M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, le groupe Les Républicains se félicite de ce qu’un accord ait pu être trouvé entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

Je tiens à saluer particulièrement François-Noël Buffet, président de la commission des lois et auteur de cette proposition de loi d’initiative purement sénatoriale et transpartisane, ainsi que le rapporteur, Christophe-André Frassa. Leur travail honore, une fois de plus, le Sénat.

Les travaux de notre assemblée ont été sérieux, comme de coutume. Ce n’est donc pas une surprise si nos collègues de l’Assemblée nationale ont conservé les dispositions de fond de ce texte.

La proposition de loi tire les conséquences d’une récente décision du Conseil constitutionnel. Cette dernière fait suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France pour conditions indignes de détention de détenus. Le Conseil constitutionnel avait alors déclaré contraire à la Constitution le second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale et demandé au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge par rapport à des conditions de détention qui porteraient atteinte à leur dignité.

L’inaction du Gouvernement en la matière, malgré l’échéance du 1er mars fixée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 octobre 2020, a conduit le Sénat à proposer un texte permettant de concilier à la fois le droit à des conditions dignes de détention et la nécessité de garantir la sécurité des Français. Grâce à cette initiative du Sénat, notre droit sera bientôt mis en conformité avec les normes internationales. La France évitera ainsi d’éventuelles condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme, vœu qui vous semble cher, monsieur le garde des sceaux.

Pour la première fois, les requérants disposeront d’une voie de recours effective pour faire cesser ces conditions de détention indignes, ce que ne permettent pas actuellement les seules procédures de référé.

Grâce au travail du rapporteur sur le texte, le Sénat a veillé à associer, avec pertinence, le juge d’instruction à la procédure instituée par la proposition de loi. Ce n’est pas sans importance, puisque près de 30 % des personnes incarcérées en France ont la qualité de prévenu et sont donc placées en détention provisoire.

Notre assemblée a aussi amélioré la proposition initiale en complétant les possibilités de recours. Je pense, par exemple, au fait de faire appel de la décision du juge s’agissant de la recevabilité ou non de la requête formulée par le détenu. Elle a également précisé que l’obligation de statuer en appel dans un délai de quinze jours porte uniquement sur l’hypothèse d’un appel émanant du ministère public. Enfin, le requérant aura la faculté de demander à être entendu par le juge alors que la version initiale de cette proposition de loi laissait au seul juge cette faculté.

Il est important de noter que la proposition de loi, du fait de ses dispositions équilibrées, ne consacre pas un droit absolu à la remise en liberté. Le groupe Les Républicains salue ainsi les garanties visant à éviter la libération inconsidérée d’individus dangereux ou susceptibles de récidiver, ainsi que les marges de manœuvre laissées à l’administration pénitentiaire.

Cependant, malgré la création d’un recours effectif, le problème de la surpopulation carcérale reste entier. Les matelas au sol ne sont pas acceptables dans un pays moderne. Cette année encore, la densité carcérale s’établit à 105 % et s’élève même à 122 % dans les maisons d’arrêt. La construction de nouvelles places de prison, régulièrement appelée de ses vœux par le Sénat, constitue la meilleure des solutions pour répondre aux conditions indignes de détention.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. Il remercie le président de la commission des lois d’avoir pris l’initiative de proposer un tel texte et il salue le rapporteur pour le travail qu’il a mené, en bonne intelligence avec nos collègues députés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement. En outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 144-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice des dispositions de l’article 803-8 garantissant le droit de la personne d’être détenue dans des conditions respectant sa dignité, le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues à l’article 147, dès que les conditions prévues à l’article 144 et au présent article ne sont plus remplies. » ;

2° Le III de l’article 707 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le droit de cette personne d’être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par les dispositions de l’article 803-8. » ;

3° Après l’article 803-7, il est inséré un article 803-8 ainsi rédigé :

« Art. 803-8. – I. – Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes.

« Si les allégations figurant dans la requête sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne, le juge déclare la requête recevable et, le cas échéant, informe par tout moyen le magistrat saisi du dossier de la procédure du dépôt de la requête. Cette décision doit intervenir dans un délai de dix jours à compter de la réception de la requête.

« Toutefois, à peine d’irrecevabilité, aucune nouvelle requête ne peut être formée tant qu’il n’a pas été statué, dans les délais prévus au présent article, sur une précédente requête ou, si celle-ci a été jugée infondée, tant qu’un élément nouveau ne modifie pas les conditions de détention.

« Si le juge estime la requête recevable, il procède ou fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois jours ouvrables et dix jours à compter de la décision prévue au deuxième alinéa du présent I.

« Si le juge estime la requête fondée, il fait connaître à l’administration pénitentiaire, dans un délai de dix jours à compter de la décision prévue au même deuxième alinéa, les conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité de la personne humaine et il fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour permettre de mettre fin, par tout moyen, à ces conditions de détention. Avant la fin de ce délai, l’administration pénitentiaire informe le juge des mesures qui ont été prises. Le juge ne peut enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées et celle-ci est seule compétente pour apprécier les moyens devant être mis en œuvre. Elle peut, à cette fin, transférer la personne dans un autre établissement pénitentiaire, sous réserve, s’il s’agit d’une personne prévenue, de l’accord du magistrat saisi du dossier de la procédure.

« II. – Si, à l’issue du délai fixé en application du dernier alinéa du I, le juge constate, au vu des éléments transmis par l’administration pénitentiaire concernant les mesures prises et de toute vérification qu’il estime utile, qu’il n’a pas été mis fin aux conditions indignes de détention, il prend, dans un délai de dix jours, l’une des décisions suivantes :

« 1° Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire ;

« 2° Soit, si la personne est en détention provisoire, il ordonne sa mise en liberté immédiate, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique ;

« 3° Soit, si la personne est définitivement condamnée et si elle est éligible à une telle mesure, il ordonne une des mesures prévues au III de l’article 707.

« Le juge peut toutefois refuser de rendre l’une des décisions prévues aux 1° à 3° du présent II au motif que la personne s’est opposée à un transfèrement qui lui a été proposé par l’administration pénitentiaire en application du dernier alinéa du I, sauf s’il s’agit d’un condamné et si ce transfèrement aurait causé, eu égard au lieu de résidence de sa famille, une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale.

« III. – Les décisions prévues au présent article sont motivées. Les décisions du juge prévues au dernier alinéa du I et au II sont prises au vu de la requête et des observations de la personne détenue ou, s’il y a lieu, de son avocat, des observations écrites de l’administration pénitentiaire et de l’avis écrit du procureur de la République ainsi que, le cas échéant, si le juge l’estime nécessaire, de l’avis du juge d’instruction. Le requérant peut demander à être entendu par le juge, assisté s’il y a lieu de son avocat. Dans ce cas, le juge doit également entendre le ministère public et le représentant de l’administration pénitentiaire si ceux-ci en font la demande. Ces auditions peuvent être réalisées selon un moyen de télécommunication audiovisuelle en application de l’article 706-71.

« Les décisions prévues aux deuxième et dernier alinéas du I et au II du présent article peuvent faire l’objet d’un appel devant le président de la chambre de l’instruction ou devant le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel. Cet appel est interjeté dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision ; l’affaire doit être examinée dans un délai d’un mois. Lorsqu’il est formé dans le délai de vingt-quatre heures, l’appel du ministère public est suspensif ; l’affaire doit alors être examinée dans un délai de quinze jours, faute de quoi l’appel est non avenu.

« À défaut de respect des délais prévus au présent article, la personne détenue peut saisir directement le président de la chambre de l’instruction ou le président de la chambre de l’application des peines.

« IV. – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État.

« Ce décret précise notamment :

« 1° Les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention ou du juge de l’application des peines ;

« 2° La nature des vérifications que le juge peut ordonner en application de l’avant-dernier alinéa du I, sans préjudice de sa possibilité d’ordonner une expertise ou de se transporter sur les lieux de détention ;

« 3° Dans quelle mesure, à compter de la décision prévue au dernier alinéa du même I, le juge administratif, s’il a été saisi par la personne condamnée, n’est plus compétent pour ordonner son transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire. » ;

4° Le premier alinéa de l’article 804 est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».

M. le président. Sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur ce texte ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Sans allonger les débats, je voudrais rappeler un certain nombre de choses, notamment les conditions dans lesquelles ce texte est arrivé devant le Parlement.

Trois décisions juridictionnelles successives ont été rendues. La Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation, puis le Conseil constitutionnel ont demandé que nous mettions en place avant le 1er mars une procédure – j’insiste sur ce terme – permettant à un détenu de saisir le juge de ses conditions d’incarcération. Au mois de décembre dernier, à l’occasion d’un texte examiné devant le Parlement, M. le garde des sceaux a essayé de prendre, par voie d’amendement, une disposition pas très éloignée de la proposition faite au travers du texte que nous allons voter aujourd’hui, de façon à répondre à cette exigence. Cet amendement ayant été considéré comme un cavalier législatif, il n’a pu prospérer.

Il faut rendre hommage à Jean-Pierre Sueur, qui a ouvert le débat lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Il a également fait état de cette difficulté en commission des lois.

À l’occasion d’une conférence des présidents au Sénat – disons les choses telles qu’elles sont –, notre collègue Jean-Pierre Sueur est de nouveau intervenu sur le sujet. J’ai alors saisi l’opportunité de déposer cette proposition de loi, le ministre chargé des relations avec le Parlement étant présent et ayant donné un accord de principe. Vous avez accepté, monsieur le garde des sceaux, que ce texte soit examiné en procédure accélérée, ce qui nous a permis d’avancer rapidement sur cette question.

In fine, nous sommes en droit de nous réjouir à la fois de l’aboutissement de cette commission mixte paritaire, du travail de notre rapporteur, Christophe-André Frassa, et de celui de Mme Abadie à l’Assemblée nationale dans des délais aussi brefs. Les deux assemblées se sont mises d’accord, ce qui n’est jamais facile, car les discussions sont souvent sans fin, quelqu’un voulant toujours ajouter quelque chose. Quoi qu’il en soit, la commission mixte paritaire a été conclusive.

Ce soir, par notre vote, nous allons confirmer ces conclusions. L’Assemblée nationale le fera également à son tour très rapidement – de mémoire, la semaine prochaine. Nous aurons alors, à un mois près, répondu à la demande du Conseil constitutionnel. C’est certes important, mais, ce qui est plus important encore, c’est de permettre la mise en place de cette procédure dans notre droit, ce qui constitue une avancée.

Ce texte va-t-il résoudre le problème de la surpopulation carcérale ? La réponse est non, car c’est un autre débat. En revanche, nous avions besoin de ce texte. Je remercie donc toutes celles et tous ceux, à l’Assemblée nationale et au Sénat, qui ont participé activement à son adoption. Je vous remercie également, monsieur le garde des sceaux, de votre collaboration efficace. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

M. Jean-Pierre Sueur. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstient !

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention
 

5

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, a demandé l’interversion des textes inscrits à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du jeudi 15 avril 2021 après-midi.

En conséquence, la proposition de résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA sera examinée avant la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité.

Acte est donné de cette demande.

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 30 mars 2021 :

À quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République (texte de la commission n° 455 rectifié, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER