que les vaccins contre la covid-19 ont été autorisés moyennant tous les éléments de contrôle qui garantissent leur sécurité.
Je vais être un peu long, madame la présidente, et je vous prie de m’en excuser, mais il me paraît indispensable de vous rappeler deux points : d’une part, la décision d’autoriser ou non un vaccin ne relève pas du Gouvernement, mais appartient bien aux autorités scientifiques indépendantes qui sont chargées de l’évaluation des produits de santé ; d’autre part, c’est l’Agence européenne des médicaments qui est chargée d’évaluer les vaccins contre la covid-19, en s’appuyant sur l’expertise des vingt-sept agences sanitaires des États membres – dont l’ANSM pour la France.
Je rappelle également qu’en France, l’avis de la Haute Autorité de santé est nécessaire pour préciser la place de chaque vaccin dans la stratégie vaccinale, ainsi que les populations cibles.
Ces différents stades constituent les garanties indispensables préalables au lancement de la vaccination. Ils ont tous été respectés.
Vous dites que les vaccins sont encore soumis à une forme de conditionnalité. Dans les textes, peut-être, mais dans la réalité ce n’est pas le cas ! Je vous ai donné les chiffres : plus de 7 milliards d’injections, près d’un an de politique vaccinale déployée dans le monde.
Par ailleurs, tous les vaccins commercialisés dans l’Union européenne sont soumis à un double contrôle de la qualité des doses fabriquées. Ce contrôle est effectué en parallèle par le fabricant et par un laboratoire de contrôle officiel dont vous savez qu’il est indépendant.
Enfin, s’agissant des vaccins contre la covid-19, l’ANSM a mis en place un double dispositif renforcé de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie afin d’assurer le suivi et la gestion des effets indésirables qui y seraient liés.
Une fois encore, nous nous opposons à l’obligation vaccinale généralisée – vous l’avez compris – car nous croyons à l’incitation, à l’information et à la pédagogie en direction de nos concitoyens. Je crois que ces dernières semaines et ces derniers mois tendent à démontrer que cette stratégie est la bonne. Cependant, notre opposition ne s’appuie en aucun cas sur les arguments que vous avancez dans votre amendement.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Je précise que cet amendement, s’il était adopté, interromprait la discussion et entraînerait la suppression de l’article unique de la proposition de loi.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Pour bien expliquer la position de la commission, je précise que nous avons voté contre l’article unique de cette proposition de loi. Cela a d’ailleurs été souligné par Alain Milon lorsqu’il s’est exprimé au nom du groupe Les Républicains.
Nous aurions pu décider de voter l’amendement n° 1 rectifié quater puisqu’il supprimait l’article premier, ce qui aurait eu le même résultat. Toutefois, au regard des motifs exposés et des arguments développés dans son objet, il n’a pas paru possible à la commission de soutenir cet amendement.
M. le secrétaire d’État l’a dit, M. le rapporteur également, et d’autres collègues le souligneront : nous ne pouvons accepter de soutenir un amendement reprenant ainsi des explications qui sont celles des antivax, lesquels nous ont sollicités tout au long de ces dernières semaines.
Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. En revanche, elle donnera un avis favorable à la suppression de l’article unique de cette proposition de loi, en se prononçant contre l’adoption de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.
Mme Corinne Féret. Je m’étonne et regrette vraiment de retrouver dans l’argumentaire des parlementaires signataires de cet amendement la notion erronée de « vaccin génétique », qui véhicule des peurs infondées.
La technique de l’ARN messager suscite de nombreuses questions du fait de sa nouveauté. C’est légitime. Cependant, plutôt que de reprendre les fantasmes véhiculés par certains via les réseaux sociaux, je préfère pour ma part me référer à l’étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pour rétablir les vérités scientifiques.
Je veux aussi commenter les derniers mots de l’objet de votre amendement, madame Noël, que vous n’avez pas prononcés : « au nom de la liberté individuelle en matière de santé ».
Vous vous exprimez au nom de la liberté individuelle en matière de santé, mais quand la liberté individuelle porte atteinte à la santé collective de la population, alors l’équilibre doit être rétabli par la loi afin de protéger l’ensemble de la société ! C’est pour nous une question de solidarité nationale. La vaccination est un devoir citoyen qui incombe à chacun pour se protéger et protéger les autres.
Vous l’avez compris, nous voterons contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Après l’intervention de Mme Sylviane Noël, je salue le calme de M. le rapporteur, de M. le secrétaire d’État et de Mme la présidente de la commission.
Je dois dire qu’à leur place, j’aurais certainement bondi, puisque je trouve les propos anti-vaccins qui ont été tenus complètement inadmissibles. Aujourd’hui, j’ai honte ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur les travées des groupes RDPI, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je suis révulsé, car le débat sur la vaccination obligatoire mérite d’être ouvert. On oublie trop facilement qu’il y a eu des morts et des morts !
J’habite dans le Grand Est : l’Alsace a été une porte d’entrée de l’épidémie… Il y a eu en France plus de morts que dans d’autres pays proportionnellement à la population générale, ne l’oublions pas !
L’humilité s’impose, par conséquent, dans notre approche de cette question. On n’a pas le droit, me semble-t-il, de ne pas donner à notre population confiance dans les vaccins, qui sont une révolution extraordinaire. Quand nous n’avions pas de vaccin, nous pleurions tous et déplorions leur absence. Or maintenant que nous en avons, il ne faudrait plus se faire vacciner ! (Mme Lana Tetuanui applaudit.)
M. Olivier Henno. Bien sûr !
M. René-Paul Savary. Il y a quelque chose qui ne va pas, d’autant que le coût des tests est nettement supérieur à celui des vaccins !
La question de la vaccination ne se pose pas. En revanche, celle de l’obligation vaccinale se pose ; il ne faut pas éliminer cette arme suprême qui peut s’avérer importante.
Monsieur le secrétaire d’État, vous dites que cette obligation serait inapplicable. Cependant, vous aviez dit aussi que nous ne pouvions pas utiliser les moyens numériques et qu’il ne fallait pas de passe sanitaire… Finalement, la gravité de l’épidémie a montré qu’il fallait se tourner vers ces solutions.
J’espère que nous n’aurons pas à nous tourner vers l’obligation vaccinale. Il reste que, si l’on peut légitimement soulever la question de sa mise en œuvre, on ne peut sûrement pas soulever celle de l’intérêt du vaccin ! (Applaudissements sur plusieurs travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. C’est un beau débat, et un débat passionnel. Il suffit de voir le nombre de mains qui se lèvent pour demander la parole ! Beaucoup de choses ayant été dites, je ne prendrai pas la parole pendant deux minutes.
Je ne voterai pas pour la mise en place de l’obligation vaccinale, car je la crois contre-productive. En revanche, s’agissant du vaccin, j’affirme tranquillement que j’ai une admiration sans bornes pour Louis Pasteur, que j’aime la science et qu’à mon sens, en tant qu’élus et parlementaires, nous avons le devoir de susciter la confiance, de rassurer les populations et de convaincre celles et ceux qui peuvent légitimement être réticents à se faire vacciner.
Je ne voterai pas pour cet amendement, car il avance dans son objet des arguments qui génèrent de la méfiance et qui, au fond, risquent de renforcer les doutes ou les propos des anti-vaccins. Mais je ne voterai pas non plus en faveur de l’obligation vaccinale.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. J’ai signé cet amendement, car il supprime l’essentiel de cette proposition de loi à laquelle je m’oppose fermement, tout comme je m’oppose depuis le mois de décembre au déploiement du passe sanitaire dans notre pays.
Mme Michelle Meunier. Le projet de loi le concernant a été voté en juillet !
M. Loïc Hervé. Nous allons y venir !
Quand j’entends les propos de notre collègue René-Paul Savary, qui a cosigné avec Mmes Véronique Guillotin et Christine Lavarde un rapport qui peut faire aussi l’objet d’un débat, cela me fait réagir.
Si l’on interdit à Mme Sylviane Noël de parler dans cet hémicycle, si l’on dit que l’on ne peut pas laisser passer tel ou tel propos, alors la démocratie n’a plus aucun sens… (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Nous avons le droit de nous exprimer, ici, au Parlement !
Songez que le texte qui doit nous parvenir bientôt, qui a été présenté ce matin au conseil des ministres, a pour objet de reporter tout débat parlementaire sur le sujet à la fin du mois de juillet 2022 !
Mes chers collègues, si nous voulons que le débat parlementaire ait lieu, laissez Mme Sylviane Noël défendre ses arguments ! (Protestations sur les travées du groupe SER.) Je ne les partage pas tous, mais laissez-la les défendre, et venez avec des contre-arguments !
De grâce, ne vous contentez pas de disqualifier les arguments individuels ! Cela est valable pour la vaccination, mais aussi pour l’équilibre entre la liberté et la coercition. Il vaut toujours mieux convaincre que d’empêcher son adversaire de parler. (Mmes Sylviane Noël et Vivette Lopez, ainsi que M. Stéphane Ravier, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais rappeler que ce vaccin a été validé par les autorités européennes et françaises. Ce n’est donc pas un vaccin en phase expérimentale !
Les soignants, les médecins, ont essayé tous ces derniers mois de convaincre les gens de se faire vacciner pour parvenir à l’immunité collective, et ils y sont presque arrivés.
La vaccination obligatoire aurait probablement pu être votée facilement il y a quelques mois, car il faut se faire vacciner et convaincre la population de le faire pour atteindre l’immunité collective. Cependant, nous sommes proches désormais de cette immunité. C’est uniquement pour cette raison que nous voterons contre cette proposition de loi.
Ce texte a ouvert un débat tout à fait valable. Il y a quelques mois, nous aurions peut-être voté en sa faveur. Nous pensons toutefois que, notamment au travers des actions menées avec les médecins et les soignants, nous pourrons convaincre des personnes, en particulier des personnes âgées isolées de se faire vacciner pour parvenir à l’immunité collective, sans obligation, tout en conservant le passe sanitaire qui a prouvé son efficacité.
Je voterai, bien sûr, contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.
Mme Lana Tetuanui. Je ne participerai pas au vote de cette proposition de loi, par principe. La santé étant une compétence de la Polynésie française, nous avons instauré l’obligation vaccinale par le biais d’une loi du Pays votée le 23 août dernier.
S’agissant de l’amendement de nos chers collègues, je voterai contre, par principe là aussi. En effet, j’y retrouve tous les écueils qui figurent dans pas moins de 38 recours déposés auprès du Conseil d’État par tous les antivax de la Polynésie !
Je ne jouerai pas les scientifiques ou les médecins cet après-midi, et je ne chercherai pas à dire ce qui est le mieux. Cependant, les chiffres relatifs à la Polynésie sont parlants : 90 % des 600 et quelque décès que nous recensons concernent des personnes non vaccinées. Je ne l’invente pas, je parle de chiffres ! Pour nous, il est important que les personnes se vaccinent. Nous poursuivons donc la campagne de vaccination dans notre territoire.
En toute humilité, nous attendons de pied ferme l’avis du Conseil d’État sur tous les référés déposés en Polynésie, dont les arguments sont détaillés dans l’objet de l’amendement de nos collègues, pour prendre une position.
Vous l’aurez compris, je voterai contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.
Mme Marie Mercier. C’est bien grâce au vaccin que nous bénéficions désormais d’une protection pour la population, notamment pour les soignants, face à une pandémie meurtrière.
Je voudrais rappeler que le covid-19 est un coronavirus, que les coronavirus sont très nombreux, qu’ils mutent et qu’ils sont pervers.
M. Bernard Bonne. Exactement !
Mme Marie Mercier. Je ne voterai pas pour la mise en œuvre de l’obligation vaccinale.
Par ailleurs, même si ce n’est pas vraiment le sujet, je voudrais dire que je reste un peu dubitative concernant la vaccination des enfants, notamment des enfants en bas âge – mais je pense que ma collègue Florence Lassarade, qui est pédiatre, s’exprimera sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour explication de vote.
Mme Florence Lassarade. Ce débat arrive un peu tardivement par rapport au déploiement et à l’efficacité de ce vaccin que nous avons eu la chance d’avoir contre une maladie qui est, je le rappelle, mortelle. Nous ne parlons pas d’une verrue ou d’un petit rhume !
Ce vaccin a donc été une chance exceptionnelle, même si nous regrettons qu’il ne soit pas français. C’est mon seul regret.
Toutefois, son déploiement soulève la question de l’obligation vaccinale. Il y a quelques mois, j’y étais favorable. J’ai regretté qu’elle n’ait pas été instaurée en décembre pour les soignants, ce qui aurait certainement amélioré la confiance de la population à l’égard du vaccin.
Actuellement, je suis satisfaite – si je puis dire… – du niveau de vaccination national.
Nous n’avons pas suffisamment évoqué la vaccination des enfants. Pourtant, si l’on veut obtenir l’immunité collective, il faudrait aussi vacciner les enfants en bas âge. En ce qui les concerne, le rapport bénéfice-risque est pour ainsi dire nul. Les adolescents ont adhéré à la campagne de vaccination et se sont fait vacciner, ce dont nous pouvons nous réjouir, car ils contribuent à diffuser le virus.
Cependant, si nous décidons de rendre ce vaccin obligatoire, il faudra en faire autant pour le vaccin antigrippal. Comme l’a rappelé Alain Milon, nous entrerions ainsi dans un processus de vaccination obligatoire pour des maladies qui mutent. Combien de temps l’obligation devra-t-elle durer ? Faudra-t-il en venir à l’annuler ? D’un point de vue législatif, la démarche paraît compliquée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Tout cela doit relever d’un décret !
Mme Florence Lassarade. Mieux vaut poursuivre nos efforts pour convaincre ceux de nos concitoyens qui ne sont pas vaccinés. En revanche, il ne faut administrer une troisième dose de vaccin qu’aux personnes qui en ont besoin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. La lutte contre l’épidémie doit rester notre priorité, et nous disposons pour cela d’un atout qui a fait ses preuves, le vaccin. Nous pouvons avoir confiance en lui, je le crois sincèrement.
Nous devons toutefois garder à l’esprit que le passe sanitaire, qui est la principale mesure incitative à la vaccination, conditionne depuis plusieurs mois nos libertés. Instaurer une obligation vaccinale reviendrait, à mes yeux, à porter atteinte de manière démesurée à nos libertés individuelles. La pédagogie a fait ses preuves. Il est préférable, à ce jour, de continuer sur cette voie, de nous adresser à ceux de nos concitoyens qui se montrent réticents ou qui sont isolés et de rappeler à chacun la responsabilité qu’il a de se vacciner pour se protéger et pour protéger les autres. Tel est le travail, certes fastidieux, que nous devons poursuivre.
Je suis convaincue de l’efficacité du vaccin, mais réticente à l’idée de rogner encore davantage sur nos libertés. Par conséquent, je m’abstiendrai sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Tous les arguments que j’ai entendus laissent à penser qu’une large majorité d’entre nous reconnaît l’importance de la vaccination dans la lutte contre la covid-19. Je souhaite que nous en tirions les conclusions et que nous allions encore plus loin dans notre démarche, en levant les brevets sur les vaccins.
La France est connue pour être un pays où l’on défend les droits et les valeurs démocratiques. Dans le passé, elle a souvent contribué à promouvoir la liberté dans le monde.
Les effets du vaccin sont connus, mais il faut respecter ceux de nos concitoyens qui ne veulent pas se faire vacciner ; tels sont les enjeux dont nous débattons.
En réalité, j’ose vous le dire, mes chers collègues, il s’agit là d’un débat de riches, car dans le reste du monde des millions de personnes ne demandent qu’à se faire vacciner et en ont besoin, mais ne le peuvent pas faute d’avoir accès aux vaccins. Je souhaite donc que nous agissions pour lever les brevets des vaccins.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je ne voterai pas cet amendement. Je suis totalement convaincue de l’utilité du vaccin et notre collègue vient de rappeler, très justement, que dans un certain nombre de pays la population aimerait y avoir accès, mais ne le peut pas.
Au-delà de cet amendement, je ne suis pas favorable à la vaccination obligatoire qui est l’objet même du texte. Une telle obligation aurait pu avoir un sens si elle avait été instaurée plus tôt, mais ce n’est plus une bonne solution, car elle arrive trop tard. D’autant que nous n’avons absolument pas les moyens de la mettre en œuvre.
Je souhaite que, dans ce débat, nous ayons pu inciter à aller se faire vacciner tous ceux qui ne le sont pas encore. En réalité, cet amendement ne fait que reprendre les arguments des antivax. Il jette la suspicion sur le vaccin, ce qui n’est vraiment pas une bonne manière de lutter contre la covid-19. La seule manière de le faire, c’est le vaccin et encore le vaccin. Vaccinons-nous ! (MM. Martin Lévrier et Bernard Bonne applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.
M. Laurent Somon. Ce débat nous a permis de constater que la situation n’était pas la même en métropole et dans les territoires d’outre-mer.
Comme l’a dit M. Chasseing, si ce texte avait été examiné il y a quelques mois, nous l’aurions peut-être voté, en considérant que l’obligation vaccinale contribue à enrayer plus rapidement les contaminations. C’est bien la preuve qu’il est nécessaire de maintenir une certaine liberté d’appréciation territoriale, en matière épidémiologique, pour pouvoir adapter les moyens dont on dispose pour lutter contre le virus.
Ce débat est intéressant. Je suis loin de partager les idées des antivax… Néanmoins, certaines situations peuvent nécessiter la mise en place de mesures plus coercitives. C’est une chance que les premiers vaccins dont nous ayons bénéficié soient efficaces sur les variants, en particulier le delta. Qui peut savoir s’ils le seront encore sur d’autres variants, comme le mu ? Personne !
Si la vaccination était rendue obligatoire, il faudrait changer de vaccin tous les trois mois, en fonction de la mutation du virus. Mieux vaut conserver une certaine liberté territoriale et éviter d’instaurer une obligation vaccinale généralisée.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié quater.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 7 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 5 |
Contre | 338 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Jomier, Mme Féret, M. Kanner, Mme Artigalas, MM. Assouline et J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, MM. Bouad et Bourgi, Mme Briquet, M. Cardon, Mme Carlotti, MM. Chantrel, Cozic et Dagbert, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain, Éblé, Féraud et Fichet, Mme M. Filleul, M. Gillé, Mme Harribey, MM. Houllegatte, Jacquin et Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mme Le Houerou, MM. Leconte et Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Marie et Mérillou, Mme Meunier, MM. Michau et Pla, Mmes Poumirol et Préville, M. Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, Todeschini, M. Vallet et Vallini, Mme Van Heghe et M. Vaugrenard, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le même article L. 3111-2 du code de la santé publique est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – À compter du 1er janvier 2022, le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l’autorité parentale ou dont on assure la tutelle à l’obligation de vaccination prévue au 12° du I est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire prévue à l’article 529 du code de procédure pénale. Si une telle infraction est verbalisée à plus de trois reprises au cours d’une période de trente jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. »
La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Dès lors qu’une obligation est instaurée, la majorité de nos concitoyens s’y plie avant même la mise en place d’une sanction.
Cet amendement vise néanmoins à prévoir une sanction contraventionnelle en cas de non-respect de l’obligation vaccinale, à compter du 1er janvier 2022. Les personnes concernées auront ainsi le temps de s’y conformer. Le non-respect de l’obligation vaccinale sera puni de l’amende forfaitaire prévue pour les contraventions de quatrième classe.
Nous apportons ainsi une réponse à ceux qui considèrent cette loi comme inapplicable, au motif que le dispositif ne serait pas contrôlé et ne donnerait pas lieu à des sanctions.
Vous serez sans doute nombreux à voter cet amendement…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, car elle est également défavorable à l’obligation vaccinale.
Toutefois, au travers de ce qui est proposé, surgit de nouveau le débat sur la nécessité de trouver un équilibre entre convaincre et contraindre. Vous privilégiez l’alternative, selon l’adage, largement partagé, « mieux vaut convaincre que contraindre ». En réalité, alors même qu’ils défendent cette position, le ministre de la santé et le Gouvernement ont mis en place un arsenal de contraintes liées au passe sanitaire.
En revanche, l’obligation vaccinale n’aura pas pour corollaire, si on ne la respecte pas, qu’on puisse être privé de son emploi ou que l’on encoure une peine de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende, sanctions qui seront proposées dans le cadre du projet de loi prévoyant la prolongation du passe sanitaire. Seule une amende contraventionnelle de 135 euros est prévue, ce qui marque une désescalade vers une sanction que l’on ne veut pas excessive mais proportionnée.
Cela ne suffira jamais à convaincre la proportion marginale de notre population qui est fondamentalement antivax et pour la défense de laquelle des voix se sont élevées dans cet hémicycle, ce qui est parfaitement légitime en démocratie.
Plutôt que de nous persuader que les indicateurs sont au vert, que tout va bien et qu’il n’est pas utile de faire quoi que ce soit, nous devrions dès à présent nous interroger sur la prolongation du passe sanitaire jusqu’au mois de juillet prochain. Cette mesure permettra-t-elle d’éviter une résurgence de l’épidémie dans quelques semaines ou quelques mois ?
Si, dans cet hémicycle, nous refusons de la voter au motif que le Gouvernement ne veut pas d’une clause de revoyure en février, cela signifiera que nous aurons rejeté tout ensemble l’obligation vaccinale et le passe sanitaire. Il nous faudra pouvoir répondre sur les solutions que nous proposons réellement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement préfère effectivement convaincre que contraindre, selon une stratégie dont le succès a été démontré, même s’il faut aussi y inclure quelques contraintes, comme vous l’avez rappelé. L’équilibre que nous avons trouvé nous semble judicieux.
Dans la mesure où nous nous opposons à l’obligation vaccinale, nous ne pouvons pas être favorables aux sanctions qui y seraient attachées.
L’avis est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. L’objet de cet amendement pose une véritable difficulté, dans la mesure où aucune coercition de ce type n’existe pour les onze vaccins obligatoires dont on nous rebat les oreilles. Le contrôle n’intervient qu’à deux moments, lors de l’inscription à l’école et à l’entrée dans certaines professions, notamment chez les militaires.
M. Martin Lévrier. Également dans les métiers de la santé !
M. Loïc Hervé. Le contrôle de la vaccination est consubstantiel à l’exercice de ces métiers. Aucune amende du type de celle que prévoit l’amendement n’est prévue pour autant.
Je voterai donc contre cet amendement, car il porte le risque d’une dérive au terme de laquelle le passe sanitaire deviendrait un passe vaccinal. On franchirait ainsi une nouvelle étape dans le contrôle social.
Il peut m’arriver de tenir des propos quelque peu prémonitoires. Mieux vaut donc que je vous fasse part dès à présent de cette réflexion, à l’occasion de l’examen de ce texte. Nul ne pourra dire qu’il n’a pas été prévenu, dans quelques mois, lorsque nous débattrons du passe vaccinal !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Mes chers collègues, manifestement, nous n’avons pas réussi à vous convaincre – à moins d’un miracle lors du scrutin public, mais voilà longtemps que je ne crois plus aux miracles…
Je tiens néanmoins à rappeler la cohérence de la position que nous avons défendue dans ce débat. Dès le mois de juillet dernier, au moment du vote sur le passe sanitaire, nous avions présenté des amendements visant à instaurer l’obligation vaccinale. Certains d’entre vous nous accusent d’agir trop tôt ou trop tard. En réalité, nous nous montrons cohérents depuis le début de la crise et encore aujourd’hui.
Il reste 8 millions de Français qui ne sont pas vaccinés et qui seront difficiles à convaincre. Nous avons d’ailleurs entendu dans cet hémicycle des propos que je croyais réservés à M. Philippot sur les estrades ! Nous avons heureusement su combattre, au sein de la Haute Assemblée, les arguments complètement délirants des antivax, qui considèrent que le progrès scientifique ne relève pas de leur autorité.
Nous avons décidé, quant à nous, de poursuivre notre logique jusqu’à son terme. Nous ne pourrons pas conforter cette position par le vote de la Haute Assemblée. J’y insiste, 8 millions de Français ne sont pas vaccinés. Le docteur Alain Milon a prévenu : si des variants se développent, nous devrons faire face à des difficultés majeures dans les mois à venir.
J’espère me tromper, et qu’avec mes collègues nous n’aurons pas eu raison trop tôt en défendant cette proposition de loi. Nous aurons au moins eu, ce soir, un débat clair et franc. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Sans revenir sur tous les arguments que mes collègues ont avancés pour s’opposer à la mise en place de l’obligation vaccinale, je me contenterai d’en rappeler un. Inscrire dans la loi l’obligation vaccinale n’aura pas forcément d’effet sur la généralisation de la vaccination. L’absence de dispositions pratiques pour rendre effective cette obligation rend le dispositif inefficace, même si certains ont évoqué la possibilité d’instaurer une amende. Pire encore, une telle initiative pourrait discréditer l’action publique.
Même si, dans sa très grande majorité, le groupe Les Républicains est opposé à la proposition de loi, il n’a pas voté l’amendement de suppression de l’article unique. L’exposé des motifs de cet amendement remet en cause le bien-fondé de la vaccination. Or celle-ci protège contre les formes graves du virus et en limite la circulation. L’absence quasi totale de patients vaccinés dans les services de réanimation en est la preuve.
Par conséquent, en votant contre cet amendement, nous voulions réaffirmer l’utilité des vaccins et notre volonté que la couverture vaccinale soit la plus large possible. Telle est la position que nous défendons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je m’abstiendrai sur ce texte. Je considère, en effet, que certains arguments valent dans un sens et dans l’autre. On ne peut pas écarter d’un revers de main la question de l’obligation vaccinale, car l’on risque d’y venir, malheureusement, si la situation s’aggrave.
J’aime à comparer le vaccin et la ceinture de sécurité, dans les voitures. Celle-ci n’évite pas l’accident, mais elle empêche des complications quand il arrive. Elle peut parfois aggraver les blessures, mais la plupart du temps elle sauve des vies, et c’est là l’essentiel. Or la ceinture de sécurité est obligatoire, et personne ne remet plus cela en question. Nous la mettons tous quand nous montons en voiture !
Mme Éliane Assassi. Comparaison n’est pas raison !
M. René-Paul Savary. Pourtant, rappelez-vous combien il a été difficile au début de faire accepter cette obligation…
Le Gouvernement doit poser comme principe la possibilité d’instaurer l’obligation vaccinale, tout comme celle d’une réponse graduée en fonction de la gravité de l’épidémie, voire d’une autre crise.
Certains ont fait allusion au rapport d’information que nous avons rédigé avec Véronique Guillotin et Christine Lavarde, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, afin d’anticiper, dans la sérénité, toutes les réponses à envisager en cas de crise, qu’elle soit nucléaire, épidémique ou d’une autre nature. Le Parlement pourra ainsi en débattre très calmement, avant même que le problème ne surgisse. Il s’agit d’envisager toutes les solutions possibles, quitte à les écarter une par une. C’est ainsi que l’on devrait aborder une crise.
À présent, il nous reste à nous adapter en tirant des leçons des tristes événements que nous avons vécus et en anticipant.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Mes chers collègues, je tiens à vous remercier pour la qualité de ce débat et le sens de l’écoute dont vous avez tous fait preuve, malgré le brouhaha de ces derniers jours et les explosions de pétards devant le Sénat.
Notre société est déjà très fracturée, de sorte qu’il est difficile de ne pas opposer le clan des « pour » à celui des « anti ». Certains de nos concitoyens qui nous regardent nous sont reconnaissants pour nos interventions très pédagogiques et notre respect des arguments des uns et des autres. Le mot « humilité » revient à plusieurs reprises dans leurs commentaires.
Voilà pourquoi je tiens à vous remercier tous, en espérant que nous aurons contribué à réconcilier une société profondément fracturée sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, de la commission des affaires sociales, et, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 8 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 64 |
Contre | 262 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
10
Intégration des jeunes majeurs étrangers
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, présentée par M. Jérôme Durain et plusieurs de ses collègues (proposition n° 475 [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 12, rapport n° 11).
Je vous rappelle que cette proposition de loi est inscrite dans le cadre de l’espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, limité à une durée de quatre heures. En conséquence, la séance ne pourra pas aller au-delà de vingt heures quarante-cinq.
Si nous n’avons pas achevé l’examen de cette proposition de loi, il appartiendra à la conférence des présidents d’en inscrire la suite à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi.
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers auparavant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), quand ils travaillent, tel est le but de la proposition de loi que j’ai l’honneur de porter devant notre assemblée. C’est aussi son titre. Avouons-le, il est un peu long et guère explicite !
Voilà pourquoi j’ai décidé de rebaptiser le texte « proposition de loi Ravacley », d’après le nom de Stéphane Ravacley, même si, madame la rapporteure, vous avez fait le choix de ne pas l’auditionner – c’est bien la première fois qu’un sénateur Les Républicains refuse d’auditionner un patron…
Il n’est pas pourtant pas trop tard, puisque M. Ravacley est dans les tribunes.
Je vais donc me permettre de vous raconter son histoire, celle d’un patron, d’un boulanger de Besançon dans le Doubs, qui forme un jeune à son métier. L’apprenti s’appelle Laye Fodé Traoré. Il s’agit d’un jeune Guinéen parce que, comme souvent, on n’a pas trouvé de jeune Français acceptant de se former à la boulangerie.
Stéphane Ravacley n’était ni un militant ni un homme particulièrement mobilisé dans les collectifs de défense des migrants. Il n’y était pas spécialement opposé ni spécialement favorable : ce n’était pas son monde. Mais, un jour, indigné, M. Ravacley s’est dit qu’il devait se battre.
Qu’est ce qui a motivé ce changement ? C’est le sort ubuesque réservé à Laye Fodé Traoré. Chaque jour, en effet, le boulanger forme un apprenti, pour qui tout s’arrête brutalement le jour de ses 18 ans : la démarche d’intégration, d’apprentissage de notre langue, de formation à un métier dans laquelle il s’est inscrit vient se fracasser sur le mur de la majorité.
Comme dans tant d’autres situations, le mineur jusqu’ici méritant, prometteur, travailleur, appliqué, engagé dans un processus d’intégration devient, du jour au lendemain, suspect, presque un délinquant… Pour paraphraser Pascal, vérité en deçà des 18 ans, erreur au-delà ?
Comment expliquer un tel mur de la majorité pour des jeunes qui suivent un parcours d’intégration par le travail ? C’est la loi : les jeunes étrangers mineurs sont soumis au régime de la protection de l’enfance, alors que les jeunes étrangers majeurs sont, eux, soumis aux dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Quand ils atteignent l’âge de 18 ans, on les interroge, bien tardivement, sur l’authenticité de papiers qui ont été présentés deux ou trois ans plus tôt.
L’apprenti est expulsable. Il est visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), quand bien même cette obligation ne pourra pas être exécutée.
M. Ravacley a été confronté à ce scénario implacable et a compris qu’on ne l’entendrait pas. C’est pourquoi il a décidé de se battre à sa manière : il a fait la grève de la faim. Laye a finalement obtenu ses papiers. Il a finalement pu prouver que son état civil était exact et qu’il n’avait dit que la stricte vérité.
Le préfet coupable de la première OQTF n’aurait pas fait preuve d’assez de discernement, dixit la place Beauvau. Je ne connais pas ce préfet mais, comme vous le savez, mes chers collègues, des préfets, on en trouve de plus ou moins zélés ou de plus ou moins imaginatifs. Il y en a aussi de très bons mais, en général, ils sont là avant tout pour appliquer les consignes qui leur sont données par le ministère de l’intérieur.
Je garde le souvenir personnel d’un préfet nouvellement arrivé en Saône-et-Loire qui m’avait indiqué, parlant d’un dossier de régularisation que je lui présentais : « C’est le dernier que je prends ! » Quand bien même j’aurais eu par la suite des dossiers incontestables, ce préfet ne les aurait pas étudiés, car sa doctrine était faite, indépendamment des situations individuelles.
Cet arbitraire, que M. Ravacley a vécu avec son apprenti, n’est pas un cas isolé. Les initiatives pour alerter sur la condition des jeunes majeurs étrangers en passe d’être expulsés se multiplient partout en France. À Besançon, c’était Stéphane Ravacley ; mais à La Chapelle-du-Châtelard, c’est Patricia Hyvernat pour son apprenti Yaya ; à Amiens, Guy de La Motte pour Boubacar et Sidiki ; à Troyes, Frédéric Bouchery pour Oumar Konaté. D’autres se sont battus à Fleurey-sur-Ouche pour Karim Traoré, à Caen pour Souleymane Bakayoko.
