M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, prendre en compte la douleur d’une famille en lui permettant de faire son deuil, tel est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier que nous examinons aujourd’hui.
C’est un objet pleinement légitime et important, qui a d’ailleurs justifié plusieurs évolutions du droit applicable aux situations d’enfants sans vie afin de mieux accompagner le deuil des parents.
Ainsi, depuis 2008, et à la suite d’arrêts de la Cour de cassation, l’acte d’enfant sans vie est établi sur production d’un certificat attestant de l’accouchement de la mère, sans condition de seuil de viabilité du fœtus.
Surtout, aux termes d’une circulaire du 19 juin 2009, il est possible de donner à cet enfant un prénom. Toutefois, il ne peut lui être donné de nom de famille ni lui être reconnu de filiation, ces deux éléments constituant des attributs de la personnalité juridique qui résulte elle-même du fait d’être né vivant et viable.
Cela a été dit, la proposition de loi vise à aller plus loin que le droit en vigueur, en permettant aux parents de donner un nom à l’enfant dans l’acte d’enfant sans vie.
Comme en témoignent les réactions d’une partie de la doctrine aux arrêts de 2008, mais également les précautions prises par l’auteure, puis par Mme la rapporteure, tout l’enjeu consiste à trouver un équilibre entre les principes juridiques, notamment ceux qui sont relatifs à la personnalité juridique de l’enfant.
À cet égard, l’auteure de la proposition de loi précise, dans l’exposé des motifs, que le seul effet recherché est la modification de l’état civil de l’enfant et qu’il ne s’agit pas d’accorder de droits supplémentaires.
Dans l’objectif de lever les incertitudes qui subsistaient, la commission des lois, sur l’initiative de Mme la rapporteure, Marie Mercier, a réécrit l’article unique afin d’y mentionner expressément que « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ».
Cette démarche bienvenue de Mme la rapporteure tendait à rechercher un équilibre entre l’objectif de la proposition de loi et la nécessité de ne pas induire d’effets de bord et de ne pas remettre en cause les principes du droit civil concernant la personnalité juridique.
Certes, la nouvelle écriture de l’article unique vise à aller au bout du processus d’identification de l’enfant sans vie dans la continuité des évolutions antérieures, pour mieux inscrire celui-ci dans l’histoire familiale.
Toutefois, nous nous interrogeons sur la portée de la mention générale et indéterminée d’un « nom », ainsi que de la précision selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique » : est-elle suffisante pour éviter les effets de bord, comme entend utilement le faire Mme la rapporteure ?
L’objectif de cette proposition de loi, à savoir accompagner les parents d’enfant sans vie dans leur deuil, est bien sûr partagé par les membres du groupe RDPI.
Le rôle de l’État est bel et bien, ici, de soutenir et de mieux accompagner les familles, en simplifiant les démarches administratives et en facilitant l’accès à un suivi psychologique pour celles qui sont confrontées au deuil d’un enfant.
C’est d’ailleurs le sens de l’annonce faite par Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, et Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, du lancement d’un plan d’action en la matière ; le groupe RDPI y sera particulièrement attentif.
L’importance du sujet et la souffrance des familles qui sont confrontées à de telles situations impliquent de dépasser le champ exclusivement symbolique, même s’il est aussi nécessaire.
Pour toutes ces raisons, et saluant les objectifs de ce texte, ainsi que la recherche d’équilibre par Mme la rapporteure, les membres présents du groupe RDPI voteront cette proposition de loi, même si certaines interrogations subsistent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger et Mme le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, certains sujets sont lourds à traiter autant qu’ils sont nécessaires. Nous modifions quelques mots dans une loi et, derrière eux, se trouvent des situations familiales tragiques. Ainsi, certains parents sont confrontés au décès de leur enfant avant que sa naissance n’ait été déclarée.
Derrière la mort d’un enfant, nous découvrons alors un tabou de notre langage qui ne sait pas nommer la situation de ces parents dont les enfants décèdent, tout simplement parce qu’elle est inacceptable et que devoir faire le deuil d’un enfant est toujours une injustice.
C’est pourquoi toute mesure susceptible d’accompagner les parents dans ce drame doit être envisagée. Je salue donc le travail engagé tant par l’auteure de cette proposition de loi, notre collègue Anne-Catherine Loisier, que par notre rapporteure, Marie Mercier.
L’élaboration de ce texte suit jusqu’à présent un cheminement exemplaire.
D’abord, il s’agit d’une bonne initiative. Cela fait déjà plusieurs années que la difficulté a été soulevée. Je pense aux débats qui ont eu lieu à la fin des années 2000, sous l’impulsion du Médiateur de la République, desquels sont ressorties différentes jurisprudences, ainsi qu’une série de décrets, débouchant notamment sur la reconnaissance du droit à un congé de paternité, ainsi que sur une simplification du statut de l’enfant né sans vie. Le Sénat avait d’ailleurs participé à ce mouvement, en publiant à ce sujet une étude de législation comparée, laquelle est encore à ce jour particulièrement éclairante.
Plus de dix ans après, cette nouvelle proposition permettrait donc d’inscrire expressément dans la loi que l’acte d’enfant sans vie établi par l’officier d’état civil comportera non seulement le prénom de l’enfant, mais également son nom. Je veux vraiment saluer cette mesure en ce qu’elle poursuit l’objectif de renforcer encore davantage l’individualisation de l’enfant en vue d’aider les parents dans leur deuil.
Ensuite, les ajustements faits par la commission des lois sont d’autant plus bienvenus qu’ils sont respectueux des intentions initiales de l’auteure du texte. Ainsi, sur l’initiative de notre rapporteure, Marie Mercier, un amendement a été adopté : il vise notamment à préciser que le choix demeure laissé aux parents de donner ou non un ou des prénoms et un nom à leur enfant sans vie, sans que cela soit une mention obligatoire. Toujours dans un esprit de liberté, le nom choisi pourra être celui du père ou de la mère ou les deux accolés.
Il faut saluer cette modification qui permet à cette disposition de répondre parfaitement à son objectif, en offrant une liberté aux parents sans qu’ils ne soient jamais contraints. Chacun fait son deuil suivant un cheminement singulier et il nous incombe de le respecter.
Ces modifications soulèvent néanmoins certaines interrogations : fallait-il par exemple parler de père et de mère ou utiliser plutôt le terme de parents, plus générique, donc plus à même de saisir chaque situation familiale ?
Cette réserve n’enlevant rien à l’intérêt de cette proposition, le groupe du RDSE se prononcera, à l’unanimité, en sa faveur. (Mme Annick Billon et Mme le rapporteur applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie sincèrement Anne-Catherine Loisier, auteure de cette proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie. C’est un sujet hautement sensible, à forte valeur humaniste, comme elle l’a rappelé dans son intervention liminaire.
Je salue également le travail de la commission des lois, qui a fait évoluer la rédaction du texte. Le volet humain a été privilégié grâce à un travail de qualité mené en concertation avec les familles, durement éprouvées, des juristes et de nombreux autres intervenants.
La commission, qui nous a également fourni un utile document de synthèse, a estimé qu’il convenait de compléter la reconnaissance mémorielle de l’enfant né sans vie, en accordant aux parents le droit de lui donner un nom et en inscrivant dans le code civil la possibilité, déjà ouverte en pratique, de lui donner un prénom. Elle a ainsi adopté cette proposition de loi, tout en modifiant la rédaction de son article unique.
L’acte d’enfant sans vie accompagne le deuil des parents par l’inscription mémorielle à l’état civil. Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué des chiffres qui nous interpellent : 740 000 naissances sont enregistrées dans nos communes par les officiers d’état civil, auxquelles viennent s’ajouter 8 747 actes d’enfants sans vie – ce chiffre doit nous rappeler la profonde épreuve vécue par les parents et familles concernés.
Depuis la loi du 8 janvier 1993, lorsque l’enfant n’est malheureusement pas né vivant ou viable, les parents peuvent demander l’établissement d’un acte d’enfant sans vie qui est inscrit dans le registre des décès. Deux décrets du 20 août 2008 et une circulaire du 19 juin 2009 ont complété le dispositif pour reconnaître aux parents le droit de pouvoir choisir un ou des prénoms pour leur enfant sans vie.
