M. Bruno Retailleau. Mais si, monsieur le Premier ministre, on est là au cœur du mécanisme ! Écoutez-moi donc un instant, car c’est important, au moment où notre démocratie en est.
Cette judiciarisation encourage la bureaucratisation parce que, quand on fait un protocole, tous les niveaux de responsabilité gèrent le risque pénal et ouvrent le parapluie. La judiciarisation équivaut à toujours plus de bureaucratisation ! (M. Philippe Pemezec applaudit.)
Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le Premier ministre, et il est important que vous l’entendiez.
Vous avez eu, parce que nous vous les avons confiés, des pouvoirs très étendus.
M. Bruno Retailleau. Mais qu’en avez-vous fait ? Quel en a été le résultat ? Je voudrais pour y répondre prendre deux exemples, que d’autres orateurs ont déjà évoqués : les lits de réanimation, dont l’importance tient à ce qu’ils permettent de piloter les mesures de freinage de l’épidémie, et la vaccination.
Qu’avez-vous fait de ces pouvoirs énormes en matière des lits de réanimation ? J’ai écouté, comme tant d’autres, le Président de la République. Le 28 octobre dernier, avant le deuxième confinement, il évoquait le chiffre de 10 000 lits. Il a promis le même chiffre hier !
Il y a un problème : soit la promesse du 28 octobre était une tromperie, soit l’engagement pris n’a pas réalisé, puisqu’on continue de promettre ces 10 000 lits, que l’on n’a pas ! Vous savez très bien que les lits supplémentaires disponibles aujourd’hui résultent de déprogrammations : ce sont autant de pertes de chances pour ceux qui devaient être opérés et ne le seront pas.
Je discutais ces derniers jours avec plusieurs chefs de service de grands hôpitaux parisiens…
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Le professeur Juvin !
M. Bruno Retailleau. Tous m’ont dit qu’il fallait pratiquement le personnel de deux blocs opératoires pour créer un lit de réanimation. C’est énorme !
M. Bruno Retailleau. Certains affirment même que, quand on soigne pour une quinzaine de jours un patient atteint du covid-19, ce sont environ 150 patients qui verront leur opération reportée. Ce sont des pertes de chances !
Alors, pourquoi n’a-t-on rien fait ? J’avais entendu le Président de la République évoquer le nombre de 7 000 soignants formés : infirmiers, infirmières et médecins. Mais où sont-ils ? Où est la réserve sanitaire ? Sur le terrain, dans les départements et les régions que l’on connaît, on ne la voit pas. Alors, pourquoi en parler ? Cela fait un an qu’on en parle, mais qu’avez-vous fait des pouvoirs énormes qui vous ont été confiés ?
J’en viens à la vaccination. Moi aussi, monsieur le Premier ministre, je vous ai entendu au mois de décembre évoquer un chiffre : à la mi-mars, 14 millions de personnes, si je ne me trompe, devaient être vaccinées. Désormais, on parle plutôt de 10 millions à la mi-avril !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, il y a une valse des chiffres et une valse du calendrier ! Je vous assure qu’il n’y a pas un Français qui s’y retrouve, tellement il y a eu de changements de pied !
Alors, vous allez me répondre que c’est de la responsabilité de l’Europe. Eh bien, il y a quinze jours, j’ai entendu un haut responsable européen – allemand, d’ailleurs – me répondre que mieux vaut vacciner lentement, mais dans un cadre européen. Voilà l’idéologie ! Voilà ce que nos compatriotes ne sauraient entendre. C’est vous, monsieur le Premier ministre, qui êtes chargé de la protection des Français, de la nation française ; aucun commissaire européen ne fera pour le peuple français ce qu’un élu du peuple peut faire pour protéger les Français. Cela me paraît une évidence.
Le pouvoir que nous vous avons confié, vous l’avez exercé, mais pour de maigres résultats. J’entendais rappeler tout à l’heure la fameuse phrase : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. » Mais non, mes chers collègues : aujourd’hui, quand on se compare, on se désole ! Nous sommes en matière de vaccination au cinquante et unième rang : nous faisons moins bien que le Chili, le Maroc, la Serbie, la Hongrie et tant d’autres pays encore !
L’Allemagne a subi un peu plus de 75 000 morts pour 82 millions d’habitants, quand nous allons atteindre 100 000 morts. Chacun d’entre nous a une pensée pour ceux qui ne sont plus là et pour leurs familles qui souffrent toujours. Voilà les résultats ! C’est à cela que l’on doit juger une politique, même si je sais – je veux le répéter aujourd’hui à cette tribune – que les circonstances sont difficiles.
Voilà ce que nous attendons : plus d’efficacité. Et on ne peut pas, en la matière, toujours pointer du doigt la responsabilité de la bureaucratie.
En effet, dès le départ, il y a eu un manque de volonté au plus haut niveau de l’État. Il me faut évoquer M. Trump : en mai 2020, il se disait confiant : il y aurait un vaccin avant la fin de l’année. Quelques jours plus tard, le Président de la République française répondait que personne de sérieux ne lui disait que nous disposerions d’un vaccin à la fin de l’année. Or, dans notre organisation hyperprésidentialisée, hypercentralisée, quand la tête ne croit pas en la possibilité de disposer de vaccins, elle ne met pas en tension la chaîne de commandement. Alors, il ne faut pas s’étonner par la suite qu’il y ait des loupés ! La vérité est là : c’est d’abord un manque de volonté politique et un manque de stratégie ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Il y a eu deux stratégies gagnantes dans le monde. La première est celle des démocraties asiatiques, le « zéro covid ». On n’a pas pu la suivre, par manque d’efficacité du traçage et de l’isolement. Dans ces pays, on compte moins de 20 000 morts ! La seconde, qu’ont suivie des pays qui avaient loupé la première marche dans la gestion de l’épidémie – le Royaume-Uni, les États-Unis et d’autres encore –, est la vaccination rapide et massive.
Or nous n’avons eu ni l’une ni l’autre de ces deux stratégies. La bureaucratie parisienne est venue s’ajouter à la technocratie bruxelloise et le « trou de souris » d’Emmanuel Macron s’est transformé pour beaucoup de Français en souricière !
Aujourd’hui, ce que veulent les Français, c’est qu’on puisse leur donner des preuves de l’efficacité de notre stratégie ; ainsi, on reconstituera l’antidote qu’est la confiance, ce qui ne pourra être fait qu’à trois conditions.
La première condition de la confiance, c’est l’efficacité, que j’évoquais il y a quelques instants. S’il faut commander des vaccins en dehors de la procédure européenne, faites-le ! L’ambassadeur d’Allemagne a confirmé au Sénat – c’est dans un compte rendu ! – que 30 millions de doses du vaccin Pfizer avaient été commandées en dehors du cadre européen. Ce n’est pas interdit, alors faisons-le ! Pourquoi ne le ferions-nous pas ? Arrêtons de considérer que chaque vague est la dernière et anticipons, en matière de formation de soignants et de lits de réanimation !
La deuxième condition de la confiance est l’humanité, comme je l’ai déjà souligné l’autre jour. Vous avez sans doute vu comme moi des personnalités artistiques et culturelles se faire les porte-voix des témoignages de familles qui ont écrit de très belles lettres. Attention à ne pas laisser mourir dans la solitude, derrière les portes closes d’Ehpad, mais aussi d’hôpitaux ! Cela se fait peut-être de moins en moins, mais nous en recevons de nouveaux témoignages chaque semaine. Cet aspect humain est déterminant.
Enfin, la troisième condition de la confiance est la lucidité. Il faut avoir la lucidité de reconnaître ses limites. Chacun d’entre nous, monsieur le Premier ministre, a ses limites ! (M. le Premier ministre renchérit ironiquement.)
Dans une crise, le pire, la limite qui ne doit pas être franchie est justement le fait de ne pas reconnaître ses limites. J’estime qu’un Président de la République, fût-il Jupiter, fût-il un expert universel, fût-il un épidémiologiste en même temps qu’un philosophe, eût-il été doté de la plus belle intelligence et d’une pensée complexe, ne peut rien seul ! C’est une évidence absolue.
Je crois donc que les institutions représentatives de notre démocratie doivent être respectées. Ne faites pas du Sénat ou de l’Assemblée nationale un théâtre d’ombres, monsieur le Premier ministre, n’en faites pas le lieu d’une fausse concertation, d’un simulacre de décision !
Comme d’autres groupes, nous ne participerons pas à ce vote. Ce geste politique n’est pas un mouvement de mauvaise humeur ou un caprice, mais tout simplement un message : la démocratie représentative, c’est l’assurance pour tous les Français, quels qu’ils soient et quels que soient leurs sentiments politiques, que le sort de tous ne repose pas dans les mains d’un seul ! Voilà ce qu’est la démocratie, voilà pourquoi elle a été inventée.
Alors, oui, monsieur le Premier ministre, il nous faut reconstruire ensemble la confiance, et nous sommes disponibles pour ce faire. Mais ce doit être la confiance par la preuve et par l’efficacité.
J’ose espérer que cette nuit sans fin aura une aube nouvelle et que, comme l’a déclaré le Président de la République, ce sera une jolie aube du mois de mai. Vous n’en avez pas parlé, contrairement à lui, mais j’espère que vous croyez à cette promesse présidentielle. D’ailleurs, si vous croyez que, en mai, les choses iront mieux, iront assez bien pour que les bars et les restaurants rouvrent, pourquoi alors ne voterions-nous pas en juin ? S’il n’y avait plus d’élections, ce serait l’échec de la promesse faite par le Président de la République hier soir.
En tout cas, nous voulons une nouvelle espérance. C’est en abandonnant les vieux démons, me semble-t-il, mais surtout en écoutant le Parlement et en redonnant confiance aux Français que vous y parviendrez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis l’annonce inespérée de la découverte de vaccins en quelques mois seulement par des chercheurs que nous ne remercierons jamais assez, la course est lancée entre l’acquisition de l’immunité collective qui nous sauvera de la pandémie et la dissémination des nouveaux variants du virus qui signerait notre défaite.
Cette équation à deux inconnues est une ordalie pour le Gouvernement comme pour les Français, parce qu’elle se complique de deux paramètres qui en font l’effroyable complexité.
Le premier est le retentissement immédiat de toute mesure sanitaire sur l’économie du pays qui, dans le cas extrême d’un confinement total, s’écroule aussitôt, nous l’avons vécu.
Le second est le désastre psychique causé par une crise interminable pour tous nos concitoyens, dont beaucoup sont désormais au bord de l’effondrement, ou tout au moins de l’épuisement. Jamais la situation n’a été aussi tendue ; c’est pourquoi, même si nous entrevoyons la lumière au bout du tunnel, nous sentons tous que les semaines qui viennent seront cruciales.
C’est sans doute la raison pour laquelle la décision du Président de la République de ne pas reconfiner en janvier dernier, mais de prendre des mesures graduelles, s’exemptant pour la première fois des injonctions scientifiques, a été très majoritairement approuvée par les Français, malgré ceux qui ont souligné les risques, les insuffisances ou l’aspect hasardeux de ce pari.
Je le dis clairement : je fais partie, avec beaucoup d’autres ici, de ceux qui ont approuvé cette stratégie et je ne peux donc aujourd’hui critiquer le Président de la République en me demandant s’il n’aurait pas dû prendre il y a deux mois les décisions qu’il prend ce jour, voire des décisions plus radicales encore. Ce serait oublier aussi que, depuis des mois, les enfants sont allés à l’école, que les entreprises ont tourné et que la plupart des Français on put mener une vie presque normale…
M. François Patriat. Très bien !
M. Claude Malhuret. Ce serait oublier encore que, en raison des nouveaux variants, la certitude d’une efficacité absolue d’un confinement n’était pas acquise, contrairement à l’année dernière.
Avec des mesures plus radicales que les nôtres depuis deux mois, l’Allemagne est aujourd’hui quasiment au même nombre de décès quotidiens que nous, l’Italie en a presque le double.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Claude Malhuret. Le même dilemme se pose aujourd’hui avec une intensité décuplée par des courbes qui remontent, par des critiques qui fusent de nouveau et, enfin et peut-être surtout, par les pressions pour des mesures radicales d’une partie du corps médical, peut-être déçue que l’on ne suive plus ses prescriptions à la lettre.
Loin de moi la prétention de nier les difficultés extrêmes, et qui s’aggraveront dans les jours qui viennent, que connaissent les services de soins intensifs, loin de moi l’idée de minimiser le dévouement inlassable des soignants, dont beaucoup sont, eux aussi, au bord de l’épuisement, mais il faut rendre à César ce qui est à César et au politique ses prérogatives.
La première d’entre elles est la responsabilité de juger des moyens de tenir dans l’adversité, en prenant en compte les préoccupations, les possibilités, les capacités de résistance ou les cauchemars de tous les Français, en ayant à l’esprit que le choix est rarement entre une bonne et une mauvaise solution, mais, plus souvent, entre une mauvaise solution et une autre, pire encore.
Ce choix est d’autant plus difficile que les médecins eux-mêmes sont partagés, il suffit de regarder les plateaux de télévision, de jour comme de nuit, pour s’en convaincre.
Ces derniers jours, quarante et un médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont affirmé, dans une tribune du journal Le Monde, que nous n’avions jamais connu une telle situation, même durant les pires attentats de ces dernières années ; le président de l’Association des médecins urgentistes de France répondait le lendemain que, pour l’instant, ce n’était pas la Bérézina et qu’il était totalement faux de faire croire que l’on allait sélectionner et trier les malades ; un patron de la Pitié-Salpêtrière appelait avant-hier à la fermeture immédiate des écoles ; la Société française de pédiatrie lui répondait le lendemain qu’il fallait tout faire pour éviter de fermer des écoles.
C’est dans ce contexte que le Président de la République a dû prendre une décision que j’imagine déchirante. Camper sur des mesures dont il apparaît désormais qu’elles ne suffisent plus à réduire l’épidémie, c’était la certitude de perdre la course de vitesse contre le virus ; reconfiner totalement, c’était une capitulation, c’était prendre aussi le risque d’une révolte d’une partie de nos concitoyens, nous le voyons tous dans nos départements.
L’exécutif a choisi l’accentuation des mesures de freinage plutôt que le retour à un confinement strict : étendre à l’ensemble du territoire métropolitain les mesures qui prévalaient déjà dans les territoires les plus touchés et prolonger les vacances scolaires de quinze jours tout en laissant ouvertes les crèches et les écoles primaires.
Ces mesures seront sans doute douloureusement ressenties dans des régions qui pouvaient se sentir à l’abri, mais qui, en réalité, et chaque jour nous le démontre un peu plus, ne le sont pas, par des commerçants déjà durement éprouvés et par des parents épuisés, se demandant comment ils pourront concilier profession et garde des enfants ; elles seront en réalité ressenties douloureusement partout, mais je ne vois guère d’alternative.
La clé de notre avenir, ce sont désormais les vaccins et, surtout, la campagne pour les délivrer. Le début de cette campagne a donné lieu à beaucoup de critiques, sur sa lenteur, sur la décision de s’en remettre à l’Europe, sur la crainte d’un rejet par les Français. Je les partage pour une part. Vous vous souvenez sans doute qu’ici même, l’an dernier, alors que l’on prétendait que les Français étaient vaccinosceptiques, j’ai dit à plusieurs reprises qu’il fallait aller plus vite, que le principe de précaution ruine parfois ceux qu’il prétend défendre et que ma crainte n’était pas que les vaccins restent dans les congélateurs, mais, au contraire, qu’il n’y en ait pas assez.
Le Président de la République, dans son discours d’hier, a pris la mesure de cet enjeu crucial. L’accélération est impérative, nous devons nous donner les moyens d’y parvenir. Le Gouvernement n’a désormais d’autre choix que de réussir. Le succès de la vaccination est entre les mains de l’exécutif, tenu à une obligation de résultat. Il sait qu’il peut compter sur l’ensemble des élus locaux, qui ne cessent de faire la preuve de leur dévouement et de leur efficacité.
Plusieurs groupes de notre assemblée ont annoncé leur intention de ne pas participer au vote qui conclura ce débat. Je comprends leur agacement et, pour certains, leur irritation. La Ve République n’est pas tendre pour le Parlement et ce n’est pas la première fois que nous nous plaignons de la façon dont nous sommes traités par l’exécutif.
Toutefois, la question qui nous est posée aujourd’hui est d’une telle importance pour l’avenir de nos concitoyens, pour les mois et, peut-être, pour les années à venir, pour notre santé, pour notre économie, pour notre futur en un mot, qu’il ne nous paraît pas possible, en plein milieu de la pire crise sanitaire depuis des années, de ne pas prendre nos responsabilités. Les Français ont le droit de connaître l’opinion de leurs élus lorsque l’essentiel est en jeu. C’est la raison pour laquelle nous participerons à ce scrutin. (M. François Patriat applaudit.)
C’est toujours lorsque l’on est sur le point de réussir que la tentation de renoncer est la plus forte ; c’est toujours le dernier effort qui est le plus douloureux ; c’est celui qui nous est demandé aujourd’hui. Pour la première fois, il est accompagné d’un message d’espoir crédible qui permet de fixer des échéances précises et annoncées.
Cette crise est une épreuve, mais ce n’est qu’une épreuve et l’humanité en a surmonté de bien plus graves. Dans quelques mois, grâce aux vaccins, grâce à notre respect des règles, grâce à notre solidarité, 2021 sera l’année où nous surmonterons à notre tour l’épreuve qui nous est assignée. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – M. Gérard Longuet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, un an de pandémie et bientôt 100 000 morts en France, près de 3 millions dans le monde ; un an de pandémie et 4,6 millions de malades ; un an de pandémie et un personnel soignant à bout de souffle ; un an de pandémie et des inégalités sociales qui explosent ; un an de pandémie et plus de 10 millions de pauvres dans notre pays ; un an de pandémie et une entreprise sur trois menacée de faillite, malgré les aides gouvernementales ; un an de pandémie et de détresse psychologique ; un an de pandémie et une jeunesse aux abois ; un an de pandémie et une vie sociale et culturelle sous cloche ; un an de pandémie et des perspectives toujours aussi incertaines.
Le bilan sanitaire, social et économique du covid-19 est dramatique et ses conséquences se feront ressentir pendant des années. Ce bilan n’est toutefois pas celui du Gouvernement. Vous avez agi, le plus souvent, du mieux que vous pouviez, monsieur le Premier ministre, et il serait prétentieux et malvenu d’expliquer que nous aurions fait beaucoup mieux, mais il n’est pas non plus possible de vous exonérer de votre responsabilité, et en particulier d’exonérer le Président de la République de la sienne.
Monsieur le Premier ministre, je relisais les propos que j’ai tenus lors du débat organisé dans de pareilles circonstances le 29 octobre dernier et cette lecture m’a désespéré : rien n’a changé depuis un an, rien n’a changé depuis cinq mois.
Jupiter l’épidémiologiste, Jupiter le roi thaumaturge, Jupiter le maître des horloges décide de tout, tout seul, et vous venez ensuite faire le service après-vente devant nous. La pertinence de cet exercice pose question.
Puisque nous sommes là, vous ne m’en voudrez pas de reprendre quelques propos de mon intervention du 29 octobre, je déplore toujours, voire davantage, qu’ils soient encore d’une vibrante actualité.
Vous n’avez pas su construire l’union nationale, indispensable à la période. Rien n’a changé et le Président de la République continue vainement de l’invoquer comme on crie dans le vent.
Il aurait été opportun et intelligent d’associer la représentation nationale aux décisions permettant de faire face à la situation sanitaire, économique et sociale, tout en protégeant les libertés individuelles. C’est comme cela que fonctionne une démocratie normale. Si l’on avait encore un doute quant au fait que la Ve République n’est pas une démocratie normale, celui-ci est levé depuis un an !
Le Parlement aurait dû retrouver toute sa place, il était dans votre intérêt, dans notre intérêt collectif, d’associer réellement l’opposition aux prises de décisions. Encore moins que d’habitude, l’exécutif ne peut avoir raison tout seul.
La complexité du défi auquel nous faisons face aurait nécessité, et nécessite toujours de s’appuyer sur l’intelligence et sur la responsabilité collective des élus du peuple plutôt que sur l’intelligence d’un seul homme – aussi supérieure soit-elle –, qui n’est responsable devant personne, selon notre bancale Constitution.
En la matière, vous auriez également dû associer beaucoup plus étroitement les élus locaux. Hélas, la consultation des territoires au préalable de décisions d’ampleur nationale comme celles que vous présentez aujourd’hui est toujours inexistante.
Quand les élus sont responsables et de bonne composition à votre endroit, je pense par exemple au maire de Lyon, vos ministres les récompensent par des accusations fallacieuses et des polémiques médiocres, au lieu de consacrer leur temps et leur énergie à la résolution de la crise.
La gouvernance demeure solitaire et erratique. Ce manque total de visibilité affaiblit chaque jour davantage l’acceptabilité des mesures qui sont prises et leur efficacité. C’est un cercle vicieux qui nous dessert toutes et tous collectivement.
En un an, vous n’avez jamais été capables de donner de la visibilité aux Françaises et aux Français. Certes, la situation est instable et difficilement prévisible, mais d’autres pays ont fait beaucoup mieux, je pense notamment à l’Afrique du Sud, pourtant très durement touchée par le virus, qui a pris le temps d’élaborer un mode de gouvernance intéressant.
En lien avec le parlement, le gouvernement y a mis en place un barème à cinq niveaux d’alerte, à la manière de notre barème Vigipirate. À chaque niveau correspond progressivement un certain nombre de mesures de distanciation et de restriction de la liberté de mouvement et d’activité. Le changement de niveau est activé par le gouvernement, sur la base de critères objectifs : circulation du virus, nombre de décès, niveau d’occupation des hôpitaux.
Monsieur le Premier ministre, qu’est-ce qui empêche le Gouvernement de mettre en place un tel dispositif, qui permettrait de donner de la visibilité aux Françaises et aux Français, aux élus locaux et aux entreprises, de renforcer l’acceptabilité des mesures et de soulager notre démocratie ?
Enfin, qu’est-ce qui empêche également de demander à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), comme l’ont d’ailleurs fait aussi l’Afrique du Sud et l’Inde, la levée des brevets sur les vaccins, car pour vacciner, il faut des vaccins et il faut en produire.
Ce constat longuement posé, c’est désabusé et sans grand espoir que vous entendiez mon message que je vais néanmoins formuler quelques demandes pour accompagner les mesures que vous présentez cet après-midi et dont je ne conteste pas, faute d’alternative, le bien-fondé.
Il faut, d’abord, renforcer les moyens de l’hôpital. Le Ségur de la santé est insuffisant, les soignants sont exsangues, on peine à recruter des infirmières et des infirmiers. Il faut les récompenser davantage pour les efforts de la période et revaloriser leurs salaires de manière pérenne et significative.
Il faut aussi renforcer les moyens matériels et humains. Le Président de la République promettait jusqu’à 12 000 lits de réanimation en octobre, nous en sommes, selon ses dires, à 7 000. À Lyon, à Bordeaux, les hôpitaux militaires ferment alors qu’ils auraient pu accueillir des malades.
Monsieur le ministre, entendez enfin la lassitude et l’exaspération des soignants sans lesquels le bilan de la pandémie serait catastrophique. Comment cette crise n’a-t-elle pas encore débouché sur un plan Marshall pour l’hôpital public ?
D’autre part, il est plus que temps de prendre des mesures d’urgence sociale dignes de ce nom. Nous avons déjà des mois de retard : 10 millions de pauvres, des étudiants qui vont à la soupe populaire, votre dogmatisme néo-libéral est incompréhensible. Il faut abroger la réforme de l’assurance chômage, augmenter les minimas sociaux et automatiser leurs versements, élargir le RSA aux moins de 25 ans, rétablir les contrats aidés, aider les associations et tendre, demain, vers un revenu universel.
Nous vous demandons également une vigilance accrue envers tous les publics exposés par le confinement : les personnes seules, les personnes psychologiquement fragiles, les victimes de violences conjugales, tout particulièrement les femmes.
Vous fermez les écoles un mois, le temps des vacances de Pâques. Nous vous faisions cette proposition la semaine dernière, lors des questions au Gouvernement…
M. Guillaume Gontard. Nous sommes aujourd’hui soulagés que l’évidence ait fini par s’imposer.
Le retard de la vaccination explique, en partie, cette situation et les personnels scolaires doivent devenir un public prioritaire, car le manque de moyens, notamment humains, et les difficultés à trouver des remplaçants en sont aussi responsables.
Hier, le Président de la République évoquait le « combat du siècle » à propos du décrochage scolaire et des retards d’apprentissage de notre jeunesse. Espérons que, pour une fois, il ne s’agisse pas de ces propos incantatoires dont il a tant l’habitude, car il faut des moyens considérables pour notre école, pour dédoubler les classes, pour recruter et pour revaloriser les traitements des enseignants.
Pour financer cet effort national sans précédent, les hauts revenus doivent être mis à contribution. Enfermé dans votre idéologie, vous vous y refusez depuis le printemps dernier, pourtant, c’est indispensable d’un point de vue financier comme d’un point de vue moral pour garantir l’unité du pays.
Il faut mettre en place une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus dont la richesse s’accroît encore malgré la crise. Il en faut une autre sur toutes les entreprises qui ont fait des bénéfices grâce à la crise, notamment les géants de la vente en ligne et les grandes surfaces.
Monsieur le Premier ministre, les écologistes n’ont cessé d’être constructifs durant cette crise qui nous engage toutes et tous. Nous continuerons à l’être, quand vous voudrez bien nous consulter en amont. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, je le regrette, et vous comprendrez que nous ne prenions pas part, non plus, à cette mascarade démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)