Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Monique Lubin. Je constate aussi que, depuis quelque temps, c’est la fête à la maison ! Il y a peu, on nous a proposé de supprimer les allocations familiales pour ces parents indignes qui ne sont plus capables de s’occuper de leurs enfants. Aujourd’hui, j’ai entendu que, si un bénéficiaire du RSA était obligé de quitter un travail qu’il avait accepté, même si c’est parce qu’il est malade, on allait aussi lui supprimer le RSA…
M. Rachid Temal. Et tchac !
Mme Monique Lubin. Franchement, mes chers collègues, je ne sais pas s’il y a des périodes qui sont plus propices à ce genre de retours en arrière, mais tout cela me désole.
Pour en revenir à la proposition de loi, nous sommes foncièrement opposés aux régressions sur le temps de travail et à ces quinze heures. Pour ces raisons, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous arrivons au terme de l’examen de cette proposition de loi. Si nous partageons tous ici, je le pense, la volonté d’améliorer la vie de nos concitoyens, nous sommes, pour notre part, plus que mitigés sur l’efficacité des mesures qui nous sont proposées ici. Les débats l’ont bien montré, nous avons des visions complètement opposées.
Nous sommes opposés à ce texte, d’une part, pour ce qu’il contient et, d’autre part, évidemment, pour ce qu’il révèle en termes de méthode. Une fois de plus, nous pensons que cette proposition de loi ne vise qu’à stigmatiser les plus pauvres de notre société.
Nous ne pouvons accepter de casser encore davantage le code du travail avec des sous-contrats à temps partiel de quinze heures. Nous ne pouvons pas non plus accepter l’idée que des personnes seraient au RSA parce qu’elles manqueraient d’initiative ou parce que le droit du travail serait trop rigide. Nous ne pouvons accepter de rêver qu’il y aurait du travail qui attendrait et que des personnes ne voudraient malheureusement pas l’effectuer.
Il faut regarder la pauvreté en face. Or l’Observatoire national de la pauvreté a été supprimé par le Gouvernement il y a un an et demi et l’association ATD Quart Monde ne siège plus au CESE depuis quelques semaines. C’est regrettable ! Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait baisser la température !
Nous voterons donc contre ce texte, et nous continuerons, pour notre part, à lutter pour l’amélioration des droits des travailleurs. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Soyons clairs, ce texte ne va pas révolutionner les choses. Nous devons donc faire preuve d’une grande humilité.
Même si, dans notre discussion il y a beaucoup de postures politiques, ce qui est normal, notre assemblée est aussi là pour ça, je crois néanmoins que notre volonté partagée est de trouver des nouvelles voies pour aider des personnes à sortir de leurs difficultés.
Mme Pascale Gruny. Tout à fait !
M. René-Paul Savary. Il y a du pragmatisme…
M. Fabien Gay. Il y a du bon sens… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. René-Paul Savary. … dans notre approche. Ayant présidé un département pendant quinze ans, comme un certain nombre d’entre nous, je peux vous dire que j’ai appris à revoir mes certitudes.
Il faut trouver, dans la mesure du possible, et c’est bien là la difficulté, les moyens d’orienter les personnes qui rencontrent des difficultés. Ce matin, quelques-uns de nos collègues ont participé à la réunion de la délégation sénatoriale à la prospective : la prospective, c’est une culture de projet, pas des certitudes.
Si cette proposition de loi permet d’aider quelques personnes à retourner vers l’emploi, tant mieux !
M. René-Paul Savary. Et puisque l’on évoque la dignité de ces personnes, je crois que c’est justement pour cela qu’elles doivent avoir des droits et des devoirs.
Mme Pascale Gruny. Très bien !
M. René-Paul Savary. Si on leur explique bien les choses, on parvient à avancer et à les sortir des difficultés.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Nous voterons aussi cette proposition de loi. Je n’ai rien vu dans ce texte de culpabilisant pour les allocataires du RSA. Comme l’ont clairement dit dans leurs interventions le président Malhuret et le rapporteur, cette proposition de loi relève de la logique de la main tendue, c’est-à-dire faire en sorte de lever les freins, qui sont d’ailleurs nombreux, au retour à l’emploi des allocataires du RSA.
Depuis la loi créant le RMI, suivie de celle sur le RSA, se pose la question, à la fois, de l’insertion et de la solidarité active. Nous voulons tendre la main à quelques personnes pour leur permettre de retrouver la dignité d’avoir un travail, parce que le travail est une valeur qui nous tient à cœur : nous voulons aider ces personnes qui ont des talents, mais qui sont en difficulté ou plus fragiles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Chasseing, rapporteur. Ce matin, madame la ministre, vous avez évoqué le RUA, le revenu universel d’activité. Dans cette proposition de loi, nous proposons un RUA temporaire, avec la perspective d’un emploi durable, certes pas pour tous – cela a été dit – mais pour certains, ce qui n’est déjà pas mal. Le RUA facilitera l’accès des bénéficiaires aux aides, mais ne favorisera pas forcément l’insertion, comme le fait ce texte.
Je m’étonne que certains ne votent pas la proposition de loi, car elle permettra d’améliorer la situation économique de nombreuses personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Je rappelle que quinze heures de travail représentent tout de même 1 025 euros. Nous espérons qu’après la période de neuf mois il sera possible de passer à vingt-quatre heures, voire plus, pour pouvoir atteindre 1 300 euros. Il s’agit donc d’une mesure généreuse, sociale, valorisant l’effort des personnes qui vont vers l’emploi et permettant une synergie entre l’économie et l’insertion.
Le dispositif que nous proposons ne s’appliquera pas à tous et ne sera pas la panacée, mais il constituera un plus pour les personnes qui sont au RSA. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi.
M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi. Je voudrais très chaleureusement remercier Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, ainsi que Philippe Mouiller, qui était au banc ce matin en tant que vice-président de la commission.
Je remercie notre rapporteur, Daniel Chasseing, pour l’ensemble de son travail sur ce sujet très important. Même si cette proposition de loi n’apporte pas de changement fondamental, elle constitue – je l’espère – un petit pas dans la bonne direction, comme le disait René-Paul Savary.
Je remercie tous nos collègues qui ont, aujourd’hui et les jours précédents, travaillé sur cette proposition de loi. Je suis conscient que les positions sont divergentes et, parfois, radicalement opposées, mais chacun les a exprimées dans le respect des opinions des uns et des autres ; j’y suis très sensible.
Si ce texte est adopté et si nos collègues députés y donnent une suite favorable, c’est l’expérimentation qui nous dira si nous sommes ou non allés dans la bonne direction. Avec mon collègue Bruno Rojouan, je souhaite bon courage à notre département de l’Allier, ainsi qu’à tous les départements qui pourront se lancer dans cette première expérimentation.
Enfin, je vous remercie, madame la ministre, malgré les réticences que vous avez exprimées. (Sourires.) J’espère qu’ultérieurement le Gouvernement acceptera une expérimentation, surtout à l’approche de la loi 4D, qui donnera de nouveau l’occasion d’une discussion importante entre le Gouvernement et les collectivités locales. Les centaines de milliers de nos concitoyens qui sont aujourd’hui au RSA le valent bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Poursuite de la procédure de ratification du CETA
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA, présentée par M. Fabien Gay et plusieurs de ses collègues (proposition n° 249 rectifiée).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution.
M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous sommes réunis dans cet hémicycle pour évoquer le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement – accord économique et commercial global), ce n’est malheureusement pas sur l’initiative du Gouvernement. Non, chers collègues, c’est le groupe CRCE qui vous y invite, et ce pour la deuxième fois après le débat que nous avons organisé ici même, en novembre 2018, un an après la mise en application provisoire de cet accord !
Depuis trois ans, des parlementaires de presque tous les groupes qui composent cet hémicycle ont demandé au Gouvernement des précisions sur ce traité et sa date de ratification. Nous pensons que le Sénat a été assez patient. C’est la raison pour laquelle nous avons pris cette initiative.
Cela étant, je veux que chacun entende une chose : en tant que groupe minoritaire et d’opposition, nous n’avons que deux niches par an, c’est-à-dire l’équivalent de quatre textes. Vous avouerez que c’est peu, car, comme vous, mes chers collègues, nous fourmillons d’idées – pas les mêmes, j’en conviens. Pourtant, nous avons décidé de prendre nos responsabilités et de consacrer à ce texte un de nos rares espaces. Nous ne nous résignons pas comme vous à ce déni démocratique constaté et évident.
Puisque nous sommes empêchés de débattre par le Gouvernement, le groupe CRCE met son espace à votre disposition avec cette proposition de résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA. De nombreux collègues nous ont interpellés sur cette formulation quelque peu alambiquée. Je souhaite vous en expliquer les raisons en toute transparence.
Notre proposition a dû être remaniée trois fois avant que le Gouvernement, fort tatillon sur la manière dont nous osions nous adresser à lui, ne daigne l’accepter et en valider la mise à l’ordre du jour dans cette niche parlementaire. Certes, c’est au Gouvernement et non au Parlement que revient l’initiative de la procédure de ratification, et nous savons que le Parlement ne peut pas enjoindre le Gouvernement. Pourtant, avec cette proposition de résolution, nous cherchions non pas à empiéter sur ses pouvoirs, mais à faire respecter nos institutions, la Constitution, le processus démocratique et la compétence du Sénat, qui, je le rappelle, n’est ni optionnelle ni consultative.
Il est tout de même assez surprenant, monsieur le ministre, que le Gouvernement, qui bafoue le droit du Parlement, s’insurge lorsque celui-ci ose lui rappeler de respecter notre institution et la Constitution. En somme, non seulement nous ne sommes pas consultés, mais en plus rogne-t-on sur toute proposition que nous faisons.
Peut-être que ces trois refus visaient à nous faire abandonner. Raté ! C’était mal connaître notre volonté et notre détermination. Si cette proposition de résolution vous déplaisait tant, il eût été plus aisé et plus clair, plutôt que d’ergoter sur sa formulation, de donner directement au bureau du Sénat le calendrier de la procédure de ratification du CETA !
Je rappelle également, puisque cela semble nécessaire, l’article 53 de notre Constitution, qui dispose que ces traités « ne peuvent être approuvés ou ratifiés qu’en vertu d’une loi ». La ratification est de fait soumise au vote du Parlement ; un Parlement qui, en France, est bicaméral.
En agissant de la sorte, force est de constater que le Gouvernement donne l’impression de considérer que l’avis, les débats et le vote de la Haute Assemblée n’importent guère ; seule compterait donc pour lui l’Assemblée nationale sous la Ve République ?
Le Parlement est sans cesse contourné ou malmené. C’est le révélateur d’une crise plus profonde de nos institutions. Depuis 2017, date à laquelle je suis devenu parlementaire, je n’ai connu que la procédure accélérée. D’ailleurs, j’aurais bien du mal à expliquer la procédure normale à cette tribune, puisque je ne sais pas en quoi consiste la deuxième lecture, dont on m’a pourtant dit qu’elle était très utile pour bien rédiger la loi… (Mme Cécile Cukierman et M. Mathieu Darnaud s’esclaffent.)
Autre fait : notre président, M. Larcher, l’a rappelé il y a quelques jours, 51 % des textes ont été ratifiés par ordonnance, ce qui est inédit depuis la guerre d’Algérie. Or ces ordonnances doivent ensuite être ratifiées par le Parlement ; la procédure est donc, au bout du compte, deux fois plus longue… Derrière le prétexte de la recherche d’efficacité ou de rapidité, c’est donc bien le débat au Parlement qui vous contrarie et que vous voulez empêcher.
Enfin, alors que nous traversons une crise inédite, avec la covid-19, nous pensons que la démocratie et le débat parlementaire sont une des solutions de la sortie de crise, alors que, de votre côté, vous considérez a contrario que le Parlement est un obstacle. La prolongation, depuis un an, de l’état d’urgence et les pouvoirs que celui-ci vous confère montrent malheureusement qu’une gestion de crise centralisée, concentrée dans les seules mains de l’exécutif, n’est pas gage d’efficacité ni de réussite. Le comble a été atteint quand vous nous avez invités à débattre des mesures à prendre sur le troisième confinement, alors que tout avait été annoncé, la veille, à la télévision, par le Président de la République.
Une République dans laquelle le Gouvernement, voire le Président de la République, déciderait seul et où le Parlement validerait tout, sans rien dire, sans discuter, sans critiquer est-elle bien la République que nous voulons ?
Selon nous, il n’est pas souhaitable de jouer ainsi avec nos institutions, car cela renforce la défiance de nos concitoyens, qui peuvent légitimement se poser la question : si le Gouvernement ne respecte pas la Constitution et les institutions, à quoi sert-il de voter ?
En outre, entre l’Union européenne, les citoyens français et la question démocratique, il y a déjà une histoire. Tout le monde se le rappelle, en 2005, après un débat éclairé, populaire et citoyen, le peuple français avait rejeté massivement le traité constitutionnel, finalement imposé par un vote du Parlement, deux ans plus tard. Cette meurtrissure dans le cœur des Français renforce, chez ces derniers, l’idée que l’Union européenne est une instance technocratique, éloignée de leurs préoccupations et antidémocratique. Cela nourrit le fatalisme et le désespoir et explique, en partie, la montée de l’extrême droite partout en Europe.
Avec le CETA, ce n’est pas le vote des Français qui n’est pas respecté, c’est celui des sénatrices et des sénateurs qui est empêché. De bout en bout, l’histoire de ce traité pourrait se résumer en un mot : opacité ; opacité pendant les sept longues années de négociations et opacité, ensuite, dans sa mise en œuvre. En effet, cet accord est entré en vigueur de façon provisoire, il y a maintenant plus de trois ans, le 21 septembre 2017, mais c’est un « provisoire » qui dure et qui concerne, tout de même, 90 % du traité, à savoir les compétences exclusives de l’Union européenne.
Rien que le principe de cette entrée en application avant que les États membres aient accepté ou non la ratification du traité doit soulever des interrogations, d’autant que ce traité, dit « de deuxième génération », devrait donner lieu à un large débat parlementaire et citoyen. En effet, si, comme tout accord de libre-échange, ce traité fait tomber les barrières tarifaires et douanières, c’est surtout sur la levée des barrières non tarifaires que nous devrions échanger : remise en cause de nos normes sociales et environnementales ainsi que de nos services publics, mais aussi mise en place de tribunaux d’arbitrages privés, qui permettront, demain, à des entreprises d’attaquer des États au nom du profit !
La crise de la covid-19 a démontré que tout nous invite à repenser le monde différemment, à repenser les échanges, la circulation des marchandises et des capitaux, la relocalisation de nos modes de production ou encore la question de notre souveraineté, notamment alimentaire.
Pour notre part, nous pensons que ces traités, hier dangereux, sont à présent caducs ; ils ne répondent plus aux enjeux d’aujourd’hui. Plutôt que d’instaurer une compétition internationale et la mise en concurrence des travailleurs, à coups de mesures visant à être le moins-disant social et environnemental, il serait urgent de réfléchir à la mise en commun, au partage et à la sortie, en dehors du secteur marchand, de certains biens et services, comme l’avait indiqué le Président Macron, en mars 2020.
Le CETA devait être soumis à ratification par le Parlement dans un délai d’un an à compter de son entrée en vigueur provisoire. Un an ! Cela fait trois ans que nous attendons !
Monsieur le ministre, de quoi avez-vous peur ? Il est vrai qu’à l’Assemblée nationale, où le gouvernement auquel vous appartenez détient pourtant une majorité écrasante, le vote pour la ratification n’a recueilli que 266 voix contre 213 et 74 abstentions… Il se chuchote, ici ou là, que vous ne l’inscrivez pas à l’ordre du jour du Sénat, parce que vous auriez peur d’un vote contre ; il est vrai que cet accord ne fait pas l’unanimité, et c’est un euphémisme. Néanmoins, pour ma part, je n’ose y croire, car je ne peux imaginer qu’un gouvernement ne soumette au vote des parlementaires que des textes dont il serait certain d’emporter l’adoption et que, en cas de doute, plutôt que d’affronter le débat avec des arguments, il préfère contourner l’obstacle. En sport, cela s’appellerait un forfait, et ce serait un terrible aveu de faiblesse de la part de l’exécutif.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous n’avons pas cherché à lancer, aujourd’hui, un débat sur le CETA lui-même, sur sa pertinence et ses fondements idéologiques, bien que ce débat soit nécessaire. Vous connaissez notre opposition à ce traité, mais nous respectons tous ceux qui y sont favorables.
Même si nous traversons une pandémie et que les urgences sont nombreuses, cette question traverse la société, comme l’a montré l’exigence, exprimée par la Convention citoyenne pour le climat, d’un moratoire sur ces traités de libre-échange, d’autant que la pandémie n’empêche pas le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, de démanteler EDF ni de réformer l’assurance chômage…
Il y a donc urgence à débattre, surtout qu’il serait inconcevable que le Président Macron prenne, le 1er janvier prochain, la présidence du Conseil de l’Union européenne sans avoir respecté, dans son propre pays, la procédure de ratification d’un traité d’une telle importance.
Mes chers collègues, voilà toutes les raisons qui nous pousseront à adopter, à l’unanimité, je pense, cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Lettonie, le 23 février 2017, puis la Lituanie, le Danemark, Malte, l’Espagne, la Croatie, la Tchéquie, le Portugal, l’Estonie, la Suède, la Finlande, la Roumanie, la Slovaquie, l’Autriche et, enfin, le Luxembourg, en mai 2020 : tous ces pays ont engagé, selon leurs dispositions institutionnelles propres, le processus de ratification du CETA. Même le Royaume-Uni, alors que son départ était acté, l’a fait en 2018. Comme chacun le sait, le parlement de Chypre a voté contre, mais sa décision n’a pas été notifiée aux institutions européennes.
En France – pays fondateur de l’Union européenne –, alors même que l’article 53 de la Constitution précise explicitement que le Parlement, c’est-à-dire les deux chambres, doit ratifier l’accord, alors que le processus européen de ratification, du fait du caractère mixte de cet accord, prévoit également cette ratification par le Parlement, alors, enfin, que le Gouvernement avait lui-même engagé la procédure accélérée, en 2019, sur le projet de loi de ratification de ce traité, le Sénat attend toujours et encore de savoir quand et comment il pourra se saisir du sujet. Cette situation est paradoxale, puisque, rappelons-le, c’est la France, certes sous le précédent quinquennat, celui de François Hollande, qui a obtenu que les parlements nationaux soient impérativement saisis. Ainsi, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, manque à son devoir.
Le CETA est, rappelons-le, un accord qui n’est pas anodin et qui concerne – mon collègue Fabien Gay l’a souligné – des champs entiers de notre économie, de notre environnement et de notre vie, comme la santé animale et végétale, les télécommunications, l’alimentation, la concurrence ou encore l’accès aux marchés publics. Alors, pourquoi ce silence « assourdissant » ? Pourquoi n’avez-vous pas inscrit le texte, adopté par l’Assemblée nationale et transmis le 23 juillet 2019, à notre ordre du jour ? Pourquoi le Gouvernement, qui a engagé la procédure accélérée, reste-t-il aujourd’hui silencieux ? Pourquoi, enfin, notre chambre en est-elle réduite à adopter des propositions de résolution demandant, « gentiment », comme l’a dit Fabien Gay, au Gouvernement que nous puissions débattre d’un sujet aussi important que le CETA afin, en gros, d’assurer notre mission fondamentale, légiférer ?
À ces questions, plusieurs réponses sont possibles ou probables. Un manque de temps ? C’était possible au début, mais, un an et demi après le débat à l’Assemblée nationale, on peut penser que ce n’est pas la vraie raison. L’encombrement législatif, trop de textes ? Certes, c’est possible que ce soit le cas depuis mars 2020, mais avant cette date ? En outre, à l’Assemblée nationale, le CETA a occupé une réunion de commission et seulement deux séances publiques ; on a connu textes plus encombrants… Reste une option : l’oubli volontaire qui arrange. Je m’explique.
Pour le Président de la République, le CETA « va dans le bon sens » – ce sont ses mots, il l’a affirmé publiquement – ; le Gouvernement a soutenu la ratification du traité à l’Assemblée nationale, dans des conditions compliquées, certes, mais il l’a fait ; enfin, le grand mouvement présidentiel – La République En Marche – annonce sur son site internet « trois raisons de ratifier le CETA ». Dès lors, quel intérêt le Gouvernement aurait-il à engager un débat dont l’issue lui semble incertaine et, par conséquent, à porter, à l’échelon européen, la responsabilité du rejet d’un accord qu’il a soutenu et qu’il continue de soutenir ?
Voilà pourquoi je remercie le groupe CRCE d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de résolution et de nous obliger à faire un peu d’archéologie, afin de retrouver les positions, sur le CETA, du Président de la République et du Gouvernement, qui est – je l’indiquais précédemment – très silencieux.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain va bien entendu voter cette proposition de résolution, mais nous regrettons l’obligation qui nous est faite de demander au Gouvernement de respecter nos institutions et la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trois ans que le CETA est entré en vigueur provisoirement ; voilà pourtant trois ans que le Sénat attend d’avoir à exprimer sa position sur le sujet, lors d’un vote solennel ; et voilà trois ans que le Gouvernement lui refuse ce droit…
Le CETA divise, vous le savez. Ce ne sont ni l’équilibre global de l’accord ni les relations historiques avec nos compatriotes canadiens qui sont en jeu. Ce qui est en jeu, c’est le fait de sanctionner, dans chaque accord de libre-échange, toujours les mêmes acteurs : certaines de nos filières agricoles. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à protéger notre agriculture des importations déloyales, qui risquent de nous faire perdre notre souveraineté alimentaire. Ce qui est en jeu, c’est notre crédibilité politique à tenir des engagements fermes que vous avez pris en matière de respect de nos normes. Or vos réponses peinent à convaincre, car cet accord, on le sait, n’apporte aucune garantie sur la conformité aux normes européennes des produits alimentaires importés.
Vous nous rétorquez chaque fois qu’il n’y a aucun problème, que, grâce aux organismes certificateurs et aux limites maximales de résidus prévues dans la réglementation européenne, il n’y a aucun risque et que tout est garanti : ceinture et bretelles ; aucune faille ! Sauf une : personne ne vous croit…
Pour illustrer mon propos, je voudrais vous raconter une petite histoire.
Il était une fois, au sein de l’Union européenne, un consommateur qui souhaita manger, en quantité, de petites graines de sésame. Pour en retrouver dans son pain, son houmous, ses biscuits, il importa massivement ces graines d’Inde. Mais, tout à coup, en 2020, lors d’un contrôle de routine, des résidus d’une substance strictement interdite en Europe depuis 1991 – l’oxyde d’éthylène – furent retrouvés sur ces graines, à des taux mille fois supérieurs, en agriculture conventionnelle, et cinq mille fois supérieurs, en agriculture biologique, à la norme acceptée.
Inquiètes d’un tel écart, les autorités lancèrent un vaste programme de retrait et de rappel des produits. On se rendit alors compte que le problème était très vaste, car il concernait des produits contenant des graines importées non seulement d’Inde, mais également de nombreux pays dans le monde, et ce depuis 2018 au moins.
Comment toutes ces graines avaient-elles pu entrer, comme par magie, en Europe, sans que le problème soit visible, durant tout ce temps ?
Premièrement, il n’y avait pas suffisamment de tests aléatoires pour identifier les risques ; comment cela serait-il possible, avec un budget dédié aux contrôles ne dépassant pas, en France, 50 centimes pour 1 000 euros de denrées alimentaires introduites ? Difficile, dès lors, de repérer des dépassements de limites maximales de résidus !
Deuxièmement, les contrôles douaniers avaient déjà repéré des anomalies sur les résidus de pesticides en provenance d’Inde, puisque 20 % des denrées indiennes aléatoirement contrôlées en 2018 présentaient des anomalies, mais, même quand nous savons, nous ne faisons rien pour inverser la donne.
Troisièmement, sur les 1 500 substances actives interdites à l’échelon européen, seules 600 sont effectivement contrôlées. Les importations de denrées dans l’Union européenne sont donc indemnes de 900 substances, car, tout simplement, nous ne les recherchons pas !
Comme toute bonne histoire, celle-ci n’a pas de fin, car l’alerte se poursuit aujourd’hui. Alors, prévoir des LMR, oui, mais à condition que celles-ci soient contrôlées !
Si nous ne parvenons pas à contrôler les graines de sésame indiennes, comment pouvez-vous affirmer, monsieur le ministre, que nous serons capables de le faire pour tous les produits canadiens ? Comment pouvez-vous nous assurer, la main sur le cœur, qu’aucune denrée végétale canadienne importée ne méconnaîtra la réglementation européenne, sans même parler des OGM ou des autres substances actives qui sont autorisées au Canada et non en Europe ? Comment pouvez-vous garantir que la viande canadienne respectera nos normes de production, alors que certaines farines animales y sont autorisées et que la traçabilité ne recouvre pas le même champ ? Vous ne le pouvez pas et, pourtant, vous le faites !
Tout le problème est que, en multipliant, d’un côté, les interdictions et les surtranspositions en France, tout en ouvrant largement, de l’autre, nos frontières à des denrées importées sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle, vous sacrifiez tout simplement notre agriculture.