Croyez-moi, mes chers collègues, on pourrait faire un tour de France ! À chaque étape, on trouvera des parcours de vie mis à l’épreuve par une loi prise en défaut de bureaucratie. D’ailleurs, beaucoup d’entre vous dans cet hémicycle se sont déjà mobilisés pour des histoires de vie similaires.
Rigide, injuste, inefficace, le dispositif actuel est inadapté aux exigences de la réalité. L’intervention des associations, de parlementaires, des grèves de la faim sont nécessaires pour régulariser des jeunes que leur situation objective et leurs mérites devraient protéger des OQTF.
C’est un dispositif rigide, tellement rigide que l’on pourrait comparer l’administration à une bureaucratie kafkaïenne ! Les textes conduisent à nombre de situations dramatiques : les jeunes sont soumis à la violence d’une décision discrétionnaire tombant comme un couperet.
C’est aussi un dispositif injuste. La législation actuelle traite les jeunes majeurs étrangers, auparavant pris en charge par l’ASE, comme des délinquants.
C’est enfin un dispositif inefficace. Le régime en vigueur est une anomalie dans un système de régulation des flux migratoires, qui vise à sécuriser à nos frontières et sur notre territoire. Ces jeunes représentent-ils une menace de ce point de vue ? Non ! Ils fabriquent du pain et travaillent dans des ateliers… Sécuriser l’intégration de ces jeunes majeurs étrangers constitue donc une avancée pragmatique et raisonnée.
D’abord, nous avons besoin de ces jeunes. Certains secteurs, dans lesquels de nombreux emplois ne sont pas pourvus, sont aujourd’hui sous tension.
Il y a quelques années, on parlait des métiers manuels, réputés sales et durs : l’industrie, l’apprentissage, la restauration, les récoltes saisonnières. Aujourd’hui, le discours change un peu. Avec le confinement, la covid-19 et la crise mondiale du fret maritime, notre pays, comme de plus en plus de pays en Europe, redécouvre combien il est important que sa production ne dépende pas de l’extérieur. Aussi, certains de ces métiers manuels regagnent un peu de prestige.
Certains métiers n’attirent donc plus suffisamment nos jeunes. Je suis favorable à la hausse des salaires – je ne sais pas si tout le monde en fait une priorité politique ici –, mais une telle mesure ne suffira pas pour répondre à l’urgence.
Face à l’urgence, je trouve cohérent d’accepter que des jeunes étrangers occupent ces emplois. Un emploi non pourvu, ce n’est pas qu’une statistique : cela entraîne une conséquence concrète. Parlez-en aux Anglais qui voient leurs rayons se vider, parce qu’il n’y a plus assez de chauffeurs routiers chez eux !
Il s’agit aussi d’une avancée pour l’intégration vertueuse des étrangers par le travail. J’aimerais à cet égard vous rappeler la conclusion du sketch de Fernand Raynaud après le départ du boulanger étranger du village : « Depuis ce jour-là, eh ben on ne mange plus de pain ! » (Sourires sur des travées du groupe SER.)
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jérôme Durain. Parce que ces jeunes ne viennent pas voler notre pain, mais le fabriquer, je vous propose d’inverser la logique actuelle. Le maintien sur le territoire de ces jeunes étrangers majeurs doit devenir la règle de droit commun et non plus l’exception, dès lors – j’insiste sur ce point – qu’ils remplissent les conditions légales.
Ainsi, les jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’ASE entre l’âge de 16 ans et celui de 18 ans bénéficieraient, à leur majorité, d’une carte de séjour temporaire d’une durée d’un an. Nous proposons aussi, dans un souci de simplification, qu’ils puissent solliciter par anticipation l’octroi de ce titre.
Je rappelle à la rapporteure et à nombre de collègues, qui se méprennent sur le sujet, que la délivrance de plein droit d’un titre de séjour ne signifie en rien la délivrance automatique du titre de séjour, mais simplement que le pouvoir d’appréciation de la préfecture sera limité. L’intéressé devra remplir les conditions légales suivantes : le caractère réel et sérieux du suivi de la formation professionnelle ou des études, et l’avis de la structure d’accueil sur sa possible intégration dans la société française.
L’argument de l’appel d’air n’est pas recevable puisque, en tout état de cause, la délivrance d’une carte de séjour temporaire répond à des critères fixés par le législateur, comme le prévoient les articles 1er et 2 du présent texte, d’une part, et résulte d’une appréciation au cas par cas, d’autre part.
Autre posture politique qui m’a agacé, la direction générale des étrangers en France (DGEF) évalue à 93 % le taux d’octroi d’une carte de séjour temporaire, et à 7 % le taux de refus. Comment se fait-il que ces chiffres soient peu ou prou inverses dans la Marne et dans les Hauts-de-Seine, par exemple ? Le préfet du Doubs a l’air particulièrement coriace également. Et comment faire remonter l’existence de ces inégalités sur le territoire ? Pour ne citer que ce département, dans le Loiret, le taux d’admission atteint quasiment 100 % !
Il n’est pas exact de dire que les tribunaux administratifs rétablissent l’égalité : de nombreuses OQTF mises en œuvre de manière arbitraire sont confirmées par les tribunaux malgré le travail des avocats. L’arbitraire est partout, et quand le tribunal est saisi, il est déjà trop tard : le mal est fait.
Par ailleurs, dans ces 93 % de personnes qui se voient délivrer un titre, j’imagine que le ministère comptabilise le cas de Laye Fodé Traoré, ce qui est tout de même un peu fort de café…
J’avancerai enfin un dernier argument. Modifier la loi dans le sens que nous suggérons, c’est mettre fin à un gâchis considérable : un gâchis à la fois humain et économique, une mobilisation bien inutile de moyens administratifs, judiciaires ou policiers. C’est aussi l’occasion de mettre fin à un tumulte politiquement dangereux sur nos territoires.
Chères et chers collègues, en modifiant la loi comme notre groupe vous y invite, faisons preuve de bon sens : encourageons les jeunes qui le méritent – nous avons en effet un devoir d’humanité – et soutenons dans le même temps les patrons qui nous le demandent ; c’est dans l’intérêt de l’économie de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Durain et de plusieurs de ses collègues tend à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.
La commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi. Le texte que nous examinons aujourd’hui est donc celui qui a été déposé sur le bureau du Sénat. Celui-ci a été inspiré à M. Durain, comme il l’a lui-même rappelé, par un cas particulier, celui de M. Fodé Traoré, dont nous avons tous entendu parler. D’autres cas similaires ont pu survenir, voire faire l’objet de contentieux devant le juge administratif.
Ces cas relèvent-ils d’un dysfonctionnement qui nécessiterait l’intervention du législateur ? Au vu des éléments chiffrés que j’ai obtenus des administrations et qui figurent dans mon rapport, la commission a estimé que des difficultés peuvent effectivement parfois apparaître, mais que la solution ne relève pas de la loi.
Les deux premiers articles du texte visent à permettre l’octroi de plein droit d’un titre de séjour aux mineurs non accompagnés (MNA) recueillis après l’âge de 16 ans et suivant soit une formation professionnelle qualifiante – c’est l’objet de l’article 1er –, soit un enseignement ou des études en France – c’est ce que prévoit l’article 2.
Le régime actuel de l’accès au séjour est, en effet, plus favorable aux mineurs recueillis avant l’âge de 16 ans. Ces derniers bénéficient d’un titre de plein droit si trois conditions seulement sont réunies : le caractère réel et sérieux de la formation suivie, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine et un avis positif de la structure d’accueil sur leur insertion dans la société française.
Les MNA recueillis entre l’âge de 16 ans et celui de 18 ans doivent, eux, passer par la procédure d’admission exceptionnelle au séjour, qui permet au préfet d’accorder un titre à des mineurs suivant une formation professionnelle qualifiante et satisfaisant les mêmes critères.
Selon les données transmises par la DGEF, 93,5 % de l’ensemble des demandes de titre déposées par des mineurs non accompagnés ont trouvé une issue favorable en 2019, et 92 % en 2020. Ces chiffres montrent à eux seuls que le problème ne réside pas dans les voies d’admission au séjour. Leur fonctionnement est, dans la très grande majorité des cas, tout à fait satisfaisant.
La situation n’est pas différente pour les mineurs non accompagnés suivant des études, même s’ils ne disposent pas d’une voie d’accès réservée. En effet, une circulaire de 2012, dite « circulaire Valls », leur accorde un titre sur le fondement de l’admission exceptionnelle au séjour. Selon la DGEF, 671 cartes d’étudiant ont été délivrées en 2019 sur ce motif, soit un taux d’approbation de 93,2 %.
Ces taux élevés sont cohérents avec la politique conduite par les départements pour la prise en charge des MNA, qui représente un investissement humain, social et financier très important. Ils reflètent également la possibilité pour ces jeunes de s’intégrer dans la société française, en particulier via leur engagement dans des formations professionnalisantes telles que l’apprentissage.
Certes, des difficultés existent, mais elles sont minoritaires. Elles tiennent aux délais de traitement des demandes et à la validation des documents d’état civil. Je suis convaincue que ces obstacles, lorsqu’ils se dressent, peuvent être surmontés à droit constant.
S’agissant des délais, la Ville de Paris et la préfecture de police ont, par exemple, mis en place un protocole spécifique depuis 2017. Celui-ci prévoit le dépôt des demandes de titres six mois avant que le mineur n’accède à la majorité et leur traitement à travers un circuit dédié. Une décision est prise dès les 18 ans du jeune, pour éviter toute rupture de parcours.
D’autres départements ont signé des protocoles de cette nature. Au niveau de l’État, je rappelle qu’une circulaire du 21 septembre 2021 prévoit également la généralisation d’un pré-examen du droit au séjour au moment de l’octroi d’une autorisation de travail, que l’on réclame notamment aux MNA entrant en apprentissage.
Concernant la validité des documents d’état civil, je souligne que, en 2019, seuls 6,5 % des dossiers se sont soldés par des refus. De plus, un refus n’est jamais fondé sur un seul critère. Si l’on constate des difficultés récurrentes, comme dans le cas de la Guinée, la solution réside fondamentalement dans une solution diplomatique entre notre pays et l’État concerné.
Enfin, et surtout, je ne suis pas favorable à l’octroi de plein droit d’un titre aux mineurs non accompagnés recueillis après l’âge de 16 ans, car une telle disposition viendrait significativement réduire les marges d’appréciation du préfet. Ces marges d’appréciation laissées à l’administration sont, à juste titre, le fondement de l’admission exceptionnelle au séjour.
Outre les considérations liées à l’ordre public, l’examen au cas par cas des demandes permet de prendre en compte la complexité des parcours et la volonté d’insertion du jeune, surtout quand celui-ci est récemment arrivé sur le territoire national. Et disons-le, dans la pratique, les préfets disposent toujours des moyens de régulariser un mineur qui ne remplit pas complètement les conditions d’admission.
Enfin, les garde-fous juridictionnels jouent pleinement leur rôle, ce qui est tout à fait normal. Les décisions des préfets, je tiens à le rappeler, sont toujours susceptibles de faire l’objet d’un recours, et le contrôle du juge administratif est rigoureux.
Il me semble que le système actuel est donc équilibré et qu’à une modification des voies d’accès au séjour il faut préférer l’amélioration des procédures de dépôt et d’examen des demandes. En ce sens, je rejoins totalement les recommandations émises par nos collègues Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Henri Leroy et Xavier Iacovelli dans le rapport d’information relatif aux mineurs non accompagnés qu’ils viennent de publier.
Je serai plus brève sur les articles suivants. L’article 3 découle de l’article 1er : il vise à permettre le dépôt anticipé des demandes de titre de séjour qui seraient formulées selon la procédure prévue. Par cohérence, la commission ne l’a pas adopté.
L’article 4 prévoit d’ouvrir l’admission exceptionnelle au séjour aux jeunes pris en charge entre l’âge de 16 ans et l’âge de 18 ans, dont la formation n’est pas destinée à leur apporter une qualification professionnelle. Comme je l’ai évoqué précédemment, une circulaire le permet déjà depuis 2012, et cette procédure est pleinement appliquée. L’intervention du législateur est donc superflue.
L’article 5 est un point plus délicat à traiter. Celui-ci tend à supprimer la condition d’examen de la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine de la liste des critères pris en compte pour la délivrance d’un titre à un jeune majeur étranger pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.
Concrètement, le préfet examine la réalité – cela me paraît nécessaire –, la stabilité et l’intensité des liens développés en France et les confronte à ceux qui ont été conservés dans le pays d’origine. N’oublions pas qu’un enfant a toujours une famille !
Par conséquent, ce critère permet d’écarter les demandes de titres de séjour de jeunes majeurs, dont l’essentiel des liens demeure dans le pays d’origine et qui y seraient, le cas échéant, mieux accompagnés. Si ce critère n’est logiquement pas retenu au moment de la prise en charge par l’ASE, il reste en revanche pertinent dans le cadre de l’accès au séjour. Là encore, les décisions de refus ne se fondent que très marginalement sur ce critère, et le contrôle du juge administratif est scrupuleux à cet égard.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le sujet des mineurs non accompagnés est éminemment important et justifie que nous en débattions en séance, ce qui arrive d’ailleurs fréquemment. En revanche, ce texte ne me paraît pas apporter de solution à la difficulté soulevée : je vous propose donc de ne pas l’adopter. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’examen de la proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est l’occasion pour le Gouvernement de rappeler toute l’importance qu’il accorde à la question de la sécurisation du droit au séjour des MNA, dont le nombre tend à diminuer depuis 2019, au-delà de la forte baisse conjoncturelle observée en 2020 du fait de la crise sanitaire. On dénombre ainsi 16 760 évalués mineurs en 2019, puis 9 524 en 2020 et 7 130 au 1er septembre 2021.
Avant de vous donner quelques chiffres qui montrent que l’État examine déjà avec diligence les demandes de régularisation des mineurs non accompagnés, de sorte à ne pas rompre les parcours d’intégration prometteurs, je veux rendre hommage au délicat travail mené par les préfets, ainsi que par les agents des préfectures qui s’efforcent de répondre au mieux aux demandes qui leur sont adressées.
Revenons-en aux chiffres. Au titre des dispositions de l’article L. 423-22 du Ceseda, il existe une voie de plein droit pour les mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance au plus tard à l’âge de 16 ans. Sur ce fondement, pour l’année 2019, ce sont 2 901 demandes qui ont été instruites, et 2 695 titres délivrés, soit un taux de délivrance de près de 93 %.
Au titre des dispositions de l’article L. 435-3 du Ceseda, il existe une voie d’admission exceptionnelle au séjour pour les mineurs pris en charge entre l’âge de 16 ans et celui de 18 ans, qui justifient au moins de six mois de formation destinée à leur apporter une qualification professionnelle sous certaines conditions. Sur ce fondement, pour l’année 2019, 2 484 demandes ont été instruites et 2 344 titres ont été délivrés, soit un taux de délivrance de plus de 94 %.
Le dispositif est enfin complété par les orientations générales fixées par la circulaire du 28 novembre 2012, dite « circulaire Valls », qui traitent toutes les situations particulières n’entrant pas dans ce cadre, notamment celles des mineurs isolés qui poursuivent des études secondaires ou universitaires. Sur le fondement de cette circulaire, pour l’année 2019, 720 demandes ont été instruites et 671 titres ont été délivrés, soit un taux d’octroi de plus de 93 %.
Cela étant, le Gouvernement est bien conscient qu’il reste des situations qui ne sont pas toujours couvertes par les dispositions législatives ou les orientations générales de la circulaire Valls. C’est pourquoi, au cours de ces dernières années, le ministère de l’intérieur a pris des mesures très significatives, qui ont pour but de remédier aux principales difficultés rencontrées.
Il s’agit notamment de la mise en œuvre du dispositif d’appui à l’évaluation de la minorité, créé par le décret du 30 janvier 2019. Déployé à ce jour par 83 conseils départementaux, il permet de n’intégrer à l’ASE que les étrangers non accompagnés qui sont effectivement mineurs et, ainsi, de mieux examiner leurs demandes.
Il s’agit également de la circulaire ministérielle du 21 septembre 2020 relative à l’examen anticipé des demandes de titres de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l’aide sociale à l’enfance, qui vise à empêcher toute rupture des droits des jeunes majeurs. Cette dernière instruction rappelle les dispositions du code du travail qui prévoient qu’une autorisation de travail « est accordée de droit aux mineurs isolés étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance s’ils présentent un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation ».
Les dispositions de cette circulaire, qui systématise l’offre d’examen de la demande de titre de séjour au mineur isolé, dès lors qu’il sollicite une autorisation de travail, répondent également à l’objectif d’empêcher la rupture des droits des jeunes majeurs par l’anticipation des difficultés administratives auxquelles ces jeunes peuvent être confrontés.
Il me semble important, pour éclairer vos décisions dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi qui prévoit de créer de nouvelles voies d’admission de plein droit pour les jeunes pris en charge entre 16 et 18 ans, de dresser un premier bilan de l’application de cette circulaire.
Le retour d’expérience dont nous disposons démontre que certaines préfectures sont très impliquées dans le dispositif. Pour certaines préfectures, comme la préfecture de police de Paris ou celle du Nord, l’examen anticipé fonctionne sans difficulté et semble même durablement ancré dans un partenariat avec le conseil départemental.
Pour d’autres, l’examen anticipé a été mise en place plus tardivement. Je pense au département des Hautes-Pyrénées et à celui du Vaucluse par exemple. D’autres préfectures, il est vrai, ne sont pas encore parvenues à le mettre en œuvre, au motif notamment que les flux sont trop importants – c’est le cas de la préfecture du Rhône – ou, tout simplement, faute de demandes déposées.
En outre, les préfectures de l’Essonne et de la Gironde proposent un service de démarche simplifiée pour le dépôt des demandes des mineurs non accompagnés. Dans ce cas, un examen anticipé ne paraît pas forcément utile, puisqu’un traitement prioritaire est d’ores et déjà proposé.
Enfin, certaines préfectures, comme celle des Hauts-de-Seine, ont souhaité adapter le dispositif en recevant les MNA avant l’acquisition de leur majorité, mais selon un calendrier plus resserré que celui qui est préconisé dans le cadre de l’instruction. En l’espèce, l’accueil des MNA se fait deux mois avant leur majorité, ce qui donne lieu à la délivrance d’un récépissé.
En tout état de cause, les chiffres communiqués par l’ensemble des préfectures concluent à un faible taux de refus, inférieur à 10 %. Ces refus sont essentiellement motivés par un défaut d’état civil, des troubles à l’ordre public ou l’absence de formation qualifiante.
Il n’en demeure pas moins que l’on constate parfois un écart important entre le nombre d’anciens MNA susceptibles de demander un titre de séjour et le nombre de décisions prises, qu’il s’agisse de décisions favorables ou de refus. Comme l’indiquent les préfectures, on peut supposer que certains jeunes majeurs ne déposent pas de demande de titre ou y renoncent, faute d’actes d’état civil fiables.
Nous pensons, pour notre part, que la solution est à trouver dans un partenariat renforcé entre les préfectures et les services départementaux de l’ASE, qui pourrait passer par la signature de protocoles.
Nous inviterons les préfets à s’engager davantage encore dans cette voie, dans la droite ligne des conventions signées entre l’État et les départements dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et d’action contre la pauvreté, et ce pour lutter contre les sorties sèches de l’ASE. Ces conventions prévoient un entretien dès les 16 ans du mineur pour anticiper et préparer sa sortie.
Par conséquent, nous estimons que les dispositions législatives en vigueur, complétées par les circulaires de 2012 et de 2020, offrent à la fois les outils juridiques et la souplesse nécessaire pour veiller à la bonne intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Ce qu’il faut, c’est avant tout appliquer encore davantage l’arsenal juridique que nous avons déployé pour qu’il couvre bien tous les jeunes respectant les critères.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire du jeune Laye Fodé Traoré est emblématique de ce que traversent près de 2 000 jeunes majeurs étrangers. Si ce chiffre est élevé, c’est en partie parce que ces jeunes arrivent à un âge de plus en plus tardif en France, plutôt vers 16 ans.
L’affaire du boulanger Stéphane Ravacley et de son apprenti met en lumière le destin incertain, tortueux et parfois tragique des jeunes majeurs étrangers qui se voient notifier une OQTF. Pourtant, ces jeunes suivent des cours, travaillent dans des secteurs déficitaires en main-d’œuvre, et tentent de s’intégrer et de vivre en communion avec la société française. Il est inconcevable de former des talents pour les renvoyer ensuite d’où ils viennent à leur majorité.
D’après Pierre-François Tallet, directeur de la formation de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, il y aurait 8 400 postes à pourvoir dans la boulangerie, en fabrication et en vente. Les autres secteurs ne sont pas en reste, comme celui de la menuiserie et du bâtiment. Je pense notamment à Armando Curri, nommé meilleur apprenti de France en 2015, à l’époque qualifié de « sans-papier en or ». Parmi ces jeunes étrangers, il y a des Armando, des Laye, mais hélas ! peu de patrons prêts à se battre pour garder leurs apprentis.
La question de la régularisation administrative de ces jeunes est au cœur de leur prise en charge. Pour ces mineurs accueillis après l’âge de 16 ans par l’ASE, le dispositif d’octroi d’un titre de séjour reste exceptionnel.
De surcroît, dans le cadre de cette procédure, les jeunes doivent prouver la nature de leur lien avec la famille restée dans le pays d’origine. Or il n’existe aucune directive précise : le traitement se fait au cas par cas.
La présente proposition de loi prévoit l’octroi de plein droit d’un titre de séjour aux MNA pris en charge entre l’âge de 16 ans et l’âge de 18 ans, qui suivent une formation professionnelle qualifiante, un enseignement ou des études en France. L’obtention d’un titre de séjour par un jeune majeur ayant été pris en charge par l’ASE ne devrait relever ni du parcours du combattant ni d’un régime d’exception.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avez-vous conscience de la violence que subissent ces jeunes majeurs étrangers ?
Imaginez que vous soyez l’un de ces mineurs, un enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, qui suit une formation avec succès et qui, le jour suivant sa majorité, se retrouve clandestin dans un pays étranger, soupçonné de détenir des faux papiers – et encore, si vous avez des papiers…
Je prendrai quelques exemples.
Il y a cette préfecture qui a convoqué un jeune peu avant ses 18 ans, alors qu’il n’avait pas encore effectué ses six mois de formation. Le jour de ses 18 ans, on lui a notifié une OQTF au motif qu’au moment de sa convocation il ne remplissait pas le critère des six mois de formation qualifiante. Ce jeune majeur a depuis été éloigné.
Autre exemple, celui d’une préfecture qui a mis en œuvre une OQTF en se fondant sur une mauvaise note d’un jeune dans l’un de ses bulletins, et sur sa prétendue non-intégration scolaire. Elle a éloigné le jeune en dépit de l’évaluation de l’équipe pédagogique.
Je citerai un dernier exemple, celui d’un préfet qui a délivré une OQTF à un jeune étranger sous prétexte que ses documents d’identité étaient faux, alors même que l’ambassade de Guinée en avait confirmé la validité.
Autant d’exemples, madame la ministre, de ce qu’est la France de 2021 : des jeunes réussissent un parcours d’intégration prometteur, et votre gouvernement les sanctionne !
Dans les Hauts-de-Seine, depuis la rentrée 2020, pour 200 000 à 250 000 jeunes étrangers placés à l’ASE entre 16 et 18 ans, au moins 36 OQTF ont été recensées. Voilà les chiffres, voilà le problème, voilà l’indignité !
Cette proposition de loi tend à donner une prime à l’intégration. Elle a vocation à affirmer l’égalité devant la loi de tous les jeunes qui se trouvent dans cette situation.
Nous savons, en effet, que l’articulation entre les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance et les préfectures diffère d’un point à l’autre du pays. La préoccupation portée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est donc celle de l’égalité entre les territoires et entre les personnes qui sont placées dans cette situation.
M. Hervé Gillé. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Nous voulons d’abord fixer des critères dans la loi, plutôt que de recourir à l’admission exceptionnelle – j’insiste sur cet adjectif – au séjour. Puis, nous voulons affirmer que l’octroi du titre de séjour doit être de plein droit.
« De plein droit », mes chers collègues, ne signifie pas « automatique ». Nous, sénateurs représentant les Français de l’étranger, savons combien il est difficile pour un conjoint de Français d’obtenir un titre de séjour « Vie privée et familiale », auquel il peut pourtant prétendre de plein droit.
Toutefois, considérer cet octroi comme étant « de plein droit », c’est affirmer que, en dépit des doutes que l’on peut concevoir, en dépit des difficultés rencontrées par le jeune pour obtenir des papiers d’identité en règle, celui-ci dispose de ce droit s’il réussit son parcours d’intégration.
Il ne s’agit donc pas d’instaurer une automaticité, madame la rapporteure. Nous voulons seulement supprimer l’arbitraire, en fixant des conditions strictes et justes, pour valoriser un début d’intégration réussie. En effet, valoriser l’intégration, c’est tout l’esprit républicain !
J’ai été particulièrement scandalisé par les propos que j’ai entendus, lors de l’examen de cette proposition de loi en commission, dans la bouche d’un de nos collègues de la majorité sénatoriale. Finalement, disait-il, dans certains pays, il est assez normal pour les familles d’envoyer leurs enfants en France tout seuls ; cela participe, en quelque sorte, d’un parcours vers la réussite.
L’auteur de ses propos se rend-il compte de ce qu’il dit ? Il n’est pas acceptable de prétendre que l’abandon d’enfants par leur famille, abandon qui les place dans une situation de vulnérabilité, fait partie d’un processus normal. Les comportements de ce type restent très rares, heureusement, mais ils n’ont pas à être valorisés ainsi dans des discours. J’y insiste, le jeune victime de cet abandon en devient plus vulnérable, et c’est sa famille qui lui fait subir cette violence de l’abandon et de l’exil.
Nous estimons donc que le devoir de protection ne s’arrête pas à la limite des 18 ans. Si le jeune, en tant que mineur protégé par l’aide sociale à l’enfance, a eu une démarche exemplaire, cela mérite d’être valorisé, et son parcours doit être sécurisé, sans passer par une décision arbitraire émanant de la préfecture.
Madame la ministre, la France a investi dans l’avenir de ces jeunes. Lorsqu’ils suivent, avec succès, des formations diplômantes pouvant déboucher sur un emploi, nous devons systématiquement les protéger et les accueillir. C’est un principe à poser.
Notre économie en a besoin. Esther Benbassa nous rappelait que plus de 7 000 emplois sont à pourvoir en boulangerie ; la situation est la même dans le secteur de la restauration. Voulez-vous, oui ou non, répondre aux besoins de notre économie, de nos artisans et de nos entreprises ?
Constatons aussi que, à l’exception du Japon et de la Chine, il y a une corrélation forte entre la croissance et le dynamisme des économies, d’une part, la force de la recherche et de l’enseignement supérieur et la proportion de la population née à l’étranger, d’autre part. Notre pays est, en la matière, au milieu du gué : il se situe dans la moyenne des pays développés, mais il enregistre un recul progressif.
Certes, il y a un problème d’intégration en France, mais, si nous ne valorisons pas ceux qui réussissent et si à l’intégration succède l’arbitraire, comment voulez-vous que l’intégration fonctionne ? Ce n’est pas acceptable !
Pensez-vous sérieusement qu’en refusant de saluer une intégration réussie ou en voie de l’être nous rendons service au jeune concerné, aux Français et à l’idée républicaine de l’intégration ?
Parce que, pour nous, l’intégration doit être valorisée lorsqu’elle est réussie, nous défendons cette proposition de loi servant la justice et la République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Excellente intervention ! Quelle conviction !
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, proposée par notre collègue Jérôme Durain, met en lumière un sujet très sensible, sur lequel le législateur s’est déjà prononcé par le passé.
En se fondant sur le cas particulier du jeune Laye Fodé Traoré à Besançon, ce texte a pour objet de pallier les situations dans lesquelles un jeune, pourtant inséré dans un parcours professionnel ou académique, fait l’objet d’une mesure d’expulsion après ses 18 ans.
Selon les auteurs, cinq articles tendraient à y remédier.
Les articles 1er et 2 instaurent l’octroi de plein droit d’un titre de séjour aux mineurs non accompagnés pris en charge entre 16 ans et 18 ans et suivant une formation professionnelle qualifiante, un enseignement ou des études en France.
Conséquence de l’article 1er, l’article 3 ouvre la possibilité d’une demande anticipée de titre de séjour pour ceux qui souhaitent travailler.
Enfin, l’article 4 élargit l’admission exceptionnelle au séjour aux mineurs non accompagnés suivant un enseignement ou des études non qualifiantes et l’article 5 supprime l’appréciation de la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine pour la délivrance des titres de séjour.
L’objectif de ce texte est louable, et il est vrai que les mineurs non accompagnés pris en charge par l’ASE peuvent se heurter, dans leur demande de titre de séjour, aux délais d’examen et à des difficultés à faire admettre la validité de documents d’état civil.
Toutefois, si ces situations existent, elles demeurent très marginales : nous pouvons les qualifier de « situations d’exception ».
Les chiffres fournis par la direction générale des étrangers en France en témoignent. L’examen des demandes de titres de séjour déposées par des jeunes précédemment pris en charge par l’ASE conduit, dans plus de 92 % des cas, à l’octroi d’une carte de séjour temporaire.
Par ailleurs, au-delà des statistiques, et comme l’a souligné Mme la rapporteure, dont je salue la qualité du travail, le dispositif proposé présenterait plusieurs difficultés.
Tout d’abord, le caractère automatique de la délivrance d’un titre de séjour priverait les administrations de leur liberté d’appréciation et supprimerait la capacité des préfets à se prononcer au cas par cas.
Cet examen au cas par cas est pourtant nécessaire, afin d’analyser la complexité des parcours, la volonté d’insertion et la nécessité de garantir la régularité des documents fournis pour l’accès au séjour en France.
De plus, une circulaire en date du 28 novembre 2012 autorise les préfets, en application de leur pouvoir discrétionnaire, à délivrer une carte de séjour temporaire « étudiant » sous plusieurs conditions : le caractère réel et sérieux de la formation suivie, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine et un avis positif de la structure d’accueil sur l’insertion dans la société française.
Si des cas sont ressentis comme injustes, il est toujours possible de déposer un recours devant le juge administratif, qui exerce un contrôle vigilant sur le respect par l’administration d’un certain nombre de principes, notamment celui d’égalité, et même d’aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
Ensuite, le dispositif d’octroi de plein droit des titres de séjour créerait potentiellement une redondance avec la procédure d’admission exceptionnelle au séjour qui est actuellement prévue par les textes, entraînant une difficulté juridique supplémentaire.
Je tiens également à préciser que dans mon département, à Mayotte, l’adoption de ce dispositif engendrerait un bouleversement monumental, sur une île où le phénomène des mineurs isolés étrangers s’accroît de jour en jour.
Au regard de ces éléments et des autres écueils mis en avant par la rapporteure, le groupe RDPI votera contre ce texte.
Néanmoins, la réflexion doit se poursuivre, pour, plutôt que changer la législation, aller vers un système permettant aux départements de mieux assumer leurs responsabilités. Le récent rapport sénatorial rendu sur le sujet va dans ce sens.
Mes chers collègues, nous poursuivrons ces réflexions ensemble, et je remercie de nouveau les auteurs de cette proposition de loi de nous permettre d’en débattre au sein de notre hémicycle.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au cours de la dernière décennie, le phénomène de migration des mineurs étrangers a pris une ampleur considérable au sein des États européens. Ils sont actuellement nombreux à se déplacer. Leur parcours est jalonné de multiples difficultés d’ordre social, politique et économique. Cela nous interpelle et, très souvent, nous émeut.
Il arrive que la presse révèle certaines situations particulières de jeunes arrivés en France depuis plusieurs années, poursuivant des études, en cours d’apprentissage ou accédant à l’emploi, qui se voient refuser un titre de séjour et ont l’obligation de quitter le territoire à leur majorité.
La proposition de loi que nous examinons cette après-midi tend à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers ayant été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance entre 16 et 18 ans, et je voudrais déjà, à cet instant, souligner l’engagement remarquable des départements.
