Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Jean-Claude Tissot.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
décalage entre le climat politique et la gravité de la crise sociale
Mme Éliane Assassi ; M. Jean Castex, Premier ministre.
détournement d’un avion en biélorussie
M. André Gattolin ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
suites de la manifestation des policiers
M. David Assouline ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. David Assouline.
moyens aériens de la sécurité civile
M. André Guiol ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.
orientations de la future politique agricole commune
M. Joël Labbé ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
renforcement de la résilience de la france face aux cyberattaques
Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
lutte contre les rodéos urbains
M. Hugues Saury ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
erreur dans le calcul des prestations de retraite
M. Stéphane Demilly ; Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargée de l’insertion.
impact économique de la crise sanitaire sur les plus précaires
M. Bruno Rojouan ; Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
M. Bernard Jomier ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Bernard Jomier.
Mme Valérie Boyer ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Valérie Boyer.
suivi des auteurs de crimes et délits déclarés pénalement irresponsables
Mme Nathalie Goulet ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Nathalie Goulet.
M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; M. Jean-Raymond Hugonet.
Mme Laurence Rossignol ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Muller-Bronn ; M. Jean Castex, Premier ministre.
vente de données de santé des français
Mme Christine Herzog ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Stéphane Ravier ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
3. Solidarité dans la crise. – Discussion et retrait d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la proposition de loi
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Rejet, par scrutin public n° 125, de l’article.
Retrait de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
4. Élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 1 de M. Franck Montaugé. – Rejet.
Article additionnel avant l’article 4
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Henri Cabanel. – Rejet.
Amendement n° 2 de M. Franck Montaugé. – Rejet.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques
Rejet, par scrutin public n° 126, de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun d’entre vous sera attentif à observer au cours de nos échanges les valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, ainsi que du temps de parole.
décalage entre le climat politique et la gravité de la crise sociale
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce quinquennat, qui devait révolutionner la politique, s’abîme, semaine après semaine, dans des débats hystérisés pour faire oublier le fondement des injustices : des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus pauvres.
En dix ans, le patrimoine des milliardaires a augmenté de 439 % dans notre pays. À ce rythme, le SMIC serait à 4 805 euros par mois ! Le nombre de pauvres explose, ils sont plus de 10 millions en France. La précarité fait des ravages, en particulier dans la jeunesse. L’hôpital attend toujours un vaste plan et le pays de Pasteur, son vaccin. Vous répondez depuis des mois par une pirouette démagogique qui masque mal des objectifs violemment antisociaux.
Depuis des décennies, le thème de la sécurité et la menace de l’immigration sont agités en permanence pour écarter la population du vrai débat : qui décide de son destin collectif ? Avec quels moyens ?
Monsieur le Premier ministre, après la loi sur le séparatisme et la loi pour une sécurité globale, qui confond le respect du droit à vivre en sécurité et la remise en cause systématique des libertés publiques, nous découvrons chaque jour de nouveaux projets de loi, en réaction à tel ou tel drame.
Ce dont vous ne parlez pas, c’est la mise en cause des chômeurs, c’est la menace persistante de la réforme des retraites, c’est la casse continue du droit du travail.
Monsieur le Premier ministre, la France est inquiète, non pas de l’autre, du voisin, de ceux qui viennent mourir sur les plages d’Europe, mais de l’avenir incertain de ses enfants et de cette profonde insécurité sociale, car le libéralisme détruit la solidarité et l’égalité.
La crise a montré une chose : notre pays et l’Europe sont riches et peuvent disposer de moyens considérables pour agir.
Les centaines de milliards d’euros dont vous disposez pour faire face à cette crise, fruit de l’activité humaine, serviront-ils au statu quo ou, pis, à achever notre modèle social ? Ou bien serviront-ils à rebâtir une société plus juste et plus respectueuse de l’environnement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Madame la présidente Assassi, s’agissait-il vraiment d’une question ou bien d’un extrait de déclaration de politique générale et globale ? (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Vous nous avez fait part de votre inquiétude. Bien sûr, la France est inquiète. Elle traverse, comme d’autres pays, une crise sanitaire d’une ampleur inédite, extrêmement forte, et dont nombre de nos concitoyens subissent les conséquences économiques et sociales.
Voilà la réalité !
Autre réalité : le gouvernement de la République agit tous azimuts pour faire face à cette crise. Je rappelle, comme je l’ai souvent fait dans cette enceinte, la grande humilité qui devrait être collectivement la nôtre. Sans vouloir en quoi que ce soit diminuer les difficultés actuelles de nos compatriotes, je veux vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, en réponse à votre question, madame la présidente Assassi, que notre situation sanitaire s’améliore globalement. En effet, les motifs d’inquiétude de nos concitoyens sont d’abord de cet ordre. Je n’évoquerai pas tout ce que nous avons entendu, par des oiseaux de mauvais augure, sur notre stratégie. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ne vous sentez pas visés ! Je parle en général, mesdames, messieurs les sénateurs. (Exclamations amusées.) Bien entendu, dans cet hémicycle, nous n’avons jamais fait l’objet d’aucun procès ! Jamais…
Nous sommes tombés à 11 000 cas par jour. Si les services de réanimation sont encore trop chargés, seulement 3 500 patients étaient hospitalisés hier. Presque 24 millions de Français – j’espère que nous atteindrons ce chiffre ce soir – ont bénéficié d’une première injection. Les variants ont été stabilisés ces dernières semaines. Bref, grâce à nos efforts collectifs, dont nous nous réjouissons tous, la situation sanitaire s’améliore.
La situation économique et sociale, qui fait l’objet de votre question, découle en grande part, vous le savez bien, de la crise sanitaire. En effet, avant cette crise, la France ne se portait pas mal du point de vue économique et social dans le concert des nations ; les chiffres sont clairs sur ce point. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Vous avez dit que l’Europe avait de l’argent. La France a agi pour accompagner son économie. Toutes les sénatrices et tous sénateurs qui vont au contact des acteurs du pays touchés par cette crise vous le diront : les commerçants, les acteurs de la culture et tous les autres reconnaissent que l’État français ne les a pas laissés tomber, malgré, sûrement, des imperfections. Il a assuré leur survie.
En 2020 – je ne dispose pas des chiffres de 2021 –, le pouvoir d’achat a augmenté de 0,6 % en France, malgré l’effondrement de l’économie. Notre pays a été le mieux préservé. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) La France est désormais le grand pays de la zone euro qui a perdu le moins d’activité depuis le début de la crise, d’après les chiffres d’Eurostat et de la Banque de France. Nous avons collectivement résisté.
On peut dire que ce n’est pas assez et qu’il y a lieu de continuer à être mobilisés, en débranchant très progressivement nos dispositifs d’accompagnement et en relançant vigoureusement notre économie. C’est ce que nous faisons ! Nous avons une attention pour les plus précaires et pour les plus pauvres. (Marques dubitatives sur les travées des groupes CRCE et SER.) En la matière, les comparaisons sont également en faveur de notre pays, nettement. Nous devons en être collectivement fiers, vous le savez. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains concernant la durée de la réponse de M. le Premier ministre.)
Vous avez raison, ma réponse est un peu longue, mais le sujet est très important – et c’est également par respect pour la présidente Assassi.
Les indicateurs dont nous disposons concernant le moral des Français et leurs intentions d’investir et de rebondir sont favorables, ce dont nous devons nous réjouir. Il faut que nous sachions gérer collectivement la transition entre la crise et ses morsures, qui sont toujours là, et le redémarrage de notre pays et de notre économie. Tout le Gouvernement est mobilisé à cette tâche. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)
détournement d’un avion en biélorussie
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants.
M. André Gattolin. Ma question s’adresse à M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
I-ni-ma-gi-nable ! Pourtant, il l’a fait ! Non, je ne parle pas ici d’un exploit sportif ou d’un geste héroïque hors norme. Il y a malheureusement longtemps que l’audace n’est plus l’apanage des seuls héros.
Je parle ici de l’incroyable acte de piraterie aérienne d’État ordonné dimanche dernier par M. Loukachenko, l’inaltérable président-autocrate du Bélarus.
En apprenant la nouvelle, j’ai un instant cru à un canular. Aujourd’hui encore, je me demande quel degré de folie peut expliquer une telle violation du droit international, dans l’unique but de procéder à l’arrestation d’un jeune journaliste.
Je ne suis visiblement pas le seul à avoir été sidéré, si j’en juge, monsieur le ministre, par la fermeté de votre réaction dès dimanche après-midi. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Avant-hier, des sanctions européennes inédites ont été prises face à cet acte d’une gravité encore plus inédite. Comme le reconnaissait hier le Président Macron à l’issue du Conseil européen, « la politique des sanctions progressives sur des situations gelées n’est plus une politique efficace ». Il s’interrogeait sur les limites actuelles des sanctions, sans tomber dans l’engrenage d’un possible conflit armé.
Ma question, monsieur le ministre, est donc simple : sommes-nous vraiment au bout des sanctions applicables au Bélarus ? Ne peut-on élargir les sanctions à quelques centaines, voire quelques milliers d’autres responsables biélorusses ? Nous le savons, ce régime ne repose plus que sur quelque 10 000 cadres qui en tirent directement profit.
Par ailleurs, il faut absolument veiller à ce que cet acte de piraterie n’ouvre pas la voie à des actes similaires dans d’autres espaces aériens sensibles.
Aussi, je voudrais savoir si la France est prête à demander l’activation de l’article 88 de la Convention de Chicago, afin de suspendre les droits du Bélarus au sein de l’Assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Gattolin, le Gouvernement partage votre indignation. C’est vrai, c’est un acte de piraterie d’État et une prise d’otages par l’air.
Les régimes autoritaires, singulièrement celui de M. Loukachenko, n’ont plus aucune limite dans leur comportement déstabilisateur et répressif.
Vous l’avez souligné avec raison, le Conseil européen de lundi soir a réagi avec une très grande fermeté et une très grande unité. Les mesures prises lundi soir sont applicables dès aujourd’hui. Je pense en particulier aux dispositions relatives au domaine aérien, avec l’interdiction d’utiliser l’espace aérien européen et de se poser dans les aéroports européens pour toutes les compagnies du Bélarus. Je pense aussi à l’interdiction, pour les compagnies européennes, de survoler le Bélarus.
Vous me demandez si l’on va aller plus loin. La réponse est « oui ». En effet, dans le cadre des décisions prises par le Conseil lundi soir, il a été demandé à la Commission de préparer une panoplie de sanctions supplémentaires par rapport aux 88 sanctions déjà prises au moment des élections truquées d’août dernier. Je me suis entretenu à ce sujet avec Mme Tikhanovskaïa avant-hier soir.
Nous allons prendre des sanctions supplémentaires concernant non seulement des personnes – c’est le cas de M. Loukachenko lui-même et de sa famille –, mais aussi des entités étatiques proches du pouvoir, afin de les empêcher de venir en Europe et de commercer avec l’Europe.
Il faut s’appuyer sur la force que représentent les 450 millions de personnes du marché intérieur européen.
Vous me proposez de réunir l’Organisation de l’aviation civile internationale. Cela sera fait demain. Cette réunion aura lieu à Montréal, et nous demanderons, avec d’autres Européens, une enquête de cette organisation sur la manière dont tout cela s’est déroulé. J’espère que celle-ci sera autorisée.
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Quoi qu’il en soit, soyez-en sûrs, nous serons très fermes pour ce qui concerne Loukachenko. Nous ne reconnaîtrons en aucun cas ni son élection irrégulière ni sa politique aveugle de répression. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
suites de la manifestation des policiers
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous êtes aussi le ministre de l’organisation des élections, donc de leur bon déroulement démocratique et de leur impartialité.
Pensez-vous que votre annonce de poursuites pénales contre une candidate à une élection qui avait simplement émis une opinion sur votre action soit compatible avec vos fonctions ? Confirmez-vous cette annonce ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Votre question, monsieur le sénateur, me permet de redire ici, puisque vous ne l’avez pas fait, mon soutien à la police républicaine et à la gendarmerie et ma grande fierté d’être à la tête de ce ministère. Malheureusement, la police de la République a récemment été endeuillée par deux fois lors de deux assassinats particulièrement ignobles. Tout républicain et tout démocrate qui aime la République et la démocratie se plairait, me semble-t-il, à le rappeler.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas le sujet !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je veux également redire à quel point j’ai jugé particuliers les propos de certaines personnes, dont Mme Pulvar, concernant la police de la République. Après qu’elle a eu corrigé une partie de ses propos sur la chaîne LCI, je lui ai proposé de la rencontrer au cours d’un rendez-vous la semaine prochaine, avec deux dates possibles. J’espère qu’elle pourra se rendre disponible. Je serais heureux d’échanger avec elle pour redire, publiquement, à quel point la police de la République est belle et forte.
M. David Assouline. Ce n’est pas la question !
M. Gérald Darmanin, ministre. Chacun devrait la soutenir sans réserve, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention. Sur le fond, vous n’avez pas répondu à ma question.
Oui, nous devons protéger avec force les policiers qui nous protègent : nous le pensons, nous le disons, et nous l’avons fait quand nous étions au pouvoir. (M. le ministre montre qu’il en doute.)
Je vous ai demandé solennellement de nous dire ce qui vous a autorisé à tenter d’intimider une candidate, vous qui, au contraire, avez la charge de protéger la parole libre et démocratique de Mme Pulvar, comme de toutes celles et de tous ceux qui concourent aux élections.
Pourquoi avoir créé une polémique de plus, alors que votre rôle est de garantir le débat apaisé dont notre démocratie a, plus que jamais, besoin ?
Pourquoi, dans ce moment de montée de toutes les violences et tensions, préférez-vous créer de l’agitation et du désordre, par des opérations de communication et de saturation médiatique, alors que les citoyens attendent de vous une action efficace, de la stabilité et de la cohésion ?
Ce que nous demandons, nous, parlementaires, c’est que vous commenciez, vous, par respecter notre État de droit et la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que la sérénité que votre fonction exige pour protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, dans un tout autre registre.
Comme chaque année dans le Var à l’approche de la saison estivale, la même question revient : y aura-t-il un Dragon 83 affecté à notre département cette année ? S’il s’agit de détacher un hélicoptère de la sécurité civile sur la base du Luc-en-Provence, il semblerait que, cette année, outre le manque global d’appareils de ce type, se pose le problème de leur maintenance et de la disponibilité de leur équipage. D’où l’angoisse des Varoises et des Varois, mais aussi celle des habitants du département de la Gironde, qui voient leur Dragon 33 surchargé par le non-déploiement d’un hélicoptère de la gendarmerie.
Ma question est donc la suivante, monsieur le ministre : quelles décisions comptez-vous prendre pour mieux préparer la saison 2021 en termes de moyens aériens en général ?
J’insiste sur le « en général », car ma question cache un besoin bien plus vaste lié à l’insuffisance du nombre d’appareils volants destinés à la lutte contre les incendies de forêt.
Je veux parler du manque d’avions bombardiers d’eau amphibie, les fameux Canadair, capables d’écoper en mer ou sur toute autre étendue d’eau. Ces appareils d’une grande efficacité sont complémentaires des avions devant atterrir pour faire le plein avant chaque largage. Ils sont aussi d’un appui indispensable à l’action que mènent les CCFF, les comités communaux feux de forêts, et à l’engagement courageux de nos sapeurs-pompiers sur le terrain.
Chaque année, confrontées à des chaleurs caniculaires, les forêts du sud de la France, mais aussi celles du Portugal, de l’Espagne et, tout récemment, de la Grèce – et j’en oublie – flambent, ce qui occasionne des dégâts irréversibles sur l’environnement, la biodiversité et le dérèglement climatique.
Aussi, dans le cadre de la prochaine proposition de loi sur la sécurité civile, dite « Matras », et du plan de relance, ne pourrait-on pas envisager une véritable stratégie d’acquisition ou de fabrication de ce type d’appareil à l’échelle européenne ? La période est opportune pour relocaliser notre industrie. Il s’agit de créer des emplois et de mieux protéger nos concitoyens et notre patrimoine naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet, à quelques jours du début de la saison des feux, comme on l’appelle malheureusement, de redire à quel point nos sapeurs-pompiers, qu’ils soient professionnels ou volontaires, et tous ceux qui concourent à la sécurité civile de notre pays sont indispensables. Leur courage mérite d’être soutenu, et je sais que vous le faites.
Dans quelques heures, j’aurai l’honneur de représenter le Gouvernement dans le cadre de l’examen, par l’Assemblée nationale, de la proposition de loi de M. Fabien Matras, qui vise à renforcer considérablement le système de volontariat de la sécurité civile de notre pays.
Vous évoquez plus précisément la question du matériel. Depuis sept ou huit ans, on est passé de 38 hélicoptères Dragon à 34. Il y a eu des accidents et des défauts de matériel, qui pèsent lourdement sur notre système de sécurité civile. Ces hélicoptères ont été particulièrement sollicités, vous le savez, dans vos territoires, mais aussi, de plus en plus, au nord de la Loire, à la suite du réchauffement climatique, qui joue évidemment un rôle dans les feux de forêt.
Par ailleurs, ces 34 hélicoptères Dragon ont été particulièrement mobilisés lors de la crise de la covid-19, avec plus de 600 interventions sanitaires.
À la suite de la demande du Premier ministre et grâce au plan de relance, deux hélicoptères supplémentaires ont été achetés, faisant ainsi passer notre flotte à 36 appareils. Le Premier ministre et moi-même avons proposé deux autres hélicoptères supplémentaires, afin de revenir à l’étiage de 38 hélicoptères, qui permet d’intervenir dans de bonnes conditions de sécurisation des populations.
Par ailleurs, nous renouvelons la flotte des avions bombardiers d’eau. Lorsque j’étais au ministère des comptes publics, nous avions engagé, avec Gérard Collomb, des moyens supplémentaires à cet effet. J’en profite pour saluer Jacqueline Gourault, qui s’est occupée précédemment de ce sujet.
Vous l’avez dit, la Commission européenne nous aide fortement, puisque 90 % du financement de ces avions est assuré par celle-ci. La France portera des demandes d’avions supplémentaires pour aider nos pompiers et tous les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
orientations de la future politique agricole commune
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
M. Joël Labbé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je regrette qu’il ne soit pas là, mais chacun a ses obligations.
M. Julien Denormandie vient de présenter son plan stratégique national en vue de la PAC, la politique agricole commune, 2023-2027. J’aurais voulu lui dire en direct notre immense déception à la lecture de ses orientations.
Malgré un débat public sur la PAC montrant clairement les attentes en matière de transition agricole et alimentaire, malgré les alertes d’organisations agricoles et environnementales, dont la plateforme Pour une autre PAC, relayées par des parlementaires, malgré l’ensemble des signaux pointant l’urgence écologique, le ministre a choisi d’opter pour une PAC du quasi-statu quo, qui fige à la fois les inégalités existantes et un modèle dont on sait aujourd’hui pertinemment qu’il n’est ni durable, ni créateur d’emploi, ni rémunérateur, ni conforme aux attentes des citoyens.
Ainsi, la transition agroécologique ne bénéficiera d’aucun moyen supplémentaire. Pourtant, l’organisme France Stratégie chargé de conseiller le Premier ministre avait fait de la PAC, dans son rapport, un levier de la transition agroécologique. Il avait également estimé que l’agriculture biologique était la plus performante en termes tant économiques qu’environnementaux.
Après avoir supprimé le financement national de l’aide au maintien, vous avez décidé de baisser de 66 % les aides PAC pour le maintien en bio et de les aligner sur la HVE, la haute valeur environnementale, qui est un système inopérant.
Le Gouvernement va-t-il revoir sa copie et proposer un plan stratégique national à hauteur des enjeux ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, porte-parole du Gouvernement.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Joël Labbé, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Julien Denormandie, qui est actuellement à Bruxelles pour le Conseil européen. Il aurait aimé tordre le cou à une rumeur qui circule depuis quelques jours : non, le soutien à l’agriculture biologique ne diminue pas ! Au contraire, les aides augmentent, et fortement.
Nous passerons ainsi d’un soutien à l’agriculture biologique de 250 millions d’euros par an à un soutien de 340 millions par an, soit une hausse de 30 %. Dans votre département, le Morbihan, 2,9 millions d’euros d’aide à l’agriculture bio ont été attribués en 2019. Avec la hausse des moyens, le Morbihan pourrait bénéficier de 1 million d’euros supplémentaires par an. C’est une hausse forte et un investissement majeur, à la hauteur de notre objectif, qui est de doubler les surfaces d’agriculture bio d’ici à 2027.
Oui, monsieur le sénateur, nous assumons totalement le fait de vouloir faire du bio une filière agricole française d’excellence, avec toujours plus d’agriculteurs qui s’y consacrent. Ne voyons pas les choses en petit, en nous focalisant sur les seules aides au maintien. Ayons au contraire une logique conquérante pour le bio, en favorisant les aides à la conversion. N’ayons pas peur d’être ambitieux pour les 400 000 agriculteurs français, n’ayons pas peur d’accompagner, d’inciter et de convaincre des bienfaits de l’agroécologie.
Tel est le sens de l’investissement de 1,2 milliard d’euros pour la transition agricole dans le plan de relance. Notre conviction est intacte : nous préférons « embarquer » plutôt qu’imposer ; nous préférons réussir plutôt que brimer. Nous construisons la transition agricole avec les agriculteurs, nous menons de front la bataille du bio avec eux et avec des moyens exceptionnels.
Pour reprendre les mots que vous avez prononcés hier dans les pages d’un quotidien, nous forgeons une agriculture respectueuse des hommes, des animaux et de la terre. Nous le faisons avec les agriculteurs, et pas contre eux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
renforcement de la résilience de la france face aux cyberattaques
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Vous le savez, une attaque informatique a paralysé un oléoduc majeur de la côte est des États-Unis. Les infrastructures d’énergie sont des cibles privilégiées des cyberattaques, au regard des graves effets que cause leur mise à l’arrêt. Afin de moderniser ces infrastructures, le président Biden a annoncé un plan de 2 000 milliards de dollars, dont 20 milliards seront dédiés à la cybermodernisation des réseaux électriques. Un nouveau crédit d’impôt financera les cybertechnologies de ces réseaux.
La France n’est malheureusement pas à l’abri de ces menaces, qui prolifèrent tous azimuts. Après les scandales Cambridge Analytica visant à influencer le référendum sur le Brexit et l’élection de Donald Trump, notre pays a été le théâtre de manœuvres de déstabilisation lors des dernières élections présidentielles.
Ces actions perturbent notre vie démocratique, ainsi que notre vie sociale et économique. Des hôpitaux ainsi que des médias français ont subi des cyberattaques. Plusieurs en ont été réduits à revenir au mode papier et stylo.
Dans le même objectif de déstabilisation, certains influenceurs ont récemment été approchés, afin de participer à une campagne de désinformation sur le vaccin Pfizer. Les commanditaires, probablement russes, cherchent à perturber la vaccination et, donc, la reprise de l’activité dans notre pays, en instillant une défiance à l’égard des scientifiques.
Pour faire face à ces attaques, la France n’est pas démunie. L’Anssi, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, veille à la sécurité des systèmes d’information, et notamment à celle des opérateurs d’importance vitale. Notre pays s’est en outre doté, depuis 2017, d’un commandement de la cyberdéfense.
Néanmoins, restons lucides : le nombre de cyberattaques visant notre pays a été multiplié par quatre entre 2019 et 2020. Dans un contexte international troublé, notamment aux frontières de l’Union européenne, et à l’approche des élections de 2022, la France est-elle prête, madame la secrétaire d’État, à faire face à l’intensification de ces attaques ? Quelles mesures sont prises, notamment en matière de recherche et de formation, pour renforcer la résilience de notre pays face aux cyberattaques ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous l’avez très clairement souligné, la France n’est pas à l’abri des cybermenaces.
Aujourd’hui, le cyberespace est un espace de conflictualité de plus en plus important, dans lequel les menaces augmentent chaque jour. Entre 2019 et 2020, selon l’Anssi, le nombre de victimes de cyberattaques a été multiplié par quatre. Je crois que ce chiffre parle de lui-même.
Si la sécurisation des systèmes d’information doit être évidemment une priorité, toutes les organisations doivent aussi intégrer la possibilité de subir une cyberattaque et, donc, se mettre en capacité d’y répondre. C’est la définition même de la résilience dans le cyberespace.
Cette nécessité est totalement identifiée dans le cadre de la stratégie d’accélération Cyber qui a été annoncée le 18 février dernier par le Président de la République et est financée à hauteur de 1,4 milliard d’euros.
Cette stratégie s’articule très clairement autour de six axes, et c’est le secrétaire d’État Cédric O qui est chargé de la déployer : le développement de solutions souveraines et innovantes de cybersécurité ; le renforcement des liens et des synergies entre les acteurs de la filière ; le soutien à la demande ; le renforcement de l’offre de formation des jeunes et des professionnels à ces métiers émergents de la cybersécurité ; le soutien en fonds propres au développement des entreprises de la filière ; un effort spécifique en faveur de la cybersécurisation des établissements de santé.
Plusieurs actions concrètes, madame la sénatrice, ont déjà été mises en œuvre. Premièrement, sans attendre cette augmentation des cyberattaques, nous avons en permanence, depuis 2017, augmenté les moyens humains de l’Anssi. Un appel à manifestation d’intérêt a par ailleurs été lancé en direction des collectivités, des établissements de santé et des ports afin de mettre en place des démonstrateurs de cybersécurité adaptés aux besoins de ces structures spécifiques.
L’Anssi a commencé à mettre en œuvre un plan de sécurisation des administrations et a bénéficié à ce titre de 136 millions d’euros dans le cadre de la stratégie d’accélération Cyber.
Quant à l’ouverture du campus Cyber en octobre 2021, elle permettra de mutualiser tout ce qui peut l’être en la matière. Votre question se pose – le Gouvernement en est conscient –, le plan se déroule et nous sommes très attentifs à ce sujet des cyberattaques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
lutte contre les rodéos urbains
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Monsieur le ministre de l’intérieur, un jeune homme de 20 ans, mort ; un enfant de 5 ans, grièvement blessé alors qu’il traversait à vélo sur un passage protégé ; plus récemment, à Lyon, une femme fauchée par deux jeunes à scooter : pas une semaine ne passe sans que les agissements, aux conséquences parfois tragiques, des auteurs de rodéos motorisés fassent la une des médias.
Les victimes se multiplient. Les nuisances, pour les riverains, s’accumulent et instaurent un climat de violence.
Malgré la loi du 3 août 2018, qui fait de cette pratique un délit puni d’une peine d’emprisonnement allant de un à cinq ans, le phénomène perdure et s’amplifie.
En cause, l’application de ce texte, qui se heurte à plusieurs limites.
Tout d’abord, concernant les directives données aux policiers, la consigne est de ne pas aller au contact des contrevenants par peur de provoquer des accidents ou des émeutes urbaines. L’affichage de fermeté du Gouvernement bute ici sur la réalité des faits. Si l’on comprend bien les difficultés inhérentes à ce type d’interventions, une telle consigne n’en demeure pas moins un redoutable aveu d’impuissance.
Conséquence majeure et regrettable : le sentiment que certains individus ne sont pas tenus de respecter les lois de la République.
Ensuite, pour ce qui est du type de sanctions appliqué, la confiscation des véhicules est aujourd’hui la mesure la plus efficace pour lutter contre cette pratique dangereuse ; pourtant, sa mise en œuvre n’est pas systématique et semble même marginale. Cela pose de sérieuses questions quant à la capacité des autorités à lutter contre les récidives, en particulier lorsque les engins saisis sont ensuite restitués aux fauteurs de troubles.
Enfin, récemment, l’État a été condamné pour son inaction à faire cesser ces rodéos motorisés, preuve, s’il en était besoin, que la loi n’est pas exécutée comme il le faudrait.
L’ensemble de ces observations, liées tant à la persistance de ces pratiques qu’à la faiblesse de l’État là où il s’agit de faire respecter la loi, crée un sentiment de totale impunité qui est incompatible avec la légitime attente de sécurité qui émane de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, face à ce constat d’échec, quelles actions envisagez-vous de mener pour lutter contre ce fléau ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Hugues Saury, une petite précision me paraît tout d’abord devoir s’imposer : la condamnation que vous évoquez est intervenue bien après les événements incriminés ; elle ne couvre pas des faits qui nous seraient imputables.
Voilà pour la précision ; elle est toujours utile.
Par ailleurs, depuis la promulgation de la loi du 3 août 2018, qui permet de considérer les rodéos urbains comme des délits, nous avons considérablement progressé – je vous donnerai les chiffres dans un instant ; ils viennent d’être stabilisés.
Nous avons fait voter la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, que vous avez vous-mêmes adoptée, et qui, grâce au budget substantiel accordé à la justice, permet la mise en œuvre de saisies immédiates de scooters.
Je vous indique d’ailleurs que j’ai demandé à l’ensemble des maires de notre pays de trouver des solutions pour conserver les véhicules saisis, dont le gardiennage, vous le savez, coûte 50 millions d’euros à la justice ; j’attends un certain nombre de réponses.
Afin de vous prouver que nous avons considérablement progressé, et non pas régressé comme vous le dites, qu’il me soit enfin permis de vous dire qu’en 2018, 92 condamnations ont été prononcées pour des pratiques de rodéos urbains, 697 en 2019, 991 en 2020, soit une multiplication par dix.