Jusque-là, le lien de filiation n’est pas reconnu faute de personnalité juridique. Cette proposition de loi vise à compléter la reconnaissance symbolique de l’enfant, en lui accordant un nom, tout en limitant la portée de cette attribution au seul acte d’enfant sans vie.
La commission des lois est intervenue pour sécuriser le caractère purement symbolique de l’inscription du nom. Il s’agit avant tout d’identifier et reconnaître l’enfant mort-né ou non viable pour l’inscrire dans l’histoire de la famille – le volet mémorial est ici fondamental – et de matérialiser le lien de filiation du père, qui n’a pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère.
Compte tenu de la qualité de cette proposition de loi, qui recueille un consensus et a le mérite d’aider des parents et familles durement éprouvés, le groupe Les Républicains soutiendra avec force et conviction ce texte aux fortes valeurs humanistes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bernard Bonne et Mme le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie
Article additionnel avant l’article unique
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mmes de La Gontrie et Meunier, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur la protection sociale auxquels des parents d’enfants nés sans vie, tels que le congé maternité et le congé paternité, les arrêts de travail, l’allocation forfaitaire versée en cas de décès d’un enfant, la prime à la naissance ou encore le nombre de parts reconnus lors de la déclaration de revenus. Ce rapport devra également informer des mesures mises en place en faveur de l’accompagnement des parents.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’ai présenté cet amendement dans mon intervention en discussion générale. Je laisse maintenant le Sénat l’approuver…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Sans surprise, puisqu’il s’agit d’une demande de rapport, l’avis est défavorable, d’autant que nous avons d’autres moyens de contrôle.
Cependant, j’entends bien la demande qui est faite. En effet, nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment d’homogénéité dans la mise en œuvre des dispositifs, bien que les droits sociaux existent. Je laisse M. le garde des sceaux vous répondre sur ce point.
Sur la question de la prise en charge des funérailles, la situation n’est pas identique d’une commune à l’autre. Là encore, il y a des choses à faire.
Je tiens à le dire : quoi que l’on fasse, les mots « enfant sans vie » ne vont pas bien ensemble. Les familles qui le désirent doivent pouvoir être accompagnées sur ce chemin douloureux. L’intérêt de la proposition de loi, et j’en remercie encore Anne-Catherine Loisier, c’est qu’elle nous a permis de débattre de ce sujet. Malheureusement, dans ces situations, le silence est le linceul des tout-petits. Les familles doivent être aidées.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice de La Gontrie, vous le savez, il n’est pas de texte sur lequel le Gouvernement n’est pas saisi d’une telle demande.
Vous exercez un droit de contrôle, bien légitime, du travail de l’exécutif ; il résulte des dispositions de l’article 24 de la Constitution. Cela nous paraît amplement suffisant.
Par ailleurs, si vous souhaitez que la liste des droits vous soit communiquée, nous la tenons évidemment à votre disposition.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote.
Mme Anne-Catherine Loisier. Je comprends la démarche de Mme de La Gontrie, parce que j’ai pu, dans le cadre de mes échanges avec les acteurs qui suivent ce type de situations, mesurer combien l’information – cela a été dit – circule mal et combien elle est hétérogène sur l’ensemble du territoire.
Il est important, monsieur le garde des sceaux, qu’un effort supplémentaire soit fait pour que l’information soit diffusée dans tous les services, auprès de l’ensemble des agents, notamment de l’État et des collectivités locales, qui sont confrontés à des situations souvent difficiles pour eux-mêmes.
Même si je comprends la position, que je vais suivre, de Mme la rapporteure, je voudrais insister sur la nécessité de collecter les informations et de suivre la manière dont l’accompagnement est fait sur le terrain.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article unique
Après la deuxième phrase du second alinéa de l’article 79-1 du code civil, sont insérées deux phrases ainsi rédigées : « Peuvent également y figurer, à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant, ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 2 rectifié est présenté par Mmes de La Gontrie et Meunier, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces amendements sont ainsi libellés :
I. – Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – À la deuxième phrase du second alinéa de l’article 79-1 du code civil, les mots : « des père et mère » sont remplacés par les mots : « du ou des parents ».
II. – Remplacer les mots :
des père et mère
par les mots :
du ou des parents
et les mots :
du père, soit le nom de la mère
par les mots :
du parent, de l’un des parents
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié.
Mme Esther Benbassa. « De son père ou de sa mère », « des père et mère » : comme cela a été souligné lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, notre droit, du code civil au code de la santé publique, tend souvent à ignorer la diversité des modèles familiaux. Les nombreuses occurrences de ces termes genrés ne correspondent plus à l’image de notre société.
Mes chers collègues, si le modèle unique de la famille constituée d’un père et d’une mère est certes toujours fortement majoritaire, il n’en est pas moins vrai que les modèles de familles évoluent et que le droit ne saurait les exclure.
Les familles homoparentales existent. Pour cette raison, elles méritent d’être « validées » dans nos textes juridiques. Je l’ai dit lors de la discussion générale, il s’agit d’un texte qui touche à l’affect et à l’humain. Cette proposition de loi vise, au-delà de la cohérence des normes, à apporter un peu de paix, là où apparaît de la douleur. N’invisibilisons pas une partie des familles de France, n’invisibilisons pas leurs souffrances !
Concevons la nouvelle possibilité que nous offrons aux parents d’enfants nés sans vie de manière inclusive, pour y intégrer les familles homoparentales. Englobons tous les types de familles qui existent dans notre société, afin de leur donner non seulement une existence juridique tangible, mais également une légitimité sociale non négligeable.
C’est l’objet de cet amendement qui vise à remplacer les termes de père et mère par la notion plus neutre de parents.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié.
Mme Michelle Meunier. Cet amendement est identique à celui qui vient d’être présenté. Comme Mme de La Gontrie l’a dit lors de la discussion générale, il convient de tirer les conséquences des évolutions législatives récentes et de tenir compte de la diversité familiale.
Cet amendement traduit une volonté d’égalité sociale entre toutes les formes de famille et de respect des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination devant le service public.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Mes chers collègues, vous le savez, je suis moi aussi très sensibilisée aux évolutions sociétales et je me suis tout de suite posé la question du remplacement des termes « père » et « mère » par le mot « parent ». Finalement, j’ai préféré maintenir sur ce point la rédaction actuelle de l’article 79-1 du code civil.
Pour les parents, cette douleur sans fin, profonde, intime, est une douleur qui, de toute façon, durera toujours et ne s’effacera jamais tout au long des années. C’est davantage cette question qui est en jeu ici.
Je rappelle que la procréation médicalement assistée (PMA) n’est pas encore autorisée en France pour les couples de femmes. Surtout, ce n’est pas notre débat du jour ; aujourd’hui, il s’agit d’accompagner le deuil périnatal.
Le projet de loi relatif à la bioéthique est encore en discussion ; il est inscrit à notre ordre du jour pour le 24 juin prochain. Il comprend, à son article 31, une disposition permettant une mise en cohérence du code civil par ordonnances, une fois que la loi sera adoptée – l’article 79-1 pourra donc être réécrit à cette occasion.
C’est pourquoi je vous propose de nous en tenir aux jolis mots de père et mère.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, je suis comme vous sensible et profondément attaché à l’égalité entre les familles, qu’elles soient homoparentales, hétéroparentales ou monoparentales.
Le code civil fait de très nombreuses mentions aux pères et aux mères, sans que cela pose de problème particulier. Vous vous souvenez sans doute qu’au moment de l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, le législateur avait envisagé de remplacer les mots « père » et « mère » par celui de « parents ». Néanmoins, comme la notion de parentalité est plus extensive, il y avait finalement renoncé.
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs tranché cette question le 17 mai 2013, en jugeant que les termes de « père » et « mère » ne posaient pas problème, dès lors que l’égalité entre tous les enfants était proclamée à l’article 6-1 du code civil.
Par ailleurs, dès que la loi relative à la bioéthique sera votée et promulguée, les dispositions réglementaires seront adaptées afin de reproduire pour les enfants nés sans vie dans des couples de femmes ce que cette proposition de loi permettra, si elle est adoptée. Il sera dès lors possible d’établir un acte d’enfant sans vie avec les deux mères et de le mentionner sur le livret de famille.
En l’état, je suis défavorable à ces amendements pour les raisons que je viens d’expliciter.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’imagine donc que le Sénat va rejeter cette demande et qu’encore une fois, il va faire une distinction, défavorable aux secondes, entre les familles hétéroparentales et les familles homoparentales, avec des prétextes que je n’ai d’ailleurs absolument pas compris. Vous nous dites qu’il y aura bientôt une loi sur la PMA pour toutes, mais ce n’est pas le sujet !
Mme Esther Benbassa. Exactement !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous parlons de parents qui forment des familles de toutes configurations.
Pour notre part, comme je l’ai dit en commission, si le Sénat refusait cette modification, ce serait la confirmation qu’il considère que les familles homoparentales n’ont pas droit à la même considération que les familles hétéroparentales et que leur deuil n’est pas le même. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme le rapporteur et des sénateurs du groupe UC protestent.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je rejoins la position de Mme de La Gontrie sur ces amendements.
Madame la rapporteure, pardonnez-moi, mais la loi relative à la bioéthique qui – je l’espère – ouvrira la PMA à toutes n’a rien à voir avec le contenu de ces amendements, qui ont un champ beaucoup plus large : M. le garde des sceaux l’a évoqué, toutes les familles sont concernées, qu’elles soient monoparentales, homoparentales ou hétéroparentales. Je ne comprends donc pas votre position.
Je m’adresse à ceux qui ont rédigé cette proposition de loi : puisque ce texte – cela a été dit – a une portée plus symbolique que juridique, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout du symbole, en utilisant le mot « parents » à la place de « père et mère » ?
Je voterai donc ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je réfléchis à votre propos, madame la rapporteure. Vous avez évoqué le fait que les mots de père et mère étaient « jolis », mais, dans un couple homosexuel, il y a deux pères ou deux mères… Ces mots ne disparaîtraient pas, si l’on utilisait le terme « parents » dans le code civil. Je ne vois pas ce que votre réponse a à voir avec cette proposition de loi.
Vous êtes pour les « jolis » mots, mais des couples qui ne sont pas hétérosexuels voudraient simplement exister. Le Sénat va rejeter ces amendements pour des raisons que, moi non plus, je ne comprends pas, et il laisse une partie de la société en dehors des textes. Il faudrait tout de même répondre à cet argument. (Mme le rapporteur et M. le garde des sceaux protestent.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je le dis très simplement à Mme de La Gontrie, je n’accepte pas de subir l’anathème qu’elle vient de jeter sur chacun ou chacune d’entre nous, et sur le Sénat en général.
Je n’accepte pas de l’entendre dire que nous aurions une appréciation différente de la douleur selon la situation familiale.
Madame, je ne l’accepte pas et je peux vous dire que je suis profondément choqué à titre personnel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Réfléchissez !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je ne vous demande pas de commenter mon propos, je vous explique simplement que je n’accepte pas ce que vous dites.
Je fais mien, s’il en est d’accord, l’argumentaire du garde des sceaux qui me paraît, d’un point de vue juridique, parfaitement clair et précis. Il a notamment indiqué que, dans le projet de loi relatif à la bioéthique…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela n’a rien à voir !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. … qui va être voté – ne trompons personne, nous savons tous qu’il le sera ! –, une disposition spécifique réglera le problème pour l’ensemble de nos codes et textes.
Madame, je le redis, votre propos n’est absolument pas acceptable.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote.
Mme Anne-Catherine Loisier. J’entends les problèmes soulevés par mes collègues, et je les en remercie, car cela permet de clarifier la situation : M. le garde des sceaux et M. le président de la commission des lois viennent de le dire, il n’y a pas de traitement différencié, même en préservant l’appellation « père et mère », et une uniformisation du droit aura lieu, si nécessaire, à l’issue de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique.
Mme Annick Billon. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié et 2 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie.
(La proposition de loi est adoptée à l’unanimité.) – (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Maryse Carrère et Vanina Paoli-Gagin ainsi que M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)