Ses articles 1er et 2 visent à octroyer de plein droit un titre de séjour à ceux qui suivent, soit une formation professionnelle, soit un enseignement, soit des études.
L’article 3 permet à ceux qui suivent une formation professionnelle qualifiante de demander par anticipation un titre de séjour les autorisant à exercer une activité professionnelle avant leur majorité.
L’article 4 ouvre l’admission exceptionnelle au séjour à ceux qui suivent un enseignement ou des études non qualifiantes.
Enfin, l’article 5 supprime l’examen de la nature des liens avec le pays d’origine pour l’attribution d’un titre de séjour.
Ce texte appelle, à mon sens, plusieurs remarques.
Tout d’abord, il vise à remédier à des blocages auxquels sont confrontés certains jeunes étrangers, liés notamment aux délais de traitement et à la reconnaissance de la validité des documents d’état civil.
Effectivement, les délais d’examen peuvent parfois paraître longs. Toutefois, la solution pour contourner cet obstacle consiste à déposer le plus tôt possible le dossier de demande de titre de séjour, afin de pallier une éventuelle rupture de droits.
Des difficultés ont également été relevées pour faire reconnaître la validité des pièces d’état civil et des blocages ont été principalement signalés pour des dossiers de demandeurs, notamment d’origine guinéenne. Néanmoins, comme l’a relevé Mme la rapporteure, notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, dont je salue la qualité des travaux, ces blocages pourraient être levés par voie diplomatique.
Enfin, les dispositions contenues à l’article 4 semblent déjà satisfaites par la circulaire Valls du 28 novembre 2012, selon laquelle suivre un enseignement qui n’est pas destiné à apporter une qualification professionnelle ne fait pas obstacle à l’obtention d’une carte de séjour délivrée par le préfet.
Madame la ministre, mes chers collègues, l’état actuel du droit en matière d’accès au séjour pour les mineurs non accompagnés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance semble équilibré. Aussi, le caractère automatique de la délivrance de titres de séjour prévu dans la présente proposition de loi ne nous paraît pas adapté.
Notre groupe souhaite se fier au travail accompli par les services de l’État. Nous sommes favorables à ce que les préfets conservent leur pouvoir d’appréciation, au travers d’une étude individualisée des dossiers.
Les éventuels dysfonctionnements – il peut y en avoir – doivent être corrigés au niveau administratif. Il ne nous semble donc pas opportun de modifier le droit existant, étant rappelé que les décisions de refus d’octroi de titre de séjour peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Jérôme Durain et des sénateurs socialistes vise à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance après l’âge de 16 ans.
Si je prends la peine de le rappeler, c’est parce qu’en droit les mots ont un sens accru : il s’agit là non pas d’améliorer l’intégration, mais de la « sécuriser », c’est-à-dire de la rendre plus certaine, du moins administrativement.
Or, en matière d’intégration – celle de jeunes hommes et de jeunes femmes –, la personnalisation des décisions a un sens. L’enjeu est profondément humain et il doit le rester. Ces jeunes adultes ne sont pas des chiffres. Ils ont tous des parcours très différents.
En somme, je me refuse à voir aborder ce sujet d’une manière froidement administrative.
Dans cet hémicycle, nous reprochons tous souvent au Gouvernement sa verticalité et sa rigidité. Nous demandons qu’il fasse confiance aux territoires, aux élus locaux et aux administrations déconcentrées. À la lecture de cette proposition de loi, j’ai pour ma part jugé important de garantir une certaine souplesse quant à l’évaluation de cette intégration.
Avec mes collègues Henri Leroy, Hussein Bourgi et Xavier Iacovelli, j’ai rendu voilà quelques jours un rapport d’information portant sur les mineurs non accompagnés – je remercie d’ailleurs divers intervenants de l’avoir cité. Dans ce rapport, sont abordés les sujets de l’accompagnement vers la majorité et de l’accès effectif à l’autonomie.
Pour l’évoquer très brièvement, nous recommandons par exemple de réduire les délais de scolarisation des mineurs et de s’assurer que l’entretien, qui doit être réalisé par les départements un an avant leur majorité, soit une réalité, afin d’accompagner l’intégration, surtout pour ceux qui sont engagés dans un parcours d’insertion professionnelle.
Je ne détaillerai pas ici l’ensemble des articles de la proposition de loi : le rapport de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio l’a parfaitement fait, et je l’en remercie très vivement. Je m’attarderai plus volontiers sur l’esprit de ce texte.
En le lisant, j’ai pu me remémorer certains cas particuliers, comme m’y invitait, d’ailleurs, l’exposé des motifs. Dans la continuité, m’est également revenu cet adage populaire : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Car, oui, je me méfie des lois d’émotion !
C’est justement grâce à cette souplesse que, manifestement, les erreurs d’appréciation ont pu être corrigées. Ne nous leurrons pas, plus nous fagoterons notre droit, plus nous créerons des situations d’exception contre lesquelles la libre appréciation ne pourra plus rien – si, du moins, nous restons attachés, comme je le souhaite, à l’État de droit.
Rappelons que cet État de droit permet des recours juridictionnels portant sur ces mêmes décisions des préfets, décisions qui ne reposent jamais sur un seul critère.
Je le soulignais voilà quelques instants, l’enjeu est humain, et nous devons être capables d’y répondre de manière très concrète à chacune des phases du dispositif, de l’évaluation de la majorité à l’encadrement. Cela implique un budget important, une meilleure formation des encadrants, plus de personnel et une procédure sans faille, qui évite nomadisme et doublon.
En somme, nous devons nous atteler collectivement à un travail de fond, afin d’éviter des déperditions de moyens que nous ne pouvons plus nous permettre, et ce depuis longtemps.
La démographie mondiale, le réchauffement climatique et les instabilités politiques qui en découleront nous invitent à repenser globalement ce dispositif, en nous gardant de toute politique d’affichage.
Cette proposition de loi, mes chers collègues, en visant une sécurisation administrative du parcours de ces jeunes sans se soucier des moyens alloués pour rendre cette intégration effective, me conforte dans l’idée qu’il faut une loi d’envergure portant sur l’ensemble de notre politique d’accueil.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Laurent Burgoa. Avec mon groupe, je ne voterai pas cette proposition de loi. Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, je considère que cette dernière est à l’accompagnement de ces jeunes majeurs ce que le greenwashing est à l’écologie ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Jérôme Durain. Merci ! (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’actualité nous remet en tête régulièrement des histoires déchirantes et kafkaïennes de jeunes majeurs sous le coup d’une obligation de quitter le territoire, alors que leur insertion sociale ne fait plus aucun doute.
Au-delà même des cas qui ont touché le cœur du public, comme celui de ce boulanger de Besançon pris en exemple par les signataires de la proposition de loi, l’intégration des jeunes majeurs pose des questions réelles sur ce que, pudiquement, certains appellent des « sorties sèches », tout comme, d’ailleurs, sur les difficultés liées aux disparités de traitement entre départements.
Comment comprendre qu’un mineur étranger isolé, ayant fait l’objet de mesures de protection, d’accompagnement, de soutien par les services de l’aide sociale à l’enfance, puisse du jour au lendemain se retrouver à la porte d’un système qui a pourtant, et à juste titre, tout fait pour garantir sa meilleure intégration – sans parler, plus cyniquement, des coûts engagés par la société à fonds perdu ?
Comment comprendre les difficultés majeures auxquelles ces jeunes sont confrontés pour poursuivre leur insertion sociale ?
Il apparaît ubuesque de mettre de jeunes mineurs sur les rails d’une intégration réussie si c’est pour les empêcher, une fois leur majorité atteinte, de s’épanouir pleinement dans la voie dans laquelle on les a jusqu’alors accompagnés.
Doit-on accepter d’évoluer dans un système qui s’occupe des mineurs isolés, puis les rejette une fois qu’ils sont majeurs ?
Doit-on pénaliser des jeunes qui, à leur majorité, soucieux d’être en règle avec le système, effectuent les démarches qui leur sont demandées, pour se retrouver face à un mur ?
Certes, pour certains, l’issue est plus heureuse, mais d’autres sont empêtrés dans des démarches complexes, voire impossibles, où l’exigence des justificatifs demandés dépasse leur capacité à les réunir. Oui, leurs difficultés sont bien réelles et ne relèvent pas d’une phobie administrative !
Outre une aberration sur le plan humain, c’est une anomalie de notre système, réduisant parfois à néant les efforts des services de l’ASE.
Si le législateur a encadré de manière assez complète le parcours post-majorité des mineurs pris en charge avant l’âge de 16 ans, la présente proposition de loi cherche à sécuriser le parcours de ceux qui sont entrés dans le système après l’âge de 16 ans et qui, jusqu’à présent, devaient compter sur le titre temporaire d’admission exceptionnelle au séjour.
Notre groupe salue cette initiative de Jérôme Durain et de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : le cas par cas et le caractère « exceptionnel » de l’admission au séjour ne doivent pas perdurer.
Je mentionnerai particulièrement l’article 3. Tenant compte des lenteurs administratives et intégrant la règle générale voulant qu’un dossier qui traîne devienne plus tard urgent, il permet une anticipation de la demande de titre de séjour pour le futur majeur.
Nous saluons aussi l’article 5 s’opposant aux positions parfois caricaturales des préfectures, qui demandent, comme dans Les Douze Travaux d’Astérix, des documents parfois inaccessibles pour caractériser la rupture de lien avec le pays d’origine. Je pense, par exemple, aux certificats de décès de parents non enregistrés à l’état civil, encore moins accessibles pour un jeune en rupture familiale.
Il faut compter toutefois avec certaines améliorations, suggérées notamment par la Cimade, avec laquelle nous avons collaboré, et auxquelles nous adhérons pleinement.
Il nous apparaît ainsi trop restrictif de soumettre les mineurs non accompagnés à un délai de six mois de formation professionnelle. Leur parcours, souvent difficile, permet rarement un accès simple à ces formations ou un engagement pérenne. L’appréciation de la sincérité de l’engagement dans un parcours professionnel peut se faire en dehors d’une qualification temporelle longue.
Il nous paraîtrait également primordial de permettre l’octroi d’un titre temporaire portant la mention « Vie privée et familiale », plus protectrice que la mention « Salarié ». En effet, ce titre permet aussi à ses bénéficiaires de travailler, mais il prévoit un renouvellement simplifié et garantit, à terme, une plus grande stabilité et une durée de séjour plus longue en France.
C’est pourquoi, malgré ces quelques réserves, et conscient de la nécessité de faire avancer les choses pour ces oubliés de notre système, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes dans un moment où la parole publique, bien loin des préoccupations des Français dévoilées par les différentes enquêtes, est beaucoup trop tournée vers l’immigration. Il ne se passe pas un jour sans qu’une déclaration plus dure que celle de la veille soit faite et relayée.
La proposition de loi de nos collègues socialistes arrive donc à point nommé. Elle rappelle la situation difficile que connaissent aujourd’hui les étrangers, notamment les jeunes, arrivant en France.
Le cas de Laye Fodé Traoré, loin d’être un fait divers, illustre une politique d’accueil défaillante à de multiples égards. Le large pouvoir d’appréciation du préfet et les directives ministérielles que celui-ci reçoit conduisent à une multiplication des injonctions à quitter le territoire. Tant pis si ces jeunes sont en cours de formation ! Tant pis s’ils sont intégrés !
Les dispositifs inscrits dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile souffrent, par ailleurs, d’un manque de garde-fous. À ce titre, on peut évoquer le critère de la « nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine », qui, malgré la circulaire de 2012, reste prégnant et difficile à remplir pour ces jeunes.
Se pose alors la question : comment en est-on arrivé à souhaiter au plus tôt le départ de ces jeunes en pleine construction, pour éviter un « appel d’air » ?
En 1981, François Mitterrand avait procédé à la régularisation de 130 000 « travailleurs clandestins », comme le disait la formule. En 1997, Lionel Jospin procédait à 80 000 régularisations. Un an plus tard, Charles Pasqua, que l’on ne peut pas qualifier de favorable à l’accueil des étrangers, réclamait la régularisation de tous les sans-papiers.
Presque vingt-trois ans plus tard, et alors que les crises internationales sont toujours aussi présentes, on voudrait nous faire croire qu’un accueil digne serait dangereux pour la France.
Comme le dit la femme de lettres Fatou Diome, on nous fait croire que le « laisser mourir » est dissuasif. Or cela ne dissuade personne, car celui qui part pour la survie n’a plus rien à perdre.
C’est bien de cela qu’il s’agit ! En refusant de protéger les jeunes étrangers tout juste majeurs, on pense pouvoir arrêter un mouvement entamé à l’aube de l’humanité et qui, d’ailleurs, peut toucher tout type de personnes.
À ce titre, je ne cesse de m’étonner que certains vantent l’audace des jeunes entrepreneurs quittant Paris pour Londres ou Berlin, tout en condamnant des jeunes fuyant la guerre, la répression ou la misère pour rejoindre la France et s’inscrire dans un parcours d’intégration, souvent réussi. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Aujourd’hui, les mineurs étrangers accueillis par l’ASE se retrouvent largement sans protection lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité. Cette proposition de loi permet, non sans quelques réserves, de remédier à cette situation ubuesque.
Ubuesque, au regard de la responsabilité de la France, et de la politique d’accueil que celle-ci devrait mener en conséquence.
Ubuesque, au regard du profil de ces jeunes, qui suivent en France un parcours de formation ou de professionnalisation. Plus qu’une protection, c’est d’un droit à l’avenir dont on les prive, alors qu’ils s’investissent pour trouver leur place dans notre pays.
On peut être surpris, par exemple, que le titre de séjour temporaire « étudiant » soit prévu pour une seule année, et non sur l’ensemble du cycle.
On peut aussi s’interroger sur le suivi social de ces jeunes majeurs. En effet, depuis le 1er octobre, le dispositif mis en place du fait de la crise sanitaire et qui étendait l’accompagnement des jeunes en ASE jusqu’à 21 ans a été supprimé. Ainsi, les départements sont redevenus maîtres du choix de suivre les jeunes jusqu’à 18 ans ou au-delà.
La proposition de loi, en favorisant l’attribution de titres de séjour temporaires, permet toutefois de remplir les objectifs initiaux de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Il s’agit notamment d’assurer un droit à la formation et l’éducation à l’ensemble de ces jeunes.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est sans hésitation que notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, ils s’appellent Sékou Keita ou Pualu Dieu Veille, ils étaient des apprentis bien intégrés, et leur vie a basculé du jour au lendemain.
Le jeune Sékou, apprenti dans une crêperie d’Argentan, devenu majeur, alors qu’il dispose du soutien de son employeur, s’est vu menacer d’expulsion.
Pour le jeune Pualu, c’est encore plus incroyable : après des années de présence sur le territoire, parfaitement intégré, titulaire d’une carte vitale, de deux certificats d’aptitude professionnelle (CAP), d’une adresse et d’un titre parfaitement valable délivré en 2017 et expirant en 2022, la consultation de Visabio à l’occasion d’une démarche a réduit à néant l’ensemble de ces documents, au motif que ce jeune serait passé par l’Espagne. Ne disposant plus alors d’aucune identité, alors qu’il demeure sur notre territoire, il est alors perdu.
La proposition de loi qui nous est soumise, qu’a défendue son auteur avec ferveur, on peut le dire, viserait à remédier à cette situation. Elle intervient concomitamment au dépôt du rapport de la mission commune d’information de la commission des lois et de la commission des affaires sociales sur la situation des mineurs non accompagnés. Un binôme décidément gagnant – ce n’est pas une première ! – si l’on en juge par la qualité de son travail.
Cette question des MNA, beaucoup l’ont dit, se situe aux confins de l’humain, avec en filigrane un débat sans cesse reporté sur l’asile et l’émigration.
Les mineurs non accompagnés trouvent en France une administration qui les accueille, les forme, les soigne, puis le système se grippe, comme si leur majorité sonnait le glas de la bienveillance et les faisait entrer en relation, sans qu’ils y soient préparés, avec une administration kafkaïenne.
Il faut donc trouver un équilibre, parce que ces mineurs non accompagnés sont souvent un irritant, notamment en termes de sécurité, il faut bien le dire, et pour éviter autant que faire se peut ces situations dramatiques et humainement intolérables.
Il faut, je pense, que les vérifications d’identité, de nationalité, de minorité se fassent au plus vite au moment de l’arrivée des jeunes sur le territoire. C’est d’ailleurs la recommandation n° 32 du rapport commun précité : « Ouvrir la possibilité de conduire les enquêtes d’authentification des actes d’état civil, en parallèle de la scolarisation. »
De même, citons sa recommandation n° 13 : « Garantir la prise en charge effective par l’État des personnes non reconnues comme mineures, mais dont la situation juridique n’est pas stabilisée. »
Cela nous amène, madame la ministre, à un débat que nous n’avons pas encore mené ici, mais que nous avons eu à d’autres occasions, sur les « enfants fantômes ». L’Unicef indique que, dans le monde, plus de 237 millions d’enfants en 2019 n’ont pas d’identité et que 166 millions d’enfants de moins de 5 ans ne sont pas enregistrés à l’état civil. On enregistre les plus faibles taux d’enregistrement en Éthiopie, en Zambie et au Tchad.
Le rapport de Mmes les députées Laurence Dumont et Aina Kuric de septembre 2020, Les Enfants sans identité, relève également ce type de difficultés.
Pour la Banque mondiale, quelque 1 milliard d’individus aujourd’hui n’ont aucune capacité de prouver leur identité officiellement. Parmi eux, quatre sur dix sont des jeunes de moins de 18 ans ; les femmes, d’ailleurs, ne sont pas en reste en la matière.
Il apparaît donc nécessaire et déterminant de sécuriser les actes d’état civil. De nombreux pays d’Afrique, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne, accusent toujours un retard patenté en ce qui concerne la sécurisation des actes d’état civil. Ces populations sont amenées à transiter et à émigrer, ce qui crée évidemment des difficultés. Il est donc extrêmement important, dans le travail de coopération, d’aider ces pays, notamment ceux d’Afrique subsaharienne, à régler ces questions d’état civil.
Dans le cadre de la coopération parlementaire avec les sénats d’Afrique, sujet important qui tient tant à cœur au président Larcher, un travail de coordination pourrait être mené, comme le souligne d’ailleurs le rapport de nos collègues.
Revenons en France, madame la ministre, pour aborder un sujet moins prosaïque : le coût pour les départements des mineurs non accompagnés.
Le département de l’Orne, par exemple, consacre 2,5 millions d’euros à 139 mineurs non accompagnés, compensés à hauteur de 40 000 euros seulement pour l’évaluation et la mise à l’abri. Exceptionnellement, il a touché cette année 200 000 euros au titre du maintien du dispositif ASE pendant la crise sanitaire.
Enfin, je cite la recommandation n° 17 du rapport : « Augmenter et sécuriser […] la participation de l’État aux dépenses supplémentaires occasionnées par la prise en charge de mineurs non accompagnés par l’aide sociale à l’enfance. » Sur ce point, nous nous retrouverons pendant le débat budgétaire, madame la ministre.
Le système actuel comporte donc beaucoup d’incohérences et ne résiste pas à une société en crise, beaucoup l’ont dit, à des phénomènes migratoires systémiques, qui, de l’avis des spécialistes, ne font que commencer, avec une politique européenne extrêmement faible, voire défaillante.
Ce sujet est essentiel, et il importe de le considérer non pas par morceaux, mais au contraire globalement. C’est ce que l’on a essayé de nous dire cette après-midi. Je pense que ce débat a été utile, puisqu’il permet d’amorcer une discussion qui devra être complétée. Je crois d’ailleurs que le rapport commun de la commission des lois et de la commission des affaires sociales doit donner lieu à une proposition de loi beaucoup plus globale.
Ce débat mérite d’être posé, comme l’avait fait en son temps notre collègue Élisabeth Doineau avec un rapport tout à fait remarquable sur le sujet. C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas ce texte, mais le débat reste ouvert, et il est important que notre collègue Durain le sache.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, habituellement, le RDSE est plutôt opposé aux lois de circonstance, qui nous font trop souvent légiférer dans l’émotion et corriger des dispositifs qui ne le méritent pas.
Cela a déjà été rappelé, mais l’histoire du jeune Laye Fode Traoré et de son patron Stéphane Ravacley, qui, pour protester contre l’OQTF qu’avait reçue son apprenti, a entamé une grève de la faim, nous a tous émus.
Si, devant l’émoi suscité, la préfecture a revu sa position et a permis au jeune homme de rester sur notre territoire, vous savez comme moi que cela ne se termine pas toujours ainsi. Il arrive encore trop souvent que, pour des jeunes dans cette situation, l’étape suivant l’OQTF est l’incarcération en centre de rétention administrative, dans les conditions parfois difficiles que l’on connaît.
Derrière cette réalité et ces jeunes que l’on réduit au sigle MNA se cachent souvent des parcours très difficiles et une volonté sans commune mesure.
J’entends les remarques nous expliquant notamment que 92 % des demandes de titre déposées par des mineurs non accompagnés sont acceptées. Mais ce n’est pas parce que des difficultés sont minimes qu’elles ne méritent pas d’être combattues.
C’est pour cela que la proposition de loi de nos collègues du groupe Socialiste, Écologique et Républicain est à saluer. Elle vient renverser la logique actuelle en permettant aux jeunes majeurs en formation ou suivant un enseignement depuis au moins six mois d’obtenir un titre de séjour.
Bien sûr, le préfet aura toujours la charge de contrôler la mesure, et les jeunes qui ne manifesteront pas une véritable envie de s’intégrer ne devront logiquement pas recevoir de titre. Il n’y aura ainsi pas cet appel d’air tant décrié sur certaines travées.
Nous pouvons regretter qu’il faille une émotion médiatique pour tenter de résoudre ces situations et que l’on ait besoin de cela pour encourager le travail, l’implication et la volonté d’intégration des jeunes. En clair, leur laisser une chance de bâtir une nouvelle vie sur des bases sereines.
C’est d’autant plus regrettable que, après avoir investi sur leur formation et leur intégration, on fait tomber un couperet le jour de leur majorité en prononçant des OQTF d’une violence inouïe, quand bien même nous manquons de main-d’œuvre dans des filières en tension. C’est vous dire le temps perdu, ce que ne manquent pas de relever de nombreux acteurs dans les territoires, réduisant le rôle des départements à la seule application de la loi qui impose uniquement l’accueil et la protection jusqu’à la majorité.
Dans les Hautes-Pyrénées, nous avons dû mener des actions aux côtés notamment de la chambre de métiers et de l’artisanat pour soutenir certains jeunes majeurs étrangers et les soustraire aux OQTF, alors que nombre d’artisans avaient trouvé en eux des personnes motivées pour apprendre et travailler.
J’aimerais aussi souligner les différences de traitement entre les départements. Le droit constant n’est aujourd’hui pas suffisant : dans certains territoires, les préfets donnent des autorisations de travail pour les jeunes majeurs en apprentissage assez facilement ; dans d’autres, nous faisons face parfois à une politique du chiffre, où, selon les objectifs à tenir, seront accordés plus ou moins de titres.
Cette proposition de loi a le mérite de fixer un cadre plus clair et plus transparent. Elle conduit non pas à une automatisation, mais à une règle plus juste et plus équitable et, surtout, à une harmonisation des pratiques.
Aussi, avec mes collègues du RDSE, nous voterons ce texte de bons sens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.
proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance
Article 1er
Le chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est complété par une section 7 ainsi rédigée :
« Section 7
« Étranger confié au service de l’aide sociale à l’enfance
« Art. L. 421-36. – Dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, l’étranger qui a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans, et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “salarié” ou “travailleur temporaire” d’une durée d’un an, sans que lui soit opposable, ni la situation de l’emploi, ni la condition prévue à l’article L. 412-1.
« Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite et de l’avis de la structure d’accueil sur son insertion dans la société française. »
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
d’un an
par les mots :
égale à celle restant à courir du cycle de formation dans lequel est inscrit l’étranger et dont la durée ne peut être inférieure à un an
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement, que je qualifierai d’amendement de bons sens, vise à garantir un titre de séjour qui couvre la totalité de la durée de la formation des jeunes en question, parce qu’il nous semble contre-productif de fixer un titre de séjour annuel pour des jeunes en formation, laquelle, par définition, peut excéder le délai d’un an.
On doit avoir un objectif fort en matière de formation de ces jeunes, et ce afin de les préparer au mieux à leur avenir professionnel, mais aussi personnel. On peut comprendre qu’ils aient des réticences à s’engager dans des parcours de formation, notamment dans une formation longue, s’ils ne sont pas sûrs de pouvoir la terminer.
C’était d’ailleurs l’un des objectifs de la carte de séjour pluriannuelle pour les étudiants étrangers lorsque celle-ci a été instaurée.
Dans nos départements, nous connaissons, les uns et les autres, les situations de jeunes qui sont en formation, en apprentissage, qui suivent des études pour obtenir un diplôme et qui se voient cependant délivrer des OQTF, ce qui est absolument incompréhensible, comme de nombreux collègues l’ont souligné.
On ne peut à la fois défendre l’idée d’une obligation de formation des jeunes que la France accueille et, en même temps, les empêcher, puisque c’est de cela qu’il s’agit, de terminer leur formation. C’est d’autant plus problématique que ce titre de séjour restreint à une durée annuelle peut rendre les employeurs formateurs plus réticents à accueillir des jeunes, précisément parce que la possibilité que ces derniers terminent leur formation en serait hypothéquée.
Par cet amendement, nous proposons donc tout simplement de permettre que le titre de séjour couvre la totalité de la durée de la formation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je veux juste rappeler à notre collègue que la commission des lois s’est prononcée contre le principe même d’une voie d’accès au séjour de droit pour les jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Par cohérence, je suis bien évidemment défavorable à l’assouplissement de ce dispositif.
De même, la durée de droit commun des cartes de séjour salarié ou travailleur temporaire est d’un an. Étendre cette durée pour les seuls MNA pris en charge par l’ASE après l’âge de 16 ans créerait une rupture d’égalité avec les autres demandeurs de titre.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le caractère réel et sérieux se détermine par l’assiduité à la formation, l’engagement du jeune majeur étranger au sein de la formation dont la participation à la vie de l’entreprise, l’apprentissage de la langue française et l’accompagnement effectif de la structure d’accueil dans toutes les démarches administratives. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article 1er de la proposition de loi modifie le Ceseda afin de permettre l’octroi de plein droit d’une carte de séjour temporaire salarié ou travailleur temporaire aux jeunes confiés à l’ASE ayant atteint leur majorité et suivant depuis au moins six mois une formation destinée à leur apporter une qualification professionnelle.
Il serait préférable d’inclure à cet article un alinéa visant à clarifier le caractère « réel et sérieux » mentionné au premier alinéa de l’article 1er. Cela évitera un flou dans leur caractérisation.
Je propose alors que soient indiquées les bases sur lesquelles l’administration pourra s’appuyer. Il me semble essentiel que tout jeune majeur confié à l’ASE ait le droit à cette carte et que celle-ci soit attribuée au regard des motivations suivantes.
Seront pris en compte l’assiduité à la formation, l’engagement du jeune majeur au sein de la formation comme sa participation à la vie de l’entreprise. Bien entendu, l’apprentissage de la langue française est un élément nécessaire à une bonne intégration dans la société.
Je souhaite insister sur l’accompagnement effectif de la structure d’accueil dans les démarches administratives : ces jeunes doivent être renseignés correctement. Parfois, par manque de temps ou de personnel, des informations ne leur sont pas transmises. C’est alors un véritable parcours du combattant pour obtenir ne serait-ce qu’une aide dans la préparation de leur dossier. Il ne faudrait pas que cela leur porte préjudice dans l’octroi de leur carte.
Cet amendement a donc pour objet d’ajouter ces garanties dans la loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ce sera un avis défavorable, pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure, la commission s’étant prononcée contre ce principe d’attribution de droit d’une carte de séjour à ces jeunes.
De toute façon, ces critères quant au caractère « réel et sérieux » de la formation prescrite sont des éléments qui sont déjà pris en compte dans le cadre de la délivrance des titres.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice, au-delà des arguments de principe, au-delà des raisons qui viennent d’être invoquées, il ne nous paraît pas nécessaire d’encadrer de manière aussi détaillée le pouvoir d’appréciation de l’autorité administrative.
En effet, l’annexe 10 du Ceseda, qui peut être modifié par un arrêté, prévoit la liste des pièces justificatives à produire à l’appui d’une demande de titre de séjour, notamment les pièces qui permettent d’apprécier les conditions relatives au « caractère réel et sérieux du suivi de la formation » – relevé de notes, attestations d’assiduité, etc. – et à l’intégration.
le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er n’est pas adopté.)
Article 2
Le chapitre II du titre II du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 précitée, est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Étranger confié au service de l’aide sociale à l’enfance
« Art. L. 422-15. – Dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, l’étranger qui a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans, et qui justifie suivre depuis au moins six mois un enseignement en France ou qu’il y fait des études, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “étudiant” d’une durée d’un an, sans que lui soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1.
« Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation et de l’avis de la structure d’accueil sur son insertion dans la société française. »
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
d’un an
par les mots :
égale à celle restant à courir du cycle d’études dans lequel est inscrit l’étranger
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le caractère réel et sérieux se détermine par l’assiduité à la formation, l’engagement du jeune majeur étranger au sein de la formation dont la participation à la vie scolaire, l’apprentissage de la langue française et l’accompagnement effectif de la structure d’accueil dans toutes les démarches de l’étudiant. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Il serait préférable d’inclure à l’article 2 un alinéa visant à clarifier le caractère « réel et sérieux » mentionné à son premier alinéa. Cela éviterait, comme je l’ai dit précédemment, de maintenir le flou autour des critères d’appréciation.
Les exigences prévues sont les mêmes que pour l’article précédent.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Comme pour les dispositions similaires qui visent l’article 1er, l’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
Au 1° de l’article L. 421-35 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 précitée, après le mot : « articles », est insérée la référence : « L. 421-36, ».
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 n’est pas adopté.)
Article 4
L’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 précitée, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les mêmes conditions, l’étranger qui justifie suivre un enseignement en France ou qu’il y fait des études peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “étudiant” si cette formation n’est pas destinée à lui apporter une qualification professionnelle. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 n’est pas adopté.)
Article 5
Au second alinéa de l’article L. 423-22 et à la première phrase de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 précitée, les mots : « , de la nature des liens de l’étranger avec sa famille restée dans son pays d’origine » sont supprimés.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article 5.
Je rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les cinq articles qui la composent auraient été rejetés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour explication de vote sur l’article.
M. Jacques Grosperrin. Tout à l’heure, en nous présentant sa proposition de loi, Jérôme Durain nous a relaté ce qui s’est passé à Besançon.
Pour ma part, j’habite Besançon, et cette histoire, c’est celle de M. Ravacley, qui est un homme formidable, un boulanger pétri de qualités, si vous permettez l’expression, un honnête homme, quelqu’un qui a du cœur, beaucoup d’humanité, et qui emploie un jeune apprenti formidable, le petit Traoré, qui doit partir pour Dijon y exercer ce métier, toujours par amour pour celui-ci.
À Besançon, d’autres boulangers, confrontés à la même problématique, ont vu la situation réglée par le préfet. Je pense au cas du jeune Guinéen Lamine Diaby.
Il n’y a pas, d’un côté, les bons, qui auraient du cœur, et, à l’opposé, les autres, qui n’en auraient pas au motif qu’ils ne voteront pas cette proposition de loi.
Cela a été dit tout à l’heure, nombre d’enfants et de jeunes ont suivi des parcours prometteurs, et ces jeunes en font partie. Et comme l’ont rappelé tout à l’heure Mme la ministre et Mme la rapporteure, 90 % des dossiers les concernant ont connu une issue favorable en 2021.
Pourquoi une loi, alors que le préfet a la possibilité de discriminer ces parcours ? Il nous faut améliorer les procédures, et les outils juridiques existent. J’ai été sensible aux propos qu’a tenus tout à l’heure Thani Mohamed Soilihi quand il évoquait des « bouleversements ». Je ne sais s’il y aura un appel d’air ; en revanche, je sais qu’il faut mener une vraie réflexion sur l’apprentissage en France et sur les raisons pour lesquelles certains jeunes ne veulent pas s’y engager.
Je ne suis pas certain que ce texte apportera des solutions, lesquelles sont ailleurs. Elles sont diplomatiques – je pense à la Guinée ou à d’autres pays –, ou réglementaires. Madame la ministre, peut-être faudrait-il diffuser une circulaire à l’attention des préfets pour préciser de nouveau leur fonction, leur rôle et leur rappeler le discernement dont ils doivent faire preuve pour ne pas laisser ces jeunes de côté.
Je félicite Jérôme Durain d’avoir provoqué ce débat, mais nous n’avons pas besoin d’une loi : chaque cas doit être étudié précisément.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, pour explication de vote sur l’article.
M. Bernard Bonne. Certes, il était intéressant d’aborder cet après-midi la question des mineurs non accompagnés, laquelle l’a déjà été lors de l’examen de la loi 3DS, ou différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification.
Cependant, la plupart de ces problématiques seront traitées dans le projet de loi relatif à la protection des enfants, que le Sénat devrait examiner d’ici à la fin de l’année.
Par conséquent, je confirme que, personnellement, je voterai contre ce texte, non pas que je sois opposé au principe d’une discussion, mais simplement parce que j’estime que l’on ne peut débattre trois fois du même sujet à l’occasion de trois textes différents.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote sur l’article.
M. Jérôme Durain. Lors des débats en commission, l’un de nos collègues nous a dit : « C’est bien, vous êtes généreux », tandis que, tout à l’heure, il a été question d’émotion.
En fait, nous nous fichons un peu de la générosité et de l’émotion : ce que nous voulons, c’est de l’efficacité, comme l’a dit tout à l’heure avec beaucoup de talent notre collègue Jean-Yves Leconte, au service des principes de la République.
Il est question d’humanité, de la dignité de ces jeunes, d’un accès sécurisé à notre territoire. Il ne s’agit pas de « verrouiller » un statut juridique, mais de veiller à offrir à ces jeunes un accueil de qualité, des jeunes qui, comme le disait là encore Jean-Yves Leconte, sont souvent poussés hors de chez eux par leur propre famille.
Cela m’amène à contester très fermement, comme nous le faisons au travers de ce texte, le critère relatif à la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine, critère complètement faussé dans la mesure où c’est souvent elle qui pousse ces enfants à cet exil.
Je veux aussi revenir sur la portée juridique de la notion de « plein droit ». Je le répète : il n’est nullement question d’automaticité. L’argument selon lequel nous créerions ainsi un appel d’air est invalidé par ces critères objectifs que nous avons rappelés, lesquels permettent d’attester que des jeunes sont bien inscrits dans un parcours d’intégration, ce qui est souvent le cas.
Comme elles ont été décrites, de manière un peu lisse, l’impression prévaut que l’essentiel des situations serait traité favorablement. Si tel était le cas, alors nous ne verrions pas toutes ces mobilisations en France. Ainsi, une pétition mise en ligne a recueilli près de 50 000 signatures.
Il faut donc mener ce travail, et d’autres textes seront nécessaires. Cette proposition de loi est une occasion manquée de manifester cette humanité que nous devons à ces jeunes dont notre économie a besoin et que leurs patrons soutiennent, mais nous continuerons à porter ce combat juste, qui est à l’honneur de la République.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Je remercie dans un premier temps le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’être à l’initiative de cette proposition de loi. Ce texte vient compléter le projet de loi relatif à la protection des enfants, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en juillet dernier.
Un amendement du Gouvernement a réintroduit la question du sort des jeunes majeurs étrangers, grands oubliés du texte initial. Ainsi, je me réjouis que le Sénat s’empare de ce sujet. Comment ne pas être sensible au sort de ces jeunes, arrivés mineurs, qui ont fait de la France leur pays d’adoption ? Devenus majeurs, ils sont alors menacés d’expulsion et réduits à vivre dans l’indigence, la peur et la clandestinité.
L’objectif de ce texte est de faciliter l’obtention d’une carte de séjour temporaire aux jeunes majeurs étrangers suivant une formation professionnelle ou académique. On ne peut pas les empêcher de poursuivre leur intégration ; on doit plutôt les y encourager. Il faut que ces jeunes, qui suivent assidûment une formation, ne rencontrent pas d’obstacles administratifs. Je suis certaine qu’ils rendront à la France ce qu’elle a investi dans leur formation.
Ce texte est une réponse à ces jeunes, à leurs éducateurs, à leurs enseignants et à leurs employeurs. Leur message a été entendu. Personnellement, je voterai pour.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote sur l’article.
Mme Élisabeth Doineau. Le groupe Union Centriste, cela a été dit par ma collègue Nathalie Goulet, n’est pas favorable à ce texte. Néanmoins, à titre personnel, je salue l’initiative de Jérôme Durain.
Cette proposition de loi soulève deux contradictions et souligne des obligations.
La première des contradictions, c’est que, d’un côté, la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance incite les départements à éviter les sorties sèches des jeunes, notamment des mineurs non accompagnés – c’est ce que l’on s’évertue à faire pour certains d’entre eux –, cependant que, d’un autre côté, le ministère de l’intérieur met fin au parcours de ces jeunes quand ils atteignent l’âge de 18 ans.
La seconde contradiction, c’est que des chefs d’entreprise, très heureux d’accueillir ces jeunes, qui nous interpellent – j’ai deux exemples récents à l’esprit –, voudraient leur permettre de poursuivre leur engagement professionnel à leurs côtés.
S’agissant des obligations, je voudrais vous inciter, madame la ministre, à intervenir auprès des préfets, afin que soient mis en place ces protocoles ; si certains le font, d’autres ne le font pas. Ce serait le moyen de rapprocher les centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (Casnav) et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), qui ne travaillent pas suffisamment ensemble pour préparer en amont l’avenir de ces jeunes.
Les uns et les autres, nous avons tous en tête de très bons exemples d’intégration de ces jeunes, mais nous ne sommes pas capables de les mettre en avant. La communication mériterait d’être améliorée dans ce domaine.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, je souhaite tout d’abord remercier l’auteur de ce texte particulièrement important.
Tous, dans nos territoires, nous avons rencontré ces situations, qui concernent des bouchers, des boulangers et bien d’autres professions. Ces jeunes de 16 à 18 ans, inévitablement, ont tissé des rapports humains avec ces artisans, lesquels leur ont transmis leur savoir-faire et les ont accompagnés tout au long de leur cycle de formation. Et quand ils atteignent l’âge de 18 ans, il faudrait leur dire « stop » et tout arrêter ? C’est totalement impossible.
Par conséquent, ce texte est particulièrement important à cet égard. Tout le monde s’accorde sur ce constat, mais certains en tirent la conclusion qu’il suffirait de demander au préfet d’être un peu plus arrangeant.
Or ce serait l’arbitraire le plus total ! Je l’ai moi-même constaté : en fonction des possibilités d’intervenir des préfets, cela marche ou non.
M. Jérôme Durain. Exactement !
M. Guillaume Gontard. Ce n’est pas cela la République ! La République, ce n’est pas l’arbitraire ; c’est tout le contraire. C’est pourquoi ce texte est nécessaire.
Autre réalité, des artisans, des chambres de commerce et d’industrie nous demandent de régler ce problème et expriment leurs besoins de main-d’œuvre et de formations. Et, franchement, l’argument de l’appel d’air, c’est vraiment le dernier des arguments ; on le sait bien, cela ne tient pas.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera bien sûr ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote sur l’article.
Mme Marie Mercier. Évidemment, nous comprenons l’état d’esprit qui a guidé le travail de Jérôme Durain.
Dans nos communes, nous accompagnons tous des jeunes placés dans de telles situations. Dans ma ville de Chalon-sur-Saône, je suis plus spécifiquement des Maliens ; pour deux d’entre eux, nous avons trouvé des emplois de boucher.
Je tiens d’ailleurs à remercier les patrons qui prennent en charge ces jeunes. Je souligne également le courage dont ces derniers font souvent preuve, en suivant leur formation avec assiduité.
Madame la ministre, il faut effectivement que nous travaillions avec les préfets : chaque situation étant particulière, les cas concrets doivent être examinés au cas par cas.
Cela étant, il faut aussi souligner les failles de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Les problèmes auxquels nous sommes confrontés se résoudront sans doute autrement que par un texte de cette nature ; quoi qu’il en soit, nous resterons tous très vigilants ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Très bien !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article 5.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains, et, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 9 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 107 |
Contre | 237 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi de vous retrouver – nuitamment ! – pour évoquer avec vous les sujets qui seront abordés lors du prochain Conseil européen, à la fin de ce mois, après le sommet extraordinaire et informel qui s’est tenu la semaine dernière en Slovénie.
Une fois de plus, l’ordre du jour promet d’être dense. Il comprendra des questions très variées, notamment de nature sanitaire : un point sera consacré à la pandémie et à la vaccination ; seront également abordés les projets d’avenir, avec le paquet santé, qui implique la création d’une agence européenne de santé – j’y reviendrai.
Les chefs d’État et de gouvernement réunis à cette occasion feront aussi le point sur les dossiers numériques. Dans ce domaine, ils aborderont des questions comme la sécurité, en particulier la protection contre les cyberattaques, et la régulation nécessaire au développement maîtrisé de ce secteur.
À ces deux thèmes s’ajouteront des enjeux d’actualité, comme l’évolution des prix de l’énergie, déjà abordée la semaine dernière à la demande de plusieurs pays, dont la France, et les questions migratoires.
Enfin, comme il est de coutume, les relations extérieures feront l’objet de discussions spécifiques. Le Conseil traitera, d’une part, du sommet Asie-Europe et, plus largement, de l’Indo-Pacifique, de l’autre, du partenariat oriental. Les prochaines conférences des parties (COP), à savoir la COP15 et la COP26, dédiées respectivement à la biodiversité et au climat, seront également abordées.
Tout d’abord, je dirai quelques mots du volet sanitaire, dont nous avons malheureusement déjà beaucoup parlé, les Conseils européens en ayant traité à de nombreuses reprises.
Tout en restant prudents, nous pouvons nous féliciter du travail accompli dans chacun de nos pays comme à l’échelle européenne : après d’âpres efforts, nous approchons du but fixé il y a plus d’un an et demi en étendant autant que possible nos campagnes de vaccination.
Malgré les variants, malgré les reprises de circulation du virus, nous assurons une protection efficace de nos populations grâce à cette arme qu’est le vaccin.
Dans l’intérêt des Européens eux-mêmes, le bouclier vaccinal doit être brandi non seulement en Europe, mais aussi dans le reste du monde.
Nous avons un chiffre en ligne de mire : nous souhaitons que 70 % de la population mondiale soit vaccinée d’ici à la fin de l’année 2022. En Europe, nous nous sommes donné cette cible dès cette année et nous allons l’atteindre. Nous devons maintenant étendre la protection vaccinale, conformément aux objectifs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Or les pays les plus pauvres ne pourront pas y arriver sans notre aide. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, le 26 septembre dernier, le Président de la République a annoncé le doublement des dons de doses de vaccins par la France : ainsi, nous atteindrons cette année les 120 millions de doses.
Nous défendons les mêmes objectifs auprès de l’Union : le 15 septembre dernier, la présidente de la Commission européenne a elle-même annoncé 250 millions de dons de doses supplémentaires à l’échelle communautaire.
En parallèle, la reprise de la mobilité doit être synonyme de sécurité. À cette fin, l’Europe doit conserver et même renforcer sa coordination pour la rendre plus rigoureuse encore, qu’il s’agisse des règles de déplacement appliquées par les différents États membres ou des critères retenus pour se prémunir des risques de circulation ou de développement des nouveaux variants.
C’est là un préalable indispensable à la reconnaissance des passes sanitaires entre régions et pays du monde. Nous avons d’ores et déjà connecté le passe sanitaire européen à celui de divers pays voisins de l’Union, comme la Suisse et le Royaume-Uni.
Nous devons également nous projeter vers l’avenir en tirant les conséquences de cette pandémie : c’est l’objectif du « paquet santé », que je mentionnais en préambule et dont l’ambition doit être rehaussée. Il prévoit notamment la création d’une agence sanitaire européenne : l’autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA).
Cette instance sera compétente en matière de recherche et de prévention des pandémies. Elle garantira la mutualisation de nos moyens, pour faire face aux pandémies qui ne manqueront pas de nous frapper à un moment ou un autre. Elle nous permettra de nous élever au niveau qu’ont su atteindre les Américains, en adaptant le modèle de l’agence Barda – Biomedical Advanced Research and Development Authority –, laquelle s’est révélée extrêmement utile dans la dernière phase de développement des vaccins.
J’en viens aux enjeux numériques. Ils constitueront l’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui commence dans très exactement quatre-vingt-dix jours. Dans ce domaine, nous devons forger une doctrine et un plan d’action européens.
Adapter notre modèle européen à l’ère du numérique signifie être capable à la fois d’innover et de réguler les grands acteurs du numérique, qui, dans nos économies et dans nos sociétés, occupent une place considérable, parfois même excessive.
Ce travail suppose un cadre de régulation européen fidèle à nos valeurs communes, lequel pourra servir de préalable, voire de modèle, à d’autres législations dans le monde : tel a précisément été le cas en matière de protection des données.
À cet égard, les deux projets législatifs relatifs aux services et marchés numériques – le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) – joueront un rôle central. Proposés par la Commission européenne il y a quelques mois, ils feront l’objet, je l’espère, d’un accord au sein du Conseil sous la présidence française de l’Union européenne (PFUE) : nous nous battrons en ce sens.
Le Conseil européen nous permettra de consacrer un point d’étape aux grandes régulations numériques, comme à d’autres dossiers que nous devons ouvrir. Je pense non seulement aux transferts de données, mais aussi à l’intelligence artificielle, pour laquelle nous devons également définir un cadre européen, à l’identité numérique, aux questions d’itinérance et de frais associés.
La transition numérique passe par d’autres domaines encore, dans lesquels nous devons développer les capacités européennes : je pense à nos technologies, à nos infrastructures, aux ressources humaines, à l’éducation et à la nouvelle grammaire numérique.
C’est le sens de ce que l’on appelle la boussole numérique pour 2030, dévoilée au mois de mars dernier et défendue, notamment, par le commissaire européen français Thierry Breton.
Le numérique, ce sont aussi un certain nombre de nouvelles menaces infligées à notre sécurité. Notre politique européenne du numérique et de la sécurité ne peut ignorer ni la régulation du cyberespace ni la lutte contre les cyberattaques.
Nous devrons développer un dispositif de gestion de crise et mettre en commun nos compétences pour disposer d’une capacité européenne commune et sans doute, à terme, d’une véritable agence. Nous y reviendrons également lors de la présidence française de l’Union européenne. Il s’agirait là d’un progrès considérable : le Président de la République a déjà eu l’occasion de soumettre ce projet à nos partenaires baltes lors de son déplacement en Lettonie et en Lituanie, en septembre 2020.
En tête des questions d’actualité inscrites à l’ordre du jour du Conseil figurent les prix de l’énergie, sujet abordé rapidement lors du sommet informel de la semaine dernière.
La hausse des prix de l’énergie met au jour la dépendance européenne aux énergies fossiles. Mais, dans cette crise, nous devons le dire haut et fort, la France est en meilleure posture que la plupart de ses partenaires européens : c’est le fruit de nos choix d’indépendance énergétique, gages de notre souveraineté, fondés notamment sur l’énergie nucléaire.
Nous devons évidemment nous préoccuper de l’avenir de notre modèle énergétique, qui nous impose de mener plusieurs combats européens, entre autres celui de la taxonomie. Il s’agit plus précisément de la définition des investissements contribuant à la transition écologique : nous devons pouvoir y inclure l’énergie nucléaire. (M. Jean-Raymond Hugonet acquiesce.)
En outre, comme l’ont indiqué les ministres de l’économie et de l’énergie, nous devons réfléchir aux règles de fonctionnement de notre marché unique, dont la préservation est un impératif. Il représente un véritable atout pour l’interconnexion et la sécurité d’approvisionnement, y compris pour la France, mais, j’y insiste, les règles de fixation des prix devront être revues.
Cela étant, à court terme, la réponse aux problèmes de l’heure ne réside pas là, qu’il s’agisse de la protection de notre marché ou du pouvoir d’achat de nos concitoyens.
C’est pourquoi nous avons pris un certain nombre de mesures d’urgence à l’échelle nationale. Le Premier ministre les a détaillées : il s’agit de la réglementation du prix du gaz et de l’électricité, que d’autres pays européens mettent d’ailleurs en œuvre sous des modalités différentes.
Pas plus tard qu’hier, la Commission européenne a proposé d’accompagner ces mesures. Elles ont vocation à se développer à court terme. Néanmoins, elles ne doivent nous empêcher de réfléchir aux règles de fonctionnement générales du marché, bien au contraire.
Plus largement, nous devons nous pencher sur le paquet Fit for 55, qui doit nous permettre de mener la transition vers une baisse de 55 % au moins des émissions de gaz à effet de serre en 2030. L’objectif est d’accélérer la transition énergétique, la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles et la baisse de nos consommations d’énergie.
C’est cette stratégie de décarbonation européenne que nous devons développer, avec deux dispositifs d’accompagnement principaux.
Le premier, mis en œuvre au sein de l’Union européenne, est un fonds d’accompagnement social. En effet, l’augmentation des prix de l’énergie est appelée à durer. Or cette transition ne peut être acceptée et juste que si les ménages les plus modestes bénéficient d’un soutien financier spécifique.
Le second se déploiera à l’extérieur de nos frontières. Nous en avons déjà parlé devant la Haute Assemblée : pour les Européens, il serait inacceptable de fixer des objectifs climatiques ambitieux, comme nous le faisons, sans demander des efforts similaires à ceux qui vendent leurs produits sur notre marché unique.
M. Daniel Gremillet. Eh oui !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Ainsi, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe sera également l’un des objets essentiels de discussion de la PFUE.
C’est à ces deux conditions seulement que nous pouvons concevoir une transition écologique ambitieuse.
J’en viens au sujet des migrations. La question des migrations externes fera l’objet de discussions particulières. Nous devons encore accroître nos efforts pour déployer, progressivement, une politique européenne commune en matière d’asile et de migrations.
Le contexte international, marqué par la récente crise afghane, nous presse encore davantage d’avancer sur ce chantier. Nous savons combien il est difficile, mais la protection des frontières extérieures et le financement en matière d’aide au développement sont des sujets essentiels.
L’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, l’outil NDICI, déployé à l’échelle européenne, doit nous permettre de mieux nous armer pour défendre nos frontières et traiter les phénomènes migratoires à la racine, par une politique de développement européenne.
On ne le sait que trop peu : quand on additionne les crédits des programmes européens et des programmes nationaux des différents États membres, dont la France, on constate que l’Union européenne est aujourd’hui le premier fournisseur d’aide au développement à travers le monde.
Je l’ai déjà indiqué, lors de ce sommet, les débats relatifs aux questions extérieures seront dominés par la préparation de plusieurs rendez-vous, qui se succéderont jusqu’à la fin de l’année, à commencer par le sommet du dialogue Asie-Europe, qui se tiendra les 25 et 26 novembre prochains.
Nous avons tous à l’esprit le contexte pour le moins délicat lié à l’alliance Aukus (Australia-United Kingdom-United States) et nous savons que la question de l’Indo-Pacifique sera centrale lors de ce sommet. Or la France avait été la première à demander que l’Union européenne se dote d’une stratégie indo-pacifique. Présentée en septembre dernier, cette dernière fera l’objet d’une première discussion.
À l’occasion de ce sommet européen, nous plaiderons en faveur d’un endossement de la stratégie européenne dans l’Indo-Pacifique couvrant tous les domaines : militaires, commerciaux et technologiques. Nous espérons que les conclusions du Conseil en offriront la traduction.
Une autre échéance importante se profile : le sixième sommet du partenariat oriental, prévu le 15 décembre prochain à Bruxelles.
Ce sommet arrive après quatre années de report, dans un contexte difficile marqué à la fois par la pandémie, par la situation de la Biélorussie et par le dramatique conflit survenu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à l’automne 2020.
Il sera l’occasion d’envoyer un signal clair à nos partenaires orientaux, en soulignant que l’Union européenne reste pleinement engagée dans la région et que le partenariat oriental demeure essentiel, mais qu’il ne faut pas le confondre avec une politique d’élargissement, car cela reviendrait à en changer la nature pour les trois pays associés.
À l’inverse, il faut conserver un format de coopération ad hoc en tirant toutes les conséquences des terribles dérives biélorusses. De fait, la Biélorussie ne saurait participer davantage à ce partenariat.
Bien entendu, la COP15 et la COP26 seront, elles aussi, des échéances internationales majeures de la fin du second semestre 2021. Dans ce domaine également, l’engagement européen est essentiel.
La COP26 sur le climat se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre prochain : organisée finalement sous un format hybride, la COP15 sur la biodiversité se tient à Kunming, en Chine. Elle s’est ouverte le 11 octobre et s’achèvera le 15 octobre prochain.
Conformément aux accords de Paris, d’ici à la fin de l’année, chacune des 191 parties devra remettre sa contribution nationale, ou européenne, pour ce qui nous concerne, ainsi qu’une stratégie de long terme.
Malheureusement, le 14 septembre dernier, lors du dernier pointage, seuls 116 pays, représentant à peine plus de 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, avaient rehaussé leurs engagements et fourni une nouvelle contribution ; bien sûr, les États de l’Union européenne en font partie.
À cette occasion, nous devrons préciser certaines règles des accords de Paris, qui doivent être agréées par les différentes parties, et redoubler d’efforts pour atteindre la cible de 100 milliards de dollars par an en faveur du climat ; c’était un des engagements financiers essentiels des accords de Paris, et il n’est pas atteint aujourd’hui.
Sur toutes ces questions, les ministres de l’environnement de l’Union européenne ont adopté, le 6 octobre dernier, le mandat le plus ambitieux possible pour cette COP. Il permettra à l’Union européenne d’œuvrer activement au succès des négociations, ce qu’elle n’a cessé de faire depuis les accords de Paris.
En matière de biodiversité, la France souhaite également la définition d’un cadre ambitieux, reposant sur des objectifs chiffrés pour la protection de la planète, la restauration des écosystèmes et l’utilisation durable des ressources naturelles.
De surcroît, une échéance précise doit être fixée, celle de 2030, pour définir notre stratégie de biodiversité européenne et mondiale. L’efficacité de ce dispositif exigera elle aussi la mobilisation de ressources financières et un mécanisme de suivi efficace.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les principaux sujets figurant à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. L’actualité nationale et internationale pourrait conduire à étoffer encore le volet externe de cette rencontre.
Après un dernier sommet sous présidence slovène, en décembre prochain, viendra, comme vous le savez, une échéance importante pour nous tous : c’est à la France qu’il reviendra de présider, non pas le Conseil européen, mais le Conseil de l’Union européenne, et de définir les prochains sujets de discussion, notamment en matière de défense et de sécurité, en vue du sommet de mars 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un contexte marqué par la dégradation globale de notre environnement stratégique, le prochain Conseil européen revêt évidemment une importance particulière.
Le retrait brutal des États-Unis d’Afghanistan et la volte-face de l’Australie au profit du partenariat Aukus nous imposent de réévaluer la place de l’Europe dans l’Alliance atlantique. Les intrusions toujours plus nombreuses et démonstratives de l’aviation chinoise dans l’espace aérien de Taïwan confirment, en parallèle, la montée des périls dans cette région.
Ce contexte particulièrement instable nous conduit à formuler deux remarques et à poser une question majeure.
Premièrement, au sujet de la nouvelle relation euro-britannique, ce Conseil européen donnera au chef de l’État l’occasion de réaffirmer notre détermination à faire respecter scrupuleusement les termes de l’accord signé avec les Britanniques à la fin de l’année 2020.
Le Gouvernement peut compter sur les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes du Sénat pour assurer un suivi attentif et exigeant. (M. le président de la commission des affaires européennes le confirme.)
Dans le même temps, en dépit de leur récente attitude et sans rien céder de ce qui a été négocié par les 27, la France doit être en mesure de poursuivre le dialogue avec les Britanniques sur un certain nombre de sujets bilatéraux. Nous pensons notamment à notre coopération en matière de défense, en particulier au développement en commun de missiles de nouvelle génération.
Monsieur le secrétaire d’État, nous nous réjouissons de votre réaction vigoureuse face à la décision du gouvernement britannique et de Jersey de rejeter, sur des bases arbitraires, les demandes de licences de bateaux français pourtant habitués à pêcher dans cette zone.
Toutefois, alors que la Commission semble concentrer ses efforts sur d’autres priorités, pouvez-vous nous assurer que la France sera en mesure de mobiliser ses partenaires européens pour faire respecter les termes de l’accord ? (M. Alain Richard manifeste sa circonspection.) Il y va de la solidarité entre les États membres et de la crédibilité des institutions communautaires.
Deuxièmement, cette réunion du Conseil européen doit permettre à la France d’influer activement sur l’élaboration de la boussole stratégique de l’Union, sorte de livre blanc stratégique de l’Europe.
L’adoption définitive de ce document fait partie des chantiers prioritaires de la France dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union. À ce titre, nous devons nous garder de deux écueils.
Tout d’abord, nous devons affirmer la spécificité de l’Union européenne avec force, en assumant le fait que, en dépit de sa relation historique avec les États-Unis, l’Europe a des intérêts propres à défendre, par exemple en Turquie et dans la zone indo-pacifique.
Le calendrier d’adoption de la boussole stratégique est un enjeu majeur. Si l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est en train d’actualiser son propre concept stratégique, ce processus ne doit pas interférer avec celui de la boussole stratégique.
Monsieur le secrétaire d’État, quels gages pouvez-vous nous donner de votre détermination à faire en sorte que les pays de l’Union mènent ces deux exercices en parfaite indépendance, pour éviter tout risque de subordination de la boussole stratégique européenne aux priorités de l’Alliance atlantique ?
Ensuite, nous devons convaincre nos partenaires européens que la boussole stratégique ne saurait avoir pour objet ou pour effet d’imposer une vision exclusivement française de ce que doit être la défense de notre continent. En parallèle, nous devons les convaincre de l’importance d’une véritable autonomie stratégique. À cette fin, nous devons dialoguer plus et affirmer moins.
M. Alain Richard. Très bien !
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères. Troisièmement, et enfin, je me dois de vous poser cette question majeure : comment parler de nos objectifs stratégiques et comment souligner la nécessité de faire face aux menaces sans aborder le dossier proprement scandaleux – je pèse mes mots – de l’application de la directive européenne sur le temps de travail aux armées ?
Le président du Sénat, le président Cambon et moi-même avons appelé l’attention du Président de la République sur ce dossier à de multiples reprises, dès le mois de février dernier.
Comme vous le savez, une nouvelle affaire est pendante devant le Conseil d’État, à la suite d’un recours introduit par un gendarme. On nous dit que, dans cette affaire, la France pourrait renoncer à invoquer l’incompétence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Or, ici même, dans cet hémicycle, la ministre des armées a promis de tout faire pour empêcher l’application de cette jurisprudence à l’armée française…
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous aujourd’hui démentir ce bruit ? Pouvez-vous confirmer au Sénat que tout sera mis en œuvre pour faire respecter le droit, pour défendre la position française en invoquant l’incompétence de la CJUE dans ce dossier ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères. N’oublions pas que la spécificité du modèle d’armée français est gravement menacée par cette décision des juges de Bruxelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre prochains abordera la préparation de deux sommets très importants pour notre avenir commun : la COP26, relative au changement climatique, et la COP15, relative à la biodiversité.
Le suivi de ces négociations internationales environnementales est une priorité pour la commission que j’ai l’honneur de présider, tout comme pour notre groupe de travail dédié à ces sujets.
Je commencerai par la COP26, qui se déroulera à Glasgow du 1er au 12 novembre 2021 – la pandémie de covid-19 lui a infligé un report d’un an.
Nous avons eu l’occasion de le rappeler à M. Stéphane Crouzat, ambassadeur pour le climat de notre pays, que nous avons entendu il y a quelques heures : la COP26 sera la conférence environnementale la plus lourde d’enjeux depuis l’adoption de l’accord de Paris. Nous formons le vœu que la France et l’Union européenne continuent, à cette occasion, d’être des moteurs de la négociation climatique internationale, comme ils l’ont été il y a six ans, lors de l’adoption des accords de Paris à l’issue de la COP21.
C’est le sens d’une proposition de résolution déposée par mon collègue Didier Mandelli, que j’ai cosignée avec le président du groupe de travail sur les négociations internationales environnementales, Ronan Dantec. Ce texte sera discuté dans notre hémicycle le 2 novembre prochain, pour devenir, je l’espère, résolution du Sénat.
Cette proposition de résolution formule plusieurs orientations : on ne peut que souhaiter que nos partenaires européens les fassent leurs.
Afin de s’assurer que chaque État respecte les engagements souscrits auprès des Nations unies, nous jugeons nécessaire qu’un cadre de transparence robuste soit établi. Sans cette garantie de réciprocité dans l’application de l’accord, l’édifice créé à Paris ne tiendra pas.
En outre, nous rappelons qu’il est impératif d’atteindre, de la part des pays développés, une mobilisation de 100 milliards de dollars par an en faveur des pays en développement. Dans le même temps, nous souhaitons que la part de ces fonds consacrée à l’adaptation soit augmentée, pour atteindre au moins 50 % des fonds publics et privés mobilisés.
Nous souhaitons par ailleurs que les États parties à la COP se saisissent de l’article 7 de l’accord, en se fixant un objectif mondial en matière d’adaptation symboliquement égal aux objectifs en matière d’atténuation.
Voilà quelques-unes des orientations que nous aimerions que la France et l’Europe suivent dans le cadre de ces négociations. Nous aurons de nouveau l’occasion d’en parler lors des débats sur la résolution, le 2 novembre prochain.
Je tiens à évoquer également la COP15, qui a commencé en Chine et qui est consacrée aux négociations sur le futur cadre mondial de la biodiversité.
La première séquence protocolaire a commencé ce lundi et se terminera vendredi prochain, sur place, mais également en ligne. La seconde partie de la conférence réunira les acteurs du 25 avril au 8 mai prochain, à condition qu’il n’y ait pas un énième report. La pandémie a en effet interféré avec le calendrier et la manière dont les négociateurs mènent leurs travaux.
Tout comme le climat, la biodiversité fait face à une crise d’une ampleur inégalée : certains États, dont la France, ont présenté des objectifs ambitieux en faveur des écosystèmes, avec la mise sous protection de 30 % du territoire, dont 10 % sous protection forte, objectifs que nous avons d’ailleurs inscrits dernièrement dans la loi Climat et résilience.
Il importe désormais que cette ambition puisse être partagée à l’échelle mondiale, avec des objectifs de couverture similaires. Il serait alors nécessaire de veiller à l’effectivité des protections mises en œuvre, mais aussi d’accompagner les efforts des pays en développement.
Nous parlons ici du cadre mondial pour la décennie à venir, qui, comme chacun le sait, est décisive. L’urgence d’agir est rappelée par l’ensemble de la communauté scientifique.
Plusieurs leviers d’action doivent être mobilisés : je citerai notamment la réforme des financements néfastes à la biodiversité, la mobilisation des outils de la finance durable, l’évaluation des mesures mises en œuvre tout au long de leur déploiement pour pouvoir « corriger les tirs » inefficaces, la mobilisation de l’aide publique au développement pour promouvoir des enjeux de préservation et de restauration de la biodiversité.
Le congrès mondial de la nature, qui s’est tenu à Marseille, et auquel une délégation de notre commission a participé, a permis d’explorer des pistes intéressantes et de trouver des points de convergence entre États. Il convient désormais de leur donner une épaisseur politique et de décliner les actions au niveau de chaque État.
Monsieur le secrétaire d’État, j’invite le Gouvernement à se saisir de ces enjeux majeurs, afin que l’Union européenne devienne une force motrice et fixe les caps ambitieux que la crise nous conduit à suivre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme c’est le cas depuis le début de la crise sanitaire, le Conseil européen à venir sera l’occasion pour les chefs d’État et de gouvernement d’échanger sur la réponse de l’Union européenne face à la crise épidémique.
Depuis mars 2020, notre commission veille au bon déploiement des différents dispositifs européens, en premier lieu celui du budget de l’Union, pour répondre aux conséquences économiques de l’épidémie.
La reprise semble enfin au rendez-vous, avec des prévisions optimistes de la Commission européenne, la croissance devant s’élever à près de 5 % cette année pour les pays de la zone euro.
Cependant, le niveau d’endettement des États membres reste élevé, et il ne constitue pas le seul nuage d’incertitude sur l’horizon de la reprise. En effet, à peine les entreprises et les ménages retrouvent-ils un peu d’oxygène qu’ils se heurtent à un nouvel écueil majeur, à savoir les tarifs de l’énergie, auxquels je souhaiterais consacrer la suite de mon intervention.
Leur hausse phénoménale, je dirai même vertigineuse, vers des niveaux inédits, menace la reprise. Or c’est un problème qui relève du niveau européen.
Ainsi, la forte augmentation du prix de la tonne de carbone sur le marché européen d’échanges de quotas d’émission de CO2 n’est pas complètement étrangère à la situation. Elle contribuerait à hauteur d’environ 20 % à l’augmentation du prix du gaz. La hausse du prix de l’électricité résulte directement de la hausse du prix du gaz, les prix de ces deux énergies étant liés au sein du marché européen de l’énergie.
Cette situation constitue, vous l’avez bien compris, mes chers collègues, une menace réelle, alors que les cours du gaz ont été multipliés par sept en six mois ! Pour le pouvoir d’achat des consommateurs français, c’est à la fois dangereux et injuste, puisque notre pays a une production électrique très largement décarbonée, à des coûts de production raisonnables.
Au demeurant, la non-prise en compte de la part des énergies renouvelables dans la formation des prix de l’électricité n’est pas sans poser problème; car elle n’incite pas au déploiement de celles-ci. C’est un comble !
Par conséquent, il revient aux 27 États membres de faire le point sur les actions à mettre en œuvre au niveau européen, mais également au niveau national, pour faire face à la flambée des prix de l’énergie.
L’une des priorités est évidemment de réduire la facture pour les ménages et les entreprises. Les États restent en première ligne pour ce faire, grâce à des mesures ciblées sur les ménages modestes – c’est l’objet du chèque énergie –, mais également grâce à des mesures fiscales, encouragées par la Commission européenne.
Je note que cette dernière a communiqué aujourd’hui même sur une « boîte à outils » pour faire face à la hausse des prix de l’énergie : elle encourage notamment les mesures nationales temporaires pour limiter l’impact de la hausse des prix sur les ménages.
Le Gouvernement propose ainsi ce qu’il appelle un « bouclier tarifaire », constitué d’un gel des tarifs réglementés du gaz et d’une baisse des taxes sur l’électricité. Les mesures d’accompagnement des fournisseurs, qui pourraient faire face à des difficultés de trésorerie ces prochains mois, paraissent néanmoins insuffisantes à ce stade.
Plus globalement, je ne vois guère, à cet instant, de réponse précise apportée aux entreprises, qui, elles aussi, subissent de plein fouet la hausse des tarifs de l’énergie. Je signale que, aujourd’hui même, la Commission européenne a incité les États membres à soutenir leurs entreprises et leurs industries en faisant usage de mesures d’assouplissement exceptionnelles du régime des aides d’État. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il prévu de suivre cette préconisation et de renforcer son soutien aux professionnels ?
Depuis maintenant quelques semaines, les États prennent donc des mesures en ordre dispersé. Dans un marché intégré comme celui de l’énergie, à l’aube de l’hiver, et alors que l’on assiste à une véritable « guerre d’approvisionnement », il est grand temps de mettre davantage de coordination dans les mesures proposées. « L’Europe qui protège » – un slogan cher au Président de la République – doit, à notre sens, contribuer à assurer la sécurité énergétique de nos concitoyens.
La « souveraineté européenne » est une expression à la mode. Aussi, l’indépendance énergétique de l’Union européenne doit désormais constituer une priorité, que la France devra s’attacher à défendre lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Monsieur le secrétaire d’État, soyez au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen se réunira dans huit jours, avec un ordre du jour qui présente le paradoxe d’être à la fois très chargé et de ne pas traiter tous les sujets épineux du moment.
Très chargé, car il est prévu d’y évoquer six dossiers : covid-19, numérique, énergie, migrations, commerce et relations extérieures.
Dans le même temps, ce sommet laissera de côté le défi existentiel que la récente décision de la juridiction suprême polonaise lance à l’Union européenne, à l’instar de ce qu’a fait la Cour de Karlsruhe l’an dernier. Il n’est pas non plus prévu qu’il détermine la stratégie que doit déployer l’Union européenne face aux provocations britanniques, tant en matière d’octroi des licences de pêche que de remise en cause du protocole nord-irlandais. Il y a pourtant urgence, monsieur le secrétaire d’État !
Inévitablement, la pandémie de covid-19 reste à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, mais elle n’occupe plus le devant de la scène, et c’est heureux : la quatrième vague semble refluer, la stratégie vaccinale faisant ses preuves.
Pour sortir définitivement de la pandémie, nous sommes face à un défi : comment garantir un accès équitable aux vaccins sur l’ensemble de la planète ? Comme le dit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’équité en matière de vaccins n’est pas la charité. C’est de la santé publique intelligente, dans l’intérêt de tous.
Pourtant, l’Union européenne semble incapable d’honorer ses promesses de dons de vaccins dans le cadre du dispositif Covax. Elle envisage des livraisons du vaccin AstraZeneca aux populations jeunes des pays du sud, alors que nous réservons ce vaccin aux Français de plus de 55 ans. Je crois d’ailleurs que de nombreuses doses ne sont même pas distribuées. Monsieur le secrétaire d’État, dans ce contexte, la priorité doit-elle être d’élargir le rappel avec une troisième dose, même si la Haute Autorité de santé le préconise ?
La pandémie refluant, de nouvelles situations critiques mobiliseront le prochain Conseil européen, en premier lieu desquelles la flambée des prix de l’énergie. Les cours du pétrole ont augmenté de 50 %, quand le prix de l’électricité a doublé et celui du gaz a été multiplié par six. La facture énergétique des consommateurs, notamment des plus fragiles, s’en ressent.
Cette flambée se nourrit de la reprise post-covid, mais elle pourrait bien aussi la compromettre. Elle est en tout cas révélatrice de la grande fragilité énergétique de notre continent, trop dépendant de l’approvisionnement extérieur en ce domaine tellement stratégique pour nos économies et nos sociétés.
L’Europe reste fortement importatrice d’énergies fossiles. Dans ce contexte de forte tension sur la demande, nous nous trouvons donc tributaires des fournisseurs, et notamment du géant gazier russe. La pression pour activer la mise en service du gazoduc russo-allemand Nord Stream 2 va croissant, au risque de fragiliser l’Ukraine, privée alors de droits de transit.
Quelle position la France défendra-t-elle sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ? Compte-t-elle saisir cette occasion pour faire valoir l’importance d’une plus grande sécurité énergétique pour notre continent, sécurité qui implique autonomie et constitution de réserves stratégiques ?
Les propositions qu’a formulées aujourd’hui la Commission européenne ne sont pas d’une ambition suffisante pour répondre à cet enjeu. Sans remettre en cause la nécessité d’accélérer la transition écologique, il est essentiel que l’Union européenne promeuve clairement l’énergie nucléaire. Notre pays, avec l’appui de dix autres, a fait récemment valoir cette nécessité : selon vous, cet appel a-t-il des chances d’être enfin entendu dans ce contexte éminemment critique ?
Deuxième situation critique, qui resurgit à la faveur du recul de la pandémie : la pression migratoire. Le flux de migrants qui se pressent aux portes de l’Europe recommence à grossir, à la fois sur ses côtes sud et sur son flanc est, ce qui est plus nouveau. Et le retrait américain de l’Afghanistan risque de faire empirer la situation, nous le savons.
Dans mon département, je constate également une tension croissante autour du littoral : de plus en plus de migrants tentent de traverser la Manche par tout moyen pour atteindre le Royaume-Uni.
Avec le Brexit, la Manche est devenue une frontière extérieure de l’Union européenne. Mécaniquement, la gestion de cette frontière est ainsi devenue un sujet européen et non plus exclusivement national. Depuis la crise migratoire de 2015, l’Union européenne se contente de mesures d’urgence, mais elle peine à apporter une réponse durable à un phénomène qui se nourrit des conflits, de la pauvreté et du réchauffement climatique.
Le problème reste entier devant nous. Comment le Conseil européen pourrait-il débloquer la négociation qui s’enlise sur le pacte sur la migration et l’asile, proposé voilà un an par la Commission européenne ?
Je ne m’étendrai pas sur les nombreux autres sujets prévus à l’ordre du jour, notamment sur le numérique, malgré l’enjeu stratégique qui s’y attache, à savoir l’autonomie informationnelle de l’Europe.
Ma collègue Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour notre commission sur ce dossier, ne manquera pas d’y revenir et d’évoquer la proposition de résolution européenne que notre commission des affaires européennes vient d’adopter sur le projet d’acte sur les marchés numériques (DMA). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire et économique que nous traversons nous pousse à avoir un regard exigeant vis-à-vis de l’Europe et des décisions qui seront prises lors de ce prochain Conseil européen, afin de s’assurer qu’elles sont bien à la hauteur des enjeux.
J’aborderai trois points au cours de cette intervention.
Tout d’abord, permettez-moi d’évoquer la hausse spectaculaire et continue des prix de l’énergie, qui a des conséquences dramatiques sur certains secteurs économiques et contribue à l’augmentation de la précarité d’une grande partie des ménages, selon une récente enquête du Secours populaire français.
À côté des initiatives des États membres de l’Union européenne, nous attendons des mesures rapides de Bruxelles. À cet égard, il nous semble anormal que l’appel à une réforme profonde de la politique de l’énergie n’ait pas suscité l’adhésion de l’Eurogroupe. On ne peut se satisfaire de l’excuse d’une hausse temporaire pour ne pas agir. Une fois encore, nous n’avons pas trouvé les soutiens pour faire bouger un certain nombre de pays européens, dont l’Allemagne. Une fois encore, on s’interroge sur la crédibilité de ce couple franco- allemand.
À moyen terme, cette hausse démontre que la seule façon de sortir des fluctuations des prix des énergies fossiles, c’est justement de sortir des énergies fossiles. L’Union européenne se doit d’agir rapidement dans le cadre du Green Deal, en définissant une politique énergétique commune qui permettrait à chaque État d’accélérer le développement des énergies alternatives bas carbone et d’améliorer leur performance.
Il nous faut donc esquisser une stratégie post-épidémie, basée sur le verdissement accéléré des entreprises, des infrastructures et des modes de financement, entre autres sujets.
Je souhaiterais maintenant revenir sur le plan de relance européen. En effet, cette pandémie nous interpelle sur la capacité du Conseil à mettre en place de réelles politiques de solidarité européenne.
Il aura fallu une crise sanitaire mondiale, d’une ampleur inédite, avec des conséquences parfois tragiques pour les peuples européens, pour qu’une initiative d’ampleur, à savoir le plan de relance, voie le jour, même s’il est considéré comme étant encore trop timide, avec 750 milliards d’euros répartis pour moitié sous forme de subventions et pour moitié sous forme de prêts.
Finalement, lorsque l’on observe ce plan dans son ensemble, il représente à peine 6 % du PIB de l’Union européenne, loin du plan de relance américain, qui avoisine les 20 % du PIB des États-Unis.
De plus, ce plan de relance est adossé au semestre européen, c’est-à-dire au contrôle du respect des règles économiques, financières et budgétaires européennes, donc subordonné à la mise en œuvre de politiques toujours plus rigoureuses en matière de retraite, d’assurance chômage, d’assurance sociale : les fameuses réformes structurelles, qui s’inspirent, par définition, de l’idéologie néo-libérale.
À cet égard, la France s’est engagée par écrit à réduire ses dépenses publiques en proposant une réforme, aujourd’hui appliquée, de son assurance chômage, ainsi que des économies, en cours de préparation, dans son système de retraite.
Ainsi, avec ce plan de relance européen, non seulement notre pays va davantage payer que recevoir, mais ce qu’il recevra sera la contrepartie d’économies réalisées sur son système de protection sociale. Autrement dit, nous paierons deux fois pour ce mécanisme de « solidarité » : par notre contribution au budget de l’Europe, donc par nos impôts, et par la baisse des dépenses sociales.
Les effets économiques seront donc forcément limités. Il y a ici une belle contradiction, puisque l’on appuie sur le frein tout en accélérant.
Une troisième question doit être également clairement débattue : celle des ressources propres. Peut-on financer le budget de l’Union autrement que par la contribution des États membres et l’emprunt ? C’est la question de la fiscalité et de la lutte contre la fraude.
Le scandale récent des Pandora Papers, qui a mis en lumière 11 300 milliards de dollars de fonds placés dans les paradis fiscaux, nous invite de manière urgente à la coopération entre les États membres, pour combattre la fraude et l’évasion fiscales, qui font perdre à la seule l’Europe, selon les estimations, plus de 1 000 milliards d’euros par an, soit l’ordre de grandeur des budgets de l’Union européenne pour la période budgétaire en cours, c’est-à-dire six années.
Il faut bien se rendre compte que chaque euro soustrait à l’impôt est autant d’argent qui ne bénéficiera pas à l’intérêt général, à nos démocraties ; autant d’argent dont nous avons pourtant cruellement besoin pour le fonctionnement de nos écoles, de nos hôpitaux, de nos services publics et pour investir dans les transitions écologique, économique et sociale.
Il est important d’établir des règles communes et ambitieuses à l’échelle européenne, tout en luttant contre les paradis fiscaux partout dans le monde. Presque aucun des États incriminés dans les Pandora Papers ne faisait partie de la liste noire des paradis fiscaux établie par l’Union européenne. C’est même le cas d’États européens, comme le Luxembourg et Chypre. Il s’agit d’une règle qu’il devient urgent de changer.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Patrice Joly. Pis, au beau milieu du scandale, le Conseil a décidé de retirer de cette liste trois paradis fiscaux notoires, en totale opacité. Cela montre bien l’urgence de doter l’Union européenne des outils nécessaires afin de faire face aux dérives fiscales, aussi bien de la part des entreprises que des particuliers.
J’imagine déjà, monsieur le secrétaire d’État, que vous allez évoquer l’accord trouvé à l’OCDE pour instaurer un nouveau cadre fiscal international et mieux taxer les multinationales. Cependant, je crains que le taux minimum d’imposition des bénéfices des multinationales à hauteur de 15 % ne soit considéré plus comme un plafond que comme un plancher.
Je rejoins pleinement l’analyse de l’Icrict, acronyme anglais désignant la commission internationale de réforme de la fiscalité sur les entreprises, rassemblant de nombreux économistes, comme Thomas Piketty, qui plaide pour un taux minimal de 25 %. Cette analyse est appuyée par l’Observatoire européen de la fiscalité, qui souligne que, avec un taux à 25 %, on aurait récupéré 26 milliards d’euros de recettes budgétaires en France, contre 6 milliards d’euros avec un taux à 15 %.
En conséquence, vous comprendrez, monsieur le secrétaire d’État, qu’il est urgent d’agir. Ce dont nous manquons, c’est de courage politique au niveau européen : la rigueur à perpétuité et le renoncement à lutter contre la sécession des riches créent de la désespérance sociale, qui laisse le champ libre aux partis d’extrême droite, nourrit le populisme et mine nos démocraties. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin. (M. Alain Richard applaudit.)
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se réunira dans une semaine sera normalement, si tout se passe bien – ce n’est jamais garanti par les temps qui courent –, l’avant-dernier conseil avant la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Pour l’heure, l’ordre du jour avancé ne laisse guère transparaître ce que pourraient être les lignes directrices et les ambitions européennes de la future présidence française.
On est là plus dans le business as usual de l’Union : on va parler covid – comment ne pas en parler, et pendant encore longtemps ? –, transformation numérique, notamment avec l’avancée des directives DSA et DMA, dont il semble qu’elles ne seront pas adoptées avant la fin de l’actuelle présidence slovène, et migrations, une question qui risque fort d’être encore longtemps à l’ordre du jour des conseils.
Seule véritable nouveauté en l’état : la question du prix de l’énergie, qui fait une entrée fracassante à l’agenda à la suite de la hausse soudaine des prix du gaz, avec ses incidences sur le prix de l’électricité en raison des mécanismes européens actuels.
Il devrait également y avoir un débat stratégique sur la politique commerciale de l’UE. Il serait intéressant de connaître, monsieur le secrétaire d’État, les suites qui seront données à la suspension très temporaire des négociations commerciales entre l’Union et l’Australie après le « coup de Trafalgar » diplomatique provoqué par la création de l’Aukus (Australia-United Kingdom-United States) et ses conséquences, notamment sur le partenariat stratégique entre la France et l’Australie.
L’Union européenne et ses dirigeants nationaux sont-ils vraiment prêts à marquer le coup en solidarité avec la France ou seront-ils tentés de laisser très vite retomber la pression, en s’abstenant de questionner sérieusement la nouvelle relation avec les États-Unis ?
Au passage, et c’est à noter, cette question des plus stratégiques n’est pas évoquée dans la liste des sujets à traiter au chapitre « Relations extérieures » du Conseil à venir. Les voies de la taxonomie du Conseil sont parfois assez impénétrables…
Néanmoins, revenons à la future présidence française de l’UE. À part quelques annonces savamment distillées ces dernières semaines concernant telle ou telle rencontre internationale sur la peine de mort ou les relations UE-Afrique, nous ne connaissons guère précisément l’agenda et les priorités de la France à l’occasion de sa présidence au premier semestre de 2022.
Il faut dire que l’incertitude, aussi bien à court qu’à long terme, est bel et bien devenue le véritable maître des horloges européennes.
Sans être un thuriféraire du couple franco-allemand comme moteur indépassable de l’Europe, force est de le constater, bien que les élections se soient déroulées en Allemagne le mois passé, nous ne connaissons toujours pas le nom du futur chancelier ou de la future chancelière, le périmètre de sa majorité et, moins encore, l’accord programmatique qui sera passé entre les partenaires qui la composeront. Et le suspense concernant ce dernier point risque fort de durer encore de nombreuses semaines, ce qui ne facilitera pas l’établissement de convergences avec ce pays quant aux futures propositions de la France à l’occasion de sa présidence.
Au-delà de ce contexte somme toute assez particulier – les Allemands ne votent heureusement que tous les quatre ans et très rarement à la veille d’une présidence française de l’Union –, le mécanisme actuel des présidences tournantes peut également poser quelques problèmes.
Le fait d’avoir instauré une présidence stable du Conseil européen n’était pas en soi une mauvaise idée, mais la réalité des faits oblige à constater que, quelle que soit la sympathie que l’on peut avoir pour chacun des trois dirigeants qui se sont succédé à ce poste depuis sa création, son titulaire s’apparente davantage à un secrétaire général sans grande influence politique qu’à un véritable président d’un conseil composé de chefs d’État et de gouvernement !
De même, le fameux trio de présidences successives également mis en place à la suite du traité de Lisbonne, qui est censé donner une cohérence et une continuité à l’institution du Conseil européen, n’est pas toujours satisfaisant.
Il peut très vite tourner au « passage de patates chaudes » à la présidence tournante suivante quand le pays qui l’assure ne dispose pas du poids politique suffisant pour faire adopter certaines orientations.
Si la future présidence française va s’inscrire dans un nouveau trio de présidences après décembre, la présidence slovène actuelle ne peut être vue comme un moteur pour une Europe plus ambitieuse.
Les positions très eurocritiques du Premier ministre slovène Janez Jansa ne contribuent guère aujourd’hui à fédérer le Conseil européen, et ses piques répétées à l’endroit de la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, ainsi qu’à l’égard du Parlement européen, ne sont pas dignes d’une personne assurant la présidence tournante du Conseil européen.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois vous dire ici que j’ai été proprement sidéré, pour ne pas dire estomaqué, voilà quatre jours, en écoutant le long entretien accordé par M. Janez Jansa à cette excellente chaîne d’information européenne – c’est la seule en français –, qu’est Euronews.
J’ouvre une parenthèse pour vous faire part de mes inquiétudes quant à l’avenir de cette chaîne, qui remplit une mission qui n’est assurée par aucune chaîne publique d’information en Europe. Or elle est en grande difficulté financière, et la Commission vient de décider de réduire la subvention annuelle qu’elle lui accorde.
Je reviens aux propos tenus par M. Jansa lors de cet entretien : ils sont vraiment édifiants quant à sa méconnaissance du droit et des principes fondamentaux de l’Union européenne.
Il accuse ouvertement l’Union, la Commission européenne et le Parlement européen de détourner le terme « État de droit » et d’avoir une attitude « proche d’une violation de l’État de droit » ! Et d’argumenter, en un rare sophisme, que, la liberté de la presse et l’indépendance de la justice faisant partie du système constitutionnel de chaque État membre, il revient finalement à ce dernier d’en définir la nature.
Mes chers collègues, je vous conseille, si vous ne l’avez déjà fait, de visionner cette séquence assez mémorable.
Je ne puis terminer mon intervention, monsieur le secrétaire d’État, sans vous demander quelle sera la position de la France durant sa présidence quant au fameux accord sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine qui a été présenté voilà quelques mois. Face aux protestations nombreuses et, à mon sens, justifiées, il a été gelé, mais le gel ne vaut souvent que le temps d’une saison, et il est aujourd’hui fortement affecté par les changements tant géopolitiques que climatiques…
La chancelière Merkel et sa majorité semblaient y tenir tout particulièrement, et le sujet pourrait être remis sur la table durant la présidence française. Alors, stop définitif ou encore ?
Dans le même registre, la Commission européenne a présenté, le 5 mai dernier, une très intéressante proposition de règlement visant à s’attaquer aux distorsions causées par les subventions étrangères au sein du marché unique. La formulation est sibylline et très diplomatique, mais elle vise assurément certains mécanismes mis en place principalement par la Chine pour contrecarrer le système de filtrage des investissements directs étranges opérationnel dans l’Union européenne depuis octobre 2020.
La France va-t-elle pousser à l’adoption de ce règlement et en faire une priorité de sa présidence ?
Enfin, je conclurai en vous précisant que le Sénat, mon groupe en particulier, est très attaché à la protection du patrimoine scientifique de notre pays et au respect des libertés académiques. C’est un enjeu devenu fondamental face aux influences et aux ingérences grandissantes exercées par certains États extra-européens dans nos universités et nos laboratoires de recherche.
La commissaire européenne en charge du dossier, Mme Mariya Gabriel, et ses services ont commencé à élaborer des propositions très intéressantes à ce sujet. Là encore, monsieur le secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que la France, durant sa présidence, devrait être un fer de lance européen sur ce sujet ? (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand s’interrogeait sur les chances que pouvait offrir une jeune Europe. La crise que nous traversons fait quant à elle émerger une nouvelle Europe. J’espère qu’elle s’emploiera à résoudre les problématiques vitales qui sont les siennes.
Autant vous le dire, je veux délivrer un message « europtimiste » ; pour ce faire, je serai critique. L’Europe a beaucoup de chances à offrir à ses citoyens, à ses entreprises et à sa jeunesse. Cependant, elle doit se donner les moyens de remplir ses objectifs.
Nous ne le répéterons jamais assez : l’Union européenne doit bâtir sa souveraineté. À la lumière des récents événements, je pense à deux priorités : la stratégie et l’industrie.
Très attachée à la relation euro-américaine, je pense toutefois, comme beaucoup désormais, que, peu importe le président des États-Unis, l’Union européenne doit rester la seule maîtresse de son avenir.
Le pacte de défense tripartite liant Américains, Australiens et Britanniques, dit « pacte Aukus », n’est pas qu’un revers pour la France ; c’en est un pour l’Europe. On ne nous juge pas capables d’apporter une protection suffisante à un pays qui craint de plus en plus le régime chinois. Le « en même temps » européen vis-à-vis d’une Chine qui se durcit ne peut plus durer.
Les réactions européennes doivent être à la hauteur. Une réponse diplomatique doit être apportée, claire et commune. Mais nous devons aussi développer désormais une véritable stratégie en matière de défense européenne et d’industrie d’armement. Le reste du monde avance ses pions. Il n’est pas concevable que l’Union européenne reste enfermée dans ses atermoiements !
Monsieur le secrétaire d’État, quel sera votre message sur le sujet au Conseil européen ? Plus largement, quelles orientations soutiendrez-vous concernant le livre blanc de la défense européenne ?
La question du message se pose aussi au sujet de la participation à l’OTAN de l’Union européenne en tant que telle. J’y suis très attachée. Cependant, nous ne sommes pas les obligés de nos alliés ! Pour ne pas être simplement des suiveurs, nous devons avoir une stratégie lucide et cohérente.
La gestion unilatérale du dossier afghan n’est qu’un exemple parmi d’autres ; nous serons confrontés à d’autres situations de ce type. Elles entraîneront des réflexions sur divers sujets, comme notre pacte sur la migration et l’asile. Notre monde connaît de fortes déstabilisations ; nous devons donc définir une politique multidimensionnelle fiable pour réagir à temps.
La seconde priorité pour reprendre le contrôle de notre souveraineté concerne le secteur industriel. L’Union européenne est capable d’agir. Elle le prouve d’ailleurs durant cette crise ; je pense au travail formidable que fait notre commissaire européen Thierry Breton quant aux vaccins.
Notre souveraineté est primordiale sur les questions numériques. Les négociations autour du Digital Markets Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA) montrent tout l’intérêt d’une vision et d’une action rapides et efficientes. La guerre des données ne fait que commencer. Les Européens, tout en se protégeant de toutes déstabilisations extérieures, devront être un acteur incontournable.
Le sujet des propos haineux sera à mon sens central lors de la négociation de ces textes. L’échelon européen est le plus intéressant pour lutter contre ces dérives, notamment sur les réseaux sociaux. À ce titre, j’aimerais faire une recommandation sur le cyberharcèlement, surtout en milieu scolaire. La présidence française doit en faire une grande cause européenne. Nos jeunes sont notre avenir : protégeons-les !
Notre souveraineté, c’est notre liberté et notre indépendance. J’en veux pour exemple les questions énergétiques et les problèmes récents en la matière. Des efforts industriels dans ce secteur sont nécessaires pour cette souveraineté, mais également pour remplir nos objectifs, notamment en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
L’un de nos fleurons français remplit ces objectifs ; il est pourtant menacé. Je le dis sans détour : la taxonomie verte européenne ne peut pas exclure l’énergie nucléaire. Les investissements doivent se poursuivre pour développer cette technologie, dans un souci d’efficacité, de sûreté et de production. Notre mix électrique a tout de même besoin d’une part de nucléaire, même si cette dernière est appelée à se réduire.
Évoquer notre bouquet énergétique me permet de faire un point sur d’autres filières essentielles. Je parle bien sûr des énergies renouvelables. Leur déploiement en Europe nécessite un développement industriel, donc des moyens spécifiques. À l’image de ce qui est réalisé pour les batteries, l’UE doit effectuer un travail de coopération sur les secteurs clefs.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous détailler les dossiers industriels européens que la France a identifiés comme prioritaires et qui seront portés lors de sa présidence ?
Enfin, je veux conclure mon propos en évoquant rapidement un sujet qui nous préoccupe tous profondément. La Pologne a dépassé une limite dans la remise en cause de la primauté du droit de l’Union européenne. Nous attendons bien sûr l’analyse et la réaction de l’UE. Elle doit être à la hauteur de l’enjeu : la survie de l’Union.
Monsieur le secrétaire d’État, l’Union est en danger ; une réflexion plus profonde doit se poursuivre. Quelle vision la France portera-t-elle afin de sortir de la crise qui s’installe et, plus largement, de réinventer l’Union ?
Notre Union européenne doit prendre son destin en main. Personne ne pourra ni ne voudra le faire à sa place. Il faut maintenant avancer, même si, hélas, certains ne veulent pas aller aussi vite que nous. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de son discours sur l’état de l’Union, Mme Ursula von der Leyen affirmait avec raison que « le temps du coronavirus n’est pas encore derrière nous ». En effet, si certains États membres peuvent espérer, grâce à une campagne de vaccination finalement massive, voir la lumière au bout du tunnel, ce n’est pas le cas partout sur le continent.
En effet, à l’embellie constatée à l’ouest répond une situation désormais préoccupante à l’est. Le contraste est ainsi saisissant entre le Danemark, qui a levé l’ensemble des restrictions sanitaires, et la Roumanie ou la Bulgarie, qui voient aujourd’hui monter en flèche le nombre d’hospitalisations et de décès.
Le fossé qui se creuse au sein de l’Union est dû à de multiples facteurs ; il ne sera donc pas aisé à combler. Il devra pourtant l’être, évidemment pour protéger les vies des personnes exposées au virus, mais aussi pour ne pas entraver les efforts de rétablissement entrepris ailleurs en Europe. En effet, tant que tout notre continent ne sera pas protégé, il restera par définition vulnérable.
Alors que l’espace Schengen peut et doit retrouver son fonctionnement normal, je veux souligner l’impérieuse nécessité de bâtir au plus vite le cadre qui permettra d’éviter les fermetures anarchiques de frontières que nous avons connues au plus fort de la pandémie.
Dans les régions frontalières, comme chez moi en Alsace, l’absence d’action concertée entre États membres a mis à mal, plus qu’ailleurs, l’économie et la vie quotidienne des habitants.
Au mois de juin dernier, la Commission annonçait dans sa stratégie sur le renforcement et la résilience de l’espace Schengen une initiative législative pour tirer les leçons de la crise sanitaire.
Il importe, monsieur le secrétaire d’État, que ce cadre de coordination et de préparation aux crises tienne dûment compte de la situation particulière des régions frontalières, car la libre circulation au sein de bassins de vie communs n’est pas seulement pour elles un principe à défendre : c’est une nécessité absolue !
Autre nécessité qu’aborderont les chefs d’État et de gouvernement : l’accélération de la transition numérique. Permettez-moi d’insister à mon tour sur la question de la cybersécurité, devenue un enjeu décisif tant pour les pouvoirs publics que pour les citoyens et les entreprises.
En effet, autant la numérisation croissante de nos activités permet le développement d’occasions et de solutions nouvelles, autant elle expose la société et l’économie à de nouvelles menaces, toujours plus nombreuses et plus sophistiquées.
Je me félicite donc que les initiatives se soient multipliées pour bâtir ce que l’on pourrait appeler une « union de la cybersécurité ». Dernier exemple en date, même s’il n’est pas si récent, la stratégie globale présentée en fin d’année dernière, qui me semble aller dans le bon sens en proposant de renforcer la réglementation, la recherche et les investissements, mais aussi la coopération entre États membres et les actions destinées à sensibiliser et impliquer davantage les entreprises.
Ces orientations se retrouvent notamment dans le futur Centre européen de compétences industrielles, technologiques et de recherche en matière de cybersécurité, qui commencera prochainement ses activités et qui nourrit de fortes attentes.
Ce nouveau hub de la sécurité informatique permettra ainsi la mise en commun des investissements dans la recherche et le développement industriel. Il apportera également – c’est absolument essentiel, tant les besoins sont grands – une expertise et une assistance technique aux jeunes pousses et aux PME dans le domaine de la cybersécurité.
Forte de ces initiatives et de ces réalisations, l’Europe doit poursuivre et accélérer encore sa marche vers la construction d’un cadre commun de cybersécurité ; c’est essentiel pour toute ambition sérieuse en matière de souveraineté numérique.
J’aborderai enfin la question des relations extérieures, dernier point à l’ordre du jour de ce Conseil européen, au cours duquel les chefs d’État et de gouvernement se pencheront tout particulièrement sur les relations euro-asiatiques, un sujet qu’ils ont en partie déjà abordé la semaine dernière en Slovénie, où ils ont débattu du rôle de l’UE dans le monde au vu des récents développements en Afghanistan, du partenariat de défense Aukus et de l’évolution des relations avec la Chine.
Ces trois points cristallisent en effet toutes les attentions. Celles-ci se fixent, tout d’abord, vers la zone indo-pacifique, où les recompositions stratégiques s’accélèrent entre une Chine aux volontés de plus en plus hégémoniques et des États-Unis de plus en plus soucieux de contrer Pékin.
Le camouflet reçu par la France, avec les sous-marins qu’elle ne vendra finalement jamais à l’Australie, en est une illustration. Inégalement soutenu par les autres États membres – c’est le moins que l’on puisse dire ! –, notre pays a tout de même reçu l’appui des institutions européennes.
Au moment même où la France, hélas, était rabaissée sur la scène internationale, Bruxelles présentait d’ailleurs sa stratégie pour une région indo-pacifique devenue essentielle pour les intérêts européens. La Commission entend voir l’Europe y jouer un rôle actif et y nouer ses propres partenariats. L’intention est louable, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres !
En effet, pour donner corps à cette stratégie, il faudra au préalable faire progresser l’élaboration d’une politique étrangère commune et surtout veiller à développer l’autonomie décisionnelle de l’Europe, sans se laisser entraîner dans la rivalité sino-américaine grandissante.
Cela signifie naviguer sur une voie qui, au vu de l’attitude traditionnelle des États membres, sera très étroite : d’un côté, refuser l’alignement pavlovien – osons le dire ainsi ! – sur les États-Unis, dont on voit bien que les intérêts divergent toujours plus de ceux de l’Europe ; de l’autre, se garder de toute complaisance mercantiliste vis-à-vis de la Chine, qualifiée depuis deux ans de « rival systémique ». Beaucoup de travail demeure, en somme, avant que l’Europe n’existe dans cette région qui concentrera demain tous les appétits et, partant, tous les dangers.
Il me faut également évoquer la situation afghane, qui, à l’autre bout de l’Asie, requiert également toute notre vigilance, pour des raisons humanitaires bien sûr, avec le retour du régime barbare des talibans, mais aussi pour des raisons migratoires.
À l’occasion des travaux que j’ai conduits avec Jean-Yves Leconte au sujet du pacte européen sur la migration et l’asile, j’ai pu personnellement mesurer le risque de l’ouverture d’une nouvelle route orientale cheminant à travers l’Asie centrale pour aboutir en Biélorussie, qui a fait du chantage migratoire une arme de dissuasion contre les sanctions européennes.
Reconnaissons que cette route est encore peu empruntée par des réfugiés afghans, mais les États membres doivent se préparer à toute éventualité sans attendre une hypothétique conclusion de ce pacte.
La mise en œuvre du plan d’action adopté par les ministres de l’intérieur doit ainsi être accélérée pour que nous ne prenions pas le risque de revivre le chaos qui, en 2015, avait failli faire chavirer le principe de libre circulation, pourtant le pilier fondamental de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les points à l’ordre du jour de ce Conseil européen et ceux qui s’imposent de fait à l’agenda de l’Union sont disparates : ce qui peut leur donner une cohérence, selon nous, c’est qu’ils nécessitent un recentrage sur l’essentiel, sur les fondamentaux seuls à même de donner sens et corps à notre projet européen.
Ainsi de l’exigence d’être ferme sur la capacité de notre Union à tenir ses engagements pour le climat, avec l’étape décisive de la COP26 de Glasgow, ou pour la biodiversité, avec la COP15 de Kunming. Jean-François Longeot vient de nous le rappeler : c’est maintenant, pendant cette décennie, que nous changerons ou non la donne, que nous réussirons ou que nous échouerons, sans perspectives de rattrapage.
Ainsi de l’impératif de réussir à ménager l’acceptabilité économique et sociale de l’indispensable transition énergétique dans une conjoncture très tendue en matière de prix.
Ainsi de la nécessité d’avancer vite et bien pour un encadrement démocratique du numérique, pour mettre de la responsabilité, de la transparence, du respect des libertés, de la sécurité enfin, là où de grands acteurs voudraient continuer à agir sans régulation.
Ainsi de l’impératif de garantir l’égalité face à l’impôt, un principe tant bafoué au vu du tableau qu’exposent les Pandora papers, un principe qui pourrait connaître un pas en avant décisif si un taux minimum d’imposition sur les sociétés s’imposait effectivement au plan international.
Ainsi du devoir pour notre Union d’assurer l’application concrète de ses principes et de ses valeurs, que ce soit face aux enjeux des migrations ou à ceux de la nécessaire solidarité planétaire en réponse à la pandémie.
Ainsi, enfin, de l’obligation de faire vivre l’État de droit et la primauté du droit européen face aux remises en cause qui traversent nos sociétés, au-delà de la Pologne.
Laisserons-nous le débat public européen sur les enjeux de l’avenir de l’Europe se polariser étroitement sur les remises en cause de la primauté du droit européen et sur les fantasmes anti-migrants ? Ce serait suivre, d’une certaine façon, l’impasse qui a conduit la Grande-Bretagne au Brexit, avec les impacts économiques et sociaux désastreux qui s’y révèlent à présent. Mon groupe attend donc de ce Conseil européen des engagements clairs sur ces orientations et contre ces errements.
Je voudrais maintenant rapidement préciser quelques-unes de nos attentes.
La précarité énergétique explose. Le rapport du médiateur national de l’énergie qui vient d’être publié estime qu’elle affecte dans notre pays une famille sur cinq, un jeune sur trois. À l’échelle de l’Union, ce sont déjà plusieurs dizaines de millions d’Européens qui ne sont pas en mesure de chauffer convenablement leur logement. Cet hiver, l’inflation des prix de l’électricité et du gaz menace de faire des dégâts sociaux encore plus considérables.
Sortir des millions d’Européens de la précarité énergétique, voilà qui doit être une priorité claire de ce Conseil européen ; une telle initiative implique effectivement une action coordonnée à tous les niveaux.
Au-delà des aides diverses des États ciblées sur les ménages les plus précaires, ne nous trompons pas de stratégie : la trajectoire de consommation énergétique responsable, c’est la sobriété, l’efficacité énergétique, la rénovation thermique, n’en déplaise à ceux qui veulent faire croire que de nouveaux programmes nucléaires seront en mesure de nourrir la gabegie et la croissance énergétique dont il ne serait pas impératif de sortir.
Non ! Économies d’énergie, déploiement d’énergies renouvelables de plus en plus compétitives, avancées pour le stockage de l’électricité : là sont les leviers d’un avenir durable. La marche vers la neutralité carbone effective ne s’enclenchera pas avec des paroles, avec des EPR totalement hors de prix ou avec des promesses vagues de mini-réacteurs : la sobriété et les énergies renouvelables sont aujourd’hui les seuls leviers fiables de la transition.
Ne sabotons pas nos chances de réussir cette transition énergétique et industrielle en cherchant à faire passer en Europe le gaz et le nucléaire pour des énergies d’avenir, pour des énergies vertes ! Le débat à ce sujet au Parlement européen montre d’ailleurs bien combien le discours actuel de votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, est rétrograde sur cette question.
Panama, Paradise et désormais Pandora papers… Les différents scandales nous rappellent à quel point les moyens pour les services publics de qualité, pour les investissements d’intérêt général pourraient être là s’ils n’étaient pas de plus en plus détournés, accaparés par la cupidité des uns – les dirigeants d’entreprises, les hauts fonctionnaires et même le Premier ministre d’un État membre… – et par la complaisance des autres. Il me semble que la fraude et la corruption menacent bien plus sérieusement notre Union européenne que les migrants.
Contrôle des capitaux, transparence des sociétés-écrans, fin des paradis fiscaux : telles doivent être les réponses de nos dirigeants, plutôt que d’édulcorer encore et encore la liste noire des paradis fiscaux, de peser pour réduire le taux minimal d’imposition sur les sociétés qui est envisagé au niveau mondial, ou de chercher à alléger la possible taxe sur les géants du numérique.
Sans cette taxe, ce sont les futures ressources propres de l’Union européenne qui seraient considérablement fragilisées. Nous attendons de la présidence française qu’elle permette de débloquer positivement cette question.
Pour finir, je voudrais dire combien il est indispensable que notre agenda électoral national n’éclipse pas la nécessité de réussir la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Il faudrait peut-être, pour bien marquer cette volonté, rompre avec la pratique détestable du sponsoring des présidences successives par des marques privées.
Dans le cadre de la présidence française, le refus de tout parrainage d’entreprises privées serait un geste très significatif, auquel une pétition lancée par un collectif d’ONG vous appelle d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État. Refuser des sponsors de ce type, s’engager à la transparence sur les relations de cette présidence avec les intérêts privés, est-ce bien votre intention ? (M. Guillaume Gontard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de commencer mon propos en évoquant la tension qui s’aggrave sur les côtes de la Manche : dans plusieurs domaines, les Britanniques foulent aux pieds leurs engagements et jouent avec le feu. Malheureusement, l’addition du Brexit et des surenchères nationalistes sur fond de guerre économique risque de coûter toujours plus cher.
Je ne veux évoquer que l’un de ces enjeux brûlants : la pêche. Le Royaume-Uni bafoue l’accord qu’il a signé avec l’Union européenne, qui prévoit d’accorder des licences de pêche aux marins qui pêchaient déjà avant le Brexit dans les eaux britanniques. La colère des marins est forte et légitime. Que compte faire le Gouvernement pour imposer le respect de cet accord ? Comment compte-t-il être aux côtés de nos pêcheurs dans les jours qui viennent ? Il y a urgence sur ce point !
Néanmoins, le Brexit n’est que l’une des manifestations d’une crise plus profonde d’une Union européenne depuis trop longtemps fondée sur le pilotage par les grands intérêts financiers et la libre concurrence. Si cette trajectoire ne change pas, elle mènera l’Europe à d’autres déchirements.
La France, monsieur le secrétaire d’État, s’apprête à présider le Conseil de l’Union européenne, dès le 1er janvier 2022 ; c’est maintenant que cette présidence se prépare. Qu’allons-nous faire de cette occasion, quel sens allons-nous donner à cette présidence ?
L’Union européenne a laissé depuis longtemps les clés du camion aux logiques concurrentielles du marché capitaliste. Néanmoins, face aux grands défis humains d’aujourd’hui – inégalités, déséquilibres sociaux, climat, relocalisation industrielle, alimentation durable, sécurité collective –, l’Europe doit changer de logiciel, pour réinventer les solidarités et une vision commune de l’avenir.
L’Europe est minée par des poussées nationalistes rétrogrades, qui sont le revers des logiques de guerre économique qui ont laissé depuis belle lurette le progrès social en cale sèche. Allons-nous agir pour pousser à repenser l’avenir de l’Europe à l’aune de la nécessité d’inverser la vapeur en matière de priorités sociales ?
Vous parlez souvent d’autonomie stratégique européenne, monsieur le secrétaire d’État, mais il faudrait commencer par dire sur quoi nous entendons fonder cette autonomie stratégique. La première marque d’autonomie devrait à mes yeux consister à affirmer haut et fort que le projet européen doit redevenir un projet de progrès social pour toutes et tous, un projet de sécurité humaine.
La pandémie nous enseigne. Elle devrait hisser l’Europe de la santé, de la protection sociale et des services publics, qui ont protégé les Européens, au premier rang des priorités du continent.
Aussi, à quand la mise en commun de la recherche et la levée des brevets ? À quand un vaccin européen ? À quand la sortie des dépenses de santé publique du calcul mortifère des critères d’austérité budgétaire, quand on sait dans quel état l’application de ces critères a laissé les systèmes de santé publique à la veille de la pandémie ?
À quand la création d’un fonds de développement social et écologique financé, à taux nul, par la Banque centrale européenne pour l’extension des services publics en Europe, par exemple pour la maîtrise publique de l’énergie et de ses prix ?
À quand la fin de la folle course européenne au recul de l’âge de départ à la retraite ? On parle de 64, 65, 67 ans ; pourquoi pas 70 ans, tant que l’on y est ? Pourtant, le continent compte 15,5 millions de chômeurs et la précarité ravage la jeunesse européenne. Voilà ce qui sonnerait le réveil de l’Europe : une nouvelle ambition sociale. Comment l’Europe peut-elle prétendre entrer dignement dans le XXIe siècle tout en programmant l’épuisement des salariés au travail par le recul continu du droit à la retraite ?
Le sommet social de Porto n’a débouché, une fois encore, que sur un catalogue d’intentions non contraignantes. Où en est-on concrètement, par exemple, du projet de directive sur le salaire minimum européen ? Il n’y serait fixé, semble-t-il, aucun objectif normatif. La Confédération européenne des syndicats plaide pour qu’un « seuil de décence » soit intégré dans la législation. C’est dire où nous en sommes ! Quelle norme précise défend notre pays dans cette directive qu’elle prétend faire aboutir pendant la présidence française ?
On a également évoqué au sommet social de Porto un texte de la Commission européenne devant réguler l’activité des travailleurs des plateformes. Puisqu’on parle de numérique, parlons aussi des salariés ubérisés !
Le gouvernement français utilisera-t-il la proposition de directive de la parlementaire européenne française Leïla Chaibi, qui recommande la requalification de ces travailleurs en salariés, alors que, aujourd’hui, ils cumulent dans les faits les subordinations attachées au statut d’indépendant et à celui du salariat, sans bénéficier des garanties attachées aux droits du travail les plus fondamentaux ?
Ce passage d’une société de services à une « société de serviteurs », suivant l’expression de mon collègue Pascal Savoldelli, cette apparition d’un sous-prolétariat ubérisé appelle une évolution conforme aux multiples décisions de justice qui, partout en Europe, se multiplient pour reconnaître la subordination de ces travailleurs. Allez-vous utiliser, monsieur le secrétaire d’État, les recommandations sur ce sujet de la mission d’information dont Pascal Savoldelli a été le rapporteur ?
Engager un nouveau chemin de progrès social, c’est forcément mobiliser autrement la création de richesses. J’aurai à ce propos deux questions à vous poser, monsieur le secrétaire d’État.
Premièrement, quelle est la position française sur l’avenir des règles du pacte de stabilité budgétaire ? Fixés pour écraser la dépense publique et sociale, ces indicateurs ont volé en éclat avec la pandémie, heureusement pour notre santé et pour la vie sociale et économique, d’ailleurs.
Monsieur le secrétaire d’État, la France est-elle favorable à l’abandon définitif de ces règles ? Êtes-vous prêt à l’élaboration de nouvelles règles, en matière budgétaire comme en matière monétaire, pour le financement d’un nouveau type de développement social, de transition écologique juste, de relocalisation et de reconstruction industrielle ? Si tel est le cas, quelles seraient ces règles ?
Ma seconde question porte sur nos ambitions en matière de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Éric Bocquet déplorait ici même, il y a quelques jours, que deux jours seulement après le début des révélations des Pandora papers les ministres des finances de l’UE ont retiré trois juridictions de la liste noire des paradis fiscaux.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Pierre Laurent. On n’a en revanche toujours rien, évidemment, sur le cœur de la machine à optimiser qui sévit au sein de l’Union – au Luxembourg, mais pas seulement. À ce propos, quelle interprétation française et européenne comptez-vous faire de l’accord signé sur l’imposition minimum de 15 % des multinationales ? Ce taux sera-t-il pour vous un plancher minimal mondial, ou bien un taux d’harmonisation cible pour l’Europe ?
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, les quelques questions que je voulais vous poser pour le renouveau d’une ambition sociale européenne, sans laquelle l’Europe juste et solidaire restera un mot creux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Charles Michel a déclaré il y a quelques jours : « Entre le modèle américain du business above all et le modèle autoritaire chinois, il existe une place pour un modèle européen attractif et centré sur l’homme, qui permettra d’établir des normes internationales pour accompagner la révolution numérique. »
Dans la mesure où une large part sera faite lors du prochain Conseil européen à la stratégie numérique de l’Union, je ne pouvais m’empêcher de citer en préambule de mon propos le président du Conseil européen, dont les paroles on ne peut plus justes font écho à notre mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie de l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet, qui avait formulé dès 2014 cette conclusion :
« L’Europe doit faire entendre sa voix au niveau mondial pour contribuer à refonder la gouvernance de l’internet, mais aussi afin qu’elle prenne sa place dans le cyberespace, grâce à une régulation offensive de l’écosystème numérique, un régime exigeant et réaliste de protection des données, une ambition industrielle numérique et, enfin, une appropriation citoyenne de l’internet. »
Les 50 propositions que nous formulions à l’époque sont on ne peut plus d’actualité, monsieur le secrétaire d’État : elles concernent absolument tous les sujets que vous avez évoqués en introduction de notre débat.
L’Union européenne a de longue date identifié le numérique comme un gisement de croissance et d’opportunités, bien sûr. Elle en a fait l’un des sept axes majeurs de sa stratégie Europe 2021, mais, au cours de la période écoulée, elle a avant tout cherché à développer une économie autour des usages. Elle ne s’est que très peu souciée en réalité de savoir si les citoyens européens seraient acteurs, producteurs ou simples consommateurs sur leur machine unique numérique. Elle ne s’est pas préoccupée du tout de régulation.
Or sans régulation, la dépendance croissante de nos sociétés à l’internet est devenue un facteur de grande vulnérabilité. Les attaques sont nombreuses et quotidiennes, cela a été rappelé.
L’écosystème largement dominé par les Gafam, qui ne sont redevables de rien, favorise également une guerre économique sur fond de concurrence déloyale et facilite la manipulation de l’information et des opinions, le traçage et le ciblage des données des individus, des institutions et des entreprises. Bref, les atteintes aux libertés fondamentales sont devenues extrêmement préoccupantes.
Encore une fois, la semaine dernière, les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen devant le Sénat américain ont démontré, s’il fallait encore s’en convaincre, la toxicité du modèle des plateformes. Je me félicite d’ailleurs que la Commission auditionne dans les prochaines semaines cette lanceuse d’alerte. Elle sera certainement beaucoup plus intéressante à entendre que Mark Zuckerberg, qui, devant le Congrès américain et le Parlement européen, n’a pas su reconnaître les graves dysfonctionnements de sa société.
Fort heureusement, avec notre commissaire européen Thierry Breton, nous changeons désormais totalement de braquet. La Commission européenne s’attaque enfin à la régulation. Elle a présenté le 15 décembre 2020 deux propositions législatives : le DSA (Digital Services Act), qui vise à protéger les droits fondamentaux des utilisateurs et à qualifier les responsabilités des services numériques, et le DMA (Digital Markets Act), qui pose les bases d’un rééquilibrage ex ante des relations entre les grandes plateformes et leurs utilisateurs, aussi bien les entreprises que les consommateurs finaux.
La commission des affaires européennes du Sénat, comme l’a rappelé notre président, nous a chargées, Florence Blatrix Contat et moi, d’examiner ces propositions. Elle a approuvé la proposition de résolution européenne sur le DMA et l’avis politique que nous lui avons soumis la semaine dernière. Dans quelques semaines, nous ferons de même pour le DSA.
Le prochain Conseil européen doit être l’occasion de progresser, nous semble-t-il, dans la définition d’un compromis sur ces textes. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé et le suivi des travaux en cours à l’échelon européen nous ont montré qu’il existait encore des divergences d’approche.
S’il s’agit bien sûr de franchir sans plus tarder cette première étape et de renforcer notre ambition tout en recherchant un équilibre entre une approche souple, qui placerait la Commission européenne dans une position de négociation sans doute trop complexe, et une approche trop rigide, qui pourrait être contournée.
Je n’entrerai pas dans le détail des propositions que nous faisons, mais je tiens à attirer l’attention du Gouvernement sur certains points précis.
Il faut, selon nous, monsieur le secrétaire d’État, mieux prendre en compte les écosystèmes des plateformes pour cibler les services qui constituent des points de passage obligés.
Il faut permettre la désignation rapide des contrôleurs d’accès, les gate keepers, en conservant la présomption, sauf démonstration contraire de leur part, que le fait de franchir certains seuils précisés en annexe du règlement les qualifie de plein droit.
Il faut renforcer la portée effective des interdictions et des obligations qui leur sont imposées, en particulier l’interdiction d’utiliser les données de l’utilisateur sans son consentement préalable.
Il faut aller plus loin dans le rééquilibrage des relations entre les plateformes et les entreprises utilisatrices. Il faut en particulier étendre l’interdiction d’obliger les entreprises utilisatrices à recourir aux services accessoires de la plateforme, notamment les services de paiement.
Il faut aussi rendre leur liberté aux utilisateurs. Il faut rendre effectifs les droits à l’interopérabilité et à la portabilité des données.
Il faut associer – c’est très important – les autorités nationales sectorielles à la mise en œuvre par la Commission de la régulation des grandes plateformes et, pour cela, prévoir une coordination forte et des mécanismes d’échange d’informations, une structure de coopération, un réseau européen de la régulation numérique, ou encore la possibilité de délégations de compétences, en particulier en matière d’enquête.
Il faut encore associer les entreprises utilisatrices à la définition des modalités de mise en œuvre des obligations prévues par le règlement et surtout des mesures correctrices.
Enfin, il faut s’assurer d’un contrôle effectif systématique des acquisitions réalisées par les grandes plateformes, le plus souvent, il faut bien le dire, pour empêcher la concurrence de prospérer.
Monsieur le secrétaire d’État, nous espérons que le Gouvernement soutiendra fortement cette vision renforcée du dispositif, pour une adoption la plus rapide possible. La démarche européenne, vous l’avez souligné, pourrait en outre servir de modèle à l’échelon international, au moment même où les États-Unis se préoccupent désormais de réguler ces grands acteurs.
La question de l’opportunité d’un démantèlement de ces grandes plateformes systémiques me paraît même devoir être étudiée, tout comme leur modèle économique, qui, je pense, reste un problème : il me semble que ce modèle n’est pas à terme soutenable.
Parallèlement à cette régulation, doit être déclinée une politique industrielle de concert. À cet égard, il nous faut faire preuve d’envergure politique pour redevenir maîtres de notre destin numérique et reconquérir notre souveraineté, qui est mise à mal.
Il faut faire ce qu’ont su faire les Américains, les Russes et les Chinois. Dans les années 1990, les Américains ont su prendre toutes les mesures législatives et fiscales pour faire monter en puissance l’écosystème que nous connaissons aujourd’hui. Ils n’ont pas hésité, eux, à attribuer leurs marchés locaux ou nationaux à leurs propres entreprises, contrairement à ce que nous faisons encore aujourd’hui.
Il faut d’ailleurs aujourd’hui investir dans des secteurs d’avenir tels que la santé, les énergies, les transports ou encore dans ces nouveaux outils cryptographiques qui seront demain les nouveaux fers de lance des vagues d’ubérisation dans le secteur prudentiel et assurantiel.
Il faut aussi pouvoir peser dans les instances internationales où s’élaborent les protocoles et les standards. Je pense en particulier aux objets connectés.
Bref, c’est un plan Marshall qu’il nous faut aujourd’hui développer pour rattraper notre retard. Il faut en outre, bien sûr, assurer la montée en compétences numériques de tous.
Il faut donc que nous agissions soudés et que nous imposions ensemble cette vision du monde. Il faut faire entendre notre voix sur la scène internationale. Cela vaut, on le sait, dans tous les domaines : lorsque nous agissons collectivement, nous sommes plus forts, comme la réponse à la crise de la covid nous l’a encore démontré ces derniers jours. (M. Didier Marie et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, le Conseil européen sera sur le front de la pandémie, même si les perspectives sont plus heureuses qu’auparavant, en tout cas, nous l’espérons. L’Union européenne connaît globalement une amélioration continue de sa situation sanitaire, ce qui permet à nos concitoyens de renouer progressivement avec une vie normale.
La stratégie européenne de lutte contre la propagation du Covid, critiquée à ses balbutiements, a finalement produit ses effets. Disons-le, lors de la gestion de cette crise, l’Europe a marqué des points. Pour s’en convaincre, il suffit de constater le désastre chez nos amis britanniques, désormais isolés.
Ces points nous invitent à concrétiser rapidement l’Europe de la santé, car je rappelle que celle-ci n’existe pas formellement dans les traités. À l’évidence, ce chantier apparaît aujourd’hui comme une nécessité. Le groupe du RDSE y est en tout cas très favorable et attentif à ses progrès. Nous attendons par exemple la mise en œuvre rapide du règlement visant à renforcer l’Agence européenne des médicaments, afin d’éviter les pénuries comme celles que nous avons connues au cours de ces derniers mois.
En attendant, la situation sanitaire reste fragile. Nous devons donc rester vigilants à plusieurs égards.
Tout d’abord, si l’accès des Européens aux vaccins n’est plus un problème en termes d’approvisionnement, que répondez-vous, monsieur le secrétaire d’État, à la demande de transparence formulée par le Parlement européen sur le processus d’acquisition des vaccins et les montants déboursés par la Commission dans le cadre des contrats d’achat anticipé ?
Par ailleurs, on voit bien qu’il faut encore batailler pour amplifier la couverture vaccinale, en particulier celle des personnes fragiles et des plus de 80 ans ; ils sont 500 000 en France à ne pas avoir reçu une seule injection.
Le 13 septembre dernier, un communiqué de la présidence slovène du Conseil évoquait la nécessité de s’attaquer « urgemment à l’hésitation et à la désinformation concernant les vaccins ». Dans ces conditions, la troisième dose ou dose de rappel des vaccins représente une nouvelle étape à ne pas rater. Comment l’Union européenne peut-elle jouer un rôle de facilitateur ?
De plus, conformément aux préconisations du Conseil européen des 24 et 25 juin dernier, il ne faut pas non plus relâcher les efforts fournis par l’Union européenne dans le cadre du dispositif Covax, afin d’accroître l’offre mondiale de vaccins pour les pays en développement.
Je pense en particulier à l’Afrique, continent aux portes de l’Europe, avec lequel nous échangeons beaucoup et qui a véritablement besoin de l’aide internationale. Monsieur le secrétaire d’État, où en sommes-nous de la distribution des vaccins ? Est-elle la plus large possible ?
Le partage des vaccins dans le monde reste un défi qu’il faut relever rapidement, d’autant plus que, indépendamment des enjeux humanitaires, le retard des pays pauvres en matière de vaccination contre la covid entraîne des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement partout dans le monde, ce qui n’est pas sans freiner la reprise économique mondiale dont ces pays ont aussi besoin pour se relever. Le Fonds monétaire international vient de le rappeler.
Mes chers collègues, comme vous le savez, cette évolution sanitaire à deux vitesses induit également des pressions inflationnistes. J’en viens ainsi à la question du prix de l’énergie, qui sera inscrite à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Le prix du gaz a augmenté de 130 % en un an. Cette évolution accapare le débat public depuis plusieurs semaines, compte tenu de ses effets sociaux, économiques et environnementaux.
Si les États membres doivent prendre des mesures nationales pour aider les ménages modestes, il est clair que, dans ce domaine aussi, la coordination européenne a du sens, comme l’a d’ailleurs souligné le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, mais il va falloir s’entendre, car tous les États membres ne souhaitent pas la même chose.
Je note que Kadri Simson, bien consciente des divergences, a surtout annoncé ce matin la possibilité pour les Européens de prendre des mesures temporaires : oui, il faut mettre en place des baisses de taxes ; oui, il faut pratiquer la tolérance zéro à l’égard des spéculateurs. Cependant, à plus long terme, quid de l’idée de « réserves stratégiques de gaz » avancée par l’Espagne ?
Doit-on aussi modifier les règles du marché européen de l’énergie, comme le souhaite la France ? Est-il en effet normal que le prix de l’énergie soit le même pour tous, qu’un pays fasse ou non des efforts pour décarboner son économie ? L’alignement des prix énergétiques sur celui du gaz pose un réel problème.
Quoi qu’il en soit, tout cela ne résoudra pas la dépendance de l’Union européenne, qui importe 90 % de son gaz et 97 % du pétrole. Dans ces conditions, on ne peut, comme la commissaire, que demander aux États membres d’accélérer la transition vers des énergies propres.
Sans transition – si je puis dire ! (Sourires.) –, j’évoquerai en quelques mots le chantier de la transition numérique, qui figure également à l’agenda du Conseil européen.
Je soulignerai simplement un grand principe : il nous faut absolument défendre la souveraineté de l’Union européenne en matière numérique. On ne doit pas laisser des acteurs étrangers accaparer toute la chaîne de valeur en la matière. Ce n’est pas seulement une affaire de monopole technologique, c’est aussi notre liberté de choix qui est en question, car le numérique comporte un enjeu fort de protection des données, pour ne parler que de cet aspect.
La maîtrise de notre destin numérique est aussi un gage d’indépendance pour la protection et la diffusion de nos valeurs. J’en profite pour saluer l’avancée majeure que constitue la taxation minimale de 15 % des multinationales, qui cible bien évidemment les Gafam. C’est une question d’équité fiscale et un bel exemple de coopération mondiale. Je sais combien l’Union européenne, en particulier la France, a poussé ce dossier au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Tels sont, mes chers collègues, les quelques points que je souhaitais aborder. Ces chantiers invitent à plus de coordination et nécessitent une vision prospective si l’on souhaite que l’Europe fasse de la prévention pour éviter de se trouver au pied du mur en période de crise. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le mesurons tous ici, le prochain Conseil européen représente, à n’en pas douter, un enjeu politique et stratégique majeur pour la France et pour l’Europe.
Puisque ce Conseil mettra à son ordre du jour les relations extérieures de l’Union européenne et que le Président de la République semble faire de cette thématique un axe fort, j’interviens, au nom de mon groupe, sur les enjeux diplomatiques et militaires de cet agenda.
Face à un multilatéralisme effrité et à cette nouvelle bipolarisation du monde entre la Chine et les États-Unis, quels seront demain la place et le rôle de l’Union européenne ? De quels instruments de souveraineté et de projection se dotera-t-elle ?
Longtemps alignée, parce qu’elle était historiquement alliée et militairement protégée par l’alliance nord-atlantique, l’Union européenne reste un nain politique et diplomatique. Elle est, de fait, désarmée face à la montée aux extrêmes de la rivalité sino-américaine et risque aujourd’hui d’être marginalisée.
Ainsi, alors que le monde change et que l’échiquier géopolitique et stratégique se déplace vers le Pacifique et l’Extrême-Orient, l’Union, du fait de ses divisions et, disons-le, de son attentisme naïf, s’est progressivement neutralisée. Jamais l’Europe n’a véritablement tiré les conséquences de la constante historique de l’unilatéralisme américain, russe ou chinois dans tous les domaines.
Souvent observatrice, elle reste impuissante lorsque ses propres États membres deviennent les victimes directes de l’activisme décomplexé des autres puissances mondiales. Et avec le camouflet infligé par la nouvelle alliance Aukus, la France en sait quelque chose ! Elle en a en tout cas pris davantage conscience.
Le temps de l’idéalisme est donc définitivement révolu. Le XXIe siècle sera asiatique. Puisque la France est, depuis la rétrocession de Hong Kong, le seul État européen présent dans le Pacifique, elle doit être un moteur pour impulser un changement de paradigme sur le continent.
Cette situation de fait est manifestement subie. La France est, disons-le, opportunément active, mais décidément bien seule.
L’enjeu de la future présidence française est donc bien là : comment contrecarrer les ambitions de l’anglosphère, qui tente de régenter la nouvelle bipolarité sino-américaine ? Comment relancer l’idée d’une autonomie stratégique européenne alliée, mais pas alignée ? Comment permettre à l’Union de saisir l’instant pour s’imposer en tant que puissance sur la scène internationale ?
Naturellement, si nous partageons dans les grandes lignes cette ambition et cette volonté françaises, nous n’ignorons pas que celles-ci se heurtent à plusieurs obstacles qu’il faudra surmonter.
Le premier obstacle est, à mon sens, le calendrier politique dans lequel s’inscrira la présidence française de l’Union.
En Allemagne, tout d’abord, nul ne sait pour l’heure quand et avec qui se formera le nouveau gouvernement fédéral. D’ici là et du fait des incertitudes sur le positionnement de ce nouveau gouvernement, comment la France compte-t-elle préparer sa présidence avec son principal partenaire européen ? Surtout, comment compte-t-elle affirmer les objectifs qu’elle s’est fixés ?
En France, ensuite, les échéances électorales conduiront irrémédiablement à un raccourcissement de la présidence active et effective de l’Union : comment le Président de la République entend-il assurer une continuité dans l’action pendant les six mois de sa présidence ?
Le second obstacle est la divergence manifeste d’intérêts et de volonté au sein même de l’Union européenne. Au-delà des traités, il n’y a, en pratique, aucune unité de vue, d’intention ou d’action en Europe, ni aucune vision commune.
Depuis de nombreuses années, et j’allais même dire depuis le début de l’aventure européenne, nous vivons un décalage entre le réalisme allemand, mâtiné de mercantilisme, et l’idéalisme fédéral français poussant à une véritable autonomie stratégique européenne. Nous vivons aussi un décalage entre certains pays européens capables d’agir et de se projeter militairement et ceux qui défendent et réclament le bouclier que leur offre l’OTAN, sans même parler des pays qui font de la neutralité l’essence même de leur stratégie diplomatique.
La France, quant à elle, irrite plus qu’elle ne rassemble, navigant entre l’affirmation verbale de principes universels, la conduite d’opérations militaires solitaires dans sa zone historique d’influence et la critique ouverte de l’existence même de l’OTAN.
Pour faire de ces crises des opportunités, pour clarifier sa stratégie et redéfinir nos ambitions communes, la France devra profiter de sa présidence pour mener une bataille de reconquête de la confiance auprès de ses partenaires européens.
Ce prochain conseil européen doit en être la première étape. Pour convaincre ses partenaires de définir une politique étrangère et de défense réaliste, imaginative et de confiance, la présidence française devra mener plusieurs chantiers complémentaires.
Premièrement, elle devra développer une politique européenne de soutien à l’industrie de défense. La création du Fonds européen de défense est une première pierre, qu’il faudra cependant rapidement redimensionner.
Deuxièmement, il faudra s’assurer que le projet de boussole stratégique visant à définir une vision stratégique de l’Union européenne sur le long terme ne soit ni sous-dimensionné dans ses ambitions, ni subordonné aux stratégies de l’OTAN, ni irréaliste en matière opérationnelle.
Troisièmement, il faudra très vite renforcer l’Initiative européenne d’intervention, qui trouve sa première traduction au Sahel – c’est l’opération Takuba –, afin de développer des coopérations permanentes, opérationnelles et pragmatiques, à même d’assurer la sécurité de l’Europe.
Quatrièmement, il faudra élargir les partenariats autour des projets futuristes structurants tels que le Système de combat aérien du futur (SCAF) ou le Système principal de combat terrestre (MGCS) et surmonter les craintes de pillage relatives aux échanges ou aux coopérations en matière de technologie militaire, en particulier sur les droits de propriété intellectuelle.
Cinquièmement, comme le dit le nouveau chef d’état-major des armées, il faudra que l’Europe s’accorde sur une politique de lutte efficace contre les menaces hybrides en organisant à l’échelle du continent, voire de la planète, une lutte informatique d’influence. C’est cela « gagner la guerre avant la guerre » !
Dotés de cette capacité de surveillance et de vigilance permanentes, nous aurions été, à n’en pas douter, informés en amont des tractations des Five Eyes sur la résiliation du contrat des sous-marins australiens.
Enfin, je pense que la France pourrait aussi utilement contribuer à repenser nos relations stratégiques, d’abord en arrimant l’Europe à la stratégie indo-pacifique. Cela peut notamment passer par un rapprochement avec le Quad, le dialogue quadrilatéral pour la sécurité – le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde – ou encore avec l’Asean, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.
Ensuite, la présidence française devra contribuer à apaiser nos relations avec la Russie et conduire une politique commerciale lucide, mais ambitieuse, avec la Chine.
Pour conclure, permettez-moi d’évoquer rapidement l’actualité récente, la Pologne refusant la primauté du droit européen. S’il est peu probable que la Commission engage la procédure de l’article 7 du traité pour manquement à l’État de droit, quelles actions, voire quelles sanctions la France compte-t-elle demander face à cette nouvelle transgression polonaise ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois depuis le début de la pandémie de covid-19, le Conseil européen sera amené à faire le point sur la situation épidémiologique et les efforts mis en œuvre pour lutter contre le virus.
L’Union européenne a indéniablement déjà fait énormément dans la lutte contre la covid-19, alors même que la santé n’est pas l’une de ses compétences principales. Qu’il s’agisse de la recherche, de l’accès aux vaccins, de la mise en place du certificat covid numérique ou du plan de relance, l’Union a activé les nombreux leviers dont elle disposait pour limiter l’épidémie et lutter contre ses effets sur l’économie.
Malgré les débuts balbutiants de la campagne de vaccination, plus de 70 % de la population européenne est désormais vaccinée, et le nombre de cas quotidiens reste relativement stable. Il semblerait toutefois qu’une telle couverture vaccinale ne permette toujours pas d’obtenir une immunité collective puisqu’il reste possible d’attraper la covid en ayant été vacciné. Les efforts en matière de vaccination ne doivent donc pas être relâchés. À cet égard, il est également essentiel de continuer à abonder Covax, afin que les pays en développement aient accès à la vaccination.
À cet égard, je m’interroge sur l’opportunité de donner accès à une troisième dose aux citoyens européens, alors que le taux de couverture vaccinale de certains autres pays n’atteint même pas 10 %. La mondialisation a considérablement accru les déplacements entre ces pays et l’Union européenne. Ne risque-t-on pas, en privilégiant une troisième dose pour les Européens, laquelle n’est pas utile selon certaines études, d’entrer dans un cercle vicieux ?
Le semblant d’amélioration en Europe ne prendrait-il pas fin si un nouveau variant résistant aux vaccins apparaissait à l’étranger, faute d’un taux de vaccination satisfaisant dans les pays pauvres ?
Loin de moi l’idée de me prétendre expert en la matière – il y en a déjà plus qu’assez en France ! (Sourires.) –, mais il me semblerait opportun de rechercher le consensus des scientifiques avant de prendre une décision sur l’opportunité d’une troisième dose. Je suis donc curieux, monsieur le secrétaire d’État, de connaître la position que compte tenir la France sur ce sujet lors du prochain Conseil européen.
Je pense par ailleurs que la coordination et la coopération internationales restent améliorables, même en dehors de la problématique des vaccins.
Prenons l’exemple de la recherche transfrontière des cas contacts. Une solution a été trouvée par la Commission européenne pour connecter les diverses applications des États membres visant à identifier les personnes cas contacts. C’est une très bonne chose, mais tous les États membres n’ont pas mobilisé cet outil, me semble-t-il.
En outre, qu’en est-il des pays frontaliers qui ne font pas partie de l’Union européenne, comme la Suisse ? Ces pays ont-ils été associés à cette initiative ? Une évaluation de l’efficacité de cette mise en commun a-t-elle été effectuée ? Avez-vous des réponses à fournir à ces questions, monsieur le secrétaire d’État ? Si tel n’est pas le cas, elles méritent d’être abordées lors du prochain Conseil européen. Des améliorations semblent dans tous les cas largement possibles.
En matière de protocoles sanitaires, la coordination doit aussi être plus importante, tout particulièrement dans les stations de ski à l’approche de l’hiver. Alors que certains pays avaient décidé de les fermer l’hiver dernier et que d’autres les avaient maintenues ouvertes – sans clusters ! –, les dissonances sont cette année de retour s’agissant de la mise en œuvre du passe sanitaire.
Si les trois quarts des États membres décident d’imposer le passe, mais pas les autres, l’affluence touristique risque d’être plus importante chez ces derniers. Ces pays pourraient compter plus de clusters et risquent, in fine, une fermeture totale, à l’instar de ce qui s’est passé l’hiver dernier.
Dans le cas contraire, si la majorité des pays décident de ne pas imposer le passe, le petit nombre de pays qui ne le demanderait pas risque de connaître une très mauvaise saison, ce qui aura des répercussions économiques négatives.
Actuellement, la France dit qu’elle n’imposera pas le passe, l’Espagne également. En revanche, l’Autriche et l’Italie l’appliqueront et la Suisse réfléchit à le faire. Ces divergences de position ne sont pas une bonne chose. Si chaque pays est bien évidemment souverain, il est nécessaire de rechercher au maximum une coordination sur cette question entre les États membres. Chacun en sortirait gagnant.
À titre d’exemple, en tant que président du groupe d’études Développement économique de la montagne du Sénat, j’ai discuté hier avec des acteurs de la montagne. Je leur ai demandé s’il serait bien d’avoir une coordination européenne, tous m’ont dit oui, mais ils savent que rien ne sera fait avant 2030. Et c’est là un exemple parmi tant d’autres.
Plus globalement, la recherche d’un accord international visant à améliorer la préparation et la réaction aux pandémies, sur l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé, mais à laquelle le président du Conseil européen est associé, me semble être un excellent moyen de pallier le manque de coordination à l’échelon européen comme à l’échelon international. Seules des réponses coordonnées nous permettront de venir à bout de la pandémie et des difficultés qu’elle entraîne.
Nous connaissons cependant les écueils liés à l’utilisation d’un outil de droit international qui n’a que rarement force obligatoire ou qui fait souvent l’objet de dérogation. Il faudra donc être exigeant quant au contenu et à la portée de cet instrument international pour qu’il ait un réel effet.
Monsieur le secrétaire d’État, dans quel état d’esprit la France compte-t-elle s’engager dans les négociations relatives à ce traité ? Connaissez-vous celui des autres membres du Conseil européen ? Les échanges sur ce sujet lors d’un Conseil laissent-ils entrevoir une réelle ambition, ou devons-nous nous attendre à un énième accord dénué de réels effets ?
Enfin, j’aborderai un dernier sujet, qui, s’il n’a pas à proprement parler trait à l’épidémie, a émergé à la suite de celle-ci : la question du télétravail des frontaliers.
J’avais déposé une proposition de résolution européenne visant à augmenter le taux de télétravail autorisé pour les frontaliers, qui est limité en raison de considérations fiscales et des règles de sécurité sociale européennes. Cette proposition a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes et elle est donc devenue une résolution du Sénat au mois de juillet dernier.
Si Bercy m’a déjà signifié son intérêt pour cette proposition, je n’ai toujours pas de retour de votre part, monsieur le secrétaire d’État, ni de vos services sur la position que compte adopter l’Union européenne sur ce sujet. Je pense qu’il serait opportun de sonder les États membres sur leur position lors du prochain Conseil européen, ainsi que sur la manière de mettre en œuvre les mesures proposées.
En effet, il existe actuellement deux possibilités.
D’une part, il est possible d’intégrer cette proposition aux négociations déjà en cours sur les règlements de coordination de sécurité sociale. Celles-ci sont cependant déjà difficiles, et cette option risque de complexifier encore davantage le processus si des désaccords se font ressentir sur le sujet.
D’autre part, il est possible d’intégrer la question à d’autres initiatives européennes, notamment dans le cadre des travaux préparatoires qui sont en cours sur une prochaine initiative de la Commission sur la facilitation du recours au télétravail et le droit à la déconnexion. Cette solution n’est cependant pas non plus idéale, puisqu’une nouvelle modification des règlements de sécurité sociale serait dans tous les cas nécessaire.
Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous une idée de la position des autres membres du Conseil européen sur ce sujet ? Si cette question a déjà été abordée, quelle voie semblent-ils vouloir privilégier ? Si tel n’est pas le cas, comptez-vous la mettre sur la table ?
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’Ukraine a déjà été évoquée, notamment par le président Rapin, à propos de l’énergie.
L’Ukraine est un pays ami et voisin, qui entretient avec l’Europe des relations très fortes. Mme Ursula von der Leyen vient d’ailleurs d’y effectuer une visite avec Charles Michel.
Ce pays, nul ne le conteste, a fait l’objet d’une agression territoriale. Nous avons beaucoup et souvent discuté de cette question dans cette maison, où nous reconnaissons évidemment l’intégrité territoriale de l’Ukraine. De même, nous avons légitimé des mesures en faveur de la souveraineté et de la sécurité nationale de ce pays. Mais voilà, l’Ukraine demandant aujourd’hui de l’aide à l’Europe, elle doit donc en respecter les valeurs.
Depuis des mois, monsieur le secrétaire d’État, de très nombreux médias ont été fermés, notamment des chaînes de télévision, comme 112, ZIK, News One, Shari, plus récemment encore la chaîne Strana, dont le rédacteur en chef, qui est en exil politique en Autriche, est présent dans nos tribunes.
L’accélération de ces mesures nous inquiète, car la liberté de la presse est l’une des valeurs fondamentales de l’Ukraine. Le fait que M. Medvedtchouk, le responsable de l’opposition, soit en résidence surveillée sans jugement, sans procédure judiciaire, nous interpelle également.
Toutes ces mesures mettent en péril la libre circulation de l’information et la libre concurrence des médias. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est d’ailleurs intervenue le 25 août 2021 et a fait une déclaration rappelant à l’Ukraine ses obligations, tout comme Reporters sans frontières (RSF) en septembre dernier.
Il est fondamental que l’Ukraine, membre du Conseil de l’Europe et de l’OSCE, respecte ses obligations. Les inquiétudes sont réelles, monsieur le secrétaire d’État. Quelles mesures pourriez-vous prendre pour faire respecter la liberté de la presse ?
Je souhaite conclure mon propos sur un sujet qui nous préoccupe vraiment : la stabilité et la paix en Ukraine. J’ai parlé, au début de mon intervention, de l’agression dont l’Ukraine a été l’objet et de son intégrité territoriale. Vous savez mieux que moi que les accords au format Normandie et, notamment, la formule Steinmeier exigent l’adoption par l’Ukraine d’une loi organisant des élections, notamment dans le Donbass. Or le président bloque ce texte. L’Ukraine ne met donc pas en œuvre ces accords de Normandie et impute le blocage à son voisin russe.
Je crois qu’il faut faire le point aujourd’hui sur ces accords de Normandie et sur la mise en œuvre de cette formule Steinmeier, à laquelle nous sommes tous attachés. Le président Larcher avait d’ailleurs beaucoup travaillé sur ce sujet, comme vous-même et comme nous tous : nous n’avons pas besoin d’avoir un pays en guerre aux frontières de l’Europe dans les conditions actuelles…
Je crois donc que l’Ukraine, dont le président est d’ailleurs empêtré dans les Pandora Papers, dont nous avons beaucoup discuté et dont j’aurais sûrement parlé à mon tour s’il n’y avait pas tant d’autres questions qui me tiennent à cœur, est un sujet très important, pour la stabilité de l’Europe et pour l’approvisionnement énergétique.
Nous ne pouvons pas laisser ce pays dans l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui, fragilisé, alors que les accords de paix ne sont pas en place. La communauté internationale a beaucoup travaillé à la paix en Ukraine. Il est très important que le Conseil européen revienne sur ce sujet, pour que les dispositifs qui ont été prévus par la communauté internationale soient mis en œuvre.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les vingt-sept chefs d’État ou de gouvernements européens ont rendez-vous à Bruxelles les 21 et 22 octobre, pour un Conseil européen principalement consacré à la réaction de l’Union européenne à la pandémie de covid-19.
La crise sanitaire a montré l’utilité d’une réponse européenne coordonnée. Par exemple, les contrats d’achats anticipés conclus par la Commission européenne ont permis d’éviter une concurrence entre États membres pour l’acquisition de vaccins.
Toutefois, cette crise a aussi révélé au grand jour les failles de l’Union européenne, plus frileuse et plus lente à réagir que d’autres régions du monde. Nous devons en tirer les enseignements en dotant notre continent d’un véritable bouclier sanitaire, pour lui permettre de faire face à toute nouvelle crise éventuelle.
L’une des réponses à ce défi majeur pourrait être la création de l’HERA (Health Emergency Response Authority), future Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire. Cette initiative va dans le bon sens, car elle permettra à l’Union de disposer d’un organisme comparable à la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) américaine, dotée de moyens considérables et chargée de coordonner la recherche et l’industrie en cas de crise sanitaire.
Avec cette nouvelle autorité européenne, opérationnelle dès 2022, la Commission pourra centraliser et coordonner l’action de l’Union en cas de crise sanitaire, en stimulant la recherche et en développant les capacités de production de contre-mesures médicales.
Se pose néanmoins la question de la complémentarité de cette nouvelle autorité avec l’Agence européenne des médicaments et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, dont la Commission entend renforcer les compétences. Une clarification semble nécessaire pour écarter tout risque de doublons.
Il conviendra également de préciser le rôle des États membres dans le choix des projets de recherche à soutenir financièrement et dans la réorganisation de la production européenne en cas de crise.
La Commission, par le biais de l’HERA, aurait la charge de décider des mesures opérationnelles. Or l’action de l’Union ne peut qu’être complémentaire de celles des États membres, qui devront nécessairement être associés.
L’autre actualité du moment porte sur la stratégie de renforcement de l’espace Schengen, qui prévoit notamment, à la fin de l’année, une initiative législative pour mettre en place un cadre de préparation aux crises.
La pandémie de covid-19 a illustré, au moins dans un premier temps, l’absence de coordination entre les États membres dans la gestion de leurs frontières intérieures.
Il faut donc saluer l’objectif de la Commission de revenir au fonctionnement normal de l’espace Schengen en mettant en œuvre des outils qui pourront rétablir la confiance entre États membres et refaire des contrôles aux frontières intérieures une décision de dernier recours.
L’ouverture de « voies vertes » pour garantir le transit des biens essentiels, les lignes directrices pour assurer la libre circulation des travailleurs, ou encore celles sur l’aide d’urgence en matière de soins transfrontaliers, sont des initiatives positives. Le marché intérieur doit continuer à fonctionner, même en cas de fermeture des frontières.
La coopération transfrontière et la mobilité des professionnels de santé sont également essentielles. Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives ont été prises en la matière ?
Le Conseil européen abordera également la question de la hausse des prix de l’énergie, à la demande de la présidente de la Commission.
Alors que la flambée actuelle des prix a déjà conduit certains États membres à prendre des mesures nationales pour en atténuer l’impact sur les consommateurs, plusieurs pays appellent l’Union européenne à agir pour apporter une réponse commune.
C’est le cas de l’Espagne, qui plaide pour une réserve stratégique de gaz, ou celui, plus contestable, de la Pologne, qui cherche à remettre en cause la réforme de la directive ETS (European Trading Scheme) sur les bâtiments et le secteur routier. Sur ce dernier point, la vigilance doit être de mise : il serait incompréhensible que les crédits ETS consacrés à la transition vers une énergie propre soient dépensés pour prolonger la durée de vie des centrales à charbon polonaises jusqu’en 2030, sans garanties environnementales.
À l’inverse, nous attendons de la France qu’elle se mobilise pour inclure l’énergie nucléaire, faible émettrice de gaz à effet de serre, dans la taxonomie verte, dont l’objectif est justement d’orienter les financements vers des activités climato-compatibles.
Je voudrais enfin évoquer le Brexit, qui n’est pas à l’ordre du jour du Conseil européen, mais dont l’actualité préoccupante exige un positionnement de la France et de l’Union.
Je pense à la hausse des tensions sur la pêche, aux menaces, formulées lors du congrès du parti conservateur à Manchester, de suspendre unilatéralement le protocole nord- irlandais, ou encore à la question migratoire, avec ce chantage inacceptable au financement auquel se livre le Gouvernement britannique.
Sur le Brexit, l’Union européenne doit sommer son voisin britannique de dire clairement s’il s’engage ou non à respecter les deux traités qu’il a signés à la fin de 2019, l’un sur la paix en Irlande et l’autre sur la pêche. À défaut, l’Union européenne devra prendre ses responsabilités et utiliser les leviers prévus, à savoir la suspension partielle ou totale de l’application de ces traités.
En conclusion, ce Conseil européen aura à traiter de sujets intéressant au premier chef nos concitoyens, qui attendent aujourd’hui des réponses concrètes, efficaces et rapides.
La France prendra le 1er janvier prochain pour six mois la présidence du Conseil de l’Union européenne. Espérons qu’elle saura prendre ces sujets cruciaux à bras-le-corps pour être à la hauteur des enjeux, comme elle l’avait été en 2008 lors de la précédente présidence, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy.
Après avoir promis un grand soir européen dans son discours de la Sorbonne au début de son mandat, le Président de la République n’a pas le droit de décevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, partout en Europe les prix de l’énergie flambent : hausse de 37 % pour l’électricité en un an en Espagne, de 30 % pour le gaz au prochain trimestre en Italie, de 12,6 % pour le prix du gaz réglementé en France.
En raison du redémarrage mondial de l’économie et du contexte géopolitique, l’Europe est confrontée à une crise énergétique affectant fortement le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi de nos entreprises.
Dans ce contexte de turbulence des marchés de l’énergie, la France a fait des choix : baisse de la production électrique et fermeture de centrales nucléaires, remplacées par des éoliennes fonctionnant par intermittence. Je crains que la crise de l’énergie ne soit devant nous.
La flambée des prix de l’énergie en Europe va-t-elle compromettre l’action climatique de l’Union européenne, alors que le Royaume-Uni s’apprête à recevoir dans trois semaines la COP26 sur le changement climatique ? Voilà toute la question.
Les politiques mises en place par les gouvernements européens pour tenter de lutter contre cette flambée des prix risquent de sembler contradictoires avec la politique climatique ambitieuse qu’ils exigent du reste du monde lors du sommet de la COP26. D’autant que des centrales à charbon ont rouvert – je pense à la Chine et à l’Espagne – et que des gouvernements ont réduit les taxes sur les entreprises du secteur de l’énergie, ce qui revient à subventionner les énergies fossiles et risque d’entraîner automatiquement une baisse des investissements dans les énergies renouvelables.
De nombreux espoirs sont nés, monsieur le secrétaire d’État, à la suite de la COP21 et de la signature de l’accord de Paris, aussi bien pour la lutte contre le réchauffement climatique que pour le nouveau modèle de croissance. Mais la limite de l’accord de Paris est que, malgré l’amorce d’une réflexion sur la transition énergétique, aucune des parties prenantes n’a souhaité que cette problématique soit présente dans l’accord.
On a ainsi encouragé les États à réduire leur consommation énergétique ou à décarboner leur production énergétique sans impulser un nouveau modèle énergétique clair, ce qui est d’une importance majeure.
Limiter le réchauffement climatique n’est pas hors d’atteinte, bien au contraire, et c’est justement à l’échelon européen qu’il faut agir. Cela nécessite d’entamer une révolution énergétique globale, des transitions dans tous les pans de notre économie et de la société et, bien sûr, une volonté et un courage politique.
Les grandes conférences internationales que sont les COP sont nécessaires pour impulser une mobilisation mondiale et sensibiliser les États. Mais il faut que les COP soient réellement utiles. Sinon, elles seront discréditées.
La COP25 de Madrid en 2019 est apparue comme déconnectée par rapport aux demandes d’action exprimées. Les négociateurs n’ont pu s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris et sur la question clé du marché carbone. Aucun État ne s’est engagé pour participer au Fonds vert, et le traitement de la question des pertes et préjudices – les destructions déjà irréversibles liées au réchauffement, notamment en Afrique – pour laquelle on avait envisagé la création d’un fonds, avait échoué.
Tous ces points ont été repoussés à cette année, faute de consensus. Plusieurs me semblent indispensables à aborder dans le cadre de cette COP26. Il faut tenir nos promesses et ne pas en formuler d’autres si nous ne sommes pas capables de les tenir.
Les pays développés, responsables de 80 % des émissions mondiales, n’ont en effet pas tenu leur promesse de porter à 100 milliards de dollars par an le Fonds vert pour le climat, destiné à aider les pays pauvres à s’adapter aux effets du changement climatique. Selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ce fonds ne serait doté que de 79,6 milliards d’euros.
Le compte n’y est donc pas ! Notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable formule le vœu que la part de ce fonds consacrée à l’adaptation soit progressivement augmentée, pour atteindre au moins 50 % des fonds publics et privés mobilisés.
J’espère que cette position sera défendue par la France et l’Europe à Glasgow pendant la COP26. Il y va du renforcement des synergies entre financements pour le climat et financements en faveur de la biodiversité. La mobilisation de la finance mondiale fait d’ailleurs partie des objectifs affichés par la présidence britannique.
La COP26 sera aussi, je l’espère, l’occasion de finaliser les règles de mise en œuvre du pacte sur le climat, notamment sur la transparence, c’est-à-dire sur la façon dont les États rendent compte de leurs actions et de leurs résultats.
L’article 13, qui doit être le garant de la réciprocité dans l’application de l’accord, constitue aujourd’hui l’un des axes importants de la négociation. Il faut que le Gouvernement français nous assure que ces discussions avancent.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que le Président de la République souhaitait associer les COP qui sont liées à la biodiversité à celles qui sont relatives au climat. Ces rassemblements internationaux devraient être en synergie pour associer les thématiques de la biodiversité et celles qui concernent le réchauffement climatique, car elles sont intimement liées.
À la veille du Conseil européen, il semble crucial que l’Europe continue à faire preuve de leadership en matière climatique et qu’elle indique dès cette COP26 qu’elle rehaussera son ambition climatique. La France doit prendre toute sa place dans cette politique. Elle ne peut se reposer sur ses acquis de la COP21.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les propositions concrètes que la France propose au reste du monde pour relever ce défi du XXIe siècle qu’est la transition énergétique ? Quels seront les objectifs de la diplomatie française à l’occasion de la COP26, ce sommet crucial pour l’avenir de la diplomatie climatique ? (M. Marc Laménie applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’heure étant avancée, je vais m’attacher à être aussi concis, mais aussi complet, que possible, pour répondre aux différentes interrogations soulevées, quand bien même un certain nombre de sénateurs ou de sénatrices ne peuvent plus être parmi nous à cet instant ; ils pourront lire mes réponses au Journal officiel.
La question du Brexit a été évoquée à plusieurs reprises, notamment par M. Perrin.
Je vais être très clair : nous ne rompons évidemment pas tous les domaines de coopération avec le Royaume-Uni. Nous avons eu à débattre de ce point, notamment en matière de sécurité, ou le partenariat reste important, malgré des choix britanniques qui, à l’évidence, ne correspondent pas réellement à ce que nous avions cru comprendre du Global Britain, mais s’apparentent plutôt à un alignement total sur les États-Unis, et alors que les Britanniques refusent toujours de discuter, non seulement avec la France, mais avec l’Union européenne, de plusieurs chapitres d’organisation sur les questions de sécurité dans notre relation post-Brexit.
La question qui nous occupe le plus aujourd’hui, c’est celle du respect des accords qui ont été conclus et, je le rappelle, ratifiés par les deux parties, y compris donc par le Royaume-Uni, bien sûr.
Ce sont ainsi les difficultés que nous devons affronter en matière de pêche, un domaine dans lequel nous avons été très patients, M. le président Rapin peut en témoigner, peut-être même trop patients. En tout cas, je rends hommage à la patience de nos pêcheurs qui, depuis plusieurs mois, fournissent des informations supplémentaires visant à obtenir un certain nombre de licences.
Parfois, nous obtenions des licences provisoires, parfois nous devions les prolonger, parfois nous n’obtenions rien du tout. Nous avons fait tout ce travail de façon méthodique et extrêmement scrupuleuse, mais nous en sommes arrivés, la ministre de la mer et moi-même, à la conclusion claire que les Britanniques ne veulent pas donner un certain nombre de licences, non pas parce qu’ils manquent d’informations, mais parce qu’ils ont fait ce choix politique.
Ce n’est pas un problème français, c’est un problème européen. (M. le président de la commission des affaires européennes approuve.) Nous l’avons réexpliqué, la ministre de la mer et moi-même, en lien avec les élus de tous les territoires concernés, la semaine dernière encore.
Tout d’abord, ce problème de licences concerne deux autres États membres, la Belgique et, dans une moindre mesure, l’Irlande. Ensuite, et surtout, si l’accord n’est pas respecté, ce sont tous les États membres, dans différents domaines, qui peuvent se trouver affectés par ce manquement grave du Royaume-Uni. Nous mobilisons donc nos partenaires européens.
Comme la ministre de la mer l’a dit, comme je l’ai aussi déclaré, à l’issue du délai de quinze jours qui a commencé il y a une semaine, donc d’ici environ huit jours, nous annoncerons des mesures de réponse, de réplique, de rétorsion le cas échéant, nationales ou européennes, si nous n’avons pas de signaux britanniques concrets de mouvement sur cette question des licences, qui n’a que trop duré. L’exaspération est donc partagée, tout comme la mobilisation, avec la profession et avec l’ensemble des élus me semble-t-il.
Le sénateur Perrin a également évoqué la question du temps de travail de nos militaires. Dans un débat sur les règles européennes où je trouve qu’il y a déjà beaucoup de confusion, il faut être rigoureux et précis. Il y a une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui ne nous convient pas, et notre ligne d’action est claire.
Tout d’abord, nous utiliserons tous les moyens juridiques pertinents dans les affaires en cours pour faire valoir nos arguments. L’une concerne la France, la précédente concernait la Slovénie. Il n’y a pas de recul ou de changement d’approche sur ce sujet.
Ensuite, il s’agit d’un cas particulier, puisque l’on touche ici à l’application ou à l’interprétation non pas du traité lui-même, mais d’une directive, aussi problématique soit-elle. Il sera de toute façon nécessaire de porter une révision de cette directive le plus rapidement possible. Le Président de la République s’en est expliqué avec la présidente de la Commission européenne, et nous utiliserons aussi le levier de la présidence française pour ouvrir ce chantier, quelle que soit la jurisprudence rendue, avec l’espoir bien sûr que celle-ci soit la plus favorable possible.
Notre ligne d’action ou notre ligne claire – je n’aime pas employer l’expression de « ligne rouge » – est que l’ensemble des missions et le modèle de nos armées soient évidemment intégralement respectés. Il y va de la sécurité de notre nation et de celle de l’Europe, à laquelle nous contribuons par notre action, notamment au Sahel. Notre fermeté sur ce point n’a pas besoin de propos d’estrade : elle sera absolue.
Le président Longeot a évoqué les aires protégées. Notre objectif de protection de 30 % de la surface du globe, prise dans son ensemble – terrestre et maritime –, est toujours valable. C’est celui que nous portons à l’occasion de cette COP15. C’est l’ambition européenne que nous avons défendue, mais nous la soutenons aussi à l’échelon mondial : nous menons une coalition pour défendre ce haut niveau d’ambition environnementale et de biodiversité, notamment avec le Costa Rica et le Royaume-Uni – comme quoi, nous avons des domaines de coopération avec ce pays ! Ce sera l’une de nos priorités.
En ce qui concerne la question des prix de l’énergie, permettez-moi de répondre globalement, puisque cette préoccupation a été évoquée à de nombreuses reprises sur vos travées et puisqu’elle sera abordée au Conseil européen. Je veux être clair sur les origines du problème et les bons ou les mauvais remèdes, pour autant que l’on puisse les connaître.
Oui, il y a bien une politique climatique européenne, qui est relativement bien harmonisée : nos objectifs pour 2030 et pour 2050 sont désormais communs. Mais non, nous n’avons pas su construire dans le temps une véritable politique énergétique européenne, c’est un fait. Au demeurant, la chose est plus facile à dire qu’à faire, soyons honnêtes, puisque nos mix énergétiques sont des héritages historiques très ancrés.
D’un certain point de vue, on ne peut pas en blâmer certains États membres, comme la Pologne a beau jeu de nous le rappeler. Mais cela n’excuse pas tout. En l’occurrence, il est vrai que ce pays a en très grande partie hérité son mix énergétique extrêmement carboné, fondé sur le charbon, de la répartition des productions énergétiques au sein du bloc soviétique. Sa transition est forcément longue et coûteuse, et nous devons l’aider à la mener. Bref, les historiques énergétiques, si je puis le dire ainsi, créent des situations très diverses.
Cela ne veut pas dire que nos règles ne doivent pas changer. Il y a trois types de mesures à adopter.
Tout d’abord, soyons honnêtes et lucides, pour faire en sorte que le pouvoir d’achat de nos concitoyens les plus modestes ne soit pas dramatiquement amputé pendant l’hiver, nous devons prendre des mesures d’urgence de réglementation des prix.
Ce ne sont pas des mesures structurelles, nous le savons, mais elles sont impératives. Par ailleurs, pour répondre à la question relative aux mesures concernant les prix de l’énergie pour les entreprises et à des mesures supplémentaires en faveur des ménages, nous n’avons jamais exclu ces pistes. Nous suivons l’évolution des prix de l’énergie et, comme le Premier ministre l’a indiqué tout à fait explicitement, si des mesures complémentaires doivent être prises, nous serons amenés à les prendre.
La Commission européenne a rappelé cette semaine que des baisses de taxes ou la réglementation des prix étaient tout à fait possibles. Elle a rappelé, en quelque sorte, l’éventail des possibles à court terme.
Ensuite, nous disposons également d’un mode d’action de moyen terme, surtout je puis dire, avec le fonctionnement de notre marché unique. Pour l’instant, les prix de gros ne reflètent pas les avantages dont certains pays comme la France disposent, notamment de par le recours au nucléaire.
Quand on est très efficace et peu coûteux dans la production de son énergie, comme c’est le cas de nos énergéticiens nationaux, notamment d’EDF, et que les prix augmentent, cela ne se transfère pas spontanément au consommateur. On peut le regretter, tout comme on peut regretter le recours à des centrales plus polluantes, mais c’est un avantage industriel pour l’opérateur en question, notamment EDF, puisque lui produit peu cher, alors que le prix de vente est élevé.
Parler de rente serait excessif, mais c’est précisément ce surplus que nous utilisons pour bloquer les prix et rendre du pouvoir d’achat aux Français dans cette période. Il y a donc bien un avantage comparatif qui nous est conféré par le nucléaire sur le plan industriel. Et je ne voudrais pas que, en révisant les règles de formation des prix au niveau européen, ce qui est un chantier nécessaire, nous cassions ce mécanisme et, surtout, le marché unique de l’énergie avec un prix commun.
En effet, il s’agit d’un avantage industriel dans le temps long pour la France, parce que nous sommes globalement exportateurs d’énergie et bénéficions de cette interconnexion et de ce mécanisme le prix unique. Il faut donc différencier ce que l’on doit changer et ce que, à mon sens, on ne doit pas changer.
Enfin, la solution de long terme, c’est évidemment l’accélération de la transition énergétique. Le paradoxe, c’est que, pour que celle-ci s’accélère et que notre dépendance aux énergies fossiles se réduise, le signal-prix, c’est-à-dire le prix de l’énergie fossile, doit augmenter, mais nous devons accompagner socialement cette hausse, sinon cette transition sera insoutenable et ne se produira pas.
Pour répondre en particulier à la question de M. Fernique sur le nucléaire, sans pour autant espérer que nous trouvions un accord sur ce point ce soir, je crois qu’il faut assumer un double choix de souveraineté.
Oui, le nucléaire contribue aujourd’hui à un mix énergétique peu carboné. C’est une énergie de souveraineté, parce qu’elle est produite chez nous en Europe, en l’occurrence en France, et qu’elle n’est pas intermittente. Comme elle réunit ces trois critères, ce serait nous désavantager que de casser cet atout dont nous disposons.
Toutefois, nous devons aussi, de la même façon que nos prédécesseurs ont fait un choix courageux et de souveraineté dans les années 1970, en particulier sur le nucléaire, faire le même choix pour l’avenir, donc développer aussi les énergies renouvelables. Ce sont là les deux piliers d’une stratégie de souveraineté. Les énergies renouvelables sont des énergies de souveraineté, c’est évident. Ce sont des énergies propres, c’est évident également. Mais elles ne sont pas encore des énergies stables.
Ce sera peut-être le cas dans les décennies qui viennent. C’est pour cela qu’il faut miser sur l’innovation et sur leur déploiement – ce serait une erreur que de laisser à d’autres pays l’investissement d’avenir dans les énergies renouvelables –, mais nous devons mener les deux de front. Les deux piliers d’une stratégie énergétique de transition de souveraineté, ce sont le nucléaire et les renouvelables, en même temps – pardon de cette pirouette. (Sourires.)
Je vais répondre aussi à plusieurs questions qui portaient sur la Pologne. Nous pourrions avoir un long débat sur ce thème, mais je vais essayer d’être le plus bref possible. C’est une situation extrêmement préoccupante, et je ne veux pas laisser s’installer de la confusion, qu’elle soit délibérée ou non.
La décision du tribunal constitutionnel polonais sur la non-primauté du droit européen est très grave, parce qu’elle touche à des principes fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à l’article 1er du traité sur l’Union européenne, qui définit l’existence même de cette dernière – ce n’est pas un point de faible importance, il ne s’agit pas un dialogue technique entre juges – et elle risque d’avoir pour conséquence que, dans l’ordre juridictionnel polonais, il y ait des tribunaux qui appliquent la jurisprudence de l’Union européenne et d’autres qui ne l’appliquent pas.
C’est notre intérêt collectif qui est en jeu. Si l’on n’a pas la certitude qu’un même corpus de règles est appliqué dans l’Union européenne, qu’il s’agisse du travail détaché ou d’autres règles, nous serons pénalisés.
Je ne veux pas laisser faire d’assimilation à des décisions qui ont été prises par d’autres cours constitutionnelles ou d’autres cours suprêmes. On fait souvent une comparaison avec le tribunal allemand de Karlsruhe ou avec notre propre Conseil d’État. Cela n’a rien à voir !
Qu’il y ait un dialogue des juges, avec parfois des tensions entre eux, et qu’un juge national revendique la suprématie de la Constitution, c’est bien normal. Mais considérer que l’on ne doit pas prendre en compte, de manière systématique, les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, c’est-à-dire l’interprétation des normes qu’elle donne, et contester les articles fondamentaux du traité, c’est très différent.
Par ailleurs, quand on parle d’État de droit, ce qui est aussi inquiétant dans la décision polonaise, disons-le très franchement, c’est qu’elle a été rendue par une juridiction dont la composition même fait l’objet de contestations devant la Cour de justice de l’Union européenne et qui est à la main du pouvoir.
C’est cette double situation qui n’a aucun rapport avec ce que nous observons à Karlsruhe, au Palais-Royal ou dans d’autres endroits d’Europe. Ne croyons donc pas qu’il faut être conciliant avec cette décision polonaise pour garder une forme d’indépendance juridictionnelle, car ce n’est pas vrai.
Au contraire, on fragiliserait l’édifice européen qui nous protège. Je note d’ailleurs que la Pologne est heureuse de recourir à la Cour de justice de l’Union européenne pour contester le règlement sur la conditionnalité financière du respect de l’État de droit et des fonds européens, signe que cette cour est bien utile pour régler un certain nombre de nos différends.
Je serai plus rapide sur d’autres sujets. Les livraisons au mécanisme Covax accélèrent, même si elles ont pris du retard, et nous atteindrons l’objectif de plus de 100 millions de doses pour l’Union européenne dans son ensemble d’ici à la fin de l’année. Je rappelle que nous, Européens, sommes encore aujourd’hui le premier exportateur et le premier donateur mondial en matière de vaccins. On doit faire plus vite, parce que c’est notre intérêt sanitaire, en même temps que la solidarité la plus élémentaire, mais nous sommes d’ores et déjà plus généreux que nos amis américains ou britanniques.
La question de la pression migratoire a été évoquée également à plusieurs reprises. Là aussi, soyons justes et précis : cette situation n’a rien à voir avec celle que nous avons connue en 2015 et 2016. Nous ne sommes pas aujourd’hui face à une vague migratoire.
Après le pic de la crise de la covid, nous avons certes assisté à une reprise migratoire sur certaines routes, notamment sur celle de la Méditerranée centrale, qui passe par la Tunisie ou la Libye.
C’est un fait : l’Union européenne n’a toujours pas mis en œuvre une politique migratoire et d’asile qui soit complète. Je serai très honnête et nous aurons d’autres occasions de débattre de ce sujet, qui nous occupera encore un certain temps.
Le pacte sur la migration et l’asile présenté par la Commission européenne va dans le bon sens. Au sein d’un même ensemble de textes, il renforce les règles de responsabilité – contrôle des frontières extérieures, en particulier – et de solidarité. Je crois néanmoins que ses chances d’être adopté en l’état sont, disons-le, faibles.
Dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne, nous devons donc réfléchir, avec la Commission, à un pacte mieux ciblé, imaginer des règles qui renforceraient en particulier la protection de nos frontières extérieures, par la montée en puissance de Frontex, par des mécanismes d’enregistrement aux frontières ou encore de partage des bases de données. Il s’agira d’une étape importante.
Parallèlement, il convient de poursuivre, peut-être dans un cadre ad hoc dans un premier temps, les actions de solidarité européenne, comme celles qui sont menées, par la France et l’Allemagne principalement, à l’égard de l’Italie ou de Malte pour les sauvetages en Méditerranée. Nous devons vivre, pour l’heure, avec cette solution provisoire, le grand soir du pacte n’étant malheureusement pas venu.
Sans revenir sur nos débats, le plan de relance européen évoqué par M. le sénateur Joly, se déploie. Il est aujourd’hui comparable, en termes de montants, aux plans américains. En revanche, nous devons éviter de prendre du retard dans nos plans d’investissement pour l’avenir. Il n’existe pas, à l’échelle européenne, d’équivalent au plan France 2030 que le Président de la République a présenté il y a vingt-quatre heures. L’Europe ne s’est pas dotée d’une stratégie d’investissement à dix ans.
Vous m’avez interrogé sur les grands projets industriels à venir. L’hydrogène, l’industrie de la santé, le spatial, les microprocesseurs : nous en connaissons les thèmes. Si les initiatives européennes sont ciblées, sur les batteries par exemple, je le répète, il n’existe pas de stratégie d’investissement budgétaire et réglementaire européenne à dix ans, et c’est là où les Américains risquent de prendre de l’avance.
Le plan d’urgence et de relance européen est-il bien calibré ? Nous pouvons toujours imaginer plus, imaginer mieux. En tout état de cause, ce plan n’a rien à envier, dans son ampleur, à ce que font nos amis, et parfois concurrents, américains.
Puisque vous avez cité le texte, je le répète, la réforme des retraites ne figure pas dans les jalons que nous avons signalés à la Commission. Non pas que nous en aurions honte et voudrions la passer sous silence, mais parce qu’elle ne fait pas partie des réformes engagées et qui seraient, puisque, pardonnez-moi, tel est le mythe qui circule, une condition du versement des fonds européens. Cela n’est pas exact.
Il est exact, en revanche, que parmi les réformes mentionnées comme étant des réformes économiques importantes et contribuant à la relance, on trouve celle de l’assurance chômage. Nous l’avions lancée indépendamment du plan de relance européen. Nous l’assumons et nous l’inscrivons dans notre stratégie de relance. Ne confondons toutefois pas les sujets.
Pour résumer, les réformes que nous menons ne sont pas destinées à satisfaire Bruxelles. Nous les assumons, n’ayez aucun doute sur ce point.
Dans le débat, nombre d’interventions ont porté à juste titre sur les questions d’évasion et de fraude fiscales. Là encore, je vous propose de sérier les sujets.
Si le problème du dumping fiscal n’est pas réglé, une avancée très importante est à noter, et elle a d’ailleurs été saluée à plusieurs reprises : tous les pays européens, y compris l’Irlande, l’Estonie et la Hongrie, se sont finalement ralliés à l’accord de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Je précise, en réponse aux interrogations formulées précédemment, que le seuil de 15 % est un minimum et non un objectif. Je préférerais, moi aussi, que ce taux s’établisse à 25 %. Ce serait préférable pour la France, nous pouvons tous en convenir, puisque, de fait, le taux qui y est ou qui y sera appliqué se situe à 25 %. En termes de compétitivité fiscale, nous aurions donc plutôt intérêt à ce que l’ensemble des États adoptent notre seuil.
Quoi qu’il en soit, nous ne reverrons pas ce taux à la baisse et nous nous garderons de participer à une course vers le bas. Il eût été préférable, j’en conviens, d’obtenir un seuil plus élevé que 15 %. Néanmoins, en matière de taxation des multinationales, tous les pays – 136, me semble-t-il, en tout cas tous les pays de l’Union européenne, y compris ceux qui étaient très réticents et qui avaient fondé leur modèle sur une forme de compétitivité fiscale agressive – se rallient à cet accord, ce qui constitue, à la fois, une nouvelle étape et un pas très important.
Par ailleurs, la fraude fiscale claire et nette demeure. Des outils de pression européens existent. En la matière, il est difficile d’agir, dans la mesure où les décisions se prennent à l’unanimité et que la fiscalité reste, pour une large part, une compétence nationale. Néanmoins, des systèmes comme ceux des « passeports dorés », qui constituaient, dans des pays comme Malte ou Chypre, une forme d’optimisation fiscale, voire de fraude – soyons clairs – sont en cours de démantèlement, là aussi sous la pression européenne. Cela ne règle pas tout, mais il s’agit d’étapes importantes.
Monsieur le sénateur Gattolin, concernant nos intentions pendant la présidence française en matière d’accords commerciaux, notre position reste claire. Nous n’allons pas reprendre maintenant les discussions sur l’accord avec l’Australie ; ce serait incompréhensible.
La question de l’accord commercial entre l’Union européenne et la Chine est très différente. Une difficulté majeure a été soulevée au Parlement européen, dans la mesure où l’accord ne réunit pas à ce stade, là non plus, les conditions nécessaires à la reprise d’un processus de discussion ou de ratification.
Monsieur le sénateur, vous aviez raison de soulever la question des subventions étrangères. Nous espérons faire aboutir, sous présidence française, le texte proposé par la Commission. Il vise à écarter des marchés publics, en particulier, les entreprises qui seraient financées ou sponsorisées par leurs États. En effet, on ne peut tolérer, dans un marché unique ouvert, des armes non équitables, qui favorisent des acteurs venus de l’extérieur soutenus par leurs gouvernements.
Notre détermination est claire également en ce qui concerne les questions numériques. Madame Morin-Desailly, vous avez souligné l’importance des textes Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA). Je reprendrai, presque mot pour mot, nombre des recommandations que vous avez formulées.
La condition de leur succès est, j’insiste sur ce point, le principe du pays d’origine. En l’absence à ce stade d’un régulateur européen, si l’on souhaite que les plateformes soient régulées – si l’on veut par exemple qu’une grande plateforme célèbre retire une vidéo en ligne –, il faut que le régulateur français puisse en faire la demande et que la réponse soit immédiate. Si cela nécessite d’aller dans le pays d’origine – au hasard, l’Irlande – pour formuler une demande, nous aurons moins de chances d’obtenir une réponse, et encore moins une réponse positive.
C’est sur ce type de règles que nous mettons l’accent. Nous souhaitons soit qu’un régulateur national puisse intervenir indépendamment de ce principe du pays d’origine, soit que la décision émane de la Commission européenne. Nous sommes ainsi en train de définir toute une série de règles de responsabilité, qui valent également, madame Mélot, pour le cyberharcèlement, un sujet sur lequel nous essayons aussi de renforcer le texte européen.
Vous avez également raison sur un point – nous en avions parlé précédemment et nous appliquons d’ailleurs ce principe à l’occasion de la présidence française, en matière de stockage des données pour le site internet –, dès lors que l’on touche à des questions de souveraineté nationale ou à des sujets particulièrement sensibles, il faudrait que s’exerce une préférence européenne. Celle-ci existe déjà en matière spatiale ou dans un certain nombre d’industries essentielles, et le numérique en fait désormais partie, me semble-t-il. Nous n’y sommes pas encore, mais nous agissons en ce sens dans le cadre des discussions en cours sur ces textes.
Monsieur le président Laurent, vous avez soulevé plusieurs points. Je crois avoir dit un mot du Royaume-Uni. J’ai par ailleurs sans doute été trop rapide sur la question de la lutte contre l’évasion fiscale.
En ce qui concerne les critères budgétaires, je limiterai mon propos à quelques éléments essentiels.
Tout d’abord, et peut-être serons-nous en désaccord sur ce point, une union économique et monétaire nécessite des règles budgétaires. « Rebrancher » à la fin de 2022, c’est-à-dire lors de l’expiration de la période de suspension, les règles budgétaires antérieures à la crise de la covid, serait économiquement inadapté.
Il y a là une marge de manœuvre à dégager, même si je ne sais pas encore à ce stade comment procéder. L’assouplissement des seuils ou l’exclusion d’un certain nombre de dépenses d’investissement sont des pistes que nous étudions avec le ministère des finances et dont nous discuterons prochainement avec nos nouveaux partenaires allemands.
Le débat sera difficile, mais s’il nous faut adopter des règles budgétaires communes visant à la réduction de notre dette et de nos déficits, il nous faut aussi mettre en place une capacité européenne ou nationale d’investissement. Nous ne pouvons pas être le seul bloc économique qui n’investisse pas massivement, pour les dix ans à venir, dans la transition écologique ou dans la transition numérique, pour ne citer que ces deux grands thèmes.
Ce débat aura donc lieu au cours de l’année 2022. Peut-être sera-t-il engagé sous la présidence française. Il se poursuivra certainement au second semestre de 2022 et aboutira à l’application de règles adaptées.
En ce qui concerne les salariés des plateformes – c’est une question très importante –, nous sommes en attente d’un texte de la Commission européenne. Nous avons là un désaccord, non pas sur l’objectif, mais sur les modalités.
Au-delà des Uber ou autres marques bien connues que vous me pardonnerez de citer, il existe toute une série de plateformes numériques, souvent françaises, par exemple dans l’hôtellerie ou dans d’autres domaines, qui ne fonctionnent pas sur le même modèle. Les travaux menés au Sénat ont montré, me semble-t-il, que ce serait une erreur économique et même sociale, que de plaquer le modèle d’un statut 100 % salarié sur ces plateformes.
En revanche, nous devons œuvrer à l’adoption d’un texte européen qui, je l’espère, prendra la forme d’une directive proposée par la Commission d’ici à la fin de l’année et qui sera discutée sous présidence française.
L’objectif est d’établir, pour ces plateformes, un socle de droits qui n’existent pas aujourd’hui et qui seraient reconnus dans l’ensemble de l’Union européenne, en matière d’accidents du travail, de rémunération, de négociations salariales et de dialogue social. Plutôt que d’imposer à ces plateformes un statut tiers ou 100 % salarié, il me semble qu’il s’agit là de la meilleure façon de protéger efficacement ceux qui ont été en première ligne pendant la crise, pour livrer des repas, pour assurer un certain nombre de services et qui, parfois, aujourd’hui, connaissent des conditions sociales extrêmement difficiles.
J’aborde à présent le point très important du sponsoring ou, pour le dire en bon français, du mécénat, qui fait l’objet de nombreuses questions, qui suscite des confusions et sur lequel des clarifications s’imposent : nous exclurons le mécénat privé de la présidence française de l’Union européenne.
Je trouve franchement indécent que certains députés européens extraient de l’agenda de nos diplomates des rendez-vous professionnels avec les représentants de telle ou telle industrie – du secteur de l’énergie, par exemple – pour dénoncer un sponsoring imaginaire de la présidence française. Qu’il y ait des rendez-vous avec des entreprises et des fédérations professionnelles, comme il y en a avec des syndicats ou avec des organisations non gouvernementales diverses et variées, c’est bien normal !
Ces rendez-vous sont d’ailleurs publics. S’ils étaient dissimulés, nous pourrions le déplorer, mais ce n’est pas le cas : ces rendez-vous figurent à l’agenda de notre représentation permanente, de celui de tous les députés européens, quelle que soit leur sensibilité politique d’ailleurs, et de celui de la Commission européenne.
Ces rendez-vous n’ont rien à voir avec le financement de la présidence française de l’Union européenne. Ce dernier est assuré par un budget, voté par le Parlement dans le cadre du projet de lois de finances pour 2021 et du projet de loi de finances pour 2022, qui sera bientôt soumis à votre assemblée. Ce budget sera connu. Il sera intégralement financé par des fonds publics que vous aurez vous-mêmes à voter.
Pour être tout à fait transparent, et nous pourrons en débattre, nous nous autorisons deux exceptions, dans une logique environnementale.
La première exception est celle des véhicules que nous utiliserons pour la présidence française de l’Union européenne. Je souhaite que la présidence française puisse montrer des véhicules français, propres. Nous demandons donc aux constructeurs français, en toute transparence, de prêter – ou de louer, nous verrons – des véhicules français pour acheminer les délégations de sécurité ou les délégations ministérielles que nous accueillerons à cette occasion. C’est une démarche qui fait honneur à la France pendant cette présidence.
La seconde exception porte, à l’instar de ce qui a été fait pour le G7, sur la compensation carbone intégrale des émissions liées à la présidence française. Sur ce sujet, nous envisageons, en toute transparence, de faire appel à des énergéticiens français.
Ces deux seules exceptions me paraissent extrêmement limitées, raisonnables et justifiées. Il n’y aura pas de cadeaux, de la part de sponsors privés de la présidence, aux délégations, aux membres du Gouvernement ou aux parlementaires.
L’intégralité du budget de la présidence française est votée par le Parlement. Elle est inscrite dans les projets de lois de finances pour 2021 et, in fine, pour 2022. C’est clair, c’est précis, et je souhaite qu’il n’y ait plus de confusions à ce sujet. Je me tiens à votre disposition, si besoin était, pour vous communiquer plus de détails.
J’en viens à présent à la transparence des contrats de vaccins, que vous avez évoquée, me semble-t-il, monsieur le sénateur Cabanel. En la matière, des améliorations sont nécessaires. Les députés européens, en particulier, n’ont pu accéder qu’à des informations parcellaires. Le moment venu, sauf raisons industrielles impératives, le secret des contrats signés par la Commission doit être levé. Il n’y a rien à cacher, et je souhaite que l’on rassure tout le monde en faisant toute la transparence sur ces contrats.
La transparence, c’est bien, mais l’évaluation, c’est encore mieux, ou en tout cas les deux sont complémentaires. Il est donc souhaitable de mettre en place une mission d’évaluation indépendante, transparente et publique, qui pourrait être menée par la Cour des comptes européenne et qui dise ce qu’est un bon contrat.
Si l’on peut mettre sur la table un beau contrat de mille pages en invitant chacun à en prendre connaissance – il est important de faire appel à cette vigilance et à cette intelligence collectives –, il faut aussi une évaluation qui soit soumise à nos parlements et à nos gouvernements. Au regard des autres pratiques internationales, elle s’assurerait du caractère équilibré du contrat, se prononcerait sur les conditions saines de la négociation, sur le niveau des tarifs, etc.
L’Europe n’aura pas à rougir de ce qu’elle a fait sur la question des vaccins et des contrats, me semble-t-il. Mais pour dissiper tout doute et tout fantasme, mettons en œuvre cette transparence et allons plus loin encore en demandant cette évaluation.
Monsieur le sénateur Lurel, vous avez évoqué plusieurs sujets liés au cas polonais, je n’y reviens pas, mais aussi aux questions de défense.
Ma conviction est que la défense européenne avance assez rapidement. Je ne veux pas paraître naïf ou excessivement optimiste, mais considérez le déblocage intellectuel et concret auquel nous assistons : fonds européen de défense, projet industriel militaire franco-allemand, initiative européenne d’intervention, participation d’une dizaine de pays européens, bientôt rejoints par d’autres dans les prochaines semaines, à la task force Takuba au Sahel – une opération dans laquelle la France a longtemps considéré, à juste titre, qu’elle était trop seule – sont autant d’éléments de défense et de sécurité européenne.
Pour avancer encore sur ces sujets, il nous faut abandonner, vous l’avez dit, le langage des concepts et des doctrines dont la France est parfois coutumière. Nous sommes capables de consacrer de longs sommets européens à répétition à la question de savoir si notre objectif est l’autonomie stratégique, la stratégie autonome ou la souveraineté européenne, etc. Mais, pendant ce temps, nous n’avançons pas sur les actions concrètes, alors qu’il existe, pour ces éléments tangibles, un appétit plus grand qu’on ne pense.
Rendez-vous dans un pays balte et tentez de poser la question en ces termes : « Êtes-vous pour la défense européenne et pour l’autonomie stratégique ? », vous provoquerez des hurlements dans la salle. Reformulez à présent votre question de la façon suivante : « Êtes-vous d’accord pour participer avec nous à une opération commune au Sahel qui n’entre pas dans le cadre de l’OTAN ? » – c’est le cas de l’Estonie, d’ailleurs –, et la réponse sera positive. Nous-mêmes à l’inverse sommes présents, dans le cadre de l’OTAN cette fois, sur le sol de l’Estonie ou de la Lituanie pour protéger ces pays ou leur donner un signal de soutien face aux menaces du grand voisin russe.
Ne perdons pas trop de temps à accoler à ces éléments concrets de défense européenne une étiquette ou un label trop précis à court terme. Soyons plus pragmatiques. C’est ainsi, me semble-t-il, que nous débloquerons un certain nombre de sensibilités sur ce sujet. Comme l’a annoncé la présidente de la Commission européenne après concertation avec la France, un sommet sera consacré aux questions de défense sous la présidence française.
Je confirme au sénateur Pellevat, même s’il n’est plus présent parmi nous, que nous devrons améliorer cet hiver la coordination transfrontalière entre les stations de ski, ainsi que pour d’autres activités.
En la matière, nous sommes dans une meilleure position que l’an dernier. À chaque vague de l’épidémie, nous sommes un peu moins pris au dépourvu, et les tensions entre pays ou entre zones frontalières sont moins grandes. D’ailleurs, nous avions réussi cet hiver, non avec tous, mais avec la majorité des pays frontaliers ou des pays grands pourvoyeurs de sports d’hiver, à coordonner nos pratiques et à fermer et à rouvrir nos stations à peu près au même moment.
Nous avons depuis lors développé en Europe, au travers du passe sanitaire, dont nous verrons jusqu’où ira l’usage, un outil commun de gestion de la circulation des personnes à l’échelle de l’Union. Ce n’est pas si mal, quand on pense que les États-Unis n’ont même pas mis en place de passe sanitaire entre leurs États.
La question du télétravail, qui concerne beaucoup les frontaliers, est traitée aujourd’hui pays par pays. Nous tiendrons la semaine prochaine avec le Luxembourg une conférence intergouvernementale où cette question figura à l’ordre du jour.
Nous avons prolongé, en accord avec le ministère des finances, la dérogation sur le nombre de jours de télétravail autorisés jusqu’à la fin de l’année 2021 et nous travaillons à un régime pérenne, qui pourra offrir un peu plus de souplesse et peut-être un nombre de jours plus élevé, après le début de l’année 2022.
En ce qui concerne la question ukrainienne et pour répondre brièvement à la sénatrice Goulet, qui a dû nous quitter elle aussi, je ne veux renvoyer personne dos à dos ni savoir qui a tort ou raison.
Le format Normandie, qui réunit l’Ukraine et la Russie sous l’égide de la France et de l’Allemagne, a été relancé par le Président de la République il y a un peu plus d’un an. Il a permis des avancées.
Si des manquements ont été constatés des deux côtés, ils ne remettent pas en cause, Mme Goulet l’a rappelé, le fait générateur, qui est non pas de l’Ukraine, mais de la Russie. Les responsabilités doivent être rétablies. Nous devons néanmoins demander à chacun de respecter les engagements pris. Il est vrai aussi, j’en conviens volontiers, que des progrès restent à faire du côté ukrainien.
En matière d’énergie, Mme Gruny, qui a dû partir elle aussi compte tenu de l’heure avancée, a soulevé tout à l’heure un point important, celui de l’extension des mécanismes ETS, qui désignent en langage européen les quotas d’émission de dioxyde de carbone.
Nous devons faire preuve d’une grande vigilance sur le plan social. Nous ne pouvons pas étendre ce mécanisme de tarification au secteur du transport routier, c’est-à-dire concrètement aux automobiles individuelles, ainsi qu’au secteur du logement, sans un accompagnement social préalable. À défaut, nous créerions les conditions d’une nouvelle crise sociale. Nous avons vécu de tels événements dans notre pays, donc soyons lucides.
La Commission européenne propose un fonds social, afin d’accompagner la hausse du coût de l’énergie et de la compenser pour les ménages modestes.
Il convient de veiller à ce que ce mécanisme ne soit pas si complexe que ses effets ne se fassent sentir que deux ou trois ans après la bataille, auquel cas nous ne pourrions plus parler d’accompagnement social préalable. Nous serons donc très vigilants dans la négociation de ce paquet législatif Fit for 55, pour faire en sorte que ce fonds social soit la condition véritablement préalable, dans son fonctionnement, à toute extension d’un système de tarification du carbone.
S’agissant des objectifs des COP – la COP15 sur la biodiversité et la COP26 sur les suites de l’accord de Paris et sur le changement climatique –, un certain nombre de règles techniques restent à préciser, de même que les engagements financiers, notamment les 100 milliards d’euros par an, qui ne sont pas encore atteints. L’Union européenne doit mettre la pression sur ses partenaires pour y parvenir.
Il y a plus important encore – je l’évoquais dans mon intervention liminaire –, c’est la question du rehaussement des contributions déterminées au niveau national (NDC). En ce qui concerne l’Europe, dont la contribution est unique, nous avons fait ce travail. Néanmoins, seuls 55 % des pays responsables des émissions de gaz à effet de serre, me semble-t-il, ont rehaussé ou a minima actualisé leur contribution.
Notre combat, dans la perspective de la conférence de Glasgow, est donc de faire en sorte que le plus de pays possible augmentent leur contribution, avant la conférence ou, à défaut, peu après. En effet, nous nous sommes écartés de la trajectoire souhaitée à Paris, à savoir une augmentation maximale de 1,5 degré de la température mondiale. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a annoncé cet été une augmentation prévisible de 2,7 degrés. Nous sommes donc très loin du compte.
Les financements représentent des modalités d’accompagnement, mais le vrai sujet, c’est que chaque pays commence par rehausser ses engagements et ensuite les traduise en actes concrets. C’est ce que nous faisons grâce à ces législations européennes que j’évoquais et qui doivent être équilibrées entre le rythme exigé par la transition et l’accompagnement social nécessaire.
En résumé, des efforts sont certes à mener en matière d’adaptation des dispositifs, ainsi que de financements, mais nous devons surtout viser, dans les quelques jours qui nous séparent du début de la COP et sans doute au-delà, puisque je doute que l’ensemble des États parties auront fait cet effort de rehaussement d’ici à la fin du mois de d’octobre, l’augmentation des contributions déterminées nationalement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi d’avoir été trop long. Puissé-je ne pas avoir oublié trop de questions parmi celles qui m’ont été posées.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, les débats s’étant prolongés, je n’utiliserai pas comme à l’habitude les cinq minutes qui sont à ma disposition.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir répondu assez précisément à toutes les questions. Au risque d’être redondant, je reviendrai brièvement sur l’important sujet de la pêche, que vous-même et M. Laurent avez abordé.
J’ai pu échanger hier avec l’ambassadrice du Royaume-Uni. Comme vous, je lui ai glissé à l’oreille qu’il était gênant que nos pêcheurs subissent finalement des frasques politiques. Les Anglais nous répondent qu’il n’en est rien et qu’il s’agit de questions techniques. Nous avons là un vrai sujet de discorde. Ce n’est pas le seul, d’ailleurs, que nous ayons avec les Britanniques, et il faudra bien que nous puissions les traiter, car ce sont nos voisins les plus proches.
Par ailleurs, nous nous réjouissons de l’accord trouvé à l’OCDE sur la fiscalité des multinationales. Au-delà de cette avancée, il faudra refaire un point précis, à l’occasion d’une prochaine audition, sur la question déterminante des ressources propres de l’Union européenne.
L’emprunt est lancé, et il va falloir commencer à penser à le rembourser… Ne laissons pas la dette s’installer en Europe, comme nous ne le faisons que trop dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 14 octobre 2021 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe GEST)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai (texte de la commission n° 22, 2021-2022) ;
Proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (texte n° 813, 2020-2021).
De seize heures à vingt heures :
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
Proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 26, 2021-2022) ;
Proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l’épidémie de covid-19, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues (texte n° 383, 2020-2021).
À l’issue de l’espace réservé du groupe RDSE :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs (texte de la commission n° 4, 2021-2022).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 14 octobre 2021, à zéro heure cinquante-cinq.)
nomination de membres de commissions
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean-Pierre Bansard est proclamé membre de la commission des affaires étrangères.
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Catherine Dumas est proclamée membre de la commission affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des finances.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Thierry Meignen est proclamé membre de la commission des finances.
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Nadine Bellurot est proclamée membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
nomination de membres de commissions mixtes paritaires
La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale pour faire partie des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et du projet de loi organique pour la confiance dans l’institution judiciaire a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires sont :
Titulaires : M. François-Noël Buffet, Mme Agnès Canayer, M. Philippe Bonnecarrère, Mmes Catherine Belrhiti, Marie-Pierre de La Gontrie, Laurence Harribey et M. Thani Mohamed Soilihi ;
Suppléants : Mme Catherine Di Folco, M. Stéphane Le Rudulier, Mmes Françoise Dumont, Dominique Vérien, M. Jérôme Durain, Mmes Maryse Carrère et Cécile Cukierman.
La liste des candidats désignés par la commission des affaires économiques pour faire partie des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires sont :
Titulaires : Mmes Sophie Primas, Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, M. Jean-Paul Prince, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Jean-Claude Tissot et Bernard Buis ;
Suppléants : MM. Laurent Duplomb, Daniel Gremillet, Laurent Somon, Mme Annick Jacquemet, MM. Franck Montaugé, Éric Gold et Fabien Gay.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER