M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Menonville, vous avez parfaitement raison. Pour ce qui est d’une industrie comme celle de l’acier, l’enjeu est de lutter contre une forme de concurrence déloyale que constituent les surcapacités et l’importation massive d’acier en provenance de pays qui n’ont pas les mêmes modèles sociaux et environnementaux que les nôtres. Leurs entreprises, de surcroît, ont pu bénéficier d’une certaine forme de soutien, soit par un accès privilégié au marché domestique – cela leur permet de se constituer un « pécule » qui leur donne ensuite la capacité d’exporter massivement –, soit par des soutiens en matière d’innovation.
C’est pour cette raison, en premier lieu, que nous soutenons les mesures de sauvegarde sur l’acier qu’a mises en place la Commission européenne.
En second lieu, nous sommes à la pointe du combat en faveur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui repose sur le marché des Emissions Trading Schemes (ETS), les systèmes d’échange de quotas d’émissions. Le but est de rééquilibrer la concurrence, l’acier produit en Europe l’étant avec une empreinte carbone bien moins importante qu’elle ne l’est dans d’autres pays, qui exportent un acier dont l’empreinte carbone est très élevée.
Je rappelle un fait important : l’empreinte carbone de l’industrie, entre 1995 et 2015, a été réduite de 40 %.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Forcément, les industries sont parties !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Effectivement, le jeu des délocalisations y a contribué.
Ce sont donc les importations qui expliquent pour l’essentiel l’augmentation de 17 % de notre empreinte carbone : nous avons échangé des emplois contre des émissions de CO2. C’est le mouvement inverse que nous voulons enclencher et nous y travaillons au niveau européen. Ainsi, la Commission européenne devrait présenter dans les prochains mois une proposition portant sur quelques secteurs clés, ces mesures ayant vocation à être étendues.
Parallèlement, nous travaillons à décarboner notre industrie, ce qui permettra de la rendre plus compétitive dans le cadre de la mise en place de ce mécanisme.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, ma collègue Sophie Taillé-Polian, empêchée, m’a chargé de vous poser cette question.
La période de crise a démontré, une fois de plus, qu’un pilotage de notre stratégie économique était plus que jamais nécessaire. Les exemples ne manquent pas la matière. Le moment est bel et bien au redéploiement de l’économie de notre pays dans une nouvelle direction, celle d’une écologie réelle.
C’est tout particulièrement le cas concernant la gestion des déchets. Création d’emplois, savoir-faire des salariés, circuits courts, recyclage, respect de l’environnement, écologie de pointe : avec tous ces atouts pour l’économie française, ce secteur d’avenir est malgré tout, depuis plusieurs années, en danger.
C’est notamment le cas de l’usine française Chapelle Darblay, spécialisée dans le processus de recyclage des déchets et de la production de papier 100 % recyclé. Depuis 1985, cet établissement mobilise un savoir-faire de qualité pour assurer la gestion des déchets sur le territoire de la Normandie. Depuis février 2020, les salariés ont lutté pour le maintien du site. Alors que celui-ci aurait pu être converti en bijou écologique grâce à l’expertise des salariés, il y a eu plus de 250 licenciements en juillet dernier, et le site risque d’être démantelé dans huit semaines.
Il est donc temps de passer de la parole aux actes. Le Gouvernement doit soutenir les salariés, qui souhaitent changer les habitudes des modes de production, tendre vers une industrie écologique et radicale créatrice d’emplois, qui rompt avec la logique passéiste dont on connaît trop bien les ravages à la fois sociaux, climatiques et environnementaux.
Si le groupe UPM reste propriétaire de cette usine, l’État doit favoriser les dossiers qui promeuvent la papeterie écologique et le recyclage des déchets. Il faut une réponse sur un sujet global : la collecte des filières de recyclage.
Alors que le plan de relance prévoit 30 milliards d’euros pour la transition écologique et que le ministre Bruno Le Maire annonçait, l’année passée, que cette dernière devait être l’horizon de notre économie, le Gouvernement ne donne aucune réponse sur l’avenir de la filière du papier recyclé en France et, plus largement, sur les projets industriels tournés vers les sujets environnementaux. Nous regrettons ainsi l’absence totale de contreparties sociales et environnementales pour notre économie.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que la papeterie Chapelle Darblay, fleuron de l’économie circulaire, demeurera un site spécialisé dans le secteur de la gestion et du recyclage des déchets réels et un véritable atout pour notre économie ? Vous avez ici l’occasion de faire un geste concret pour l’environnement !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Gontard, votre question me permet de rappeler l’engagement du Gouvernement pour trouver une solution de reprise du site de Chapelle Darblay, dont vous avez raison de dire qu’il coche toutes les cases en matière de transition écologique et d’industrie.
Le Gouvernement s’est engagé à lever les obstacles à la reprise et à accompagner le projet dans le cadre du plan de relance. Pas plus tard que le 30 mars dernier, j’ai pris des engagements écrits en signant un courrier de confort à deux repreneurs potentiels, leur assurant qu’une partie des investissements nécessaires à la reconversion de l’usine Chapelle Darblay devraient être financés sur les crédits du plan de relance.
Par ailleurs, nous avons fait en sorte que la convention de revitalisation conclue entre l’État et UPM prévoie que ce groupe verse 500 000 euros en faveur du projet de reprise du site.
Une commission industrielle sera présidée par le préfet de Normandie le 10 mai pour passer en revue les différents projets. À cette date, quatre projets dans le secteur du papier-carton ainsi que deux autres projets relevant d’autres secteurs sont annoncés. J’ai reçu les organisations syndicales la semaine dernière, et nous avons d’ores et déjà indiqué notre préférence pour un projet qui continuerait à utiliser les installations de Chapelle Darblay, la cogénération et le savoir-faire des salariés. C’est ce qui nous paraît le plus logique.
Nous allons mener à terme l’examen de ces quatre projets de reprise, en veillant à ce qu’ils soient fermes et non pas soumis à des conditions que nous aurions toutes les peines à remplir. Nous travaillons avec UPM pour que, le 15 mai, les projets de reprise soient définitifs, afin de donner un avenir aux salariés et au territoire. Nous travaillons main dans la main avec les organisations représentatives du personnel et les élus locaux.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Alors que l’exécutif soutient l’impérieuse reconquête de notre souveraineté numérique, comment expliquer, madame la ministre, les choix faits ces derniers mois de confier des données stratégiques sensibles à des entreprises américaines ?
Je pense bien sûr à la plateforme des données de santé (PDS), également appelée « Health Data Hub » (HDH), que l’État français a choisi d’attribuer à une firme américaine, Microsoft, et ce, a priori – vous nous le confirmerez –, sans aucun appel d’offres.
Je pense également à l’aérospatiale, avec la firme américaine de big data Palantir Technologies et l’avionneur Airbus, alors même que celui-ci est en plein conflit avec l’américain Boeing.
Je pense au renseignement français – direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) – pour le traitement de leurs données sensibles, confiées toujours et encore à l’américain Palantir.
Je pense enfin aux prêts garantis par l’État (PGE), confiés à Amazon Website, qui dispose donc aujourd’hui d’informations stratégiques sur les entreprises françaises et peut ainsi cibler les acquisitions opportunes pour des investisseurs étrangers hors Union européenne.
Ces géants américains du numérique, nous le savons, ont un savoir-faire technologique indéniable. Amazon investit chaque année 22 milliards d’euros dans la recherche et le développement.
Mais nul besoin, madame la ministre, de rappeler les dispositions extraterritoriales du Cloud Act en matière de transfert des données aux États-Unis. Nul besoin non plus de rappeler qu’Amazon Website gère le cloud de la CIA et de l’organisme américain chargé de la régulation et du contrôle des marchés financiers.
Si nous voulons réellement, au-delà des mots, reconquérir notre souveraineté numérique et donc économique, l’achat public doit devenir le levier majeur de la politique industrielle française, y compris pour le numérique, comme les États-Unis le pratiquent eux-mêmes depuis des années avec le succès que l’on connaît.
L’État ne doit-il donc pas, madame la ministre, soutenir et privilégier davantage les offres souveraines existantes et équivalentes ou presque à l’offre américaine et dépasser cette forme de défiance que nous avons à l’égard de nos propres acteurs français de l’écosystème et que l’on observe malheureusement depuis un certain nombre d’années ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Anne-Catherine Loisier. Quelle place également pour le cloud européen Gaïa-X, tant attendu, qui se révèle être davantage une base de données et de logiciels unifiée dans le but de les connecter qu’un outil de souveraineté numérique européenne destiné à protéger les données des Européens ? (Mmes Sophie Primas et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Loisier, la question que vous posez met en exergue la situation à date : d’un côté, des plateformes numériques étrangères qui proposent un haut niveau de service ; de l’autre, des briques technologiques françaises et européennes qui n’ont pas la capacité, à ce jour, d’offrir une solution complète de cloud souverain.
C’est très exactement l’enjeu du projet d’IPCEI de cloud souverain Gaïa-X, sur lequel nous travaillons avec la volonté de rechercher une solution non pas seulement de stockage des données, mais également de traitement des données.
Nous menons ces travaux avec deux objectifs.
D’une part, il s’agit de veiller à ce que les lois d’extraterritorialité ne puissent être invoquées par aucun pays, quel qu’il soit. Vous avez mentionné les États-Unis, mais je crois savoir que la Chine s’est également dotée d’une telle législation, laquelle oblige les entreprises soumises au droit de ce pays à communiquer des données sur simple demande. À cette fin, il est envisageable d’ériger des frontières entre les structures juridiques, y compris avec des solutions étrangères.
D’autre part, et c’est notre second objectif, nous devons créer les briques technologiques qui nous manquent. L’enjeu est moins d’utiliser des solutions souveraines que d’aider à leur émergence. Nous y œuvrons au travers de notre stratégie en matière de cloud souverain. Vous le savez, Bruno Le Maire et Cédric O sont fortement engagés sur ces sujets.
Outre le fait qu’un projet IPCEI, comme je l’ai dit, devrait voir le jour dans les prochaines semaines, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), qui sont en cours de discussion et qui seront évoqués au cours du prochain Conseil « compétitivité » à la fin du mois, ont également vocation à nous doter d’un levier d’action contre les grandes infrastructures numériques, sur lesquelles nous n’avons aujourd’hui pas suffisamment prise en tant qu’État souverain.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. L’innovation technologique est un facteur de développement économique, lequel n’est pas dirigé par une « main invisible » qui tendrait vers le meilleur et le plus juste. C’est aux humains et aux sociétés politiques qu’il appartient d’y mettre de l’ordre et de la justice : notre débat de ce jour sur la souveraineté économique de la France nous renvoie à cette évidence.
Cela étant, pour être effective et aller de l’avant, la souveraineté économique ne doit pas se construire dans le repli : elle doit se nouer dans des partenariats avec celles et ceux qui ont les mêmes objectifs de moyen terme que nous.
Qu’il s’agisse de la fiscalité des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), des risques d’ingérence de puissances étrangères ou de la dépendance de l’État envers des acteurs technologiques extraeuropéens, la question de la souveraineté numérique, évoquée par plusieurs orateurs, est majeure aujourd’hui. Il est donc essentiel de faire émerger, en Europe, de nouveaux acteurs du numérique dont les activités respecteraient les principes et les valeurs des Européens.
Aujourd’hui, le développement de l’industrie numérique et digitale impose sans doute une mise en ordre de l’effort national, mais dans une logique de coopération ouverte et européenne.
Avant tout, il convient de constituer le cadre réglementaire pour circonscrire l’activité des entreprises et des professionnels de ce secteur. Il est également nécessaire de garantir les droits et libertés de nos concitoyens et la capacité d’action des autorités publiques de régulation.
D’un point de vue industriel, comment l’Union européenne et la France contribuent-elles à créer un écosystème vertueux susceptible de constituer demain une concurrence européenne aux Gafam et aux BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ? Doit-on, comme j’ai cru vous l’entendre dire, se résigner à ce que la bataille soit définitivement perdue ?
Plus précisément, où en est la mise en œuvre de l’initiative européenne sur l’informatique en nuage, l’acquisition de calculateurs à haute performance de nouvelle génération et le développement de la technologie quantique ? Quelle est la part spécifique de la France dans ces chantiers d’avenir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Blatrix Contat, en réponse à votre question, qui prolonge celle d’un précédent orateur, je rappellerai l’objet de la feuille de route numérique défendue par Cédric O et Bruno Le Maire.
Les priorités détaillées par ce document sont au nombre de cinq : renforcer notre souveraineté numérique en soutenant la création et l’usage de solutions de confiance, qui protègent les données des citoyens, des entreprises et des administrations – vous vous souvenez que certains hôpitaux ont également fait l’objet de cyberattaques ; soutenir le développement de l’offre de la filière industrielle du cloud et promouvoir l’interopérabilité ; soutenir la recherche, le développement et l’innovation dans les domaines du cloud présentant un fort potentiel de création de valeur, comme l’intelligence artificielle, la 5G et l’edge computing – désolée pour la multiplication des termes anglais ! ; soutenir le verdissement de la filière numérique ; et, enfin, soutenir la formation en technologie – vous savez qu’il s’agit également d’un enjeu, compte tenu du manque de compétences que déplore la France.
Ces cinq orientations stratégiques s’articulent totalement avec les priorités définies au niveau européen.
Il y a quelques instants, j’ai mentionné la mise en œuvre d’un plan d’investissement innovation et préindustrialisation massif en faveur du cloud souverain : c’est un des éléments de cette action.
Nous menons également un travail au sujet du quantique. À cet égard, les calculateurs de haute performance font l’objet d’un projet européen. Atos, notamment, prend part à l’appel d’offres en cours pour Barcelone et, à ce titre, nous nous efforçons de défendre l’intérêt des solutions européennes.
Au-delà, les deux directives que j’ai évoquées, le DSA et le DMA, qui doivent être soumises au prochain Conseil « Compétitivité », apportent également des réponses en matière de régulation. Ces actions se sont renforcées et ont une importance toute particulière dans le contexte dont nous débattons !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Le nucléaire est aujourd’hui la troisième filière industrielle de notre pays. Il fait vivre près de 220 000 personnes et de 3 000 entreprises. Accessoirement, il produit 70 % de notre électricité…
Las, les petits arrangements politiques et le manque de décisions anticipatrices nous conduisent à une stratégie floue pour l’ensemble de la filière nucléaire, voire à une absence totale de stratégie.
Ainsi, en décembre dernier, le Président de la République affirmait que notre avenir énergétique et écologique passait par le nucléaire. Pourtant, six mois plus tôt, le même Emmanuel Macron fermait définitivement la centrale de Fessenheim. Au cœur de l’été 2019, il annonçait même l’arrêt du programme Astrid, dédié aux réacteurs de quatrième génération.
Sur ce dernier point, je mène depuis plusieurs mois une mission pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Sans dévoiler les conclusions de ce travail, je tiens à déplorer le coup de frein brutal infligé à la recherche nucléaire. En la matière, la France était le leader incontesté depuis de nombreuses années ; mais, aujourd’hui, elle ne représente plus une hypothèse incontournable pour nombre de projets internationaux.
J’insiste également sur notre capacité à former des techniciens et des ingénieurs : ces professionnels n’auront, hélas ! bientôt plus de perspectives dans notre pays. Ils n’auront donc guère d’autres choix que de se tourner vers des groupes étrangers, qui reviendront bientôt pour nous vendre de nouveaux réacteurs !
Sur le plan industriel, il est primordial de soutenir les projets de Small Modular Reactors (SMR), qui pourraient être montés en usine et exportés à l’international. Ne l’oublions pas : la filière nucléaire est un outil adapté à la réindustrialisation des territoires. De surcroît, elle favorise l’attractivité internationale.
Madame la ministre, comment comptez-vous assurer à notre pays la souveraineté économique et industrielle de la filière nucléaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Piednoir, il n’y a aucune ambiguïté : le nucléaire fait partie des six secteurs prioritaires soutenus dans le cadre du plan France Relance.
J’en veux pour preuve le fait qu’il est l’un des six secteurs nommément cités dans le dispositif d’appel à projet Résilience, qui vise à permettre des relocalisations industrielles en France. J’en veux également pour preuve les 470 millions d’euros que le plan de relance consacre au soutien de la filière nucléaire.
Il y a deux semaines, j’étais avec Bruno Le Maire sur le site de Bernard Controls, où nous avons signé l’avenant au contrat stratégique de la filière nucléaire.
Au-delà, un certain nombre de mesures vont dans le sens du renforcement de la filière nucléaire. Vous savez que, dans le cadre du plan de relance, nous soutenons financièrement un certain nombre d’entreprises et de chantiers, notamment celui des SMR. S’y ajoutent un fonds d’investissement pour accompagner les PME et les ETI de la filière, qu’EDF va abonder à hauteur de 100 millions d’euros, et un programme de renforcement et de modernisation des compétences via des appels à projet et des manifestations d’intérêt.
L’enjeu est de former plus de techniciens et de renforcer l’attractivité du secteur, laquelle était considérable dans les années 1970 : cette filière doit retrouver ses lettres de noblesse.
Enfin, pour ce qui concerne l’énergie nucléaire, la recherche et le développement font l’objet d’un soutien fort, à hauteur de 270 millions d’euros. Le soutien au projet de SMR s’inscrit dans ce cadre.
Notre objectif est donc clairement de renforcer la filière nucléaire en construisant à partir de nos atouts. Au-delà des projets d’EPR, nous défendons un ensemble de projets d’avenir ; c’est également ce dont nous discutons avec EDF, dans le cadre de sa stratégie !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, j’ai bien entendu les chiffres en tête et je me félicite que des centaines de millions d’euros soient fléchés vers la filière nucléaire. Comme vous, j’estime qu’il faut reconstruire notre souveraineté en se concentrant sur des secteurs clés de notre industrie. La filière nucléaire est l’un d’entre eux, ne l’oublions pas, d’autant qu’elle présente une dimension territoriale.
Je le répète : les acteurs concernés ont l’ambition de construire cette souveraineté dans les territoires. Les étudiants manifestent une véritable appétence pour la filière nucléaire. Or, aujourd’hui, le coup de frein infligé à la recherche pousse nos chercheurs les plus chevronnés à se tourner vers l’étranger. Espérons que nous n’aurons pas à le regretter dans quelques années !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.
M. Jean-Jacques Michau. Voilà plusieurs années que nos entreprises sont confrontées à une série de cessions d’activités à des groupes étrangers qui débouchent rapidement sur la fermeture de sites.
M. le ministre Bruno Le Maire déclarait il y a peu que « la France entendait se montrer très vigilante quant à ces projets de rachats qui menacent la souveraineté européenne ».
Madame la ministre, permettez-moi de vous donner un exemple qui illustrera parfaitement mon propos et l’objet du débat de ce jour.
L’entreprise ariégeoise Aluminium Sabart, fleuron de l’industrie française pour la production d’aluminium de haute qualité, a été placée en liquidation judiciaire en 2016 avant d’être rachetée in extremis par le groupe chinois Jinjiang Industries Europe.
Ce groupe a ensuite repris l’usine de la SAM, installée en Aveyron, celle de FVM en Meurthe-et-Moselle et celle d’Alfisa en Espagne. En 2019, l’usine Gardner à Bélesta, également dans mon département, a clos cette série de rachats.
À l’en croire, le groupe Jinjiang suivait une véritable stratégie industrielle d’intégration verticale. Pourtant, très rapidement, les inquiétudes ont resurgi : le groupe chinois semble faire table rase de ses belles promesses. En effet, après la fermeture du site d’Alfisa, le placement en redressement judiciaire de la SAM et de la FVM, nous avons appris récemment des suppressions d’emplois au sein d’Aluminium Sabart. Le constat est sans appel : toutes les entreprises du groupe Jinjiang sont en grande difficulté !
Madame la ministre, dès lors, nos interrogations sont nombreuses. Comment expliquer ce désastre industriel ? Ne faut-il pas s’alarmer de l’accaparement d’un savoir-faire unique en Europe ? Au cours de la précédente mandature, le ministre du redressement productif avait mis en place une série d’outils, qui semblent encore tout à fait d’actualité. À ce titre, quelles sont les armes, tant d’anticipation que de contrôle, dont dispose l’État pour défendre les actifs stratégiques nationaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Michau, vous mentionnez la situation d’une entreprise sur laquelle vous avez d’ailleurs alerté notre cabinet. À cet égard, nous avons engagé un certain nombre de travaux.
Au total, neuf emplois de l’équipe de production sont menacés dans cette entreprise, faute d’une activité suffisante : le carnet de commandes est vingt fois inférieur à celui de 2017.
Comme vous le savez, la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises, en lien avec ma conseillère parlementaire Célia Agostini, a réuni les élus le 19 avril dernier. À la suite de cette rencontre, nous avons pris l’attache de la direction générale de l’armement (DGA) pour déterminer les moyens de poursuivre le travail.
Par ailleurs, le directeur de l’usine dit travailler à un projet avec Tarmac Aerosave à Tarbes, site de démontage et de recyclage d’avions. Les premiers retours dont nous disposons sont positifs.
En tout état de cause, l’enjeu, pour nous, est de trouver une solution industrielle pour ce site. Vous avez raison de mentionner la situation dans laquelle se trouve la fonderie SAM, elle aussi reprise par Jinjiang à la barre du tribunal. De tels rachats sont, par définition, des situations assez particulières : c’est au tribunal de commerce qu’il revient d’apprécier les différentes propositions de reprise et il se prononce en fonction de l’existant.
Quant au projet de cession d’Iveco, je précise qu’il a été abandonné. À ce jour, il n’y a donc pas de menace de rachat par un groupe chinois.
Notre système de filtration des investissements étrangers permet de fixer des conditions pour autoriser ou interdire des opérations de cette nature, mais il permet aussi de discuter en amont d’un certain nombre de projets. Je peux vous assurer que nous avons eu, à cet égard, des échanges assez nourris avec des acheteurs potentiels et avec la direction d’Iveco !
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Je ne peux que me réjouir de la tenue de ce débat, alors même que la souveraineté économique était, il y a encore peu, le pire des blasphèmes.
La souveraineté économique, c’est la capacité d’un État à maîtriser son destin économique en assurant son indépendance dans des secteurs stratégiques. C’est aussi une certaine idée de la protection des Français.
Pourtant, l’industrie du médicament, secteur éminemment stratégique, se porte mal en France. Il faut se le dire : notre pays n’est plus souverain en la matière !
Il y a trois ans déjà, l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Decool mettait en lumière les pénuries de médicaments et de vaccins. La crise sanitaire n’a fait que confirmer les conclusions de ce travail. Qu’il s’agisse de traitements lourds et durables ou de médicaments aussi quotidiens que le paracétamol, la France souffre régulièrement de pénuries.
À de multiples reprises, j’ai attiré l’attention du Gouvernement sur ce problème, en prenant comme exemple le cas d’UPSA, fleuron lot-et-garonnais qui continue à souffrir d’une politique déraisonnable du prix du médicament. Pourtant, cet acteur de premier plan a su se mettre au service de la France pour faire face à la pénurie de paracétamol.
Pour rester concurrentiels, les industriels français sont désormais contraints de se tourner vers l’étranger ! Les conséquences sont terribles : c’est malheureusement à Singapour, et non en France, que Sanofi annonce publiquement la construction d’une usine pour un total de 400 millions d’euros.
Madame la ministre, qu’en est-il de vos promesses ? Où en est le plan présenté le 18 juin 2020, visant à rapatrier les industries de santé stratégiques sur le territoire national dans les trois ans ? (MM. Bernard Fournier et Laurent Burgoa acquiescent.)