J’ajoute que j’ai pris une circulaire reprenant les 350 infractions dites « de basse intensité » – j’exclus bien sûr les homicides involontaires, dont vous avez parlé – pour demander aux parquets qu’ils appliquent avec une grande fermeté les textes qui nous permettent de réprimer ces infractions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
erreur dans le calcul des prestations de retraite
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Stéphane Demilly. Madame la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, dans un rapport publié mardi dernier, la Cour des comptes certifie les comptes 2020 de plusieurs branches du régime général de la sécurité sociale moyennant « un nombre accru de réserves ».
Et c’est tout particulièrement la Caisse nationale d’assurance vieillesse qui est la cible de critiques, du fait d’erreurs toujours plus nombreuses dans le calcul des prestations de retraite.
Une prestation sur six nouvellement attribuée ou révisée en 2020 a comporté au moins une erreur financière, et ce, dans la grande majorité des cas, au détriment des retraités !
Concrètement, l’impact cumulé dans le temps de ces erreurs est estimé à 1,6 milliard d’euros et, selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse elle-même, la moitié des retraités lésés ont subi un préjudice égal ou supérieur à 123 euros par an.
Ces sommes sont loin d’être négligeables, surtout quand on sait que la pension moyenne versée aux retraités en 2019 était de 1 393 euros net mensuels.
Certes, madame la ministre, ces erreurs ne sont pas nouvelles, mais la situation se dégrade année après année. D’une erreur sur neuf dossiers il y a cinq ans, nous en sommes dorénavant à une erreur sur six dossiers !
Il y a deux mois, des retraités manifestaient pour une revalorisation de leur pension. On comprend donc que la révélation de ces erreurs de la caisse de retraite soit mal vécue, d’autant que celles-ci concernent prioritairement les personnes les plus modestes.
La Cour des comptes relève que ce sont en effet les pensions les plus faibles qui sont touchées, le taux d’erreur étant de près de 23 % pour l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Madame la ministre, ma question est extrêmement simple : comment redonner confiance à nos concitoyens et améliorer la fiabilité du système ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Éric Gold et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’insertion.
Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargée de l’insertion. En effet, monsieur le sénateur Demilly, la Cour des comptes rappelle que les erreurs de calcul de pensions de retraite sont une réalité. Elles ont augmenté ces dernières années – vous l’avez dit : en 2020, elles concernent une pension sur six, contre une pension sur neuf en 2016. Cela n’est pas négligeable. L’erreur médiane est en défaveur des assurés : elle est de l’ordre de 10 euros par mois.
Je rappelle tout d’abord que le calcul des pensions est un exercice extrêmement complexe, d’autant qu’il existe 42 régimes dépendant des statuts personnels. Pour calculer une pension de retraite à l’euro près, il ne faut oublier aucun élément de la vie professionnelle et intégrer les données et règles d’interaction avec les autres régimes de retraite. Avec la complexification des carrières, cette mission devient de plus en plus exigeante.
L’assurance retraite fait déjà un travail considérable pour que ces erreurs soient détectées et corrigées. C’est d’ailleurs l’une de ses activités principales. Grâce à ce travail, au moins 40 % des anomalies sont corrigées dans les semaines et mois qui suivent leur identification, selon l’assurance retraite. Il est donc essentiel que ce travail du quotidien soit encore renforcé et que ces anomalies soient traitées plus en amont.
C’est pourquoi l’assurance retraite a mis en place un plan d’action global qui doit permettre à court terme, mais aussi à moyen et long termes, de mieux comprendre les sources des anomalies pour les identifier et y apporter des traitements adaptés, de renforcer la supervision et la formation internes, de développer de nouveaux outils informatiques.
Les services de l’assurance retraite sont pleinement mobilisés, soyez-en assurés. Élisabeth Borne et Laurent Pietraszewski sont très attentifs à ce que ce plan ait des effets concrets dès cette année. (M. Julien Bargeton applaudit.)
impact économique de la crise sanitaire sur les plus précaires
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Rojouan. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Il n’y a pas si longtemps, nous vivions la crise des gilets jaunes. Ces manifestations ont révélé les tensions et les fractures à la fois sociales, économiques et territoriales qui minent notre société.
La pandémie de covid et les confinements successifs ont mis un frein à l’ensemble des mouvements sociaux en faisant rentrer à la maison toutes les contestations. Cependant, les reproches à l’égard de votre politique sont toujours présents et se sont amplifiés.
Alors que nous sortons progressivement de la crise sanitaire, il faut regarder les choses en face : depuis que votre gouvernement est en place, le quotidien des classes populaires ne s’est pas amélioré.
Dans nos territoires, on constate chaque jour un éloignement grandissant et très inquiétant entre les Français ruraux modestes et la politique menée. Vous leur demandez de prendre le vélo et les transports en commun, de bazarder le diesel pour l’électrique, d’abandonner les chaudières au fioul. Quoiqu’elles soient dictées par de bonnes intentions, ces mesures sont éloignées des préoccupations et du quotidien de nombreux Français. Attention au choc en retour, car vous les sommez de s’adapter !
Malgré le « quoi qu’il en coûte », qui draine en masse l’argent public, la France populaire n’y trouve pas son compte. Nos concitoyens les plus modestes ont toujours l’impression de travailler durement sans gagner leur vie dignement.
Monsieur le Premier ministre, avez-vous conscience de cette France-là, qui gronde, peine et ronge son frein ? Avez-vous conscience que la plus petite décision malvenue, prise au mauvais moment, peut raviver la violente contestation que ni vous ni nous ne souhaitons ?
En conclusion, ma question est simple : que comptez-vous faire pour réduire cette fracture sociale et territoriale si évidente ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean Hingray applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Rojouan, vous l’avez dit et nous le savons, par de nombreux aspects, la crise de la covid a affecté et continue d’affecter plus durement les ménages qui se trouvent en bas de l’échelle des revenus. Je ne saurais en deux minutes être exhaustive concernant toutes les aides transverses et sectorielles qui ont permis depuis plus d’un an à notre économie de tenir, mais il est évident que, ce faisant, c’est les ménages, notamment les plus fragiles, et la société que nous avons fait tenir.
Le Gouvernement n’a pas fait que soutenir l’économie – je pense aux différentes aides exceptionnelles et légitimes qui ont été déployées en faveur des plus fragiles et qui sont déjà mises en œuvre. Je citerai l’aide exceptionnelle de solidarité aux bénéficiaires du RSA, pour un montant global de presque 1 milliard d’euros, décidée en novembre 2020 – vous vous en souvenez très certainement – et complétée par une aide de 100 euros par enfant étendue aux familles bénéficiaires des aides au logement, soit près de 4,1 millions de bénéficiaires.
Mentionnons par ailleurs les aides à destination des étudiants en difficulté et de 560 000 jeunes précaires, l’allocation de rentrée scolaire, la création de places d’hébergement d’urgence supplémentaires – je vous l’ai dit : je n’aurai pas le temps de citer toutes les aides.
Au-delà de leur ampleur, il est important de dire que ces aides atteignent leur cible. Une étude du Trésor, fin 2020, démontre clairement que les deux tiers des bénéficiaires des aides débloquées pour les ménages sont parmi les 20 % des Français les moins riches.
J’ajoute qu’une étude assez récente du Conseil d’analyse économique, publiée début 2021, démontre clairement, là encore, que le niveau de vie des bénéficiaires, à savoir les catégories populaires et les plus fragiles, ne se détériore pas durant cette période. Monsieur le sénateur, les catégories populaires, nos concitoyens les plus fragiles, sont au cœur de nos préoccupations depuis le début de ce quinquennat en 2017.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ah bon !
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Nous n’avons pas attendu la crise pour supprimer la taxe d’habitation (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et SER.) ; nous n’avons pas attendu la crise pour alléger de 5 milliards d’euros l’impôt sur le revenu – faut-il le rappeler ?
M. le président. Il faut conclure.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Le cap ne change pas, la route est la même : cela fait quatre ans que nous travaillons à l’augmentation du pouvoir d’achat des plus fragiles et nous avons bien l’intention de continuer. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées. – M. François Patriat applaudit.)
déserts médicaux
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question des déserts médicaux est toujours d’actualité dans notre pays. Des millions de personnes éprouvent des difficultés à consulter un médecin généraliste ou un professionnel de santé de premier recours. Beaucoup de collectivités territoriales ont pris et prennent des initiatives en ce domaine afin de résoudre cette injustice territoriale.
Ici, au Sénat, voilà deux ans, nous avons proposé un dispositif qui affecterait pour six mois des internes en fin de cursus en zone sous-dense en ville.
Mme Frédérique Puissat. Merci à Corinne Imbert !
M. Bernard Jomier. Ce dispositif a été inscrit dans la loi du 24 juillet 2019. Cela fait deux ans, et vous n’avez toujours pas pris de texte d’application. Quand vous déciderez-vous à faire appliquer cette loi, monsieur le Premier ministre ? Quand prendrez-vous les textes d’application ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi que sur des travées des groupes CRCE, RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Bernard Jomier, vous vous référez, sauf erreur, à la disposition qui avait été proposée à l’époque par la sénatrice Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
La question du défi démographique et de la désertification médicale ne date pas de cette semaine – vous l’avez rappelé ; elle ne date pas non plus de ce quinquennat : elle trouve ses racines bien avant. Elle ne concerne pas que les territoires ruraux : elle concerne également les territoires urbains, et vous qui êtes sénateur de Paris, mais qui connaissez bien le nord de la région parisienne, vous le savez bien.
Le défi est grand ; le nombre de médecins généralistes et spécialistes en accès direct a effectivement baissé depuis de nombreuses années. Ce gouvernement en a fait l’une de ses priorités : un certain nombre de mesures ont été adoptées depuis le début de ce quinquennat – je ne vais pas toutes les énumérer ici.
M. Franck Montaugé. Ce n’est pas la question !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je rappellerai simplement, avant d’essayer de répondre à votre question, monsieur le sénateur, que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), au plus près des réalités des territoires et des besoins de nos concitoyens et des collectivités locales – vous évoquiez cette exigence –, fonctionnent et permettent à l’ensemble des professionnels de santé de s’organiser.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Franck Montaugé. Et le décret ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La crise de la covid a été un révélateur de l’efficacité de ces dynamiques territoriales.
Nous avons également pris, en parallèle de cette disposition, des mesures dont l’impact est attendu à plus brève échéance et qui s’inscrivent un peu dans la lignée du dispositif que vous évoquez : la création de 4 000 postes d’assistants médicaux pour seconder et appuyer les médecins dans leurs tâches administratives et soignantes, le déploiement de 600 médecins généralistes dans des territoires prioritaires, dont 200 priorisés sur les territoires ruraux, en exercice partagé entre une structure hospitalière et une structure ambulatoire ou salariée. (Et le décret ? sur des travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Répondez à la question !
M. le président. Il faut conclure.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. … je reviendrai vers vous dans les meilleurs délais pour vous dire à quelle échéance celui-ci sera pris. (Vives exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Aucune réponse à la question !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour la réplique.
M. Bernard Jomier. Monsieur le secrétaire d’État, merci pour toutes ces considérations ; peut-être mes oreilles entendent-elles mal, mais je n’ai pas entendu quand ce décret serait publié.
Et je trouve tout de même problématique que, quand la loi est votée – et elle l’a été, en l’espèce, après un échange entre les deux chambres, un consensus se nouant autour d’une solution qui permettrait réellement de donner du temps médical aux populations de ces territoires –, vous ne l’appliquiez pas.
La latitude que nous vous avons laissée dans la rédaction retenue était normale ; c’est celle de l’adaptation intelligente du dispositif. Mais, ce dispositif, vous refusez de le mettre en œuvre ; cela pose un véritable problème démocratique. L’examen du projet de loi 3D (4D ! sur diverses travées) – ou 4D, on ne sait plus trop… – va très bientôt débuter ; pour rebondir sur l’énumération que vous avez faite – vous avez parlé des dispositifs territoriaux de santé –, inscrivons dans ce texte la reconnaissance du rôle des collectivités territoriales dans cette organisation.
Au moins, travaillons intelligemment là-dessus, et respectez notre rôle ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE, UC et Les Républicains.)
violences conjugales
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le Premier ministre, Stéphanie, jeune maman, est abattue lâchement en pleine rue par son compagnon, réfugié, fraîchement sorti de prison.
Dans l’Essonne, une femme est tuée de plusieurs coups de marteau à la tête devant son fils de 11 ans.
À Mérignac, Chahinez est brûlée vive en pleine rue par son compagnon.
Trois drames inacceptables, trois de trop.
Aussi, monsieur le Premier ministre, ma question est-elle simple : que comptez-vous faire pour corriger ces failles et éviter à tout prix que de tels drames ne se reproduisent ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la sénatrice Boyer, je sais combien le sujet des violences conjugales est un sujet qui vous est cher, sur lequel vous vous êtes longtemps investie. Je vous remercie de votre question : longtemps, trop longtemps, notre société a été sourde aux cris d’alarme, aveugle aux souffrances et muette face aux violences qui étaient faites aux femmes et aux filles.
Comme vous le savez, le Gouvernement et la majorité se sont mobilisés depuis 2017 pour enrayer ce fléau. Cette mobilisation générale s’est traduite par le vote de quatre lois en quatre ans et de quarante-six mesures issues du Grenelle des violences conjugales, parmi lesquelles les ordonnances de protection, qui ont été démultipliées, les téléphones « grave danger », les bracelets antirapprochement, mais aussi l’augmentation de 60 % du nombre de places d’hébergement destinées à l’accueil des femmes victimes de violences.
J’ai annoncé hier la mise en œuvre d’une autre de ces mesures du Grenelle, à savoir l’extension des horaires du 3919 afin de pouvoir répondre à toutes les femmes qui sont victimes de violences dans notre pays, qu’elles se trouvent dans les territoires ultramarins ou dans l’Hexagone, qu’elles soient ou non malentendantes, sourdes ou aphasiques.
Dès la fin du mois d’août, cette ligne sera accessible sept jours sur sept vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour que ces femmes puissent bénéficier d’une écoute et d’un accompagnement lorsque cela est nécessaire.
Vous avez pu constater, madame la sénatrice, parce que vous avez particulièrement suivi les travaux qui ont été réalisés ces dernières années, que nous menons ce combat de manière totalement déterminée. Chaque féminicide dans notre pays est un drame absolu, et nous n’avons pas le droit de faiblir. C’est ensemble, État, collectivités territoriales et société civile, que nous arriverons à enrayer ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.
Mme Valérie Boyer. Madame la ministre, des choses ont été faites, certes, mais ces drames auraient pu être évités si vous vous étiez donné les moyens d’appliquer les lois que nous avons pourtant votées à l’unanimité. Les bracelets antirapprochement ? Actuellement, soixante-seize seulement sont prescrits et quarante-cinq hommes en sont équipés. Nous demandons l’augmentation du budget des bracelets ? Vous vous y opposez. Nous demandons de la fermeté ? Vous libérez des conjoints violents faute de places de prison – 15 000 places promises, 1 500 seulement aujourd’hui construites.
La non-exécution des peines se fait au détriment des Françaises et des Français. Vous voulez redorer la « grande cause du quinquennat » qu’est l’égalité entre les hommes et les femmes ; est-ce redorer cette grande cause que de s’opposer aux mesures innovantes et adaptées aux réalités actuelles que nous proposons ?
Nous avons demandé que les réfugiés soient déchus de leur statut lorsqu’ils commettent des crimes et délits, notamment des violences conjugales ? Rejeté ! Nous proposons le rétablissement des peines planchers, pour les violences conjugales notamment ? Rejeté ! Nous proposons de créer un système de name and shame pour les violences conjugales ? Rejeté !
Hier, nous avons reconnu le syndrome de la femme battue ; vous vous y êtes opposée dans l’hémicycle. Est-ce au nom des valeurs du sport et de la République que votre collègue ministre des sports ne s’oppose pas, loin de là, à ce que des signes qui constituent un interdit de liberté, d’égalité et de fraternité, comme le hijab de sport, soient promus ?
Il y a quelques jours, cette même ministre ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’un chanteur représente l’équipe de France de football tout en chantant notamment l’agression sexuelle de personnalités politiques…
M. André Reichardt. Un scandale !
Mme Valérie Boyer. Où est la cohérence au sein de votre gouvernement ? Beaucoup de paroles, beaucoup de communication ; mais la grande cause du quinquennat,…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Valérie Boyer. … loin d’être redorée, se perd dans les méandres du « en même temps » et parfois même du séparatisme. C’est vraiment regrettable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean Hingray applaudit également.)
suivi des auteurs de crimes et délits déclarés pénalement irresponsables
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis dix-huit mois, la commission des lois et la commission des affaires sociales du Sénat travaillent sur les questions d’irresponsabilité pénale et d’expertise psychiatrique. Nous avons, hier, adopté un texte.
Les réflexions du Gouvernement, celles de l’Assemblée nationale, sur cette question de l’irresponsabilité sont des réflexions pour l’avenir.
Je voudrais, moi, vous parler de la situation présente.
En 2018, date des derniers chiffres publiés, 326 auteurs jugés irresponsables ont fait l’objet d’un non-lieu et, cette même année, on dénombrait 13 495 classements sans suite, sans que l’on sache avec précision de quelles mesures de soin ou d’accompagnement bénéficient les personnes concernées ni, d’ailleurs, s’ils en bénéficient, qui ils sont et où ils demeurent.
Comment entendez-vous assurer le suivi des auteurs irresponsables alors que vous avez supprimé la collecte de ces données ?
Par dépêche du 18 juin 2019, la direction des affaires criminelles et des grâces a informé les juridictions de sa décision de supprimer le dispositif de recensement des décisions d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, par souci d’alléger leur travail.
La dernière étude épidémiologique générale réalisée en France sur la santé mentale dans les prisons remonte quant à elle à 2007…
Monsieur le Premier ministre, voilà ma question : où en êtes-vous de la mise en place du système de remplacement de la collecte et du suivi des personnes irresponsables ?
Comment comptez-vous, sans ces données, assurer la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Goulet, vous souhaitez prolonger le débat que nous avons eu hier. Mais vous ne souhaitez pas le circonscrire à la discussion que nous avions : vous voulez savoir quel est le sort qui est réservé à ceux qui sont déclarés irresponsables. Nous avons effleuré cette question hier ; mais vous devriez poser la question au ministre de la santé, pardonnez-moi de vous le dire, car, à compter du moment où un homme est déclaré irresponsable, il n’est pas détenu : il est soigné.
Si vous souhaitez que l’on reconstruise un outil permettant de connaître le nombre sur lequel vous vous interrogez, j’y travaillerai très volontiers avec vous : ma porte est ouverte, et nous reconstruirons cet outil. L’excuse à laquelle vous faites allusion – ce chantier demanderait trop de travail – n’est pas à mes yeux une excuse pertinente. Venez me voir à la Chancellerie : je suis tout à fait d’accord pour que l’on recense tous ceux qui ont bénéficié d’un non-lieu afin que l’on connaisse le suivi dont ils font l’objet.
Pour le reste, la décision du 14 avril nous a beaucoup émus. Certains de nos compatriotes n’ont pas compris cette décision. Elle a été rendue en droit, et les juges ont pris soin de préciser qu’ils ne pouvaient pas distinguer là où la loi ne le permettait pas.
Vous avez tenté de remédier à cela ; j’ai moi-même, à la demande du Président de la République, travaillé à un texte. J’ai reçu les cultes, les magistrats, des avocats, des psychiatres, et j’ai souhaité soumettre ce texte à l’avis du Conseil d’État. Il sera très prochainement porté à votre connaissance et j’espère, comme cela a toujours été le cas ici, que nous pourrons travailler ensemble sur ces questions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le garde des sceaux, mais un léger problème continue de me tracasser : voyez-vous, dans le rapport de la mission Houillon-Raimbourg, qui constitue désormais l’alpha et l’oméga de la politique de la Chancellerie,…
Mme Nathalie Goulet. … il est quand même expliqué que la direction des affaires criminelles et des grâces, qui dépend, me semble-t-il, de votre ministère, a supprimé la collecte des données.
Mme Nathalie Goulet. D’ailleurs, la recommandation n° 13 de ce fameux rapport commandé par votre ministère, que l’on trouve en pages 38 et 39, consiste à demander le recensement des décisions de classement sans suite et d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il faut que nous travaillions ensemble sur ce sujet : ce recensement est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture.
Le projet de pass culture opère une rupture radicale dans le cadre des politiques publiques de la culture : il inverse les termes de la politique de l’offre et de la demande et positionne les acteurs du service public de la culture dans une concurrence directe et frontale avec les grands opérateurs du privé et avec les industries culturelles du loisir.
Le projet de pass culture part d’un principe jamais débattu en vertu duquel la question de l’accès à la culture des jeunes est d’abord un problème économique et technologique avant d’être un sujet éminemment symbolique et politique, dont l’exclusion sociale et territoriale est le marqueur principal.
Le projet de pass culture ignore l’engagement quotidien des équipes de médiation et de transmission culturelles, dont je rappelle qu’il est financé très majoritairement par les collectivités territoriales.
Le projet de pass culture draine sur lui un budget intarissable, « quoi qu’il en coûte », véritable gabegie dont il ne fait nul doute que la Cour des comptes en dénoncera les errements le moment venu.
Après Françoise Nyssen et Franck Riester, Roselyne Bachelot est la troisième ministre à récupérer ce mistigri présidentiel. À l’heure où la généralisation du pass culture vient d’être décidée par le Président de la République lui-même, sont-ce McFly et Carlito qui en assureront le service après-vente (Sourires.), ou ne pensez-vous pas plutôt qu’il est grand temps d’arrêter les frais ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, pour avoir présidé le groupe qui a accompagné le développement du pass culture, vous avez suivi les expérimentations mises en place. Vous savez donc que celui-ci permet l’émancipation et l’accès à des concerts, à des festivals, ou encore à l’achat d’instruments de musique ou de livres, au bénéfice d’une jeunesse qui connaît de réels freins d’accès à la culture.
Les premiers résultats du déploiement et de la généralisation du pass culture, porté par le Président de la République et par ma collègue Roselyne Bachelot dès vendredi dernier, montrent que plus de 650 000 jeunes ont téléchargé l’application : c’est aujourd’hui la première application téléchargée sur les plateformes gratuites.
Le pass culture permet aux jeunes de 18 ans de notre pays de retrouver de l’air, de retrouver cette culture qui nous a tant manqué.
Monsieur le sénateur, 80 % des dépenses réalisées par ces jeunes ont été consacrées aux livres. Oui, ces jeunes ont acheté des livres !
Cette ouverture à la culture est une chance. Elle est accompagnée par l’enseignement et l’éducation à la pratique artistique et culturelle. Jean-Michel Blanquer et moi-même avons la volonté de déployer encore plus largement le pass culture, dès la classe de quatrième, au travers de projets collectifs et pédagogiques sur les territoires, et, un peu plus tard, en terminale, via des projets individuels.
L’idée est simple : accompagner chacun de nos enfants sur le chemin de l’accès à la culture pour tous, en empêchant que les freins financiers ne constituent une barrière. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jacques-Bernard Magner applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. J’entends votre réponse, madame la secrétaire d’État, mais elle ne convainc pas grand monde ici. En tout point du pays, c’est la puissance du réseau de la culture décentralisée qui assure la relation au public jeune, en particulier. C’est une action durable et constante, dont les artistes sont les premiers acteurs.
La priorité à accorder à la jeunesse ne saurait passer par des gadgets décidés verticalement depuis Paris, au mépris des réalités de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation en algérie
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Tout d’abord, je souhaite associer à ma question les collègues de mon groupe ici présents, ainsi que mon ami Olivier Léonhardt, sénateur de l’Essonne, qui vous avait déjà interrogé, monsieur le ministre des affaires étrangères, sur la situation de l’Algérie.
Il y a deux ans est né en Algérie un mouvement citoyen, pacifique et mixte, qui constitue un immense espoir pour la jeunesse algérienne. Ce mouvement, que demande-t-il ? Un pouvoir civil, des libertés démocratiques, un meilleur partage des richesses et la fin de la corruption. Bref, un avenir.
Depuis quelques mois, à la faveur de la crise sanitaire, la répression s’est abattue sur ce mouvement. On ne compte plus les citoyens, les militants, les journalistes arrêtés, emprisonnés, condamnés. Le but du pouvoir est, par la peur et la domination, de casser ce mouvement.
Les libertés fondamentales d’opinion, de manifestation, d’information, ainsi que le droit à un procès équitable, qui sont garantis par la Déclaration universelle des droits humains, sont bafoués. Monsieur le ministre, que pouvons-nous faire pour les garantir en Algérie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, comme vous le savez, nos deux pays, l’Algérie et la France, sont unis par des liens humains ancrés dans l’histoire – des liens tout à fait essentiels.
Notre volonté est de renforcer cette relation, et elle s’exprime au plus haut niveau, puisque le président Abdelmadjid Tebboune et le président Macron se parlent régulièrement.
Le Premier ministre se rendra bientôt à Alger pour un comité interministériel de haut niveau, qui devait avoir lieu il y a quelques jours, mais qui a été repoussé en raison de la pandémie. Et, avec mon homologue le ministre des affaires étrangères, j’entretiens des relations régulières.
Les autorités algériennes ont manifesté l’ambition de réformer l’Algérie en profondeur, dans un esprit de dialogue et d’ouverture qui corresponde aux attentes exprimées par les Algériens, de manière pacifique et avec dignité, lors du Hirak.
Notre seul souhait, c’est la réussite des réformes au bénéfice de l’Algérie et des Algériens. En effet, madame la sénatrice, c’est aux Algériens, et à eux seuls, de déterminer cette voie et de fixer les modalités de leur destin, dans le respect des libertés publiques, de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, auxquelles la France est attachée partout dans le monde.
Je trouve singulier que vous posiez cette question à ce moment précis. Des élections législatives vont en effet se dérouler dans quinze jours en Algérie, et la campagne est ouverte depuis deux semaines.
Vous permettrez que, par respect pour la souveraineté du peuple algérien, je ne fasse pas de commentaire supplémentaire.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, nous respectons tous la souveraineté du peuple algérien, mais, actuellement, 137 personnes sont emprisonnées dans ce pays pour délit d’opinion.
Le processus que vous décrivez, celui de la réforme en profondeur de l’Algérie par la démocratie, est un processus idéal. C’est celui dont nous rêvons tous, mais il n’a pas lieu !
Ce qui se passe actuellement en Algérie est l’inverse d’un processus de réforme. Vous savez bien que les atteintes quotidiennes aux libertés sont extrêmement dangereuses pour l’avenir de ce pays. La jeunesse algérienne est aujourd’hui sans avenir ; elle le sait, elle le ressent. Aussi, que se passe-t-il ? Elle fuit massivement. Savez-vous que, depuis l’année dernière, 50 % de jeunes Algériens supplémentaires ont quitté leur pays pour rejoindre les côtes de l’Europe ?
Ce qui se passe en Algérie, c’est notre cœur qui le ressent ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
langues régionales
M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Muller-Bronn. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement. Je regrette, bien sûr, l’absence de M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, qui aurait pu répondre à cette question.
Madame la secrétaire d’État, le 8 avril dernier, les langues régionales ont obtenu une reconnaissance et une victoire historiques à l’Assemblée nationale. La loi proposée par notre collègue député Paul Molac a en effet été adoptée à une très large majorité, d’abord au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, avec 276 voix pour et seulement 76 voix contre.
Ce vote est le résultat d’un processus démocratique et transpartisan pour la promotion des langues régionales, notamment grâce à l’article 4, qui inscrit dans la loi l’enseignement immersif.
Pourtant, le Gouvernement a décidé de s’y opposer en déposant un recours devant le Conseil constitutionnel, contre sa propre majorité. Et – faut-il y voir un message symbolique ? –, c’est le 21 mai, date de la Journée mondiale pour la diversité culturelle, le dialogue et le développement, que le Conseil a rendu sa décision et signé ce qui ressemble à l’arrêt de mort des langues de France, en censurant l’essentiel de la loi Molac dans des conditions on ne peut plus troubles.
En effet, plusieurs députés La République En Marche ont publiquement affirmé que leur signature sur ce recours leur avait été arrachée et ont écrit au Conseil constitutionnel pour la retirer.
En même temps, le Premier ministre, hier, et le Président de la République, aujourd’hui, déclarent que « les langues régionales sont une chance pour la République ». Pour minimiser l’effet de cette censure, on annonce la création d’une énième mission, confiée à deux députés. Qu’attendez-vous concrètement de cette mission ?
Ma question est simple : quel est l’avenir des écoles publiques et associatives basques, bretonnes, alsaciennes, occitanes et autres, sous contrat avec l’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et GEST. – Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Madame la sénatrice Laurence Muller-Bronn, la proposition de loi Molac, adoptée dans les conditions que vous avez rappelées, n’a pas fait l’objet de la part du Gouvernement d’un recours – en tant que Premier ministre, il est de fait que j’en ai la possibilité – devant le Conseil constitutionnel. (M. Max Brisson s’exclame.)
En toute hypothèse, je rappelle au Sénat que la principale censure prononcée par le Conseil constitutionnel l’a été à la suite de la procédure de saisine d’office. Cela montre que la question est réelle : ce sujet aurait pu faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, une QPC. (M. Max Brisson proteste.) Voilà pour ce qu’il en est de l’aspect juridique et procédural.
Je vais désormais vous faire une réponse politique. Le Gouvernement et le Président de la République sont extrêmement attachés, vous l’avez dit vous-même, aux langues régionales. (M. Max Brisson manifeste son scepticisme.)
Vous êtes, madame la sénatrice, une élue de l’Alsace. Je suis moi-même élu d’une région où les langues régionales sont très développées. Renseignez-vous : je les ai toujours soutenues et encouragées.
M. Max Brisson. Sauf cette fois ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Il nous appartient donc, dans le respect de l’État de droit républicain, lequel est observé par l’ensemble des membres de la Haute Assemblée, de tenir compte de cette décision et d’en tirer tous les enseignements. Nous le ferons avec la volonté de préserver et de maintenir le rôle des langues régionales à l’école, dans le cadre de l’unité de la République.
M. David Assouline. C’est une nouvelle déclaration de politique générale !
M. Jean Castex, Premier ministre. Comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, je me suis exprimé hier à l’Assemblée nationale sur la méthode.
Devant le Sénat, je ferai un pas de plus, en évoquant la rentrée de ces établissements, en particulier – cette question a en effet été posée – de ceux qui sont sous contrat d’association avec l’État et qui ont exprimé, je l’ai vu comme vous, des inquiétudes à la suite de cette décision.
Je le dis au Sénat, cette rentrée s’effectuera tout à fait normalement pour ces établissements. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. Max Brisson. Et ensuite ?
M. Jean Castex, Premier ministre. La mission que vous avez évoquée, madame la sénatrice, et qui est une initiative parlementaire, puisqu’elle émane d’un député, sera courte – ce point, en effet, vous inquiétait.
Après que les deux députés m’auront rendu leurs conclusions, je l’ai dit, je recevrai l’ensemble des associations concernées, pour que, sereinement, nous en tirions toutes les conséquences. Ces dernières, je l’indique également au Sénat, seront marquées par la volonté politique du Gouvernement de préserver la richesse que constituent, dans le cadre de l’unité de la République, les langues régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Christine Herzog. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
L’émission Cash Investigation du mercredi 19 mai dernier a révélé ce qui pourrait bien être considéré comme un scandale d’État. Le 12 septembre 2018, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, avait autorisé les pharmaciens à collecter les données de santé des Français au profit d’Iqvia, filiale française du plus gros data broker américain.
Contre une imprimante gratuite et 6 euros par mois et par pharmacie, toutes les données médicales de nos concitoyens sont automatiquement transmises : numéro de sécurité sociale, prénom, âge, sexe, affections, traitements, etc. Un « plat de lentilles » à l’échelle des profits suscités par ces données, qui sont ensuite revendues à toutes sortes de sociétés, qui, via les États-Unis, peuvent ainsi faire du ciblage publicitaire de plus en plus précis, en justifiant un pseudo-intérêt d’ordre public qui ne peut être contrôlé.
À ce jour, la moitié des pharmacies pratiqueraient cette collecte, soit 10 000 officines, et 40 millions de Français seraient ainsi concernés. Et cela en toute illégalité, puisque le règlement général sur la protection des données, le RGPD, impose une information préalable et l’expression d’un accord explicite avant toute collecte de données. Or, en pratique, l’information n’est jamais affichée, et le consentement jamais donné.
Plus grave encore, cette pratique serait connue du Président de la République et couverte au plus haut de l’État.
Monsieur le secrétaire d’État, que pouvez-vous nous dire de ces méthodes ? Confirmez-vous qu’elles sont illégales ? Et si oui, qu’allez-vous faire pour mettre fin à la marchandisation de la santé des Français, qui ignorent cette pratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question. L’émission que vous avez évoquée suscite un certain nombre d’interrogations que vous avez relayées et auxquelles il est important d’apporter des réponses précises, tant ces sujets sont importants pour nos concitoyens et pour nos libertés.
Cette question porte sur l’accès aux données de santé de nos concitoyens par les pharmaciens et sur l’usage qui en serait fait, notamment par Iqvia. Cette société récupère auprès des 14 000 officines dont elle est partenaire et héberge sur ses serveurs un certain nombre de données entièrement pseudonymisées.
Cette entreprise n’a jamais accès à l’identité du patient. Ces données permettent de mener des études d’intérêt public, qui visent, par exemple, à l’évaluation de la bonne utilisation du médicament, l’analyse scientifique et statistique des phénomènes liés à la persistance, la conformité, le respect des prescriptions et des contre-indications. Je précise que vous pouvez consulter ces études en ligne de façon transparente.
Autre point important, ces données ne sont pas vendues, car c’est effectivement interdit. C’est bien la prestation d’analyse faite à partir de ces données qui donne lieu à indemnisation du pharmacien. Cette nuance est importante.
Ce processus, notamment s’agissant de son niveau de sécurité, est parfaitement conforme, contrairement à ce que vous laissiez entendre, à la déclaration faite à la CNIL, laquelle prévoit que ces données traitées en interne ne sont pas transmises à des tiers.
La CNIL avait souligné, dans son arrêt de 2018, l’intérêt public majeur que représentaient les études menées sur la base de ces données. À titre d’exemple, certaines de ces dernières – nombre de vaccins, de tests antigéniques, d’autotests vendus chaque jour… – sont en open data et participent de la gestion de la crise.
En retour de l’envoi de ces données, la société Iqvia émet pour chaque officine partenaire un cahier de bord, afin de lui permettre une meilleure gestion de son officine. Les données servent aussi pour les négociations conventionnelles du réseau officinal avec la Caisse nationale de l’assurance maladie, la CNAM.
Le dossier pharmaceutique, dont le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens est responsable, et le dossier médical partagé sont totalement indépendants, là aussi, de la relation entre le pharmacien et la société. Il n’y a aucun accès possible de cette société à la carte Vitale ou à l’un de ces dossiers.
L’intérêt de ce reportage était de rappeler l’importance de la transparence en ces matières. La société Iqvia a pris un certain nombre de mesures, que je n’ai pas le temps de développer, mais qui vont dans ce sens.
campagne électorale en cours
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, y a-t-il un pilote dans l’avion ? C’est la question que se posent des millions de Français après avoir appris que quinze membres de votre gouvernement étaient candidats aux élections régionales ou départementales.
Alors que la France est plongée dans une crise sanitaire, économique et sécuritaire inédite dans l’histoire, vos ministres n’ont manifestement rien de mieux à faire que d’aller distribuer des tracts ou coller des affiches, avec Rolex, ou Bréguet, et boutons de manchette aux poignets.
Le ministre de l’intérieur et celui de la justice sont candidats, rien de moins ! Le sont également le ministre des petites et moyennes entreprises et la ministre de l’industrie, des secteurs en grande souffrance à cause de votre politique. Mme Schiappa est aussi candidate, mais comme sa seule activité est de faire des tweets, personne ne verra la différence. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le ministre de la santé a même affirmé qu’il irait coller des affiches de Renaud Muselier dans ma région, en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Avec un tel adversaire, Thierry Mariani n’a plus besoin de soutien : il est assuré de la victoire le 27 juin prochain ! (Mêmes mouvements.)
Vous-même, monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé l’alliance entre LREM et LR dans ma région. Vous n’êtes plus le chef d’une majorité, mais le directeur de campagne du dynamitage du parti Les Républicains.
Pendant ce temps, des Français souffrent, sont au chômage, dorment dans la rue ou dans leur voiture, se font agresser, y compris des maires de petites communes.
Pendant que vous faites campagne et que vous découvrez le pays – c’est déjà cela… (Sourires.) –, des restaurateurs, des hôteliers et des cafetiers se battent tous les jours pour survivre.
Pendant ce temps, les jardins de l’Élysée se transforment en théâtre de Guignol ; c’est non plus le Jamel, mais le Emmanuel Comedy Club… Charles, François, réveillez-vous : ils sont devenus fous !
J’ai honte pour la France, mes chers collègues, et j’ai même honte pour vous, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement. Mais la honte retombe, d’abord, sur ceux qui participent à cette mascarade et soutiennent ces pitreries, plus préoccupés par leurs postes que par leur pays.
M. le président. Veuillez conclure !
M. Stéphane Ravier. Ils auront le déshonneur et la défaite, comme l’a prédit Éric Ciotti !
Ma question est donc la suivante : monsieur le Premier ministre, ne vous sentez-vous pas trop seul à la table d’un conseil que trop de ministres ont déserté pour aller se promener en campagne électorale ? (Mme Christine Herzog et M. Alain Duffourg applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je crois que c’est parce que je suis ministre chargé des élections que l’on m’a désigné pour répondre à votre inventaire à la Prévert, dont les jeux de mots relevaient d’ailleurs plutôt de l’Almanach Vermot.
Pourquoi un tel mépris envers les tracts, les campagnes électorales et les élections ? Pour ma part, j’ai pu me présenter aux élections municipales, comme vous, et être ministre ; mais j’ai été élu, et pas vous… (Rires.)
M. Stéphane Ravier. En trahissant vos amis !
M. Gérald Darmanin, ministre. Avant de donner des leçons de démocratie, présentez-vous, gagnez les élections, et ne reprochez pas aux autres les mauvaises expériences que les électeurs vous ont fait vivre ! (Applaudissements sur les travées du RDPI. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. Stéphane Ravier. Je suis élu, ne vous en déplaise !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 2 juin 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Solidarité dans la crise
Discussion et retrait d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi d’urgence visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise, présentée par Mmes Raymonde Poncet Monge, Sophie Taillé-Polian et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 531, résultat des travaux de la commission n° 575, rapport n° 574).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la proposition de loi.
Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que je présente au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires comprend une mesure immédiate de lutte contre l’aggravation de la pauvreté résultant de la crise sanitaire, ainsi que son financement solidaire.
Le constat social est sans appel et s’aggrave de jour en jour : selon les associations nationales de solidarité du collectif Alerte, un million de personnes, qui s’ajoutent aux plus de 9 millions de personnes recensées avant la crise sanitaire, auraient basculé dans la pauvreté en 2020, et des centaines de milliers dans la grande pauvreté.
Bien avant que les statistiques de l’Insee ne mesurent le recul du niveau de vie des plus précaires, ces acteurs, au plus près du terrain, alertaient sur la dégradation de la situation sociale au travers d’indicateurs probants : explosion du recours à l’aide alimentaire et arrivée massive de nouveaux publics, dont des jeunes, des étudiants et des indépendants.
Quant aux départements, ils enregistraient une augmentation rapide des demandes d’allocation du revenu de solidarité active, le RSA, et des aides personnelles au logement, les APL.
C’est à ce contexte plus qu’alarmant que nous souhaitons apporter une première réponse.
Le retour du creusement des inégalités a certes précédé la crise et trouve sa source dans les mesures fiscales ou de dérégulation que nous avons dénoncées en leur temps et auxquelles nous continuerons d’apporter des réponses structurelles dans de prochaines propositions de loi, afin de renouer avec le progrès social. Mais, pour les plus vulnérables, le surcroît de difficultés dans ce contexte de pandémie est dû à l’insuffisance des mesures d’accompagnement gouvernementales.
Privés d’actions publiques fortes de soutien, ces ménages sont passés en quelques mois d’une situation plus que fragile à une situation dans laquelle ils ne parvenaient plus du tout à faire face à leurs besoins fondamentaux, voire vitaux.
C’est ce constat partagé par les acteurs de la lutte contre la pauvreté et contre l’exclusion qui nous invite à adopter sans attendre des mesures d’urgence propres à la situation de crise et qui nous conduit à formuler cette proposition d’une aide forfaitaire mensuelle, ciblée sur le public le plus défavorisé, rapidement opérationnelle et automatisable.
Nous avons alors délimité le périmètre le plus pertinent d’application de la mesure.
La capacité à faire face à la situation de crise, notamment de confinement, s’est révélée dans le mouvement de croissance du patrimoine financier net dû à l’épargne supplémentaire, c’est-à-dire le surcroît d’épargne par rapport à la trajectoire normale en 2020 et à celle qui était prévue en 2021.
Les ménages situés en bas de l’échelle de distribution des revenus ont été les plus frappés par la baisse des revenus, en raison notamment de leur situation de précarité.
Sans grande surprise, sur près de 200 milliards d’euros d’épargne supplémentaire, la Banque de France et différents organismes d’analyse convergent pour estimer que les 20 % de ménages aux revenus les plus faibles ont désépargné ou se sont endettés à hauteur de 2 milliards d’euros pour la seule première période de confinement. Inversement, quelque 70 % de l’épargne supplémentaire étaient concentrés chez les 20 % de ménages aux plus hauts revenus.
Par ailleurs, la Fondation Abbé Pierre, qui a analysé les arbitrages de dépenses des ménages pauvres lors de la crise financière de 2008, nous enseigne que, en cas de baisse de ressources, comme aujourd’hui, ces ménages privilégient le paiement du loyer, ce qui augmente le taux d’effort. Face à la baisse du reste à vivre, réduit à une poignée d’euros par jour et par personne – on parle de 9 euros –, ils rationnent les autres dépenses, alimentaires et de soins notamment. Les impayés de loyer surviennent plus tard, quand la baisse des ressources perdure et que l’épargne est épuisée.
Dès lors, pour définir le périmètre le plus pertinent et le plus prioritaire, nous avons retenu le public allocataire des APL, dont 40 % vivent sous le seuil de pauvreté, la mesure prenant la forme d’un complément forfaitaire aux APL facilement mobilisable.
En effet, autre constat, 50 % des allocataires des APL appartiennent aux 20 % des ménages au niveau de vie le plus bas, et 90 % de ces allocataires aux 30 % de ménages les plus pauvres : ce sont bien ces ménages que nous visons en priorité avec cette mesure.
De plus, rappelons que ces allocations ont diminué depuis 2017, ce qui a contribué à faire baisser le pouvoir d’achat : baisse forfaitaire de 5 euros, désindexation et contemporanéisation. La moitié des économies budgétaires induites par ces réformes ayant été réalisée sur le dos des 20 % les plus pauvres, la moitié de notre aide d’urgence ira également vers la même population et le reste sur les déciles proches.
Enfin, de toutes les prestations, ce sont les APL qui ont le plus fort impact social et l’effet redistributif le plus puissant : elles réduisent de près de 8 points l’intensité de la pauvreté.
Si les APL sont le support, c’est parce qu’elles délimitent le public prioritaire dans le cadre d’une mesure d’urgence de soutien au pouvoir d’achat à destination des plus touchés par la crise. Nous vous proposons donc de voter l’article 1er, qui prévoit une aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros par mois à compter de la promulgation de la loi et jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence.
Concernant la compensation financière de cette dépense étatique, nous proposons de décaler d’un an, comme cela s’est déjà produit, le dispositif de la deuxième tranche d’exonération de la taxe d’habitation des 20 % de ménages les plus aisés, ce qui permet à l’État de conserver 2,62 milliards d’euros de ressources en 2022.
Tout comme les aides, la ressource qui les finance présente un caractère ponctuel. Mais l’idée est bien de décaler une réforme aux effets antiredistributifs massifs et inopportuns, puisque cette dernière alloue un gain de pouvoir d’achat aux ménages les plus aisés, dans un contexte où ceux-ci ont constitué des niveaux inégalés d’épargne en un temps très court.
Notons en effet que le gain attendu de pouvoir d’achat à terme de cette réforme de la taxe d’habitation, soit près de 18 milliards d’euros, sera concentré pour 45 % au profit des 20 % des ménages les plus favorisés, les 80 % déjà exonérés – soit quatre fois plus – se partageant les 55 % restants.
Ce cadeau fiscal, qui a le même effet qu’une dépense sur l’équilibre budgétaire de l’État et qui a été justifié au nom d’un principe d’égalité désincarné, se révèle de fait particulièrement inéquitable.
Il ne s’agit cependant pas de revenir sur cette baisse initialement pensée pour les classes moyennes, dès à présent exonérées, mais de la décaler d’un an, dans le contexte exceptionnel de la crise, afin de préserver des marges de manœuvre financières à l’État pour assurer plus fortement son rôle de protection des plus vulnérables. C’est l’objet de l’article 2.
Mes chers collègues, l’accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine, démultipliées en période de crise, reste, quel que soit le contexte économique, incompatible avec la lutte contre la pauvreté et contre le recul du niveau de vie des plus précaires.
L’urgence sociale nous invite à des mesures immédiates, justes et solidaires. Je vous demande d’adopter l’une d’elles en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise comprend deux articles, le second étant présenté comme une compensation des conséquences financières du premier.
L’article 1er prévoit le versement d’un complément de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides personnelles au logement. Cette mesure s’appliquerait jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence, c’est-à-dire jusqu’à la fin août de cette année si l’état d’urgence n’est pas prorogé au-delà du 1er juin.
Cette mesure est rattachée par ses modalités aux aides au logement, ce qui faciliterait certainement sa mise en œuvre, mais elle est en fait d’une nature très différente.
En effet, elle ne dépend pas du niveau du loyer, des ressources, du patrimoine ou même du nombre de personnes composant le ménage : l’aide serait identique pour une famille nombreuse sans ressources, qui bénéficie en conséquence d’une APL relativement élevée, et pour une personne seule à revenu plus élevé, pour laquelle le niveau de l’APL est réduit.
Il s’agirait donc d’une aide sociale générale, sans véritable lien avec les dépenses de logement, mais dotée d’un effet de seuil considérable, puisqu’une légère différence de revenus suffirait pour qu’un ménage bénéficie, ou non, de l’intégralité de l’aide de 100 euros.
Le coût est facile à estimer : le nombre des bénéficiaires des aides personnelles au logement étant d’environ 6,6 millions d’euros, la mesure représenterait une dépense de l’ordre de 660 millions d’euros par mois, ou 2 milliards d’euros pour trois mois. Pour mémoire, le montant total des aides personnelles au logement a été de 17 milliards d’euros en 2020, dont 13,9 milliards d’euros à la charge de l’État.
L’article 1er gage cette dépense sur les recettes provenant du report de la mise en œuvre de la taxe d’habitation à l’article 2, mais ces recettes seront nulles en 2021. En pratique, c’est donc une taxe additionnelle aux droits sur le tabac qui devrait être créée.
Aussi, cette aide, dont la création repose sur le souhait légitime d’aider les ménages à revenus modestes pendant la crise sanitaire, me semble mal adaptée à la diversité de leur situation, ainsi qu’à leur exposition réelle aux effets de la crise, qui dépend d’autres facteurs, tels que le secteur économique d’activité ou le type de contrat de travail. La commission des finances n’a donc pas adopté cet article.
L’article 2 de la proposition de loi a pour objet de modifier la trajectoire de suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales pour ce qui concerne, plus particulièrement, l’allègement en faveur des « 20 % de ménages aisés ».
La mesure a un double objectif d’après les auteurs de la proposition de loi. Tout d’abord, elle vise à dégager des ressources pour assurer le financement des aides proposées à l’article 1er. Ensuite, elle prévoit d’organiser une contribution plus importante des ménages que l’exposé des motifs qualifie de « privilégiés ».
Mes chers collègues, je me permettrai de vous présenter un bref rappel des grandes lignes de la réforme de la taxe d’habitation sur les résidences principales, avant de vous expliquer plus précisément le contenu de la proposition de loi.
À l’occasion de la loi de finances pour 2018, le Parlement a adopté, comme vous le savez, un dégrèvement progressif de la taxe d’habitation sur les résidences principales en faveur des « 80 % de ménages les moins aisés ». Ainsi, en 2020, les ménages concernés ont bénéficié d’un dégrèvement intégral de la taxe d’habitation sur les résidences principales.
Dans la loi de finances pour 2020, le Parlement a voté la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales à compter de 2023. Cette réforme comporte plusieurs volets.
En premier lieu, le dégrèvement de la taxe d’habitation sur les résidences principales est transformé en exonération.
En deuxième lieu, les « 20 % de ménages aisés » restant redevables de la taxe dans le dispositif introduit en 2018, bénéficieront d’une exonération progressive en 2021 et 2022. Ainsi, en 2021, l’exonération sera égale à 30 % et à 65 % en 2022.
En troisième lieu, à compter de 2021, le produit de la taxe d’habitation sur les résidences principales est intégralement reversé à l’État.
Enfin, la réforme prévoit que les collectivités locales bénéficient de ressources de substitution, au travers, vous le savez, de la redescente de la part départementale de la taxe foncière ou de l’affectation d’une fraction de TVA.
La commission des finances et le Sénat ont largement discuté et débattu de cette réforme, que nous jugions, je le rappelle, critiquable sur de nombreux points.
En particulier, nous avions considéré que l’impact sur les collectivités locales de la mise en œuvre de ce nouveau modèle de financement n’était pas suffisamment évalué. Le Sénat avait donc, sur l’initiative de la commission des finances, voté une série d’amendements tendant à décaler d’un an la mise en œuvre du nouveau schéma de financement des collectivités locales.
Je me permets d’insister sur ce dernier point : ce que le Sénat a voté, c’est un décalage d’un an de la redescente de la taxe foncière et de l’affectation de TVA aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, et aux départements.
À aucun moment, le Sénat n’a remis en question par son vote le principe ou la trajectoire d’allègement en faveur des 20 % de ménages restant redevables de l’impôt. Celle-ci s’impose pour des motifs constitutionnels, comme l’analysait fort bien le rapport Richard-Bur de 2017.
J’en viens au contenu de l’article 2 de la proposition de loi. Il prévoit que l’exonération à 65 % de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui doit s’appliquer en 2022 au profit des 20 % des ménages restant redevables de l’impôt, soit limitée à 30 %. L’exonération à 65 % ne s’appliquerait qu’en 2023, et la taxe ne serait supprimée, corrélativement, qu’en 2024.
Tout d’abord, je rappelle que ces propositions sont absolument sans incidence pour les collectivités locales, qui n’y gagneront ou n’y perdront rien. En effet, le nouveau schéma de financement des collectivités locales est déjà en vigueur : c’est donc l’État qui perçoit actuellement la taxe d’habitation sur les résidences principales. Ne voyons donc pas là, mes chers collègues, une occasion de refaire le match de la réforme en faveur des collectivités locales, car tel n’est pas l’objet de ce texte.
Ensuite, j’estime que cette proposition n’est pas bienvenue : par conséquent, je vous proposerai de rejeter cet article.
Premièrement, la mesure a pour objet d’engendrer une recette supplémentaire pour l’État de l’ordre de 2,6 milliards d’euros en 2022, afin de financer le coût des aides prévues à l’article 1er. Par cohérence avec la proposition de rejet de cet article que j’ai déjà évoqué, je considère que le dispositif de l’article 2 ne se justifie plus.
Deuxièmement, la mesure vise, selon ses auteurs, à renforcer la justice fiscale en organisant une plus forte participation des ménages « favorisés ». Ce terme est, me semble-t-il, loin d’être adéquat. Certes, les ménages encore redevables de la taxe d’habitation disposent, par définition, des 20 % de revenus les plus importants.
Néanmoins, il faut rappeler que cette présentation ne rend pas compte du fait que les seuils retenus sont en réalité assez faibles et que l’on peut être, dans une pièce comptant dix personnes, parmi les deux qui gagnent le mieux leur vie sans pour autant être riche.
Par exemple, un couple sans enfant figure parmi les 20 % de ménages aisés dès lors que le revenu mensuel de chacun des conjoints excède 1 749 euros après impôts. Pour un couple avec deux enfants, ce montant est de 2 256 euros.
Il s’agit pour moi non pas de nier le fait qu’une part importante de nos concitoyens perçoit des revenus inférieurs à ceux que je viens de citer, mais plutôt de rappeler que l’on ne peut pas vraiment dire que les ménages visés par la mesure proposée sont des « privilégiés ».
En troisième et dernier lieu, j’indiquerai que revenir sur le niveau de l’exonération applicable en 2022 serait un mauvais signal.
Ce serait un mauvais signal pour le soutien à la relance, car cela réduirait le pouvoir d’achat des ménages qui s’attendaient à bénéficier de cette mesure.
Ce serait un mauvais signal pour la prévisibilité de la loi de fiscale également, alors que celle-ci constitue un élément de confiance important.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, la commission des finances n’a adopté aucun des deux articles de la proposition de loi et vous propose donc de rejeter celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit ce jour repose sur différents constats et tend à apporter une réponse juste et solidaire à la crise que nous traversons.
Avant de savoir si nous sommes d’accord sur les solutions, il faut tout d’abord nous assurer que nous nous entendons sur le constat et les problèmes.
En premier lieu, nous partageons évidemment le constat que vous avez dressé, madame la sénatrice : la crise sanitaire a incontestablement aggravé les inégalités.
Par de nombreux aspects, la crise du covid affecte plus durement les ménages en bas de l’échelle de revenus, pour différentes raisons.
Ces ménages sont plus nombreux à travailler dans des secteurs particulièrement pénalisés par la crise, comme la restauration ou les transports. Ils bénéficient moins souvent que les autres de contrats de travail à durée indéterminée. Ils occupent des postes qui peuvent moins facilement être exercés en télétravail. Ils ont dû faire face, enfin, à des dépenses supplémentaires : je pense, par exemple, aux dépenses alimentaires lors de la fermeture des cantines scolaires.
Ce constat est évident, mais, fort heureusement, le Gouvernement n’a pas attendu mai 2021 pour le dresser.
Pour mémoire, comme je le déclarais tout à l’heure lors des questions d’actualité au Gouvernement – pardonnez-moi cette redondance ! –, une étude du Trésor de fin 2020 montrait que les deux tiers des bénéficiaires des aides débloquées pour les ménages afin de faire face à la crise figuraient parmi les 20 % des Français les moins riches. Cela ne signifie certainement pas que la question est réglée, mais on peut au moins dire que la réponse a été rapide, juste et solidaire.
En l’état, la bonne nouvelle est que nous faisons le même constat et que nous faisons mieux que partager la solution : nous l’appliquons. Pour autant, si d’autres moyens peuvent être fort légitimement envisagés pour amplifier l’aide à nos concitoyens les plus modestes, nous divergeons clairement sur la nature de ces moyens.
L’article 1er de la proposition de loi prévoit le versement d’une aide de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides au logement, à compter de la promulgation de la loi et jusqu’à trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, prévue le 1er juin prochain.
Cette proposition présente plusieurs limites, déjà évoquées par M. le rapporteur.
En premier lieu, le montant prévu n’est pas nécessairement proportionné ou adapté aux besoins des foyers ; en particulier, il ne dépend pas de la configuration familiale.
En second lieu, la cible du dispositif est discutable, car elle n’englobe pas les bénéficiaires du RSA, qui ne perçoivent pas, vous le savez, d’aides au logement. En outre, le versement d’une aide exceptionnelle ciblée vers les bénéficiaires d’une prestation suscite ou renforce des effets de seuil importants, qui, s’ils peuvent être raisonnables dans le cas d’un versement ponctuel, seraient amplifiés dans le cas de versements répétés.
En troisième lieu, et enfin, cette mesure représenterait un coût que je soumets à votre appréciation : 610 millions d’euros par mois de versement, soit plus de 1,8 milliard d’euros pour trois mois…
M. le rapporteur Guené l’a clairement expliqué, il est proposé, au travers de l’article 2, de décaler, de 2022 à 2023, l’entrée en vigueur de la mesure portant de 30 % à 65 % l’exonération de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés et, de 2023 à 2024, la suppression de cette taxe pour ces ménages.
Pour rappel, l’article 16 de la loi de finances pour 2020 prévoit la suppression totale et définitive, par étapes et de façon bornée dans le temps – de 2020 à 2023 –, de la taxe d’habitation sur l’habitation principale.
Or – ce n’est pas à vous que je le rappellerai – c’est un principe constitutionnel qui a incité le Gouvernement à amplifier cet engagement du Président de la République, dont la proposition initiale ne visait pas, c’est vrai, les 20 % des ménages les plus aisés.
En effet, dans sa décision sur le projet de loi de finances pour 2018, le Conseil constitutionnel a clairement rappelé qu’il se réservait la possibilité de réexaminer cette disposition au regard du principe d’égalité devant les charges publiques, en fonction notamment de la façon dont serait traitée la situation des contribuables restant assujettis à la taxe d’habitation.
De même, le Conseil d’État estime qu’un dispositif consistant en un impôt national calculé à partir d’assiettes localement définies et de taux déterminés par les collectivités locales méconnaîtrait, s’il était pérenne, les principes d’égalité devant la loi et les charges publiques, mais pourrait être admis à titre transitoire « pour une durée courte, par exemple d’un ou deux ans ».
Ainsi, le décalage d’un an de l’échéancier de suppression de la taxe d’habitation pourrait être perçu comme un renoncement à la réforme, ce que nous ne souhaitons pas, et présenterait en outre un fort risque d’inconstitutionnalité, ce que nous ne souhaitons pas davantage.
Au regard de ces deux difficultés réelles, le Gouvernement ne peut soutenir, vous le comprendrez, cette proposition de loi en l’état.
Toutefois, je puis vous le garantir, il a bien l’intention de continuer à soutenir, par d’autres moyens, l’objectif d’une réponse juste et solidaire à la crise que nous traversons. La diminution de la pauvreté demeure pour nous une boussole, et c’est avec cette boussole que nous avons déterminé le chemin que nous suivons depuis le début de la crise.
Rappelons tout d’abord le formidable amortisseur de la baisse des revenus du travail qu’ont représenté la mise en place de l’activité partielle, celle du fonds de solidarité et l’extension des indemnités journalières.
Ensuite, à ces aides générales, nous avons ajouté des aides exceptionnelles en faveur des plus fragiles.
Tout d’abord, en mai 2020, une aide exceptionnelle de solidarité de 150 euros a été versée aux bénéficiaires du RSA, complétée par une aide de 100 euros par enfant, laquelle a été étendue également aux familles bénéficiaires des aides au logement, ce qui représente près de 4,1 millions de bénéficiaires. Par ailleurs, les étudiants en difficulté et les jeunes précaires de moins de 25 ans ont reçu une aide de 200 euros en juin 2020 ; cela a concerné environ 800 000 bénéficiaires.
Ensuite, l’allocation de rentrée scolaire a été exceptionnellement majorée de 100 euros supplémentaires au titre de la rentrée de 2020 ; quelque 3 millions de familles et plus de 5 millions d’enfants scolarisés ont été concernés.
Enfin, l’aide exceptionnelle aux bénéficiaires du RSA et des aides au logement a été renouvelée en novembre 2020 et une aide de 150 euros a également été versée aux étudiants boursiers et aux jeunes non étudiants percevant les allocations logement.
Par ailleurs, n’oublions pas la relance, dont l’investissement dans la cohésion sociale est un pilier majeur ; je le sais d’autant mieux que cela entre dans le cadre de mon périmètre, l’économie sociale, solidaire et responsable. Chaque jour, je suis en contact avec les associations de lutte contre la pauvreté.
Ainsi, le mois dernier – vous vous en souvenez, c’était un engagement du Gouvernement, dans le cadre du plan de relance –, quelque 100 millions d’euros ont été déployés en une seule fois et non en deux décaissements de 50 millions d’euros, pour aller plus vite, en faveur des associations de lutte contre la pauvreté : 33 projets d’échelle nationale et 576 projets d’envergure régionale pourront ainsi passer à l’échelle être financés. C’est bien légitime, compte tenu de l’engagement de ces associations durant la crise pour faire face aux besoins des personnes qui sont le plus en difficulté.
En un mot, mesdames, messieurs les sénateurs, cette mobilisation est exceptionnelle, mais elle est normale et légitime ; nous entendons bien la poursuivre. Je ne doute pas que vous partagiez ce constat et bientôt, je l’espère, cette direction.
Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, M. Guené a rappelé, dans son rapport, les propos qu’a tenus M. Benoît Cœuré devant notre commission, le 4 mai dernier, et que je souhaite vous citer à mon tour. M. Cœuré, chargé du suivi et de l’évaluation des mesures de soutien, nous a indiqué que, contre vents et marées, le pouvoir d’achat s’était maintenu à un niveau stable en 2020.
Bien entendu, il faut manier les agrégats avec précaution et discernement ; néanmoins, les mesures de soutien mises en place par le Gouvernement ont joué leur rôle, car le choc de la crise sur les revenus a été absorbé à 65 % par les administrations publiques, à 31 % par les entreprises et à 4 % seulement par les ménages. Sur la même période, l’emploi n’a reculé que de 1,6 %, en raison d’un dispositif d’activité partielle d’une ampleur inédite.
Cette résilience est inattendue, mais elle ne doit pas pour autant nous faire oublier que la crise a touché plus durement les ménages les plus modestes. C’est cette question qui anime nos collègues qui sont à l’origine de cette proposition de loi, mais c’est également, reconnaissons-le, un sujet qui nous rassemble très largement sur les différentes travées.
Cette question a tout pour nous rassembler. Néanmoins, n’agissons pas avec trop de célérité et tenons compte de ce qui a d’ores et déjà été fait.
Nos échanges en commission l’ont montré : la situation des ménages les plus modestes a suscité l’attention et l’intérêt de tous les groupes, mais les écueils de cette proposition de loi ont été également été relevés par les différents groupes qui se sont exprimés.
Je ne reviendrai pas en détail sur les objections de fond évoquées par M. le rapporteur. Je me contenterai de rappeler que l’article 1er prévoit une aide forfaitaire pour tous les bénéficiaires des aides au logement, indépendamment du niveau de loyer, des ressources, du patrimoine ou de la composition du foyer ; une mesure particulièrement large, insuffisamment ciblée et qui souffre d’importants effets de seuil.
Non seulement l’article 2 ne permettra pas de financer la mesure, en raison de la non-concordance des dates, mais il va à contre-courant du vote du Parlement, qui s’était prononcé sur la trajectoire de suppression de la taxe d’habitation en loi de finances initiale, et à rebours de l’engagement du Gouvernement de ne pas alourdir la charge fiscale en période de reprise.
Cela dit, parce que la question que pose cette proposition de loi mérite toute notre attention, je tiens à rappeler que le Gouvernement – Mme la secrétaire d’État l’a souligné – n’a pas attendu ce texte pour apporter une réponse de grande ampleur au plus fort de la crise. Nous avons ainsi adopté, dans cet hémicycle, en décembre dernier, un renforcement de plus de 1,6 milliard d’euros de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Ces crédits ont permis de financer les aides exceptionnelles de solidarité annoncées par le Président de la République ainsi que par le Premier ministre, au mois d’octobre 2020.
Ces mesures comprenaient non seulement un versement de 150 euros pour les foyers bénéficiaires du RSA, de l’allocation de solidarité spécifique et de l’allocation équivalent retraite, mais également une aide de 100 euros par enfant à charge pour les foyers percevant des APL, ainsi que, enfin, une aide de 150 euros pour les jeunes de moins de 25 ans, apprentis, étudiants salariés ou non-étudiants, qui perçoivent une aide personnelle au logement.
Nous avons donc ici, mes chers collègues, trois exemples de mesures efficientes, équilibrées et qui viennent spécifiquement en aide à ceux qui en ont le plus besoin. Notre secrétaire d’État nous confirme que ces dispositifs se poursuivront, en étant adaptés autant que nécessaire.
J’en conviens, on n’en fera jamais trop pour accompagner les Français en difficulté. Aussi, vous pourrez toujours compter sur le groupe RDPI pour travailler à des propositions concrètes et mesurées.
Toutefois, dans un souci de cohérence avec la politique gouvernementale et pour toutes les raisons que nous avons évoquées devant vous cet après-midi, conformément à ce que nous avons indiqué en commission, notre groupe s’opposera à ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons tend à répondre à la crise sanitaire par l’octroi d’aides au logement destinées à lutter contre la pauvreté et contre son aggravation. Elle prévoit en outre de modifier le calendrier de l’exonération de la taxe d’habitation pour financer cette mesure.
Le dispositif envisagé consiste à verser aux bénéficiaires des aides personnalisées au logement un complément d’un montant de 100 euros par mois, jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Il repousse de 2022 à 2023 l’entrée en vigueur de la mesure portant de 30 % à 65 % l’exonération de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés et de 2023 à 2024 la suppression de cette taxe pour ces ménages.
L’article 1er instaure le complément de 100 euros, soit une augmentation de 65 % à 100 % du montant des APL pour les étudiants y ayant droit et de près de 50 % du montant moyen des APL, soit 225 euros, pour 6,6 millions de foyers concernés. Cette aide massive s’appliquerait dès la promulgation du texte, en urgence.
L’article 2, quant à lui, modifie l’article 16 de la loi de finances pour 2020, portant dégrèvement de la taxe d’habitation sur la résidence principale des 20 % de ménages les plus aisés : il en reporte la deuxième étape de 2022 à 2023 et la suppression définitive de la taxe de 2023 à 2024. Si – je tiens à le rappeler – la suppression de la taxe d’habitation est une erreur à la fois financière et démocratique, il ne me semble pas judicieux de revenir sur le calendrier établi.
Les auteurs de ce texte ont également voulu apporter une réponse politique à la baisse de 5 euros des APL, décidée par le Gouvernement en début de mandat, et à la réforme actuelle de ces aides, insatisfaisante, j’en conviens, en particulier pour ce qui concerne l’accession à la propriété.
Si le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen approuve la volonté affichée de lutter contre l’aggravation des inégalités dans la crise, la solution choisie ne semble pas vraiment adaptée aux besoins réels de la population.
Une étude de l’Insee datant de 2016 – les choses ont bien évolué depuis lors, sans doute – révélait de fortes inégalités entre les Français, avec 10 % des plus aisés touchant 6,7 fois plus que les 10 % les plus pauvres, après impôts et prestations sociales. Les inégalités patrimoniales étaient encore plus fortes, et 9,3 millions de personnes avaient un revenu inférieur au seuil de pauvreté.
En 2020, un million de personnes supplémentaires se retrouvent en situation de pauvreté, soit plus de 10 millions de nos concitoyens.
La commission des finances n’a pas adopté le texte. Comme une majorité des membres de cette commission, j’émets de fortes réserves sur l’efficacité de l’article 1er, car la mesure qu’il instaure s’appliquerait uniformément à tous les bénéficiaires des APL, sans condition de ressources ni prise en compte des spécificités.
Or les personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont confrontées à des arbitrages insolubles au quotidien : payer les factures ou manger, payer les factures ou se loger, se vêtir, chauffer son logement ou encore se soigner, payer l’assurance, le transport, les impôts ou les crédits en cours. Le reste à vivre diminue comme peau de chagrin, en raison de la part prépondérante des dépenses de logement, le loyer représentant en moyenne 36 % des dépenses des ménages précaires.
Dans ce texte, rien ne vient garantir que les 7 milliards d’euros que coûterait cette disposition seraient véritablement utiles pour lutter contre les inégalités, et il y aurait, à coup sûr, un effet de seuil considérable entre les bénéficiaires de cette mesure et les autres.
C’est pourquoi le groupe du RDSE votera, dans sa majorité, contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est précisé, à la page 11 d’un rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, sur les bénéficiaires des APL, que, « notamment en raison des minima sociaux, les bénéficiaires d’aides au logement pauvres sont aussi pauvres que l’ensemble des personnes pauvres ».
Si la tournure de phrase peut paraître quelque peu déconcertante, elle a au moins le mérite d’insister sur le niveau de précarité des allocataires des APL. C’est cette population qu’ont choisie nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires pour le versement d’une allocation de 100 euros pendant au maximum quatre mois.
C’est une réponse nécessaire et louable, mais que nous jugeons insuffisante.
Elle est insuffisante, parce que, pour certains ménages, elle pourrait être moins favorable que les aides du Gouvernement, qui englobaient les allocataires de plusieurs prestations sociales – allocation de solidarité spécifique, ou ASS, le RSA –, ainsi que les allocataires d’une aide au logement avec enfant. Outre cette restriction aux seuls allocataires des APL, qui pourrait créer une confusion entre personnes et ménages, l’aide serait d’un montant plus faible que l’aide gouvernementale.
Cette aide, qualifiée, dans le récent rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le CNLE, de « goutte d’eau dans des océans de dénuement » – nous nous étions joints à ce constat – n’était pas une réponse adaptée pour les plus précaires.
Ainsi, lorsque, selon la version du Gouvernement, une famille au RSA de trois enfants percevait 450 euros pour le seul versement de novembre, elle touche 50 euros de plus que ce à quoi elle pourrait prétendre avec l’aide totale de nos collègues écologistes.
Cette réponse est insuffisante, ensuite, car l’un des objectifs de la proposition serait de remédier à la précarité manifeste et d’ampleur dans laquelle a basculé la jeunesse. Or, des 2,9 millions d’allocataires des APL, seulement 15 % ont moins de 29 ans et seulement 5 % sont étudiants, ce qui représente 133 000 allocataires. Ce dispositif manque donc en partie sa cible.
Nous notons ainsi qu’il n’y a rien pour les femmes et les hommes en proie à la grande précarité, qui, tout au long de la crise sanitaire, n’ont bénéficié que des quelques miettes que le Gouvernement a bien voulu leur concéder.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste avait proposé de revaloriser les bourses et les minima sociaux, d’ouvrir le RSA aux moins de 25 ans, de compenser à 100 % le dispositif d’activité partielle pour les travailleurs modestes. Il y aurait là de véritables réponses solidaires face à la crise sanitaire.
Quant au logement, le groupe CRCE a fait adopter, dans cet hémicycle, voilà quelque temps, une proposition de loi tendant à revenir sur le délai de carence et la réindexation des APL. Ces mesures auraient permis une revalorisation pérenne des aides, au plus près des réalités économiques de ceux qui en ont besoin.
Nous voterons en faveur de cette aide de 100 euros par mois, limitée aux trois ou quatre prochains mois, mais nous nous opposerons à son financement, prévu à l’article 2. En effet, le simple décalage d’un an de l’exonération de taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés ne constitue ni une réponse face à la crise ni une mesure de justice sociale.
Nous avions mené ardemment le combat contre cette réforme injuste, qui pèse sur les finances locales et profite aux plus aisés.
Prenons l’exemple de Maubeuge : dans cette ville, un tiers des foyers ne payaient pas la taxe d’habitation ; désormais, ces ménages la financent indirectement, via l’acquittement la TVA, qui s’applique à tous. Pourquoi transférer ainsi la charge sur les foyers précaires ?
Ainsi, à Maubeuge, sur un an, les 30 % les plus pauvres n’économisent que 160 euros et les 20 % les plus riches économisent plus d’un SMIC net ! Voilà à qui profite la réforme de la taxe d’habitation et voilà l’un de ses effets : l’aggravation des inégalités sociales.
Compte tenu de tous ces éléments d’analyse, nous ne voterons pas l’article 2.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la pandémie de la covid-19 a provoqué une multitude de mutations économiques, sociales et financières, dont un accroissement des inégalités. Face à ce constat, la présente proposition de loi vise – cela a été indiqué – à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise.
Si l’objectif affiché repose sur un constat partagé, les différentes dispositions du texte ne semblent pourtant en adéquation ni avec la volonté politique originelle ni avec le contexte socioéconomique actuel.
L’article 1er de la proposition de loi prévoit le versement d’un complément de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides personnelles au logement jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Cette disposition présente plusieurs limites.
Tout d’abord, le caractère universel de cette augmentation ne permettrait pas de cibler les populations les plus fragiles financièrement ; la mesure ne prévoit aucune prise en compte de la diversité des situations. Des critères objectifs tels que le taux d’effort permettraient, par exemple, de mieux épouser les réalités individuelles. Il existera alors un réel effet de seuil : une légère différence de revenus suffira pour qu’un ménage bénéficie, ou non, de l’intégralité de l’aide de 100 euros.
Ensuite, cette augmentation généralisée des aides personnelles au logement tendrait à renforcer les inégalités inhérentes au calcul de ces dernières. Dans son rapport annuel d’activité pour l’année 2019, la Cour des comptes insiste sur le caractère inégalitaire des APL, en raison d’un mode de calcul toujours plus complexe. En ce sens, la disposition prévue à l’article 1er contribuerait à renforcer une dynamique déjà inégalitaire, au lieu de la corriger.
Par ailleurs, le fait d’accroître le montant des APL se traduirait également par un coût non négligeable pour les finances publiques. La mesure représenterait une dépense de l’ordre de 660 millions d’euros par mois, soit de près de 2 milliards d’euros pour trois mois.
Pour rappel, le montant total des aides personnelles au logement s’est élevé à 17 milliards d’euros en 2020. Étant donné les effets limités de cette disposition, cela ne justifie pas un tel effort financier de la part de l’État et, indirectement, de la part des contribuables français.
En outre, l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit une aide générale et automatique ne reposant sur aucune équité sociale. Cette mesure se révèle déconnectée de la diversité des situations et coûteuse pour les finances de l’État.
Quant à l’article 2 du texte, il a pour objet de modifier le calendrier d’entrée en vigueur de la réforme de la taxe d’habitation. Cela a été précisé, alors que la suppression de cette taxe sera effective pour les 20 % des ménages les plus aisés à l’horizon de 2023, le texte que nous examinons aujourd’hui reporterait d’une année cette suppression.
Plusieurs points de vigilance doivent être soulignés.
Premièrement, la mesure susciterait une recette supplémentaire, pour l’État, de l’ordre de 2,6 milliards d’euros en 2022, afin de financer le coût des aides prévues à l’article 1er. Le raisonnement que je vous ai exposé en défaveur de cet article rend naturellement le maintien de l’article 2 totalement incohérent.
Deuxièmement, cet article s’attaque à une réforme déjà engagée. Il me paraît peu pertinent de raviver les débats autour de cette réforme structurelle, en y appliquant une modification substantielle de calendrier, modification qui aurait un effet direct sur la prévisibilité de loi fiscale et sur la pression fiscale d’une partie des contribuables.
Troisièmement, l’argument politique consistant à mettre à contribution les 20 % des revenus les plus aisés – les « plus privilégiés », pour citer l’exposé des motifs de la proposition de loi –, en maintenant la taxe d’habitation pour ces derniers, ne semble pas se traduire dans le texte présenté.
Par exemple, un couple sans enfant figure parmi les 20 % de ménages aisés dès lors que le revenu mensuel de chacun des conjoints excède 1 749 euros après impôts ; l’existence de revenus dits « aisés » ne suffit pas à caractériser la richesse d’un ménage. Il s’agit donc non d’un moyen de favoriser la justice sociale, mais du report d’un allègement fiscal pour une partie des classes moyennes.
Enfin, dans la mesure où la reprise économique reste nécessaire, après la période de la covid, le fait de maintenir cette taxe représenterait un frein pour la consommation. Cela réduirait le pouvoir d’achat d’une partie des ménages, qui s’attend à bénéficier de la suppression de cette taxe ; cela pourrait donc nuire à la demande et, par extension, à l’efficacité du plan de relance économique, dont nous débattons depuis des mois.
En définitive, les dispositions prévues dans le texte supposent le déploiement d’importants moyens financiers pour des effets très limités. Ainsi, pour reprendre les mots du rapporteur général, lors de l’examen en commission, « cette proposition de loi apporte une réponse inadaptée, inappropriée, à une question parfaitement légitime. »
Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera contre l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de nous permettre de nous pencher à nouveau sur les conséquences sociales de la pandémie et de porter une proposition de loi utile pour les personnes qui sont le plus en souffrance.
Cette proposition n’en est pas moins raisonnable, du point de vue tant du coût pour nos finances publiques, contrairement à ce que j’ai entendu, que de sa durée d’application, qui est liée à l’état d’urgence sanitaire.
Il ne vous surprendra sans doute pas que, en abordant ce texte, le président de votre commission des finances se pose d’abord la question des ressources disponibles, mais également de celles dont le Gouvernement s’est volontairement et très étonnamment privé.
En effet, si l’on peut tout à fait admettre que, en période de croissance, une partie des recettes nouvelles permette la diminution des taux d’imposition tant des ménages que des entreprises, comment comprendre que de telles mesures soient prises alors que, en 2020, la chute du PIB a été de 8,2 %, un choc économique sans précédent depuis la dernière guerre ?
Disons-le, l’article 2 de la proposition de loi, qui décale d’un an la baisse de taxe d’habitation pour les 20 % de nos concitoyens les plus aisés, est pleinement justifié.
Pour tout dire, je le trouve même modéré ; pour ma part, je considère qu’aucune baisse d’impôt n’a de sens tant que l’on n’aura pas retrouvé le niveau de PIB que l’on aurait dû avoir sans la crise, d’autant plus que, pendant trois ans, 6,5 milliards d’euros seront distribués annuellement aux ménages qui ont déjà thésaurisé en 2020 et que l’on appelle à dépenser d’urgence…
Ces ménages capteront 44 % du coût de la réforme de la taxe d’habitation. La suppression de cette taxe, présentée, lors de la campagne présidentielle, comme une mesure de justice sociale, est devenue, après la suppression partielle de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, et de la taxe sur les dividendes, et après la création de la flat tax, un énième cadeau offert aux plus aisés, alors que le pays traverse une crise sans précédent.
Comme si cela ne suffisait pas, le Gouvernement se prive annuellement de 10 milliards d’euros d’impôts de production, au nom de la relance, alors que cette demande du monde économique est aussi vieille qu’injustifiée dans la période actuelle.
M. Claude Raynal. Au total, ce sont 16,5 milliards d’euros annuels dont le Gouvernement se prive. Et encore, par charité, je ne parlerai pas, dans cet hémicycle, d’un candidat à l’élection présidentielle qui souhaite baisser les impôts de production de 33 milliards d’euros !
Madame la secrétaire d’État, à l’heure où les inégalités se creusent, était-il judicieux de mettre en œuvre ces mesures ? Celles-ci ne pouvaient-elles pas attendre ? Parallèlement, du rapport Arthuis sur l’avenir des finances publiques au nouveau programme de stabilité, on ne jure plus que par la réduction de la dépense publique, au nom de la stabilisation de la dette. Cela ne manque pas de sel…
M. Michel Canévet. Tout de même !
M. Claude Raynal. Lors de la crise financière de 2008, le Gouvernement avait renoncé à sa promesse de diminuer les prélèvements obligatoires, afin de préserver les recettes de l’État. De votre côté, madame la secrétaire d’État, vous refusez d’intégrer les conséquences de la pandémie dans votre logiciel.
Qui plus est, la diminution des impôts de production comme la suppression de la taxe d’habitation au-delà des deux derniers déciles n’étaient pas dans le programme présidentiel d’En Marche. Aussi, ne prétendez pas respecter, en la matière, vos engagements, car il n’y avait pas, dans votre programme, une ligne sur ces deux sujets.
Oui, madame la secrétaire d’État, nous pouvons avoir une réflexion sur notre dépense publique et sur notre fiscalité ; oui, en période de croissance économique, tout peut se discuter. Mais, en période de crise, il y a malheureusement bien d’autres priorités.
Le déficit à financer pour 2020 s’élève à 206 milliards d’euros. Madame la secrétaire d’État, vous désirez atteindre 3 % de déficit public en 2027 ; pour y parvenir, il faudrait réaliser 65 milliards d’euros d’économies. À l’heure actuelle, peu de mesures concrètes sont annoncées, alors que cet effort est considérable. J’ai toutefois ma petite idée – je vous en parlerai – quant aux directions que vous prendrez…
En temps de crise, l’État-providence doit jouer pleinement son rôle,…
M. Claude Raynal. … notamment en protégeant les Français les plus modestes des aléas économiques. C’est notre ambition, et cela peut passer par la revalorisation des APL le temps d’une crise sanitaire, comme le propose le groupe GEST, afin de cibler les familles les plus en difficulté.
Depuis le début de la crise, les groupes de gauche de la Haute Assemblée ont été force de proposition pour faire face aux difficultés sociales des plus fragiles d’entre nous.
Ainsi, le groupe CRCE a déposé plusieurs propositions allant en ce sens ; par l’intermédiaire de notre collègue Rémi Cardon, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a, pour sa part, déposé une proposition de loi tendant à créer une dotation d’autonomie à destination des 18-25 ans.
Au reste, des élus de la majorité gouvernementale évoquent même un « revenu d’urgence » pour les jeunes ; encore un effort, et l’on y sera !
Aujourd’hui, sur l’initiative du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, nous examinons une proposition de loi qui prévoit d’augmenter de 100 euros les aides personnelles au logement en cas de crise sanitaire. Cette proposition de loi tente, elle aussi, d’apporter une réponse utile à la crise socioéconomique.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera, sans surprise, mais avec conviction, pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « ce ne sont […] pas les faits en eux-mêmes qui frappent l’imagination populaire, mais bien la façon dont ils sont répartis et présentés. Il faut que par leur condensation, si je puis m’exprimer ainsi, ils produisent une image saisissante qui remplisse et obsède l’esprit. Qui connaît l’art d’impressionner l’imagination des foules connaît aussi l’art de les gouverner ».
Depuis que Gustave Le Bon a publié sa Psychologie des foules, on sait qu’il suffit de répéter un mensonge un très grand nombre de fois pour qu’il paraisse la réalité. En France, les chiffres d’Oxfam et compagnie tentent de faire naître en nos esprits cartésiens l’image d’une France trop inégalitaire.
Or il suffit d’analyser les principaux indicateurs de répartition des richesses pour comprendre que, même s’il y a de nombreux problèmes d’inégalités dans notre pays, la France est très loin de tomber dans cette caricature. Le plus connu d’entre eux est le coefficient de Gini, qui varie de 0 à 1 et situe un pays entre deux positions extrêmes : 0, dans le cas où tous les citoyens possèdent exactement la même chose ; 1, dans le cas où un citoyen possède toutes les richesses et les autres aucune.
En 2019, avant le début de la crise, la France avait un coefficient de Gini de 0,29. C’est bien en dessous de la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, et bien plus près de 0 que de 1, vous en conviendrez. Bien sûr, on trouve toujours des spécialistes des inégalités pour expliquer que cet indicateur synthétique masque, en fait, de grandes disparités, notamment entre les plus riches et les plus pauvres.
Néanmoins, là encore, le cas de la France ne correspond pas à la critique. Ainsi, si on évalue le rapport interdécile, qui compare ce que touchent en moyenne les 10 % les plus favorisés et les 10 % les moins favorisés, la France fait encore mieux.
Avant la crise, les 10 % les plus favorisés touchaient environ 7 fois plus que les 10 % les moins favorisés. L’exposé des motifs de la proposition de loi rappelle ce chiffre. Il omet simplement de le comparer à d’autres pays, ce que l’honnêteté intellectuelle eût conduit à faire. Au Royaume-Uni, c’est non pas 7 fois plus, mais 10 fois plus. Aux États-Unis, c’est 19 fois plus.
Mme Sophie Taillé-Polian. C’est cela que vous voulez ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. La France est tout sauf un pays qui laisse les inégalités se creuser, comme on laisserait les gens mourir de faim. C’est faux !
Avec une dépense publique qui a atteint, pendant la crise, la barre symbolique de 60 % du PIB, la France est même le pays où les transferts de richesse sont les plus importants.
Mme Sophie Taillé-Polian. Bref, tout va bien !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Nous entrevoyons désormais, espérons-le, la fin de la crise sanitaire, mais toutes les mesures d’urgence sont encore activées.
Les millions de chômeurs qui arrivaient en fin de droits pendant la crise ont vu leurs allocations prolongées ; l’État a financé tous les salaires des travailleurs qui risquaient d’être licenciés ; le Gouvernement a augmenté le salaire des soignants – c’est bien normal – et baissé les impôts des entreprises. Apparemment, c’est encore trop peu.
La véritable urgence, aujourd’hui, c’est d’inventer de nouveaux modèles économiques pour rembourser la dette astronomique que nous avons contractée au cours de la crise. Il faudra, pour cela, investir massivement dans la transition écologique et développer de nouvelles verticales d’innovation et de nouvelles industries susceptibles de créer de l’emploi.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas en faveur de cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Mme Esther Benbassa et M. Jacques Fernique applaudissent.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de vous parler des 20 % – ce n’est pas rien – de Français les plus pauvres, ceux qui ont pioché dans leurs bas de laine ou qui se sont endettés de 2 milliards d’euros pendant la première phase de cette crise. Dans le même temps, les 10 % les plus riches, eux, augmentaient leur bas de laine de 25 milliards d’euros…
Ceux qui ont gonflé les files d’attente devant les associations d’aide alimentaire sont là, même si Mme Paoli-Gagin ne les voit pas. Ce sont des jeunes, des familles monoparentales, des Français qui vivent dans les quartiers populaires ou dans les zones rurales éloignées, ceux qui ont subi de plein fouet la précarisation organisée du marché du travail et l’explosion des contrats courts.
Lorsque l’on évoque ces 20 % de Français, le Gouvernement répond qu’il a mis en place le chômage partiel. Ce dernier concerne les salariés en CDI, soit 80 % des salariés. On n’évoque donc pas les 20 % restant.
Le Gouvernement invoque les aides d’urgence qu’il a mises en œuvre. Mais celles-ci représentent 1 % du plan de relance, soit quelques centaines de millions d’euros. Or, la semaine dernière, le Gouvernement a renforcé de 7 milliards d’euros les aides aux entreprises dans notre pays. La différence est bel et bien là.
Je voudrais vous parler de ceux qui ont remis à plus tard non pas leur voyage, leur sortie au restaurant ou leur soirée au théâtre, mais leur rendez-vous chez le médecin, le dentiste ou l’ophtalmologue, ceux qui n’ont pas pris de mutuelle ou ceux qui ont pioché dans leurs économies pour payer leur loyer.
Oui, c’est vrai, les collègues de gauche l’ont dit, cette proposition de loi n’est pas le grand soir. On aurait pu proposer l’ISF vert, ou augmenter la taxe sur les dividendes. Nous l’avons d’ailleurs fait, et comptez sur nous pour le faire de nouveau. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Non, cette proposition de loi était un appel à agir et à mettre en œuvre une mesure concrète, opérationnelle et immédiatement efficace pour aider ces 20 %. Nous vous exhortons, madame la secrétaire d’État, ainsi que le Gouvernement dans son ensemble, à cesser d’ignorer ces 20 % les plus pauvres.
Mme Sophie Taillé-Polian. Nous vous exhortons également à cesser de tenter de leur faire payer cette crise.
Mme Sophie Taillé-Polian. Vous voulez aujourd’hui réformer l’assurance chômage et, finalement, vous proposez de payer l’endettement de l’Unédic, lié notamment au chômage partiel, en diminuant l’assurance chômage pour les plus précaires.
Nous vous exhortons également à cesser de mépriser sans cesse les plus pauvres, dans vos discours et dans vos actes.
Mme Sophie Taillé-Polian. La conditionnalité dont on nous parle, en affirmant que cette mesure ne serait pas bien calibrée, est bien malvenue ! Calibrons un peu mieux, dans ce cas, les autres aides que nous avons voté, notamment celles qui visent les entreprises.
Si nous pouvions protéger les Français les plus pauvres comme nous avons protégé les entreprises et les salariés en CDI, cette fois, nous serions dans l’idéal de la République. Aujourd’hui, force est de constater que la dimension sociale de gestion de cette crise est très nettement insuffisante.
Mme Sophie Taillé-Polian. Alors, oui, nous vous exhortons ! Nous avons déposé cette proposition de loi, qui est simple et concrète. Nous en avons déposé d’autres qui ont plus d’ambition, notamment un texte relatif au revenu minimum garanti, qui vise à pallier les faiblesses du RSA.
Aujourd’hui, nous voulons vraiment attirer votre attention. On parle beaucoup des entreprises zombies,…
Mme Sophie Taillé-Polian. … et on leur verse des aides. C’est très bien, mais n’oublions pas les ménages zombies, ceux qui sont en quasi-mort sociale et dont l’unique question est la gestion du lendemain. C’est à ceux-là, je crois, qu’il faut aujourd’hui répondre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi.
Nous sommes tous très conscients de la nécessité d’aider financièrement les plus modestes, les personnes seules, les retraités, les personnes seules avec enfants, les étudiants, ainsi que beaucoup d’autres catégories. Des constats sont dressés, depuis de très nombreuses années, sur l’existence de situations particulièrement difficiles, aggravées par cette crise sanitaire.
La notion de grande pauvreté a été rappelée, tout comme le fait qu’un million de personnes se sont ajoutées aux 9 millions de ménages qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Cette pauvreté est régulièrement constatée par les nombreux bénévoles qui œuvrent dans les associations sociales, humanitaires et caritatives. N’oublions pas d’évoquer les aides à caractère social, portées par les collectivités territoriales, les centres communaux d’action sociale, les CCAS, et les départements, ainsi que l’évolution du RSA.
Comme l’a indiqué notre rapporteur Charles Guené au sujet des deux articles de cette proposition de loi, il est important de rappeler le coût budgétaire des aides personnelles au logement, qui s’élève, en 2020, à 17 milliards d’euros. Elles sont versées par les administrations de sécurité sociale, notamment la caisse d’allocations familiales et la mutualité sociale agricole, la MSA, pour le volet agricole, et sont essentiellement portées par l’État par l’intermédiaire du Fonds national d’aide au logement (FNAL).
Sur ces 17 milliards d’euros, 3 milliards sont destinés aux allocations personnalisées au logement, les APL, 5,3 milliards d’euros aux allocations de logement sociales, les ALS, et 4 milliards d’euros aux allocations de logement familiales. S’agissant des ressources du FNAL, elles proviennent, pour 13,8 milliards d’euros, de subventions de l’État, pour 2,5 milliards d’euros, de cotisations des employeurs, et, pour 500 millions d’euros, d’Action Logement.
L’article 1er de proposition de loi prévoit un complément d’aide au logement de 100 euros par mois aux personnes et ménages bénéficiaires des aides personnelles au logement.
La commission des finances indique que le dispositif est coûteux, s’il s’applique pour une durée limitée jusqu’à la fin août 2021, sauf prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Le coût de cette mesure est estimé à 660 millions d’euros par mois, sur un coût global de 2 milliards d’euros. En outre, ce dispositif n’est pas proportionné au coût du logement et il est mal relié aux conséquences économiques de la crise sanitaire.
Certes le secteur du logement a été très affecté par cette dernière, mais son impact ne dépend pas seulement du niveau des ressources ; il est très différent, même selon les secteurs économiques les plus touchés, à savoir le tourisme, l’hébergement, la restauration ou la culture.
L’article 2 vise un report d’un an de la trajectoire d’exonération progressive des ménages demeurant redevables de la taxe d’habitation au titre des résidences principales.
Le rapporteur a rappelé le droit existant : exonération progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales applicable jusqu’à la suppression en 2023 de cet impôt dont le produit résiduel est aujourd’hui perçu par l’État, alors que les collectivités locales bénéficient de ressources de substitution.
Le texte prévoit le financement des aides par le report de la réforme de la taxe d’habitation. Il s’agit d’un nouveau report de la taxe d’habitation et d’une réforme longue à mettre en place.
De nombreux ménages qui sont présentés comme aisés, alors qu’ils appartiennent, en réalité, à la classe moyenne, attendent cette suppression. En outre, repousser d’un an cette suppression totale serait inconstitutionnel du fait du principe de l’égalité devant les charges publiques.
Au vu de l’ensemble de ces arguments, le groupe Les Républicains ne soutiendra pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi d’urgence visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise
TITRE Ier
UNE RÉPONSE ADAPTÉE FACE À LA CRISE SOCIALE PAR UN SOUTIEN RENFORCÉ AU LOGEMENT
Article 1er
I. – Un complément d’aide au logement d’une valeur de 100 € est versé chaque mois aux personnes et ménages bénéficiaires des aides personnelles au logement telles que définies à l’article L. 821-1 du code de la construction et de l’habitation.
II. – Le présent article s’applique à compter de la promulgation de la présente loi et jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré à l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19 et prorogé par la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 prorogeant l’état d’urgence sanitaire.
III. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État du présent article sont financées, à due concurrence, par :
1° L’article 2 ;
2° La création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, sur l’article.
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous faisons, hélas, le même constat que nos collègues du groupe écologiste.
Les inégalités, la pauvreté et la précarité se sont singulièrement aggravées depuis le début de la crise sanitaire. La précarité risque de s’accroître encore plus lorsque les diverses mesures de soutien aux entreprises prendront fin. Nous approuvons la démarche de nos collègues d’y apporter une première réponse, centrée sur le logement.
La discussion de cette proposition de loi est pour nous l’occasion de vous interpeller, madame la secrétaire d’État, sur la politique du logement menée par le Gouvernement depuis 2017 : baisse de 5 euros, puis désindexation, puis contemporanéisation des APL, notamment.
Le logement fait indiscutablement partie des politiques publiques sacrifiées depuis 2017. Même pendant la crise sanitaire, vous n’avez eu de cesse de le considérer comme une variable d’ajustement budgétaire. Si les récentes annonces du Premier ministre en la matière semblent aller dans le bon sens, nous attendons de votre part une réelle prise de conscience, qui se traduise par une politique du logement beaucoup plus ambitieuse.
L’augmentation de 100 euros des APL, proposée par nos collègues du groupe écologiste, est une réponse d’urgence, qui permettrait de soutenir immédiatement plus de 6 millions de foyers et 13 millions de nos compatriotes.
Bien sûr, tout est perfectible, et d’aucuns trouveront le montant trop ou pas assez élevé, ou encore pas proportionné. Il s’agit là d’un dispositif temporaire, qui doit permettre l’élaboration des mesures adaptées à la diversité des situations. En ce sens, et en toute logique, cela ne devrait en aucun cas invalider le vote de cet article, quitte à ce qu’il soit amendé le cas échéant.
Le report d’un an de la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés permettrait de financer cette mesure solidairement.
Nous avions d’ailleurs nous-mêmes proposé de décaler l’entrée en vigueur de la réforme de la taxe d’habitation d’un an, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2021, afin de financer de nouvelles mesures de solidarité pour soutenir les ménages les plus modestes, compte tenu de l’urgence sociale. Le Gouvernement avait alors rejeté notre proposition.
En cette période de crise sanitaire, mais aussi économique et sociale, il nous semble en effet plus que jamais utile et sain d’allier justice sociale et justice fiscale et de prendre des mesures redistributives en direction de nos compatriotes les plus en difficulté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. Plus personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 125 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
TITRE II
REPORT D’UN AN D’UN CADEAU FISCAL POUR LES MÉNAGES LES PLUS AISÉS
Article 2
I. – L’article 16 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 est ainsi modifié :
1° À la fin du 3 du H du I, au K du même I (deux occurrences) et à la fin du E du VII, l’année : « 2023 » est remplacée par l’année : « 2024 » ;
2° Au K du I et à la fin du D du VII, l’année : « 2022 » est remplacée par l’année : « 2023 ».
II. – Le code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’article 16 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° À l’avant-dernier alinéa du III de l’article 1530 bis, au septième alinéa de l’article 1599 quater D, à l’avant-dernier alinéa de l’article 1609 G, au dernier alinéa du II et à l’avant-dernier alinéa du IV de l’article 1636 B octies et à la fin de l’article 1640 H, l’année : « 2022 » est remplacée par l’année : « 2023 » ;
2° À l’article 1640 H, l’année : « 2023 » est remplacée par l’année : « 2024 ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je vais retirer ce texte, non que je ne pense plus nécessaire de prendre 5 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux 20 % des ménages les plus aisés – ceux qui ont accumulé 70 % de l’épargne réalisée pendant la crise –, mais parce que, sans l’article 1er, ce texte n’a plus de sens.
Désormais, l’article 2, par lequel nous pointions l’articulation nécessaire entre les mesures fiscales et la réduction des inégalités, n’a plus lieu d’être.
Je retire donc cette proposition de loi de l’ordre du jour, madame la présidente.
Mme la présidente. Acte est donné du retrait de la proposition de loi par le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de l’ordre du jour de son espace réservé.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal, présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues (proposition n° 530 rectifié, résultat des travaux de la commission n° 582, rapport n° 581).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les pandémies questionnent à chaque fois notre rapport à l’animal, qu’il soit sauvage ou domestique, ainsi que notre modèle agricole et notre système de santé.
Ce n’est pas sans fierté que je vous présente ce jour, au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, une proposition de loi qui répond à une prise de conscience grandissante quant aux conditions d’élevage des animaux, conditions parfois déplorables dans notre système agricole.
J’ajouterai, à titre liminaire, que ce texte a reçu le soutien de nombreuses associations de défense des droits des animaux, mais aussi l’assentiment de sénateurs et sénatrices membres de six groupes politiques différents, que je tiens à remercier. C’est dire la résonance globale de ce sujet dans notre société, au-delà des clivages partisans.
L’élevage intensif est vivement critiqué relativement au bien-être animal et à la qualité de la viande, ainsi qu’aux conditions de travail des professionnels et à son modèle.
En France, 80 % des animaux sont dans des élevages intensifs. Cette proportion est particulièrement élevée pour les porcs – 95 % d’entre eux se trouvent dans cette situation – et les volailles – 80 % des poulets de chair et 68 % des poules pondeuses sont concernés.
Ces animaux subissent dans des « fermes-usines » des traitements cruels et parfois intolérables. Ils se trouvent confinés, sans accès à des espaces de plein air et souvent dans des cages, ce qui entraîne chez eux des troubles comportementaux extrêmes.
Les élevages précités asphyxient en outre les productions locales, qui ont vu leur nombre baisser drastiquement ces dernières années. Ce sont alors les agriculteurs eux-mêmes qui pâtissent grandement de prix non rémunérateurs, associés à des conditions de travail difficiles, contribuant lourdement au mal-être du monde agricole.
C’est pourquoi, à des fins de promotion d’un modèle d’agriculture paysanne favorisant une alimentation locale, respectueuse de la nature et soucieuse du bien-être de l’animal, mais aussi des acteurs du monde paysan, il apparaît nécessaire d’accompagner ces derniers dans la transition vers un élevage et un abattage éthiques.
À cet égard, il convient particulièrement d’accompagner ceux qui dépendent aujourd’hui de l’élevage intensif, afin de leur permettre de faire évoluer leurs pratiques.
Selon un sondage réalisé par l’IFOP en janvier 2021, quelque 85 % des Français se déclarent opposés à l’élevage intensif, signe que l’opinion publique est favorable à la mise en place de cette nécessaire transition. Cette évolution de l’opinion, nous la devons aussi au travail des lanceurs d’alerte et aux actions des associations.
Au niveau européen, la directive 98/58/CE concernant la protection des animaux dans les élevages pose les grands principes du bien-être chez les animaux domestiques de production pour les États membres s’agissant des bâtiments et infrastructures, de la liberté de mouvement, de l’alimentation, des mutilations et maltraitances. Elle n’en détaille cependant pas la mise en œuvre et laisse aux États membres une large marge d’action.
La commission des affaires économiques du Sénat, dont je salue la présidente et la rapporteure, avec lesquelles j’ai eu plaisir à travailler, a rejeté notre proposition de loi, se contentant de cette directive, qui, en fait, laisse la France l’appliquer à sa convenance. Je le regrette.
Du point de vue de la législation, la France accuse, hélas, un grand retard par rapport à nombre de ses voisins européens.
Ainsi, 97 % des animaux sont élevés hors cage en Autriche. En Suède, ce taux s’élève à 92 %, tandis que l’Allemagne obtient le quatrième meilleur score de la communauté, avec un taux de 86 %, suivie par les Pays-Bas et la Belgique, qui affichent les taux respectifs de 83 % et 69 %. La France, elle, n’arrive qu’en dix-septième position de ce classement, avec un score de 25 %, derrière la Roumanie, la Croatie et la Hongrie.
Nous devons instaurer en Europe un étiquetage alimentaire transparent, comprenant un descriptif clair du mode d’élevage, de sorte que le consommateur-citoyen puisse pleinement jouer son rôle dans la protection du bien-être animal, ainsi que de sa santé et de l’environnement, sans, bien sûr, léser économiquement les agriculteurs, qui doivent pouvoir résister aux importations issues de pays qui ne suivent pas le même cahier de charges en termes de conditions sanitaires, de bien-être animal et de respect de l’environnement, par exemple en instituant une taxation.
Les agriculteurs sont les premiers à pâtir de l’élevage industriel, déjà au niveau économique, avec la réduction du nombre d’exploitations et la concentration d’élevages toujours plus importants entre les mains des plus puissants. Quant aux niveaux éthique et moral, je le rappelle, les agriculteurs aiment leurs bêtes et voudraient s’assurer de leur donner, autant que possible, « une bonne mort », sans souffrance.
Cette proposition de loi, étant donné la relative brièveté du temps de débat qui lui est imparti, n’aborde pas en détail la question de l’abattage, tout en soulignant les vertus possibles de l’abattage de proximité.
Son article 1er tend à garantir progressivement, d’ici à 2040, un accès extérieur et une surface par tête adaptés, en tenant compte des moments de vie de l’animal et des cas spécifiques, géographiques ou climatiques, comme les élevages en montagne, à l’horizon de 2040, avec une mise en place progressive des dispositifs d’accès au plein air et des seuils de densité maximale dès 2025.
L’article 2 limite la durée de transport des animaux à huit heures sur le territoire national, dans des conditions assurant leur bien-être.
L’article 3 interdit l’élimination, sauf en cas d’épizootie, des poussins mâles et des canetons femelles vivants. Broyés, étouffés, gazés, les poussins mâles sont victimes d’un cauchemar industriel, lequel est, hélas, toujours une réalité en France.
L’Allemagne confirme sa position de pionnière dans la lutte contre le broyage et le gazage des poussins mâles en interdisant cette pratique à partir de 2022. Un projet de loi a été validé vendredi dernier par le Bundestag. Le sexage in ovo sera pratiqué en amont, entre le neuvième et le quatorzième jour, pour déterminer le sexe des embryons. Parallèlement à cette méthode, appelée « Seleggt », existe une autre technique – française – de sexage in ovo, par spectrophotométrie, mais cette dernière est encore inaboutie.
En France, on observe, certes, quelques timides avancées. Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation annonce l’interdiction de l’élimination des poussins pour la fin de l’année 2021. Encore faut-il que cette promesse soit tenue ! La filière des œufs annonce qu’elle ne sera pas prête pour cette date, mais se prépare timidement à se lancer dans le déploiement du sexage in ovo. Nous demandons, quant à nous, l’interdiction de l’élimination dès le 1er janvier 2022.
Le passage à l’élevage éthique nécessite l’accompagnement financier des agriculteurs. Pour cette raison, notre texte prévoit un fonds pour les aider à transformer leur activité et à se conformer au nouveau cadre juridique, y compris en développant l’abattage de proximité. La puissance publique a un rôle crucial à jouer dans la transition écologique. Subventionner les investissements des agriculteurs par des prêts à taux zéro ou garantis par l’État figure parmi les quelques solutions envisageables.
Notre pays vit une urgence sociale, sanitaire, climatique et environnementale. Il vit aussi dans une urgence éthique. Nos jeunes, défilant nombreux dans nos rues pour le climat, ne cessent de nous le rappeler. Il est donc primordial, mes chers collègues, d’engager sans délai cette démarche vers un modèle respectueux du vivant. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, nous permettant d’avoir un débat de société sur le thème du bien-être animal.
Je crois que tous les parlementaires ici – je dis bien « tous » – partagent vos préoccupations. Les bonnes pratiques en matière d’élevage, de transport et d’abattage sont un souci de tous les jours, qui prendra une place de plus en plus importante dans les années à venir. La société et les filières le veulent, et c’est bien normal.
Tous les parlementaires, comme toutes les filières, veulent tendre vers plus d’élevages alternatifs à la cage ou au bâtiment. Nous voulons tous améliorer les conditions de transport des animaux : c’est un sujet consensuel, ce que montre d’ailleurs l’adoption très large et transpartisane de résolutions du Parlement européen sur le sujet. Enfin, il faut bien entendu trouver une solution viable au broyage massif de poussins.
C’est justement la raison pour laquelle la commission partage pleinement vos objectifs, mais en contestant fermement les moyens retenus et, surtout, les effets de bord importants induits par la rédaction de la proposition de loi.
Avant d’analyser la proposition de loi dans le détail, je souhaite commencer mon propos en ayant une pensée pour les éleveurs. En effet, s’il faut être sensible au bien-être animal, il faut aussi et surtout être attentif au bien-être des éleveurs. Les deux sujets sont d’ailleurs souvent étroitement liés.
Se lever tous les matins pour perdre de l’argent, personne ne peut le supporter. C’est ce qui explique que la décapitalisation du cheptel se poursuive dans certaines filières. Si la situation perdure, notre souveraineté alimentaire en élevage est menacée, d’autant que les importations sont déjà très présentes : elles représentent 45 % de notre consommation de poulet, 25 % pour le porc, 55 % pour les ovins et un tiers de nos produits laitiers.
Si rien n’est fait, nous perdrons les externalités positives de notre élevage en matière d’aménagement du territoire, de stockage de carbone, de réduction de la vulnérabilité aux aléas naturels et de biodiversité des races cultivées…
Ce contexte devait être rappelé pour garder à l’esprit qu’il faut être à l’écoute de nos éleveurs. Lors de nos auditions, tous nous ont affirmé ne pas comprendre pourquoi ils sont toujours voués aux gémonies, sans que leurs efforts soient valorisés.
Par ailleurs, il faut le répéter, le bien-être animal est une préoccupation de tous les jours dans l’agriculture. S’il existe bien entendu quelques situations anormales et des abus – je ne nie pas que l’on en trouve des exemples –, ce n’est pas plus vrai que dans les autres professions.
Prenons l’exemple des poules pondeuses : l’élevage alternatif à la cage est désormais majoritaire, alors qu’il ne représentait que 20 % de l’élevage voilà dix ans. Des élevages expérimentaux se développent pour éviter l’élevage de lapins en cage.
Rappelons aussi que 94 % des vaches laitières et 67 % des vaches allaitantes ont accès à l’extérieur. La France est le premier pays d’Europe pour les volailles élevées en plein air, avec un taux de 20 %, le deuxième pays européen étant seulement à 5 %.
Toutes les filières interprofessionnelles se sont engagées dans un plan en faveur du bien-être animal et développent des outils de diagnostic sur les exploitations, afin de mieux mesurer les progrès à réaliser.
Cette situation doit être dans tous nos esprits à l’heure d’examiner des propositions pour interdire certaines pratiques d’élevage, de transport ou d’abattage.
Ces rappels étaient d’autant plus nécessaires que l’intitulé de la proposition de loi ignore cette réalité : en plaidant « pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal », il est sous-entendu qu’il n’existe pas d’élevage éthique et soucieux du bien-être animal aujourd’hui en France. Je veux le dire clairement : cela ne correspond pas à la réalité du terrain agricole.
La proposition de loi pose également des difficultés pratiques.
En ce qui concerne l’élevage en plein air, par exemple, l’article 1er entend interdire toute construction de nouveaux bâtiments d’élevage ne prévoyant pas un accès à l’extérieur des animaux à compter de 2026 et interdire tout élevage qui ne soit pas en plein air à horizon de 2040.
Soit ! Mais les instituts techniques des filières rappellent que cette généralisation pose des difficultés en matière de bien-être animal pour certaines espèces, ainsi que des interrogations en matière de biosécurité. On l’a vu récemment avec l’influenza aviaire : le tout plein air expose à davantage de risques épidémiques. Notre résilience et notre souveraineté se jouent dans la complémentarité de nos élevages, non dans leur opposition.
J’ajoute que le plein air impliquerait la mise en place d’un parcours pour les animaux qui est fortement consommateur de foncier. Rien que pour le porc, le passage au tout plein air en 2040 représente une consommation foncière équivalente à un département français. Pour les poules pondeuses, il faudrait trouver l’équivalent de la surface de la ville de Paris. Quand on connaît les difficultés liées à l’artificialisation des sols, je crois que ces chiffres parlent d’eux-mêmes !
Il en va de même de la proposition visant à plafonner les temps de transport. C’est une fausse solution à un vrai problème : celui de l’insuffisance du maillage territorial des abattoirs de proximité.
J’ajoute que la proposition d’article 2, conformément au droit européen, ne réglemente les durées de transport que sur le territoire national.
Dès lors, si un camion traverse une frontière, la réglementation française ne lui sera plus applicable et il bénéficiera d’une réglementation européenne moins-disante. Il sera donc pertinent économiquement pour lui de s’approvisionner auprès d’abattoirs étrangers, faisant faire plus de route aux animaux. Il me semble que c’est le contraire de l’objectif de la loi !
De même, les bassins de production sont parfois très éloignés des abattoirs ou des couvoirs. En limitant, par exemple, la durée des transports à quatre heures pour la volaille et le lapin, dont les abattoirs et les couvoirs sont presque exclusivement à l’ouest de notre pays, on s’interdirait tout élevage ailleurs que dans cette région en France : est-ce ainsi que nous favoriserons les circuits courts et la diversification de notre agriculture ?
De plus, la commission des affaires économiques a estimé que l’échelle d’action n’était pas la bonne, car la question doit, dans son ensemble, être portée au niveau européen.
À défaut, on alourdirait encore les contraintes sur nos agriculteurs français, tout en exportant les pratiques que la loi condamnera chez nos voisins, ce qui se traduirait par davantage d’importations de denrées. Cela ne ferait aucun gagnant en matière de bien-être animal, réduirait notre souveraineté alimentaire et dégraderait le bilan environnemental de notre alimentation.
J’en veux pour preuve la délicate question du broyage et du gazage des poussins mâles et des canetons femelles. Les techniques de recherche de sexage dans l’œuf ont considérablement évolué et permettent effectivement d’envisager de tourner la page du broyage à court terme. Oui, il faut s’en féliciter, mais imposer une interdiction intégrale dans huit mois, c’est condamner des petits couvoirs et c’est surtout renchérir le coût des ovoproduits issus d’élevages français, qui représentent 40 % de la production totale.
Or, pour ces produits, l’aspect prix est essentiel : à aller trop loin, nous renforcerions la compétitivité des ovoproduits polonais, qui inonderaient notre marché, alors que les poussins continueraient, en Pologne, à être broyés.
Pour le broyage des poussins, je crois qu’il faut faire confiance aux accouveurs. Le marché est prêt, la recherche évolue et se perfectionne. Je suis sûre que nous y parviendrons dans un laps de temps bref. Les filières ont d’ailleurs renouvelé leurs engagements sur l’œuf coquille à très court terme. Faisons-leur confiance.
L’Union européenne doit nous faire évoluer collectivement pour limiter les distorsions de concurrence et pour que ces mesures soient réellement efficaces. Monsieur le ministre, je vous interroge : quels engagements le Gouvernement est-il prêt à porter au niveau européen, pour que nous améliorions, ensemble, la situation ?
Enfin, j’entends, bien sûr, les critiques de certains qui trouvent, au contraire, que la loi est équilibrée, dans la mesure où elle prévoit une compensation par un fonds pour les pertes induites par la présente proposition de loi. Je tenais à leur dire que j’ai moi-même d’abord eu ce sentiment. Je soutiendrai toujours les mécanismes incitatifs d’accompagnement, préférables à des mécanismes d’interdiction sans aide.
Toutefois, l’analyse a démontré que la création de ce fonds était irréaliste, car les chiffres des surcoûts induits par la proposition de loi sont colossaux : rien que pour le porc, le surcoût du plein air est estimé à 13 milliards d’euros. Pour les seules poules pondeuses, le surcoût du broyage s’élève à 64 millions d’euros, soit 4 % du chiffre d’affaires de la filière.
Quand on sait que l’agriculture a été dotée, au total, de 1,2 milliard d’euros dans le plan de relance, je m’interroge sur la faisabilité d’un tel fonds, le risque étant que les compensations soient bien inférieures, ce qui pénaliserait alors considérablement le revenu de nos agriculteurs.
Pour toutes ces raisons, la commission vous propose, mes chers collègues, de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi avant tout d’excuser l’absence de Julien Denormandie, retenu à Bruxelles par la négociation finale de la PAC, une échéance majeure pour tous nos agriculteurs.
Chacun sait ici que le bien-être animal et le respect de l’environnement sont des sujets essentiels pour nos concitoyens.
Sur ces questions, les débats pointent trop souvent du doigt les éleveurs français, alors qu’ils sont les premiers à souhaiter plus de bien-être animal.
En faisant le pari de la modernisation des infrastructures d’élevage et d’abattage, le Gouvernement agit avec méthode et pragmatisme, aux côtés de nos éleveurs, pour leur donner les moyens de répondre aux attentes sociétales. Ces sujets de long terme nécessitent une politique d’accompagnement, et non des bouleversements radicaux.
Nous débattons aujourd’hui de la transition de l’élevage, que nos concitoyens attendent. Je sais que les membres de cet hémicycle n’aborderont pas cette question sous le seul prisme de l’émotion.
Madame la sénatrice Esther Benbassa, soyez en assurée, le Gouvernement partage votre ambition d’améliorer les conditions d’élevage, de transport ou d’abattage au sein de la grande ferme France. Il aborde ces enjeux de transition avec raison et pragmatisme.
Nous devons répondre aux impératifs biologiques des espèces et définir collectivement les modalités les plus adaptées pour répondre au bien-être des animaux, lutter contre la maltraitance animale et garantir des produits alimentaires sains et de qualité, car, in fine, ne l’oublions pas, l’élevage est là pour nous nourrir.
Si l’on peut comprendre le souhait de nombreux citoyens de permettre aux animaux d’élevage de vivre en plein air, les débats, trop souvent passionnés sur la question animale, doivent tenir compte des enjeux sanitaires et économiques, du foncier, de la reconversion et de la souveraineté nationale.
En premier lieu, je souhaite rappeler que les élevages français sont à taille humaine, bien loin des élevages industriels qui existent ailleurs dans le monde.
Ensuite, l’élevage français est l’un des plus durables au monde. Les filières mettent tout en œuvre pour assurer la transition agroécologique. Les plans de filière mis en place à partir de 2017 ont déjà prouvé leur efficacité.
Sur le plan sanitaire, prenons l’exemple de la lutte contre l’antibiorésistance : le plan porté par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a porté ses fruits, avec une réduction de 37 % des utilisations d’antibiotiques en cinq ans. L’exposition des animaux aux antibiotiques, en France, est inférieure à la moyenne européenne.
Assurer un minimum d’accès au plein air à tous les animaux d’élevage dès 2040 n’est pas raisonnable. Prenons quelques exemples factuels. Le plein air représente aujourd’hui 5 % de la production. Aujourd’hui, ce sont 82 % de la production de poulets de chair qu’il faudrait repenser.
En France, il n’y a pas un modèle unique d’élevage ; c’est d’ailleurs là notre richesse. Nous pouvons et nous devons tous soutenir l’ambition de montée en gamme portée au travers de la présente proposition de loi, car elle permettra une plus juste rémunération des producteurs. Cependant, laisser croire que, dans vingt ans, nous n’aurons plus aucun poulet ni porc standard dans nos fermes est faux et contreproductif si cette ambition n’est pas réfléchie à l’échelle du marché unique et des relations commerciales internationales.
Le temps de l’agriculture est long. Il faut assurer des transitions adaptées au marché, sans quoi nous serons rapidement confrontés à une augmentation de produits importés à moindre coût venant de pays qui ne respectent pas nos pratiques, notamment de viandes provenant d’élevages très intensifs.
Le débat sur le transport des animaux vivants doit également s’inscrire dans cette réflexion, laquelle doit avoir lieu à l’échelle au moins européenne, pour éviter tout effet de concurrence déloyale au détriment des opérateurs qui travaillent exclusivement sur le territoire national.
C’est d’ailleurs ainsi que la présidence actuelle de l’Union européenne l’envisage et que la stratégie Farm to Fork l’affirme. Nous allons par ailleurs améliorer, comme nous nous y sommes engagés au début de l’année 2020, les dispositions relatives au transport par voie maritime dans le courant de 2021, sans qu’une modification législative soit nécessaire.
J’ajoute que le plan de relance et son volet relatif à la modernisation des abattoirs favoriseront aussi des filières locales et auront donc un effet indirect bénéfique sur le transport des animaux vivants.
En ce qui concerne les transitions et l’amélioration du bien-être animal, la fin du broyage des poussins est un exemple concret des enjeux auxquels nous devons répondre. La filière œufs et les couvoirs, principaux impactés par cette transition, ont bien intégré l’objectif et l’attente des citoyens en la matière.
La question de la formalisation de l’interdiction est finalement secondaire aujourd’hui, car des méthodes opérationnelles existent. L’enjeu est de savoir qui paie le coût de cette transition. L’État, au travers du plan de relance, peut engager des changements en finançant une partie des investissements, mais un modèle pérenne ne peut pas reposer exclusivement sur lui. Le coût de la transition implique également des changements de pratiques au quotidien. La filière travaille sur une feuille de route opérationnelle.
En outre, inscrire une mesure d’interdiction dans la loi ne permettrait pas d’accompagner financièrement les filières, ce que nous pouvons par ailleurs d’ores et déjà faire sur le plan réglementaire, au travers d’un décret.
Même si je sais que beaucoup ici en ont conscience, je tiens à rappeler que, au cours des dernières années, nous avons imposé énormément de nouvelles contraintes aux éleveurs français pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Restons sur l’exemple criant de la filière poules pondeuses : en 2012, les éleveurs ont investi massivement pour se mettre aux normes, et certains d’entre eux n’ont pas fini de payer les traites de leurs emprunts. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, ou loi Égalim, ainsi que les plans de filière qui en découlent ont interdit la mise en production de tout bâtiment d’élevage en cage, et plus de 53 % des poules pondeuses sont déjà élevées en système alternatif à la cage.
Les transitions que nous imposons à l’agriculture ont toujours des coûts, que les éleveurs ne peuvent assumer seuls. Il faut les accompagner, pour ne pas mettre des éleveurs en grande difficulté sur les plans économique et psychologique.
La clé réside dans la montée en gamme, car elle seule permet de répondre aux attentes sociétales tout en offrant une meilleure rémunération aux éleveurs. C’est tout le sens de notre action.
Les États généraux de l’alimentation ont permis d’améliorer la structuration des filières, avec des exigences accrues en termes de respect de l’environnement et du bien-être animal, reposant sur des signes de qualité. Je tiens ici à saluer la responsabilisation des professionnels, qui se sont organisés autour de plans de filière et de chartes de bonnes pratiques, pour répondre aux attentes sociétales. Une véritable transition est en marche.
Toute transition a un coût et nécessite un accompagnement réfléchi. Le plan France Relance consacre ainsi près de 300 millions d’euros à la modernisation de nos élevages et de nos abattoirs et à la structuration des filières, afin d’accélérer cette transformation.
Toutefois, cette montée en gamme ne peut pas uniquement reposer sur la responsabilisation des professionnels et l’accompagnement du Gouvernement.
Les injonctions des citoyens doivent se traduire dans leurs actes d’achats. C’est tout le sens de la loi Égalim, dont l’objectif est d’aboutir à une meilleure rémunération des agriculteurs. Nous devons sortir de la guerre des prix bas. Il n’est pas possible de demander toujours plus aux éleveurs sans leur en donner les moyens.
C’est l’esprit qui anime les travaux de Serge Papin sur la contractualisation et la pluriannualité, ainsi que de la proposition de loi modifiant la loi Égalim, présentée par Grégory Besson-Moreau. C’est seulement en accompagnant nos éleveurs que ces derniers pourront créer de la valeur et faire face aux grands enjeux de société. Comme toute transition, celle-ci n’aura pas lieu sans un changement profond des mentalités, c’est-à-dire tant que les éleveurs seront forcés de produire toujours moins cher.
Le Gouvernement est mobilisé aux côtés des professionnels. À ce titre, je veux répondre à certaines critiques et à certaines interpellations concernant l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, adoptée à l’Assemblée nationale.
Je tiens à vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs : même si l’agenda du Sénat est particulièrement chargé – vous le savez mieux que moi –, je vous confirme l’intention du Gouvernement de voir ce texte inscrit à l’ordre du jour de vos travaux avant la fin de l’année.
Le Gouvernement est mobilisé et souhaite préserver notre modèle d’élevage équilibré, qui se distingue par des exigences parmi les plus fortes au monde. Mais là où certains mènent une campagne de dénonciation et de stigmatisation généralisant trop souvent des cas isolés, nous revendiquons une politique de mesures concrètes, en agissant sans trembler quand cela s’impose, mais sans jamais jeter injustement l’opprobre sur tout un secteur ou toute une filière.
À cet égard, le Gouvernement tient à saluer le travail mené par Henri Cabanel et Françoise Férat sur l’accompagnement de la détresse, longtemps ignorée, des agriculteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons rejeter la radicalité qui mettrait fin à l’élevage français par excès d’exigence. Je le répète, nous partageons la volonté de poursuivre l’amélioration des bonnes pratiques, mais je vous invite à faire preuve de raison et de bon sens.
La question de l’avenir de l’élevage suppose beaucoup d’ambition et de pragmatisme, mais aussi et surtout de confiance en nos éleveurs, qui sont indiscutablement les premiers à souhaiter agir pour le bien-être des animaux et pour l’environnement.
Ils travaillent chaque jour pour nous fournir la meilleure alimentation possible. Ce n’est pas en les stigmatisant que nous aboutirons à un élevage plus durable, mais en leur donnant les clés pour mener des transitions ambitieuses.
C’est seulement en mettant la question de la rémunération des éleveurs au centre des discussions que nous pourrons accélérer le changement durable que nous appelons de tous nos vœux. Refuser cet état de fait, c’est condamner nos éleveurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (M. Joël Labbé applaudit.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une proposition de loi peut-elle, en quelques bonnes intentions, changer le monde ?
C’est la question que je me pose souvent lors de l’examen de textes touchant à des enjeux sociétaux. Ce débat qui nous réunit aujourd’hui en fait partie : comment être contre des objectifs d’élevage éthique, rémunérateur, socialement juste et soucieux du bien-être animal ? Comment être contre l’interdiction de l’élimination de poussins mâles et de canetons femelles vivants ?
Je remercie le groupe Écologiste – Solidarité et territoires de porter au débat des objectifs aussi nobles. Cependant, je m’interroge sur l’opportunité de ce texte, alors que le mal-être des agriculteurs n’a jamais atteint un tel paroxysme : deux agriculteurs se suicident chaque jour ; ne les oublions pas.
Si vous l’évoquez dans l’exposé des motifs en pointant un élevage intensif, qui ne respecte ni les agriculteurs ni les animaux, les mettant ainsi au même niveau, je souhaite poser ici un préambule : la nuance.
Ma collègue Françoise Férat et moi-même avons pu faire adopter à l’unanimité des membres de la commission des affaires économiques notre rapport sur la détresse des agriculteurs grâce à une posture de nuance, loin des partis pris idéologiques.
Notre société ne parvient plus aujourd’hui – plus encore avec les réseaux sociaux, qui réduisent les débats à néant, qui sclérosent la pensée, qui la congestionnent en un « pour ou contre » – à comprendre les enjeux et les conséquences de décisions parfois irrémédiables.
L’agriculture focalise les tensions, les incompréhensions et les fausses informations. En nous nourrissant et en aménageant nos territoires, elle se trouve au cœur de nos vies et en vient souvent à opposer idéologies et modèles.
Cette posture ne mènera à rien, sinon à l’ascension des extrêmes. C’est la raison pour laquelle il faut appréhender les problèmes de façon globale, réunir toutes les parties prenantes et agir avec l’ensemble des postulats, loin des passions et des fantasmes.
J’aime répéter que l’agriculture, ce n’est pas un enjeu, mais un faisceau d’enjeux – environnementaux, économiques, sociaux, sociétaux, mais aussi de santé publique, d’indépendance alimentaire… –, qu’il faut traiter de façon transversale. Privilégier un axe plutôt qu’un autre déséquilibre nos filières déjà bien fragilisées par les crises sanitaires, climatiques et économiques successives, ainsi que par une perte de compétitivité due à une surtransposition des règles européennes.
Je m’inquiète réellement des effets des lois qui n’ont de conséquences que sur les paysans français. J’estime que les enjeux légitimes que vous posez doivent être examinés et votés au niveau européen.
En effet, limiter les mesures aux éleveurs français équivaut à instaurer, de fait, une concurrence déloyale entre les filières des États membres. Toute interdiction de mode de production va isoler nos agriculteurs dans un marché européen déjà très concurrentiel et, a fortiori, au sein d’un marché mondial libéral, où le prix le plus bas s’oppose aux modes de production durables.
Vous le savez, je prône les circuits courts et les signes de qualité. Mais, alors que nos agriculteurs travaillent en moyenne 55 heures par semaine pour un salaire mensuel de 1 036 euros, soit 4,7 euros de l’heure, je pense qu’il faut nous poser avant de trancher dans le vif. Un grand nombre d’agriculteurs s’est d’ailleurs déjà tourné vers des pratiques vertueuses.
Avez-vous analysé l’impact de votre texte sur la compétitivité des filières ? Avez-vous analysé l’impact financier des mesures d’accompagnement ? Avez-vous réellement analysé l’impact sur le bien-être animal ?
En effet, les consommateurs qui mangent de la viande à bas prix se tourneront vers des produits étrangers. Nous n’aurons alors aucune possibilité de connaître les conditions de vie et d’abattage des animaux, ce qui réduira quasiment à néant l’objectif premier de cette proposition de loi.
Je suis sincèrement persuadé que c’est non pas une loi, mais bien une évolution des mentalités qui changera le monde. Associer le consommateur à l’acte d’achat, lui faire prendre conscience que son choix n’est pas anodin et qu’il peut agir sur les modes de production : tout cela est fondamental.
Aucune loi ne pourra remplacer ce libre arbitre. Il faut donc accompagner le consommateur. L’étiquetage lui fournit les informations dont il a besoin. Les applications, les QR codes, le Nutriscore se développent, et la filière agroalimentaire répond à la poussée sociétale à laquelle les agriculteurs s’adaptent déjà.
Dans le titre V, intitulé « Se nourrir », du projet de loi Climat et résilience, que nous examinerons prochainement, des avancées seront proposées pour une agriculture durable et de qualité. Ce véhicule législatif me semble plus légitime ; nous pourrons l’amender collectivement.
C’est pourquoi la majorité du groupe RDSE s’abstiendra sur cette proposition de loi. La conscience et la raison ont aussi force de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du bien-être animal comporte des dimensions scientifiques, éthiques, économiques, culturelles, sociales, religieuses et politiques. Elle transcende tous les courants de pensée.
Nos concitoyens et concitoyennes y sont de plus en plus sensibles. Nous ne pouvons nier les alertes lancées sur la violence des conditions d’élevage, de transport et d’abattage dans certains endroits, même si certains ne voudraient pas le voir, quand d’autres voudraient le cacher.
La maltraitance dans certains abattoirs,…
M. Arnaud Bazin. Certains !
M. Fabien Gay. … l’élevage en batterie et le broyage des poussins interrogent notre modèle agro-industriel, mais aussi, plus largement, notre modèle de société.
En effet, ce que nous infligeons aux animaux est un miroir sombre, sur lequel il ne fait pas bon se pencher. La pression productiviste et les inégalités s’intensifient pour les humains comme pour les animaux. Songeons à la violence subie par les animaux d’élevage intensif. Mais songeons aussi à la violence subie par le personnel des abattoirs ou à celle des licenciements massifs par des groupes peu scrupuleux lancés dans la course au profit. Je pourrais égrener de nombreux exemples.
Accepter la possibilité de maltraiter, quel que soit l’être maltraité, c’est ouvrir une brèche vouée à se creuser ; c’est créer un précédent dans la violence et l’aliénation ; c’est vouloir détruire l’altérité.
L’alimentation est à la fois une nécessité vitale, un plaisir et un moment de convivialité avec nos proches. Mais à l’heure de la crise environnementale et de l’industrialisation de l’élevage, nous n’avons d’autre choix que d’intégrer aussi sa dimension éthique. Repenser le rapport de l’humain à la nature et au monde animal, est une nécessité.
Toutefois, nous pensons qu’il faut sortir de la vision binaire « pour ou contre » l’élevage ou la viande, pour poser la question du modèle d’élevage et d’agriculture que nous voulons.
L’émergence de la question du bien-être animal frappe un secteur déjà fragilisé par les crises sanitaires et économiques de ces dernières décennies. Mais défendre l’élevage, c’est reconnaître les dérives entraînées par le modèle hyperproductiviste, soit 80 % de l’élevage en France, qui nuit à l’ensemble des éleveurs.
En 2019, le Conseil économique, social et environnemental alertait sur ces transformations et sur la baisse de rémunération qui les accompagne.
Ainsi, en trente ans, le nombre d’éleveurs a chuté de 57 % dans le secteur des porcs et volailles et de 70 % dans celui des vaches laitières. Cet effondrement n’a pas empêché les cheptels d’augmenter, ni les animaux d’être abattus en masse. C’est l’agriculture paysanne qui est la première victime, au profit de fermes des « mille vaches ». (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
France Nature Environnement pointe la concentration croissante, qui entraîne des risques sanitaires, et l’impact environnemental. La multiplication des accords de libre-échange, pression supplémentaire pour nos agriculteurs, et sur eux, exacerbera encore ce phénomène.
C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender la proposition de loi du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, qui vise à trouver un équilibre entre les impératifs des éleveurs, sans les stigmatiser, et la recherche de meilleures conditions d’élevage.
La plupart des réglementations et cahiers des charges nationaux et européens visant à protéger les animaux sont basés sur les cinq libertés du rapport Brambell, qui date déjà de 1965. Il s’agit d’assurer l’absence de faim et de soif, d’inconfort, de douleur, de blessures et de maladie, de peur et de détresse, ainsi que de garantir un espace suffisant et adapté et la compagnie d’autres congénères.
Néanmoins, ces principes ne sont pas contraignants et les moyens manquent pour assurer les contrôles et permettre à nos éleveurs de réaliser cette transition. C’est tout l’intérêt de l’article 4, qui propose un fonds dédié à cette transition, dans une vision longue.
Il faut aller plus loin et passer d’un élevage intensif, industriel et destructeur, à un élevage respectueux de l’environnement, de l’humain et de la planète.
Pour ces raisons, nous voterons cette proposition de loi et interviendrons pour défendre un certain nombre d’amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le développement de nombreuses associations de défense des animaux et les actions « coup de poing » qu’elles ont pu mener ces dernières années sont des manifestations de l’importance que revêt le bien-être des animaux dans l’opinion publique.
Nous avons vu les images choquantes de certains abattoirs, diffusées sur les réseaux sociaux, et nous n’y sommes pas insensibles, mais permettez-moi également de penser aux hommes qui y travaillent.
Le constat posé par cette proposition de loi met en lumière de véritables enjeux sociétaux, que nous ne devons pas négliger.
Rappelons que les éleveurs, dans leur très grande majorité, réprouvent ces traitements ignobles. Ils respectent au quotidien le bien-être de leurs animaux, que les exploitations soient petites ou grandes. Ils appliquent scrupuleusement les normes européennes et nationales, pour assurer de bonnes conditions à leurs bêtes. Ils ont investi des centaines de milliers d’euros pour adapter leurs étables et leurs porcheries – jusqu’à la prochaine norme…
Soyons clairs : s’ils sont avérés, les manquements au bien-être animal doivent être sanctionnés. Les intentions de ce texte sont louables, et l’Union Centriste partage la volonté d’améliorer les conditions de travail des éleveurs et le bien-être des animaux de ferme.
Malheureusement, les solutions avancées dans cette proposition de loi ne répondent pas aux problématiques profondes de la filière. Ce texte risque de mettre un peu plus à genoux financièrement nos producteurs qui respectent les règles.
Le dispositif proposé n’est pas applicable. La mise en œuvre de l’article 1er, par exemple, pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. D’un point de vue technique, le tout plein air n’est pas faisable : l’accès au foncier sera un facteur limitant pour nombre d’éleveurs.
Ces mesures vont fragiliser les filières, et les agriculteurs qui ne parviendront pas à réaliser les investissements nécessaires cesseront leur activité, sans repreneur. Il ne faut pas que la généralisation du plein air en fasse le nouveau standard, au détriment de la rémunération du producteur. Sans consentement du consommateur à payer le coût du changement de pratiques, cette mesure encouragera les importations.
« Plein air » ne signifie pas toujours bien-être, notamment lorsque le milieu – portance des sols, pente… – et les conditions climatiques – neige, fortes chaleurs … – ne sont pas adaptés à la sortie des animaux.
De plus, si nous rendons l’élevage en plein air systématique, nous faciliterons la diffusion d’épidémies animales. Quelles dispositions seront prises pour contrer la propagation éventuelle de la peste porcine ? Comment empêcher les contacts avec la faune sauvage, vecteur de grippe aviaire ?
Il en va de même des modifications proposées pour les transports d’animaux à l’article 2 : si nous limitons à quatre heures les transports dans l’Hexagone, comment s’assurer que les camions ne feront pas de détours par l’étranger ? Quelle sera la facture carbone de telles dérives ?
Sur le papier, tout est très simple ; mais sur le terrain, ces solutions ne sont pas fonctionnelles. L’enjeu prioritaire pour assurer le temps de transport le plus réduit possible est de renforcer un maillage d’abattoirs de proximité économiquement viables et sanitairement fiables.
En outre, le dispositif proposé n’est pas viable financièrement. Dans la filière porcine, la construction de bâtiments offrant un accès au plein air – courettes, différent d’élevage plein air – coûterait 13 milliards d’euros pour l’ensemble du cheptel. Le budget nécessaire pour accompagner la transition par rapport aux moyens disponibles rend ces mesures irréalistes.
À titre de comparaison, le plan de relance prévoit une enveloppe de 100 millions d’euros pour l’ensemble de la mesure « Biosécurité et bien-être animal ». Tout cela est bien insuffisant pour une telle transition. La France devra-t-elle créer une nouvelle taxe et pénaliser la compétitivité de notre filière nationale ?
Ce dispositif n’est pas viable non plus pour les éleveurs. N’oublions pas en effet que ces restructurations ont un prix et que tous les producteurs ne seront pas éligibles aux aides du fonds de soutien. Pour ces derniers, ce sera la double peine : ils devront s’endetter pour financer des investissements qu’ils n’amortiront pas à court terme et augmenter le prix de leurs produits, déjà peu compétitifs sur le marché international.
Sachant qu’un Français sur sept saute des repas pour des raisons financières, vous comprendrez aisément que le consommateur moyen pourrait encore plus facilement porter son choix vers le porc espagnol, deux fois moins cher que le porc français.
Les éleveurs ont déjà consenti de nombreux efforts financiers et des solutions alternatives au broyage des poussins se développent : recherche de nouveaux marchés en France et à l’export pour les poussins actuellement éliminés – les coquelets, par exemple – ou quête de solutions permettant le sexage dans l’œuf à couver avant l’éclosion des poussins. La France a présenté un travail commun avec l’Allemagne pour parvenir à une solution viable pour la filière d’ici à la fin de 2021, date d’interdiction de cette pratique.
Enfin, chers collègues, n’oublions pas les efforts déjà consentis en matière environnementale et sociétale par l’agriculture en général et l’élevage en particulier, efforts trop souvent oubliés au profit d’un agribashing grandissant et agressif.
Je témoigne ici, au nom du groupe Union Centriste, que la ferme France est la meilleure du monde. Contraindre une fois de plus l’élevage français aggravera la situation de détresse à laquelle certains sont confrontés. L’élevage français souffre ! Les chiffres que notre collègue Henri Cabanel a rappelés voilà quelques instants font mal.
Travaillons de concert avec les éleveurs pour leur assurer un revenu décent. Travaillons pour convaincre nos compatriotes qu’une viande de qualité, respectant le bien-être animal, requiert un prix d’achat décent.
En votant contre ce texte, le groupe UC entend réaffirmer l’excellence de la filière française et se montrer solidaire des éleveurs, grands oubliés de la proposition de loi et pourtant si attentifs aux conditions de vie de leurs animaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le néolithique, qui vit la sédentarisation se développer et l’élevage apparaître dans de nombreuses régions du monde, l’homme a évolué dans une relation à la fois constructive et problématique avec l’animal, que ce dernier soit mythique, sauvage ou élevé à des fins nourricières ou d’auxiliaire de travail.
Portée par la pensée, de l’Antiquité à nos jours, la nature de cette relation a été interrogée dans le cadre de la religion, de l’éthique et de la morale, de l’économie et du droit en général, de la nature et des droits particuliers que nous lui avons progressivement reconnus.
Je ne rappellerai pas les grandes étapes de ce cheminement intellectuel, mais on sait qu’il était déjà présent dans l’Antiquité, que d’aucuns considèrent, chimériquement peut-être, comme l’âge d’or de la relation entre l’homme et l’animal.
De ce long cheminement, qui a connu des inflexions importantes en Angleterre, au XVIIe siècle, et en France au moment des Lumières, avec Condillac et son prémonitoire Traité des animaux, deux concepts différents ont émergé : celui du « droit de l’animal » et celui du « bien-être animal ».
Je remercie nos collègues du groupe écologiste, qui souhaitent, avec ce texte, faire avancer concrètement le bien-être animal.
La loi de 2015 reconnaissait que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », ouvrant ainsi la voie d’un fondement juridique de la notion de bien-être animal – je laisse de côté la question du droit de l’animal, car nous souscrivons aux exigences et critères du « bien-être animal ». Mais y souscrire ne laisse pas entendre que rien n’est fait aujourd’hui en ce sens ou que les éleveurs et industriels français ne s’en soucient pas.
Comme beaucoup ici, j’ai pu comprendre, au sein de ma famille, quelle peut être la relation affective – je pèse le mot – d’un éleveur responsable envers ses bêtes. Les jours où on les voit partir à l’abattoir sont des jours moralement difficiles, voire très difficiles.
Les abattoirs, parlons-en : ceux qui les gèrent, et peut-être plus encore quand ce sont des industriels responsables – la plupart le sont –, savent qu’il faut être irréprochable sur les règles à respecter pour les animaux. Ils sont attendus par une grande partie de la société et ils le savent. Comme le montrent les études, le sujet est sociétal et prend de plus en plus d’importance dans les consciences des citoyens et des consommateurs. En conséquence, c’est l’image ou la marque et le chiffre d’affaires qui sont affectés.
Je le dis au Gouvernement : nous nous interrogeons sur les mesures prévues dans la loi Égalim de 2018, en termes d’efficacité et même d’effectivité. Dans le cadre juridique actuel, il faut se donner les moyens de contrôler et de sanctionner comme il se doit les fautifs. Monsieur le ministre, c’est votre rôle et votre responsabilité.
De la même manière, nous nous interrogeons sur les suites données aux « mesures pour la protection et l’amélioration du bien-être animal », proposées aux interprofessions par le Gouvernement en janvier 2020. Il s’agissait d’un plan en six objectifs : aller vers la fin des pratiques douloureuses en élevage ; renforcer la sensibilisation et la formation au bien-être animal ; améliorer la qualité de vie des animaux d’élevage ; améliorer les conditions de transport des animaux ; améliorer l’information des consommateurs ; responsabiliser les propriétaires d’animaux de compagnie.
Monsieur le ministre, quel bilan en tirez-vous ? Ce plan est-il toujours d’actualité ? C’est le flou complet.
C’est la raison pour laquelle nous proposons d’insérer un article additionnel avant l’article 1er, demandant au Gouvernement de remettre au Parlement un bilan, un état des lieux exhaustif de l’ensemble des démarches engagées en faveur du bien-être animal en France, pour évaluer leur efficacité. Ce bilan informera sur les actions mises en œuvre dans le monde de l’élevage, mais aussi sur celles qui sont portées par la société civile ou les entreprises.
Ce panorama précis permettra aux pouvoirs publics, mais également à l’ensemble des acteurs mobilisés sur cette question, de savoir réellement où la France se situe en matière de bien-être animal et de déterminer les mesures proportionnées à mettre en œuvre pour accompagner et, si nécessaire, accélérer ce mouvement.
Pour avoir un débat apaisé sur la question du bien-être animal, nous devons savoir précisément d’où nous partons, réellement et objectivement, pour mettre en œuvre des actions ou des politiques ciblées et efficaces.
Enfin, nous tenons à rappeler notre attachement à l’élevage, à ce qu’il représente pour nos territoires – je viens moi-même du Gers, une zone de polyculture et d’élevage qui souffre beaucoup –, et à nos éleveurs. Je ne connais guère de métier plus difficile : vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l’année, pour un revenu misérable, et même de plus en plus misérable !
Quelles seront les conséquences de la PAC, dès 2022 ou 2023, sur l’élevage en France ? Une loi Égalim II est aussi attendue, et le plus vite sera le mieux, même si en réalité, plus grand monde n’y croit…
Parce qu’ils sont en première ligne de la souffrance, nous proposerons, à l’article 4, que les aides prévues servent également à la mise en œuvre de mesures de soutien et d’accompagnement psychologique pour les agriculteurs, sans oublier les opérateurs de l’abattage, afin de leur apporter une écoute et de leur proposer des mesures améliorant leur « bien-être au travail » et leur bien-être tout court d’hommes et de femmes, de travailleurs dignes de respect et de considération. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail mené par notre collègue Esther Benbassa, en lien avec Mme la rapporteure de la commission des affaires économiques, Marie-Christine Chauvin. Elles ont réalisé un travail complet, en consultant les acteurs des filières.
Cette proposition de loi permet d’ouvrir un débat important, en discutant d’options concrètes et pas seulement d’idées abstraites. Je le dis au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires : nous partageons les préoccupations de notre collègue pour valoriser le travail des éleveurs et améliorer le bien-être animal. Pour autant, vous vous en doutez, nous ne souscrivons pas aux mesures proposées.
Avant d’exposer les raisons de notre désaccord sur ce texte, je tiens à saluer les efforts continus de nos agriculteurs pour adapter leurs méthodes de travail aux nouvelles préoccupations et attentes sociétales et environnementales. Toutes ces évolutions vont dans le bon sens.
À cet égard, la France s’inscrit dans une dynamique européenne : partout sur le continent nos agriculteurs s’adaptent, pour mieux prendre en compte les attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire et de protection de l’environnement et de bien-être animal.
L’agriculture française, il faut le dire et le marteler, est l’une des plus durables au monde. Sur bien des aspects, nous sommes en avance. Nous pouvons en être fiers, mais nous aurions tort de réfléchir dans un cadre franco-français : notre agriculture doit aussi veiller à rester compétitive, en évitant de faire émerger des distorsions de concurrence, notamment entre pays européens.
C’est en conquérant des marchés à l’international et en réalisant des investissements productifs que notre agriculture pourra conserver son excellence, sa robustesse, et contribuer pleinement à la souveraineté et à la sécurité alimentaires de la France.
Faire peser de nouvelles contraintes franco-françaises sur nos agriculteurs altérera irrémédiablement la compétitivité de notre agriculture et laissera encore davantage la place à des produits importés ne respectant pas toujours nos valeurs.
Soyons cohérents : n’importons pas ce que nous ne nous autorisons pas à produire. Il faut donc travailler non seulement au niveau européen, mais aussi au travers d’accords internationaux, pour avancer de façon collective et concertée.
Le Sénat travaille depuis longtemps à soutenir les évolutions de notre agriculture, en lien avec les préoccupations de nos concitoyens, notamment au moment de l’examen de la loi Égalim. Lors du dernier budget, nous étions nombreux à soutenir la modernisation des abattoirs et des élevages dans le cadre du plan de relance. Cela montre que nous pouvons améliorer notre performance économique en intégrant le bien-être animal.
En conclusion, je rappellerai que nous devons aussi nous préoccuper du bien-être des éleveurs, qui aiment leurs animaux. Leur métier est difficile et exigeant ; il leur faut beaucoup de passion pour l’exercer. Qu’ils en soient aujourd’hui remerciés et honorés dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer l’initiative de notre collègue Esther Benbassa : il est des débats nécessaires, qui ne s’arrêteront pas à notre discussion d’aujourd’hui.
Le bien-être animal est devenu un enjeu majeur. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à souhaiter consommer de la viande de qualité, issue d’élevages respectueux du bien-être animal.
C’est un enjeu qui va de pair avec la performance environnementale : les systèmes « plein air » sont le plus souvent associés à la polyculture élevage, au sol, aux pâturages des animaux, à l’agriculture biologique et au lien au territoire.
C’est aussi un enjeu pour les agriculteurs, qui vivent au quotidien avec leurs animaux. Nombre d’éleveurs peinent aujourd’hui à trouver un équilibre économique et se retrouvent face à une société qui leur demande des changements coûteux en termes d’investissement et de temps pour réorienter leur pratique.
Toutefois, il y a pire : les éleveurs dits « intégrés », qui n’ont pas le choix. On continue de construire de grandes usines d’élevage. Dans le seul Morbihan, trois dossiers sont pendants : à Langoelan, 120 000 poulets, à Plaudren, 178 000 poulets et à Néant-sur-Yvel, 192 600 poulets. Rappelons que, dans les calculs d’efficacité et de compétitivité, un équivalent temps plein correspond à 80 000 poulets. Comment peut-on accepter cette évolution ?
Alors, il nous faut agir collectivement, pour donner aux éleveurs les moyens de la transition. Pour ce faire, nous devons fixer un cap clair : c’est ce que nous proposons dans cette proposition de loi, avec pour objectif un élevage donnant accès au plein air en 2040 – avec des nuances, évidemment – et la création d’un fonds pour le bien-être animal à destination des éleveurs et des abattoirs, ce qui est absolument nécessaire.
Néanmoins, il nous faut aussi agir plus globalement. En effet, qui serait gagnant si nous substituions aux produits issus d’élevages industriels français des produits issus d’élevages bien plus intensifs, mais situés ailleurs et ne respectant pas nos normes ?
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Joël Labbé. Il est donc capital d’agir à l’échelle européenne : il faut refuser les traités de libre-échange, ou à tout le moins en exclure définitivement les produits alimentaires, et mettre en place des clauses miroirs pour l’ensemble des importations de produits alimentaires.
Il est capital d’agir à l’échelle nationale aussi, en faveur de la relocalisation de l’alimentation, qui est plébiscitée par nos concitoyens. Cela se fera notamment par le développement de l’abattage de proximité et l’abattage à la ferme, par les projets alimentaires territoriaux et par la création de débouchés rémunérateurs, via la restauration collective. Malheureusement, aujourd’hui encore, le plan de relance est loin d’être suffisant dans ce domaine.
Il faut enfin, en parallèle, travailler à l’accessibilité pour toutes et tous de produits qui sont plus respectueux des animaux et de l’environnement, mais aussi plus rémunérateurs pour les éleveurs. Là encore, nous pouvons et nous devons nous donner les moyens d’y parvenir, en rémunérant les externalités positives générées par les élevages respectueux du bien-être animal et de l’environnement et en travaillant sur le droit à l’alimentation pour tous, en particulier sur la proposition de sécurité sociale de l’alimentation.
Il nous faut tout mettre en œuvre en œuvre, aujourd’hui, pour réussir en urgence une transition vers un élevage éthique et respectueux des éleveurs, des animaux et de l’environnement.
On parle beaucoup de fractures dans notre pays ; on en connaît plusieurs. Eh bien, dans le monde agricole aussi, une fracture est en train de se creuser, entre ceux qui souhaitent la poursuite de l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage et ceux qui pratiquent et défendent une agriculture paysanne, génératrice d’emploi, de développement local et de respect du climat, de la biodiversité, des animaux et des êtres humains. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise selon ses auteurs la mise en place d’un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal. La commission des affaires économiques a examiné son texte le 12 mai et ne l’a pas adopté.
Si nous rejoignons l’esprit et les objectifs de vos propositions, mes chers collègues, nous sommes en désaccord avec la méthode et la temporalité que vous proposez. On le sait, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions !
Tout d’abord, le choix du titre de votre proposition de loi n’est pas anodin. Il favorise le soupçon à l’égard des agriculteurs, ce qui est regrettable.
En tant qu’agricultrice, je puis vous assurer que la très grande majorité des membres de notre profession placent le bien-être de leurs animaux au cœur de leurs préoccupations.
Les agriculteurs voient naître et grandir leurs animaux ; ils les font souvent passer avant leur bien-être personnel. On ne peut pas se servir de cas isolés de maltraitance animale pour discréditer toute une profession, a fortiori dans le contexte difficile auquel les agriculteurs font face avec courage.
Les trois premiers articles de cette proposition de loi contiennent de multiples nouvelles interdictions et limitations : l’interdiction, au 1er janvier 2026, de la construction ou de l’extension de bâtiments d’élevage si la densité de peuplement n’est pas limitée et que l’accès à un espace de plein air n’est pas permis ; l’interdiction, au 1er janvier 2040, de toute exploitation ne respectant pas ces critères : la limitation à huit heures de la durée de transport des animaux sur le territoire national ; enfin, l’interdiction de l’élimination, sauf en cas d’épizootie, des poussins mâles et des canetons femelles vivants, à partir de 2022.
Ces interdictions et limitations font fi des efforts réalisés et fixés par les différentes filières pour améliorer le bien-être animal. Elles se limitent au cadre national, alors que l’échelle idoine est européenne. Enfin, leurs auteurs ne se préoccupent pas de leurs conséquences néfastes pour les agriculteurs : les contraintes connaîtraient une complexification croissante et de nouvelles distorsions de concurrence seraient induites.
En proposant ces interdictions et limitations, on fait comme si le Gouvernement n’avait pris aucune mesure concrète pour améliorer le bien-être des animaux d’élevage. Au contraire, la mobilisation gouvernementale a permis d’acter, sans légiférer, l’interdiction de la castration à vif des porcelets et de l’élimination à terme des poussins mâles dans la filière pondeuse.
Quant à l’article 4 de cette proposition de loi, qui crée un fonds de soutien pour le bien-être animal, il est déjà satisfait : le plan de relance permet à l’État d’apporter des financements pour accélérer la transition vers un modèle agricole respectueux du bien-être animal.
Ce volet du plan de relance est en cours de déploiement sur le terrain, via le plan de modernisation des abattoirs, comme j’ai pu le constater au début de ce mois lors de ma visite de l’abattoir du groupe Sicarev, à Migennes, dans l’Yonne. Cela se traduira concrètement par la création d’une bergerie avec des mangeoires et des abreuvoirs, la mise en place de quais d’accessibilité, l’extension de l’abattoir pour améliorer le confort des animaux, l’installation d’un système de vidéosurveillance et la mise en place de formations sur le bien-être animal pour les salariés.
Pour toutes ces raisons, en responsabilité, notre groupe ne pourra pas voter en faveur de ce texte. Pour ma part, comme un certain nombre de mes collègues, je m’y opposerai.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment prendre la parole quand, parmi les neuf orateurs qui s’expriment au nom des groupes dans cette discussion, je suis le seul éleveur ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. Mme Evrard l’est aussi !
M. Laurent Duplomb. Peut-être sommes-nous deux ! Comment parler de ce qui est pour moi une vraie passion, après tout ce qui a été dit ?
Selon moi, il faut en premier lieu éviter la confusion entre bien-être animal et maltraitance animale. Cette dernière est condamnable et condamnée, même si l’on ne pousse peut-être pas toujours suffisamment les recherches pour y parvenir. Cela dit, mélanger les questions de bien-être animal et de maltraitance est une erreur fondamentale.
Mme Françoise Férat. Très bien !
M. Laurent Duplomb. En deuxième lieu, on ne peut pas, à mon sens, se contenter de parler de ce qui se passe aujourd’hui dans l’élevage sans avoir à l’esprit, en miroir, l’histoire de cette activité et, surtout, les évolutions positives conduites toutes ces dernières années pour améliorer le bien-être animal.
Quand je me suis installé, j’étais de ces éleveurs bovins dont les animaux étaient attachés six mois de l’année. Aujourd’hui, ces mêmes bovins sont en totale liberté, dans un système de stabulation libre. La plupart d’entre eux pâturent ; aucun ne reste attaché pendant six mois. Ces animaux sont ventilés à 23 degrés, ils sont brossés.
M. Jacques Le Nay. Avec de la musique ! (Sourires.)
M. Laurent Duplomb. Ils sont élevés, je l’espère, le mieux possible.
Alors, il arrive parfois que l’éleveur que je suis se pose des questions sur le sens de notre société. On nous parle d’éthique d’élevage, mais quelle est l’éthique de cette société ?
Je veux à ce propos vous raconter une petite histoire qui m’a énormément marqué. Pas plus tard que le mois dernier, un animateur d’une station radio s’est intéressé aux urnes funéraires vendues sur Le Bon Coin. Il y trouve une annonce, appelle en direct le numéro de téléphone indiqué et tombe sur l’homme qui vend l’urne en question. Il le fait peu à peu parler, et l’homme lui explique qu’il est divorcé et que sa femme, en partant, a oublié de prendre l’urne funéraire de sa mère ; de colère, il a vidé l’urne de ses cendres, il a passé un coup de Kärcher et il l’a mise sur Le Bon Coin ! (Sourires.)
Mes chers collègues, comment voulez-vous qu’un éleveur qui croit en ce qu’il fait, qui a une éthique et qui est passionné puisse comprendre cette dichotomie de notre société ? Il se dit qu’on va lui demander de faire encore plus, alors qu’il réalise déjà des efforts constants, et qu’on va lui demander d’investir encore plus, alors qu’il ne gagne rien, tandis que le reste de la société se tait sur ce qui se dit à la radio, à une heure de grande écoute : tout le monde peut l’entendre, on peut même le retrouver sur internet !
Comment peut-on avoir deux visions aussi opposées ? D’un côté, on demanderait tout pour la protection de l’animal ; de l’autre, on ne ferait plus rien pour la protection de la fraternité et du sens de l’humain ! Je me pose de vraies questions à ce sujet ; je les partage avec vous, mes chers collègues, parce qu’elles me tiennent à cœur.
Bien sûr, il y a des sujets sur lesquels nous pouvons ouvrir le débat. Joël Labbé a bien dit – je l’en remercie – qu’il y a peut-être des questions à se poser sur l’intégration ou sur la façon dont on pousse certains élevages. Mais on ne peut pas continuer dans l’amalgame. On ne peut pas continuer de stigmatiser les éleveurs comme on le fait. Tout ce que l’on y gagnera, en fin de compte, c’est la disparition de l’élevage dans notre pays ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Arnaud Bazin. Très bien !
M. Laurent Duplomb. Or l’élevage, dans notre pays, ce sont les paysages, c’est le maintien de campagnes vivantes.
Le modèle agricole que vous condamnez, mes chers collègues, c’est le modèle d’une France dont l’élevage est réparti sur tout le territoire (Protestations sur les travées du groupe GEST.), c’est le modèle d’une France où l’élevage est resté pour une très large majorité, contrairement à ce qu’il vous arrive d’affirmer, une agriculture familiale. (Mêmes mouvements.) C’est cela qu’il faut continuer de défendre, c’est cela qu’il faut continuer de préserver.
Or ce n’est pas en condamnant cette profession, en la stigmatisant, en la poussant dans ses retranchements, alors qu’elle aurait plutôt besoin de respect et de soutien, que nous y arriverons !
Je vous le dis : nous pouvons être fiers de l’élevage français. Plutôt que de le dénigrer, respectons-le et continuons de le pousser en avant ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud Bazin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela fait bien longtemps que le Sénat n’a pas eu à débattre en séance publique des questions relatives à l’éthique de l’élevage, de ces sujets concrets relevant de la dimension morale du rapport de notre espèce aux autres espèces.
En fait, nous n’en avons pas débattu depuis l’examen nocturne de quelques articles de la loi Égalim, qui contenaient des dispositions sur les poules pondeuses et une expérimentation de captation vidéo dans les abattoirs. Il en était évoqué une dizaine, sur la base du volontariat ; il y en aurait aujourd’hui quatre tout au plus, ce qui montre d’ailleurs tout l’allant du Gouvernement sur ces questions.
Il faut donc remercier Mme Benbassa et ses collègues d’avoir suscité ce temps de débat. Bien que j’aie entendu votre annonce, monsieur le ministre, le Gouvernement ne me semble guère pressé d’inscrire à l’ordre du jour avec un temps de débat décent la proposition de loi dite « de lutte contre la maltraitance animale », issue de sa propre majorité. À vrai dire, je le comprends, tant ce texte, aux objectifs pourtant fort limités, devra être modifié en profondeur pour être opérationnel.
Quand on ignore l’essentiel des questions que l’on prétend traiter, on cause plus de dommages que l’on apporte d’améliorations. Or telle est bien la devise des professions médicales : « D’abord ne pas nuire »…
Pour essayer d’éclairer notre débat de ce soir, je poserai deux questions. Premièrement, qui est opposé à un élevage respectueux des animaux associé à une rémunération équitable des éleveurs ? Deuxièmement, peut-on traiter une question aussi vaste et multidimensionnelle que l’élevage en deux heures d’examen et quatre articles d’une proposition de loi ?
Pour ce qui est de la première question, je ne m’y attarderai pas : à moins d’être un pervers, la réponse est évidente. C’est d’ailleurs déjà une demande forte de la société, celle d’un élevage respectueux de l’être vivant sensible qu’est un animal.
Il est maintenant convenu de parler de bien-être animal, expression consacrée administrativement et socialement. Il y a dans ce terme de communication une grande hypocrisie qui me gêne, mais c’est un autre débat. Essayons, avec modestie, de respecter les besoins fondamentaux des animaux que nous élevons pour les consommer ou consommer leurs produits ; ce sera déjà bien !
Quant à la seconde question, la réponse me paraît tout aussi évidente. Notre rapporteur a parfaitement retracé tout l’environnement de l’élevage ; en vérité, du fait de ce contexte, on ne peut en rester au « y’a qu’à, faut qu’on » : en l’occurrence, il n’y aurait qu’à interdire et il faudrait subventionner l’adaptation.
Je ne veux citer que quelques-uns de ces éléments de complexité. Le premier est l’environnement européen, qui permettrait d’exporter dans notre périphérie ce qui serait interdit chez nous, par exemple le broyage des poussins et canetons ; c’est ce que j’appellerais l’exportation de la maltraitance. C’est donc une question européenne.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Excellent !
M. Arnaud Bazin. Le second élément qu’il convient de rappeler est économique. Deux risques sont évidents.
Le premier est celui d’une alimentation à deux vitesses : il y aurait, pour schématiser, les produits pour bobos et les produits pour prolos !
Le second risque, c’est la ruine de beaucoup de nos éleveurs, qui n’aurait aucun bénéfice pour les animaux, mais qui emporterait des conséquences économiques, environnementales et sociales lourdes dans nos territoires.
Un troisième élément de complexité est la dissonance cognitive à l’œuvre. Pardonnez-moi ce jargon, mes chers collègues : l’expression signifie simplement que le comportement du consommateur n’est pas celui du citoyen qui répond aux questions des sondeurs.
Quand on demande : « Êtes-vous d’accord pour payer plus cher des produits animaux, même à 15 % de surcoût ? », la réponse est massivement positive, alors que, au-delà de 7 % à 8 % de surcoût, les acheteurs les plus nombreux font déjà défaut ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le quatrième élément de complexité que je veux rappeler est le caractère récent du référentiel dit « de bien-être animal ». Il continue en partie de susciter le débat et doit être une démarche scientifique dont les prescriptions seront appropriées par les éleveurs et déclinées en normes comprises de tous.
Enfin, j’ajouterai à ce très synthétique recensement de la complexité du problème la remise en question des grands accords de commerce international entre l’Europe et ses partenaires, de manière, là aussi, à éviter l’exportation de conditions d’élevage que nous n’accepterions plus chez nous. Sinon, les animaux seront maltraités plus loin de chez nous : « Cachez cet élevage que je ne saurais voir ! » Belle avancée pour les tartuffes…
Cette proposition de loi s’inscrit pourtant au sein d’une question majeure : comment construire un autre rapport à l’alimentation et aux animaux, qui soit éthique et représente un progrès moral de l’espèce humaine, tout en garantissant une alimentation saine et durable ? Cela suppose un énorme travail d’éducation, probablement sur plusieurs générations.
En effet, ne nous leurrons pas : on ne change pas des comportements culturels aussi profondément ancrés que les comportements alimentaires en un claquement de doigts.
Ce texte, monsieur le ministre, doit donc être considéré comme une proposition de loi d’appel, comme il existe des amendements d’appel. C’est à l’exécutif de se saisir réellement du sujet, car c’est lui qui en a les moyens. En effet, relèvent de l’action du Gouvernement l’éducation à l’alimentation, la transformation des filières en direction des protéines végétales, pour une alimentation humaine diversifiée et moins carnée, la protection des éleveurs contre une concurrence déloyale, ainsi que le respect des animaux.
Des signaux forts pour « moins de viande, mieux de viande » sont déjà envoyés, telle la lettre ouverte d’Interbev, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, démarche qui me paraît intéressante.
Le Gouvernement a aussi les moyens d’assurer la protection immédiate des animaux à l’abattoir, en imposant une surveillance vétérinaire, notamment par des outils vidéo, et par l’étourdissement préalable obligatoire, sans dérogation. Il est enfin en mesure de mettre en œuvre les contrôles appropriés, notamment pour le transport et l’abattage.
Monsieur le ministre, cette proposition de loi est pour vous un appel à l’action : une longue et forte transformation de l’alimentation des Français doit être entamée, qui traduise aussi une étape cruciale du progrès moral de notre société.
L’alimentation, qui fut avec la protection contre les prédateurs la priorité de notre espèce, n’est plus que l’un des aspects de la consommation de masse. Il est temps de lui redonner toute son importance et, pour sa dimension animale, de l’inscrire dans le très nécessaire progrès moral de l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal
TITRE Ier
Faire évoluer les modes d’élevage
Article additionnel avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant un état des lieux exhaustif de l’ensemble des démarches engagées en faveur du bien-être animal en France. Il dresse à la fois les actions mises en œuvre dans le monde de l’élevage, mais aussi celles impulsées ou portées par la société civile ou les entreprises. Ce panorama précis permettra aux pouvoirs publics, mais également à l’ensemble des acteurs mobilisés sur cette question, de savoir réellement où la France se situe en matière de bien-être animal et en conséquence, les mesures à mettre en œuvre pour accompagner et accélérer ce mouvement.
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. J’ai déjà évoqué l’objet de cet amendement dans mon intervention au cours de la discussion générale : je crois qu’il serait vraiment utile que nous disposions d’un état des lieux de ce sujet en France, ainsi peut-être que d’une étude comparée avec d’autres pays, comme Henri Cabanel en exprimait d’ailleurs le souhait.
Ce serait pertinent pour les professionnels concernés, éleveurs et industriels, et au vu des demandes de la société en la matière. En effet, on ne pourra progresser efficacement, en se comprenant collectivement, que si l’on part d’un état des lieux partagé ; j’en suis profondément convaincu et je ne suis pas du tout certain que nous ayons les éléments nécessaires. Chacun a les siens et valorise, évidemment, ce qui l’arrange et correspond le mieux à son raisonnement ; cela peut se comprendre, je n’en fais le reproche à personne.
Il faut donc que nous ayons une représentation commune de ce sujet, pour cheminer ensemble dans le sens souhaité, sans oublier personne sur le bord du chemin, sans sacrifier personne. Les enjeux économiques de développement, mais aussi les enjeux territoriaux sont considérables. En réalité, nous sommes tous d’accord sur ces éléments ; on peut le reconnaître quand on s’écoute mutuellement.
Le rôle du Gouvernement est donc de réunir tout le monde et d’engager une démarche structurée, pour parvenir à des fins collectives qui ne sacrifient personne et qui servent la France et son économie agricole, en particulier l’élevage dans toute sa diversité.
Monsieur le ministre, j’apprécierais donc que vous apportiez quelques éléments de réponse aux questions que je vous ai posées dans la discussion générale. Cela pourrait se révéler utile, notamment pour ce qui concerne cet amendement. D’avance, je vous en remercie !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. Dans un souci de cohérence, comme la commission a rejeté le texte dans son ensemble, elle a émis un avis défavorable sur cet amendement. Nous ne pouvons adopter un article additionnel pour, ensuite, le rejeter avec l’ensemble du texte ; cela serait vraiment schizophrène !
Je reconnais néanmoins, mon cher collègue, que la philosophie qui préside à votre amendement est stimulante : il est essentiel de mieux communiquer sur les progrès en matière de bien-être animal, dont nous savons qu’ils sont nombreux, progrès réalisés tous les jours par les éleveurs. C’est essentiel pour eux comme pour notre agriculture.
Pour autant, un rapport remis au Parlement constitue-t-il le meilleur vecteur d’une telle communication ? Il faut plutôt que le Gouvernement se mobilise sur le sujet, afin d’établir ce panorama précis et d’en faire une grande communication. Il est inutile d’inscrire ce genre de mesures dans la loi, puisque le Gouvernement peut déjà le faire.
Notre avis défavorable s’explique donc par notre invitation à rejeter ce texte, mais aussi par le fait qu’un rapport remis au Parlement n’est pas le meilleur outil pour atteindre les objectifs fixés.
Un éventuel engagement du Gouvernement à consolider une communication autour des progrès accomplis tous les jours par les éleveurs en matière de bien-être animal serait en revanche bienvenu. Je vous laisse, monsieur le ministre, le soin de répondre à cette demande.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Griset, ministre délégué. L’identification des pratiques et des initiatives en faveur du bien-être animal est déjà un travail entrepris par le Gouvernement.
Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a demandé au Centre national de référence pour le bien-être animal de dresser un état des lieux des pratiques douloureuses en élevage, en vue de travailler sur des solutions de rechange.
Par ailleurs, la loi Égalim comporte plusieurs mesures visant à lutter contre la maltraitance animale, comme l’extension du délit de maltraitance animale aux établissements d’abattage et de transport d’animaux vivants, ou encore le doublement des peines.
Enfin, rappelons que le Gouvernement a choisi de mobiliser 100 millions d’euros du plan de relance en faveur du bien-être animal.
Votre demande paraît donc satisfaite, monsieur le sénateur ; je vous invite donc à retirer votre amendement, faute de quoi l’avis du Gouvernement serait défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. On avait compris avant même le début de ce débat que le texte serait rejeté.
Il n’en reste pas moins que cet amendement du groupe socialiste, présenté par Franck Montaugé, a tout à fait sa raison d’être. On nous objecte que le Gouvernement mène déjà de telles études, mais si le Parlement réclame un tel rapport, c’est bien parce qu’il s’agit d’un vrai sujet et parce que ce document serait dans l’intérêt de tout le monde, y compris des éleveurs.
Vous invoquez la cohérence, madame la rapporteure, et votre opposition à notre proposition de loi dans son ensemble, mais s’il ne restait que cela de ce texte, ce serait autant qui serait inscrit dans la loi. Ce n’est pas un caillou dans la chaussure du Gouvernement, mais un véritable sujet, sur lequel il faut travailler.
Il s’agit pour le Parlement de demander un engagement du Gouvernement ; nous serions là pleinement dans notre rôle.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Puisqu’il est question de rapport, je vous signale, monsieur le ministre, que l’article 69 de la loi Égalim, entrée en vigueur le 2 novembre 2018, prévoyait la remise au Parlement, sous dix-huit mois, d’un rapport sur la capacité de la spectrométrie, afin d’évaluer la pertinence de cette technologie pour éviter le broyage des poussins et canetons, ainsi que sur les conditions de transport des animaux, deux questions qui sont abordées dans la présente proposition de loi.
À ma connaissance, aujourd’hui, ce rapport n’a pas été remis au Parlement.
Demander des rapports est donc sûrement très intéressant, pour certains d’entre eux du moins, mais encore faudrait-il qu’ils soient remis au Parlement dans des délais décents !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Ici, on est au Parlement : j’entends bien ce que dit notre collègue Laurent Duplomb, mais je ne crois pas qu’il y ait besoin d’être agriculteur ou éleveur pour parler d’agriculture.
Mme Frédérique Puissat. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. Fabien Gay. Je l’espère, du moins, car il y aurait sinon bien des questions que le Parlement aurait du mal à traiter, personne n’ayant d’expérience en la matière…
Ainsi, le groupe communiste a un avis tranché sur l’impôt de solidarité sur la fortune – nous sommes plutôt favorables à son rétablissement –, alors qu’aucun d’entre nous ne l’a jamais payé ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Frédérique Puissat. Mais M. Mélenchon si !
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, on sait bien que cette demande de rapport est un amendement d’appel. Ce que nous vous demandons, c’est un travail en commun.
M. Bazin a raison : la loi Égalim, dont un chapitre entier était consacré à cette question du bien-être animal, contient déjà un certain nombre de mesures en la matière – d’autres ont été rejetées –, mais on voit bien que leur application ne va pas assez vite, notamment la remise du rapport prévu à l’article 69.
Nombre d’initiatives parlementaires ont été prises, beaucoup de propositions de loi ont été déposées, à l’Assemblée nationale comme ici, qui émanent de nombreux groupes. On voit bien qu’il s’agit d’une question de société ; on a bien ressenti dans les diverses interventions de la discussion générale, dans toute la diversité de notre assemblée, que chacun a envie de débattre de ces questions et de pousser ce sujet.
Enfin, monsieur le ministre, je tiens à vous dire qu’il n’y a pas eu de polémique ici sur la proposition de loi portée par le groupe La République En Marche à l’Assemblée nationale. La seule polémique qui a eu lieu est la vôtre, entre le Gouvernement et sa majorité.
En effet, voilà que la majorité affirme partout, notamment dans un journal qui paraît le dimanche matin – non pas l’Humanité Dimanche, mais Le Journal du dimanche –, que ce serait le Sénat qui bloquerait ! Le Sénat ne bloque nullement ce texte : je rappelle que si le groupe RDPI veut faire inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour, il dispose d’un temps réservé pour ce faire ; si le Gouvernement veut la reprendre, il peut tout à fait aussi en demander l’examen.
C’est à vous qu’il appartient d’aller au bout de ce débat et de soumettre à l’examen du Sénat cette proposition de loi !
Pour notre part – je m’exprime là au nom de mon groupe et, au-delà, de toute la gauche –, nous serons ravis d’en débattre et de proposer certains amendements, y compris des propositions que nous avions déjà portées lors de l’examen de la loi Égalim.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. J’ai bien entendu l’invitation de M. le ministre à retirer mon amendement et je vais y répondre : non, je ne le retirerai pas !
Je crois en effet que tout le monde, sur nos travées, est d’accord avec son objet. Je regrette la position un peu dogmatique, si vous me passez l’expression, de nos collègues de droite, qui sont d’accord, mais qui refusent de l’adopter parce qu’ils sont contre le texte dans son ensemble. Selon moi, il ne faut pas forcément lier les deux.
Quant à votre réponse, monsieur le ministre, je la trouve surréaliste. J’ai peut-être raté des épisodes ou des documents : je vous invite donc à me faire passer, s’ils existent, les éléments que vous évoquez et que nous appelons de nos vœux dans cet amendement. À vrai dire, je suis à peu près sûr qu’ils n’existent pas ou que, s’ils existent, c’est de manière extrêmement partielle et minime par rapport à l’ambition de cet amendement, au travers duquel nous vous demandons un état des lieux et des orientations.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Ce rapport a tout lieu d’être ! Alors que se pose la question du bien-être animal, cette notion n’a aucune définition bien établie : le rapport devrait aider à l’éclaircir.
Bien entendu, les agriculteurs ne maltraitent pas leurs animaux par plaisir ; assurer le bien-être de leur élevage est pour eux fondamental. Mais un agriculteur a beau avoir beaucoup d’amour pour ses animaux, s’il le partage entre 80 000 volailles, cela fait en fin de compte peu d’amour pour chacune d’elles…
Où se trouve le bien-être des poulets qui sont élevés pendant six semaines seulement, parce qu’a été divisée par trois leur durée de vie ?
Nous sommes tous d’accord pour dire que notre élevage industriel doit évoluer. Et si nous continuons à nous comparer sans cesse au moins-disant, nous serons toujours débordés. Il faut protéger nos élevages ! Nous avons les moyens de lutter contre la concurrence déloyale ; il ne reste plus qu’à les mettre en œuvre. Ce rapport est indispensable. Il sera la première étape pour définir plus précisément la notion de bien-être.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je voudrais faire un petit point de méthode, pour rétablir un peu de cohérence.
Nous pouvons nous faire plaisir en décidant de voter ce rapport, qui sera ou non remis par le Gouvernement. Mais, d’ici à une demi-heure, le texte ne sera pas adopté…
Mme Esther Benbassa. Pourquoi ne le serait-il pas ?
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Par égard pour vous, madame Benbassa, nous n’avons pas déposé d’amendement visant à la suppression des articles 1er, 2 et 3.
A priori, la loi ne sera pas votée à l’issue de la séance : ce débat sera donc inutile.
Permettez à Mme la rapporteure, ainsi qu’à moi-même, de jouer la cohérence et d’émettre – avec regret, parce que nous sommes d’accord avec vous ! – un avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. En termes de méthode, même si nous votons contre chacun des articles, il nous restera à la fin à voter sur les articles additionnels qui auront été adoptés…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est vrai !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Si je vous comprends bien, madame la présidente de la commission, nous pourrions arrêtez nos débats tout de suite ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Exactement !
M. Guillaume Gontard. Et nous pourrions le faire sur de nombreux textes déposés dans nos niches parlementaires ! Je perçois bien que le sujet ne vous intéresse pas. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud Bazin. Au contraire !
M. Guillaume Gontard. J’ai pourtant retenu de nos débats que le sujet était d’importance et que nous devions en discuter. À la fin, il sera procédé à un vote, qui sera peut-être négatif, mais peu importe ! Le simple fait d’en discuter, au travers de ces quelques amendements, satisfait le respect minimum que nous devons au travail parlementaire.
Si cet amendement devait être le seul à être adopté, soit ! Mais nous dire maintenant de terminer la discussion constitue, à tout le moins, un manque de respect pour le travail qui a été réalisé. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
Après le premier alinéa de l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La mise en production de tout bâtiment nouveau ou de toute extension d’un bâtiment d’élevage d’animaux ne respectant pas les modalités d’application fixées par le décret mentionné au dernier alinéa du présent article, limitant les densités de peuplement et permettant l’accès à un espace de plein air des animaux adapté à leurs besoins, est interdite à compter du 1er janvier 2026.
« L’exploitation de tout élevage dans un système de production n’offrant pas aux animaux de rente un accès à un espace de plein air adapté à leurs besoins et ne respectant pas une limitation des densités de peuplement est interdite à compter du 1er janvier 2040. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er n’est pas adopté.)
TITRE II
Mettre fin aux pratiques génératrices de souffrances animales
Article 2
L’article L. 214-13 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rétabli :
« Art. L. 214-13. – Pour les transports d’animaux se déroulant entièrement sur le territoire français, la durée maximale de voyage des animaux domestiques est fixée à huit heures pour les espèces bovine, ovine, caprine, porcine et les équidés et à quatre heures pour les volailles et les lapins.
« Toutefois, une autorisation préalable peut être délivrée pour un voyage d’une durée supérieure, dans une limite maximale de douze heures de transport, par un vétérinaire qui atteste de la capacité des animaux à réaliser ce voyage sans risque d’être blessés ou de subir des souffrances inutiles. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
Après l’article L. 214-10 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 214-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 214-10-1. – L’élimination, sauf en cas d’épizootie, des poussins mâles et des canetons femelles vivants est interdite à compter du 1er janvier 2022. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 n’est pas adopté.)
TITRE III
Accompagner les acteurs dans la transition
Article additionnel avant l’article 4
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Cabanel, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Guiol et Requier, est ainsi libellé :
Avant l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En cas de confiscation du cheptel d’un agriculteur à l’issue d’un contrôle par les services vétérinaires de l’État, l’accompagnement social et psychologique relevant de la cellule de prévention pluridisciplinaire de la mutualité sociale agricole est automatiquement déclenché au bénéfice de l’agriculteur concerné, dans des conditions définies par décret.
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Le bien-être de l’agriculteur, tout comme celui de l’animal, constitue une cause légitime.
Cet amendement a pour objet que, lorsqu’un contrôle de l’administration ayant pour but de confisquer le cheptel d’un éleveur est effectué, une aide psychologique soit automatiquement déclenchée à l’adresse de l’éleveur, grâce aux outils aujourd’hui proposés par la MSA.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. Il s’agit d’un sujet très important, que Mme Ferrat et vous-même connaissez très bien, pour l’avoir étudié dans votre rapport sur la détresse des agriculteurs.
L’amendement a pour objet que, concrètement, la MSA active un accompagnement automatique en cas de confiscation du cheptel d’un agriculteur, événement particulièrement traumatisant. Cette idée mérite d’être étudiée par le Gouvernement, comme le rapport le préconisait déjà, notamment via son plan d’action et la convention d’objectifs et de gestion avec la MSA.
Cela peut être mis en œuvre dès demain, sans attendre qu’une loi soit votée. Je souhaiterais donc entendre l’avis du Gouvernement sur la question. Toutefois, par construction, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, compte tenu de son appel à rejeter le texte.
J’y insiste, il me semble que cette mesure peut être instituée très rapidement, sans recourir à la loi : nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que les choses puissent avancer avec la MSA.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Griset, ministre délégué. L’amendement tend à souligner la nécessité d’accompagner socialement et psychologiquement les agriculteurs qui font l’objet d’une confiscation d’un cheptel à la suite d’un contrôle vétérinaire.
Le Gouvernement partage la nécessité de sensibiliser les corps de contrôle à ces risques, en leur permettant, lorsqu’ils décident et exécutent une telle décision de confiscation, de délivrer une information complète aux agriculteurs concernés sur les aides psychologiques et économiques dont ils peuvent bénéficier.
Le plan d’action devrait ainsi prévoir l’identification de référents départementaux économiques et sociaux, permettant de mieux coordonner les actions sur les territoires. Par ailleurs, ces questions, qui relèvent davantage de l’organisation des aides et de l’accompagnement des cellules pluridisciplinaires de la MSA, ne nécessitent pas de légiférer sur le sujet, ni de prendre un texte réglementaire.
Pour ces raisons, et parce qu’il est pleinement mobilisé à travers ce plan d’action pour mener des actions spécifiquement en faveur des agriculteurs, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 4
I. – Il est créé un fonds de soutien à la transition pour le bien-être animal destiné aux exploitants agricoles et aux acteurs de l’abattage, notamment ceux dont l’activité est sensiblement affectée par la présente loi, afin d’accompagner financièrement la transformation de leur activité. Ces aides visent prioritairement à soutenir et développer l’abattage de proximité et notamment l’abattage mobile ainsi que les dispositifs permettant la transition vers des systèmes d’élevage garantissant l’accès à un espace de plein air des animaux dans les conditions établies par la présente loi.
Un décret, pris conjointement par les ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement, définit au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi les modalités de mise en œuvre de ces dispositifs. Ce décret définit notamment les conditions d’éligibilité aux aides qui en sont issues et les modalités de gestion du fonds.
II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création de taxes additionnelles aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces aides visent également à mettre en œuvre des mesures de soutien et d’accompagnement psychologiques pour les agriculteurs et les acteurs de l’abattage afin de leur apporter une écoute et leur proposer des mesures améliorant leur bien-être au travail.
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. En réalité, cet amendement du groupe SER tend à s’inscrire dans les travaux beaucoup plus larges menés par Henri Cabanel et Françoise Férat, que je salue.
Ces travaux font désormais référence, et c’est une excellente chose. Pour ma part, j’ajouterais la situation particulière des opérateurs d’abattoirs, qui, indépendamment de la question du bien-être animal, travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. Ils sont en permanence confrontés à la mort ; la donner fait partie de leur métier.
Je ne vais pas citer de nouveau des références littéraires et philosophiques, mais certains considèrent que les abattoirs ont quelque chose à voir avec l’univers concentrationnaire, et je pèse mes mots ; des penseurs de très haut niveau l’ont souligné. Comme la plupart d’entre nous, mes chers collègues, j’ai visité des abattoirs et je me suis rendu compte de ce qu’ils représentaient.
Je souhaiterais donc qu’une aide ou des accompagnements particuliers soient mis en œuvre au bénéfice de ces opérateurs, en même temps que pour les éleveurs qui, eux aussi, sont confrontés à des conditions particulièrement difficiles.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. Par souci de cohérence avec les autres amendements, et compte tenu du sort qu’elle suggère de réserver au présent texte, la commission a émis un avis défavorable.
Comme l’explicite l’exposé des motifs, il s’agit d’un amendement d’appel, qui établit un lien très juste entre bien-être animal, bien-être des éleveurs et bien-être des professionnels des abattoirs. Les mesures suggérées peuvent être mises en place dès aujourd’hui par le Gouvernement ; le ministre nous en parlera peut-être.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Griset, ministre délégué. Cette proposition rejoint pleinement la préoccupation du Gouvernement : la prévention du mal-être et du risque suicidaire est un enjeu majeur des politiques publiques de santé au travail.
S’appuyant, d’une part, sur le rapport du député Olivier Damaisin, et, d’autre part, sur les 63 recommandations formulées par la commission des affaires économiques du Sénat, dont les rapports étaient les sénateurs Ferrat et Cabanel, un plan d’action portant sur les moyens mis en œuvre par l’État en matière de prévention et d’accompagnement des agriculteurs en situation de détresse sera présenté par le ministère de l’agriculture dans les prochaines semaines.
Le plan de modernisation des abattoirs constitue également une formidable chance pour que les projets d’investissements améliorent réellement les conditions de travail et la protection animale, ces deux ambitions étant intimement liées.
Même s’il partage vos préoccupations, le Gouvernement, qui ne souhaite pas voir adopté l’article 4, ne peut donc qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article 4.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été rejetés ; il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble du texte.
La parole est à M. Yves Bouloux, pour explication de vote sur l’article.
M. Yves Bouloux. Le groupe Les Républicains suivra l’avis de Mme la rapporteure, et cela pour plusieurs raisons.
Les éleveurs français sont les premiers à être soucieux du bien-être de leurs animaux, et les méfaits de certains ne doivent pas jeter l’opprobre sur toute une profession.
Ces dernières années, toutes les filières ont engagé des actions en faveur de l’amélioration des conditions d’élevage. Par exemple, l’Interprofession nationale porcine française, l’Inaporc, a mis en place le socle de base du porc français, qui intègre des critères de bien-être animal minimum – lumière, matériaux manipulables, abreuvement, etc.
Ces évolutions sont également accompagnées par les consommateurs. C’est particulièrement visible pour les œufs : une baisse significative des capacités de production des élevages en cage a été constatée au profit des autres types d’élevages, lesquels représentent désormais 53 % des poules pondeuses, contre 19 % en 2008.
Toutes ces avancées se sont faites sans recourir à la loi. Néanmoins, comme l’a expliqué Mme la rapporteure, la meilleure échelle pour prendre des décisions destinées à encadrer certaines pratiques d’élevage, de transport et d’abattage, comme le propose le texte, c’est l’Union européenne. Celle-ci y travaille déjà !
Enfin, si, par certains aspects, nous partageons la philosophie de ce texte, nous sommes aussi soucieux du bien-être des agriculteurs, qui sont actuellement soumis à d’importantes difficultés économiques, ainsi qu’à un agribashing permanent et insupportable.
Notre groupe, en grande majorité, votera contre la proposition de loi ; certains d’entre nous s’abstiendront.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Je constate, avec regret, que notre assemblée est très loin des demandes de la population, des jeunes et des consommateurs. En effet, l’avenir ne peut qu’être favorable à l’adoption de ces quatre articles.
Ce texte est certainement pionnier, mais, par rapport à l’Allemagne ou à d’autres pays, nous sommes en retard. Notre initiative n’a pas de quoi nous enorgueillir !
La présente proposition de loi est le fruit d’un travail d’équipe. Je remercie mes collègues Joël Labbé et Daniel Salmon : nous avons, ensemble, travaillé avec les associations, les syndicats d’agriculteurs et toutes les autres personnes s’intéressant à ces sujets.
Notre travail est à l’image de ce qui se passe dans la société. Comment pouvons-nous, aujourd’hui, être si loin de la réalité et de ses exigences ? Il semble qu’un certain conservatisme nous empêche de penser ces questions, pourtant inéluctables dans l’avenir.
Avez-vous eu peur du débat, en refusant ce texte ? La question mérite d’être posée. Si nous siégeons dans cette assemblée, c’est non pas pour rejeter les textes qui nous sont soumis, mais pour discuter, avancer et préparer l’avenir.
Le débat d’aujourd’hui est loin de ce qui devrait nous caractériser : une assemblée doit ouvrir la voie à l’avenir ! Or nous demeurons freinés par un certain conservatisme.
Il ne s’agit pas ici de défendre les agriculteurs, car nous avons conçu ce texte dans le trio « bien-être animal, bien-être des agriculteurs et bien-être des consommateurs ». Nous sommes donc bien tristes de constater que, une fois de plus, le Sénat est en retard.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote sur l’article.
Mme Frédérique Puissat. Cela va passer… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Salmon. Il s’agit d’une occasion manquée de faire évoluer l’élevage agro-industriel vers un système plus respectueux à la fois des agriculteurs et du bien-être animal.
Mes collègues et moi-même avons essayé d’écrire une loi équilibrée, nuancée, bien loin de ce que vous appelez l’agribashing. Nous ne versons nullement dans l’agribashing. C’est vous qui faites des amalgames et qui utilisez cet argument pour couper court au débat !
Avec la date de 2040, nous laissions pourtant du temps à la réalisation de nos propositions. Il me semble que, en dix-neuf ans, il est tout à fait possible de faire évoluer un modèle ! En refusant cette évolution, vous êtes en train, au lieu de sauver l’élevage, d’en condamner toute une partie. En effet, beaucoup d’éleveurs ne pourront pas se défendre face à de la viande de synthèse, fabriquée en laboratoire.
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. Ça, c’est un autre débat !
M. Daniel Salmon. Nous avons plusieurs fois parlé de la qualité de la viande. Mais quelle est donc la qualité des élevages industriels de poulets de six semaines, dont la viande « spaghetti » s’effiloche ?
Avec le moins-disant, on peut même faire pire que les États-Unis : élever une semaine de moins encore un poulet, dont les muscles ne fonctionneront pas et dont la viande n’aura aucune valeur gustative. Pis encore, nous pourrions élever des cellules de muscles hors-sol, en laboratoire !
Si nous n’évoluons pas, l’élevage en France mourra bientôt.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Je suis très surpris que l’on nous accuse de faire de l’agribashing, d’être radicaux, de stigmatiser, de jeter l’opprobre ou de faire des amalgames. Je me demande, en définitive, si vous avez lu ce texte jusqu’au bout,…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Franchement, vous exagérez ! Respectez le travail de la rapporteure !
M. Guillaume Gontard. … car nous sommes très loin de ce que vous nous imaginez être. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Beaucoup d’entre nous vivent dans des territoires où se pratique l’élevage et constatent, tous les jours, que le petit élevage de plein air disparaît. Vous l’avez tous reconnu ici : nombre éleveurs sont en grande difficulté.
Monsieur Duplomb, vous nous dîtes être éleveur, ce qui vous permet de parler du sujet. Mais j’ai l’impression que les mesures proposées – favoriser l’élevage de plein air, interdire le broyage, limiter les transports à huit heures, accroître la consommation locale, instituer un fonds de soutien pour les paysans… –, vous les appliquez déjà ! C’est tout à fait vers ce type d’élevage que nous voulons tendre.
Il s’agit non pas de favoriser l’élevage industriel, qui n’est pas créateur d’emplois et qui se trouve dépourvu d’impact local, mais de revenir à une production locale, avec des paysans qui sont fiers de ce qu’ils réalisent.
Tous les jours, sur les marchés, partout dans nos communes, on peut voir des consommateurs heureux de discuter avec leur éleveur, de manger des viandes de qualité et des produits bio. C’est bien le sens de ce texte ! Pourquoi ne l’avez-vous pas compris ?
J’ai entendu parler de la grippe porcine H1N1. Il y a peu, des éleveurs de porcs en plein air m’ont informé que toutes les mesures sanitaires prises actuellement l’étaient en faveur de l’agriculture industrielle.
Or nous savons justement que l’élevage en extérieur est le plus résilient vis-à-vis de la grippe porcine. La propagation de cette maladie est précisément due aux distances de transport. Nous avons donc bien plus intérêt à défendre l’élevage de proximité. C’est ce que tout le monde attend et c’est ce à quoi nous nous sommes livrés à travers ce texte.
Je déplore que le vote, aujourd’hui, soit totalement dogmatique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote sur l’article.
M. Arnaud Bazin. Madame Benbassa, monsieur Gontard, si nous ne votons pas cette proposition de loi, ce n’est pas parce que nous n’en partageons pas les objectifs.
Tous, ici, désirons converger vers les valeurs d’un élevage plus respectueux des animaux, qui, enfin, garantirait à nos agriculteurs des revenus décents.
Toutefois, il a été amplement démontré que la proposition de loi n’était pas opérationnelle. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Mme Esther Benbassa. Pourquoi ?
M. Arnaud Bazin. La question est multidimensionnelle et complexe.
Mme Esther Benbassa. Tout est complexe !
M. Arnaud Bazin. Si nous faisons abstraction des échelons européen et international et si nous ne prenons pas en compte ni la réalité du comportement des consommateurs ni la longue évolution qui sera nécessaire pour modifier les comportements alimentaires, au travers d’une éducation qui s’y attaque une bonne fois pour toutes, rien de ce que l’on fera ne sera utile !
Tout cela devrait être défendu par le Gouvernement au travers d’un projet de grande ambition, sur une longue durée et via des lois-cadres. Ce n’est certainement pas une proposition de loi de quatre articles qui réglera cette question !
Nous sommes non pas dogmatiques, mais pragmatiques, et nous constatons tout simplement que cette proposition de loi est inopérante. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Toutefois, je concède très volontiers que ses objectifs doivent être poursuivis, avec acharnement et détermination. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote sur l’article.
M. Fabien Gay. On fait souvent le reproche à mes collègues écologistes d’être trop radicaux ou de vouloir une écologie punitive ; ce sont des mots que l’on entend régulièrement. Mais, pour le coup, ils ont déposé une proposition de loi qui évite ces critiques !
J’entends ce que dit notre collègue Bazin sur la nécessité de nous inscrire dans un temps long. Pour ma part, je pense que cette transition se fera, non pas contre ou sans les agriculteurs, mais avec eux. Or on leur a imposé un modèle hyperproductiviste, qui, aujourd’hui, ne leur garantit aucun revenu décent.
L’article 1er prévoit d’interdire l’élevage intensif non pas demain matin, mais à l’horizon de 2040. Dix-neuf ans ne vous paraissent pas suffire : dites-nous donc quelle perspective vous satisfait !
Mme Esther Benbassa. Un siècle ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
M. Fabien Gay. L’article 4, quant à lui, prévoit d’accompagner les agriculteurs avec un fonds dédié. Ce n’est ni radical ni punitif ; cela ne se fait pas contre ou sans les agriculteurs, mais bien avec eux !
Voilà cinquante ans que les agriculteurs se voient imposer un modèle productiviste. Si nous voulons tendre vers un modèle paysan, plus respectueux et plus éthique, il faudra bien les accompagner.
Chers collègues, je vous ai sentis parfois un peu mal à l’aise : alors que vous partagiez l’objectif des amendements qui vous ont été proposés, vous avez voté contre ! Comme je l’ai dit ce matin en commission, il y a un véritable problème avec les propositions de loi déposées par les groupes minoritaires et d’opposition ; la discussion d’aujourd’hui en est l’illustration.
Je pense que les évolutions dont nous débattons aujourd’hui ont déjà commencé dans la société. Cette proposition de loi constitue une première étape et nous allons continuer dans cette direction, car, plus largement, c’est la question du rapport à la nature et aux autres qui se pose.
La question de l’animal ne se résume pas seulement à l’alimentation. Elle englobe aussi la situation des animaux exploités dans les cirques et dans les parcs d’attractions, leur réification, ainsi que notre rapport aux animaux de compagnie… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur. C’est un autre sujet !
M. Fabien Gay. C’est un débat de société, dans lequel est inclus l’élevage éthique. Nous y serons confrontés de nouveau.
Monsieur le ministre, sans polémique, nous attendons soit que le Gouvernement, soit que les sénateurs affiliés à La République En Marche, grâce à leur niche parlementaire, se saisissent enfin de cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote sur l’article.
M. Laurent Duplomb. Je souhaite répondre à l’interpellation qui m’a été faite.
L’article 1er de cette proposition de loi ne peut pas être appliqué.
Mme Esther Benbassa. Pourquoi ?
M. Laurent Duplomb. Comme le précise le rapport, élever tous les porcs de France en plein air supposerait de mobiliser grosso modo l’équivalent de la surface d’un département ! (M. Fabien Gay s’exclame.)
Permettez-moi d’apporter quelques éléments complémentaires à ceux qui ne connaissent pas bien ces questions : installer des élevages de porcs en plein air implique de procéder à un labourage complet de la parcelle et entraîne une érosion à chaque orage : c’est la disparition totale de la surface de terre sur cet emplacement. Ce n’est pas du dogmatisme, c’est la réalité. Il n’est pas possible d’élever tous les porcs en plein air !
Si l’on va au bout de la logique et si l’on impose cette obligation aux éleveurs, il n’y aura plus d’élevages de porcs en France ou il en restera très peu. Comme l’a souligné Arnaud Bazin, leur consommation sera réservée à une minorité qui pourra se payer ce luxe, pendant que les autres, c’est-à-dire nous, ne mangeront que du porc élevé ailleurs, selon des méthodes bien pires que celles que nous appliquons. (M. Daniel Salmon s’exclame.)
M. Fabien Gay. C’est pourquoi il faut refuser le CETA et le Mercosur !
M. Laurent Duplomb. Cela ne signifie pas que des évolutions ne sont pas possibles. (M. Fabien Gay proteste.)
Monsieur Gay, je veux bien que vous m’expliquiez comment cela se passerait dans votre département, mais soyons raisonnables : vous êtes sénateur de la Seine-Saint-Denis ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
J’évoquerai maintenant l’exemple de mon élevage. Lorsque je fais pâturer mes vaches, je les divise en deux lots : le premier lot est en début de lactation, le second en fin de lactation. Je fais sortir cinquante vaches, j’en maintiens vingt-cinq à l’intérieur et j’organise une rotation : lorsqu’une vache entre, une autre sort.
Or vous voulez fixer une règle dogmatique et imposer l’élevage de tous les animaux en plein air ! Comment faire quand vingt-cinq vaches restent à l’intérieur et que cinquante sortent ? (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
C’est exactement ce que prévoit la proposition de loi ! L’avez-vous lue ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
En 2026, tout projet de construction de bâtiment doit prévoir un accès des animaux à un espace de plein air. En 2040, tous les animaux doivent avoir accès à un espace de plein air. C’est vous qui avez rédigé ce texte, pas moi ! Il ne faut tout de même pas faire dire à ce texte l’inverse de ce qui y figure. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote sur l’article.
Mme Nadia Sollogoub. Dans le département de la Nièvre dont je suis l’élue, les éleveurs tentent de survivre en exportant les broutards en Italie. Si je leur dis demain qu’ils ne pourront plus le faire, je leur casserai définitivement le moral.
Je partage pleinement les propos d’Arnaud Bazin : ce texte est totalement lacunaire. Là encore, je relaie la parole des éleveurs : certains d’entre eux me font part de la souffrance qu’ils ressentent lorsqu’ils voient leurs bêtes partir à l’abattoir et être abattues sans étourdissement, alors qu’ils ont mis tant d’énergie à les élever dans de bonnes conditions. On ne peut pas parler de bien-être animal sans évoquer ce problème !
Madame Benbassa, vous nous dites que nous ne sommes pas courageux. Or le texte n’aborde pas le sujet essentiel qu’est l’abattage sans étourdissement. C’est vraiment énorme ! (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote sur l’article.
M. Franck Montaugé. À l’ère de l’anthropocène, puisque nous en sommes à ce stade de l’histoire de l’humanité, toutes les filières économiques et l’ensemble de la population sont, partout dans le monde, contraintes d’évoluer. Il nous faut partir de ce constat.
À cet égard, le texte qui nous est proposé contient des propositions et des orientations dont nous avons discuté. Quelquefois, on n’est pas d’accord ; quelquefois, on soutient qu’on ne l’est pas, alors même qu’on l’est, mais peu importe…
Le problème, ce n’est ni l’agriculture ni les agriculteurs. Face aux enjeux auxquels nous sommes confrontés, je suis intimement convaincu que l’agriculture et les agriculteurs sont au contraire la solution, à condition qu’on accompagne ces derniers et qu’on fasse évoluer certaines de leurs pratiques – je dis : « certaines », car il ne faut pas non plus généraliser.
Le Gouvernement mène des actions dans ce sens. Pour autant, monsieur le ministre, je ne suis pas certain que celles-ci soient à la hauteur des enjeux et de l’urgence qu’il y a à agir. Quand je parle d’urgence, je pense aux agriculteurs et aux éleveurs dont on a tous parlé ici, que l’on connaît dans nos territoires et qui sont en souffrance. Eux n’ont pas le temps de voir à dix ans ou à vingt ans : pour certains, l’horizon, c’est la semaine prochaine ou le mois prochain, rarement quelques années !
Telle est la situation à laquelle il nous faut faire face. C’est pourquoi il faut aller beaucoup plus loin qu’on ne le fait pour notre agriculture et pour accompagner ses transformations.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote sur l’article.
M. Guy Benarroche. Nous sommes tous d’accord sur le constat, à une variante près. Pour sauver l’élevage en France, les décisions en faveur d’un élevage éthique et des éleveurs en général, c’est maintenant qu’il faut les prendre ! Nous n’avons pas le temps d’attendre.
De la même façon qu’il n’aurait pas fallu refuser de prendre des mesures contre le réchauffement climatique au moment opportun, il ne faut pas aujourd’hui refuser l’obstacle encore une fois en prétextant que nous avons le temps de prendre un certain nombre de mesures. Ne répétons pas la même erreur, c’est aujourd’hui qu’il faut sauver l’élevage !
Ce ne sont pas les amalgames qui ont mis l’élevage français dans la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui ; ce sont bien plutôt les modes d’élevage qui ont été mis en avant et presque imposés aux éleveurs par notre modèle de société. Ce sont eux qui sont la cause des problèmes de l’élevage français et, plus encore, de l’agriculture de façon générale. C’est cela qui nous a conduits à la situation que nous déplorons.
Nous sommes tous d’accord sur ce constat – car vous êtes d’accord ! – et nous en convenons, ce texte n’est pas parfait. Mais, mes chers collègues, si vous jugez cette proposition de loi lacunaire, pourquoi n’avez-vous pas fait comme Franck Montaugé ou Henri Cabanel et déposé des amendements afin de l’améliorer ? Nous en aurions discuté avec vous et nous aurions pu, ce soir, voter un texte qui nous aurait déjà permis de faire un premier pas pour sauver l’élevage français.
Je regrette que vous ayez préféré refuser l’obstacle, plutôt que de faire ce premier pas qui nous aurait permis d’avancer ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote sur l’article.
M. Olivier Rietmann. Si, comme vous le prétendez, monsieur Benarroche, ce n’était qu’une histoire d’obstacle, ce serait beaucoup plus simple ! Or la proposition de loi que vous nous présentez suscite de profonds désaccords, à la fois techniques et idéologiques.
Je rebondis sur les propos de Franck Montaugé : il ne s’agit pas de mettre en avant les agriculteurs pour qu’ils modifient leurs pratiques. Cela fait plus de trente ans qu’ils s’y emploient. Ils n’ont pas attendu que des lois soient votées pour le faire, ils le font d’eux-mêmes ! Un éleveur n’a pas besoin d’une loi pour se lever à deux heures du matin pour aider une vache à vêler et lui éviter de souffrir – et je pourrais citer des dizaines d’exemples de ce type.
Vous avez évoqué la durée des transports. Toutes les analyses scientifiques qui ont été réalisées montrent que celle-ci est sans effet sur le bien-être animal. Les deux moments où les bovins stressent, pour ne prendre que cet exemple, sont le chargement et le déchargement. Une heure après le chargement, quelquefois même avant, ces bêtes retrouvent un rythme cardiaque et un pouls normaux.
J’ai participé à certaines de ces études : des capteurs ont été placés sur les animaux, un petit laboratoire a été installé dans le camion et on est allé jusqu’à organiser un transport de trente-quatre heures ! On s’est rendu compte qu’après trois quarts d’heure les bovins retrouvaient un état tout à fait normal.
La durée du transport n’est donc pas un critère. Ce qui influe, c’est la formation des bouviers au moment du chargement, et plus encore du déchargement, c’est-à-dire à l’arrivée à l’abattoir, la formation des chauffeurs – on ne transporte pas des animaux comme on transporte des caisses à savon – et les conditions de transport.
Un certain nombre de points de désaccord font que je ne pourrai pas voter cette proposition de loi, qui contient des contre-vérités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous arrivons au terme de l’examen de ce texte, puisque son vote est imminent, je tiens à remercier Mme la rapporteure du travail qu’elle a accompli.
Monsieur Gontard, je trouve vos propos assez désobligeants vis-à-vis de votre collègue Mme Benbassa comme de Mme la rapporteure : nous n’avons pas découvert le texte ce matin ! Peut-être n’étiez-vous pas présent dans cet hémicycle quand a démarré la discussion de ce texte : j’y ai pour ma part entendu des arguments qui avaient été développés lors des réunions de la commission à l’intention des commissaires de votre groupe.
Nous avons donc bien examiné ce texte en commission et des discussions ont eu lieu entre Mme Benbassa, auteure de cette proposition de loi, et Marie-Christine Chauvin, rapporteure de ce texte.
Nous avons étudié ce texte, mais, comme certains l’ont souligné, nous avons des désaccords de fond et nous pensons que, pour des raisons pratiques, il faut le rejeter. Ce n’est pas un parti pris idéologique : nous avons tous indiqué que nous partagions son objectif, qui est l’amélioration du bien-être animal, laquelle est différente, comme l’a souligné M. Duplomb, de la maltraitance animale – ce sont deux choses très différentes.
Nous sommes dans la même logique, mais nous considérons que les dispositifs qui nous ont été proposés ne correspondent pas à la situation des agriculteurs dans l’espace européen.
Concernant le sexage des poussins et des canetons, sur lequel des solutions sont en train d’être trouvées, nous ne pouvons que partager les intentions de Mme Benbassa.
Il faut donc être respectueux du travail qui a été accompli par Mme Benbassa, par votre groupe, mais aussi par la rapporteure et par l’ensemble de la commission des affaires économiques. On peut s’opposer, monsieur Gontard, mais vous ne pouvez pas dire que nous ne travaillons pas. J’avoue ne pas très bien le prendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 252 |
Pour l’adoption | 33 |
Contre | 219 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 27 mai 2021 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (texte n° 311, 2020-2021) ;
Proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles, présentée par M. Olivier Jacquin, Mme Monique Lubin, MM. Franck Montaugé, Didier Marie et plusieurs de leurs collègues (texte n° 426, 2020-2021).
De seize heures à vingt heures :
(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs (texte de la commission n° 611, 2020-2021) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques (texte de la commission n° 613, 2020-2021).
À la suite de l’espace réservé au groupe RDPI et, éventuellement, le soir :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (procédure accélérée ; texte de la commission n° 622, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quinze.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER