Sommaire
Présidence de Mme Laurence Rossignol
Secrétaires :
Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Patricia Schillinger.
2. Modification de l’ordre du jour
3. Droit à mourir dans la dignité. – Discussion et retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi modifiée
Discussion générale :
Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la proposition de loi
Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
Clôture de la discussion générale.
Retrait de l’ordre du jour de la proposition de loi modifiée.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
4. Lutte contre le plastique. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Angèle Préville, auteure de la proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 rectifié de M. Olivier Cigolotti. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 8 rectifié de M. Jean-Jacques Lozach. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié de M. Michel Savin. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 10 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 5 rectifié de M. Éric Gold. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
5. Création d’une vignette « collection » pour les véhicules d’époque. – Adoption d’une proposition de loi modifiée
Discussion générale :
M. Jean-Pierre Moga, auteur de la proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 rectifié bis de M. Jean-Paul Prince. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié de M. Vincent Delahaye. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Jean-Paul Prince. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié ter de M. Jean-Pierre Moga. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
M. Jean-François Longeot, rapporteur
Adoption de la proposition de loi modifiée.
6. Lutte contre les fraudes sociales. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. Olivier Dussopt, ministre délégué
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 de Mme Monique Lubin. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 1 de M. Michel Canevet. – Devenu sans objet.
Article additionnel après l’article 6
Amendement n° 12 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 8
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 12
Amendement n° 15 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Amendement n° 13 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 14
Amendement n° 18 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 5 rectifié ter de M. Franck Menonville. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 4 de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
7. Élection du Président de la République. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi organique
Discussion générale :
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Adoption définitive, par scrutin public n° 89, du projet de loi organique dans le texte de la commission mixte paritaire.
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date du 10 mars 2021, le Gouvernement demande de modifier l’ordre du jour des jeudis 1er et 8 avril 2021.
Concernant l’ordre du jour du jeudi 1er avril 2021, le Gouvernement demande de compléter l’ordre du jour du matin par l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement et sur la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.
Le Gouvernement demande également l’inscription, l’après-midi, sous réserve de sa transmission, avant la suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République, de la nouvelle lecture de la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification. Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sur ce texte au lundi 29 mars 2021, à douze heures.
Nous pourrions fixer la durée de la discussion générale pour chacun de ces trois textes à quarante-cinq minutes.
Concernant l’ordre du jour du jeudi 8 avril 2021, le Gouvernement demande l’inscription, le matin, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe ou de sa nouvelle lecture.
Pour ce texte, nous pourrions fixer la durée de la discussion générale à quarante-cinq minutes.
Le Gouvernement demande également l’inscription, le matin, et éventuellement l’après-midi et le soir, avant la suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République, du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2021-45 du 20 janvier 2021 et n° 2021-71 du 27 janvier 2021 portant réforme de la formation des élus locaux. Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au mardi 6 avril 2021, à douze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Droit à mourir dans la dignité
Discussion et retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, présentée par Mme Marie-Pierre de La Gontrie et plusieurs de ses collègues (proposition n° 131, résultat des travaux de la commission n° 403, rapport n° 402).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà sept jours, celle qui était notre amie, notre collègue, notre camarade, qui avait été membre d’un gouvernement, Paulette Guinchard-Kunstler, a décidé de finir sa vie en Suisse, dans un pays qui pouvait l’accueillir.
Que nous dit ce choix intime de la situation qui est la nôtre, en France ? Il nous dit d’abord que, contrairement à ce que certains prétendront peut-être, la législation actuelle ne permet pas de répondre aux situations cruelles que vivent nombre de nos compatriotes.
La législation a considérablement évolué dans une période contemporaine, des lois ont permis des progrès : la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite Leonetti, et la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite Claeys-Leonetti. Pour autant, ces textes ne permettent pas de partir sereinement et dignement lorsque l’on n’est pas véritablement dans les tout derniers moments de sa vie.
Chacun le sait, depuis la loi Claeys-Leonetti, ce que l’on appelle la sédation profonde et continue est autorisé, même si personne ne sait d’ailleurs très exactement comment le patient la vit puisque la mort est bien évidemment au bout du chemin.
Ce sujet traverse la société française depuis très longtemps. Le premier à l’avoir soulevé a été Henri Caillavet, en 1978. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a été créée en 1980. Un grand nombre d’initiatives ont été prises depuis, ne serait-ce qu’au Parlement, ce dont on ne peut que se réjouir. Ainsi, plusieurs propositions de loi ont à ce jour été déposées, dont le sérieux n’est, je l’espère, pas contesté, même si le sujet reste difficile.
Que proposons-nous aujourd’hui ? Par son geste, Paulette Guinchard-Kunstler nous montre la difficulté et, d’abord, le doute et les évolutions intimes. Elle n’était pas favorable à une évolution de la législation en la matière. Toutefois, lorsque la maladie l’a rattrapée et placée dans une situation personnelle extrêmement douloureuse, elle a évolué, s’est tournée vers le monde médical et a découvert que la loi Claeys-Leonetti ne pouvait lui être d’aucune aide. S’est alors imposée à elle l’obligation de s’expatrier, comme si le processus n’était pas déjà d’une violence extrême ! Devoir quitter son pays pour mourir constitue évidemment une violence supplémentaire.
C’est pourquoi nous proposons aujourd’hui une aide active à mourir, mais pas dans n’importe quelles circonstances : il faut que la personne soit atteinte d’une maladie grave et incurable, que ses douleurs sont inapaisables, que sa dignité soit mise en cause et, au final, qu’il n’y ait aucun espoir d’amélioration et que sa vie soit devenue proprement insupportable.
Tout cela est très encadré dans notre proposition de loi : des avis médicaux sont nécessaires, les médecins eux-mêmes sont accompagnés par une procédure très balisée, un échange entre médecins est prévu, ainsi qu’un délai, suivi d’un nouvel entretien avec le patient, lequel peut évidemment – est-il besoin de le préciser ? – renoncer à tout moment. La démarche à la fois médicale et collégiale permet de prendre le temps de la réflexion, sans que cette fin de vie soit reportée de manière excessive.
Ce texte prévoit également une clause de conscience pour le personnel soignant. En effet, certains médecins, nous en avons rencontré, ne souhaitent pas avoir à accomplir ce geste, et il faut l’entendre. Il suffit alors qu’ils puissent orienter la personne qui s’adresse à eux vers l’un de leurs confrères, qui pourra, lui, apporter l’apaisement nécessaire.
Certains argueront que nous manquons de recul sur la loi Claeys-Leonetti. À ceux-là je répondrai que ce n’est pas exact. C’est pour cela que j’ai pris l’initiative d’évoquer la situation de Paulette Guinchard-Kunstler. Bien que cette loi existe, un grand nombre de Français quittent le pays pour mourir. Par ailleurs, nous souhaitons que la notion de mort imminente ne soit pas une condition sine qua non, comme le prévoit la loi Claeys-Leonetti, puisqu’il faut véritablement être dans les derniers moments de sa vie pour que ses dispositions s’appliquent.
D’autres avanceront que la réponse à cette situation passe par le développement des soins palliatifs. À ceux-là j’opposerai plusieurs arguments.
D’abord, ce n’est pas la même réponse : les soins palliatifs sont faits pour accompagner le patient atteint d’une maladie à l’issue défavorable, dans une période de grande souffrance, alors qu’il ne souhaite pas forcément finir sa vie volontairement. Par ailleurs, il faut souligner que les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés en France : vingt-six départements – j’insiste sur ce nombre – ne disposent d’aucune unité de soins palliatifs ; le dernier plan en date s’est achevé à la fin de 2018 et n’a pas été reconduit.
C’est pourquoi cette proposition de loi précise – vous l’aurez certainement noté, monsieur le ministre, mes chers collègues – qu’il est indispensable de prévoir, comme corollaire, un développement des soins palliatifs pour en garantir un accès universel dans les trois années à venir. J’indique que, lorsque la Belgique a délibéré sur le droit de finir sa vie, le même jour a été votée une loi sur l’accès universel aux soins palliatifs.
Parlons de la situation dans les autres pays. Dans quelques mois, nous serons l’un des seuls pays européens à ne pas avoir de législation sur la fin de vie telle que nous la proposons aujourd’hui. Certains pays se sont désormais engagés dans cette voie, alors que nous ne les imaginions pas le faire : c’est le cas, à la suite de la Belgique, de la Suisse et des Pays-Bas, du Portugal voilà quelques semaines et de l’Espagne il y a quelques jours, le Sénat espagnol venant de voter une loi en ce sens. Enfin, sous l’impulsion de leurs cours constitutionnelles respectives, l’Allemagne et l’Italie vont devoir elles aussi s’engager dans cette voie. Un grand nombre de pays européens qui nous entourent s’apprêtent à adopter une telle législation, alors même que, vous l’aurez remarqué, certains ont une histoire et une relation à la religion peut-être plus fortes que celles que connaît la France.
Par ailleurs, et c’est toute la particularité de ce sujet, nos compatriotes sont massivement favorables à une telle législation. Des études ont été menées, souvent d’ailleurs aux prémices de l’examen de la loi de bioéthique : elles ont démontré que neuf Français sur dix, y compris, je le précise, ceux qui ont des convictions religieuses affirmées, étaient favorables à l’évolution du texte. À cet égard, le grand nombre de propositions de loi qui ont été déposées, émanant d’environ 250 parlementaires de tous bords, montre que ce sujet est désormais mûr.
Aux sénateurs présents ce matin, je tiens à dire ceci : le Sénat est aujourd’hui face à un choix. Il peut décider de participer à cette réflexion, en modifiant certaines données ou en amendant certaines parties du texte, et ainsi d’y travailler, comme l’ensemble des autres groupes parlementaires. C’est le sens du texte de ce matin. Il peut aussi décider de fermer la porte et de se mettre en dehors de ce débat, de renoncer à y participer et de rejeter le texte.
Je ne dirai pas ce que je pense des perspectives de ce texte, qui sera examiné par l’Assemblée nationale le 8 avril prochain et auquel une majorité de députés seront favorables. Parce que le Sénat a su parfois – pas toujours – être actif sur les questions de société qui nous traversent de manière transpartisane, je vous le dis, mes chers collègues : soyez au rendez-vous aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le recours par des Français à l’euthanasie et au suicide assisté est une réalité, que ce soit à l’étranger ou à l’intérieur même de nos frontières.
Plusieurs d’entre eux se rendent chaque année en Belgique pour bénéficier d’une euthanasie ou en Suisse pour obtenir une assistance au suicide. Le décès par suicide assisté, la semaine dernière, en Suisse, de l’ancienne secrétaire d’État aux personnes âgées, Paulette Guinchard-Kunstler, est le poignant rappel d’une situation qui ne peut nous laisser indifférents, Marie-Pierre de La Gontrie a insisté sur ce point. Tout comme pour l’écrivaine Anne Bert, contrainte de solliciter en 2017 une euthanasie en Belgique, l’ultime recours de Paulette Guinchard-Kunstler nous renvoie à la détresse et à l’angoisse existentielle de nombre de nos concitoyens, que notre législation en matière de fin de vie ne permet pas d’apaiser.
Gardons également à l’esprit une autre réalité, impossible à objectiver : le nombre important de malades atteints d’une affection grave et incurable qui n’ont ni les moyens ni la force de se rendre en Belgique, au Luxembourg ou en Suisse, mais qui ne peuvent pas non plus bénéficier des dispositifs d’accompagnement de la fin de vie institués par la loi Claeys-Leonetti de 2016.
À ces départs à l’étranger s’ajoutent les euthanasies dites clandestines réalisées sur notre territoire : comme l’a rappelé en 2018 le Conseil économique, social et environnemental, entre 2 000 et 4 000 décès annuels résulteraient d’une euthanasie active pratiquée par des professionnels de santé en dépit de son interdiction par la loi.
Avant d’entrer dans le détail des insuffisances de la loi en vigueur, j’insisterai sur le devoir de modestie auquel nous sommes tous tenus, élus comme professionnels de santé, lorsqu’il s’agit d’aborder une question aussi délicate que la fin de vie. Personne ne peut se prévaloir de certitudes sur la manière dont une personne affectée par une maladie incurable appréhende les derniers jours de sa vie et la conception qu’elle se fait d’une fin de vie digne. Nous devons donc nous garder de juger les choix, très personnels et propres à chaque situation, qui sont faits en fin de vie.
Cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, le bilan est mitigé. Si cette loi a permis des avancées indéniables grâce au caractère contraignant des directives anticipées et à la désignation de la personne de confiance, son application reste insatisfaisante. En outre, son dispositif principal, la sédation profonde et continue, ne permet pas de répondre à certaines demandes d’accompagnement de la fin de vie, pourtant parfaitement entendables, au regard de la souffrance du patient.
En 2018, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a pointé en particulier l’absence de registre national des directives anticipées et le défaut de traçabilité des décisions d’arrêt des traitements et d’administration de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Comment comprendre que, cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, nous ne disposions pas d’une vision consolidée des sédations profondes et continues mises en œuvre ?
L’inspection générale des affaires sociales a également regretté l’absence de cadre réglementaire pour l’usage du Midazolam en ville. Dans ces conditions, la réalisation de cette sédation à domicile et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) reste marginale et ne permet pas d’accompagner les mourants dans des conditions optimales.
Monsieur le ministre, quand le Gouvernement compte-t-il autoriser la dispensation du Midazolam en ville, alors que la Haute Autorité de santé la préconise depuis le début de l’année 2020 ?
En dépit des progrès indéniables qu’elle a permis, la loi de 2016 présente des limites qui interrogent le devoir d’humanité, de solidarité et de compassion incombant à notre société.
Tout d’abord, en circonscrivant la possibilité de bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès à des situations soit d’imminence de la mort, soit d’obstination déraisonnable pour les personnes hors d’état d’exprimer leur volonté, ce texte ne laisse finalement encore que peu de place à la volonté du patient.
L’appréciation du caractère insupportable de la souffrance par le médecin semble rester prépondérante dans bien des cas. La souffrance existentielle du patient demeure ainsi difficilement appréhendée par les équipes soignantes, qui restent attachées à une objectivation de la souffrance sur la base de symptômes cliniques.
Ensuite, les critères de l’obstination déraisonnable, de la souffrance réfractaire aux traitements et de l’engagement du pronostic vital à court terme paraissent peu pertinents dans un certain nombre de situations qui, bien que limitées dans leur nombre, sont à l’origine d’une souffrance considérable pour les personnes concernées. Je pense à des maladies neurodégénératives particulièrement graves, telles que la maladie de Charcot, pour lesquelles l’évolution gravement incapacitante de la maladie est la source d’une angoisse existentielle difficilement soutenable.
La loi dans sa rédaction actuelle est également difficile à appliquer dans d’autres situations impliquant soit une dégradation inexorable des capacités cognitives, soit des états végétatifs chroniques. Les éventuels conflits entre la famille et l’équipe soignante dans l’interprétation de la loi rendent alors difficile l’établissement de la volonté du patient par le médecin.
Face à ces situations qui exigent de concilier respect du libre arbitre et protection de la vulnérabilité, notre législation doit rester attentive aux attentes de l’opinion publique, ainsi qu’aux évolutions observées à l’étranger, même si nous devons nous garder de tout suivisme en la matière.
Dans un sondage réalisé au mois de mars 2019, 96 % des Français interrogés se sont déclarés favorables à la reconnaissance et à l’encadrement d’un droit à l’euthanasie. Par ailleurs, plusieurs pays étrangers reconnaissent un droit à l’aide active à mourir, dans le souci de mieux respecter l’autonomie de la personne et son souhait de mourir dans des conditions qu’elle juge dignes : les pays du Benelux bien sûr, mais aussi la Suisse, le Canada, plusieurs États aux États-Unis et en Australie, plus récemment la Nouvelle-Zélande et le Portugal. L’Espagne reconnaîtra elle aussi très prochainement ce droit. Dans ces conditions, la France sera bientôt frontalière de quatre pays autorisant une ou plusieurs modalités de l’aide active à mourir.
Ces législations étrangères peuvent apporter aux patients un surplus d’apaisement psychologique dans l’appréhension de leur fin de vie, sans pour autant les conduire à systématiquement passer à l’acte, tout en garantissant la traçabilité et le contrôle de ces situations.
Dans ces conditions, la proposition de loi dont Marie-Pierre de La Gontrie est la première signataire consacre le droit à une fin de vie digne, en y incluant le droit à bénéficier de l’aide active à mourir, mise en œuvre par le suicide médicalement assisté ou par l’euthanasie. Elle définit également des critères exigeants qui conditionneront le bénéfice de cette aide active à mourir. Dans le respect du libre arbitre du patient, ces critères accordent une place déterminante à l’appréciation que celui-ci fait de sa situation, du caractère insupportable de sa souffrance physique ou psychique ou du caractère indigne de son état de dépendance.
Comme dans les législations des pays du Benelux, la mise en œuvre des aides actives à mourir fera, en outre, l’objet d’un contrôle par une commission nationale qui en assurera la traçabilité.
La proposition de loi ne se cantonne pas à la reconnaissance de l’aide active à mourir. Elle veille également à garantir le respect des volontés de la personne ayant perdu leur capacité, en rénovant notamment le cadre juridique applicable aux directives anticipées pour améliorer leur développement et renforcer leur caractère contraignant.
Enfin, dans le souci d’apporter une réponse globale au « mal mourir » en France, la proposition de loi prévoit de rendre effectif un droit universel à l’accès aux soins palliatifs et à un accompagnement en tout point du territoire dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi. Rappelons que, aujourd’hui encore, vingt-six départements, notamment la Guyane et Mayotte, n’ont pas d’unité de soins palliatifs.
Mes chers collègues, si la commission des affaires sociales a rejeté cette proposition de loi, je vous invite à titre personnel à débattre des dispositions qu’elle contient et à l’adopter. À mon sens, l’objectif de ce texte est susceptible de nous rassembler : garantir enfin à tous le droit de mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le thème qui nous réunit est à la fois universel et puissamment intime. Il nous ramène tous à ce que nous sommes fondamentalement : des êtres marqués par la finitude.
Parler de la fin de vie et de la façon dont la société la regarde, plus ou moins en face, plus ou moins de biais, c’est placer au cœur du débat les conditions de ce moment où chacun affronte sa propre disparition et la façon dont la société nous accompagne, nous et nos proches.
La fin de vie n’est pas un sujet tabou ; en tout cas, elle ne l’est plus depuis longtemps. Il est donc parfaitement légitime que le législateur se saisisse de ce sujet.
J’ai l’habitude de dire que le ministère des solidarités et de la santé est le ministère qui accompagne les Français de leur premier à leur dernier souffle, dans leurs joies, dans leurs peines et dans leurs espoirs.
Comme aide-soignant en Ehpad, comme médecin neurologue et, à ce titre, confronté à des maladies parfois aiguës, parfois chroniques, très dures, j’ai assisté de près à ces moments où un résident, un patient, est confronté à l’imminence de sa mort.
Loin des convictions tranchées et des positions inébranlables, ces moments représentent toujours une épreuve de vérité, avec ses doutes, ses hésitations, ses angoisses et ses craintes souvent, sa sérénité parfois.
Dans le débat qui s’engage, je sais que nous serons à la hauteur de ces doutes. Commençons par regarder ce que la France prévoit d’ores et déjà en matière de fin de vie.
Il y a très précisément cinq ans a été votée dans cet hémicycle la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti, fruit d’un grand consensus national et d’une réflexion nourrie, conduite sous l’égide du Président de la République François Hollande.
Cette loi a permis de faire évoluer notre droit et nos pratiques. Elle a notamment réaffirmé le droit du malade à l’arrêt de tout traitement. Elle a rendu contraignantes les directives anticipées pour les médecins. Répond-elle pour autant à toutes les situations individuelles ? Peut-être pas. En cet instant, j’ai moi aussi une pensée émue pour Paulette Guinchard-Kunstler, femme engagée, militante infatigable, ancienne secrétaire d’État aux personnes âgées, qui vient de nous quitter dans les conditions qui ont été rappelées.
Il me semble néanmoins, comme à de nombreux observateurs, notamment le Comité consultatif national d’éthique (CNCE), qui a rendu un avis sur ce thème en 2020, que la loi actuelle pose en droit un cadre qui permet de résoudre l’immense majorité des situations difficiles que peuvent vivre les patients, leurs familles et, parfois, il faut le rappeler, les communautés soignantes qui ont la lourde tâche de les accompagner. Dans la plupart des situations, le droit actuel permet de trouver une solution. Force est de constater que ce n’est pas le cas dans certaines situations très particulières, qui suscitent des débats nourris dans notre société.
Aujourd’hui, cinq ans après la promulgation de la loi Claeys-Leonetti, le principal enjeu n’est pas tant de la faire évoluer que de la faire connaître aux professionnels de santé, aux professionnels des soins palliatifs, aux accompagnants et aux bénévoles qui travaillent dans ces services et, bien entendu, à tous les Français.
Pour ne donner qu’un exemple, qui donne une idée du chemin à parcourir, je souligne que seuls 18 % des Français de plus de 50 ans ont rédigé leurs directives anticipées.
Par ailleurs, si les professionnels de santé ne sont pas formés et sensibilisés à cette loi, inévitablement, le droit sera mal appliqué, voire ne le sera pas du tout.
Il y a donc du travail, je le concède, et la crise sanitaire nous a sans doute fait perdre un temps précieux, tout autant qu’elle aura mis en lumière nos propres insuffisances.
Durant la crise sanitaire, j’ai été amené à autoriser des traitements par injection de benzodiazépine, comme le Rivotril, pour alléger les souffrances des personnes âgées en détresse respiratoire avec suffocation qui étaient à leur domicile. Je n’occulte pas le débat qui a alors secoué une partie de la société et les réactions parfois extrêmement violentes que j’ai pu essuyer de la part d’une partie de la population qui considérait que soulager des souffrances devenues insupportables et irrémédiables s’apparentait à une forme de je ne sais quel génocide programmé. La situation n’est pas si simple.
Avant de soutenir que la population est très majoritairement prête à faire évoluer le droit, n’oublions pas que, dès lors que l’on ouvre un tel débat et que l’on entre dans le vif du sujet, il faut s’attendre à ce que les discussions soient plus ardues et nécessitent patience, pédagogie, dialogue et discussion. Pour ma part, quand il est question de l’accompagnement de la fin de vie, je ne considère jamais qu’une position est plus morale qu’une autre ni que certains pays sont en avance ou retard par rapport à d’autres.
Encore une fois, cette question touche à l’intime. Elle nécessite, en tout cas elle justifie un débat comme celui que vous permettez d’avoir aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, ce dont je vous remercie.
Rouvrir la discussion sur le cadre juridique, dont les questions sont vertigineuses et d’une profonde intimité, nécessite un débat parlementaire évidemment, mais également, je le crois profondément, un débat national impliquant les Français, les associations, les soignants, les corps intermédiaires.
Assurer la mise en œuvre concrète et réelle du cadre existant constitue en revanche un travail urgent, sur lequel le Gouvernement vous propose d’accélérer et dont la tâche m’incombe en tant que ministre chargé des questions de santé. Je m’attelle d’ores et déjà à ce travail : je tiens à vous annoncer aujourd’hui le lancement, à compter du mois d’avril prochain, d’un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Il s’agira du cinquième plan national, le précédent s’étant il est vrai interrompu en 2019. Je confierai à mes confrères Olivier Mermet et Bruno Richard, unanimement reconnus pour leur implication sur le sujet, le soin de copiloter ce nouveau plan national triennal.
Mieux faire connaître la loi actuelle aux professionnels et aux accompagnants sera l’un des fils conducteurs de ce plan, qui sera largement détaillé au cours des prochaines assises de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs au mois de mai prochain.
Nous inscrirons dans ce plan la nécessité d’améliorer la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels de santé sur la thématique de la fin de vie. Avec Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, nous devons engager un travail pour intégrer la fin de vie aux programmes des formations de santé.
Le plan prévoira aussi un développement de la prise en charge en ville – vous l’avez souhaité et je partage votre point de vue –, qui sera très vite facilitée par la mise à disposition du Midazolam dès la fin de l’année 2021.
Faire connaître la loi pour ne pas avoir un droit bavard et mal appliqué, c’est un impératif, mais ce n’est pas le seul. Il y a également un enjeu de moyens. À cet égard, le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale devra intégrer des mesures nouvelles pour augmenter la dotation socle des soins palliatifs. Ce sera au législateur de définir ces moyens et ce cap.
Au chapitre des moyens, je ne peux pas ne pas rappeler que le Ségur de la santé a prévu pas moins de 7 millions d’euros pour l’appui sanitaire aux Ehpad, ceux-ci incluant la mise en place d’astreintes de soins palliatifs.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat sur la fin de vie est un débat essentiel. Il mérite évidemment de l’apaisement, du sang-froid et tout le temps nécessaire à un sujet de société aussi important.
Nous sommes aujourd’hui encore en plein combat contre la crise virale, avec un système de santé totalement mobilisé, au front, et des mesures sanitaires qui pèsent lourdement sur le quotidien de nos concitoyens.
Pour le dire autrement, je ne pense pas que le moment choisi pour modifier le régime juridique de la fin de vie soit opportun, mais je sais que nos échanges permettront de nous fixer un horizon et de renforcer les dispositifs existants.
L’une des grandes avancées de la loi Claeys-Leonetti est d’avoir permis un accompagnement juste et adapté des personnes en fin de vie. Beaucoup de professionnels des soins palliatifs considèrent d’ailleurs que cette loi, si elle était correctement appliquée, suffirait à protéger l’autonomie de chaque individu face à la mort.
Il y a des situations de grande détresse qu’il faut entendre et pour lesquelles nous devons trouver des solutions, dans leur immense majorité déjà mobilisables dans notre droit.
Sur un sujet aussi sensible, je le répète, sans porter le moindre jugement sur les demandes, dont le fondement relève de l’intimité la plus profonde, sans dogmatisme aucun, j’appelle chacun à la prudence, à la sagesse.
Je me réjouis une nouvelle fois de ce débat. Les positions personnelles des parlementaires sont importantes ; j’en ai également, mais mon rôle ici est de porter la parole et l’engagement du Gouvernement d’améliorer l’application du droit existant, de renforcer les droits des personnes en fin de vie. Je suis ouvert à la réflexion, à la discussion, à l’échange. C’est aussi l’objet du présent débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la question de la fin de vie « interroge chacune et chacun d’entre nous sur son rapport intime à la vie et à la mort. Mais la mort fait partie de la vie, et nos conditions de mort valent bien un débat égal à ceux que nous avons sur nos conditions de vie. » Ces mots, d’une profonde justesse, de Marie-Guite Dufay, amie intime de l’ancienne secrétaire d’État Paulette Guinchard-Kunstler, résonnent dans notre hémicycle alors que nous examinons cette proposition de loi.
La fin de vie est un sujet de société majeur, qui intéresse et mobilise nos concitoyens. En témoignent les dernières enquêtes d’opinion réalisées, selon lesquelles 89 % des Français sont favorables à une évolution de la législation. C’est pourquoi je souhaite remercier l’auteure de cette proposition de loi, Marie-Pierre de La Gontrie, et saluer les travaux de l’association ADMD et de son président, Jean-Luc Romero, dont je connais l’engagement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est présent aujourd’hui.
M. Xavier Iacovelli. Car si le droit a connu des évolutions importantes ces dernières années, nous constatons d’importantes disparités sur notre territoire.
Nous ne pouvons rester muets face aux difficultés juridiques de mise en œuvre de notre législation, qui conduit au départ de nombreux Français à l’étranger lorsque leurs ressources le leur permettent, créant de facto des inégalités liées aux ressources de chacun.
Pour celles et ceux qui en ont les moyens, être contraint de se rendre à l’étranger signifie bien souvent une fin de vie loin de leur pays, sans la présence de leurs proches et de leur famille, privés d’un accompagnement moral si important.
Comme l’indique le CESE dans un avis rendu en 2018, l’offre de soins palliatifs demeure insuffisante dans notre pays et inégalement répartie sur notre territoire, je pense notamment aux outre-mer. Au total, cela a été dit, vingt-six départements, dont Mayotte et La Réunion, ne sont pas dotés d’unités de soins palliatifs. Il convient donc de renforcer cet accès afin de permettre à nos concitoyens d’avoir une fin de vie digne et conforme à leurs souhaits.
Mes chers collègues, comme nos concitoyens, nous avons tous été confrontés à la perte d’un proche. Nous connaissons le sentiment d’impuissance que l’on éprouve durant ses derniers instants, auquel s’ajoute une profonde tristesse.
Que dire alors, et je reprends les mots de Jean-Luc Romero, lorsque ce proche vit ses derniers instants dans la souffrance, sans avoir pu choisir « le moment et la manière d’éteindre soi-même sa propre lumière » ? Pour lui, pour nous, nous ne pouvons évidemment pas l’accepter.
Il s’agit là d’un grand chantier que nous devrons conduire dans les mois et les années à venir, et je sais la mobilisation sur cette question de la majorité présidentielle et du Gouvernement, notamment par la voix du garde des sceaux, et, plus largement, sur l’ensemble des bancs de nos assemblées.
À cet égard, et comme le soulève l’ensemble des acteurs, le renforcement d’unités mobiles de soins palliatifs constituerait une première piste de réflexion.
Cette proposition de loi, qui prévoit d’inscrire dans le code de la santé publique le droit à l’aide active à mourir dans les cas de pathologies au caractère grave et incurable avéré et infligeant une souffrance physique ou psychique, constitue une réponse aux difficultés que pose notre législation.
Elle pose également le sujet essentiel des directives anticipées, en permettant leur développement et en instaurant un fichier national les recensant, ce qui constitue une avancée non négligeable que nous tenons à saluer et à soutenir.
Cette proposition de loi offre une nouvelle liberté sans créer d’obligation. C’est une loi de liberté. En tout état de cause, elle touche à l’intime, à la conception que nous nous faisons de la vie et de la mort. C’est pourquoi chaque membre du groupe RDPI votera ce texte en son âme et conscience. À titre personnel, comme l’écrasante majorité de mon groupe, je voterai pour. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, exceptionnellement, je débuterai par ce qui devrait être la fin de mon intervention : le groupe du RDSE est partagé sur cette proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité.
Il est partagé, car ce texte, au-delà des schémas partisans classiques, touche à ce que nous avons de plus intime, notre rapport à la mort. Il fait rejaillir des situations que nous avons pu connaître pour nos parents, nos amis ou nos proches et qui restent parfois douloureuses.
Il est partagé aussi, car une « bonne mort », pour reprendre l’étymologie du mot euthanasie, ne se décrète pas. Nous pouvons chacun avoir une interprétation de ce qu’elle peut être ou non et cette conception peut évoluer tout au long de notre vie.
À cet égard, je tiens à saluer à mon tour la mémoire de Paulette Guinchard-Kunstler, ancienne secrétaire d’État socialiste, décédée après avoir eu recours à un suicide assisté en Suisse, alors même qu’elle s’était opposée à cette pratique en 2005. Son choix de faire connaître sa décision est une preuve de courage sans commune mesure et force le respect.
Comme je vous l’indiquais, nous sommes partagés, au sein du groupe du RDSE, entre, d’une part, l’équilibre obtenu en 2016 dans la loi Claeys-Leonetti et, d’autre part, l’ouverture d’un véritable droit de mourir dans la dignité. Car au-delà de l’affirmation des droits existants, il nous faut les garantir pleinement, et force est de constater que ce n’est pas le cas.
Concernant les soins palliatifs d’abord, si des progrès ont récemment été effectués, l’on estime que près de 20 % des personnes qui pourraient les solliciter n’y ont pas accès. Les raisons en sont nombreuses : l’absence d’information sur ces soins, le manque de formation des personnels de santé, mais aussi une grande disparité territoriale, selon que l’on réside dans une métropole ou dans un territoire rural – j’en suis témoin.
Ce constat est partagé par le Conseil économique, social et environnemental qui, dans son rapport de 2018 intitulé Fin de vie : la France à l’heure des choix, indiquait que l’offre de soins palliatifs est « insuffisante et inégalement répartie ». C’est d’autant plus vrai qu’un nombre croissant de Français fait le choix du maintien à domicile.
Ce que j’évoque concernant les soins palliatifs est également valable pour les directives anticipées. Créées en 2016, elles devaient permettre de connaître les volontés en termes de soins médicaux d’une personne devenue inconsciente ou incapable de s’exprimer. L’objectif était d’éviter les drames familiaux, comme dans l’affaire Vincent Lambert, dont les proches se sont déchirés durant des années au sujet du consentement qu’aurait ou non donné celui-ci.
À cet égard, on peut regretter que des affaires comme celle-ci n’aient pas incité les pouvoirs publics à lancer une vaste campagne d’information au sujet des directives anticipées.
Au fond, c’est l’absence d’effectivité de la loi actuelle qui fait que certains d’entre nous s’interrogent sur l’opportunité de franchir l’étape supplémentaire qu’est l’ouverture du droit de mourir dans la dignité.
D’autres de nos collègues sont convaincus qu’il faut passer à cette étape : d’abord parce qu’ils sont attachés à la liberté individuelle et pensent que, lorsque les circonstances le justifient, chacun doit pouvoir choisir sa mort ; ensuite parce qu’ils estiment que la sédation profonde et continue, tout comme la notion de non-acharnement thérapeutique, qui consiste au final à endormir et à laisser mourir par l’arrêt des traitements, ne permet pas de garantir une fin de vie digne aujourd’hui ; enfin parce qu’ils considèrent que le cadre juridique posé par l’article 2 est suffisamment rigoureux, ce que l’on ne peut nier.
En prévoyant que le patient doit être en phase terminale ou avancée d’une affection pathologique ou accidentelle, que celle-ci doit être incurable, le législateur apporte de véritables garanties aux plus sceptiques d’entre nous.
Il le fait encore lorsqu’il prévoit que pour bénéficier de ce droit, cette affection doit infliger une souffrance physique ou psychique inapaisable, insupportable ou plaçant le malade dans un état de dépendance qu’il estime incompatible avec sa dignité.
Enfin, ces garanties sont données lorsque les médecins doivent consulter leurs confrères et émettre un avis collégial sur la mise en œuvre de l’aide active à mourir. Nous défendrons d’ailleurs un amendement visant à renforcer cette collégialité.
Comme je vous l’ai dit au début de mon propos, le groupe du RDSE reste partagé sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Rachid Temal applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le philosophe Sully Prudhomme disait : « Il est bon d’apprendre à mourir par volonté, non d’un coup traître. […] Qui sait mourir n’a plus de maître. »
La covid-19 a malheureusement été le maître de nombreuses décisions concernant la fin de vie ces derniers mois. Or, en ce domaine, comme en beaucoup d’autres, les inégalités territoriales sont fortes et il n’est pas excessif d’avancer qu’on meurt, encore trop souvent, dans de mauvaises conditions en France.
La pandémie fut en quelque sorte un miroir grossissant de toutes ces difficultés et des souffrances qu’elles engendrent. Elle a accentué les problèmes de pénurie de médicaments, notamment de Midazolam, utilisé pour les sédations terminales. Les personnes en fin de vie n’ont pas eu accès à ce médicament, conservé pour la réanimation, et un traitement de substitution, le Rivotril, leur a été administré dans les Ehpad. Le décret autorisant son utilisation, dans le cadre de l’urgence sanitaire, n’a malheureusement pas étendu son emploi à domicile.
Enfin, pendant de très longues semaines, les visites des proches et des familles ont été interdites pour les personnes en fin de vie, entravant voire empêchant un accompagnement et une présence indispensables.
Cette proposition de loi en faveur de la légalisation de l’euthanasie, du suicide assisté et d’un accès universel aux soins palliatifs est plus que jamais d’actualité.
Même si la loi dite Claeys-Leonetti constitue une avancée avec l’instauration du droit à la sédation profonde et continue, elle est insuffisante et mal connue, tant par les patients que par les soignants. Les auditions organisées par Michelle Meunier ont par ailleurs confirmé que les directives anticipées étaient rares.
Le Conseil économique, social et environnemental avait fait état en 2018 des difficultés de mise en œuvre du droit à la sédation profonde. Celles-ci ne sont toujours pas résolues et persistent, en raison notamment de problèmes d’ordre médical, juridique et éthique.
Actuellement, l’état du droit conduit de nombreuses personnes à partir à l’étranger, quand elles en ont les moyens, pour y terminer leur vie conformément à leurs souhaits. Cette discrimination par l’argent est intolérable !
Nous ne pouvons que regretter en la matière l’absence de position commune en Europe, où les législations connaissent de profondes disparités en matière d’euthanasie active.
Faut-il redire que cette proposition de loi répond à une demande forte des Français, qui souhaitent que la législation évolue afin d’autoriser les médecins à mettre fin sans souffrance à la vie des personnes qui en font la demande ? Elle constitue un progrès.
C’est une question intime, propre à chacun. Nous connaissons tous des exemples douloureux qui nous conduisent à nous interroger. Nous ne pouvons nous contenter de la législation en cours. Cette proposition de loi est très encadrée : elle prévoit des conditions strictes et précises, un protocole de décision et de mise en œuvre bien défini, et, comme pour tout acte médical, une clause de conscience.
Pour notre groupe, la meilleure prise en considération des volontés des patients et un plus grand respect des conditions de fin de vie sont des éléments fondamentaux pour garantir la liberté et l’égalité des droits devant la mort. D’ailleurs, le texte que nous examinons reprend les termes d’une proposition de loi déposée en 2011 par le groupe communiste, sous l’impulsion de Guy Fischer et Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales.
Parallèlement, comment ne pas s’interroger sur le développement des soins palliatifs, qui a hélas ! pris beaucoup de retard, puisque, entre 2015 et 2018, seuls 210 lits en unités de soins palliatifs ont été créés, ainsi que 6 équipes mobiles.
Le 13 février dernier, l’IGAS a publié un rapport très critique sur l’état des soins palliatifs. Résultat, l’offre « est globalement insuffisante », de fortes disparités régionales étant constatées, « et ne répond pas bien à la demande de la population qui devrait recevoir des soins palliatifs ».
Pour améliorer la fin de vie et mettre en œuvre un droit à mourir dans la dignité, il faut donc faire évoluer la loi, mais également renforcer le développement des soins palliatifs, recruter des professionnels spécialisés, donc bien formés.
J’ai bien entendu votre engagement, monsieur le ministre, mais je pense sincèrement qu’il n’est pas en contradiction avec cette proposition de loi, bien au contraire. Nous verrons dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale si les moyens financiers et humains que vous nous avez promis pour les soins palliatifs sont dégagés.
Pour l’heure, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE voteront en faveur de cette proposition de loi. Nous remercions le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, particulièrement Michelle Meunier et Marie-Pierre de La Gontrie, ainsi que l’association ADMD. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Élisabeth Doineau et M. Henri Cabanel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier notre rapporteure pour la qualité des travaux qu’elle a menés. Comme beaucoup des orateurs qui sont intervenus et qui s’exprimeront aujourd’hui dans le cadre de cette discussion générale, c’est avec beaucoup de modestie que je prendrai la parole au nom de mon groupe sur un texte qui, par essence, ne peut pas faire l’objet d’une position commune.
Dès lors, le vote du groupe Union Centriste sur l’ensemble de cette proposition de loi sera nécessairement partagé. Toutefois, une chose nous rassemble et nous indigne à la fois, et je ne crois pas m’avancer si je dis que cela nous rassemble tous ce matin.
En effet, et pardonnez-moi l’expression, « nous mourrons mal en France ». Un chiffre est particulièrement édifiant, nous sommes plusieurs à l’avoir souligné : vingt-six départements ne disposent pas d’unité de soins palliatifs. Lorsque le décès advient en milieu hospitalier, et en dépit des efforts des personnels, force est de constater que l’environnement du décès ne garantit pas le respect qui est dû à l’intéressé, ainsi qu’aux proches qui l’accompagnent et qui souffrent.
Aussi, les membres du groupe Union Centriste profitent de cette tribune offerte par les auteurs de cette proposition de loi pour attirer solennellement l’attention du Gouvernement sur la nécessité de soutenir le maintien et le développement des unités de soins palliatifs, de veiller à ce que la fin de vie demeure toujours un sujet abordé à sa juste mesure dans l’ensemble des formations des personnels soignants, y compris dans les modules de formation continue.
Cette exigence, monsieur le ministre, permettra d’acculturer les Français aux dispositions toujours trop méconnues de notre droit : nous pensons à la loi du 22 avril 2005, ainsi qu’à la loi du 2 février 2016.
Nous estimons qu’un meilleur usage de nos droits, l’élaboration de directives anticipées ou la désignation d’une personne de confiance sont susceptibles d’éviter aux familles des discussions délicates et parfois sources de tensions insoutenables.
D’ailleurs, monsieur le ministre, pourquoi ne pas envisager de rendre obligatoire la rédaction de directives anticipées dès l’âge de 18 ans et leur renouvellement tous les dix ans au minimum ? L’usage des nouveaux outils, je pense au dossier médical partagé (DMP) par exemple, devrait permettre d’envisager une telle mesure.
Par ailleurs, j’ai été sensible aux propos qu’a tenus en commission la semaine dernière notre collègue Véronique Guillotin. Elle nous a fait part de son expérience de médecin en soins palliatifs à proximité de la frontière belge et expliqué que, dans quasiment tous les cas, une fois que le mourant était convenablement installé à domicile, bien accompagné, que sa douleur était gérée, il revenait sur sa demande initiale.
Cela confirme assurément nos deux premières exigences : une meilleure connaissance et diffusion de notre droit et la mise en place d’environnements respectueux des familles.
Pour ma part, j’estime que ces deux exigences n’étant pas remplies, cette proposition de loi passe partiellement à côté de l’objectif affiché dans son titre : le droit à mourir dans la dignité et, j’ajouterai, dans la sérénité.
Aussi, je voterai contre cette proposition de loi qui, par ailleurs, me semble apporter des solutions à un certain nombre de problèmes bien réels, tout à fait délicats, et que l’on ne peut examiner qu’avec les précautions et la finesse auxquelles nous oblige ce sujet. Il me semble toutefois que ces dispositions sont source d’autres problèmes susceptibles d’être à l’origine de nouveaux contentieux pour les familles.
Disons-le clairement, ce texte ne se situe pas dans le prolongement des lois que j’ai rappelées précédemment. Il prévoit un changement de paradigme en ouvrant la possibilité de recourir au suicide assisté et à l’euthanasie.
Je vous rappelle que le législateur a jusqu’à présent toujours fait l’économie de telles dispositions. Il a choisi d’interdire l’acharnement thérapeutique et préféré à l’euthanasie l’usage de médicaments pour soulager les douleurs, bien qu’ils puissent entraîner la mort, ou encore d’une sédation profonde en cas de douleur réfractaire aux traitements. Ainsi, nos prédécesseurs n’ont jamais souhaité franchir la ligne qui consisterait à légaliser un acte positif ayant pour seule finalité de tuer une personne ou de lui permettre de se suicider, quand bien même celle-ci serait atteinte d’une maladie grave, incurable et qu’elle en ferait la demande.
D’ailleurs, la proposition de loi met en place une fiction juridique, puisque la personne ainsi décédée verrait son décès enregistré comme mort naturelle.
Enfin, je m’arrêterai sur l’article 7, qui précise l’ordre de primauté pour déterminer les conditions d’application du dispositif lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté, en l’absence de directives anticipées ou de désignation de personne de confiance. La proposition de loi prévoit que sera d’abord consulté le partenaire de vie, sans préciser la durée minimale de la relation. Le partenaire ayant vécu trois mois avec le patient serait donc prioritaire sur l’enfant majeur, mais l’enfant mineur, deux mois avant sa majorité, ne serait pas prioritaire sur ses grands-parents ou ses cousins.
Bref, en l’état, cet article ne me semble ni souhaitable ni abouti. Il est surtout susceptible de créer un grand nombre de contentieux, alors que nous recherchons en la matière l’apaisement et la dignité.
Malgré ces remarques, je remercie les auteurs de cette proposition de loi, qui nous permettent de débattre d’un sujet important pour notre société, essentiel pour chacun d’entre nous, et d’une importance considérable pour celles et ceux dont les demandes ne trouvent pas encore satisfaction. Le débat aura assurément contribué à réexposer les demandes, les difficultés à y répondre, les freins sociétaux et les exigences que nous avons pour ce qui existe aujourd’hui et ce qui pourrait exister demain.
C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas la suppression de l’article 1er : le débat doit avoir lieu dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin et M. Stéphane Artano applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sommet de l’abject se rapproche de jour en jour durant ce quinquennat puisque le Gouvernement a décidé d’abandonner nos anciens en reportant aux calendes grecques le projet de loi Autonomie et grand âge et que les sénateurs socialistes, jamais en retard d’une ignominie (Vives protestations sur les travées du groupe SER), proposent comme alternative à la souffrance en fin de vie l’euthanasie ! (« C’est l’hôpital qui se moque de la charité ! » sur les travées du groupe CRCE.)
Ce sont les mêmes qui ont aboli la peine de mort pour les assassins qui souhaitent la rétablir pour les innocents (Applaudissements ironiques et huées sur les travées du groupe SER) dont le seul crime est d’être malades.
Depuis un an que nous sommes entrés en crise épidémique, nous avons accepté, de gré, et surtout de force, de mettre à l’arrêt, ou presque, tout un pays pour protéger la vie humaine, dont le prix est inestimable, notamment celle des personnes les plus fragiles, et ce quitte à imposer de grandes souffrances économiques et sociales à toute une nation solidaire.
Mais ici, dans ce texte, vous venez balayer tous ces sacrifices en offrant comme perspective macabre aux personnes souffrantes le suicide et donc la mort. Projet nauséabond de matérialistes, plus connus sous le vocable antinomique de « progressistes »…
M. Pierre Ouzoulias. C’est un mot que vous ne connaissez pas !
M. Stéphane Ravier. … qui souhaitent éliminer tout ce qui n’est pas utile à la société matérialiste déshumanisée. (Exclamations exaspérées sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Comme le disait le professeur et académicien Jean Bernard : « Il faut ajouter de la vie aux jours lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie. » Et c’est ainsi que j’imagine l’accompagnement des personnes en grandes souffrances ou condamnées à mourir.
Car il y a dans nos établissements de soins palliatifs une médecine tournée vers l’humain dans ses particularités sociales, familiales, physiques et même spirituelles. C’est cette médecine qu’il nous faut soutenir et développer.
La souffrance peut faire peur, la volonté de liberté sans frein peut séduire, l’acharnement thérapeutique peut susciter des interrogations, mais jamais, jamais la mort précipitée ne doit être considérée comme une solution.
Les patients ne souhaitent pas mourir, ils souhaitent ne pas souffrir. Alors il faut leur assurer une fin de vie la plus « confortable » possible, c’est l’honneur de notre société ; il y va de notre conscience individuelle, qui ne saurait céder à l’inconscience collective.
Vous nous parlez de « suicide assisté », en même temps que nombreux, trop nombreux sont nos compatriotes, notamment paysans, commerçants et représentants des forces de l’ordre, qui se suicident pour fuir la détresse de l’abandon. Il faut une grande ambition de solidarité nationale pour endiguer le phénomène plutôt que de le légaliser.
La médecine s’est évertuée jusqu’à nos jours à augmenter l’espérance de vie, faisant de la protection de la vie humaine sa vocation. Vous voulez faire table rase de ce passé en imposant la désespérance de vie, au nom d’une nouvelle liberté. Liberté, voilà un nouveau crime que certains s’apprêtent à commettre en ton nom !
Est-ce cela votre conception d’une société avancée, d’une société moderne, d’une société éclairée ? Tant de lumière finit par vous aveugler, mes chers collègues, au point de ne plus voir que la vie doit rester au-dessus de tout.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à rejeter les arguments fallacieux des tenants de ce texte mortifère. (Des sénateurs des groupes SER et CRCE frappent sur leur pupitre pour couvrir la voix de l’orateur.) Face à l’offensive des marchands de mort, menée par ces fanatiques de l’IVG et de la mise à mort des malades, le Sénat doit plus que jamais justifier son nom et sa qualité de Chambre haute en étant le rempart infranchissable qui, et quoi qu’il en coûte, protégera toujours la vie !
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tout médecin généraliste, j’ai été confronté à la fin de vie de patients atteints de pathologies insupportables ou parfois usés par la vie, désireux d’en finir et l’exprimant régulièrement.
Et pourtant ! Je me souviens de Jeanne, me répétant à chaque visite : « Docteur, je veux en finir, je souffre le martyre. » Voulant m’assurer de sa certitude, je lui dis avec compassion que j’étais prêt à répondre à sa volonté.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ah bon ?
M. René-Paul Savary. Alors, j’ai vu dans son regard non pas une lueur d’espoir que ses souffrances soient abrégées, mais une crainte de ne plus vivre. Elle m’a demandé timidement, humblement, de reporter à plus tard cette décision lourde. Au fond d’elle-même, elle n’était pas prête.
Oui, le doute est permis, la volonté d’un jour n’est pas celle de toujours. Ce dialogue singulier entre un patient et son médecin, s’il doit être encadré par la loi, reste heureusement plus relationnel que législatif.
« Une loi pour celles ou ceux qui vont mourir, nous l’avons, c’est la loi Leonetti-Claeys » : c’est ce que disait Alain Milon, alors président de notre commission des affaires sociales, au moment de son adoption au Sénat, qui est excusé aujourd’hui. Michel Amiel, corapporteur du texte, citait lui Albert Camus, qui a décrit la mort heureuse, « la tête dans les étoiles ». Dans les faits, ce n’est, hélas ! pas ainsi que les choses se passent, disait-il.
Cette proposition de loi s’adresse, elle, à celles ou ceux qui veulent mourir. L’approche éthique est différente, plus sociétale que médicale. Apportera-t-elle l’humanité indispensable à celui qui veut mourir et la sérénité à son entourage et au personnel soignant ? Intimement, je ne suis pas sûr que ce texte réponde à toutes les questions soulevées.
Les patients désireux de mourir le veulent-ils vraiment ? Leur volonté est-elle définitive ? N’est-elle pas orientée ? Considérer que l’euthanasie conduit à une mort naturelle, à déclarer comme telle sur le certificat de décès, n’est-ce pas une source de dérive ? Jusqu’où aller dans le respect de la dignité humaine, tellement différente d’un individu à l’autre dans la vie courante, et donc lors de l’inéluctable fin de vie de chacun ? Et poser la clause de conscience, n’est-ce pas reconnaître implicitement ne pas savoir jusqu’où aller dans l’aide active à mourir ?
Voici quelques propos émanant d’un collectif de médecins en soins palliatifs et de gériatres qui alertent sur ces risques de dérive, vous les avez sûrement lus.
« Dans les pays où l’aide à mourir est proposée, la critique de l’acte devient difficile, voire impossible. Le respect de la conscience et des volontés des médecins et des malades est mis à mal.
« Les patients peuvent ressentir une pression sociale, parfois même familiale, les poussant à demander une mort anticipée. Sommes-nous dès lors toujours dans la thématique du choix ? »
Il doit tenir compte de l’expérience de ces soignants confrontés à la fin de vie insupportable de certains patients. Alors, appliquons déjà les textes existants !
La loi Leonetti-Claeys peut permettre de faire face à plus de situations et répondre aux besoins de celles et ceux qui vont mourir, dont certains veulent en finir. Évaluons d’abord son application. Nous verrons vite qu’elle n’est pas suffisamment mise en œuvre, parce que pas encore assimilée, et pour cause ! Il y a très peu de directives anticipées ; M. le ministre l’a souligné.
Cette loi préconisait un développement des services de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, ce qui n’a toujours pas été fait. Cela fait partie de ces innombrables inégalités territoriales, qui vont de la naissance au dernier jour, et dont tout le monde parle, mais qui ne sont toujours pas résorbées. Et ce n’est pas en répétant loi après loi tout ce qui ne va pas qu’on fait avancer les choses plus vite !
Certains évoquent l’expérience de nos voisins belges ou suisses, ou encore le cas de Paulette Guinchard-Kunstler. D’autres feront peut-être référence, avec beaucoup de sincérité, aux affaires Vincent Humbert ou Vincent Lambert. Ne préférons pas la facilité du débat au respect de l’humanité de la fin de vie.
Oui, la dignité humaine impose le respect de la vie que mérite tout individu jusqu’à son dernier souffle. Non, cette proposition de loi ne semble pas répondre aux incertitudes légitimement soulevées.
Aussi, dans sa majorité, notre groupe ne votera pas la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec l’augmentation progressive de l’espérance de vie et l’évolution de notre société, les questions d’euthanasie agitent et animent régulièrement nos débats sociétaux, ainsi que nos bonnes consciences.
En 2005, la loi Leonetti a permis de faire un grand bond en avant en autorisant toute personne en phase terminale d’une maladie incurable à décider de limiter ou de stopper ses traitements. Si le patient est inconscient, le non-acharnement thérapeutique est décidé à l’issue d’une procédure collégiale. La notion d’obligation de soins palliatifs et d’accompagnement a déjà été introduite dans cette loi.
Rappelons que ce sont des soins actifs et positifs, avec administration d’antalgiques, de corticoïdes ou poursuite de certains traitements, mais dans le seul objectif de soulager le patient jusqu’à la fin. Il n’est aucunement question de provoquer le décès par injection d’une substance létale. L’usage de certains antalgiques, notamment de la famille des opiacés, à forte dose, est autorisé pour des raisons d’efficacité, même s’ils peuvent accidentellement entraîner le décès prématuré du patient.
Il s’agit donc de préserver la dignité de la personne en lui épargnant autant que faire se peut douleurs et souffrances psychologiques.
En 2016, un nouveau pas a été franchi avec la loi Claeys-Leonetti, qui a introduit les notions fondamentales de « directives anticipées » et de « sédation profonde et continue ». Après accord du patient et de la famille, le médecin, à l’aide de produits anesthésiques, peut altérer la conscience du patient et arrêter les traitements, afin d’entraîner un décès en douceur.
La différence fondamentale avec le suicide assisté est simple : ce dispositif s’adresse non pas à des personnes qui veulent mourir, mais à des personnes qui vont mourir.
La loi Claeys-Leonetti a marqué un progrès fondamental dans le traitement des maladies incurables. Il convient désormais – vous l’avez rappelé fort justement, monsieur le ministre – de la faire connaître, de la relayer sur le terrain et de veiller à son application. Un nombre trop important de médecins et de soignants refusent encore, sous prétexte de craintes souvent injustifiées, de mettre en œuvre ses dispositions.
Cette loi a gravé dans le marbre des actes que les médecins pratiquaient déjà dans l’intérêt du patient et des familles, avec beaucoup de compassion et d’humanisme.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous invite, avec le suicide assisté, à un changement de paradigme fondamental.
Il ne s’agit pas simplement, comme certains le pensent, de déterminer si nous y sommes prêts ; il s’agit de savoir si nous considérons qu’une telle option constitue, ou non, un choix de société souhaitable.
Un tel débat ne peut pas se résumer en dix articles. Un encadrement juridique bien plus détaillé est nécessaire.
Le texte soulève beaucoup plus de problèmes qu’il n’apporte de solutions. Je pense par exemple à l’amalgame qui est opéré à l’article 9 entre soins palliatifs et suicide assisté, ou encore au fait d’assimiler, à l’article 3, le suicide assisté à une mort « naturelle »… Très beau sujet de réflexion pour les juristes et les assureurs !
Mes chers collègues, à mon sens, cette proposition de loi ne permet pas d’évaluer et d’encadrer correctement tous les cas de souffrances psychologiques ou physiques qui relèveraient d’un suicide assisté.
Chaque cas est unique et devrait être traité individuellement, après avis d’un comité d’éthique médicale.
Les équipes de soignants le savent : judicieusement appliquée et adaptée en fonction de certaines circonstances, la loi Claeys-Leonetti permet de traiter la grande majorité des cas. Elle me paraît largement suffisante et satisfaisante pour l’heure. Laissons faire les médecins.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du droit individuel à bénéficier de l’aide active à mourir, dans un cadre strictement défini et contrôlé, s’invite régulièrement dans l’actualité. Plusieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens à l’Assemblée nationale. Autour de nous, des pays légalisent cette pratique. La population française, dans sa diversité, y est massivement favorable. Il nous faut donc comprendre ce qui insiste comme ce qui résiste dans ce débat en France.
L’objection première est qu’un tel choix résulterait d’un défaut d’accompagnement de qualité de la fin de vie, d’une non-application ou d’une mauvaise application des lois existantes, ou de l’absence d’unités de soins palliatifs.
Certes, on meurt mal en France. Et, effectivement, les soins palliatifs attendent depuis trois ans un nouveau plan. Les fermetures, toujours en cours, de dizaines de milliers de lits de spécialités médicales, en cancérologie, en pneumologie, en gériatrie, où l’accompagnement de type palliatif s’exerçait, ont de facto diminué l’offre de lits palliatifs. Mais le cas de la Belgique, pionnière des soins palliatifs, et qui a ensuite légalisé l’aide active à mourir, nous le prouve : tout cela n’épuise pas la question, même si, au final, très peu de personnes et de situations sont concernées.
D’ailleurs, cette proposition de loi réaffirme le droit effectif universel à accéder à des soins palliatifs dans tous les départements, proportionnellement à leur population.
La société garantit alors de dignes conditions d’accompagnement et de soins. Pour autant, elle ne peut prétendre définir à la place de la personne atteinte d’une maladie grave et incurable lui infligeant une souffrance inapaisable ni ce qui fait sens pour cette dernière dans le temps qu’il lui reste à vivre ni sa conception personnelle d’une mort digne.
Ce qui insiste donc, c’est la demande que la société entende et respecte le choix, irréductible à l’individu, de décider du moment de partir, et qu’elle permette l’effectivité de ce choix individuel dans le cadre collectif qu’elle a défini.
À l’inverse, même si la société ne condamne pas le droit de se donner la mort – rappelons qu’elle n’attache « pas de réprobation sociale au suicide » –, elle refuse l’aide active de soignants, jamais contraints, puisqu’ils peuvent opposer la clause de conscience. Ce refus condamne souvent à des suicides violents et prématurés, à des pratiques illégales à la seule discrétion des médecins – faut-il dire « du pouvoir médical » ? –, au départ à l’étranger ou à des fins de vie vécues comme indignes par la personne et son entourage.
Ce que le législateur reconnaît par cette proposition de loi, quand la médecine elle-même se retire, c’est le droit de chacun à être aidé pour choisir – j’emprunte cette expression – le moment d’« éteindre la lumière ».
Paulette Guinchard-Kunstler a souhaité que son suicide assisté soit connu dans l’espoir de faire bouger les lignes. Rappelons que, après la première loi Leonetti, défenseuse du développement des soins palliatifs, elle estimait que l’état de la loi française permettait de répondre à toutes les situations. Quand, malade, elle a pris la décision de ne pas aller plus loin, et alors que la loi française ne permettait pas d’accéder à sa demande, elle s’est résolue à partir en Suisse.
Je pense que tout le monde a droit à ce cheminement de liberté et je vous invite à voter la loi le permettant. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la fin de vie anime régulièrement le débat public, ravivée à chaque exemple douloureux d’une fin de vie de souffrances pour un patient et sa famille.
Ces débats ont permis des avancées législatives significatives en matière d’accompagnement pour une fin de vie digne, en particulier grâce aux lois Leonetti et Claeys-Leonetti, votées respectivement en 2005 et en 2016.
Mais pour les malades et leurs familles, pour les associations qui les soutiennent et pour un grand nombre de nos concitoyens, le dispositif législatif actuel demeure insuffisant.
Bien sûr, des mesures telles que l’interdiction de l’obstination déraisonnable, la désignation d’une personne de confiance ou encore l’instauration des directives anticipées constituent des avancées concrètes, quoique parfois méconnues par nos compatriotes, qui y ont encore peu recours.
La législation existante se borne en outre à limiter le choix des patients entre une sédation profonde et continue, souvent suivie d’une lente agonie, et un statu quo thérapeutique entraînant trop fréquemment des souffrances insupportables.
La proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie, que je suis heureux d’avoir cosignée, prend ainsi tout son sens. Elle s’inscrit dans un contexte où la demande des Français d’obtenir le droit de mourir dans la dignité est unanime.
Comme cela a été rappelé, selon un sondage de l’institut Ipsos réalisé au mois de mars 2019, 96 % des personnes interrogées sont favorables à la reconnaissance d’un droit à l’euthanasie. Un tel pourcentage est éloquent et ne peut pas nous laisser indifférents !
Cette proposition de loi vise en outre à rompre avec un système aujourd’hui inégalitaire face à la fin de vie, car seules les personnes qui en ont les moyens peuvent décider de partir à l’étranger afin d’y terminer leur existence conformément à leurs souhaits.
Soulignons à cet égard que, après les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, un quatrième pays européen, le Portugal, vient d’adopter, le 29 janvier dernier, une loi dépénalisant l’euthanasie. L’Espagne est en passe de faire de même, le Congrès des députés ayant approuvé une proposition de loi de régulation de l’euthanasie au mois de décembre 2020, qui devrait être adoptée définitivement à l’issue de la navette parlementaire.
Si comparaison n’est pas raison, nous ne pouvons pas faire fi de cette évolution sociétale, qui s’étend désormais de part et d’autre de nos frontières.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise ainsi à mettre en place un dispositif juste et sécurisant pour les malades et les praticiens en ouvrant enfin le droit pour les patients de solliciter l’aide active à mourir, dans un cadre législatif rigoureux.
Le texte reconnaît à tous les citoyens le droit de pouvoir choisir de mourir dans des conditions dignes et strictement conformes à leurs souhaits.
Mes chers collègues, l’heure de la mort fait légitimement appel pour chacun d’entre nous à des sentiments profonds et personnels, à des convictions intimes. C’est pourquoi il n’est jamais aisé de légiférer en la matière.
Pourtant, et comme d’autres l’ont fait avant nous au sein de la Haute Assemblée, nous pouvons choisir de donner à chacun de nos compatriotes le droit de maîtriser les conditions de sa mort, comme chaque être humain est en droit de choisir les modalités de sa propre vie.
Ce texte prévoit donc d’inscrire dans le code de la santé publique le droit de bénéficier de l’aide active à mourir. Il en définit précisément les conditions de mise en œuvre, ainsi que les critères permettant aux patients de pouvoir y avoir recours.
Considérant qu’il ne peut pas y avoir de fin de vie digne sans qu’un environnement adapté et suffisant soit mis en place autour du patient et de sa famille, la proposition de loi détermine également les modalités de désignation des personnes de confiance et renforce la prise en compte des directives anticipées, en réaffirmant leur caractère contraignant pour l’équipe soignante et en actant la création d’un registre national automatisé. Elle permet par ailleurs à la personne de confiance de demander l’aide active à mourir lorsque le patient a indiqué vouloir en bénéficier dans ses directives anticipées et alors qu’il se trouve hors d’état d’exprimer sa volonté.
Enfin, il ne saurait y avoir d’ouverture de droits nouveaux en matière de fin de vie sans que l’on offre à nos concitoyens la garantie pour tous, où qu’ils se trouvent sur le territoire national et dès lors que leur état de santé le requiert, d’un accès effectif aux soins palliatifs.
Cette proposition de loi institue donc un droit universel d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement, dont la mise en œuvre devra faire l’objet d’un rapport annuel de la part du Gouvernement. Les inégalités territoriales restent en effet criantes en la matière et nécessitent des moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux.
Mes chers collègues, au-delà de nos conceptions philosophiques et de nos appréciations personnelles et intimes, de notre propre rapport à la mort, le texte soumis aujourd’hui à notre examen constitue fondamentalement une loi de liberté. Il n’impose rien, mais il vise à permettre à chacune et chacun d’avoir la faculté ultime de choisir sa fin de vie.
C’est la raison pour laquelle, au-delà de nos sensibilités politiques, je vous invite collectivement à faire en sorte que notre Haute Assemblée soit le fer de lance de cette liberté nouvelle en votant en faveur de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Sophocle écrivait : « Si j’étais mort, je ne serais pas un tel sujet d’affliction pour mes amis ni pour moi-même. » Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi instaurant un droit à mourir, et cette pensée antique s’inscrit parfaitement dans le débat actuel.
En effet, ce texte a été présenté afin d’offrir aux patients volontaires une mort digne, grâce à l’euthanasie ou au suicide assisté.
Lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales, la présidente Catherine Deroche soulignait que la dignité d’un homme était préservée jusqu’à son dernier souffle, malgré la déchéance physique, que nous ne pouvons pas considérer comme indigne.
La question suivante se pose : l’accélération de la fin de vie est-elle un moyen de préserver la dignité humaine ? Mon âme de médecin me fait penser que non.
L’article 2 de la proposition de loi édicte un certain nombre de critères qui permettent aux médecins d’apprécier la recevabilité de la demande d’aide active à mourir. Celle-ci renvoie à la notion de « dernière volonté ». Or comment s’assurer que ce souhait constitue une volonté définitive ? Toute erreur de jugement de la part d’un patient souhaitant bénéficier d’une aide active à mourir serait irréversible. À cet égard, l’exemple évoqué par René-Paul Savary est édifiant.
En dépit de la clause de conscience proposée, le médecin engagerait sa responsabilité morale en acceptant ou en refusant un tel acte. La loi est-elle en mesure d’apporter des réponses appropriées à toutes les situations ? Chaque dossier médical, chaque patient diffère selon les contextes de vie et d’hospitalisation. Il me paraît audacieux de généraliser une pratique aussi exceptionnelle qu’intime.
Par ailleurs, l’article 4 de la proposition de loi définit le régime de la personne dite de confiance, en prévoyant un classement « par ordre de préférence ». Mes chers collègues, je suis père de quatre enfants. Je vous assure être dans l’incapacité la plus totale d’établir un ordre de préférence entre eux.
La position que je défends aujourd’hui semble être similaire à celle du Comité consultatif national d’éthique, qui rappelait en 2019 que la loi n’avait pas vocation à arbitrer ou à résoudre les questions éthiques « nécessairement déchirantes » liées à la fin de vie, mais qu’elle devait poser « un cadre nécessaire pour la cohésion et la solidarité entre les individus dans une société ».
En revanche, je salue l’apport de l’article 9 de la proposition de loi, qui instaure un droit universel aux soins palliatifs. Ce texte nous accorde ainsi la possibilité de dresser un bilan de l’offre de soins palliatifs en France, qui reste bien trop insuffisante à ce jour. Je partage pleinement l’objectif de rendre effectif le droit de bénéficier de ce type de soins. Il me paraît essentiel d’augmenter les moyens afin de permettre au système hospitalier d’accueillir davantage de patients en fin de vie.
Ce mardi, Jean Castex a annoncé la mise en œuvre du deuxième volet du Ségur de la santé, à savoir le « lancement d’une nouvelle politique d’investissements dans le système de santé ». Ce plan est composé d’une enveloppe de 19 milliards d’euros, mais les soins palliatifs n’y sont pas mentionnés. Monsieur le ministre, j’entends vos annonces avec espoir, mais également avec vigilance.
Il me semble contradictoire de concrétiser un droit universel aux soins palliatifs dans cette proposition de loi, sans détailler les moyens qui y seront dévolus, tout en légiférant sur le suicide assisté et l’euthanasie.
Dans son rapport, notre collègue Michelle Meunier fait référence à un sondage publié par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie au mois en février 2021, selon lequel seuls 18 % des Français ont rédigé des directives anticipées. C’est une proportion encore très faible, cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti. Par ailleurs, 54 % des personnes interrogées ne souhaitent pas en rédiger. Ces chiffres nous invitent à tirer la conclusion selon laquelle la majorité des Français ne semblent pas attendre une évolution législative dans ce domaine.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre cette proposition de loi.
Enfin, comme je pense que ce sont nos expériences personnelles ou professionnelles qui forgent notre conviction intime sur le sujet, permettez-moi de vous livrer l’une des miennes. Voilà quelques mois, pour la première fois dans ma carrière professionnelle, j’ai annoncé à une jeune patiente qu’elle allait mourir. Elle m’a demandé le droit à vivre dans la dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité
Article 1er
L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le second alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce droit comprend celui de bénéficier de l’aide active à mourir dans les conditions prévues au présent code et entendue comme : » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« 1° Soit le suicide assisté, qui est la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de cette personne, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin ou une personne agréée ;
« 2° Soit l’euthanasie, qui est le fait par un médecin de mettre fin intentionnellement à la vie d’une personne, à la demande expresse de celle-ci. »
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord les auteurs de la présente proposition de loi, qui nous permettent d’avoir ce débat aujourd’hui.
Nous constatons tous, me semble-t-il, que trop de personnes dans notre pays meurent insuffisamment soulagées, insuffisamment apaisées et, pour tout dire, insuffisamment respectées dans leurs derniers instants. Ce simple fait est une honte collective pour nous tous. La question est de savoir comment nous pouvons avancer. À cet égard, je salue les annonces que M. le ministre vient de faire dans l’hémicycle. Je ne puis que former le vœu qu’elles se traduisent réellement en actes. Ce sera la responsabilité du Gouvernement et la nôtre en tant que parlementaires.
Certains estiment qu’une bonne application de notre législation actuelle suffirait à résoudre de telles situations. C’est très largement exact : beaucoup de personnes dont les conditions de vie sont très dégradées aujourd’hui y trouveraient un bénéfice. Mais il faut regarder les choses en face : il y a un certain nombre de malades pour lesquels la législation actuelle n’est pas adaptée. Ils ne sont peut-être pas très nombreux, mais ils le sont suffisamment pour que le législateur remette le sujet à l’ordre du jour et fasse évoluer la loi.
À mes yeux, le respect de l’autonomie dû aux personnes devrait nous conduire à avancer sur la question de l’aide à mourir, en clair du suicide assisté, et à élaborer un cadre largement acceptable par notre société.
Mais, à titre personnel, je ne partage pas le second volet de cet article 1er, c’est-à-dire l’ouverture du droit à l’euthanasie. C’est la raison pour laquelle je n’approuverai pas cet article.
Je remercie encore une fois les auteurs de cette initiative législative de nous avoir offert l’occasion d’un tel débat. Cela étant, nous savons tous qu’il n’est pas possible de faire évoluer la législation sur un tel sujet dans le cadre d’une proposition de loi. Je m’adresse donc au Gouvernement et lui demande d’inscrire un texte sur cette question à l’ordre du jour du Parlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic, sur l’article.
M. Thierry Cozic. « La mort n’est pas un mal, l’approche de la mort en est un », estimait dans l’Antiquité Quintus Ennius, qui soulevait toute la difficulté à appréhender notre fin de vie.
C’est cette difficulté qui nous réunit aujourd’hui. Les points de vue que nous défendons au sein de la Haute Assemblée ne sont pas tous analogues, mais il est clair qu’un besoin de plus en plus prégnant dans notre société se fait jour. Il est difficile d’expliquer à des familles dont un membre souffre que le seul horizon proposé se résume à une lourde thérapie n’ayant pour fonction que de faire gagner quelques jours de vie supplémentaires. Car de quelle vie parle-t-on ? Une vie faite de souffrances, de douleurs, d’espoirs déçus !
Le besoin impérieux de soulager ceux qui souffrent et ceux qui les accompagnent nous oblige à légiférer.
Le droit à mourir dans la dignité et à bénéficier d’une fin de vie apaisée est attendu par une immense majorité de nos concitoyens. En effet, en 2014, un sondage réalisé par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité révélait que 96 % des Français étaient favorables à l’euthanasie. En 2017, 90 % des Français se déclaraient pour le suicide assisté et 95 % pour l’euthanasie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils témoignent d’une demande forte du corps social.
Jean-Yves Goffi, professeur de philosophie à l’université Pierre-Mendès-France, à Grenoble, spécialiste des questions de bioéthique, explique que l’argument fondamental est le droit ou non de disposer de sa vie. C’est l’argument libéral de la souveraineté sur soi-même. Il est tyrannique de limiter la liberté d’action d’un individu qui, agissant en toute connaissance de cause, ne cause aucun tort aux autres.
Or, depuis le début des années 2000, la législation française a déjà connu à plusieurs reprises des évolutions. Pourtant, les questions liées à la fin de vie n’ont pas toutes trouvé une réponse. La loi Leonetti-Claeys est encore insuffisante. En l’état actuel du droit, de nombreuses personnes en sont réduites à partir à l’étranger, quand elles en ont les moyens, pour y terminer leur vie conformément à leurs souhaits. D’autres parviennent à obtenir d’un médecin une assistance active à mourir. Cela conduit à des inégalités considérables face à la fin de vie.
Mes chers collègues, cette proposition de loi répond à la nécessité de faire évoluer la législation vers une aide active à mourir. C’est la seule voie qui permette d’ouvrir et de faciliter le libre choix de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Permettez-moi de profiter de l’examen de cette proposition de loi pour relayer le témoignage d’une famille. Mme Colette Delcourt, habitant le Pas-de-Calais, avec qui j’ai échangé, a vécu une expérience qui doit nous conduire à nous interroger sur les conditions actuelles de fin de vie et, plus précisément, sur la fin de vie des personnes en situation de handicap mental. La loi Leonetti ne prévoit rien concernant le consentement des personnes handicapées mentales.
Je n’évoquerai pas la douleur infinie que peut représenter pour une mère le fait d’accepter d’être à l’origine de la fin de vie de son fils. Mme Delcourt a cherché des réponses et des accompagnements, mais elle a essentiellement reçu en retour de la culpabilisation, des oppositions, de la peur. Enfin, elle a ressenti de la honte.
Je profite donc de mon intervention pour interpeller le ministre sur un sujet qui va au-delà de la présente proposition de loi. Comment est-il possible d’adapter le recueil du consentement des personnes handicapées mentales ? Vers qui orienter les familles pour les accompagner et les conseiller ? Aujourd’hui, une autorité indépendante, externe aux médecins qui s’occupent du patient, est nécessaire. Comment accompagner, après le décès, les familles qui vivent dans la culpabilité d’avoir inutilement laissé souffrir un proche et de ne pas avoir pu mettre un terme plus tôt à ses souffrances ?
À travers ce témoignage, je veux porter le message des familles de personnes handicapées, qui se retrouvent malheureusement bien seules dans de telles situations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi devrait être la locomotive des grands changements de notre société, mais c’est parfois la société elle-même qui en est à l’origine. Quand elle en fait la demande, nous nous devons, nous, législateurs, de l’entendre.
L’euthanasie et le suicide assisté sont des dispositifs législatifs déjà en place dans certains pays d’Europe, comme mes collègues l’ont déjà indiqué. Disons-le, en la matière, la France a encore du retard par rapport à ses voisins.
Deux textes, la loi Leonetti de 2005 et la loi Claeys-Leonetti de 2016, prévoient des dispositions à ce sujet, mais ils ne font que préciser les modalités d’accompagnement médical de la fin de vie, en se fondant sur deux piliers : la lutte conte l’acharnement thérapeutique et l’amélioration des conditions de vie du patient en fin de vie. Très concrètement, ces textes ne garantissent en aucun cas la possibilité pour une personne de décider de son sort et de sa fin de vie.
Comme vous le savez, cette situation pousse certains Français à quitter le pays pour terminer leur vie à l’étranger, comme en Suisse, où environ quatre-vingts personnes se rendent chaque année.
Pourtant, la société évolue sur ce sujet : selon un sondage Ipsos de mars 2019, déjà cité, 96 % des Français sont favorables à la reconnaissance du droit à l’euthanasie. Alors, faisons-le : établissons le droit à mourir dans la dignité en France en votant cette proposition de loi !
La grande majorité du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte et nous remercions Marie-Pierre de La Gontrie et Michelle Meunier, respectivement autrice et rapporteure de cette proposition de loi, ainsi que l’ADMD pour son travail et son action. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, Paulette Guinchard-Kunstler nous a quittés à l’âge de 71 ans, en nous adressant un dernier message.
La première fois que l’on croisait Paulette, on était enveloppé par sa gentillesse, sa bonté, sa bienveillance, sa gouaille, son regard franc et rieur que ne venaient pas troubler les longues mèches grises qui lui couvraient la moitié du visage.
Fille de paysan, issue d’une fratrie de huit enfants, elle s’engage dans sa ville professionnelle comme infirmière en psychiatrie auprès d’enfants autistes. Elle s’engage aussi en politique, dès ses 20 ans, d’abord par la voie du syndicalisme agricole catholique, puis au PSU de Michel Rocard et, enfin, au PS de François Mitterrand, auquel elle restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie.
Maire, députée, secrétaire d’État, auteure de la grande loi sur l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), Paulette Guinchard-Kunstler était malade depuis près de quinze ans. Elle savait, par son expérience familiale, à quoi la conduirait cette maladie dégénérative incurable. Je m’en étais entretenu avec elle alors que j’étais encore ministre.
À cette femme qui a tant souffert et tant fait pour son pays, qu’avons-nous répondu ? Rien. Va mourir en Suisse. Ici, ton corps ne t’appartient pas !
Ce scandale que constitue la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie dans des conditions insupportables nous concerne tous, mes chers collègues. Le temps s’écoule sans faire de bruit.
La décision de Paulette Guinchard-Kunstler doit nous conduire à voter cet article 1er. Nous permettrions ainsi à chacun de vivre avec un sentiment de dignité jusqu’à la fin de ses jours.
Nous parlons d’un droit fondamental de la personne humaine, d’une nouvelle liberté : la liberté de choisir. Mes chers collègues, qui sommes-nous pour vouloir entraver cette liberté ?
« Les grandes peurs périssent d’être reconnues », dit Camus. Et que cette peur-là est grande, je vous le concède ! Commençons par pouvoir décider en conscience des conditions de notre propre fin de vie et méditons cette belle phrase de Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté : « Paulette avait pris sa décision. L’aimer, c’était la respecter. L’aimer, c’était la laisser partir. »
Mes chers collègues, je voterai en conscience l’article 1er de la proposition de loi de Mme de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie représente la conquête d’un droit fondamental : la possibilité pour chacun d’entre nous de mourir dans la dignité.
Inscrire dans le code de la santé publique le droit à l’aide active à mourir est une mesure d’égalité. En effet, en l’état actuel du droit, de nombreuses personnes sont amenées à partir à l’étranger, quand elles en ont les moyens et la possibilité, pour y terminer leur vie conformément à leurs souhaits. À l’inverse, les personnes qui n’en ont pas les moyens financiers et humains ou celles qui sont dans l’impossibilité de se déplacer doivent faire face aux pires difficultés dans leurs derniers jours.
Sur ce sujet, les inégalités sont considérables et elles sont inacceptables pour notre pays. Dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État a lui-même signalé des inégalités territoriales très inquiétantes dans l’accès aux soins palliatifs – n’oublions pas, cela a été dit, que vingt-six départements français n’ont pas d’unité de soins palliatifs.
Il convient également de rappeler que la France se classe parmi les pays d’Europe ayant les taux de suicide les plus élevés chez les personnes âgées.
Le « mal vieillir » est une réalité que le législateur doit prendre en compte dans sa globalité. Nous devons permettre le choix égal et encadré entre continuer à vivre, en bénéficiant de soins palliatifs effectifs, et avoir accès au suicide assisté. Les deux ne sont pas opposés et préservent la dignité de chacun.
Mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cet article 1er pour rendre pleinement effectif le droit à mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade, j’évoquerai la grande figure de Sénèque, qui porte des valeurs essentielles de notre civilisation.
Sénèque disait : « Il y a deux dangers à éviter : se suicider quand il ne le faut pas et ne pas se suicider quand il le faut ». Et il a dit à ses esclaves, quelque temps avant de se suicider lui-même : « Ce serait un aussi mauvais exemple d’empêcher leur maître de mourir que de le tuer » (« Alioqui tam mali exempli esse occidere dominum, quam prohibere »).
Aujourd’hui, le débat est le même. Depuis deux mille ans, notre humanité remue ces questions au plus profond d’elle-même parce qu’elles donnent sens à notre vie.
Vous me permettrez d’évoquer ce que mon grand-père m’a enseigné et l’image de ces résistants qui, sous la torture, ont préféré se suicider, se défenestrer, pour échapper au sort indigne qui leur était réservé. Jusqu’à la fin de sa vie, mon grand-père a lui aussi souhaité pouvoir disposer de sa vie et de sa mort.
Je tente de conduire mon existence selon mes convictions humanistes. Je veux décider de ma mort et je vous demande de m’en donner le droit au nom de mon humanité, au nom de l’humanité que chacun d’entre nous porte en lui. En choisissant ma mort, je veux transmettre aux générations futures l’exigence de la condition humaine, parce que, ma certitude, c’est que c’est la mort qui donne du sens à la vie. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, sur l’article.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Pierre Ouzoulias pour les derniers mots de son propos, ainsi que toutes celles et tous ceux qui se sont exprimés.
Je suis favorable à cette proposition de loi. Cela n’a pas toujours été le cas ; c’est le résultat d’un cheminement personnel, aboutissement de lectures et d’expériences vécues.
Cette question renvoie à l’intime. J’ai été confrontée à des situations difficiles, en particulier à celle d’une amie, atteinte de la maladie de Charcot, et qui, elle aussi, est allée en Suisse.
Ce cheminement a été long, il a aussi été nourri par des échanges avec mon époux, mon fils et des amis. Il s’est appuyé sur une question simple : que ferais-je moi-même à la fin de ma vie si j’étais dans une telle situation, dans le même état de souffrance, ou si je faisais face aux mêmes difficultés pour accéder à des soins palliatifs ou bénéficier des dispositions de la loi Claeys-Leonetti ? Je demanderais le bénéfice de cette dépénalisation. Et j’ai partagé cette décision avec mon entourage.
Pour autant, ai-je le droit d’imposer cette décision à tous ? Ma décision personnelle doit-elle orienter mon choix en tant que législateur ?
En fait, mon choix est partagé par d’autres et je ne l’impose en aucune manière, si bien qu’aujourd’hui, avec force et sans aucune hésitation, je suis favorable à titre personnel à l’article 1er de cette proposition de loi. Nous ne pouvons plus procrastiner, renvoyer la décision de rapport en rapport, de discussion en discussion. Ce n’est plus possible.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les annonces que vous avez faites tout à l’heure et je serai très vigilante sur les montants qui seront attribués aux soins palliatifs.
Je remercie aussi très sincèrement tous les professionnels de santé qui accompagnent les personnes en fin de vie. J’ai eu à vivre une telle expérience et je peux vous dire que ces professionnels font preuve d’un humanisme extraordinaire. Pour autant, cet accompagnement n’est pas possible dans toutes les situations.
C’est pour ces raisons que je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Xavier Iacovelli et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, sur l’article.
M. Rachid Temal. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie d’abord Marie-Pierre de La Gontrie d’avoir déposé cette proposition de loi. C’est un texte important et le Sénat a, d’une certaine façon, rendez-vous avec son histoire : devons-nous aller vers plus de progrès ou attendre une nouvelle fois un énième rapport ?
Ce texte propose finalement une nouvelle liberté, ce qui doit tous, me semble-t-il, nous rassembler. Cette liberté n’est ni une contrainte ni une obligation ; elle sera à la disposition de celles et ceux qui souhaiteront choisir la manière de finir leur vie afin qu’elle soit digne.
Si je vote ce texte, c’est aussi au nom des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité.
La liberté de pouvoir choisir sa fin de vie doit être offerte à tous nos concitoyens ; c’est une question d’égalité. De ce point de vue, je salue les annonces du ministre, d’autant que le précédent plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie a pris fin en 2018…
En tout cas, il ne faut pas opposer la loi Claeys-Leonetti, la sédation, les soins palliatifs et l’aide active à mourir. Toutes ces dispositions sont complémentaires : certains choisiront, dans un premier temps, telle ou telle option avant, le cas échéant, d’en choisir une autre. Cela n’aura rien de grave ! C’est simplement l’expression de la liberté.
Autre principe, la fraternité : comment accepter, cela a été dit, que les gens meurent si mal en France ?
Jean-François Rapin a parlé de sa situation personnelle en tant que médecin, ce qui me conduit à aborder un sujet que je ne pensais pas nécessairement évoquer. Il est évidemment important d’entendre les médecins, mais il faut aussi écouter les patients. Depuis maintenant quinze ans, je vis avec une maladie qui, à terme, je le sais, pourrait me conduire à vivre la situation dont nous parlons ce matin. Je considère qu’il n’est pas acceptable qu’on m’oblige, à ce moment-là, à partir à l’étranger et à mourir ainsi loin de mes proches.
Tel est l’objet de ce texte finalement : permettre à tous les Français qui le souhaitent de mourir dans des conditions dignes et auprès de leurs proches. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – MM. Xavier Iacovelli, Alain Richard et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, sur l’article.
M. Bernard Bonne. Comme une partie du groupe Les Républicains, je voterai contre cet article 1er.
D’abord, je retiens l’engagement du ministre d’engager une réflexion et de débattre rapidement d’un texte, projet ou proposition de loi, permettant de combler certains manques de la loi Leonetti-Claeys afin que celle-ci puisse être réellement appliquée. Nous devons faire en sorte que, partout sur le territoire, chacun puisse mourir dans de bonnes conditions, le plus dignement possible. Aujourd’hui, les choses sont trop différentes selon les départements.
Ensuite, je suis très gêné par l’alinéa 5 de cet article, qui traite de l’euthanasie, c’est-à-dire du fait de mettre fin intentionnellement à la vie d’une personne à sa demande expresse.
Je comprends que des personnes, par exemple lorsqu’elles sont atteintes de la maladie de Charcot, qui est un cas particulier, puissent se poser cette question. Nous devrons discuter de ces situations un peu plus tard. Mais que dire à une personne accidentée, devenue par exemple tétraplégique, lorsqu’elle demande qu’on l’euthanasie ? Doit-on accepter ou essayer de la soulager et de trouver une solution ?
M. Rachid Temal. On doit l’écouter !
M. Bernard Bonne. Un nombre considérable de personnes dans cette situation ont continué de vivre, en trouvant d’autres espérances.
Que dire, de même, aux personnes qui sont handicapées ou dans un état de mal-être extrême et qui demandent qu’on les suicide ou qu’on les aide à mourir ?
Nous devons encore réfléchir à ces questions. On ne peut pas décider de cette manière et aussi rapidement d’ouvrir la possibilité d’euthanasier quelqu’un. Comme le disait Patrick Kanner, il existe une grande différence entre laisser partir et faire partir ! (M. Philippe Mouiller applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l’article.
M. Henri Cabanel. À mon tour, je m’associe aux remerciements à l’endroit de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie, qui a été très explicite lors de son intervention.
Certes, ce sujet est particulièrement difficile et chacune et chacun d’entre nous a sa propre idée. Heureusement, nous avons avancé, notamment grâce à la loi de 2016 ; mais est-ce suffisant ?
Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir annoncé le lancement d’un plan national de développement des soins palliatifs, qui permettra d’appliquer la loi à cet égard. Nous devons avancer sur ce sujet et vous êtes dans votre rôle.
Vous avez aussi parlé des directives anticipées. Vous avez raison, très peu de Français en ont rédigé, mais vous savez comme moi que très peu connaissent cette loi et les nouveaux droits qu’elle leur confère. Il est nécessaire de mieux communiquer sur ce sujet.
Si la loi de 2016 n’est pas suffisante aujourd’hui, c’est parce que trop de malades doivent attendre d’être extrêmement diminués physiquement et mentalement pour avoir droit à des soins palliatifs.
Personnellement, comme une majorité du groupe du RDSE, je suis favorable à cette proposition de loi.
Enfin, je tiens à mon tour à rendre hommage à Mme Guinchard-Kunstler. Je rappelle qu’elle était opposée au droit à mourir, avant de changer d’avis à un certain stade de sa maladie. Son geste doit alimenter notre réflexion : pourquoi a-t-elle changé d’avis ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, sur l’article.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je connaissais bien Paulette Guinchard-Kunstler également – je lui ai succédé à l’Assemblée nationale. Elle a choisi de mettre un terme à son insupportable maladie et de recourir au suicide assisté, qu’elle a rendu public pour faire évoluer la législation. Son engagement humain et social était reconnu et elle était respectée. Tous ses proches ont été bouleversés et j’ai une pensée pour eux, parce qu’il n’a pas été simple de l’accompagner.
Que nous apprend ce geste ?
D’un point de vue individuel, une telle décision est éminemment personnelle et relève de l’intime.
D’un point de vue collectif, le Sénat ne peut pas légiférer dans la précipitation – ce serait contre-productif. En effet, la loi Claeys-Leonetti repose sur un équilibre consensuel : elle évite l’acharnement thérapeutique, mais elle est très différente d’une loi qui autoriserait l’euthanasie.
Lorsque la maladie est violente, certains décident de quitter la vie. J’entends que les dispositions de cette loi ne sont peut-être pas tout à fait adaptées à tous les cas, mais aucun dispositif légal ne peut être adapté à des situations singulières. Si l’on applique strictement le droit, on laisse des gens dans une grande souffrance. Certains malades n’entrent pas dans le cadre de la loi. Il faut donc la faire évoluer pour prendre en compte ces situations exceptionnelles.
Pour autant, j’ai parlé au téléphone avec Régis Aubry, qui a suivi Paulette Guinchard-Kunstler : tout ne peut pas être dit, notamment sur les raisons, très personnelles, qui l’ont conduite à prendre sa décision, mais Régis Aubry est effrayé de voir ce qui se passe en Belgique en matière d’euthanasie. Il est effrayé parce que la médecine génère parfois ce genre de fin de vie. « Est-ce que je dois faire, m’a-t-il demandé, ce que je sais faire ? »
Ouvrir vite et fort l’euthanasie serait très dangereux pour les personnes âgées : certaines pourraient se suicider trop rapidement. Il nous faut plutôt mettre en place un véritable accompagnement du vieillissement, favoriser la recherche sur la fin de vie, créer des instituts des vulnérabilités, etc.
En tout cas, il ne faut pas mélanger l’éthique et la morale. Les juristes, les parlementaires, les médecins, les familles doivent discuter ensemble. Nous avons besoin d’équipes pluridisciplinaires pour qualifier les situations exceptionnelles, mais souvenons-nous que la vraie vie est faite de situations exceptionnelles ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon département est voisin du Luxembourg et de la Belgique, et la question dont nous débattons a une tonalité particulière, puisqu’un certain nombre de nos compatriotes fuient notre pays pour y finir leur vie.
La semaine dernière, j’ai organisé un webinaire avec l’antenne locale de l’ADMD et Marie-Pierre de La Gontrie. Un médecin belge, installé à Bruxelles, qui y participait, Yves de Locht, m’a demandé de vous délivrer un très court message : « J’espère que le Parlement français prendra ses responsabilités et nous soulagera, nous, en Belgique, car j’aimerais que vous voyiez l’état déplorable dans lequel arrivent certains de vos compatriotes qui font des centaines de kilomètres pour être libérés. Ce n’est pas normal ! »
Le docteur de Locht vous remercie ; je vous remercie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, sur l’article.
M. Didier Marie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je remercie Marie-Pierre de La Gontrie de son initiative et, par la même occasion, je salue les associations et les bénévoles qui plaident sans relâche en faveur de l’évolution de la législation vers une aide à mourir.
Depuis 2016, la législation reconnaît un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. C’est le fruit d’un compromis que, à titre personnel, je juge insatisfaisant, car cette sédation est difficilement accessible. En outre, lorsqu’elle est appliquée, elle dure souvent trop longtemps, malheureusement.
Dans notre pays, qui inscrit la liberté au fronton de ses mairies, nous devons en octroyer une nouvelle, celle de mourir dans la dignité, à ceux qui la réclament.
Regardons la réalité en face : les uns et les autres, nous connaissons des situations intolérables, auxquelles la loi Leonetti-Claeys ne permet pas de répondre. Nous connaissons tous des parents, des amis qui, au bout de la souffrance, refusant la dégradation physique, la dégénérescence intellectuelle, ne peuvent pas choisir leur fin, ce qui ajoute une seconde condamnation à celle de la maladie : vivre l’épreuve de leur propre déchéance.
Annoncer sa volonté d’en finir, en disant sa douleur, n’est pas un choix facile ; il faut du courage. On le fait pour soi-même et pour ceux qu’on aime. En retour, aimer cette personne, c’est la comprendre et l’accompagner.
Voter ce texte, c’est faire le choix de la liberté – celle de mourir dignement –, de l’égalité pour tous – pas seulement pour ceux qui peuvent se rendre à l’étranger – et de la fraternité – accepter une telle décision, c’est une preuve d’amour à l’égard de celui qui l’a prise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet, sur l’article.
Mme Annick Jacquemet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
La liberté, c’est celle de vivre, mais c’est aussi celle de mourir, notamment lorsque le corps ou la tête ne vont plus bien ou lorsque plus rien ne va…
Je sais bien qu’il existe un certain nombre de lois, nous les avons évoquées : la loi Leonetti de 2005, la loi Claeys-Leonetti de 2016.
Pour autant, les fins de vie auxquelles nous assistons sont parfois inhumaines. Voir nos proches se dégrader et vivre dans des corps qui ne répondent plus, qui souffrent et qui sont des plaies, ne pouvoir communiquer qu’avec les yeux, en étant impuissant, sans rien pouvoir faire pour les aider, c’est inhumain.
Je remercie nos collègues de présenter un texte qui propose une solution complémentaire à ce qui existe déjà.
Les débats sur ces sujets sont évidemment difficiles, mais j’espère sincèrement que notre assemblée s’offrira la possibilité d’échanger et que chacun pourra faire part de ses convictions et de ses expériences personnelles.
La dernière preuve d’amour qu’on puisse donner à quelqu’un qu’on aime, c’est de l’accompagner jusqu’au bout, c’est de respecter sa volonté et sa décision, même s’il est difficile d’accepter cette séparation. On peut parfois se demander s’il n’est pas un peu égoïste de refuser de voir partir les gens qu’on aime, car ils nous laissent face à un vide. C’est pourquoi j’espère que cette discussion aura bien lieu.
Monsieur le ministre, j’ai entendu vos propositions ; il est vrai que l’accompagnement de la fin de la vie et les soins palliatifs ne sont pas encore suffisamment développés dans notre pays. On parle beaucoup d’hospitalisation à domicile, mais, dans ce cas, les familles sont souvent seules face à leur malade alité toute la journée. (Applaudissements sur des travées du groupe UC, ainsi que sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, nous avons de façon récurrente des débats sur la fin de vie et je suis très surprise que la France soit encore bien en retard dans ce domaine, compte tenu des attentes de bon nombre de nos concitoyens. Nous devons pourtant apporter des réponses humaines à des situations qui ne le sont pas.
Pendant des années, on nous a expliqué que la seule solution responsable et respectueuse de la vie et de l’éthique était la poursuite du développement des soins palliatifs et qu’il n’y avait pas besoin d’autre chose.
Puis, chemin faisant et les autres pays évoluant, les difficultés, les souffrances et les malheurs qui accompagnent certaines fins de vie ont conduit le législateur à voter la loi Claeys-Leonetti.
Cette loi constitue certes une avancée, mais elle n’est pas encore la réponse à la grande question que se posent nos concitoyens sur le droit de mourir dans la dignité. Cette question nous conduit aussi, finalement, à nous interroger sur nos principes fondamentaux : où commence et où finit la liberté de l’individu ?
Comme vient de le dire notre collègue, dans notre République, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ou n’est pas contraire à l’intérêt général.
Quand quelqu’un fait le choix personnel de mettre fin à sa vie, en particulier quand il y a lieu de penser que sa maladie ne lui permettra de survivre, il ne lèse personne, que ce soit la société ou une personne physique ou morale. Permettre le libre choix est donc un principe de droit. C’est ce que prévoit cette proposition de loi et je félicite Mme de La Gontrie et le groupe socialiste d’avoir inscrit ce sujet important à l’ordre du jour de nos travaux.
Ensuite, il est important de faire vivre un autre principe, celui de fraternité, qui est fondé sur la dignité humaine. Quand une personne n’accepte pas l’idée de se voir décliner ou de donner à voir sa déchéance, elle doit avoir le droit fondamental de mettre fin à sa vie.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter cet article et cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Mourir dans la dignité, c’est vivre collectivement dans la dignité et avoir l’assurance que, jusqu’au dernier souffle, la dignité que l’on a essayé de construire tout au long de sa vie sera respectée.
Je n’en dirai pas plus sur le fond parce que cette cause a été bien plaidée dans cet hémicycle, avec beaucoup d’humanité, nos collègues ayant, et c’est rare, parfois mêlé leur réflexion et leur expérience personnelle pour poser un acte politique et législatif. À cet égard, je remercie Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de cette proposition de loi, de son argumentation.
Comme elle, j’en appelle à la responsabilité. Le Sénat est souvent perçu, à tort sur certaines questions, comme une vieille chambre, arrimée au passé. Or, au cours de son histoire, il a souvent fait preuve de courage et a été en pointe sur des sujets de société ou de mœurs, car il était moins soumis à la pression de l’opinion, qui pouvait souvent être hostile, au-delà de la raison, à certaines libertés ou à certains droits fondamentaux.
Aujourd’hui, nous pouvons renouer avec ce passé ou, à tout le moins, nous inscrire dans cette tradition de liberté du Sénat. Ce que nous demandons, c’est que le débat puisse avoir lieu de manière positive, avant que l’Assemblée nationale ne se saisisse à son tour de cette question. Pour cela, il ne doit pas être interrompu.
Si je le dis, c’est parce que je constate, connaissant bien notre hémicycle, que, finalement, ce sont les absents qui vont aujourd’hui décider pour les présents. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce débat ne sert à rien pour le vote final puisque la majorité n’étant pas dans l’hémicycle, nous ne pouvons pas échanger avec elle ou tenter de la convaincre.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. David Assouline. Pour conclure, j’en appelle à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.
M. Jean-François Longeot. À titre personnel, je voterai l’article 1er au nom de la liberté mentionnée dans notre devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Au nom de la liberté, nous devons avoir ce débat.
J’ai bien compris les arguments de ceux qui disent que nous disposons déjà d’outils. Néanmoins, je pense que nous ne pouvons pas sans cesse repousser le débat sur ce sujet compliqué, difficile, il est vrai. Ce débat de société questionne l’humain et nous touche personnellement, mais en notre qualité de parlementaires, nous devons être capables de prendre des décisions et de les assumer, même si elles sont très difficiles.
On a beaucoup parlé de Paulette Guinchard-Kunstler, qui était députée de la circonscription où se trouve la commune dont j’ai été maire. Il est vrai qu’elle n’était pas favorable au suicide assisté, auquel elle a finalement eu recours. C’est une leçon que nous devons méditer.
Aujourd’hui, je peux comprendre que certains veuillent repousser ce débat ou soient contre le suicide assisté, car ils ne sont pas personnellement confrontés à cette difficulté. En tant que parlementaires, il nous faudra prendre une décision à un moment donné. La liberté, c’est de choisir comment vivre, mais aussi de pouvoir mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Lorsque j’ai été élu dans cette assemblée, voilà quelques mois, des élus locaux de mon territoire, des professionnels de santé, des responsables associatifs, des amis, ma famille m’ont dit espérer que je porterais ici la voix de l’amour, de la tendresse, de la bienveillance à l’égard de celles et de ceux qui ne sont plus en mesure d’exprimer quoi que ce soit, qui sont infirmes et qui ne se reconnaissent plus dans la vie qu’ils ont eue, incapables qu’ils sont d’accomplir les choses essentielles de la vie et d’avoir des relations avec les autres.
J’ai en tête l’image que je me faisais du Sénat, à savoir une assemblée dans laquelle on pouvait, de temps à autre, sur des sujets de société, sur des questions concernant les collectivités locales, trouver des consensus qui dépassent les clivages, les a priori et les idéologies. Je pense que c’est possible sur ce sujet.
Il est, selon moi, de notre responsabilité d’entendre les familles, mais aussi les équipes, non seulement de médecins, mais aussi celles qui travaillent dans les Ehpad, dans les centres de rééducation pour personnes victimes d’accidents de la vie dramatiques. Toutes ces équipes ont besoin que le cadre législatif évolue. En effet, cela a été dit, le cadre actuel ne permet pas de répondre de manière bienveillante et adaptée à toutes les situations auxquelles elles sont confrontées.
C’est la raison pour laquelle je souhaite, mes chers collègues, que nous puissions laisser la possibilité au Gouvernement et à la majorité à l’Assemblée nationale, le moment venu, de s’emparer du texte que nous pourrions voter ici. Nous devons continuer à avancer ensemble dans un souci de dignité, de fraternité et, surtout, d’humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Médevielle, Menonville et Chasseing, Mmes Paoli-Gagin et Mélot et MM. Lagourgue et Capus, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er.
La loi Claeys-Leonetti, votée en 2016, a déjà profondément modifié les dispositions applicables en matière d’accompagnement de la fin de vie. Cependant, il est globalement reconnu que cette loi n’est pas encore suffisamment bien appliquée. En conséquence, il semble plus judicieux de s’attacher à la faire appliquer plutôt que de modifier les dispositions déjà applicables, mais non encore appliquées. Je le répète, dans de nombreux cas, cette loi est largement suffisante.
J’ajoute que, dans notre pays, qui est en avance par rapport à d’autres où rien n’est prévu, on peut mettre fin à ses jours sans se rendre ni en Suisse ni en Belgique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure. Cet amendement tend à supprimer l’article 1er de la proposition de loi et donc à ne pas inscrire dans la loi le droit à l’aide active à mourir.
Je ne vous surprendrai pas en vous disant que, à titre personnel, je suis contre la suppression de cet article, car, si la loi Claeys-Leonetti n’est pas suffisamment et uniformément appliquée sur le territoire, il n’en demeure pas moins qu’elle comporte des lacunes. Elle n’offre pas de réponse satisfaisante dans certaines situations dans lesquelles les patients ne peuvent pas bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès parce qu’ils ne remplissent pas les critères, comme l’imminence du décès, par exemple. Dans ces conditions, les patients sont contraints soit de se rendre à l’étranger, soit de se résigner à une dégradation inéluctable et gravement incapacitante de leur état de santé, ce qui est source d’angoisse.
Toutefois, en ma qualité de rapporteure de la commission des affaires sociales, je me dois de dire que, la commission étant globalement opposée au texte, elle a émis un avis favorable sur cet amendement de suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Je remercie l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui se sont exprimés en parole sur l’article 1er. Ce débat est légitime, important, intéressant. Les arguments ont pu être posés. Vous connaissez la position du Gouvernement, que j’ai présentée lors de la discussion générale.
Il y a un point sur lequel nous sommes d’accord, c’est la faible connaissance de loi Claeys-Leonetti et les difficultés à l’appréhender. J’ai eu la chance de travailler sur ce texte, à l’époque où j’étais député…
M. Rachid Temal. Socialiste !
M. Olivier Véran, ministre. … oui, socialiste ! (Sourires.) Ce n’est pas un gros mot, monsieur Temal, je vous rassure. (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre !
M. Olivier Véran, ministre. J’ai annoncé un cinquième plan de développement des soins palliatifs, car il est nécessaire d’avancer dans ce domaine. J’ai vu que cette annonce avait été appréciée.
J’ai également annoncé que nous voulions accélérer le processus pour rendre plus disponible le Midazolam en ville, de manière non pas à faciliter, mais à rendre possible, dans les situations qui le nécessitent, la sédation profonde et terminale, y compris en dehors de l’hôpital, au domicile des personnes.
Au fond, la question que vous posez, madame la sénatrice de La Gontrie, avec cette proposition de loi, va un peu au-delà de celle à laquelle répond la loi Claeys-Leonetti. Elle est la suivante : que faire quand la vie que nous vivons est devenue tellement insupportable que nous préférons la mort ?
L’un de mes professeurs à la faculté de médecine disait qu’on ne peut pas vouloir la mort, puisque, par essence, l’homme n’est pas constitué pour vouloir ce qu’il ne connaît pas. Les considérations religieuses peuvent laisser imaginer qu’il se passe des choses après la mort, mais la mort reste pour beaucoup l’inconnu.
Cela étant, on peut foncièrement et fondamentalement ne plus vouloir vivre la vie que l’on mène lorsque celle-ci est devenue trop insupportable.
Se posent donc deux questions différentes : est-ce que je veux mourir ou est-ce que je ne veux plus vivre la vie devenue insupportable que je vis aujourd’hui ? C’est à cette seconde interrogation que la loi Claeys-Leonetti apporte des réponses. Avec cette loi, il n’y a pas de solution qui ne puisse être apportée à un patient qui serait en souffrance physique, morale, absolument violente, irrémédiable, irréversible. Cette loi permet d’aller jusqu’à la sédation profonde et terminale.
On peut certes discuter de savoir si le fait d’être placé dans le coma, privé d’alimentation, est une façon plus ou moins respectable – pardon pour les mots que j’utilise ! – de soulager une souffrance que d’injecter un produit dans le cœur.
Encore une fois, je ne me positionne pas du côté de la morale et j’évite avec soin de revêtir la blouse de médecin que j’ai pu porter comme neurologue. J’ai d’ailleurs été moi-même confronté à de terribles situations, comme d’autres ici, qui ont fait part de leurs expériences. J’ai annoncé des diagnostics de maladies de Charcot, de sclérose latérale amyotrophique, des accidents vasculaires cérébraux extrêmement graves. J’ai été en lien avec des familles qui, parfois, demandaient que l’on abrège les souffrances d’un de leurs proches incapable d’exprimer ce besoin lui-même.
Il est évident que la situation est moins conflictuelle pour les médecins lorsque des directives anticipées ont été rédigées. Cela étant, il m’est aussi arrivé d’être confronté à des situations dans lesquelles les proches contestaient les directives anticipées. Dans tous les cas, il reste absolument nécessaire d’apaiser l’entourage, la famille, qu’il s’agisse de la fratrie, des parents, des enfants. La disparition de quelqu’un, lorsqu’elle est accompagnée par une décision des proches, fait aussi peser sur ces derniers une forme de responsabilité. Ce n’est pas simple ; c’est même très difficile.
Je me souviens d’un patient assez âgé, hémiplégique à la suite d’un AVC qui avait extrêmement abîmé la moitié de son cerveau. Il avait perdu la parole et ne la retrouverait jamais. Il avait fallu demander à sa femme si nous devions le transférer en réanimation, où il resterait éventuellement quatre ou cinq semaines dans le coma, l’espoir qu’il retrouve un peu de vigilance étant faible, ou si nous devions tout arrêter. Telles sont les questions qui se posent au quotidien pour les soignants.
Nous connaissons tous des couples de personnes âgées qui se disent qu’ils refuseront d’être lourdement handicapés et qu’ils se laisseront partir lorsque la fin de vie arrivera. En réalité, les choses sont plus complexes, car la mort, ou la pré-mort, ne frappe que très rarement à la porte. Souvent, les gens sont victimes d’accidents brutaux, vasculaires ou cardiaques, qui les laissent dans une situation de handicap très sévère, irréversible, que l’on ne peut pas anticiper.
Il faut donc apporter des réponses multiples, renforcer les soins palliatifs et mieux faire connaître la loi Claeys-Leonetti, fruit d’un consensus très fort entre la droite et la gauche, porté par deux grandes personnalités politiques, Alain Claeys et Jean Leonetti.
Je ne dis pas que l’on est arrivé au bout du bout de la démarche, mais, objectivement, dans l’immense majorité des situations, lorsqu’elle est appliquée, cette loi répond aux problématiques rencontrées.
L’autre question, à laquelle vous semblez vouloir répondre par cette proposition de loi, madame la sénatrice, est la suivante : peut-on choisir les conditions et le moment de sa mort ? Évidemment, je peux comprendre que l’annonce d’un plan de développement des soins palliatifs ne réponde pas à cette question, qui est de nature différente.
Cette question, encore une fois, est elle aussi très légitime, mais elle nécessite un débat sociétal. Elle traverse notre société, année après année, décennie après décennie. Des pays qui étaient allés très loin dans l’autorisation du suicide assisté et de l’euthanasie sont un peu revenus en arrière, après avoir été confrontés à des situations qu’ils n’avaient pas suffisamment anticipées, notamment lorsque des mineurs ont été concernés. De telles situations ont provoqué un énorme émoi populaire, les gens se demandant si l’on n’était pas allé trop loin.
Je le répète, je ne me positionnerai jamais, en tant que ministre, sur le terrain de la morale. En revanche, je considère que, malgré tout le sérieux du travail qui a été effectué et l’ancienneté de la réflexion, les conditions pour aborder ce sujet ne sont pas réunies, a fortiori dans une proposition de loi, compte tenu du contexte épidémique que nous connaissons et de la sensibilité particulière, en ce moment, de la population à l’égard des personnes âgées, notamment dans les Ehpad et dans les services de réanimation. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
J’ajoute que le Gouvernement ne peut être favorable à une réforme qui n’a pas été présentée aux Français dans le cadre d’une campagne présidentielle… (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
J’ai le droit de vous faire part de ma position, mesdames, messieurs les sénateurs. Ayant été élu député démocratiquement et nommé ministre de ce gouvernement, je considère que, sur un sujet de société aussi grave que celui-ci, les Français doivent être informés préalablement, à l’occasion d’une élection. Je ne sais pas si notre candidat à la prochaine élection fera ce choix, je ne suis pas là pour vous le dire. Mon rôle est de vous dire que ce débat est légitime et qu’il se poursuivra. Il ne sera pas achevé après l’adoption d’un texte plutôt qu’un autre.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi et donc favorable à l’amendement de suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’un scrutin public a été demandé sur cet amendement.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Michelle Meunier ayant à juste titre fait part de sa position personnelle sur un texte qu’elle soutient, je rappelle que la commission, qui est défavorable à l’ensemble du texte, a bien évidemment émis un avis favorable sur l’amendement de suppression de l’article 1er.
Il a été dit que cette proposition de loi visait à améliorer la loi Claeys-Leonetti, mais ce n’est pas le cas. Cette loi a effectivement des faiblesses. À cet égard, je remercie M. le ministre d’avoir annoncé un plan de développement des soins palliatifs. Cette loi ne permet pas de répondre, il est vrai, à certaines situations, en particulier en cas de maladie de Charcot. Il faudra d’ailleurs que l’on se penche sur ce sujet.
Le texte qui nous est présenté est tout autre. C’est un texte sur le suicide assisté, sur l’euthanasie active, mais non une évolution normale ou possible de la loi Claeys-Leonetti. Cette proposition de loi ouvre de nouveaux droits et chacun, dans cet hémicycle, a le droit d’être pour ou d’être contre. Chaque position est respectable et rien ne justifie qu’un jugement de valeur soit porté sur les positions des uns et des autres. Ces questions touchent à l’intime, au vécu personnel, familial.
Je maintiens ce que j’ai dit en commission : la dignité est inhérente à la condition humaine, et une personne, quel que soit son état physique, voire psychique, reste digne jusqu’au dernier moment. La dignité tient aussi au regard que l’on porte sur la personne que l’on accompagne.
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Notre commission a souhaité supprimer l’article 1er, ce qui n’empêchera pas la poursuite du débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité des interventions, qui ont montré, comme l’un de nos collègues l’a dit, que le Sénat est capable d’avoir des échanges transpartisans de qualité. C’était particulièrement notable ce matin. En tant qu’auteure du texte, je vous en remercie.
S’il était adopté, cet amendement aurait pour conséquence de vider le texte de sa substance, l’article 1er prévoyant l’instauration de l’aide active à mourir.
Ce matin, incontestablement, des voix favorables à cette proposition de loi se sont exprimées sur ces travées, au-delà de celles du groupe ayant déposé ce texte et de celles de l’opposition du Sénat. Pour tout dire, même si je n’ai pas procédé à un véritable comptage, il me semble que la plus grande partie des présents se sont exprimés de manière positive, pas toutes, certes, et j’ai très bien entendu ceux qui se sont exprimés ou ont manifesté dans un autre sens.
Pour autant, un problème démocratique se pose. Nos règles particulières font que le scrutin public va permettre de décider massivement de l’adoption ou non de cet amendement. Il n’est pas exclu que ce vote ne reflète absolument pas la position de cet hémicycle, alors même qu’il est ce matin très fourni. Je ne sais pas si le groupe qui a demandé un scrutin public entend le maintenir, mais je pense que celui-ci pose un problème. Aussi, je souhaiterais que ce groupe laisse la démocratie se manifester au Sénat sans scrutin public. Les collègues investis dans ce débat doivent décider. De notre côté, ceux d’entre nous qui sont présents voteront contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. J’ai souhaité intervenir sur cet amendement, car il se trouve que j’ai assisté à l’audition par la commission des députés Claeys et Leonetti. Si ce texte comporte des avancées dans certains domaines, notamment en ce qui concerne les soins palliatifs, il ne me paraît pas satisfaisant, car il ne prend pas en compte les demandes et les attentes de nombreux Français, qui souhaitent, en cas de maladie incurable, pouvoir bénéficier d’un suicide assisté.
Une demi-heure avant l’audition, j’ai reçu l’appel d’une amie qui se trouvait dans cette situation et qui souhaitait se rendre en Suisse. En fait, ce n’est pas si facile. C’est même très compliqué. Elle n’y est d’ailleurs pas parvenue.
Son seul souhait, car elle savait sa vie finie, c’était de pouvoir s’endormir en tenant les mains de son fils et de sa fille. Son agonie a duré des semaines. Son fils, qui vit outre-mer, a dû repartir, parce qu’il a aussi une famille. Voilà, elle est partie sans que sa dernière volonté ait été accomplie.
C’est pour cela que je ne voterai pas cet amendement. Je voterai cette proposition de loi, car telle serait, j’en suis sûre, la volonté de mon amie. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je trouve moi aussi que nos débats ce matin sont extrêmement riches. Nous y livrons, ce qui n’est pas souvent le cas, une part de notre vécu et de ce que nous portons au plus profond de nous-mêmes, au-delà de nos sensibilités politiques. Nous évoquons des sujets difficiles. Pour ma part, je respecte toutes les positions, même si je pense qu’il est extrêmement important que le Sénat avance et joue son rôle en votant cette proposition de loi. On l’a entendu, il s’agit de répondre à une attente des Françaises et des Français.
Monsieur le ministre, vous considérez qu’un débat de société est nécessaire, mais cet argument ne me convainc pas. Dans ce cas, où est la souveraineté du Parlement ? Il me convainc d’autant moins que l’abolition de la peine de mort ne s’est pas faite par voie référendaire. Elle a été décidée par le monde politique. On peut avoir des convictions, mais il faut être attentif à la réalité.
Enfin, je suis très attachée, comme beaucoup de mes collègues, à la liberté de pouvoir choisir sa mort, qui me semble essentielle.
Je trouve assez hypocrite que l’on dise que la loi est suffisante alors que tous les exemples qui ont été évoqués montrent que ce n’est pas le cas. Notre vécu le démontre également.
Il est également hypocrite de se dire qu’une solution peut être trouvée à l’étranger. On sait très bien que le coût de cette solution est un barrage financier terrible pour beaucoup. En outre, elle ne permet pas d’être accompagné. Comme l’a rappelé M. Cadic, la présence de la famille n’est souvent pas possible, alors qu’elle est primordiale. En pareil cas, il ne s’agit pas d’une mort décidée, douce, parmi les siens.
Pour toutes ces raisons, ne votons pas la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Nous allons bientôt discuter dans cet hémicycle du projet de loi confortant les principes de la République. Vous me permettrez, monsieur le ministre, de vous rappeler deux de ces principes.
D’abord, la République repose sur la souveraineté populaire, la souveraineté de la Nation, dont nous sommes ici les représentants. C’est le Parlement qui fait la loi et qui décide aujourd’hui de ce qu’il faut faire et ne pas faire. Le césarisme référendaire n’est pas constitutif de notre République.
Ensuite, vous avez évoqué votre professeur de médecine, selon qui on ne peut demander la mort parce que l’on ne sait pas ce qu’il y a après. Permettez-moi de vous rappeler que, dans cet hémicycle, le débat n’est à aucun moment sorti des limites de la laïcité. Ceux qui pensent qu’il y a quelque chose après la mort, comme ceux qui pensent qu’il n’y a rien ont eu un débat extrêmement noble et respectueux des sentiments religieux et non religieux des uns des autres. Ils ont abordé ces questions en termes de droits. Je rappelle ici un second principe de la République, monsieur le ministre.
Par ailleurs, j’ai écouté avec beaucoup d’émotion les expériences qui nous ont été transmises, notamment celle du sénateur Arnaud. En effet, j’ai senti, et je me suis reconnu dans ce qu’il a dit, une longue fréquentation des services de soins palliatifs. Quand on vit ce que les gens vivent dans ces services pendant trois semaines, un mois, on porte ici une opinion qui n’a plus rien à voir. C’est important de le dire.
Enfin, vous le savez, monsieur le ministre, car vous êtes médecin, il règne aujourd’hui une grande hypocrisie sur ces questions. En effet, la pratique dans les services va au-delà de la loi Claeys-Leonetti, face à la détresse des familles, d’un malade qui n’en peut plus et qui réclame la mort. Vous savez très bien que, dans le cadre d’une discussion apaisée avec les familles, le personnel médical va au-delà. Mettons fin à cette hypocrisie et acceptons de faire avancer les droits et de protéger les médecins, comme ils nous le demandent aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je veux d’abord saluer à mon tour la qualité des débats que nous avons ce matin sur ce sujet important. Ce texte nous a donné l’occasion d’en discuter dans l’hémicycle, mais également au sein de chaque groupe politique.
Ainsi, il était important pour le nôtre de recueillir la vision et le ressenti de ses membres en les laissant échanger ; les membres de la commission des affaires sociales ont en particulier pu exposer leurs points de vue à leurs collègues. C’est ce qui nous permet, aujourd’hui, de définir une position globale de notre groupe, sachant que chacun de ses membres conserve une position individuelle, qui sera respectée au moment du vote. Je confirme à ce propos notre demande de scrutin public.
Ce rappel était important, parce que ce sujet est transpartisan : chacun peut, au regard de son expérience et de son vécu, exprimer son ressenti, sa prise de position et son vote.
Enfin, madame de La Gontrie, j’entends vos remarques et votre remise en cause du système de scrutin public en vigueur ici. Je me souviens qu’il constituait en 2011 une pratique courante de votre groupe politique ; c’est quand cela vous arrange que vous exprimez une telle remise en cause ! Nous allons donc assumer jusqu’au bout notre demande de scrutin public. Je n’en connais d’ailleurs pas du tout le résultat : au sein de notre groupe aussi, des visions différentes s’expriment, ce ne sera pas un vote massif dans un sens ou dans l’autre. J’attends donc de voir la démocratie s’exprimer au Sénat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Oh, la démocratie…
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Comme cela a été rappelé, cet amendement tend à vider ce texte de la totalité de sa substance. Je regrette à ce propos l’utilisation du scrutin public. Au vu du débat qui vient d’avoir lieu, il serait bon que chacun puisse s’exprimer directement par son vote personnel.
La liberté de choisir la fin de sa propre vie est un sujet qui touche chacun d’entre nous dans ce qu’il a de plus intime. Toutes et tous, nous connaissons des situations où cette question se pose avec force, comme notre collègue Olivier Cadic l’a rappelé. Quelles que soient nos convictions, nos spiritualités, nos expériences personnelles, la réalité vient s’y confronter. L’actualité médiatique vient également nourrir la réflexion et l’émotion collectives par des cas particuliers bouleversants.
Il me semble que, à l’instar de nombre de nos voisins européens – cela aussi a été rappelé –, notre société est prête à une telle évolution ; elle en est même demandeuse. Je ne reviendrai pas sur le sondage de 2019 d’après lequel cette évolution recueille une opinion favorable auprès de 96 % des Françaises et des Français. L’allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population rendent chaque jour ce sujet plus prégnant.
Je comprends naturellement les réticences des membres du corps médical : mettre fin à une vie heurte profondément le cœur même de leur engagement professionnel et va à l’encontre du serment qui est le leur. Il me semble cependant que les progrès considérables de la médecine, qui se poursuivent et continueront de se poursuivre, nous amènent évidemment à envisager ce débat sous un autre angle.
Alors que l’espérance de vie avoisine les 80 ans et que celle des générations qui arrivent aujourd’hui sur cette terre pourrait approcher le siècle, alors que la technologie et le transhumanisme ouvrent des possibilités vertigineuses, je crois qu’il est indispensable d’accepter que toutes et tous ne souhaitent pas poursuivre leur vie dans des conditions de santé ou de forme physique qu’ils jugent insatisfaisantes.
Le défi du grand âge, de la maladie et de la détérioration du corps, voire de la conscience, pose cette question avec toujours plus d’acuité. Il est selon moi de plus en plus temps d’accepter les choix individuels mûrement réfléchis de nombre de nos concitoyens.
La majorité de notre groupe est donc bien sûr opposée à cet amendement de suppression ; je le suis moi-même totalement. Il est plus que temps d’inscrire dans la loi cette ultime liberté, afin que chacun puisse désormais exprimer son choix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je voudrais souligner que, s’il n’y avait pas cet amendement, cet article pourrait être soumis au vote. Un scrutin public, s’il en fallait un, pourrait alors exprimer réellement, avec transparence, les votes individuels au sein des groupes où la liberté de vote fait qu’ils seront divers.
Je trouve très regrettable de ne pas pouvoir voter pour cette loi. Je suis ici afin de voter pour quelque chose, et non pas contre. On se trouve forcé de voter contre un amendement, ce qui est complètement illisible à l’extérieur de notre hémicycle. Ce que demande l’opinion publique, c’est si nous allons prendre position pour ou contre ce texte législatif. Or la situation est ici complètement inversée : on nous oblige à prendre une position illisible et, d’une certaine manière, hypocrite et contournant la responsabilité de chacun d’entre nous de dire, à l’extérieur de notre assemblée, s’il est pour ou contre ce texte. Si vous êtes contre, faites-le savoir au moment du vote sur l’article, mais ne nous obligez pas à émettre un vote « contre » qui est illisible et, pour ceux qui demandent ce scrutin public, quelque peu hypocrite ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. J’écoute les interventions qui se sont succédé depuis tout à l’heure : il y en a pour tout le monde ! Chacun a une vision différente du droit de mourir : certains ne sont pas d’accord pour qu’on aide à mourir et d’autres pensent qu’il vaudrait mieux laisser mourir.
Pour ma part, j’ai toute confiance en nos médecins. On ne dit pas que c’est facile aujourd’hui, même dans les pays étrangers, d’aider quelqu’un à mourir ; M. Cadic l’a rappelé. C’est une procédure longue, qui n’est mise en œuvre que si l’on est sûr que l’issue est fatale.
Même si ce texte est adopté, ce ne sera pas une obligation que de procéder à l’acte d’assistance à une mort plus rapide. On ne fera que donner le choix à celui qui le veut, parce qu’il sait très bien que, demain, l’issue de sa maladie sera fatale.
De plus, je veux rappeler que ce choix est réclamé non seulement par des patients, mais aussi par certains médecins qui sont confrontés à des malades pour lesquels ils n’ont plus aucune solution et qui ne savent pas quoi leur répondre. J’irai même plus loin, monsieur le ministre : M. le Président de la République avait été sollicité en direct par des patients et, pour lui, la seule réponse était qu’on ne peut pas, aujourd’hui, répondre à cette demande.
Alors, pourquoi ne pas procéder au vote de cette proposition de loi et, ensuite, laisser le choix aux citoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je tiens à répondre à Mme Poncet Monge, qui nous invite à voter l’article 1er pour ensuite voter contre le texte dans son ensemble. Non ! Cela n’a aucune cohérence et je ne me vois pas voter pour un article… (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mais si, c’est quand même cela ! Vous nous demandez de voter l’article 1er pour, à la fin du débat, exprimer notre opposition au texte, de manière à vous laisser vous exprimer.
L’article 1er est majeur ; chacun a le droit de voter pour ou contre, mais il s’agit bien du cœur du dispositif… (Mêmes mouvements.)
Mais non, on le supprime ! Si ceux qui sont opposés au texte ne votaient pas cet amendement de suppression, ils voteraient quand même contre l’article 1er. Je ne comprends absolument pas cette nouvelle façon de légiférer qui consisterait à voter des articles auxquels on est opposé pour rejeter le texte à la fin de la discussion. Non, ce n’est absolument pas possible !
Quant au scrutin public, nous avons eu une discussion au sein du groupe Les Républicains. On pense ce que l’on veut de cette procédure,…
M. David Assouline. Que du mal !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. … mais elle existe, et je ne vois pas pourquoi nos collègues qui ont donné des consignes de vote…
M. David Assouline. Ils ne sont pas là !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Mais vous n’êtes pas non plus toujours présent, monsieur Assouline ! On ne peut pas faire fi d’une demande de scrutin public alors que des engagements ont été pris vis-à-vis de collègues qui ont donné des consignes de vote.
M. David Assouline. Ils ne sont pas la majorité !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ce serait totalement inconvenant à leur endroit. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 88 :
Nombre de votants | 331 |
Nombre de suffrages exprimés | 303 |
Pour l’adoption | 161 |
Contre | 142 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est supprimé.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la proposition de loi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, comme je l’indiquais, cet article constituait le cœur de cette proposition de loi. Dès lors, et à mon grand regret, au vu de la qualité de nos débats et des résultats très parlants de ce scrutin, en vertu de l’article 26 du règlement du Sénat, je demande le retrait de cette proposition de loi de l’ordre du jour de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, UC et RDPI.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle les termes de l’article 26 du règlement du Sénat : « L’auteur d’une proposition de loi ou de résolution peut toujours la retirer, même quand la discussion est ouverte. »
La proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité est donc retirée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Lutte contre le plastique
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre le plastique, présentée par Mme Angèle Préville et plusieurs de ses collègues (proposition n° 164, texte de la commission n° 412, rapport n° 411).
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi est inscrite à notre ordre du jour dans le cadre de l’espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, limité à une durée de quatre heures, dont il ne reste qu’une heure et vingt minutes. Si nous n’achevons pas l’examen de ce texte dans le temps imparti, il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de sa discussion à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Angèle Préville, auteure de la proposition de loi.
Mme Angèle Préville, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, toutes les minutes, l’équivalent d’un camion poubelle de plastique est déversé dans les mers et les océans, bien triste réalité !
Le texte que nous examinons aujourd’hui est le résultat d’une longue réflexion personnelle, confortée par un travail parlementaire sur la pollution par le plastique que j’ai mené avec le député Philippe Bolo dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Cette proposition de loi présente des mesures préventives et ciblées qui permettraient, dès à présent, de diminuer cette contamination diffuse, invasive et persistante.
Je tiens à remercier la rapporteure, ma collègue Martine Filleul, de son implication et de son travail, qui ont permis d’enrichir ce texte. Je remercie également le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Jean-François Longeot, et l’ensemble des membres de la commission. Avoir adopté ce texte à l’unanimité en commission, c’est avoir acté l’importance des défis environnementaux que pose le plastique, c’est avoir agi collectivement et en responsabilité. Une nouvelle fois, merci !
Le plastique est devenu l’un des maux de notre siècle, une véritable bombe à retardement. La polyvalence des plastiques les a rendus omniprésents dans notre quotidien. Paradoxalement, alors qu’ils avaient été conçus pour être résistants, ils sont devenus le produit star de l’usage unique et du tout jetable.
La production de matière plastique connaissant aujourd’hui une croissance exponentielle, les usages se sont multipliés ces dernières années. Au rythme actuel, si l’on ne fait rien, cette production devrait doubler d’ici à 2050. S’ajoute à cela le fait qu’on estime aujourd’hui que 81 % des plastiques mis en circulation deviennent des déchets en moins d’une année d’utilisation.
Il y a une multitude de plastiques. Chacun d’entre eux a sa formulation, qui consiste en un polymère de base – polyéthylène, polypropylène, polystyrène, par exemple – auquel on a ajouté des charges – du mica, ou encore de l’argile –, des plastifiants, comme les phtalates, et des additifs tels que colorants, anti-UV, antioxydants ou retardateurs de flamme.
L’appellation générique de « plastique » est en cela l’arbre qui cache la forêt : il existe des centaines de formulations possibles et différentes. Chaque industriel met au point une formulation qui convient à l’usage, à l’apparence et aux propriétés spécifiques de l’objet qu’il souhaite fabriquer. L’élément central et qui explique son usage exponentiel est le triptyque faible coût, légèreté, résistance.
Le plastique ne fait pas exception à la règle : il a les défauts de ses qualités. Comme il est peu coûteux, on le veut vierge plutôt que recyclé ; comme il est léger, il s’éparpille dans la nature ; comme il est résistant, il va y persister des centaines d’années, car le plastique ne se décompose pas, mais va seulement se fragmenter.
C’est à ce constat que nous nous heurtons. Ce que nous découvrons jour après jour, c’est combien cette pollution par le plastique est diffuse et insidieuse. Elle ne se limite pas aux déchets visibles que sont les macroplastiques, mais consiste aussi en microplastiques et même en nanoplastiques.
Les microplastiques proviennent soit de la fragmentation des plastiques, soit d’un ajout intentionnel, comme celui de microbilles dans les cosmétiques, les peintures, ou encore les détergents, ce que les consommateurs ignorent d’ailleurs généralement.
Pour finir de dresser l’état des lieux, je veux évoquer les images marquantes et choquantes d’animaux étouffés par ingestion, ou enchevêtrés dans du plastique. Oui, la biodiversité se meurt de notre inaction. On dénombre plus d’un million d’oiseaux et 135 000 mammifères tués tous les ans par le plastique.
Non moins choquante, l’extrême pollution de la Méditerranée lui vaut de se hisser au triste rang de mer la plus polluée au monde. Elle ne reçoit pas moins de 600 000 tonnes de déchets de plastique par an. À vrai dire, nos mers sont devenues des déversoirs. Il existe cinq gyres de plastique dans les océans. On parle même de « continent plastique », véritable soupe de microplastiques. Plus récemment, des recherches ont relevé la présence de microfibres dans les glaces de l’Everest, des microplastiques dans les eaux de l’Antarctique et même dans l’air au sommet du pic du Midi.
Citons quelques chiffres éloquents : 200 millions de tonnes de déchets de plastique se sont accumulées dans les océans à ce jour, 8 millions étant déversés chaque année. En France, 80 000 tonnes sont rejetées chaque année sur le littoral et dans la nature. Un Français produit environ 66 kilogrammes de déchets de plastique par an.
Chacun d’entre nous ingérerait environ 5 grammes de plastique chaque semaine, soit la quantité contenue dans une carte de crédit. Si les microplastiques ingérés sont souvent excrétés, il n’en est pas de même pour les nanoplastiques, qui pourraient franchir par translocation les barrières cellulaires, ce qui est pour le moins inquiétant. Dans le cas où le déchet n’est pas excrété, par exemple un bouchon de plastique dans l’estomac d’un oiseau, il va y séjourner, créer de la satiété, affaiblir l’animal et finir par le tuer.
Ces perspectives de contamination de l’ensemble de la chaîne alimentaire et du vivant sont déjà alarmantes, alors même que tous les effets n’ont pas encore été mesurés.
Dans l’environnement le plastique va connaître trois types d’échanges.
Premièrement, il se charge des polluants hydrophobes, comme les polychlorobiphényles (PCB) et les hydrocarbures, qu’il rencontre lors de son séjour dans l’eau, l’air ou les sols. Ainsi, en cas d’ingestion, un animal va absorber non seulement le plastique, mais aussi les polluants dont il s’est chargé.
Deuxièmement, le plastique est colonisé par des microalgues et des microorganismes. Ainsi, tout au long de leur périple dans l’environnement, qui dure des centaines d’années, les matières plastiques vont potentiellement disperser des espèces invasives, des virus et des bactéries dans d’autres écosystèmes, y créant de nouveaux déséquilibres. Par exemple, des années après le tsunami de Fukushima de 2011, des espèces invasives transportées par des plastiques japonais ont été répertoriées aux États-Unis. Cette colonisation biologique donne par ailleurs au plastique une odeur qui leurre les animaux, ces derniers le confondant avec de la nourriture.
Enfin, troisième type d’échange, les plastiques larguent de nouveau les plastifiants et les additifs dès que leur surface s’abîme en se fissurant, ou lorsqu’ils se fragmentent. Certains de ces composés sont aussi des perturbateurs endocriniens, qui affectent durablement, même à très faibles doses, le système nerveux, la fertilité ou encore le développement cérébral des espèces vivantes.
Vous comprendrez sans peine que ces matières plastiques nuisent de façon irréversible aux écosystèmes marins et terrestres, portant ainsi atteinte à la biodiversité.
À ce stade, la mise en place de politiques publiques de sensibilisation, de prévention et, récemment, d’interdiction ne suffit pas à endiguer le flux et, surtout, l’accumulation de déchets dans l’environnement.
J’ai rédigé cette proposition de loi en me fondant sur ces constats et dans le but principal de limiter les fuites dans l’environnement.
Les deux premiers articles reprennent des amendements que le Sénat avait adoptés lors de l’examen de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Il est urgent de se saisir de la problématique des pertes industrielles, tout comme il est nécessaire de sensibiliser le consommateur à la portée de ses actes.
Cette proposition de loi répond donc à une urgence qui nous impose d’agir concrètement et de commencer à endiguer ces arrivées de plastique dans l’environnement. Préserver notre environnement et notre santé est l’affaire de tous et implique non seulement une prise de conscience collective, mais aussi des politiques publiques volontaristes et des mesures législatives fortes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Gérard Lahellec et Frédéric Marchand applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Martine Filleul, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous présenter le texte que la commission a élaboré pour cette proposition de loi visant à lutter contre la pollution plastique.
J’en salue la première signataire, ma collègue Angèle Préville, auteure du rapport de l’Opecst consacré à ce sujet primordial. Je salue également les membres de notre commission qui avaient contribué à améliorer la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC. Je me réjouis d’avoir retrouvé sur cette proposition de loi le même état esprit volontariste et constructif. Je remercie notamment pour leur sens du dialogue la rapporteure de la loi AGEC, Mme Marta de Cidrac, et le président de la commission, M. Jean-François Longeot. Je forme le vœu que nous travaillions dans le même état d’esprit transpartisan lors de l’examen à venir du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit projet de loi Climat et résilience.
À titre liminaire, je veux rappeler que la commission a adopté un amendement tendant à changer l’intitulé de la proposition de loi de manière à mieux l’articuler avec son objet : la lutte contre la pollution plastique, plutôt que la lutte contre le plastique. Ce texte vise bien à s’attaquer à la pollution induite par ce matériau, plutôt qu’à cette matière elle-même.
Cette précision faite, j’évoquerai les articles de la proposition de loi initiale, ainsi que les amendements sur ces articles qui ont été adoptés en commission.
L’article 1er vise à renforcer le cadre juridique relatif aux fuites de granulés de plastique dans l’environnement, introduit dans l’article 83 de loi AGEC sur l’initiative du Sénat. Les rejets annuels dans l’environnement de ces granulés sont estimés, à l’échelle européenne, à 25 000 tonnes. Il est donc urgent de prévenir la fuite de ces granulés qui s’accumulent sur nos littoraux, dans nos mers et dans nos océans.
Afin de s’adapter à la rédaction de l’article 83 de la loi AGEC et de tenir compte du projet de décret d’application, la commission a adopté un amendement de réécriture de l’article 1er visant à contraindre les sites concernés à déclarer annuellement les pertes et fuites de granulés et à mettre en place des systèmes d’information par voie d’affichage afin de les prévenir.
L’article 2 vise à interdire l’ajout intentionnel de microbilles de plastique dans les détergents. Je rappelle que les rejets annuels de ces plastiques s’élèvent à 36 000 tonnes à l’échelle européenne. Afin de laisser un délai raisonnable aux producteurs pour retirer les produits mis sur le marché et modifier leurs procédés de fabrication à grande échelle, un amendement a été adopté visant à prévoir une entrée en vigueur légèrement différée au 1er juillet 2022.
L’article 3, quant à lui, vise à assimiler les lâchers intentionnels de ballons de baudruche en plastique à l’abandon de déchets dans l’environnement. Le code de l’environnement permet d’ores et déjà de l’assimiler à un tel abandon de déchets. Pour autant, la commission a estimé nécessaire de clarifier le droit en vigueur ; elle a donc adopté cet article.
Enfin, l’article 4 prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur les impacts sanitaires, environnementaux et sociétaux de l’utilisation dans l’industrie textile de fibres de plastique pouvant être à l’origine de microfibres dans l’environnement.
J’en viens maintenant aux éléments de débat additionnels qui ont nourri nos travaux en commission.
La commission a tout d’abord introduit un article encadrant l’usage des granulés de plastique utilisés sur les terrains de sport synthétiques. Ces granulés se dispersent dans la nature à raison de 50 kilogrammes par terrain et par an, soit un rejet de 16 000 tonnes à l’échelle européenne !
Deux solutions sont proposées dans un rapport de l’Agence européenne des produits chimiques (AEPC) qui devrait paraître très prochainement : une interdiction ou la mise en place de mesures techniques de confinement au niveau des terrains de sport. Ces solutions seront prochainement soumises à l’arbitrage de la Commission européenne et des États membres.
Les mesures de confinement proposées n’offrent qu’une garantie limitée en matière environnementale, en comparaison avec une restriction d’usage. De surcroît, rien n’indique que ces mesures de confinement seront moins coûteuses à mettre en place pour les collectivités territoriales. Enfin, des alternatives aux granulés de plastique pourraient être développées à l’échéance visée, sous la forme de liège ou de noyaux d’olives broyés.
C’est pourquoi la commission a adopté un amendement visant à ce que l’emploi de ces granulés soit interdit pour les nouveaux terrains de sport mis en service à compter du 1er mars 2026. Nous invitons le Gouvernement à retenir cette position dans le cadre des négociations qui se dérouleront dans les mois à venir au niveau européen. Cette position est suffisamment pragmatique pour donner une perspective aux collectivités territoriales, car elle s’appliquera uniquement aux nouveaux terrains de sport.
Notre commission a débattu d’un sujet d’actualité très important, l’explosion de la quantité des déchets de la restauration livrée. Producteur de 600 millions d’emballages à usage unique par an, le marché de la restauration livrée connaît une forte croissance – +30 % –, accélérée encore par la pandémie de covid-19.
Le Gouvernement, pour répondre à ce problème, a annoncé en février 2021 la signature d’une charte pour les acteurs du secteur, afin de réduire les déchets d’emballages. Si cette initiative peut être saluée, il est permis de s’inquiéter en raison du caractère non contraignant de la charte, ainsi que de son manque d’ambition à moyen terme. Il faut accélérer, notamment sur la question des contenants réemployables.
Ce sujet pourra faire l’objet d’approfondissements dans le cadre des travaux que nous mènerons sur le projet de loi Climat et résilience.
En conclusion, cette proposition de loi pragmatique et volontariste non seulement s’inscrit dans la continuité de la loi AGEC, mais dresse des perspectives pour les débats que nous aurons ultérieurement.
J’espère que nous saurons nous saisir tous ensemble de cette occasion ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, madame la sénatrice Préville, mesdames, messieurs les sénateurs, la pollution plastique est un fléau pour la nature, les écosystèmes et la santé humaine. C’est un fléau de notre époque, de notre temps : en un siècle à peine, le plastique est devenu aussi courant que le ciment et l’acier avec, sur les vingt dernières années, l’accumulation de plus de 700 millions de tonnes de plastique dans les milieux naturels, principalement marins.
Nous avons tous à l’esprit ces images absolument effroyables d’océans souillés par un véritable continent de plastique. La planète est devenue la décharge à ciel ouvert de notre civilisation, de son insouciance et de ses errements.
Si l’on pouvait penser que les gros déchets étaient moins dangereux, mieux agglomérés, car plus visibles, il n’en est rien ! Nous savons aujourd’hui que ces macrodéchets peuvent se fragmenter et se dissoudre, jusqu’au niveau microscopique.
Quant aux nanoplastiques, ils sont un fléau dans le fléau. Nous en trouvons partout, du sommet de l’Everest au plancher des océans, des mammifères marins à notre propre organisme. Nous attendons avec intérêt l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui a été saisie de ce sujet.
Nous devons lutter contre toutes ces formes de plastique, en tout temps et en tout lieu.
Le Gouvernement a pour ambition d’être au niveau de cette urgence environnementale. Ici, comme ailleurs, le temps des discours est révolu : il nous faut maintenant agir concrètement et avec volontarisme, dans la vie quotidienne, dans les usines, les supermarchés et les restaurants, jusque dans les réfrigérateurs et les placards.
Nous menons, partout où il se doit, une action marquée par l’ambition de la loi AGEC. Celle-ci fixe pour principal horizon la sortie du plastique à usage unique d’ici à 2040. La course a déjà commencé depuis le 1er janvier dernier : les pailles, les couverts jetables ou les boîtes en polystyrène de la restauration rapide sont désormais interdits, et vient désormais le tour des jouets en plastique offerts dans certains menus.
Des décrets parus et à paraître déclinent concrètement l’ambition que nous avons de tenir ce cap pour les cinq années à venir. En effet, d’ici à cinq ans, nous allons réduire de 20 % l’ensemble des plastiques à usage unique. Nous placerons les acteurs devant leurs responsabilités, en nous assurant que les emballages disposent d’une filière de recyclage opérationnelle et effective.
Mener cette bataille contre le plastique, c’est aussi favoriser la vente en vrac. Avec la loi AGEC, nous avons ouvert la possibilité aux consommateurs d’apporter leurs contenants dans les commerces. Il s’agit d’un geste concret, simple, qui est plébiscité par les Français, et c’est pourquoi le projet de loi Climat et résilience prévoit d’imposer aux commerces dont la surface de vente est supérieure à 400 mètres carrés qu’ils réservent un cinquième de cet espace à la vente en vrac, d’ici à 2030.
Le combat se mène avec l’ensemble des acteurs et toutes les filières. À ce titre, le 15 février dernier, Barbara Pompili a signé avec les acteurs de la restauration livrée une charte d’engagement qui, dans le cadre de la transition vers la fin du plastique, porte sur les quelque 600 millions d’emballages utilisés chaque année.
Votre proposition de loi, madame la sénatrice Préville, dans le prolongement des travaux que vous avez menés avec Philippe Bolo pour le compte de l’Opecst, démontre que l’ensemble de la représentation nationale a intégré cette urgence à agir sur le plastique. Je tiens également à saluer le travail de Mme la rapporteure, dont les amendements ont renforcé les dispositions du texte.
Notre bataille contre le plastique passe aussi par l’interdiction de l’ajout intentionnel de microbilles de plastique dans les détergents. L’article 2 me paraît donc fondamental.
Votre texte démontre aussi que la lutte contre les plastiques est une responsabilité collective qui engage chacun d’entre nous, jusque dans nos habitudes quotidiennes.
Si les ballons de baudruche ont été de fidèles compagnons de nos célébrations, nous connaissons désormais les dommages qu’ils peuvent causer à l’environnement. Il en va de même des lanternes, qui atterrissent en pleine nature et mettent des décennies à se dégrader. Je suis donc particulièrement favorable à l’article 3.
En outre, il est impératif de prévenir les fuites de granulés de plastique industriels dans l’environnement, qui souillent les milieux marins. À ce titre, des règles strictes de contrôle seront mises en place à compter du 1er janvier 2021. Cette avancée majeure, qui figure à l’article 1er, nous la devons au Sénat. Le Gouvernement partage la même volonté de lutter contre les fuites de granulés : en témoigne le décret d’application qui a été soumis à consultation du public, à laquelle nous souhaitons laisser tout le temps nécessaire.
Agir, c’est aussi lutter contre ceux qui voudraient se soustraire aux règles, qui abandonnent leurs déchets de plastique dans la nature. D’une part, la création de filières à responsabilité élargie des producteurs, ou filières REP, permettra la prise en charge d’un grand nombre de déchets difficilement recyclables, comme les mégots de cigarette. D’autre part, les sanctions et les contrôles sont renforcés : qu’il s’agisse de la prise en charge des frais de nettoiement, des sanctions administratives plus rapides ou de l’immobilisation et de la mise en fourrière des véhicules, tout est fait pour repérer, interpeller et mieux punir les délinquants.
Le développement du recyclage et la réincorporation du plastique figurent parmi les ambitions du plan de relance : 40 millions d’euros sont consacrés aux activités de réduction et de substitution des emballages en plastique, 150 millions d’euros sont affectés au soutien de l’incorporation des plastiques recyclés et 80 millions d’euros sont alloués aux collectivités locales pour les aider à déployer le tri sélectif sur la voie publique et à moderniser les centres de tri.
Nous avons un cadre, des actions et des moyens pour sortir au plus vite de cette pollution par le plastique. Je sais que, avec cette proposition de loi, nous partageons, en ce sens, une ambition commune.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, polyvalents et pratiques, les plastiques connaissent un essor continu depuis les années 1950. En France, près de 5 millions de tonnes sont produites par an, soit 70 kilogrammes par habitant.
Initialement conçus pour durer, les plastiques voient aujourd’hui leur production majoritairement réservée à l’usage unique, et un quart d’entre eux seulement sont recyclés. Bien que cette part soit en progression, elle demeure insuffisante.
La pollution par le plastique est un désastre environnemental à plusieurs égards, présentant un risque tant pour les écosystèmes que la santé humaine.
On retrouve des microplastiques jusque dans notre alimentation : chacun d’entre nous consommerait ainsi l’équivalent de cinq grammes de plastique par semaine. Certains de ces matériaux contiennent des additifs dangereux, tels que des perturbateurs endocriniens, et nous savons peu de chose sur les effets à long terme sur l’organisme de l’ingestion régulière de microplastiques.
Plusieurs textes ont d’ores et déjà ouvert la voie à la régulation des plastiques : une directive européenne de 2019 pose l’interdiction des couverts et des pailles en plastique à usage unique, tandis que la loi AGEC du 10 février 2020 fixe l’objectif de 100 % de plastique recyclé d’ici à 2025, et de fin des emballages en plastique à usage unique d’ici à 2040.
La présente proposition de loi est un apport salutaire au droit en vigueur, et permet d’anticiper la révision du règlement européen Reach en matière de microplastiques. Elle prévoit l’encadrement des pertes et des fuites de granulés de plastique industriels, l’interdiction de l’ajout intentionnel de microbilles dans les détergents et de l’emploi de granulés de plastique sur les terrains de sport synthétiques, responsables à eux seuls, en Europe, d’un rejet annuel de 16 000 tonnes de plastique.
L’article 3 punit les lâchers intentionnels de ballons de baudruche en plastique, si ces derniers retombent dans un lieu dont le propriétaire n’a pas donné son accord. La commission a satisfait l’amendement que j’avais déposé en revenant à la version antérieure du texte, supprimant ainsi le renvoi explicite à un régime de sanction, que j’estimais excessif et potentiellement inapplicable. J’ai aussi déposé un amendement visant à encadrer les lâchers de lanternes volantes de la même façon que les lâchers de ballons.
Enfin, le texte prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les impacts sanitaires, environnementaux et sociétaux de l’utilisation dans l’industrie textile de fibres de plastique pouvant être à l’origine de microfibres dans l’environnement, qui se dispersent notamment via les eaux usées. C’est une question pour laquelle une réflexion serait bienvenue.
Ce texte offre des avancées certes utiles, mais limitées. Il faut aller plus loin et systématiser la lutte contre cette forme de pollution.
Le rapport de notre collègue Martine Filleul donne l’exemple du secteur de la livraison de repas : il connaît un véritable boom, accentué par la pandémie de covid-19, et représente à ce jour plusieurs centaines de millions de repas par an. Le Gouvernement a annoncé, en février dernier, la signature d’une charte par les acteurs du secteur afin de réduire les déchets d’emballages. Celle-ci devrait être contraignante, et insister sur le réemploi des contenants, qui, selon des études, n’est pas plus coûteux que l’utilisation d’emballages jetables.
De même, une occasion a été manquée avec les déchets liés à la pandémie de covid-19 : masques, visières de protection et gants, trop souvent, ne font pas l’objet de tri et sont incinérés ou abandonnés sur la voie publique ou dans la nature. Pourquoi ne pas mettre en œuvre les alternatives durables existantes ? Certaines entreprises désinfectent ces plastiques par ultraviolets puis les transforment en granulés pour fabriquer de nouveaux objets, ou les broient en flocons et les mélangent à une résine afin d’obtenir un matériau lui-même recyclable.
Les discussions autour du projet de loi Climat et résilience nous permettront de poursuivre la réflexion. Pour l’heure, le groupe du RDSE votera dans sa grande majorité cette proposition de loi, qui apporte sa pierre à l’édifice de la lutte contre la pollution plastique.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier nos collègues du groupe socialiste d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de loi visant à lutter contre la pollution par le plastique, laquelle constitue un véritable fléau des temps modernes.
Il s’agit d’un problème de santé publique, et de protection de la biodiversité et du vivant.
Je veux formuler d’abord une remarque globale. Au-delà des mesures précises de cette proposition de loi, qui traite essentiellement des microplastiques, il convient de nous interroger sur la stratégie adoptée, celle des « petits pas ».
Nous déplorons ainsi des mesures certes utiles, mais qui, sans changement de paradigme, ne réduiront qu’à la marge le problème, sans en traiter les racines. En effet, il est vain d’imaginer promouvoir réellement l’économie circulaire et la limitation des déchets de plastique, sans agir de manière plus forte sur notre modèle de production, en appréhendant ces questions uniquement sous l’angle de la réglementation de la consommation, de la production des déchets et de leur traçabilité.
Nous pensons, bien au contraire, qu’il faut en finir avec l’ordre cannibale qui pille et exploite ! Il convient ainsi de repenser l’ensemble de la chaîne de production. Qui décide ? Comment produit-on et pour qui ? Sous quel contrôle démocratique et citoyen ? Ces questions sont trop sérieuses pour être laissées à la main des lobbies ou des accords de libre-échange – vaste sujet !
Les mesures de la proposition de la loi viennent utilement compléter l’arsenal de la loi AGEC, certaines ayant été spécifiquement proposées dans ce cadre. Il en est ainsi de l’article 1er sur les fuites industrielles et de l’article 2 relatif aux microbilles intentionnellement ajoutées.
Pour notre part, nous proposons de revoir le champ d’application de l’article 2 afin de viser l’ensemble des produits de consommation courante.
L’article 3 reprend, pour partie, un amendement déjà déposé par la sénatrice Préville lors de l’examen de la loi AGEC. Nous le soutiendrons une nouvelle fois !
Le rapport demandé à l’article 4 nous paraît particulièrement opportun, considérant que la pollution par le plastique liée aux textiles constitue une source majeure de dégât environnemental. La fondation Ellen MacArthur décrivait en 2015 une fuite de 500 000 tonnes par an de ces fibres minuscules, sur une production totale de 53 millions de tonnes de textiles. Il convient donc d’avancer sur ces questions. Ce rapport devrait notamment étudier la faisabilité de l’équipement des machines à laver d’un filtre à particules, à l’image de ce qui existe déjà pour les voitures.
Nous devrons également nous interroger sur les alternatives naturelles à la production de textile à base de plastique. Ce problème repose la question de la maîtrise des enjeux de production et de limitation de la consommation. En outre, nous sommes en accord avec l’article inséré lors de l’examen en commission portant interdiction des granulés pour les terrains de sport.
En complément, et comme nous l’avons déjà proposé, nous déposerons un amendement visant à aligner la France sur la nouvelle directive européenne concernant l’utilisation des sacs en plastique compostable et biosourcé, ou encore du polystyrène expansé.
Nous voterons, aujourd’hui, en faveur de cette proposition de loi, parce qu’elle est utile pour l’environnement et la protection du vivant.
Lors de la discussion du projet de loi Climat et résilience, nous reprendrons les préconisations des 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat pour limiter le plastique à usage unique, que le Gouvernement a malheureusement fait le choix d’écarter, réduisant encore un peu plus la portée d’un texte pourtant attendu.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons profité des bienfaits des hydrocarbures jusqu’à la lie. L’exploitation du pétrole s’est accompagnée de progrès considérables : n’oublions pas qu’elle a permis une élévation sans précédent du niveau de vie au cours du XXe siècle ! Il en va de même des produits dérivés du pétrole, au premier rang desquels figure le plastique.
Le plastique a été une formidable invention, il a changé nos vies, au point de devenir le matériau miracle de presque toutes les industries. Mais nous en avons abusé. Notre rapporteure, dont je salue l’excellent travail, l’a rappelé : le plastique menace aujourd’hui la santé humaine et l’ensemble de l’écosystème planétaire. Face à ce constat, nous ne pouvons que revoir nos choix technologiques et économiques.
Face au plastique, il n’y a qu’une seule solution durable : réduire radicalement sa production ! Blâmer l’incivilité de l’utilisateur et prôner le recyclage revient en réalité à se défausser.
Certes, si du plastique se retrouve dans la nature, c’est parce qu’on l’y jette. Mais c’est surtout parce que l’industrie en déverse chaque année des milliards de tonnes sur le marché.
Le recyclage engendre mécaniquement la production de nouveaux plastiques. Or il est possible de produire moins de plastique, d’autres matériaux pouvant être substitués à nombre de ses usages. Tel est l’esprit de la présente proposition de loi, qui vient compléter les « trous dans la raquette » de la loi AGEC, conformément aux propositions du rapport de l’Opecst.
Ces « trous » sont assez importants, puisque sont concernées la pollution due aux granulés de plastique industriels, dits larmes de sirène, et celle due aux microbilles de plastique intégrées aux détergents. La pollution due aux ballons de baudruche, couverte par l’article 3, est sans doute plus anecdotique…
Je salue l’amélioration apportée au texte par la commission, qui a introduit un article interdisant les granulés de plastique dans la fabrication des terrains de sport synthétiques.
Bien sûr, tout cela n’est pas neutre économiquement. Le plastique représente beaucoup d’emplois sur nos territoires. Mais ces emplois peuvent être sauvés parce que le secteur peut effectuer sa transition et l’a déjà entamée. De la même manière que les pétromonarchies et Total ont massivement investi dans les nouvelles énergies, nombre d’industriels du plastique investissent déjà dans de nouveaux matériaux.
La bonne nouvelle, c’est que le secteur a les moyens d’investir dans sa transition. Aidons-le à faire sa mue en allant demain encore plus loin dans la lutte contre le plastique à usage unique et le suremballage !
En attendant, l’immense majorité du groupe UC votera en faveur de la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de remercier notre collègue Angèle Préville d’engager de nouveau le débat sur la question de la pollution par le plastique, à la suite de son rapport pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Vous avez été nombreux à souligner, dès la discussion en commission, que ce texte s’appuie sur les travaux réalisés dans le cadre de l’examen de la loi AGEC. Déjà, à cette époque, les débats avaient été nourris et constructifs, et nous avions su enrichir le texte du Gouvernement : 164 amendements avaient ainsi été adoptés en commission et 222 en séance publique. Le travail parlementaire avait plus que jamais fait ses preuves à cette occasion. J’étais rapporteure de ce texte pour le Sénat et c’est pour moi, encore aujourd’hui, un sujet de fierté !
Plusieurs des dispositions concernaient la lutte contre la pollution par le plastique. Mme la ministre de la transition écologique a d’ailleurs annoncé avoir signé le décret sur la réduction des emballages en plastique à usage unique d’ici à 2025 – c’est une excellente nouvelle ! Cependant, un tiers seulement des décrets d’application de la loi AGEC ont été publiés, nous ne pouvons donc pas en mesurer les effets pleins et entiers.
C’est donc dans cette lignée que s’inscrit le texte dont nous débattons aujourd’hui, qui comporte des mesures déjà discutées il y a un an.
Considérant le temps qui m’est imparti, je ne pourrai m’arrêter que sur quelques articles.
L’article 1er, tout d’abord, est relatif à l’encadrement des pertes et des fuites de granulés de plastique industriels. La loi AGEC, en son article 83, prévoit déjà des avancées sur ce point – cette disposition était d’ailleurs l’œuvre d’un amendement de Mme Préville. La consultation publique portant sur le décret d’application de cet article s’étant achevée au début du mois, la publication ne saurait se faire attendre. Les entreprises elles-mêmes se sont emparées du sujet, un certain nombre d’entre elles s’étant engagées volontairement dans l’opération Clean Sweep pour éviter la perte de granulés de plastique lors de leur manipulation.
L’article 2, quant à lui, vise à interdire l’ajout intentionnel de microbilles dans certains biens. Là encore, le sujet a déjà été débattu dans cet hémicycle. Le Sénat avait d’ailleurs pris des dispositions permettant de faire financer par les producteurs des opérations de traitement de la pollution des eaux.
Je voudrais également rappeler que la régulation européenne offre une véritable ligne directrice. La dynamique européenne est essentielle dans notre lutte contre la pollution plastique. La France ne pourra pas relever seule ce défi colossal, alors même qu’il existe des normes exigeantes à l’échelle européenne ! Face au continent de plastique, l’engagement de l’Europe tout entière est nécessaire. Nous devrons donc être attentifs aux prochaines régulations européennes.
Les amendements adoptés en commission, la semaine dernière, ont apporté des améliorations à ce texte. Je remercie Martine Filleul de son travail et de son écoute.
L’amendement relatif aux granulés de plastique sur les terrains synthétiques est le fruit d’un constat du rapport de notre collègue Angèle Préville et du député Philippe Bolo. L’emploi de ces granulés étant responsable du rejet de 16 000 tonnes de plastique chaque année à l’échelle européenne, il était important de s’y pencher !
L’amendement portant sur l’intitulé même de cette proposition de loi était aussi nécessaire. Il s’agit non pas d’abolir purement et simplement le plastique, mais bien d’en réduire l’effet polluant, alors que des alternatives manquent encore dans plusieurs secteurs. En outre, il n’est pas question d’affaiblir une filière française qui représente 200 000 emplois, ce qui nous obligerait à importer du plastique ; c’est une dimension essentielle à prendre en compte.
Toutefois, n’oublions pas que la loi n’est pas le seul instrument de lutte contre la pollution par le plastique !
Nous avons tous pu le constater, depuis mars 2020 et le début de la crise pandémique, le plastique a pris une place importante dans nos vies : les masques et autres équipements de protection nécessaires, ainsi que les emballages se sont multipliés.
Que faire face à ce phénomène ? Au-delà du volet législatif, deux leviers peuvent être activés.
Le premier est relatif à la prévention auprès des consommateurs et à l’évolution des habitudes. Le second concerne la recherche et le développement de matériaux substituables au plastique. Cette recherche évolue dans de très nombreuses directions ; c’est elle qui permettra une transition et une adaptation de notre société face à la pollution par le plastique. Tout est question d’équilibre : il faudra toujours veiller à ce que ces alternatives ne soient pas plus mauvaises, mais aussi à accompagner les filières dans cette transformation à court, moyen et long terme, au-delà du plan de relance qui court jusqu’en 2022.
Aussi, appuyons-nous sur les initiatives existantes pour réduire la pollution par le plastique, et prenons en considération la dynamique européenne, essentielle sur ces questions ! N’attendons pas tout de la loi française, déjà exigeante, et évaluons, enfin, les effets de la loi AGEC ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la pollution par le plastique sera l’un des grands enjeux de notre siècle. Ce matériau a pourtant grandement facilité notre vie et reste parfois incontournable, particulièrement pour les dispositifs médicaux comme les poches de sang. Certains plastiques sont aujourd’hui synonymes de menace pour la santé humaine, les écosystèmes et notre environnement.
En tant que membre de l’Opecst, je veux saluer cette proposition de loi, qui vient combler certaines lacunes identifiées. Le titre du texte, modifié en commission, fait désormais mention de la « lutte contre la pollution plastique », ce qui me paraît bien plus approprié.
Il est important de travailler avec les industriels, les producteurs et le secteur des consommateurs de plastique, afin de les aider dans la transition vers l’utilisation de matériaux toujours plus recyclables. La recherche et l’innovation pour trouver des matériaux substituables et propres doivent être poursuivies.
Aussi, j’accueille très positivement l’interdiction à l’horizon de 2026 de l’utilisation de granulés de plastique dans les installations de terrains de sport synthétiques. Grâce aux solutions de remplacement, elle aura un effet significatif.
Je salue également l’interdiction de microbilles de plastique dans les détergents. C’est d’autant plus important qu’elles sont très souvent directement évacuées dans nos canalisations, avec les conséquences que l’on connaît : nous ne pouvons plus tolérer de les retrouver sur nos plages et dans nos eaux !
En parallèle, nous devons continuer à développer les filières spécialisées dans le recyclage du plastique, encore insuffisantes en France. Il faut créer un cercle vertueux autour d’un plastique moins polluant et utilisé seulement dans les cas nécessaires. Cela semble cohérent avec la réalité actuelle et les enjeux environnementaux.
Nos concitoyens se sentent concernés, notre prise de conscience se poursuit.
En tant que pharmacien de profession, je pensais que l’interdiction en France des sacs en plastique imposerait des contraintes difficilement surmontables, pour un coût très important. Mais le recours à des sacs réutilisables en papier ou en tissu a été en réalité bien accepté ; il est désormais ancré. C’est une belle victoire que d’autres pays n’ont pas atteinte !
Nos habitudes changent et sont plus vertueuses, nous devons continuer sur cette voie. C’est pourquoi je considère comme cruciale la discussion ouverte en commission par notre rapporteure sur les contenants réutilisables et consignés dans le domaine de la livraison de repas. Là encore, les industriels se montrent ouverts, comme c’est souvent le cas. Ils sont conscients des enjeux et des transformations à venir. Notre rôle, en tant que législateurs, est de les accompagner et de les encadrer dans cette transition nécessaire.
En prévision de l’examen du projet de loi Climat et résilience, je souhaite m’impliquer dans ces réflexions, comme je l’avais fait, en ma qualité de rapporteur, lors de l’examen de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, à propos de l’interdiction des pailles en plastique et du recours trop systématique aux bouteilles en plastique dans la restauration collective.
La qualité de l’eau est excellente dans beaucoup de nos départements – ressortons les carafes en verre ! Nos océans, nos mers, nos forêts, nos villes et notre biodiversité meurent de la pollution des bouteilles en plastique !
La proposition de loi a vocation à compléter des dispositifs mis en place. Cependant, un travail plus important doit être mené à différentes échelles, et avec tous les acteurs impliqués.
Nous devons faire plus que de l’affichage ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Léo Ferré a été le premier à faire rimer plastique et fantastique. Le rapport de nos collègues Angèle Préville et Philippe Bolo révèle que, aujourd’hui, plastique ne rime vraiment pas avec écologique !
Ce rapport, qui a motivé la proposition de loi, nous indique que l’essentiel des plastiques finit en déchets, en une année seulement. Un tel constat est d’ailleurs paradoxal pour un matériau qui a été conçu à l’origine pour sa résistance, sa légèreté, sa souplesse et sa durabilité.
Beaucoup de déchets s’accumulent et trop peu de recyclage est assuré, pour autant que cela soit possible – le rapport pointe d’ailleurs que ce ne sera jamais totalement le cas ! Reste que, en Europe, moins de 60 % des plastiques collectés pour le recyclage sont effectivement recyclés…
Les priorités politiques devraient donc viser à réduire la consommation et encourager des modèles commerciaux fondés sur le réemploi et développer le recyclage. Le coût de la pollution par le plastique n’étant pas supporté par les acteurs qui tirent profit de sa production ou de son utilisation, il est moins coûteux de rejeter les déchets dans la nature que de gérer leur fin de vie ! Cette absence de responsabilité a conduit à une production insoutenable et à une pollution croissante – le rapport parle de « bombe à retardement » –, avec le danger des microplastiques et des nanoplastiques invisibles et encore mal connus.
Nous devons réguler et maîtriser ce grand déversoir à déchets et à pollution ! Nos collectivités disposent pour cela de leviers d’action : concrètement, depuis 2017, la ville de Strasbourg a adopté une démarche de suppression totale du plastique dans ses cantines scolaires.
La présente proposition de loi va permettre d’activer le mouvement. Consolidée par la commission, elle cible cinq mesures : c’est une étape positive ! Le groupe écologiste y apporte son soutien total ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. En 2017, les Nations unies ont dressé un constat effrayant : l’océan contenait entre 15 et 51 milliards de particules de plastique. Leur prolifération, notamment celle des microplastiques, est un fait aussi établi qu’inquiétant. De l’Antarctique aux grands fonds méditerranéens, ils sont partout.
Selon certains experts de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), dont le nouveau siège social a récemment été inauguré en votre présence, madame la secrétaire d’État, ainsi qu’en celle de M. Jean Castex, sur les 400 millions de tonnes de plastique produites chaque année, 10 millions finissent dans nos océans, avec des conséquences dramatiques pour la biodiversité.
Se fondant sur ce constat alarmant qui dépasse largement nos frontières, l’Union européenne n’est pas restée inactive. Elle a ainsi diligenté l’Agence européenne des produits chimiques qui, depuis 2019, a proposé une restriction de grande ampleur relative aux microplastiques présents dans les produits mis sur le marché dans l’Union européenne.
La proposition de loi présentée par Mme Préville s’inscrit dans cette volonté de réduction. Elle fait suite au projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. La France – il faut le rappeler – joue un rôle moteur dans ce domaine.
Notre groupe soutiendra l’article 1er ainsi que l’article 2, car nous rejoignons la rapporteure sur la date d’interdiction de l’ajout intentionnel de microbilles dans des détergents. De même, nous soutiendrons l’article 3 relatif au lâcher intentionnel de ballons de baudruche.
La commission a adopté un amendement présenté par la rapporteure tendant à interdire à moyen terme le recours aux granulés de plastique dans la fabrication de terrains de sport synthétiques. Permettez-moi de saluer la mise à l’agenda parlementaire de cette problématique par Françoise Cartron et Frédéric Marchand, respectivement autrice et rapporteur d’une proposition de loi du groupe RDPI : ils ont alerté dès 2018 sur les conséquences sanitaires et environnementales de l’utilisation de ces matériaux.
Cette disposition s’inscrit donc dans la continuité de ce travail engagé au Sénat, et qui a préoccupé très tôt nos élus. Nous voterons donc contre l’amendement déposé par plusieurs sénateurs visant à supprimer cette interdiction. Avançons sur cette question !
Ces débats essentiels, nous les poursuivrons dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, et je l’espère, avec le même esprit collectif.
Enfin, au-delà de notre rôle de législateur, l’Europe agit également. Réjouissons-nous que la France, très volontariste en la matière, exerce la présidence de l’Union européenne dans neuf mois. Nous aurons ainsi l’occasion, en 2022, de manifester avec force tous ensemble notre détermination commune pour protéger notre environnement.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un peu plus d’un an, nous votions ici même, au Sénat, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, la loi AGEC. Le groupe socialiste et le Sénat dans son ensemble avaient su rehausser les ambitions de ce texte. Au nom de mon groupe, j’avais défendu un amendement conservé dans la rédaction finale de la loi tendant à introduire un principe général selon lequel toutes les politiques publiques doivent fixer des actions à mettre en œuvre pour lutter contre la pollution causée par les plastiques dans l’environnement et réduire l’exposition des populations aux particules de plastique.
En tant que premier producteur européen de déchets de plastique, la France doit en effet avoir une véritable ambition en matière de lutte contre cette pollution. Sans infléchissement de nos modèles économiques, cette production devrait doubler d’ici à 2050.
La présente proposition de loi, présentée par notre collègue Angèle Préville, dont on connaît la ténacité sur ce sujet, s’inscrit dans cette logique en apportant de précieuses avancées juridiques et en ouvrant une nouvelle séquence au Sénat, en amont de l’examen du projet de loi Climat et résilience. Son récent rapport réalisé au nom de l’Opecst est extrêmement convaincant quant à l’urgence d’une action contre cette pollution massive, qui conduit aujourd’hui les scientifiques à rebaptiser l’anthropocène « plasticocène ».
Fondé sur ce constat aussi troublant qu’accablant, le présent texte contient des mesures concrètes et ciblées qui ont déjà été largement présentées.
L’article 1er vise ainsi à encadrer les pertes et fuites de granulés de plastique industriels, les célèbres « larmes de sirènes » que l’on retrouve quotidiennement sur nos plages jusque sur les bords de la Loire – que je connais bien – et même sur les bords du Der. La disposition proposée est très utile, car elle couvre certains angles morts qui persistent dans le décret en préparation.
Dans la même veine, l’interdiction de l’introduction intentionnelle de microbilles de plastique dans les détergents prévue à l’article 2 est de bon sens. Nous avions d’ailleurs voté cette disposition ici même, mes chers collègues, lors de la première lecture du projet loi AGEC.
Enfin, l’article 4 met en exergue une problématique aiguë qui demeure un impensé industriel : les microfibres de plastique contenues dans les textiles. Cette demande de rapport est un pavé dans la mare pour une industrie qui a longtemps fermé les yeux sur son impact environnemental. Le rapport de l’ONG Changing Markets Foundation publié le 2 février dernier démontre que l’utilisation du polyester dans les vêtements à bas coût a doublé en vingt ans. Le relargage des fibres textiles dans l’environnement est ainsi évalué à l’échelon européen entre 18 000 et 46 000 tonnes par an. Ce que l’on nomme la fast fashion, ou « mode jetable », doit sérieusement prendre en compte cet état de fait.
En conclusion, je tiens à remercier notre rapporteure Martine Filleul de la qualité de son rapport et de ses propositions qui ont encore permis d’améliorer ce texte. L’unanimité avec laquelle notre commission a voté celui-ci est de bon augure et démontre que, sur ces questions, le Sénat est capable de dépasser les clivages partisans pour l’intérêt général.
J’espère que le Gouvernement, par votre voix, madame la secrétaire d’État, se ralliera à ces dispositions très étayées et vitales pour « déplastiquer » progressivement, mais sûrement, notre économie, et surtout notre environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer à mon tour l’initiative de Mme la rapporteure, qui, lors de l’examen de ce texte en commission, a proposé d’en changer l’intitulé. En effet, il me paraît bien plus approprié d’évoquer la lutte contre la pollution plastique que celle contre le plastique.
La crise de la covid-19 nous a rappelé à quel point la filière de la plasturgie est essentielle à notre pays. Les industriels ont répondu présent en fournissant surblouses, visières et autres matériels essentiels en temps de crise sanitaire.
Ce secteur d’activité s’efforce également de répondre aux ambitions environnementales et écologiques, en favorisant les meilleures solutions d’emballage éco-efficaces et performantes, en rationalisant l’usage du plastique et en évoluant vers la mise en place de filières de valorisation des déchets.
Les professionnels de la filière plasturgie intègrent aujourd’hui les technologies et les compétences de l’économie circulaire. Par exemple, en Haute-Loire, le groupe Coveris flexibles France, qui détient l’un des plus gros sites de production industrielle du secteur de la plasturgie de mon département, a investi 7 millions d’euros pour répondre aux nouvelles attentes du marché et aux contraintes réglementaires.
À l’horizon de 2023, le groupe entend proposer 85 % de produits recyclables, issus pour 45 % de nouvelles productions à base de matières plastiques recyclées, de matière monomatériau et de papier. Cet objectif est d’ailleurs conforme aux critères de l’article 5 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite AGEC, qui prévoit de tendre vers 100 % de plastique recyclé d’ici au 1er janvier 2025.
Pour remédier à la pollution par le plastique, des initiatives politiques ambitieuses ont été engagées. La mise en œuvre des dispositions votées il y a un an dans le cadre de la loi AGEC n’est pas encore complète. Seulement 32 % des mesures sont actuellement appliquées de manière effective, la majeure partie des décrets d’application étant encore en cours de rédaction, en raison de l’ampleur des transformations proposées dans ce texte de loi.
Au-delà de la mise en œuvre, il est important de souligner qu’une transition écologique réussie ne peut se faire sans une certaine stabilité du contexte réglementaire. Même si nous approuvons les objectifs de lutte contre la pollution, non pas seulement celle causée par le plastique, mais toutes les formes de pollution, nous constatons que la présente proposition de loi ne fait qu’agiter le totem du plastique alors que nous avons besoin d’apaisement pour avancer concrètement sur ce sujet.
Sur la question du plastique, nous pensons qu’il faut adopter une approche plus pragmatique et liée à l’ensemble de la chaîne de valeur, de la conception des produits pour qu’ils soient recyclables à la collecte de ces mêmes produits en fin de vie pour qu’ils soient recyclés, afin qu’aucun plastique ne se retrouve dans l’environnement.
Au lieu de multiplier les interdictions, mes chers collègues, aidons nos industriels à aller plus loin en matière de recherche et de développement pour intégrer les filières dans l’économie circulaire pour produire de façon plus durable, plutôt que de les faire disparaître, au risque de devoir par la suite importer des produits dont les qualités environnementales seront incertaines et difficilement contrôlables. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le plastique, ou plutôt les plastiques sont présents dans la quasi-totalité des produits que nous utilisons au quotidien : automobile, sport, jardinage, jouets électroniques, cosmétiques – la liste est longue.
Ce matériau a permis d’améliorer la conservation des aliments et la lutte contre le gaspillage alimentaire, de sécuriser le secteur médical, de renforcer l’isolation et l’efficacité énergétique… Je pourrais décliner à l’infini ses apports bénéfiques.
Pourtant, nous sommes réunis cet après-midi pour évoquer la pollution causée par le plastique, qui est aussi une réalité. Les chiffres sont édifiants : selon l’ONU, ce sont, chaque seconde, pas moins de 17 tonnes de plastique qui sont déversées dans nos océans, dont 80 % proviennent de déchets abandonnés sur terre. Si rien n’est fait pour endiguer cette situation, nos océans devraient contenir plus de plastique que de poissons en 2050.
En décembre 2020, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a remis les conclusions d’un nouveau rapport qui ne font que renforcer notre inquiétude sur ce sujet.
La France possède le deuxième espace maritime mondial, derrière les États-Unis et devant l’Australie. C’est une chance sur le plan économique, car cette économie représente aujourd’hui 14 % de notre PIB, mais c’est aussi une responsabilité importante lorsqu’il s’agit de la protection de la biodiversité, notamment marine.
En 2018, nous avions débattu de ce sujet préoccupant au sein de cet hémicycle. J’avais alors rappelé que cette problématique devait être observée à travers un prisme international. En effet, selon Ocean Conservancy, cinq pays seraient la source de plus de la moitié des déchets de plastique qui sont rejetés dans les mers et les océans : la Chine, l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam et la Thaïlande émettraient à eux seuls 6,5 millions de tonnes de déchets déversées dans les océans, dont une part d’ailleurs provient de nos propres pays.
À l’échelon international, la France peut jouer un rôle via ses collectivités qui, aux termes de la loi Oudin-Santini, ont la possibilité de consacrer un pourcentage de leur budget à des actions internationales. Près de 5 000 collectivités territoriales françaises mènent des actions de développement à l’étranger avec plus de 8 000 collectivités locales partenaires. Au total, plus de 10 000 projets sont menés dans 134 pays. Toutefois, ce dispositif est encore trop peu utilisé, car il est trop complexe pour les petites collectivités françaises.
Dans le cadre de l’aide publique au développement, la France contribuera à hauteur de 1,5 milliard d’euros entre 2019 et 2023 pour alimenter le Fonds vert pour le climat. Ne devrait-on pas flécher une partie des investissements de ce fonds vers des projets permettant aux pays en développement de se doter de moyens pour mieux gérer ces déchets ? Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Notre pays s’est montré exemplaire depuis plusieurs années en permettant une prise de conscience généralisée de nos concitoyens et en adoptant des mesures ambitieuses pour protéger notre biodiversité et limiter la pollution par le plastique.
La proposition de loi de notre collègue Angèle Préville, que je salue, ainsi que la rapporteure, s’inscrit dans la continuité de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite AGEC – je salue Marta de Cidrac – et fait écho au triste constat que je viens de dresser.
La prise en compte de la pollution quasi invisible résultant des granulés ou des microbilles de plastique est une étape indispensable dans ce combat. Je ne peux que saluer cet engagement qui va dans le bon sens et qui est partagé par un grand nombre d’entre vous.
Cependant, il reste beaucoup à faire. Cette proposition de loi est une étape. Je ne doute pas que le projet de loi Climat et résilience permettra de poursuivre les discussions sur ce sujet et d’apporter des réponses à traduire de façon pragmatique sur le plan législatif. Pour l’heure, le groupe Les Républicains votera ce texte. (M. Joël Bigot applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre la pollution plastique
Article 1er
I. – L’article L. 541-15-11 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au I, les mots : « et de procédures » sont remplacés par les mots : « , de procédures et de systèmes d’information par voie d’affichage » ;
2° Après le II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Les sites mentionnés au I déclarent chaque année les pertes et fuites de granulés de plastique. »
II. – Le II bis de l’article L. 541-15-11 du code de l’environnement entre en vigueur le 1er janvier 2022.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Cigolotti, J.M. Arnaud et Bonneau, Mmes Loisier, Férat, Gatel, Morin-Desailly et Doineau, M. Moga, Mme Sollogoub, MM. Canevet, Duffourg, Levi, Détraigne et Chauvet, Mme Jacquemet et MM. Le Nay et Vanlerenberghe, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Les cosignataires de cet amendement estiment que l’objectif visé à l’article 1er est déjà couvert par l’article 83 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui précise que, à compter du 1er janvier 2022, les sites de production, de manipulation et de transport de granulés de plastiques industriels devront être dotés d’équipements et de procédures permettant de prévenir les pertes et les fuites de granulés dans l’environnement.
Par ailleurs, le décret d’application de l’article 83 n’est pas encore publié, ainsi que Mme la secrétaire d’État l’a rappelé, la mise en consultation publique ne s’étant achevée qu’au 1er mars dernier.
Les cosignataires de cet amendement estiment nécessaire de prendre du recul pour laisser à cette mesure le temps d’entrer en application, puis faire un bilan pour, enfin, modifier éventuellement certaines dispositions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Filleul, rapporteure. Il est défavorable. Les dispositions prévues à l’article 1er semblent indispensables à la bonne application du régime introduit par la loi AGEC. De plus, cet article ne fait que rétablir la disposition adoptée par le Sénat il y a plus d’un an.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Ces pertes de granulés de plastique industriels sont absolument considérables.
La rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi AGEC me semble tout à fait équilibrée. Par ailleurs, la rédaction du décret d’application de l’article 83, qui a donné lieu à une consultation du public, reprendra le souhait qui a été exprimé en faveur d’un renforcement des mesures d’affichage.
Je suis plus réservée quant à l’introduction d’une obligation de déclaration annuelle des pertes et fuites. C’est pourquoi ce projet de décret introduira une obligation de publication portant non pas sur la déclaration annuelle des pertes et fuites, mais sur la synthèse des audits.
J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
I. – Au a du 1° du I de l’article L. 541-15-12 du code de l’environnement, après le mot : « solides », sont insérés les mots : « ainsi qu’aux détergents contenant des microbilles plastiques ».
II (nouveau). – Le I du présent article entre en vigueur le 1er juillet 2022. – (Adopté.)
Article 2 bis (nouveau)
Après le II de l’article L. 541-15-12 du code de l’environnement, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – L’emploi de granulés de plastiques sur les terrains de sport synthétiques est interdit. Cette disposition s’applique aux terrains de sport synthétiques mis en service à compter du 1er mars 2026. »
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Lozach et Devinaz, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Nous proposons la suppression de cet article pour trois raisons.
Premièrement, ces granulés étant issus du recyclage de nos pneumatiques en fin de vie, interdire leur emploi revient à déplacer le problème. Il n’existe pas aujourd’hui d’alternative écologique à ce type de recyclage de nos pneumatiques, qui permet d’économiser 60 % de CO2.
Deuxièmement, en fixant l’échéance à 2026, nous laissons peu de temps à la recherche et développement pour trouver une solution pour le traitement de ces granulés ou une solution de substitution pour les terrains synthétiques. En interdisant leur utilisation à compter de 2026, il semble donc que nous brûlons les étapes.
Troisièmement, les terrains synthétiques sont devenus un outil essentiel dans nos collectivités pour le développement du sport pour tous, car ils réduisent la pression d’usage sur les terrains engazonnés dont nous avons du mal à entretenir le gazon à coups de produits qui polluent également. Nous allons mettre les collectivités territoriales en difficulté pour répondre aux besoins de développement de la pratique sportive, et ainsi freiner son développement.
Je ne doute pas que nous soyons tous attachés au développement du sport dans nos communes, et de ce point de vue, il me paraît que cet article aurait mérité une étude d’impact.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Filleul, rapporteure. Pour de multiples raisons déjà évoquées dans le propos liminaire, j’émets un avis défavorable.
Le danger est considérable, puisque les rejets par an et par terrain sont de l’ordre de 50 kilogrammes. Or, comme je l’ai indiqué, il existe des solutions de remplacement. La Commission européenne s’apprête d’ailleurs à prendre des décisions qui vont dans le sens de ce qui est proposé aujourd’hui.
Par ailleurs, l’alternative a déjà été évoquée : il s’agit du confinement, qui n’est pas satisfaisant pour des raisons de coût, mais également de sécurité.
Notre proposition est à la fois volontariste et pragmatique. En effet, elle ne vise que les nouveaux terrains. Sauf en cas de création de nouveau terrain, elle n’engagera donc pas de financements nouveaux de la part des collectivités territoriales. Enfin, le délai est tout à fait raisonnable puisque nous l’avons fixé au 1er mars 2026.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. J’émets un avis défavorable sur cet amendement de suppression. En revanche, l’avis sera favorable sur l’amendement suivant, qui vise à porter le délai à 2028, en cohérence avec le calendrier européen.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Savin, Kern, Hugonet, Belin, Pellevat et Henno, Mme Thomas, M. Regnard, Mme Belrhiti, M. Paccaud, Mmes Borchio Fontimp et Demas, MM. Laugier et Levi, Mmes Joseph et Chauvin, M. Détraigne, Mmes Deromedi et Muller-Bronn, MM. Vogel, Bouchet, Burgoa, E. Blanc, Duffourg et Chauvet, Mme Imbert, M. Meurant, Mmes Di Folco et Canayer, MM. Moga, Bonhomme, Courtial et Chatillon, Mme Gruny, M. Bazin, Mmes Guidez et Puissat, M. Cardoux, Mmes Estrosi Sassone et Ventalon, MM. Genet, Pemezec et Favreau, Mme Gosselin, MM. Bonne et Lefèvre, Mmes Jacquemet, Deroche et M. Mercier et M. B. Fournier, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer l’année :
2026
par l’année :
2028
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Filleul, rapporteure. Défavorable.
M. le président. Je rappelle que le Gouvernement a précédemment émis un avis favorable.
Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2 bis.
(L’article 2 bis est adopté.)
Article 3
Après l’article L. 541-49-1 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 541-49-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 541-49-2. – Le fait de procéder intentionnellement à un lâcher de ballons de baudruche en plastique sans s’assurer qu’ils retomberont dans des lieux appartenant à la personne qui l’accomplit ou à des personnes qui y ont préalablement consenti est assimilé à un abandon de déchets puni des peines prévues à l’article L. 541-46. »
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Gold, Cabanel et Corbisez, Mme Guillotin et MM. Guiol, Requier et Roux, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
plastique
insérer les mots :
ou de lanternes volantes non biodégradables
La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Le présent amendement vise à inclure les lanternes volantes non biodégradables au sein du dispositif encadrant le lâcher de ballons de baudruche en plastique prévu à l’article 3 de la présente proposition de loi.
À l’instar des ballons de baudruche, ces lanternes constituent une source de pollution. Une fois lâchées, elles deviennent des déchets qui se dispersent. Elles peuvent notamment comporter des parties métalliques. De plus, les risques d’incendie ne sont pas négligeables, puisque ces lanternes finissent toujours par retomber et peuvent s’accrocher à la végétation.
Certaines préfectures ont donc adopté des arrêtés visant à interdire le lâcher de lanternes volantes en même temps que celui des ballons de baudruche.
La mention « 100 % biodégradable » étant trompeuse, nous soutiendrons le sous-amendement de la rapporteure visant à supprimer la mention du caractère « non biodégradable » de ces lanternes volantes.
M. le président. Le sous-amendement n° 9, présenté par Mme M. Filleul, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n° 6, alinéa 5
Supprimer les mots :
non biodégradables
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Martine Filleul, rapporteure. Ce sous-amendement vise à supprimer la référence à la nature non biodégradable des lanternes volantes. Sous réserve de son adoption, la commission émettra un avis favorable sur l’amendement n° 6 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 6 rectifié et le sous-amendement n° 9 ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. L’avis est le même que celui de la commission. Les auteurs de cet amendement et de ce sous-amendement visent un double objectif : la lutte contre la pollution causée par le plastique dans l’environnement et la lutte contre les incendies.
L’exclusion prévue dans l’amendement n° 6 rectifié pour les lanternes biodégradables me paraît incompatible avec ce second objectif. Par ailleurs, la durée de biodégradation qui est prévue par les normes en vigueur semble inadaptée au cas des produits rejetés dans le milieu naturel. En effet, une période inférieure à deux ans n’empêche pas que ces matériaux soient ingérés par des organismes vivants.
Sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 9, j’émets donc un avis favorable sur l’amendement n° 6 rectifié.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 10, présenté par Mme M. Filleul, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
déchets
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
commis sur le lieu du lâcher.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Martine Filleul, rapporteure. Cet amendement de précision rédactionnelle vise à s’assurer de l’application effective de l’article 3 en prévoyant qu’un lâcher de ballons soit assimilé à un abandon de déchets commis sur le lieu du lâcher. Cette précision facilitera l’exercice par le maire de son pouvoir de police.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Gold, Bilhac, Cabanel et Corbisez, Mme Guillotin et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
des peines prévues à l’article L. 541-46
par les mots :
de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe
La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Le présent amendement étant satisfait par l’amendement n° 10 présenté par Mme la rapporteure, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 5 est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 10 ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Cet amendement vise à rendre le présent article plus opérationnel. J’émets un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
Au plus tard le 1er janvier 2022, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les impacts sanitaires, environnementaux et sociétaux de l’utilisation dans l’industrie textile de fibres plastiques pouvant être à l’origine de microfibres dans l’environnement. Ce rapport aborde notamment le sujet de la recherche et l’impact mesuré et tangible de la présence diffuse de cette pollution. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi dont la commission a rédigé ainsi l’intitulé : « proposition de loi visant à lutter contre la pollution plastique ».
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Création d’une vignette « collection » pour les véhicules d’époque
Adoption d’une proposition de loi modifiée
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, la discussion de la proposition de loi visant à la création d’une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d’époque, présentée par M. Jean-Pierre Moga et plusieurs de ses collègues (proposition n° 174, résultat des travaux de la commission n° 416, rapport n° 415).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Moga, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, l’objet de cette proposition de loi est de créer une vignette « historique » pour les véhicules disposant d’une carte grise « véhicule de collection ». Apposée sur le pare-brise des véhicules, cette vignette gratuite leur donnerait droit à une dérogation de circulation dans les zones à faibles émissions (ZFE).
Ce texte a été cosigné par plus de quatre-vingts sénatrices et sénateurs. Je les en remercie chaleureusement.
Pourquoi un tel engouement et pourquoi la nécessité d’un tel texte ? La pollution de l’air de nos grandes agglomérations étant de plus en plus importante, les ZFE sont à juste titre appelées à se multiplier. Ainsi, après Paris, le Grand Paris, Grenoble et Lyon, la loi d’orientation des mobilités a rendu obligatoire la création de ZFE dans sept autres métropoles : Aix-Marseille, Montpellier, Nice, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse.
Le projet de loi Climat et résilience devrait encore accroître leur nombre. Elles vont donc concerner des dizaines de millions de nos concitoyens.
L’objet de ces ZFE est de limiter la circulation des véhicules les plus polluants. En effet, pour circuler dans ces zones, les véhicules doivent avoir une vignette Crit’Air qui les classe selon leur niveau de pollution, les véhicules les plus polluants pouvant faire l’objet d’une interdiction de circuler. Comme l’a très bien rappelé la rapporteure, en commission, les véhicules de collection ne peuvent prétendre à une identification Crit’Air.
Il revient aux intercommunalités de définir les règles de la ZFE, et elles ont la possibilité de créer des dérogations pour les véhicules de collection. Par conséquent, les véhicules de collection ont actuellement le droit de circuler dans les ZFE.
Qu’en sera-t-il demain ? La multiplication de ces zones pourrait réduire comme peau de chagrin les possibilités de circulation, ce qui pose problème pour plusieurs raisons.
La première est patrimoniale. Au même titre que les cathédrales, les gares et moult bâtiments publics et privés, les fleurons de notre industrie font partie intégrante de notre patrimoine. Quoi de plus symbolique de cette industrie que les véhicules anciens, qu’il s’agisse de tracteurs, de véhicules agricoles, militaires et de pompiers, de motos ou d’automobiles ?
De la même manière qu’il faut entretenir notre patrimoine architectural, il faut entretenir ce patrimoine industriel. Dans cette conservation, l’usage et l’utilisation sont primordiaux. Pour les véhicules de collection, cela suppose de les faire rouler occasionnellement.
La deuxième raison de ne pas abandonner les véhicules de collection est de nature économique. Cette filière, constituée principalement d’artisans et de très petites entreprises, compte 24 000 emplois dans plusieurs secteurs : la carrosserie, la mécanique, l’entretien, le négoce, l’événementiel, etc. Son activité est croissante, avec un chiffre d’affaires annuel évalué à 4 milliards d’euros, soit le double de celui des sports mécaniques. À cela s’ajoute l’enjeu de la transmission des savoirs par l’apprentissage.
Autre argument fondamental, ces vieux véhicules que l’on voit de temps en temps parader dans nos rues et dans nos campagnes procurent de la joie et du bonheur non seulement à leurs propriétaires, mais aussi à tous ceux qui les admirent quand ils sont de sortie. À leur manière, ces vieux véhicules contribuent à renforcer le « vivre ensemble », le lien social et intergénérationnel si fragilisé en ces temps de crise sanitaire.
Cette passion partagée n’a rien d’élitiste comme j’ai pu l’entendre dire. De nombreux véhicules de collection sont accessibles à des prix tout à fait modiques. Par exemple, une 4 CV Renault – qui fut d’ailleurs la première voiture française construite à plus d’un million d’exemplaires, mais surtout la première qu’un ouvrier pouvait acheter neuve – une 203 Peugeot ou une Simca Aronde peuvent être acquises pour quelques milliers d’euros. Cela prouve qu’il s’agit d’une passion populaire, qui n’est heureusement pas réservée aux plus riches d’entre nous.
Trois arguments m’ont été opposés : l’un de décentralisation, l’autre écologique et le troisième de légistique. Je vais répondre à chacun d’entre eux.
Premièrement, mon texte serait en quelque sorte recentralisateur, puisqu’il créerait une possibilité nationale de dérogation aux ZFE pour les véhicules de collection.
Si cela peut sembler vrai, il faut revenir au sens même de la décentralisation, à laquelle je demeure naturellement très attaché. La décentralisation et la différenciation qui en découle permettent de prendre des décisions qui varient en fonction des réalités locales. Or un tel principe ne s’applique nullement dans la situation actuelle.
Comment justifier, en effet, que le propriétaire d’une voiture ancienne puisse avoir le droit de circuler à Grenoble quand le propriétaire du même véhicule ne pourrait pas le faire à Lyon, sans aucune différence de situation ? La différenciation ne serait alors rien d’autre qu’une discrimination qui ne se justifierait pas. Autrement dit, bien défendre la différenciation, c’est la réclamer à bon escient !
Deuxièmement, la création d’une vignette pour les véhicules de collection ne serait pas écologique.
Mes chers collègues, permettez-moi de m’inscrire vivement en faux contre cet argument. En effet, de quoi parle-t-on sinon d’une pollution des plus marginales ! Un véhicule de collection circule quinze fois moins qu’un véhicule ordinaire. Des études ont montré que les émissions de particules fines de ces véhicules sont 100 000 fois moins importantes que celles des autres véhicules. Quant aux oxydes d’azote, ils sont 20 000 fois moins abondants.
Les véhicules de collection ont un impact extrêmement faible sur la qualité de l’air. L’Allemagne, que l’on ne peut pas soupçonner de laxisme environnemental, autorise la circulation de ces véhicules de collection dans les ZFE depuis plus de dix ans. Mes chers collègues, c’est ce modèle allemand, ni plus ni moins, que je vous propose de transposer en droit français, en adoptant ce texte.
Il me reste à répondre à l’argument de légistique qui m’a valu l’avis défavorable de notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, au motif que ce texte relèverait du règlement et non de la loi.
Avec un peu de malice, je serais tenté de répondre que cette rigueur à défendre le domaine réglementaire n’anime pas souvent nos travaux. Combien de lois bavardes, aux articles éminemment réglementaires, n’avons-nous pas votées dans cet hémicycle ?
Trêve de malice ! Le caractère réglementaire du présent texte n’est pas si évident que cela. Il découle du fait que l’article de loi créant les ZFE renvoie à un décret la définition des catégories de véhicules dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite.
C’est sans doute là que le bât blesse. Le législateur n’aurait pas dû abandonner ce point au pouvoir réglementaire, tout simplement parce qu’il touche à une liberté fondamentale, la liberté de circulation, la liberté d’aller et venir. Dans cette proposition de loi, je propose au législateur de reprendre ses droits pour légiférer sur l’aménagement d’une liberté fondamentale.
Je tiens à féliciter ma collègue Évelyne Perrot, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, de son excellent travail, ainsi que tous les membres de la commission. Je lui souhaite aussi un prompt rétablissement.
Mes chers collègues, même si j’eusse préféré un avis favorable, je ne vous tiens pas rigueur de l’avis défavorable que vous avez émis sur ce texte. Tel est le jeu des institutions.
J’espère néanmoins que notre Haute Assemblée votera ce texte. Je l’espère non seulement pour les 250 000 collectionneurs de véhicules d’époque, mais aussi pour leurs millions de sympathisants, et pour continuer de voir briller les yeux des enfants quand le passé ressurgit dans nos rues et dans nos campagnes, sur deux, trois, quatre, et parfois même six ou huit roues ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, en remplacement de Mme Évelyne Perrot, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean-François Longeot, en remplacement de Mme Évelyne Perrot, rapporteure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je vous prie de bien vouloir excuser la rapporteure, Mme Évelyne Perrot, qui ne peut être présente et qui m’a chargé de m’exprimer en son nom. Je tiens à la remercier de l’important travail qu’elle a effectué sur cette proposition de loi, et je lui souhaite un prompt rétablissement.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a rallié quatre-vingts signataires. Cet engouement est, bien entendu, un témoignage de la sympathie que nous portons à notre collègue Jean-Pierre Moga, premier signataire. Il est aussi, et surtout, un révélateur de l’empreinte assez profonde qu’ont laissée dans nos mémoires individuelles et collectives les voitures de collection.
La commission a unanimement tenu à envoyer un message positif, non seulement aux 250 000 collectionneurs de voitures d’époque, mais aussi à des millions de sympathisants, aux territoires et aux élus qui organisent 6 000 à 7 000 manifestations par an, ainsi qu’à toute la filière « voitures de collection » qui représente, en 2020, grâce à son dynamisme, 24 000 emplois et 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Le phénomène est encore plus profond. Avec beaucoup d’à-propos, un de nos collègues en commission a cité les travaux de Roland Barthes, qui dans les années 1960 plaçait la voiture dans la catégorie des mythologies françaises : « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. » Tout au long de ses travaux, la commission a été sensible à cette dimension qui semble appartenir au passé, mais dont nous témoignons qu’elle continue d’imprégner le présent et sans doute l’avenir.
L’enjeu de cette proposition de loi qui vise à garantir la circulation des véhicules de collection tient à la préservation d’un double patrimoine, industriel et culturel.
Un patrimoine industriel, tout d’abord : alors que nous souhaitons relocaliser l’industrie dans les territoires, il est essentiel de rappeler la place centrale des objets haut de gamme dans notre économie, avec parmi eux les véhicules d’époque. Le design et l’excellence de fabrication sont autant de marqueurs de notre industrie automobile, dont les véhicules de collection sont en quelque sorte les porte-drapeaux.
Un patrimoine culturel, ensuite : les véhicules de collection procurent indéniablement des moments de convivialité dont notre pays a tant besoin aujourd’hui. Le passage de ces véhicules suscite l’enthousiasme et aussi l’apaisement dans les grandes agglomérations où la circulation est trop souvent crispée par des tensions entre les voitures, les deux roues, les trottinettes et les piétons. La passion intergénérationnelle suscitée par ces véhicules n’est d’ailleurs pas nécessairement liée à la richesse économique ni réservée aux très hauts salaires. Nous écartons le soupçon d’élitisme en rappelant la réalité : un véhicule de collection n’est pas nécessairement un véhicule très onéreux, comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi.
Au cours de ses travaux, la commission a étudié la question des émissions des véhicules de collection. Les véhicules immatriculés comme tels représentent une très faible proportion du parc roulant, oscillant entre 0,5 % et 1 %. Chaque voiture parcourt un petit nombre de kilomètres, soit environ mille par an. La proportion de motorisations diesel est, pour l’heure, très faible, ce qui évite la production de microparticules, mais la consommation d’essence des véhicules de collection est souvent plus élevée que la moyenne et s’accompagne donc de plus fortes émissions de CO2, tout particulièrement en cas de mauvais réglage, avec une très grande hétérogénéité en fonction de l’âge du véhicule.
Néanmoins, tout élargissement du périmètre des véhicules d’époque aurait pour conséquence d’augmenter l’impact carbone de la circulation de ces véhicules.
Alertée de l’existence d’une possible entrave à la circulation des véhicules de collection, la rapporteure a entendu plusieurs acteurs concernés par la mise en place des zones à faibles émissions. Ces travaux sont rassurants : toutes les collectivités impliquées ont prévu des dérogations pour les véhicules de collection.
Le mécanisme des ZFE a été pensé comme un outil donnant la main aux territoires, et il prévoit trois types distincts de dérogations à ces restrictions de circulation. Celles-ci s’exercent au niveau national, local et individuel et sont toutes appliquées par voie réglementaire. L’intelligence territoriale fonctionne ! Je souligne d’ailleurs que ces dérogations sont mises en place par des élus de tous les bords politiques.
Le ministère des transports a également confirmé que des discussions étaient en cours avec la Fédération française des véhicules d’époque pour inscrire les véhicules de collection parmi les dérogations nationales, au même titre que les véhicules de police ou de pompiers.
Dès lors, la question qui nous est posée est de savoir si, au-delà du signal que nous envoyons, il nous faut voter une loi sur la libre circulation des voitures de collection. Notre commission n’a pas souhaité se prononcer en ce sens pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, dans les ZFE déjà mises en place, on n’identifie pas d’entrave à la liberté de circulation des voitures de collection.
Ensuite, si par le passé, le Parlement a parfois légiféré dans le domaine réglementaire, nous sommes devenus plus exigeants. Je rappelle aussi que le Conseil d’État protège de façon systématique le domaine législatif et sanctionne les décrets qui s’aventurent dans le domaine de la loi. En l’occurrence, la loi renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les catégories de véhicules dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite.
En fin de compte, si le législateur adoptait cette proposition de loi, il en résulterait une vraie dissymétrie avec, d’une part, une loi spécifique pour les voitures de collection et, d’autre part, un décret qui accorde des dérogations nationales pour tous les autres véhicules, voitures de police, de pompiers, etc.
Je conclurai en rappelant deux éléments. Tout d’abord, la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE) est venue au Sénat pour recommander de suivre le modèle allemand qui facilite la circulation de 595 000 véhicules de collection à travers les 85 zones écologiques allemandes. Or la transposition de cet exemple allemand passe nécessairement par la voie du décret. Il suffirait d’ajouter trois mots dans la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, très précisément à l’article R. 2213-1-0-1 qui « interdit d’interdire » l’accès à certains véhicules dans les zones à circulation restreinte.
Ensuite et surtout, j’insiste sur le fait que le Sénat, grand conseil et protecteur des territoires, reste plus que jamais attentif à la nécessité de différencier les solutions locales ; or c’est très exactement la philosophie qui a présidé à la conception des zones à faibles émissions comme des outils à la disposition des collectivités territoriales.
Jusqu’à maintenant, l’intelligence territoriale a fonctionné à plein régime en accordant aux voitures de collection la souplesse que nous préconisons.
Rappelons qu’il ne s’agit pas là de la seule compétence de restriction de circulation dont sont dotés les maires, qui disposent d’autres pouvoirs portant sur la liberté de circulation.
Notre commission a donc conclu l’examen de ce texte en adressant un message très positif pour la préservation d’un phénomène culturel, social et industriel. Toutefois, dans un souci de cohérence juridique avec nos travaux législatifs passés et à venir sur les ZFE, nous n’avons pas adopté le dispositif prévu dans cette proposition de loi, car il pourrait nous engager dans une mécanique juridique complexe.
Surtout, faisons confiance à l’intelligence territoriale et évitons de susciter un raidissement de la part de ceux qui craignent qu’on ouvre la « boîte de Pandore » des dérogations législatives. Plusieurs des amendements déposés sur ce texte confirment ces craintes, en élargissant considérablement la dérogation prévue qui concernerait alors presque un million de véhicules.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Mesdames, messieurs les sénateurs, qui parmi nous n’a pas déjà tourné la tête, émerveillé par le ballet des 2 CV, des DS, des Delage, des véhicules militaires ou des engins de secours qui, régulièrement, défilent sur les quais de Seine ou qui sont exposées sur les places des villages ?
Les véhicules de collection sont une part de notre patrimoine, une tradition populaire, une trace de la place centrale qu’ont eue la France dans le développement de l’automobile et l’industrie automobile dans le développement de la France.
Comme vous, le Gouvernement souhaite les préserver. Comme vous, le Gouvernement souhaite qu’ils puissent continuer de circuler. Nous sommes d’accord sur l’objectif ; il nous reste à nous accorder sur les modalités.
Premièrement, votre texte pose le principe d’une dérogation nationale pour la circulation des véhicules de collection dans les zones à faibles émissions.
Créées par la loi d’orientation des mobilités et renforcées par le projet de loi Climat et résilience, ces zones sont nécessaires pour améliorer la qualité de l’air dans les centres urbains les plus denses. C’est une question de santé publique.
Vous craignez que leur mise en place dans plusieurs agglomérations françaises n’ait pour conséquence de limiter la circulation des véhicules de collection. Or ces derniers ne sont pas laissés sur le bord de la route : les ZFE mises en place ou en cours de l’être prévoient toutes, sans exception, des dérogations locales pour les véhicules de collection. Aucun problème n’a pour l’instant été décelé.
Il revient aux collectivités de mettre en place les règles de restriction de circulation. Il paraît donc logique qu’il leur revienne aussi de définir les dérogations.
Actuellement, la seule dérogation nationale concerne les véhicules d’intervention, comme les camions de pompiers, les ambulances et les véhicules de police. Pour ces véhicules, nous ne pourrions en effet envisager qu’un délai pour la mise en place des dérogations empêche leur circulation, même temporairement.
Je tiens par ailleurs à préciser que, dans le projet de loi Climat et résilience, nous prévoyons de simplifier encore le dispositif.
Le pouvoir de mise en place des ZFE sera transféré au niveau du président de la métropole. Ainsi, pour toute dérogation, d’un arrêté pris au niveau de chaque mairie – soit presque une centaine au sein de la métropole du Grand Paris, par exemple –, nous passerons à un seul arrêté pour l’ensemble de la métropole.
Deuxièmement, votre texte vise à créer une « vignette » collection. Là encore, nous approuvons l’idée de mieux protéger les véhicules de collection, mais nous divergeons sur les modalités de mise en œuvre.
Pour mieux les protéger, il faut d’abord mieux définir ce qu’est un véhicule de collection. Or le texte ne répond pas à cette question, puisqu’il renvoie au pouvoir réglementaire le soin de préciser les critères. S’il était adopté, nous en resterions ainsi au même point qu’aujourd’hui.
Les critères actuels permettant d’obtenir la qualification de « véhicule de collection » ne sont pas assez restrictifs. Les normes européennes indiquent que tout véhicule de plus de 30 ans n’ayant pas été modifié peut y prétendre, en adressant une demande de « certificat collection » à la Fédération française des véhicules d’époque. Cela englobe les premières Renault Espace et bientôt les Renault Twingo. L’appellation de « véhicule de collection » a-t-elle vocation à s’appliquer à ces modèles ? La question se pose.
Le Gouvernement s’est attelé à définir des critères plus précis. Nous avons engagé un travail avec la Fédération française des véhicules d’époque en ce sens. Étant donné que ces véhicules sont plus anciens, ils sont aussi plus émetteurs au kilomètre parcouru, comme certains d’entre vous l’ont dit. Si nous voulons leur accorder une dérogation de circulation, il est nécessaire de réfléchir à des critères qui permettraient de confirmer qu’ils roulent peu, et qu’ils sont donc peu émetteurs dans les faits. C’est précisément ce à quoi nous travaillons.
Nous réfléchissons par exemple à restreindre l’âge des véhicules, pour n’accorder une dérogation qu’aux plus anciens, dont le caractère de collection semble pertinent ; à ne pas autoriser les trajets du quotidien pour ces véhicules, par exemple ceux entre le domicile et le lieu de travail ; à exclure de la dérogation certains types de véhicules plus polluants, comme les véhicules diesels ou les véhicules utilitaires ; à définir un kilométrage maximal annuel ; ou encore, à mettre en place un contrôle technique adapté pour assurer la sécurité de ces véhicules.
Ces travaux embryonnaires doivent être poursuivis, et je suis très ouvert aux contributions du Parlement.
Enfin et surtout, nous avons un troisième point de divergence, car tous les aspects de cette proposition de loi sont de nature réglementaire, tant la qualification des véhicules de collection que le niveau de dérogation aux ZFE. Il n’est donc pas nécessaire d’inscrire ces points dans la loi. Un décret en Conseil d’État suffira lorsque nous aurons trouvé un point de convergence sur les modalités d’application.
Pour toutes ces raisons, et dans la lignée de l’avis que Mme la rapporteure a donné en commission, le Gouvernement ne soutient pas cette proposition de loi. Nous restons en revanche à disposition pour poursuivre le travail de qualification de ces véhicules avec la Fédération française des véhicules d’époque, et en lien étroit avec les parlementaires qui le souhaiteraient.
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les amoureux de belles jantes et de carrosseries brillantes voient les voitures anciennes de collection comme des joyaux à préserver. Comment ne pas partager cette ambition, rappelée par Charles Trenet lorsqu’il chantait l’automobile dans Route nationale 7, ou dans un autre titre que je ne vous chanterai pas ?
Outre leur dimension patrimoniale incontestable, nous voyons dans ces joyaux automobiles la célébration de la liberté et des congés payés. Nous leur associons aussi une vertu émancipatrice, formulée à sa manière par le général de Gaulle lorsqu’il évoquait l’aspiration des femmes à vouloir conduire une « auto » et qu’il concluait : « C’est le mouvement ! »
À côté des automobiles, il y a aussi la belle collection des tracteurs et ce culte que je voue, en particulier, au volant d’inertie du monocylindre horizontal de la Société Française de Vierzon, construit en 1954…
M. Gérard Longuet. Le célèbre Vierzon !
M. Gérard Lahellec. Tout cela fait partie de notre patrimoine et nous partageons le même souhait de pouvoir le préserver, l’entretenir et le faire connaître.
Cependant, il y a le texte et le contexte ! Cette proposition de loi intervient en effet à un moment où il faut répondre à l’urgence sociale. Elle aurait pour étrange effet que des voitures non indispensables pourraient rouler, tandis que ce ne serait pas le cas d’autres véhicules indispensables pour que leurs propriétaires issus des catégories populaires puissent aller au travail tous les jours.
Ce texte paraît aussi en décalage avec un certain nombre d’enjeux environnementaux. Il aurait dû mieux trouver sa place dans les débats en cours ou à venir.
Enfin, il y aurait à redire sur le nombre de véhicules concernés. En effet, les dispositions prévues dans le texte portent seulement sur 215 000 véhicules. Qu’en sera-t-il des 685 000 autres dont il conviendrait de tenir compte ?
Par conséquent, il nous semble que, sur le fond, la proposition de loi reste très partielle et mériterait d’être consolidée. Ce sont là autant de raisons qui nous conduisent, sans malice, je vous l’assure, à nous abstenir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à n’en pas douter, si nous devions associer un siècle à un objet technologique, il n’y aurait rien de mieux pour caractériser le XXe siècle que l’automobile, invention qui bouleversera la société, outil d’émancipation des individus qui favorisera la libération des mobilités.
Il est intéressant de remarquer que le premier déplacement privé de plus de cent kilomètres en Allemagne a été effectué par Bertha Benz en 1888 : celle-ci utilisa l’invention de son mari pour aller, sans la permission des autorités, rendre visite à sa mère.
L’automobile modifiera considérablement l’organisation du travail. Le taylorisme et le fordisme vont ainsi introduire le travail à la chaîne, l’hyperspécialisation des tâches, puis les flux tendus, le lean manufacturing et autres concepts poussant vers toujours plus de performance opérationnelle et d’optimisation des coûts.
L’automobile est aussi l’une des caractéristiques de la puissance industrielle des États, qui sont souvent identifiés par les marques qu’ils produisent. C’est une industrie qui entraîne dans son sillage celle du pétrole qui marque, lui aussi, son siècle.
Enfin, l’automobile a la capacité de façonner les imaginaires avec des compétitions en tout genre, des épopées et des sagas, mais aussi des représentations et un statut social.
Roland Barthes ne s’y est pas trompé puisque, en 1957, dans son livre Mythologies consacré aux mythes de la vie quotidienne française, il a consacré un article à la nouvelle DS. Hasard du calendrier parlementaire, y figure aussi un article sur ce nouveau matériau qu’est alors le plastique, symbole d’une forme de modernité qui, quelques décennies plus tard, aura colonisé notre planète.
Le XXe siècle s’est refermé sur le constat amer que notre modèle de développement touchait à ses limites. L’épuisement des ressources, le réchauffement climatique, la pollution de l’eau et de l’air nous poussent à nous interroger et à agir. C’est aussi dans ce contexte, celui d’un changement de paradigme, que nous devons analyser cette proposition de loi.
Comme les différents orateurs l’ont souligné, nous devons avancer dans trois directions déterminantes si nous voulons envoyer un bon signal avec cette proposition de loi.
La première, c’est la cohérence et la lisibilité au regard du changement climatique. Certes, les véhicules de collection représentent une faible part des émissions de particules, mais, alors que les zones à faibles émissions mobilité (ZFEM) ont été créées pour protéger les populations contre la pollution issue du trafic routier, la qualité de l’air représente un enjeu majeur de santé publique.
D’après l’étude réalisée par Santé publique France, la pollution de l’air serait responsable de 48 000 décès prématurés par an en France. Le trafic routier est responsable de 57 % des émissions d’oxyde d’azote. Devons-nous ouvrir la voie législative à un contournement généralisé du dispositif, alors que d’autres solutions existent si l’on veut permettre à ces véhicules patrimoniaux de continuer à circuler ?
À l’heure où les débats se concentrent sur le projet de loi Climat et résilience et la traduction législative des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, ne risquons-nous pas d’envoyer un message qui sera probablement mal perçu et susceptible d’être dénigré, et de déconsidérer notre institution ?
La deuxième direction dans laquelle je vous propose d’avancer, c’est le domaine de la loi. Des dérogations générales à l’application du dispositif ZFE sont possibles. L’article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales dispose que l’accès à la zone de circulation restreinte ne peut être interdit aux véhicules d’intérêt général, aux véhicules du ministère de la défense, aux véhicules portant une carte de stationnement pour personnes handicapées, etc.
Devons-nous compléter par voie législative cette liste de dérogations générales qui, elles, sont du domaine réglementaire ? Nos débats ont souvent illustré cette impérieuse nécessité de cantonner chacun dans son domaine respectif. Lors des débats de contrôle, combien de fois avons-nous dénoncé l’absence de publication des décrets d’application ?
À cet égard, monsieur le ministre, je vous rappelle que nous sommes en attente de la parution de nombreux décrets en application de la loi 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités. En effet, plusieurs textes réglementaires d’importance manquent encore à l’appel, comme le décret découlant de l’article 28 sur les services numériques multimodaux, ou MaaS – Mobility as a Service –, le décret précisant l’obligation de créer des stationnements pour les vélos dans les gares, ceux qui concernent les services de mise en relation de covoiturage, les plateformes, ou la portabilité de certains droits dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.
Enfin, la troisième direction dans laquelle il conviendrait d’avancer est celle de la libre administration des collectivités locales.
L’article R. 2213-1-0-1 du code général des collectivités territoriales, déjà mentionné, prévoit la possibilité que des dérogations individuelles puissent être accordées par le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation.
Les collectivités peuvent donc prendre des arrêtés pour établir la liste des dérogations à la zone à faibles émissions mobilité pour les véhicules utilitaires légers et les poids lourds. Les véhicules de collection sont compris dans ces dérogations. C’est notamment le cas pour Grenoble-Alpes Métropole.
N’oublions pas que le Sénat est l’assemblée des collectivités locales et que nous devons faire confiance au dialogue, à la compréhension mutuelle et à l’intelligence territoriale pour trouver les solutions adaptées permettant à ces véhicules de continuer à circuler.
Sans sous-estimer la valeur patrimoniale des véhicules de collection, le poids économique représenté par ce secteur, le potentiel d’animation locale que représentent les manifestations et les rallyes, mais au vu des éléments développés, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je défendrai à titre personnel, avec le soutien d’une très large majorité du groupe Les Républicains, la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Pierre Moga.
Nous observons une très grande solidarité de l’ensemble de nos collègues sénateurs à propos du patrimoine que constitue, pour notre pays, la passion des 250 000 collectionneurs qui rassemblent des centaines de milliers de véhicules et animent chaque année des milliers d’événements sur l’ensemble du territoire français, dont certains sont certes extrêmement prestigieux, mais dont l’immense majorité traduit une mobilisation populaire, un véritable engouement pour ce qu’a été l’histoire de cette technique dans notre pays.
En réalité, ce qui importe avec ces véhicules, c’est de les voir fonctionner et, donc, de les faire circuler. Rien n’est plus triste pour ceux qui sont passionnés par ces voitures que les musées où celles-ci restent inertes. C’est un bonheur de visiter le musée de Mulhouse, mais la véritable passion pour ce produit de l’intelligence humaine, du savoir-faire, de l’habileté industrielle et technologique, issu de la main-d’œuvre que constituent les carrossiers, les selliers et les soudeurs qui ont travaillé pour construire ces véhicules, s’exprime quand on les voit vivre.
À l’issue de ce débat, nous devrons offrir un cadre législatif à cette passion pour que le passé, notre histoire automobile si riche d’enseignements – je pourrais y revenir –, ait un avenir. Si les propriétaires de ces véhicules n’ont pas la certitude de pouvoir rouler, c’est toute une filière qui sera remise en cause.
À partir du moment où l’on ne trouvera plus d’artisans, d’ouvriers et de professionnels s’engageant, inquiets de leur avenir, à perpétuer ce savoir-faire, c’est peu à peu tout ce patrimoine qui s’étiolera et disparaîtra.
À écouter les interventions des uns et des autres, il me semble que personne ne rejette cette idée. Personne sur ces travées n’y est franchement opposé, mais réfléchissons ensemble : qu’apporte la proposition de loi ? Elle crée une base législative, qui n’apparaît pas nécessaire de prime abord, mais qui l’est profondément.
En effet, les comportements sociaux ne sont plus les mêmes. En ma qualité d’ancien ministre de l’industrie, il m’arrive souvent de dire que, si le principe de précaution avait été opposé aux frères Farman, à Louis Blériot ou à Louis Bréguet, jamais aucun avion n’aurait volé dans notre pays et jamais ces personnages n’auraient marqué l’histoire aéronautique. Il y a donc toujours eu, à chaque époque, une évolution des comportements et des attentes.
Jean-Pierre Moga a soulevé la question très précise des ZFE. Sur le plan juridique, monsieur le ministre, je suis assez d’accord avec la commission : c’est l’affaire des collectivités locales. De plus, à un moment où l’on demande des efforts à nos compatriotes, notamment de renoncer aux facilités qui étaient les leurs, peut-on créer une sorte d’exception ?
Il y a même beaucoup plus grave. De ZFE en principe de sécurité, en confort, en comportements restrictifs, nous pourrions demain rencontrer des gens qui, à juste titre, se diront que ces véhicules n’ont simplement aucun intérêt, puisque nous n’aurons même plus la joie limitée, exceptionnelle, parfaitement marginale dans les statistiques, notamment celles de la circulation et des accidents, de voir ces véhicules rouler, non pas parce qu’on ne les aime pas – tous les intervenants qui se sont exprimés ici sont très favorables à ces témoignages du passé –, mais parce que, règlement après règlement, nous allons interdire de fait leur utilisation, sauf dans des conditions très exceptionnelles, en vertu d’autorisations préalables et sans doute de plans de circulation avalisés par des ingénieurs compétents, tous regroupés dans des comités d’approbation…
Il faut en rester à un principe de liberté. Monsieur le ministre, c’est très bien que cette liberté soit encadrée et que le pouvoir réglementaire fixe des limites – après tout, il est là pour cela, comme le code de la route nous le rappelle…
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Gérard Longuet. Il faut consacrer ce principe de liberté et accepter ensuite des adaptations réglementaires. Si ce principe de liberté n’est pas posé, notre passé n’aura pas d’avenir. Nous n’aurons pas d’avenir du tout, car nous nous priverons de ce formidable héritage. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ah ! la voiture ! Cet objet de culte qui a fait rêver tous les enfants du monde, mais aussi les adultes, monsieur Moga !
Aujourd’hui, les enjeux autour de nos véhicules ont bien changé. Ils s’inscrivent dans les transitions que nous avons amorcées. Nous avons encadré ces évolutions dans la loi d’orientation des mobilités et étudierons de nouveau la question dans les discussions qui auront lieu ces prochains mois.
Les voitures anciennes occupent une place toute particulière dans le cœur des Français. Environ un million de voitures anciennes sont en circulation sur notre territoire, ce qui représenterait 1,5 % du parc roulant. Les collectionneurs sont nombreux et passionnés dans notre pays. C’est pourquoi je salue l’esprit du texte que nous examinons aujourd’hui, qui vise à la création d’une vignette « collection » pour les véhicules d’époque.
Cependant, je comprends aussi les arguments avancés par M. le rapporteur et dont nous avons discuté en commission, qu’il s’agisse de la complexité juridique du mécanisme dans le cadre existant des zones à faibles émissions mobilité (ZFEM) ou du volet réglementaire qui est privilégié.
À ce titre, je me félicite de la discussion en cours entre le milieu associatif et le ministère de la transition écologique, mais je reste persuadé que les solutions à l’échelon local sont plus pertinentes.
Je suis également sensible à la problématique de la pollution de l’air, dont le trafic routier est l’un des grands responsables. Notre pays a d’ailleurs été condamné par la Cour de justice de l’Union européenne pour manquement aux obligations issues de la directive concernant la qualité de l’air.
Cependant, les voitures anciennes ne représentent qu’une faible part de nos émissions : elles sont peu nombreuses et parcourent, chaque année, un kilométrage bien inférieur à la moyenne des véhicules en circulation en France. Leur impact est donc minime.
Il me paraît aujourd’hui crucial de préciser la définition et le cadre juridique des véhicules de collection. Il est essentiel d’ouvrir des discussions sur les conditions à remplir, afin de savoir où placer le curseur en la matière. Cela rendra l’identification de ces véhicules plus facile.
J’aimerais également revenir sur les dérogations créées, d’abord en soulignant, comme beaucoup l’ont fait, que des dérogations locales sont déjà autorisées au niveau des ZFEM. Ces territoires ont tous accordé une dérogation aux voitures de collection. J’espère que les prochaines ZFEM feront de même.
En effet, le monde du véhicule ancien est aussi un secteur économique important, avec des milliers d’emplois et un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros. Ce sont de nombreuses manifestations qui rassemblent des passionnés du monde entier. Ces manifestations sont sportives, mais elles peuvent aussi être amicales et présenter simplement une dimension ludique, comme lors d’une balade dans une vieille Renault Dauphine.
C’est une tradition française, mais c’est souvent aussi notre histoire familiale. Je pense aux souvenirs de nos parents ou de nos grands-parents en Peugeot 403. C’est aussi l’histoire de fleurons industriels français, le cahier des charges de la Citroën 2 CV, ou encore l’évolution spectaculaire du design de la DS.
Les enjeux autour de la voiture sont aujourd’hui différents. Nous cherchons désormais à développer des infrastructures de mobilité qui s’éloignent de ce que l’on appelle le « tout-voiture ». Cette politique permettra de désenclaver les territoires ruraux et très peu denses, tout en luttant contre la pollution atmosphérique. On construit des voitures plus propres. J’encourage bien sûr ces évolutions pour nos citoyens et nos territoires.
Cependant, il suffit de voir les yeux pétillants des collectionneurs de voitures devant leur bolide pour comprendre les passions que suscite cette proposition de loi.
Les véhicules électriques ne remplaceront jamais – hélas ! – les odeurs d’huile,…
M. Gérard Longuet. L’huile de ricin !
M. Pierre Médevielle. … de carburant et de cuir propres à ces œuvres d’art de l’industrie automobile.
Pour toutes ces raisons, mon groupe soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons un impératif : la lutte contre la pollution de l’air et ses conséquences sanitaires désastreuses.
Les zones à faibles émissions (ZFE), les dispositifs de restriction de circulation des véhicules les plus polluants, sont donc des leviers nécessaires qui doivent être maniés de façon suffisamment ferme pour donner des résultats.
Pour autant, d’autres impératifs de service public, d’intérêt général, justifient que soient ménagées des dérogations, par exemple pour les services de police ou les services d’incendie et de secours. Tout le monde le comprend.
Les voitures de collection méritent-elles une dérogation ?
Oui, si l’on considère que l’intérêt général nécessite aussi la préservation de notre patrimoine et la pérennité des savoir-faire d’une filière artisanale de maintenance et de rénovation. Oui, si l’on considère que leur usage réel, quand il est raisonnable, en fait une source d’émissions marginales. En termes de santé publique et de qualité de l’air, leur interdiction n’améliorerait quasiment rien.
Comme alsacien, je connais un peu le fameux modèle allemand d’exemption : celui-ci est effectivement cohérent, pratique et donne satisfaction. Ce modèle nous montre qu’il est possible de bien cadrer, en jugulant les effets d’aubaine par une labellisation rigoureuse, un dispositif permettant de concilier lutte contre les motorisations polluantes et maintien d’une culture populaire de préservation et d’usage récréatif des belles voitures d’autrefois.
Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Le souci est qu’elle n’emprunte pas la bonne voie. On le sait, puisque Mme la rapporteure nous l’a rappelé en commission, puis le président Longeot tout à l’heure, la loi prévoit que les dérogations pour les zones à faibles émissions sont accordées par voie réglementaire. C’est ce qu’ont fait toutes les ZFE actuelles, puisqu’elles ont concédé des dérogations aux voitures de collection. C’est ce que le ministère prépare éventuellement, les discussions à ce sujet étant en cours.
Notre groupe préfère la voie réglementaire qui nous semble être le bon levier pour atteindre l’objectif. Voilà pourquoi nous ne voterons pas ce texte.
Et puisqu’il est question de patrimoine, je conclurai en paraphrasant ce petit bijou qu’est la chanson de Charles Trenet À la porte du garage, chanson qu’évoquait dernièrement notre collègue Gérard Lahellec en commission. Charles Trenet était prophétique : oui, vivement que dans nos zones à faibles émissions apaisées et respirables, les vélos rencontrent parfois une poétique voiture d’époque « en freinant bien pour ne pas la dépasser » ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la poule au pot sous Henri IV, l’automobile reste « un lieu de mémoire heureux dans l’imaginaire des Français ». Voilà comment l’historien des transports Mathieu Flonneau caractérisait, dans un entretien donné en 2019 au journal Le Monde, le rapport des Français à l’automobile.
Oui, nos concitoyens demeurent attachés à la culture automobile et à ce patrimoine historique qui nous ramène aux plus grandes heures de notre mémoire collective, qu’elles soient heureuses ou sombres. Rappelez-vous, mes chers collègues, ces célèbres tacots que furent les taxis de la Marne ou bien encore, dans un autre registre, le gang des tractions avant.
L’automobile, même si elle est synonyme d’innovations permanentes, n’oublie pas pour autant son passé et ne manque jamais de célébrer ses ancêtres, avec un parc de véhicules de collection évalué à près de 300 000 dans notre pays. Souvent remises à neuf pour contrer les ravages du temps, bichonnées par leurs propriétaires qui y consacrent temps, moyens et énergie passionnée, ces véhicules forcent le respect, d’autant plus quand on les croise lors de leurs balades dominicales.
La proposition loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un moment particulier de notre histoire. La nécessité qui est la nôtre, qui doit être notre mantra collectif, est « d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ».
Nous savons toutes et tous que la transition écologique est une véritable priorité pour le bien-être collectif et même la survie de nos civilisations.
Mais nous avons à relever le défi de la transition écologique ensemble : nous ne le relèverons pas les uns contre les autres, et encore moins les uns au détriment des autres. Voilà l’esprit qui doit nous animer lors de l’examen à venir du projet de loi Climat et résilience et de son article 27, qui fixe l’entrée en vigueur de zones à faibles émissions dans les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants d’ici au 31 décembre 2024.
Cette annonce a fait du devenir des véhicules de collection l’objet de tous les fantasmes, mais il est bon en la matière de conserver la tête froide et de raison garder. Comme notre rapporteur Évelyne Perrot, que je veux saluer ici pour la grande qualité de son travail sur un sujet très complexe, je partage l’analyse selon laquelle il revient aux collectivités territoriales, si elles le souhaitent, d’accorder des dérogations à cette catégorie de véhicules.
L’esprit de la loi d’orientation des mobilités, qui a instauré ce mécanisme, est bien de faire des ZFE des outils à la disposition des collectivités territoriales, lesquelles ont jusqu’ici toujours accordé une dérogation aux véhicules de collection.
Une disposition législative spécifique pour les voitures de collection n’est pas indispensable, car elle s’articulerait mal avec le cadre juridique existant en matière de déploiement des zones à faibles émissions mobilité.
Notre débat a le mérite d’envoyer un signal positif au-delà de la seule communauté des propriétaires de véhicules de collection. En effet, nous voyons bien qu’il n’y a ni urgence ni péril. Bien au contraire, on assiste à un travail permanent de concertation et d’échanges entre les différents acteurs.
Monsieur le ministre, je vous sais très attaché à la concertation et au travail qui est conduit actuellement avec la Fédération française des véhicules d’époque. Comme l’a dit un jour Isaac Newton, « lorsque deux forces sont jointes, leur efficacité est double ».
Les collectivités, partenaires de tant de manifestations autour des voitures de collection, empruntent aussi la voie de la concertation avec ces acteurs, qui sont des garants ; il serait vain de le négliger.
Pour toutes ces raisons, et parce que nous sommes attachés à l’intelligence partagée, nous nous rangerons à l’avis de notre rapporteure et de la commission en ne soutenant pas cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pollution de l’air constitue un sujet préoccupant pour nos concitoyens qui en subissent les conséquences néfastes sur leur santé. Dans les grandes agglomérations françaises, les seuils d’exposition aux particules fines (PM2,5) dépassent les niveaux fixés par l’Union européenne, seuils qui sont eux-mêmes jugés insuffisants par l’Organisation mondiale de la santé pour protéger la santé des habitants.
Cette pollution a également un coût : une étude commandée par l’Alliance européenne de santé publique, fondée sur les analyses de la qualité de l’air de 432 villes européennes, évalue le coût de la pollution à 1 602 euros à Paris par an et par habitant, et à 1 134 euros à Lyon.
Les zones à faibles émissions mobilité (ZFEM) ont été rendues obligatoires dans les territoires où les limites fixées au titre des normes de qualité de l’air sont régulièrement dépassées.
Conséquence de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, l’arrivée de nouvelles ZFEM ravive les inquiétudes légitimes des détenteurs de véhicules disposant de la carte grise « véhicule de collection » et de leurs admirateurs.
Ainsi, sept nouvelles zones doivent être prochainement créées, tandis que le projet de loi Climat et résilience, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, ajoutera les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants d’ici à la fin de 2024, soit trente-trois zones supplémentaires.
Or le fait d’autoriser les quelque 152 000 véhicules de collection, faiblement émetteurs de particules fines, à circuler dans les ZFE n’aurait qu’un effet insignifiant sur le dépassement des normes de qualité de l’air au sein des agglomérations.
La proposition de loi a le mérite de ne pas ouvrir la voie à d’autres revendications intégrant les 900 000 véhicules dits « historiques » ou encore les youngtimer, véhicules âgés de 20 ans à 30 ans, qui représentent environ 3 millions de véhicules.
Toutefois, la majorité du groupe du RDSE suivra l’avis de la rapporteure. En effet, il n’y a pas d’urgence à légiférer. Au sein des quatre zones existantes, les véhicules de collection, en France ou ailleurs, conservent leurs prérogatives et ne subissent pas de mesures de restriction à la circulation.
Laissons les collectivités territoriales concernées décider des modalités d’application de la loi et fixer les mesures qu’elles estiment les plus pertinentes pour améliorer la qualité de l’air des agglomérations.
Les études d’impact qui précèdent les arrêtés de création d’une ZFE éclaireront cette décision et apporteront une réponse équilibrée et adaptée au territoire, en préservant sans doute la voiture de collection, comme dans l’ensemble des pays européens ayant institué de tels instruments, quelle que soit la tendance politique.
Quelle tristesse de devoir troquer une traction avant, une Ford Mustang ou une Dodge Charger de collection contre une voiture électrique sans bruit et sans charme, d’autant plus que leur usage n’est pas identique. Certains producteurs d’automobiles ont l’intention d’électrifier des modèles mythiques, mais leur acquisition sera moins accessible.
Mes chers collègues, la proposition de loi peut soulever des questions d’équité : une partie de nos concitoyens ne peuvent plus rouler avec des voitures considérées comme polluantes pour se rendre sur leur lieu de travail. Transports en commun saturés, voies de circulation encombrées où se multiplient les conflits d’usage, quelles alternatives leur offre-t-on pour se déplacer ? Lorsque la métropole du Grand Paris entend interdire la circulation des voitures thermiques d’ici à 2030, après le diesel en 2024, cela suppose d’écarter 99 % du parc automobile actuel en neuf ans.
Malgré les diverses aides à l’achat cumulables, le reste à charge reste élevé. Dès lors, il ne nous apparaît pas opportun, d’un point de vue juridique et politique, de légiférer au profit de véhicules dont l’utilisation est restreinte à des usages non professionnels. Si le secteur du véhicule de collection devait être fragilisé dans l’avenir, envisager la publication d’un décret serait plus que souhaitable.
Bien que l’ensemble des membres du groupe du RDSE soutiennent ce patrimoine historique, une large majorité d’entre eux ne votera pas la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour commencer, je tiens à remercier notre collègue Jean-Pierre Moga d’avoir déposé cette proposition de loi que j’ai immédiatement cosignée.
Cette dernière vise à créer une vignette « collection » donnant droit à une dérogation de circulation dans les zones à faibles émissions (ZFE). Étant donné qu’une voiture de collection ne correspond à aucune catégorie du certificat qualité de l’air – Crit’Air –, le régime de circulation déjà dérogatoire doit être adapté, d’où l’intérêt de cette proposition de loi qui mérite néanmoins d’être contextualisée.
Sur l’aspect « recentralisateur » de ce texte, je ne peux que souscrire aux propos de Jean-Pierre Moga. Bien qu’étant, comme beaucoup d’entre vous, un défenseur de la différenciation territoriale, il me semblerait incohérent qu’il y ait une liberté de circulation différenciée en fonction des territoires pour des véhicules qui, par définition, vont d’un point à un autre. Cette liberté fondamentale ne doit pas s’apprécier exclusivement au niveau territorial, mais relève bel et bien du législateur. Il y va aussi d’une meilleure cohérence territoriale à laquelle je viens de faire allusion.
Pour ce qui concerne l’argument écologique opposé à cette proposition de loi, il me semble qu’il doit être nuancé. Il est vrai que les moteurs d’antan et les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent semblent, au premier abord, aller à l’encontre de l’impératif écologique sur lequel reposent toutes nos politiques publiques actuelles.
En ce sens, la circulation de ce type de véhicules pourrait être considérée comme incompatible avec le développement des ZFE.
Pourtant, l’opposition entre voitures anciennes et écologie ne nous paraît pas indépassable. La question que beaucoup se posent est de savoir si ces automobiles de collection, souvent décatalysées, et forcément plus polluantes, pèsent significativement dans la pollution globale en France.
La réponse est non : leur part très minoritaire dans le parc automobile français, leur utilisation occasionnelle, souvent à des fins de représentation, et leur circulation encadrée expliquent qu’elles ont une empreinte environnementale minime. Sur ce dernier point, l’usage non professionnel de ce type de véhicule doit être précisé : l’amendement déposé par Jean-Pierre Moga y contribue.
En définitive, la Citroën DS, si chère à Charles de Gaulle – je rappelle que, lors de l’attentat du Petit-Clamart, il a eu la vie sauve grâce à sa DS –, serait plus nocive pour l’environnement et nos poumons qu’une automobile moderne, mais si on tient compte de la variable du kilométrage dans l’équation, la nuance est de mise.
Il faut ensuite prendre en considération l’enjeu économique, comme l’a rappelé Gérard Longuet avant moi. Une restriction disproportionnée de la circulation des automobiles de collection aurait un effet néfaste sur les secteurs économiques qui en dépendent. Qu’il s’agisse d’objets roulants ou d’objets d’exposition, de tels engins réclament entretien, réparation et passion. Ils mobilisent un ensemble d’acteurs dont l’activité, qui va de la mécanique à l’organisation d’événements, est directement liée aux voitures de collection.
Enfin, la dérogation accordée aux voitures de collection se justifie par la dimension culturelle et patrimoniale de ces véhicules.
Le décret du 20 février 2017 relatif à la nomenclature des véhicules figurant à l’article R. 311-1 du code de la route et à la modification des règles relatives au contrôle technique des véhicules de collection précise qu’un véhicule de collection est un véhicule présentant un intérêt historique.
Les précédents orateurs l’ont rappelé : l’histoire de l’automobile, c’est un peu celle, non seulement de la chanson française, mais aussi du quotidien des Français. Des premières machines à vapeur aux prototypes à hydrogène, cette histoire témoigne tant du progrès technique que de l’évolution des modes de vie.
Vous serez d’accord avec moi pour dire que la 2 CV, la Méhari, l’Alpine ou encore la Dauphine sont les témoins de leurs époques et de nos vies. L’utilité fonctionnelle d’une voiture se transforme au fil des décennies en valeur symbolique, donc patrimoniale.
C’est pourquoi nos concitoyens vouent un véritable culte à ces reliques roulantes. Par exemple, le salon Retromobile, organisé chaque année à la porte de Versailles, a attiré en 2019 plus de 130 000 visiteurs en quelques jours.
Une telle tendance est également perceptible dans les territoires. Ainsi, mon département des Hautes-Alpes accueille régulièrement des manifestations de cette nature. Je pense notamment au rallye Monte-Carlo historique. Les lacets des cols haut-alpins et les paysages montagnards servent également de cadre à un certain nombre d’événements mettant en valeur l’histoire de l’automobile. À titre d’illustration, la tenue des 24 heures des Hautes-Alpes, course historique d’une durée de vingt-quatre heures, conjugue des aspects culturels, sportifs, touristiques et patrimoniaux.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : même si j’ai parfaitement entendu les critiques exprimées à cette tribune, j’appelle, comme un grand nombre d’élus du groupe Union Centriste, à voter cette proposition de loi. Faisons en sorte d’adapter l’usage des voitures de collection à notre temps tout en préservant la liberté de regarder une partie de notre histoire dans le rétroviseur ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Vivette Lopez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand, dans un débat, vient le tour du dernier intervenant, tout a déjà été dit, ou presque : peut-être mon propos liminaire fera-t-il exception.
En cette semaine où la femme est mise à l’honneur, j’introduirai mon propos avec une anecdote survenue en 1898 et dont la protagoniste est la fameuse duchesse d’Uzès, bien connue dans mon département du Gard.
Cette femme d’exception était en effet une pionnière de l’automobile féminine. Alors que le permis de conduire n’était pas nécessaire, elle avait obtenu, en 1898, une autorisation préfectorale pour conduire une voiture ; mais elle avait dû rapidement s’acquitter d’une amende de 5 francs pour « avoir circulé avec une vitesse exagérée dans le bois de Boulogne au risque de commettre un accident ». Il est vrai qu’elle roulait à quinze kilomètres à l’heure, alors que la vitesse était limitée à douze kilomètres à l’heure à Paris. (Sourires.) C’est cette même femme qui, en 1926, à l’âge de 79 ans, eut la bonne idée de créer l’Automobile club féminin de France.
J’ai donc une pensée pour elle aujourd’hui et, non sans un peu d’humour, je me pose cette question : avec son fort caractère, que penserait-elle des mœurs de notre époque, qui nous conduisent à débattre d’une vignette permettant de conduire une voiture de collection qu’elle affectionnerait très certainement ?
Il est vrai que cette question somme toute assez confidentielle peut paraître étonnante au regard des grands enjeux auxquels nous devons faire face actuellement.
Pourtant, deux aspects de cette proposition de loi me semblent devoir retenir l’attention. D’une part, ces voitures représentent un patrimoine historique que nous devons préserver, à l’instar des passions qu’elles animent chez certains de nos concitoyens. D’autre part, la mesure et le bon sens doivent prévaloir dans notre approche du respect de l’environnement, faute de quoi nous risquons de perdre l’adhésion des Français.
Tout d’abord, j’insisterai sur la valeur de ce patrimoine historique. Le sujet qui nous réunit aujourd’hui souffre parfois de clichés et de raccourcis. De quoi parle-t-on exactement ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’automobile ancienne n’est pas réservée à une élite de collectionneurs fortunés, comme le rappelle une étude menée par les organisateurs du salon Retromobile qui fait référence en la matière.
Au total, 250 000 familles, les membres de 5 000 clubs ou associations investissent leur temps libre, leurs économies et mettent en œuvre une solidarité bienveillante pour partager, lors de près de 10 000 événements annuels, les bienfaits de ces liens sociaux qui nous font tellement défaut en cette période de crise sanitaire.
En outre, 90 % des véhicules concernés sont ceux qui nourrissent l’imaginaire de la France d’après-guerre, celle des Trente Glorieuses : 4 CV, 2 CV, traction avant, DS, Ami 6, Renault 4, Peugeot 203, 403 ou 404 en sont les représentantes aux côtés de véhicules de marques étrangères ou de véhicules d’exception.
Par ailleurs, cette filière, constituée principalement d’artisans et de très petites entreprises, compte plus de 20 000 emplois dans plusieurs secteurs d’activité de notre économie. Qu’il s’agisse de carrosserie, de mécanique, de négoce ou encore d’événementiel, cette activité est en croissance et son chiffre d’affaires annuel est évalué à 4 milliards d’euros. Sa préservation doit donc être encouragée, notamment au titre de sa singularité patrimoniale.
C’est la préservation de l’environnement et le respect des normes Crit’Air qui nous conduisent à légiférer, alors même que l’Assemblée nationale est en train de débattre du projet de loi relatif au climat.
Il apparaît à certains d’entre nous que la création d’une vignette envoie un mauvais signal aux Français et ouvre la voie à de nombreuses autres dérogations. Je ne partage pas cette analyse.
Les véhicules historiques représentent en effet moins de 2 % du parc de véhicules et 0,05 % des kilomètres parcourus. Ainsi, au regard des bénéfices tout à fait négligeables, voire indémontrables, qui en résulteraient pour la qualité de l’air dans les zones concernées, une interdiction ou des restrictions de circulation seraient totalement disproportionnées. En revanche, elles auraient des conséquences ravageuses pour de nombreux secteurs d’activité.
Doit-on contraindre les propriétaires de véhicules de collection à ne plus se déplacer, même occasionnellement ? Les Français sont las de toutes ces interdictions. Ils veulent un peu de liberté ! Ils aspirent à une réelle qualité de vie et appellent de leurs vœux des mesures de préservation de l’environnement relevant du bon sens.
Parce que ces voitures représentent une partie infime du parc roulant et que leur pollution est donc minime, je voterai, à titre personnel, en faveur de cette proposition de loi ; et, dès que je le pourrai, je m’achèterai une jolie voiture de collection ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à la création d’une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d’époque
Article 1er
I. – Après le troisième alinéa de l’article L. 318-1 du code de la route, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au troisième alinéa du présent article, les véhicules de collection tels que définis par voie réglementaire, disposant d’un certificat d’immatriculation avec la mention “véhicule de collection”, font l’objet d’une identification sous la forme d’une vignette “collection”. »
II. – Après le premier alinéa du II de l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures de restrictions de circulation prévues au premier alinéa du présent II ne concernent pas les véhicules de collection mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 318-1 du code de la route. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Prince et Belin, Mme L. Darcos, MM. Babary, Le Nay et Janssens, Mmes C. Fournier, Herzog et Guidez et M. Genet, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
réglementaire,
insérer les mots :
construits ou immatriculés pour la première fois il y a plus de quarante ans ou
La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Cet amendement vise à protéger notre patrimoine historique. Si l’éligibilité à la vignette « collection » se limitait à la mention « véhicule de collection », une large partie des véhicules ayant un fort intérêt historique se trouveraient privés de cette protection.
De plus, un secteur qui compte environ 4 000 entreprises et plus de 20 000 emplois directs risquerait d’être mis en difficulté : je pense à tous les professionnels qui louent des voitures pour les mariages et d’autres cérémonies.
Pourtant – le chiffre a été rappelé à plusieurs reprises –, ces véhicules de collection ne représentent que 2 % du parc automobile : leur impact sur la pollution est donc limité. En outre, restreindre cette éligibilité aux seuls véhicules âgés de plus de quarante ans permet d’en exclure nombre de véhicules récents, plus polluants et présentant peu d’intérêt historique.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Delahaye et Mme Guidez, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les véhicules précédemment mentionnés dont la durée de mise en circulation excède une période de cinquante ans sont dispensés de cette identification.
La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Tout en reconnaissant l’importance des voitures de collection, la commission n’a pas adopté le dispositif de cette proposition de loi, pour des raisons juridiques et afin de laisser la main aux collectivités territoriales.
Par cohérence, je demande le retrait de ces amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. J’émets moi aussi un avis défavorable, dans la mesure où je souhaite voir aboutir le travail que j’ai évoqué, mené notamment avec la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE) : il permettra de préciser les critères de cette potentielle future vignette.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Prince, Belin, Le Nay et Janssens, Mmes C. Fournier, Herzog, Guidez et Saint-Pé et M. Genet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les véhicules utilitaires ou dotés d’un moteur diesel ne peuvent recevoir la vignette « collection », sauf s’ils présentent un grand intérêt historique ou patrimonial.
La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Cet amendement vise à exclure les véhicules utilitaires ou à moteur diesel de l’éligibilité à la vignette « collection ».
Bientôt, de nombreux véhicules vont entrer dans la catégorie réglementaire des véhicules de collection. Parmi eux, certains ne présentent que peu d’intérêt historique et sont, de surcroît, très polluants – je pense notamment aux émissions de particules fines.
Si cet amendement était adopté, les véhicules de cette catégorie qui présenteraient un intérêt historique spécial pourraient bénéficier d’une éligibilité par exception, dans des conditions définies par le pouvoir réglementaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Par cohérence avec le vote de la commission, je demande également le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. On ne dira jamais assez de bien du moteur diesel : ce moteur à forte compression permet de tirer le meilleur parti d’un carburant pour un maximum de puissance. De plus, il a évolué dans le temps, et heureusement.
Nous avons en Lorraine la plus grande usine européenne de fabrication de moteurs diesel. Ses jours sont sans doute comptés, comme ceux de l’usine du groupe Bosch à Rodez. Nous devrions être vigilants quant aux conséquences industrielles des mesures prises dans des moments d’enthousiasme, sans considération des enjeux économiques ni de l’emploi !
Pour revenir aux véhicules historiques, je rappelle que le docteur Diesel, ne parvenant pas à faire fonctionner son moteur, a fait appel à un industriel de Bar-le-Duc, M. Dickhoff. En conjuguant leurs efforts, tous deux ont mis au point le premier moteur à huile lourde à fort taux de compression. Bar-le-Duc est ainsi devenue, en quelque sorte, La Mecque historique du moteur diesel dans notre pays.
Mon cher collègue, je ne voterai pas votre amendement, dont les dispositions traduisent une forme de suspicion envers le diesel. Cette technologie a été une étape dans l’histoire automobile, notamment pour les véhicules utilitaires, et reste importante pour les véhicules de travail agricole.
Cette explication de vote me permet de défendre le moteur diesel, auquel je suis attaché, car il est intelligent, performant et, j’ajoute, évolutif : il terminera mieux que nous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter, présenté par MM. Moga, J.M. Arnaud et E. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme, Bonneau et Bonnecarrère, Mme Canayer, MM. Chasseing, Decool, Delcros et Duffourg, Mme Férat, M. B. Fournier, Mmes C. Fournier et Goy-Chavent, M. Gremillet, Mme Gruny, M. L. Hervé, Mmes Jacquemet, Jacques et Joseph, MM. Kern et Klinger, Mmes de La Provôté et Lassarade, MM. Le Nay et Levi, Mme Loisier, MM. Longuet, Louault, A. Marc, Médevielle, Menonville et Mizzon, Mmes Morin-Desailly, Muller-Bronn et Paoli-Gagin, M. Pointereau, Mme Renaud-Garabedian, M. Rojouan et Mmes Sollogoub et Ventalon, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, excepté pour des déplacements entre le lieu de résidence habituelle et le lieu de travail
La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Pour les mêmes raisons que précédemment, je demande le retrait de l’amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article 1er.
Je rappelle que, si cet article n’était pas adopté, les articles suivants deviendraient sans objet. Dès lors, il n’y aurait plus lieu de mettre aux voix ces articles ou l’ensemble de la proposition de loi : il n’y aurait donc en conséquence pas d’explication de vote sur ces articles et sur l’ensemble.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Les modalités d’application relatives à la vignette “collection” mentionnée à l’article 1er de la présente loi sont fixées par décret. – (Adopté.)
Article 3
La perte de recettes résultant pour l’État de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Mes chers collègues, cet hémicycle dénombre beaucoup d’amateurs de véhicules anciens et nous avons largement vanté ce patrimoine.
Pour ma part, je tiens à témoigner en tant qu’élue d’un département – la Nièvre – auquel les véhicules anciens donnent un grand potentiel de développement touristique, puisqu’il est traversé de part en part par la RN 7 historique. Puisque nous avons tous poussé la chansonnette, je tiens à dire : « On est heureux, nationale 7 ! » (Sourires.)
Quand la ville de Pougues-les-Eaux organise la fête de la nationale 7, quelque 20 000 personnes se rendent dans la Nièvre pour y assister : c’est une grande occasion pour nous. Je tenais donc à souligner cet aspect touristique ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Mon département est traversé par la nationale 6 (Exclamations amusées.) et, comme l’a dit un de nos collègues du groupe Union Centriste, j’aime bien regarder dans le rétroviseur.
Les mots ne sont pas les seuls à même de faire remonter les souvenirs : il y a aussi les odeurs, véritables concentrés du temps passé, qui nous rappellent les voyages en voiture avec nos chers parents et grands-parents. Je voterai cette belle proposition de loi !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Moga. Mes chers collègues, je ne reprendrai pas les propos que j’ai tenus à la tribune. Vous l’avez tous compris : une circulation modérée – j’insiste sur ce point – fait partie intégrante de la conservation de ce patrimoine technologique, que la France doit protéger et dont elle peut être fière.
Ma proposition de loi permettra aussi de maintenir près de 10 000 manifestations annuelles auxquelles participent ces vieux véhicules : il s’agit également d’un enjeu d’importance. Dans nos agglomérations comme dans nos campagnes, ces événements contribuent au lien social intergénérationnel que la crise actuelle fragilise tant.
Vous vous en doutez : je vous invite à ne pas suivre l’avis défavorable du Gouvernement et de la commission et donc à voter cette proposition de loi. Elle répond aux attentes de 250 000 collectionneurs et de 2 millions de sympathisants ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Mes chers collègues, pour ma part, je vais vous parler en tant qu’élue d’un territoire situé dans une zone à faibles émissions.
Nos débats de cet après-midi sont tout à fait intéressants : je ne remets absolument pas en cause les arguments patrimoniaux ou industriels. Néanmoins, il ne faut pas oublier cette question de fond qu’est l’accessibilité des ZFE.
Demain, aurons-nous un débat de même nature au sujet des familles qui ne sont pas parvenues à faire l’acquisition d’un véhicule autorisé à circuler pendant les périodes de pollution ? Leurs véhicules actuels ne sont pas des voitures de collection – nous n’en avons donc pas parlé aujourd’hui –, mais ils sont souvent anciens. Or, j’y insiste, tous les ménages n’auront pas les moyens de mener à bien cette conversion.
La question que nous abordons aujourd’hui pour un parc assez restreint se posera demain avec d’autant plus d’acuité lorsque les ZFE se développeront sur l’ensemble du territoire pour les ménages les plus modestes ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Rassurez-vous, monsieur le président, je ne vais pas pousser la chansonnette ni célébrer les nationales ! (Sourires.)
Avant que nous ne procédions au vote sur l’ensemble, je souhaite simplement poser cette question à M. le ministre : peut-on envisager une évolution du décret dans le sens indiqué par le Sénat ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, modifiée.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
6
Lutte contre les fraudes sociales
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, la discussion de la proposition de loi tendant à appliquer vingt-quatre mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 232, texte de la commission n° 414, rapport n° 413).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi.
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le ministre, sur ce sujet, j’ai un peu l’impression de revenir avec mon petit bagage, telle une cousine de province, pour vous répéter la même chose de PLFSS en PLFSS ! Cela étant, l’actualité des derniers jours vient me conforter.
Au terme d’un contrôle aléatoire, une fraude massive de 700 000 euros a été détectée par la caisse primaire d’assurance maladie du Haut-Rhin, pour un pharmacien qui avait falsifié des ordonnances : modification de dates, ajout de prescriptions, création d’ordonnances, etc. Cette affaire nous rappelle, au passage, l’urgence de la numérisation des ordonnances.
Avant-hier, devant le tribunal de Grenoble, trois prévenus – un médecin et ses deux complices – comparaissaient pour un préjudice de plus de 1 million d’euros. Ils sont accusés d’avoir falsifié des dossiers d’aide médicale de l’État (AME) au profit de 197 personnes domiciliées à l’étranger, qui n’avaient donc pas droit à cette prestation.
Ce matin même, Le Figaro Économie titrait : « Fraude sociale : l’assurance maladie enquête sur une centaine de centres ophtalmologiques » en soulignant le rôle du lanceur d’alerte Charles Prats, que nous connaissons bien.
Sur ce sujet, le proverbe populaire « quand on cherche, on trouve » a donc matière à s’appliquer !
Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail et d’une certaine obstination pour rendre ce sujet à la fois plus visible et plus transparent.
Je le dis et je le répète, notamment à l’intention de mes amis du groupe communiste républicain citoyen et écologiste : il ne s’agit pas d’une fraude de pauvres et notre but n’est en aucun cas de stigmatiser les étrangers. Il s’agit d’une fraude en réseaux organisés, si bien organisés d’ailleurs que Tracfin, la cellule de renseignement financier du ministère de l’économie, s’attache désormais dans ses rapports à étudier les conséquences de la fraude sociale.
Sur ce sujet, le dernier rapport de Tracfin est assez clair, chère Cathy Apourceau-Poly. La fraude aux cotisations sociales représente 194 dossiers ; la fraude aux prestations sociales, 43 dossiers. (Mme Cathy Apourceau-Poly opine.)
En outre – ce point a toute son importance –, depuis le 1er janvier dernier, un inspecteur du recouvrement des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) assure les fonctions d’agent de liaison au sein de Tracfin.
Monsieur le ministre, ce texte comportait initialement vingt-quatre articles. Il résultait du passage au peigne fin du rapport que ma collègue députée Carole Grandjean et moi-même avions rendu à votre demande et à celle du Premier ministre Édouard Philippe, du rapport de nos collègues de l’Assemblée nationale, d’ailleurs très largement inspiré du nôtre, et enfin du rapport de la Cour des comptes.
Cette proposition de loi a été consciencieusement examinée par les services du Sénat, que je tiens à remercier, pour éviter que des mesures réglementaires n’y figurent et pour assurer son orthodoxie parlementaire. Je suis donc un peu peinée d’entendre, ici ou là, que ce texte ne serait pas abouti ; j’y insiste, il résulte d’un long travail. Je remercie également mes collègues de l’Union Centriste de l’avoir inscrit à cet ordre du jour réservé.
Lors d’un entretien avec M. le rapporteur, nous avons pu constater qu’un certain nombre de dispositions faisaient doublon avec des mesures votées au titre du dernier PLFSS ou en cours d’examen par vos services. Il s’agit notamment du dispositif destiné à l’amélioration du répertoire national commun de protection sociale (RNCPS), lequel fait actuellement l’objet d’une mission de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), et de la carte Vitale biométrique, désormais expérimentée dans dix départements. Un certain nombre de ces mesures ont donc été retirées du présent texte.
D’autres dispositions ont été écartées de façon à concentrer l’attention du Sénat dans le temps de cette niche. Pour moi, c’était un peu le choix de Sophie ! (Sourires.) Résultat d’une âpre négociation avec M. le rapporteur, ce choix ne signifie pas un renoncement de ma part : je défendrai dans un autre texte les mesures écartées ici.
Je maintiens, par exemple, que les conditions ne sont pas encore remplies, loin de là, pour éviter la fraude documentaire. J’attends avec impatience l’évaluation de l’article 13 du PLFSS portant consultation systématique par les organismes de sécurité sociale du fichier de l’application de gestion des dossiers de ressortissants étrangers en France (AGDREF). Je maintiens également que la marge de progrès est très importante.
Je sais que nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste opposent la fraude fiscale à la fraude sociale ; mais ces deux fraudes aux finances publiques doivent être combattues d’un même mouvement.
Encore une fois, dans mon esprit comme dans celui de Carole Grandjean, il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit : nous dressons un simple constat en lançant, parallèlement, une alerte au sujet du non-recours, qui est aussi un défaut de notre système ! Nous dénonçons à la fois sa porosité face aux fraudes et le fait qu’il laisse de côté un certain nombre de personnes qui ne vont même pas chercher les prestations auxquelles elles ont droit. Ces deux problèmes sont de même importance et il faut les combattre avec la même énergie.
Monsieur le ministre, compte tenu de la feuille de route que vous avez eu l’obligeance de me communiquer, je ne doute plus de la volonté du Gouvernement à cet égard. La France est un pays particulièrement généreux. Au total, 750 milliards d’euros de prestations sont versés en vertu d’un système particulièrement complexe, qui permet des fraudes sans grande sophistication, compte tenu de l’absence d’échange systématique de données et du maintien du principe déclaratif. Il va réellement falloir évoluer vers le : « Dites-le nous une fois » et vers un meilleur échange de données. Nous aurons certainement l’occasion d’en parler.
Sur 27 milliards d’euros alloués au financement du chômage partiel, la fraude représente plus de 200 millions d’euros : ce problème est également au cœur de l’actualité. Là aussi, il faut accentuer les contrôles.
Un fraudeur content est un fraudeur qui revient : faisons en sorte que les fraudeurs ne reviennent plus. Il restera à presser vos services et les organismes compétents pour que nous puissions contrôler les dispositifs en place – cette évaluation sera extrêmement importante – et chiffrer la fraude. Aucune institution, pas même la Cour des comptes, n’est à même de donner cette évaluation : c’est intolérable !
Une des solutions serait probablement d’externaliser le contrôle de la fraude. Jusqu’à présent, ce travail revient aux organismes sociaux eux-mêmes. Or cette logique montre ses limites.
Enfin, puisque nous sommes entre nous (Sourires.), je vous adresse une dernière demande : que le rapport rédigé par Carole Grandjean et moi-même soit consultable sur le site du ministère. En effet, il est vraiment dommage que cet excellent travail soit réservé aux initiés ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a beaucoup travaillé sur la question de la fraude sociale ces dernières années.
S’agissant de la commission des affaires sociales, je rappellerai ainsi le rapport de juin 2017 sur la lutte contre la fraude sociale de nos collègues Agnès Canayer et Anne Émery-Dumas ; mon rapport de juin 2019 sur la question plus circonscrite de la fraude à l’immatriculation à la sécurité sociale ; ou encore mon rapport de septembre 2020 à la suite d’une enquête commandée par la commission des affaires sociales à la Cour des comptes sur la fraude aux prestations de sécurité sociale.
Nous avons également eu l’occasion de faire avancer la législation en matière de lutte contre la fraude lors de l’examen de plusieurs textes législatifs. Je pense en particulier à la loi de 2018 relative à la lutte contre la fraude, dont un volet est consacré à la fraude sociale, et, plus récemment, à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, que Mme Goulet vient de citer. Ce texte ne compte pas moins de dix articles relatifs à la lutte contre la fraude sociale, dont quatre adoptés sur l’initiative du Sénat.
Une telle activité des pouvoirs publics est légitime, en termes financiers comme en termes de justice sociale, afin d’assurer à chacun son juste droit.
À présent, sur la base de ces avancées, beaucoup considèrent, monsieur le ministre délégué, que la balle est dans votre camp et dans celui des organismes de sécurité sociale. Il s’agit de mettre en œuvre les dispositions adoptées par le Parlement. Nous en attendons beaucoup, sachez-le. Je vous rappelle que l’un des amendements adoptés par le Sénat, qui n’a malheureusement pas été repris par l’Assemblée nationale, concernait la mise en œuvre de dispositifs anti-fraude votés par le Parlement il y a dix et treize ans. Je note que, depuis lors, vous avez enfin pris les mesures d’application de l’un d’entre eux, qui concerne la procédure de déconventionnement d’urgence des professionnels de santé.
Je forme le vœu, monsieur le ministre délégué, que le Gouvernement se montre bien plus diligent pour les mesures que nous avons adoptées cet automne. J’espère aussi que nous nous donnerons rapidement les moyens d’avoir enfin une vision claire et incontestable du dommage financier que représente la fraude, détectée ou non, pour chacun des régimes de sécurité sociale et dans tous les domaines : le recouvrement, les prescriptions et les prestations. La mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) m’a d’ailleurs missionné pour que je m’assure de la mise en place rapide des outils adéquats dans l’ensemble des caisses.
C’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de notre collègue Nathalie Goulet, dont nous connaissons l’engagement sur ce sujet. Je rappelle que Mme Goulet est elle-même coauteur, avec la députée Carole Grandjean, d’un rapport sur la fraude sociale à la demande de M. Édouard Philippe, alors Premier ministre.
Je remercie notre collègue de cette initiative, qui va nous permettre d’avoir un débat que j’espère utile avec le Gouvernement.
Néanmoins, au vu de la forte activité législative récente en matière de fraude, il a paru nécessaire à la commission de recentrer le texte, qui comptait initialement vingt-cinq articles, sur un nombre plus restreint de mesures clés. En d’autres termes – et je sais que Mme Goulet partage cette approche –, nous avons souhaité donner la priorité à la qualité sur la quantité.
C’est pour cela que la commission a conservé onze articles, les autres lui ayant semblé soit satisfaits, soit de nature réglementaire, soit, pour certains d’entre eux, délicats dans leur principe. Je pense notamment à la création d’une liste publique de pays dont l’état civil serait considéré comme peu fiable.
Ainsi, chacun des articles qui demeurent porte sur un vrai sujet dont il est important que nous débattions en séance publique. Nous avons aussi maintenu ceux qui ne nous apparaissaient pas techniquement opérationnels afin que notre assemblée puisse décider en dernier ressort.
Toutefois, comme je le disais en introduction, la qualité importe davantage que la quantité. Je voudrais ainsi mettre en avant plusieurs mesures de ce texte qui, aux yeux de la commission des affaires sociales, pourraient utilement renforcer nos moyens de lutte contre la fraude sociale.
C’est le cas, selon moi, de l’article 8, qui tend à subordonner le versement d’une aide personnalisée au logement (APL) à la transmission à la caisse d’allocations familiales (CAF) d’informations sur le logement auquel l’aide se rapporte. En outre, cet article organise la transmission de ces informations entre les CAF et l’administration fiscale. Cela reprend des propositions formulées par la Cour des comptes dans l’enquête qu’elle nous a remise en septembre. Sur le fond, cette mesure peut améliorer les contrôles, notamment de l’existence et de la conformité des logements donnant lieu aux versements d’APL.
Il en va de même de l’article 14, en vertu duquel les allocations et prestations sociales seraient obligatoirement versées sur un compte bancaire ouvert dans un établissement situé en France ou dans un État partie à l’Espace économique européen. La commission a simplement souhaité recentrer cette avancée sur les prestations versées sous condition de résidence en France. Ces dispositions ne concerneraient donc pas les pensions de retraite, certains pensionnés vivant durablement hors de France et de l’Union européenne.
L’article 15, que la commission a modifié en respectant l’intention de son auteur, permettra de renforcer les exigences que doivent satisfaire les pièces justificatives lors d’une inscription à la sécurité sociale ; à défaut, un entretien physique pourra être demandé de droit par l’organisme avant de procéder à l’inscription. Renforcer les exigences, c’est aussi apporter des moyens adéquats : nous ne pouvons pas entendre que certaines procédures sont insuffisamment sécurisées en raison du manque d’un scanner couleur, qui serait trop cher !
Même s’il risque de susciter des débats quant à la solution technique retenue, j’ai également à l’esprit l’article 17, relatif au domicile social des assurés sociaux. Mes travaux me conduisent à penser que le choix d’assimiler ce domicile social au domicile fiscal risque de poser des problèmes concrets à certains assurés. Néanmoins, cet article pose utilement la première pierre d’un chantier auquel, monsieur le ministre, j’espère que vous pourrez vous attaquer rapidement, au regard de l’utilité que pourrait présenter un tel domicile social en matière de calcul du juste droit et de lutte contre la fraude.
L’auteur de ce texte a également entendu mettre l’accent sur la nécessité d’une meilleure coopération internationale en matière de fraude : nous partageons cette intention. Nous sommes convaincus, notamment, que la lutte contre les fraudes organisées passera par l’accélération et la systématisation des échanges au niveau européen.
Enfin, je souhaite évoquer l’article 1er, que nous avons supprimé et qui concernait le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Je le rappelle, le RNCPS n’est pas une gigantesque base de données de la sécurité sociale, mais plutôt un portail ouvert aux organismes pour réaliser des requêtes essentiellement individuelles en faisant appel aux fichiers des caisses.
C’est un sujet important sur lequel nous souhaitons aller plus loin dans les mois qui viennent à la lecture des conclusions de la mission que vous avez confiée à l’inspection générale des affaires sociales. Il est important, en effet, de faire évoluer cet outil. Nous devons avancer sur la question des systèmes d’information et des outils de gestion. Il y a là un enjeu de sécurisation du versement des prestations à bon droit, mais aussi un potentiel pour progresser en matière de réduction du non-recours aux prestations. Or je sais que nous sommes nombreux, sur ces travées, à vouloir améliorer l’accès aux droits.
Telles sont, mes chers collègues, les principales conclusions de notre commission. Nous attendons avec impatience, monsieur le ministre délégué, que vous livriez votre analyse sur ce texte et que vous informiez le Sénat des principales mesures qui figurent dans la feuille de route que le Gouvernement compte adopter pour améliorer l’efficacité de la lutte contre la fraude sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nathalie Goulet, lutter contre la fraude est une exigence fondamentalement démocratique, puisque c’est le corollaire de la nécessité d’une contribution commune telle que la prévoit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; cela permet aussi de rétablir l’équilibre entre les droits et les devoirs lorsque celui-ci est illégalement rompu.
Les Français nous attendent, légitimement, sur ce sujet. Nous devons répondre à cette attente en considérant que la lutte contre la fraude est une obligation de principe qui s’impose d’autant plus quand les moyens engagés sont d’une ampleur inédite, comme c’est le cas durant cette période.
Je veux remercier Mme la sénatrice Goulet d’avoir proposé ce débat au Sénat en déposant cette proposition de loi, mais aussi d’avoir insisté, dans son propos liminaire, sur la notion d’équilibre, sur la volonté de dépassionner le débat et de s’attaquer à la fraude aux cotisations comme aux prestations, en rappelant les ordres de grandeur et l’importance de la première par rapport à la seconde.
Je veux aussi mettre à profit cette séance pour rappeler les progrès qui ont été faits en la matière. De nombreux rapports ont récemment souligné les améliorations déjà apportées au cours des dernières années, notamment sur la forte dynamique en volume et en montant de la fraude aux prestations détectée et sanctionnée, en augmentation de 30 % en un an, soit un niveau trois fois supérieur à celui d’il y a dix ans.
Il faut aussi souligner la professionnalisation croissante de la lutte contre la fraude aux prestations comme aux cotisations, avec près de 4 000 équivalents temps plein directement affectés à cette mission au sein des caisses, avec un meilleur ciblage des contrôles et des échanges d’informations croissants avec d’autres administrations et organismes.
Tous ces rapports, au premier rang desquels celui de la sénatrice Nathalie Goulet et de sa collègue, la députée Carole Grandjean, ont inspiré cette proposition de loi, ils ont également souligné le travail qui reste à effectuer et ont appelé les organismes de sécurité sociale à un effort renouvelé, sur un sujet connu et ancien.
M. le rapporteur général a ainsi rappelé, à raison, les nombreux rapports rendus, les nombreuses initiatives qui ont été prises dans les années précédentes, pour souligner à la fois la nécessité de mieux lutter, mais aussi les moyens qu’il faut mettre en œuvre.
Je souhaite aussi profiter de l’examen de cette proposition de loi pour vous donner trois illustrations concrètes de l’engagement du Gouvernement dans la lutte contre la fraude sociale. Tout d’abord, dans le cadre de l’examen de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, plus de dix mesures ont été adoptées, à l’issue d’un travail mené en concertation étroite avec les parlementaires, pour renforcer la réglementation et lutter contre une forme de fraude.
Sans citer toutes les mesures, mais pour illustrer la convergence de nos préoccupations, la dernière loi de financement de la sécurité sociale prévoit, notamment, dans son article 104, de renforcer le contrôle de l’existence des retraités expatriés à l’aide de la biométrie ; l’expérimentation prévue cette année va permettre d’ouvrir une nouvelle possibilité de sécurisation du versement des pensions, tout en allégeant les contraintes administratives qui pèsent sur les assurés.
Dans le cadre du plan de lutte contre la fraude que j’ai eu l’occasion de présenter le 2 février, nous avons prévu des moyens humains pour procéder à un certain nombre de contrôles sur place, de manière à être plus efficaces dans le recensement et la détection de ce type de fraude.
La même loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit de renforcer les contrôles et les sanctions des professionnels de santé, avec une obligation d’inscription à l’ordre et un déconventionnement d’office pour les professionnels condamnés pour fraude pour la seconde fois en cinq ans. Ce texte prévoit aussi des mesures permettant le renforcement des sanctions en cas de non-signalement d’un changement de situation, ou encore un doublement des plafonds de pénalité, à la main des directeurs des branches vieillesse et famille.
Par ailleurs, Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, et moi-même veillerons – vous avez dit, monsieur le rapporteur général, madame la sénatrice, votre attention sur ce point – à ce que la mission d’inspection qui aurait dû remettre son rapport parlementaire sur le répertoire national commun de protection sociale en 2020 puisse le faire avant la fin du premier semestre de cette année, le retard ayant été très largement enregistré pendant les périodes de confinement.
L’objectif est de nous permettre de mieux cerner les usages de cet outil de partage des informations en temps réel entre les différents organismes qui interviennent dans le champ de la protection sociale. La mission doit notamment nous éclairer sur les usages actuels de ce répertoire en étudiant la possibilité et l’utilité d’avoir accès à des informations non encore mutualisées.
J’ai également demandé que la mission se pose plus largement la question du stockage, de la gestion et des échanges de données dans la sphère sociale avec en tête l’exemple belge de la Banque carrefour de la sécurité sociale.
Enfin, j’ai demandé en décembre 2020, toujours avec le ministre des solidarités et de la santé, mais aussi avec la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, au directeur de la sécurité sociale de piloter le plan d’action, de prévention et de lutte contre la fraude sociale que j’ai présenté lors du premier comité de pilotage le 2 février dernier.
Ce plan a vocation à décliner opérationnellement les mesures dont nous avons discuté avec vous et que nous allons de nouveau évoquer cet après-midi. Validé et partagé par tous les acteurs, il nous permet de mieux coordonner et de structurer notre politique de lutte contre la fraude.
Je ne pourrais, monsieur rapporteur général, évoquer chacune de ses mesures, il y en a plusieurs dizaines, mais ce plan et ces orientations ont été rendus publics et j’ai eu l’occasion d’en parler de manière plus précise encore avec l’auteure de la proposition de loi. Je veillerai, bien évidemment, à ce que vous-même et votre commission soyez destinataires de l’intégralité des actions prévues ainsi que du calendrier de leur mise en œuvre, qui s’étend sur les deux années qui viennent.
Je ne considère pas que cette étape de travail – l’application des dispositions prévues en loi de financement de la sécurité sociale et la mise en œuvre de ce plan de lutte contre la fraude – soit un aboutissement, c’est le début d’une démarche de renforcement de la lutte contre la fraude qui doit aboutir à un vrai changement d’échelle et ce plan sera, au fil de nos échanges, renforcé, actualisé et enrichi.
Je suis évidemment disposé, par construction et en application du droit, mais aussi par respect du Parlement, à faire réaliser toutes les évaluations que vous avez évoquées dans les meilleurs délais et à m’assurer que l’ensemble des parlementaires des commissions concernées au Parlement soient régulièrement informés, autant qu’ils le souhaiteront, de la mise en œuvre de ce plan et de son évaluation.
Vous verrez ainsi que nous partageons les mêmes préoccupations et les points d’attention qui ont donné lieu à la rédaction de cette proposition de loi, même si certaines des mesures que celle-ci contient ne nous semblent pas nécessairement applicables immédiatement ou en l’état.
Quelques exemples de ce que prévoit notre plan, en lien avec les ambitions de ce texte : l’élaboration d’une cartographie des risques dans tous les réseaux d’ici à la fin de l’été 2021 pour nourrir les prochains travaux autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale et systématiser l’évaluation régulière de ces risques ; la sécurisation des processus d’immatriculation et d’identification des assurés en généralisant le procédé d’attribution du numéro d’identification par un numéro d’attente, pour les réseaux qui ne l’appliquaient pas encore ; la sécurisation, de même, du processus de contrôle de l’existence à l’étranger – nous y reviendrons dans nos échanges, j’ai évoqué les moyens humains que nous allons mettre en place ; une meilleure maîtrise de la fraude en lien avec le respect de la condition de résidence, grâce à l’élargissement de l’accès à l’application de gestion des dossiers de ressortissants étrangers en France (AGDREF), et à l’amélioration de l’exploitation des données de l’application Visabio.
Ce plan contient, enfin, des mesures sur la maîtrise de la fraude aux cotisations et aux prestations de service internationales, sujet sur lequel l’information du Parlement pourrait encore être renforcée.
Je serai particulièrement attentif à ce qu’un suivi précis, avec des actions concrètes et quantifiées, ainsi que des indicateurs permettant d’évaluer fidèlement l’atteinte des objectifs fixés soit mis en place, et que cela se traduise dans les nouvelles conventions d’objectifs et de gestion qui seront signées avec les organismes de sécurité sociale.
Je veux dire notre attention et le soutien que nous apportons tout particulièrement à deux articles de la proposition de loi. Nous souscrivons totalement à l’idée de mieux informer le Parlement sur la coopération transfrontalière, comme le prévoit l’article 12, et de renforcer le processus d’immatriculation des personnes nées à l’étranger, inscrit à l’article 15. Les autres dispositions nous posent certaines difficultés, parce que nous portons une appréciation sur leur opportunité, parce que nous considérons qu’elles seraient difficilement applicables ou encore parce que nous avons fait le choix d’y donner suite différemment.
Nous devons collectivement nous fixer une obligation de moyens, mais aussi de résultats et faire connaître le bilan de nos actions. Le débat qui va commencer est une manière de le faire et j’en remercie de nouveau l’auteure de la proposition de loi, tout comme je remercie, par avance, l’ensemble des intervenants sur ce texte.
Lorsque nous nous attaquons de manière dépassionnée, voire chirurgicale, à ce chantier de la lutte contre la fraude sociale, cela permet de mettre au jour les contournements des règles, les dissimulations et les détournements de recettes qui doivent être affectées aux régimes de sécurité sociale, mais aussi de contribuer à une meilleure efficacité et donc à une plus grande solidarité de l’ensemble de notre système de protection sociale. En cela, le débat qui s’ouvre est nécessairement utile. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à appliquer vingt-quatre mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales, présentée par Mme Nathalie Goulet, s’inscrit dans la longue liste d’initiatives récentes de la majorité sénatoriale contre la fraude sociale, sans compter les multiples amendements aux deux derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale déposés par l’auteure de la présente proposition de loi.
Ce sujet est en effet devenu un cheval de bataille depuis le rapport d’octobre 2019 de la mission gouvernementale : Lutter contre les fraudes aux prestations sociales, un levier de justice sociale pour une juste prestation.
Pour ce qui me concerne, je souhaite mettre en parallèle le rapport du Défenseur des droits de 2017 intitulé Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ? qui insiste sur le fait que l’intensification de la lutte contre la fraude sociale est source d’atteintes aux droits des usagers ; qui pointe le fait qu’un « allocataire ou assuré de bonne foi, même s’il demeure responsable de son erreur ou de son oubli, ne saurait être qualifié de fraudeur et se voir appliquer des sanctions » ; qui relève également que les larges pouvoirs accordés aux caisses d’allocations familiales, aux caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), à la caisse primaire d’assurance maladie, ou aux agences de Pôle emploi ont entraîné mécaniquement des dérives dans les procédures de contrôle, de qualification et de sanction de la fraude.
Les effets de ces pouvoirs sont d’autant plus dévastateurs que des ménages se trouvent dans l’obligation de procéder à des remboursements d’indus considérables au regard du budget du foyer, aboutissant à un affaissement des ressources de certains foyers au sein d’une population déjà fragilisée et qui, parfois, ignore ses droits.
Cela confirme les résultats d’une enquête du même Défenseur des droits, publiée en mars 2017, qui révélait que les personnes en situation de précarité économique et/ou sociale rapportent plus de difficultés pour résoudre un problème avec une administration ou un service public, et qu’elles sont plus susceptibles d’abandonner leurs démarches.
Dans le même temps, en 2018, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), le taux de non-recours aux aides sociales en matière de santé se situait entre 32 % et 44 % pour la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et entre 53 % et 67 % pour l’aide au paiement de la complémentaire santé (ACS). Quant aux aides à la famille, une autre étude de 2018 estimait qu’entre 7,5 % et 8,2 % des allocataires ne recourent pas à leurs droits.
Les principales raisons proposées pour expliquer que certaines personnes se retrouvent dans des situations de non-recours sont le manque d’information et la lourdeur administrative.
Cela soulève notamment l’enjeu du risque de pauvreté et de l’approfondissement de la précarité sociale. Des enquêtes ont en effet montré que le recours au RSA n’est pas systématique, en raison, principalement, de la méconnaissance de ce dispositif.
Ce problème se décline sur tous les secteurs de la protection sociale. Par exemple, pour le risque vieillesse, à l’âge de 70 ans, 32 % des assurés des régimes de retraite français nés en 1942 n’ont pas demandé tout ou partie de leurs pensions de retraite.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat estime que, si l’on peut juger que la lutte contre la fraude concernant les droits des usagers du service public est une politique publique légitime, celle-ci doit être équilibrée. Il se trouve que la fraude aux prestations sociales est bien moins importante que le non-recours aux droits.
Il faut rappeler ici que, en 2015, la fraude aux prestations sociales représentait 673 millions d’euros, contre 4 milliards d’euros pour le non-recours au RSA. Ce n’est, bien évidemment, pas une raison pour ne pas lutter contre ces agissements. Il demeure néanmoins que les initiatives législatives sont bien plus fréquentes en faveur de la lutte contre la fraude que contre le non-recours, notamment de la part de la majorité sénatoriale.
Les dispositifs de plus en plus étoffés de lutte contre la fraude laissent par ailleurs accroire à une fraude massive des bénéficiaires. Ce n’est évidemment pas le cas, mais cela traduit une vision tronquée de la situation. Ce sont 0,36 % des allocataires de la CNAF qui frauderaient délibérément, en revanche, 75,5 % des « fraudes » sont en fait dues à des omissions ou à de fausses déclarations, 16,5 % sont des fraudes à l’isolement et 8 % sont des faux et usages de faux.
La rhétorique de la lutte contre la fraude entretient donc la recherche de boucs émissaires, la dénonciation de l’assistanat et conduit, en creux, à une remise en cause de notre modèle social. Certains discours sur la fraude sociale tendent, en outre, à entretenir volontairement le flou entre la fraude organisée des réseaux, qui relève de la délinquance, et celle des individus isolés, bien plus facile à stopper.
Par ailleurs, les bénéficiaires des prestations ne sont pas forcément les plus fraudeurs. Ainsi, pour l’assurance maladie, 47,5 % du montant des fraudes et fautes détectées relèvent des professionnels de santé, 31,1 % des établissements, 21,1 % des assurés et employeurs.
À la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes a estimé les préjudices des principaux organismes sociaux en 2019 à 1 milliard d’euros. Ce montant doit être mis en regard des 5,6 milliards d’euros de fraude fiscale recouvrés par l’État en 2018.
La fraude sociale, y compris celle qui n’est pas détectée, est évaluée entre 14 et 45 milliards d’euros, alors que la fraude fiscale est estimée entre 66 et 88 milliards d’euros, voire 100 milliards d’euros pour certains syndicats des finances publiques. Cela suggère qu’il pourrait être nécessaire de hiérarchiser les priorités.
Nous ne sommes cependant pas naïfs, nous savons bien que les différentes fraudes existent, mais nous ne souhaitons pas voter une proposition de loi qui laisserait accroire que cette fraude aux allocations sociales serait devenue un sport national.
Nous appelons plutôt à une amélioration des dispositifs d’aide sociale qui permettrait de limiter la possibilité de fraudes. Nous souhaitons donc que soient mis en parallèle les moyens dévolus à la lutte contre la fraude sociale et les moyens déployés pour la lutte contre le non-recours, et que ces moyens soient équilibrés. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance de la proposition de loi tendant à lutter contre les fraudes sociales. Je tiens, tout d’abord, à saluer le travail effectué par notre collègue Nathalie Goulet, auteur du texte, et par le rapporteur Jean-Marie Vanlerenberghe.
Néanmoins, je forme également le vœu que nous puissions travailler à l’avenir sur un texte visant à lutter contre tous les types de fraudes, car chaque fraude est un coup de poignard porté à notre idéal républicain et le symptôme d’une société qui se détourne progressivement de l’intérêt collectif au profit des intérêts particuliers.
La lutte contre les fraudes sociales est un sujet qui revient de manière récurrente sur les bancs de cette assemblée. Pour ne citer que les travaux récents, nous pouvons évoquer la proposition de résolution visant à lutter contre la fraude transfrontalière, déposée par notre collègue André Reichardt et votée par le Sénat, ou encore la proposition de loi tendant à instituer une carte vitale biométrique, déposée par notre collègue Philippe Mouiller et dont la présidente Catherine Deroche a été rapporteure.
Notons également qu’une commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, présidée par notre collègue député Patrick Hetzel, a été mise en place à l’Assemblée nationale. Ses conclusions ont été présentées en septembre dernier.
Enfin, je rappelle qu’une proposition de loi visant à améliorer l’accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale, déposée par notre ancien collègue Éric Doligé et dont j’étais la rapporteure, avait été discutée en mai 2016 au sein de cet hémicycle. Malheureusement, l’examen de ce texte avait été arrêté à l’issue du rejet de l’article 1er, sur la base d’arguments qui lui faisaient dire ce qu’il ne disait pas.
Je forme donc le vœu que nous puissions aller au terme de l’examen du texte en discussion aujourd’hui afin que le Sénat envoie un signal fort en matière de lutte contre les fraudes sociales. À ce titre, j’ai déposé plusieurs amendements inspirés de mon rapport sur la proposition de loi Doligé, visant à compléter les différents dispositifs présents dans la proposition de loi discutée ce jour.
Les chiffres en matière de fraudes sociales divergent, mais je n’entrerai pas dans ce débat, car bien malin est celui qui peut se targuer de mesurer objectivement le montant total de ce type de fraudes. Le RSA, les aides au logement, les allocations familiales, le minimum vieillesse, les arrêts maladie sont autant de dispositifs concernés par ce phénomène en augmentation permanente.
Quelques chiffres, tout de même, ont pu être vérifiés et sont symptomatiques des défaillances de notre pays à endiguer cette terrible réalité : il y a près de 74 millions de personnes bénéficiaires de prestations sociales, dans un pays qui compte 67 millions d’habitants ; plus de 250 porteurs de la carte Vitale ont plus de 120 ans et plus de 3 millions d’entre eux sont centenaires, voilà qui pourrait faire pâlir le Japon, champion de la longévité et qui aurait pu inquiéter Jeanne Calment dont le record tenait jusqu’alors !
L’enquête sur la fraude aux prestations sociales réalisée par la Cour des comptes à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat et présentée en septembre 2020 permet de constater « qu’il s’agit bien d’une atteinte au principe de solidarité et d’un coût financier élevé ».
Le Conseil constitutionnel a lui-même reconnu à la lutte contre la fraude le caractère d’une exigence constitutionnelle. Ne nous trompons pas, il s’agit bien ici de lutter contre la fraude organisée.
À un an de la prochaine élection présidentielle, il faut du courage politique, monsieur le ministre, pour s’attaquer à ce problème épineux et complexe. J’espère que l’exécutif est prêt à assumer ce courage. De nombreuses solutions existent et ne demandent qu’à être mises en place. Ce ne serait que justice, pour la majorité de nos compatriotes, silencieux par pudeur et honnêtes par valeur, ces femmes et ces hommes qui, chaque jour, font honneur à cette nation en se demandant ce qu’ils peuvent faire pour leur pays, et non l’inverse, conformément à la célèbre maxime du président Kennedy.
Je ne sais si ce texte sera inscrit prochainement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, mais il a le mérite de remettre sur la table cette réalité qui n’est pas digne de notre pays et qui est une offense aux pères fondateurs de la sécurité sociale et aux personnalités politiques qui ont œuvré et œuvrent encore chaque jour en faveur de la solidarité nationale, pour que les plus faibles puissent être accompagnés par la puissance publique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lutter contre la fraude sociale, c’est assurément défendre notre modèle social. C’est pourquoi je salue l’initiative de notre collègue Nathalie Goulet, qui a déposé cette proposition de loi, et du groupe Union Centriste, qui a demandé son inscription à l’ordre du jour. Les enjeux financiers en sont importants.
Nous devons veiller à préserver le modèle social auquel nous sommes tous attachés. Le député Pascal Brindeau évalue, dans un récent rapport, à 14 milliards d’euros, le montant total annuel de ces pratiques, qui sont souvent le fait de professionnels de la fraude. Il ne s’agit, bien sûr, que d’une estimation et il reste nécessaire d’objectiver ces chiffres.
De surcroît, même la Cour des comptes, dans son rapport présenté en septembre dernier, s’est estimée incapable de chiffrer avec précision ces pratiques. Tout indique pourtant que les montants des fraudes aux prestations et aux cotisations ont largement augmenté ces dernières années.
À titre d’exemple, le montant de la fraude aux organismes sociaux est estimé par la Cour des comptes à 1 milliard d’euros en 2019, contre 850 millions d’euros en 2017. De plus, on dénombre près de 3 millions de bénéficiaires « fantômes » de droits à l’assurance maladie : c’est absolument considérable ! La fraude fait peser le doute sur l’efficacité et sur l’équité de notre modèle social. Il faut le constater : aujourd’hui, nos organismes sociaux ne sont pas assez armés pour lutter contre la fraude tant des particuliers que des professionnels.
Aussi, nous devons urgemment nous atteler à repenser l’architecture de nos bases de données. Je pense notamment au répertoire national commun de la protection sociale. La principale difficulté réside dans le fait que toutes les prestations sont versées sur une base déclarative, avec un contrôle a posteriori. Il faut travailler au croisement des données entre les organismes sociaux et fiscaux, il faut aussi leur donner accès aux historiques des montants versés afin d’éviter les doublons. Les moyens technologiques actuels doivent nous y aider.
C’est dans cette même logique que je soutiens le développement de la carte biométrique : elle doit être totalement sécurisée. D’ailleurs, l’expérimentation actuelle doit rapidement laisser place à sa généralisation. Une telle mesure devrait permettre de limiter le surnombre de cartes en circulation dans notre pays, que l’on estime aujourd’hui à 2 millions. Il s’agit de doubles détentions ou de doubles affiliations.
Il n’est pas acceptable, dans un pays aussi développé que le nôtre, avec un système aussi généreux que le nôtre, que nous ne disposions pas de moyens de contrôle plus performants.
Pour conclure, mes chers collègues, la pérennité de notre modèle social dépend de notre capacité à lutter contre ces fraudes. Par conséquent, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants soutient cette proposition de loi qui va clairement dans le bon sens. Il est temps d’agir. Il y va de la crédibilité de l’État, de la puissance publique et de l’avenir de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire qui dure se transforme de plus en plus en crise sociale et humanitaire, partout dans le monde. En France, 10 millions de personnes vivent désormais sous le seuil de pauvreté.
L’Insee relate que la situation financière des ménages s’est fortement dégradée, avec une perte de près de 3 % des revenus, ce qui ne s’était pas produit depuis 1949. Par ailleurs, près de 700 000 emplois ont disparu en 2020, majoritairement des emplois à destination des personnes en situation de précarité.
Pourtant, dans ce contexte, alors que la pauvreté s’étend et touche de nouveaux publics, alors que 20 % des ménages les plus pauvres ont dû massivement désépargner le peu d’économies qu’ils avaient pour faire face aux dépenses incompressibles, ce qui présage d’effets sociaux dramatiques partiellement différés par cet amortisseur, et alors que les associations nous enjoignent, pour prévenir ce phénomène, de lutter contre le non-recours aux droits sociaux et d’améliorer l’accès aux droits, notamment des plus jeunes, les mesures urgentes dont nous débattons aujourd’hui concernent la lutte contre la fraude sociale.
Tout comme pour la réforme de l’assurance chômage du Gouvernement, il est difficile d’être plus anachronique, plus décalé par rapport à la situation sociale et plus déséquilibré ! En effet, alors que la fraude sociale concerne quasi uniquement ici la fraude aux prestations, les fraudes au recouvrement des cotisations sociales, part la plus importante, estimées entre 7 et 9 milliards d’euros annuels par l’Acoss, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, en 2019, ne relèvent pas apparemment de la même urgence et n’appellent pas la même réponse.
Cela s’explique par la focalisation constante, en raison des déficits sociaux, sur les seules dépenses sociales, qui sont scrutées avec attention, alors que les manques à gagner en recettes dus à la fraude ou aux optimisations de toute sorte sont quasi ignorés. Or le solde résulte bien des deux. Si, je tiens à le dire, la lutte contre les différentes fraudes est légitime, ce parti pris ne l’est pas.
Le texte concentre notre attention sur la fraude aux prestations, y compris par des articles déjà satisfaits par le droit en vigueur.
De nombreux articles visaient à accroître les moyens de contrôle, mais surtout de surveillance des bénéficiaires des aides sociales, au mépris du respect de leur vie privée, comme si on les soupçonnait d’être, par nature, des resquilleurs potentiels ! Le Monde rendait compte récemment de la pression humiliante de l’administration dans le quotidien des personnes allocataires, qui est un facteur de stigmatisation.
Cette stigmatisation explique une partie du non-recours, qui est la partie immergée des droits. Celui-ci représente entre 30 % et 40 % des ayants droit au RSA et, en 2018, entre 56 % et 68 % des ayants droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). L’ensemble des non-recours aux droits est évalué à 13 milliards d’euros annuels.
Pourquoi ne pas consacrer le croisement des données à l’automatisation des droits, plutôt que de n’en envisager l’usage qu’au service du contrôle ?
Nulle justification ne peut être apportée à la surveillance des données internet, comme le propose l’article 4, ou à donner des pouvoirs judiciaires aux organismes de sécurité sociale, comme le suggère l’article 18.
La priorité de notre temps législatif doit être la lutte contre la paupérisation en cours et le renforcement de notre système d’aides sociales. C’est ce que la crise que nous vivons requiert et nous demande !
En conséquence, le groupe GEST votera contre cette proposition de loi. (Mme Monique Lubin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Nathalie Goulet tend à s’attaquer à la fraude sociale via une série de mesures, vingt-quatre avant son examen en commission des affaires sociales. J’y reviendrai dans quelques instants.
Ces dernières années, des rapports et des enquêtes ont permis de mieux comprendre l’ampleur de la fraude sociale dans notre pays et d’y faire face plus efficacement.
Il y a bien sûr le rapport de mission que vous avez rédigé avec la députée Carole Grandjean au mois d’octobre 2019, madame Goulet, à la suite duquel un important travail de fiabilisation du parc de cartes Vitale a été mené.
Au Sénat, la lutte contre la fraude a été au cœur des travaux de la commission des affaires sociales. Au mois de juin 2019, un rapport d’information sur les conséquences de la fraude documentaire sur la fraude sociale de notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe notait ainsi que près de 10 % des dossiers des personnes nées à l’étranger avaient été créés indûment.
Au mois de septembre 2020, une communication de la Cour des comptes révélait par ailleurs que le préjudice subi ou évité, au titre des fraudes avérées ou suspectées, s’élevait à 1 milliard d’euros en 2019. Ce sont près de 290 millions d’euros pour l’assurance maladie, soit 1,8 fois plus qu’en 2010.
Face à ce constat, que peut faire le législateur et qu’a-t-il déjà fait ? Des mesures visant à lutter contre la fraude sociale ont été récemment votées dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Je pense notamment à l’annulation automatique du numéro de sécurité sociale obtenu frauduleusement, au conditionnement des remboursements de l’assurance maladie aux professionnels de santé à leur inscription à l’ordre dont ils dépendent ou encore au déconventionnement des professionnels de santé condamnés à plusieurs reprises pour fraude.
Ces mesures, dont certaines n’ont pas encore produit leurs effets, doivent faciliter le travail des 4 300 agents qui œuvrent quotidiennement au sein des réseaux des caisses de sécurité sociale. C’est d’ailleurs dans cette optique que le Gouvernement a récemment créé une mission interministérielle de coordination anti-fraude, la Micaf.
La proposition de loi de Nathalie Goulet s’inscrit dans cet esprit et tend à aller plus loin et plus vite.
Si certaines mesures nous semblent intéressantes – c’est le cas notamment de l’article 15 qui exige une copie en couleur du titre d’identité pour l’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques –, d’autres nous paraissent en revanche prématurées, voire déjà satisfaites. C’est le cas de l’article 10 qui tend à sécuriser les données des certificats de vie via des conventions avec des organismes de retraite d’États étrangers. C’est également le cas de l’article 21, déjà satisfait, qui supprime le conventionnement des professionnels de santé en cas de fraude manifeste.
Mes chers collègues, la lutte contre la fraude sociale est évidemment une priorité, mais elle ne peut se faire que par étapes, afin d’assurer son efficacité et sa lisibilité par ceux qui en ont la charge.
Si nous ne sommes pas opposés à l’esprit de ce texte, il nous semble donc préférable, compte tenu des différents éléments évoqués, d’attendre que les mesures adoptées ou mises en œuvre ces dernières années fassent leurs preuves, afin de ne pas ajouter de la complexité à la complexité.
C’est pourquoi, sur ce texte, le groupe RDPI s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre ordre social repose sur le respect de la loi. La fraude remet en cause ce principe et doit donc, à ce titre, être combattue.
Cette proposition de loi, déposée par Nathalie Goulet, semble avoir suscité quelques débats au sein de la commission des affaires sociales. J’entends les arguments avancés par certains de nos collègues qui dénoncent une stigmatisation. En réalité, la fraude sociale n’est pas « la fraude des pauvres ». Elle est le fait d’un public très hétérogène qui ne manque ni d’idées ni de moyens, comme l’a relevé la Cour des comptes.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Face aux difficultés rencontrées actuellement par des millions de nos concitoyens, la fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale, est inacceptable.
Depuis plusieurs années, les rapports pointant les faiblesses en matière de lutte contre la fraude sociale se multiplient. Au mois de septembre dernier, la Cour des comptes estimait que les progrès étaient encore bien trop lents.
À l’heure où les finances publiques sont fortement éprouvées par la crise sanitaire, lutter contre la fraude doit permettre une meilleure justice sociale. Comme l’a déjà rappelé l’auteur de la proposition de loi, « il faut que l’argent aille vraiment là où les gens en ont besoin ».
Si la fraude aux prestations et cotisations sociales détectée en 2019 s’élève à 1,5 milliard d’euros, nous savons qu’elle est en réalité beaucoup plus élevée. Il est malgré tout extrêmement difficile d’en évaluer l’ampleur et les chiffres sont l’objet de fantasmes et de controverses. Selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, la fraude aux cotisations sociales représenterait un manque à gagner de 7 à 9 milliards d’euros. Quant à la fraude aux prestations sociales, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale l’a récemment estimée à 14 milliards d’euros, certains parlant même de 30 milliards d’euros. La question qui se pose aujourd’hui est donc bien de savoir quels moyens nous pouvons mettre en place pour la combattre.
Cela a été dit : cette proposition de loi est perfectible. Pour autant, sur un sujet aussi complexe, la rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales me semble amorcer une première étape.
Certaines dispositions vont dans le bon sens. Je pense à l’obligation du versement des prestations sociales sur un compte français ou européen, à l’obligation de fournir des documents de bonne qualité pour les ressortissants étrangers demandant un numéro de sécurité sociale ou encore à la volonté de soumettre les dirigeants d’entreprises éphémères à des obligations déclaratives renforcées.
Je me félicite également que le rapporteur ait proposé qu’un certain nombre d’articles soient maintenus pour permettre un débat avec le Gouvernement. C’est toujours à l’honneur du Sénat de chercher à prolonger le dialogue et de poser ainsi les jalons de nos prochaines réflexions.
Souhaitons que le travail se poursuive également avec le plan que vous avez validé au début du mois de février dernier, monsieur le ministre, et qui comporte une trentaine d’actions.
Il faudra également que nous nous penchions sur la question du non-recours. Selon les chercheurs de l’Observatoire des non-recours aux droits et services, chaque année, des milliards d’euros de prestations ne sont pas réclamés par des personnes qui y auraient pourtant droit. Cela s’explique notamment par la complexité de la législation et des démarches.
En conclusion, je salue la constance et la persévérance de Nathalie Goulet dans sa lutte contre les fraudes sociales. C’est dans cet esprit que le groupe du RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. André Reichardt applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’opiniâtreté dont fait preuve notre collègue Nathalie Goulet dans son combat contre la fraude.
M. André Reichardt. Ah !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous partageons d’ailleurs avec elle l’idée que la fraude remet en cause le consentement à l’impôt, pilier de notre société. En revanche, nous refusons de pointer du doigt les bénéficiaires des prestations sociales comme les principaux fraudeurs.
Tant en nombre qu’en montant, les allocations familiales représentent une part minoritaire des fraudes qualifiées. Surtout, ces fraudes sont pour 70 % des omissions.
Bien sûr, et je le dis à notre collègue Nathalie Goulet, nous n’acceptons aucune fraude, mais nous notons que ce texte s’attaque à la minorité du montant de la fraude qui est déjà contrôlée, tandis que la majorité du montant de la fraude demeure libre et impunie.
Pour nous, les vrais fraudeurs ce sont les 15 000 Français ou entreprises tricolores qui sont établis au Luxembourg et qui soustraient à l’impôt 6 500 milliards d’euros ! Les fraudeurs, ce sont les 166 filiales d’entreprises du CAC 40 qui détiennent des avoirs au Luxembourg. Ce sont les 80 milliards d’euros de fraude fiscale, c’est-à-dire de pertes de recettes pour le budget de l’État.
Les fraudeurs, ce sont aussi les patrons qui ne cotisent pas à la sécurité sociale et qui, chaque année, font perdre 8 milliards d’euros à l’hôpital et à notre régime de retraite.
Malheureusement, cette proposition de loi ne s’attaque absolument pas à cette fraude. Vous préférez pointer du doigt la fraude aux prestations sociales. Nous pensons que cela stigmatise les pauvres. Vous pointez du doigt les petits tricheurs qui cachent les grands voleurs !
Cette fraude aux prestations sociales est chiffrée par la Cour des comptes à 1,2 milliard d’euros, qu’il faut mettre en regard des 450 milliards d’euros de prestations versées par la sécurité sociale, soit moins de 0,3 % du total.
Concernant la fraude documentaire, elle serait située entre 117 millions d’euros et 138 millions d’euros, bien loin des 14 milliards d’euros évoqués par certains.
Contrairement aux idées reçues, en 2019, les fraudeurs ne sont pas celles et ceux que l’on croit. Ainsi, la fraude à l’assurance maladie provient, dans seulement 21 % des cas, des salariés et des employeurs, contre 31 % des cas pour les établissements de santé et médico-sociaux et 48 % des cas pour les professionnels de santé.
En comparaison, le non-recours aux prestations sociales atteint un montant largement supérieur à la fraude aux prestations sociales. Ainsi, le non-recours pour le revenu de solidarité active (RSA) est de 36 %, soit plus de 3,6 milliards d’euros ; le non-recours pour la couverture maladie universelle est de 34 % ; enfin, le non-recours pour l’aide à la complémentaire santé solidaire est de 70 %.
Dans le Pas-de-Calais, des familles survivent sous les radars et renoncent à leurs droits, car elles refusent d’être stigmatisées et considérées comme des « assistées »…
Nos concitoyens renoncent à leurs droits par méconnaissance et parce qu’ils sont montrés du doigt. Cette proposition de loi stigmatise les plus pauvres au lieu de s’attaquer aux riches et aux puissants, véritables fraudeurs professionnels.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Nathalie Goulet, forte de son expertise due aux travaux qu’elle mène en la matière depuis de longues années, nous propose aujourd’hui de légiférer afin d’appliquer des mesures urgentes de lutte contre la fraude sociale.
Le champ de la fraude est si vaste, si complexe, si évolutif qu’il est délicat de choisir les outils les plus efficaces, les plus pertinents, les plus opérationnels. C’est ainsi que le texte initial, volontairement limité au champ de la fraude sociale, a été recentré par la commission, sur proposition du rapporteur, sur quelques sujets cibles, qui permettront au Parlement d’émettre un signal fort.
En effet, la fraude en général est, par essence, insupportable et inadmissible. Nous ne pouvons la tolérer. Lutter contre les fraudes, c’est défendre notre contrat social.
S’il subsiste des incertitudes sur le volume financier réel de la fraude, une chose est certaine, c’est que les sommes non collectées ou distribuées à tort ne pourront plus être affectées, directement ou indirectement, à la politique sociale. Le système français de sécurité sociale se caractérise par sa diversité et son extrême complexité dans la délivrance des prestations sociales. Il fonctionne par traitements de masses et dématérialisation de l’information. Il doit désormais faire face à des populations qui ne sont plus attachées strictement à un territoire. Tout cela ouvre, hélas, une large porte à des réseaux de fraude, aux systèmes très organisés.
Les fraudes sociales touchent à l’identité, à la composition familiale, aux liens de parenté, au décès, à la nationalité, à la résidence, à l’état de santé, au niveau de revenus, etc. Elles se caractérisent par l’obtention indue de droits à l’assurance maladie, à l’aide médicale de l’État, à des prescriptions, à des cumuls de prestations, etc.
Alors que les systèmes de fraude évoluent avec une agilité déconcertante, la réglementation et la loi doivent, avec la même agilité et la même rapidité, produire les parades adaptées. « La police doit aller aussi vite que les voleurs », nous disait il y a peu Gérald Darmanin. Eh bien, il doit en être ainsi dans ce domaine également.
Aussi, au-delà de ce texte examiné en ce 11 mars 2021, mes chers collègues, je crois sincèrement que nous devons nous préparer à remettre sans cesse sur le métier cet ouvrage et nous retrouver aussi souvent qu’il le faudra pour voter de nouvelles mesures urgentes de lutte contre la fraude sociale. Nous le ferons, parce que frauder, c’est voler.
La communication de la Cour des comptes du mois de septembre 2020 s’intitule La lutte contre les fraudes aux prestations sociales – Des progrès trop lents, un changement d’échelle indispensable. Monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il est bien un message qui doit passer aujourd’hui, c’est qu’est bien fini le temps des « fraudo-sceptiques », le temps où le sujet était pudiquement glissé sous le tapis.
Il faut désormais prendre le problème à bras-le-corps, s’en saisir et ne plus jamais détourner le regard. Cela passe certainement par des moyens en matériel et en personnel indispensables. Les derniers projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale marquent de premières avancées, mais Nathalie Goulet nous demande comment mieux faire.
Monsieur le ministre, je vous remercie sincèrement de nous avoir aujourd’hui présenté plusieurs perspectives via un plan d’action volontariste. Dans la mesure où tout document peut être falsifié et sachant que la fraude documentaire est la mère de toutes les fraudes, j’insiste sur l’utilité absolue de disposer de documents d’identification en couleur et de qualité correcte.
De même, le principe des prestations fondées sur un système déclaratif – c’est le cas pour les aides personnalisées au logement – est trop fragile. Il faut se donner la possibilité de l’échange de données à des fins de contrôle, comme le prévoit l’article 8.
J’en viens aux retraites versées à étranger. Pour mettre fin à des dérives connues et scandaleuses, il faut sécuriser les données de certificats de vie en utilisant des données biométriques et en conventionnant avec les organismes de retraite d’États étrangers.
Les chantiers des fraudes transfrontalières s’ouvrent également et on ne peut que s’en féliciter et vous en remercier, monsieur le ministre.
Je conclurai mon intervention par une remarque marginale. Comment accepter que le citoyen lambda doive à chaque instant produire des montagnes de documents administratifs dont l’utilité peut parfois sembler contestable – je prendrai l’exemple de médecins retraités qui, pour être indemnisés de leurs prestations dans les centres de vaccination covid, doivent produire un dossier très complet, avec extrait Kbis, casier judiciaire et déclaration de situation matrimoniale –, alors que, parallèlement et grâce à tout cela, des malfrats sans scrupules se glissent dans cette déferlante documentaire et font fortune au détriment des honnêtes contributeurs ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous aurez compris que le groupe Union Centriste votera ce texte ainsi « recentré ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. André Reichardt applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie d’abord tous les orateurs qui ont pris part à cette discussion générale. Leurs différentes interventions appellent de ma part trois remarques.
Premièrement et j’y insiste, en matière de fraude sociale, la lutte contre la fraude aux prestations comme aux cotisations doit être menée de front. Vous avez compris, et Mme Goulet l’a rappelé dans son propos liminaire, que le volume de recettes que nous pouvons récupérer par la lutte contre la fraude est bien plus important en matière de prestations que de cotisations individuelles.
Toutefois, il faut également préciser que les fraudes aux cotisations qui doivent nous intéresser et celles sur lesquelles nous devons nous concentrer sont les fraudes organisées, les fraudes durables et les fraudes massives. Si chaque acte frauduleux doit évidemment être condamné, notre attention doit se porter davantage sur les fraudes organisées et structurées que sur des fraudes occasionnelles et individuelles qui, même si elles ne sont pas acceptables, ne sont pas à mettre sur un pied d’égalité. C’est notre intérêt.
Deuxièmement, madame Lubin, je partage intégralement vos propos sur les questions du recours et du taux de recours. En revanche, je ne suis pas convaincu que le débat sur la fraude et celui sur le taux de recours doivent être menés de manière concomitante ou dans un même texte.
Toujours est-il que nous devons travailler de manière beaucoup plus efficace pour que ceux qui ont des droits puissent les faire valoir. C’est d’ailleurs parce que nous arriverons à faire payer ceux qui peuvent payer leurs cotisations que nous pourrons encore mieux financer l’accès aux droits de ceux qui en ont besoin et qui y ont légitimement accès.
Troisièmement, madame Poncet Monge, je suis obligé de corriger votre propos sur au moins deux points, outre le fait que je n’en partage pas l’orientation générale.
D’une part, vous avez indiqué que la France avait perdu 700 000 emplois en 2020. C’est totalement faux : nous avons perdu 360 000 emplois, ce qui est évidemment beaucoup trop. Nous craignions d’en perdre 900 000. Quand on traverse une crise économique, il ne faut pas dramatiser ou ajouter du pessimisme à la situation que l’on connaît.
D’autre part, l’Insee a rendu publiques ses estimations sur l’année 2020 et sur le quatrième trimestre de cette même année. Il se trouve que, de manière globale, c’est-à-dire en moyenne, et je n’ignore rien des disparités de situation, le pouvoir d’achat des ménages français a augmenté de 0,6 % en 2020. Cette évolution, certes faible, reste une évolution, surtout dans une année où l’on a vu le PIB reculer de 8,2 %, ce qui montre l’efficacité des outils contracycliques. Si elle cache une hétérogénéité, il n’y a pas de diminution moyenne globale du pouvoir d’achat des Français.
Pour conclure, à écouter tous les orateurs, j’ai bien compris l’intérêt que chacun portait à la question des documents d’identité en couleur pour éviter la fraude documentaire. C’est un sujet sur lequel nous travaillons et pourrons avancer, y compris de manière réglementaire, pour faire en sorte de mieux prévenir et d’éviter la falsification des documents. Je précise par ailleurs que la falsification des documents est souvent l’un des piliers de la fraude organisée. Bien souvent, ce sont des usagers honnêtes qui n’ont jamais rien demandé à personne qui voient leur identité usurpée et leurs documents personnels falsifiés, pour nourrir ensuite des réseaux de fraudes beaucoup plus structurés.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser mon départ dans une vingtaine de minutes, car je dois me rendre à une réunion d’arbitrage budgétaire à Matignon. Je serai remplacé par Olivia Gregoire.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à appliquer diverses mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales
TITRE Ier
AMÉLIORER LES OUTILS DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE
Chapitre Ier
Rationaliser la gestion et l’utilisation des informations disponibles
(Division et intitulé supprimés)
Article 1er
(Supprimé)
Article 2
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le 2° du I de l’article L. 227-1 du code de la sécurité sociale est complété par les mots : « , dont la réduction du non-recours aux prestations ».
La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Contrairement à ce qu’a indiqué M. le rapporteur en présentant notre amendement en commission des affaires sociales, celui-ci n’a pas pour objet de demander un rapport, mais il vise bien à inscrire clairement l’objectif de lutte contre le non-recours dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) des organismes du régime général de la sécurité sociale.
Le non-recours aux prestations est un fléau bien plus répandu, notamment en matière d’accès aux soins, que la fraude sociale et l’intérêt pour ce sujet, en particulier de la majorité sénatoriale, est bien moins important et aucunement à la hauteur du phénomène.
Pourtant la question du non-recours nous interroge sur l’effectivité et la pertinence de nos politiques publiques de protection sociale, ainsi que sur la place accordée à l’usager dans l’action publique. Elle est outre un enjeu fondamental de leur évaluation.
C’est pourquoi nous sommes en droit d’attendre de la commission des affaires sociales du Sénat, qui a consacré, sur l’initiative de la majorité sénatoriale, plusieurs rapports d’information à la fraude sociale, qu’elle montre la même ténacité à prendre à bras-le-corps l’analyse des dépenses sociales non effectuées à cause du non-recours.
Il me semble inutile d’aller plus loin dans la présentation de cet amendement. Nous en avons déjà largement parlé et nous venons d’entendre M. le ministre à ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Les COG prévoient déjà la lutte contre la fraude et je pense que cela figure également dans la feuille de route de M. le ministre. Celui-ci a d’ailleurs précisé que cette lutte devait se faire à tous les niveaux : cotisations, prescriptions, prestations. Je ne crois pas avoir privilégié l’un ou l’autre de ces domaines dans mon rapport sur cette proposition de loi.
Enfin, je pense que la disposition que tend à insérer cet amendement n’est pas située au bon emplacement dans le code de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Retrait ou, à défaut, avis défavorable, pour les raisons que j’ai évoquées il y a un instant.
M. le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.
Article 3
(Supprimé)
Article 4
I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, pour les besoins de la recherche et de la constatation des fraudes en matière sociale énumérées à l’article L. 114-16-2 du code de la sécurité sociale, les administrations de l’État compétentes en matière fiscale et sociale et les organismes de sécurité sociale peuvent, chacun pour ce qui les concerne, collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés n’utilisant aucun système de reconnaissance faciale les contenus, librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne mentionnés au 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, manifestement rendus publics par leurs utilisateurs.
Les traitements mentionnés au premier alinéa du présent I sont mis en œuvre par les agents mentionnés au premier alinéa de l’article L. 114-16-1 du code de la sécurité sociale spécialement habilités à cet effet par le directeur ou le directeur général de l’administration ou de l’organisme concerné et ayant le grade de contrôleur ou équivalent, dans les conditions précisées par décret en Conseil d’État. Les agents concourant à la conception et à la mise en œuvre des traitements en cause sont tenus au secret professionnel.
Les données à caractère personnel mentionnées au même premier alinéa ne peuvent faire l’objet d’une opération de collecte, de traitement et de conservation de la part d’un sous-traitant, à l’exception de la conception des outils de traitement des données.
Les données sensibles, au sens du I de l’article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et les autres données manifestement sans lien avec les infractions mentionnées au premier alinéa du présent I sont détruites au plus tard cinq jours ouvrés après leur collecte.
Lorsqu’elles sont de nature à concourir à la constatation des manquements et infractions mentionnés au même premier alinéa, les données collectées strictement nécessaires sont conservées pour une période maximale d’un an à compter de leur collecte et sont détruites à l’issue de cette période. Toutefois, lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure administrative ou pénale, ces données peuvent être conservées jusqu’au terme de la procédure.
Les autres données sont détruites dans un délai maximal de trente jours à compter de leur collecte.
Lorsque les traitements réalisés permettent d’établir qu’il existe des indices qu’une personne a pu commettre un des manquements énumérés audit premier alinéa, les données collectées sont transmises au service compétent de l’administration ou de l’organisme pour corroboration et enrichissement.
Ces données ne peuvent être opposées à la personne mentionnée au septième alinéa du présent I que dans le cadre d’une procédure de contrôle prévue à l’article L. 114-10 du code de la sécurité sociale ou à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime.
Le droit d’accès aux informations collectées s’exerce auprès du service d’affectation des agents habilités à mettre en œuvre les traitements mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans les conditions prévues à l’article 105 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée.
Le droit d’opposition prévu à l’article 110 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée ne s’applique pas aux traitements mentionnés au deuxième alinéa du présent I.
Les modalités d’application du présent I sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret précise les conditions dans lesquelles la mise en œuvre des traitements mentionnés au premier alinéa est, à toutes les étapes de celle-ci, proportionnée aux finalités poursuivies. Il précise également en quoi les données sont adéquates, pertinentes et, au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, limitées à ce qui est strictement nécessaire.
II. – L’expérimentation prévue au I fait l’objet d’une analyse d’impact relative à la protection des données à caractère personnel dont les résultats sont transmis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans les conditions prévues à l’article 62 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée.
III. – L’expérimentation prévue au I fait l’objet d’une première évaluation dont les résultats sont transmis au Parlement ainsi qu’à la Commission nationale de l’informatique et des libertés au plus tard dix-huit mois avant son terme. Un bilan définitif de l’expérimentation est transmis au Parlement ainsi qu’à la Commission nationale de l’informatique et des libertés au plus tard six mois avant son terme.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 11 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 16 est présenté par Mme Poncet Monge, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, MM. Parigi et Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 11.
Mme Laurence Cohen. L’article 4 de cette proposition de loi autorise l’accès aux données des plateformes en ligne pour contrôler les assurés sociaux au détriment, de notre point de vue, des libertés individuelles et du respect de la vie privée.
Tout d’abord, permettez-moi de rappeler que, concernant l’usage des fichiers et de leur croisement pour renforcer les contrôles, la CNIL autorise « l’automatisation des outils, mais le croisement des données et les requêtes ne doivent pas prendre la place de l’intervention humaine dans le schéma de décision ».
Ensuite, comme l’a indiqué ma collègue Cathy Apourceau-Poly lors de la discussion générale, le Défenseur des droits, dans son rapport de 2017, constatait que « le développement des contrôles depuis une dizaine d’années et les pouvoirs nouveaux conférés aux régimes de protection sociale et à Pôle emploi ne sont pas sans soulever un certain nombre de questions ». En effet, le renforcement des contrôles entraîne un accroissement du nombre de réclamations, car « la politique mise en œuvre en la matière, marquée par certains excès et quelques dérives, [est] la source de nombreuses atteintes aux droits des usagers des services publics ».
Enfin, le recours croissant au data mining, qui établit d’éventuelles corrélations signifiantes et utilisables entre les données, peut lui aussi poser des problèmes, la définition des profils ou des situations à risques n’étant évidemment pas neutre.
La sécurité sociale dispose déjà des outils pour lutter contre la fraude, mais, on le voit, tout n’est pas réglé. Elle manque de moyens humains : ce sont eux qu’il faut renforcer.
La proposition de loi visant à lutter contre la fraude aux prestations sociales ne cherche donc pas à améliorer les contrôles, de notre point de vue, mais plutôt à renforcer les conditions d’accès aux prestations sociales, ainsi que la mise en place d’une cybersurveillance. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 16.
Mme Raymonde Poncet Monge. Non seulement je suis contre cet article, mais je veux, par cet amendement, marquer mon étonnement, pour ne pas dire plus, qu’on puisse proposer à l’encontre des personnes bénéficiaires des prestations sociales des mesures de collecte et d’exploitation de leurs contenus librement accessibles sur internet, notamment sur les réseaux sociaux, et pas seulement du fait de la complexité de la mise en œuvre d’une telle mesure, mais parce que l’État de droit garantit la protection des données à caractère personnel. Pour les écologistes, il s’agit d’un pas de plus vers la surveillance des personnes sur internet, en collectant des contenus relatifs à la vie privée.
Rappelons que la CNIL s’était déjà montrée critique lorsque le Gouvernement avait suggéré un dispositif similaire ouvrant cette possibilité à l’administration fiscale et douanière lors du projet de loi de finances de 2019, en s’interrogeant sur son opportunité au regard des garanties fondamentales d’exercice des libertés publiques. Aussi, nous devrions nous soucier de la conformité de cet article au RGPD.
Je rappelle également que les publics ciblés par les prestations sociales font déjà l’objet de différents contrôles. Pour le RSA, par exemple, des départements déploient leurs propres contrôles, en plus de ceux de la CAF et de Pôle emploi. Ces trois instances sont déjà dotées de moyens de contrôle, et il convient de rappeler que leur rôle premier est d’accompagner, de permettre l’accès aux droits des personnes en difficulté, ce qui suppose au préalable d’installer une relation de confiance. Les moyens de surveillance généralisée renversent ce positionnement, et ce n’est pas acceptable.
Trop souvent, l’obsession de la chasse aux fraudeurs fait vivre aux personnes concernées des calvaires administratifs aux conséquences quelquefois graves, quand elle n’a pas pour principal effet le renoncement aux droits. Nous n’avons donc pas besoin d’un dispositif de surveillance supplémentaire qui se montrerait encore plus intrusif, au mépris des libertés individuelles, du respect des données et de la vie privée des personnes en situation de précarité. Pour un cas, combien de personnes, sur les 7 millions de personnes concernées par un minima social, seront ainsi malmenées ?
Nous proposons, par cet amendement, la suppression de cet article, et pas seulement de voter contre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Nous l’avons dit en commission, une expérimentation est en cours pour la fraude fiscale. Il nous paraît nécessaire d’attendre d’en avoir un premier bilan. Nous constatons d’ailleurs des obstacles juridiques et techniques qui nous font craindre des difficultés supplémentaires pour une expérimentation dans le champ social, qui comporte plusieurs organismes et non pas une seule administration.
L’avis est donc favorable sur ces deux amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Le Gouvernement partage la position de M. le rapporteur pour les raisons qu’il a évoquées, c’est-à-dire la difficulté technique que poserait l’application du texte tel qu’il est proposé et le fait que nous préférons aller au bout de l’expérimentation dans le champ fiscal avant de l’élargir au champ social.
Compte tenu de ces arguments, et pour reprendre une partie de ceux qui ont été formulés par Mme Cohen, l’avis du Gouvernement est favorable, même si nous ne partageons pas du tout, madame Poncet Monge, votre appréciation. Votre description du système de collecte de données, lesquelles sont librement rendues publiques par les utilisateurs, comme vous l’avez dit, était trop caricaturale pour que nous puissions y souscrire.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 16.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 4 est supprimé, et l’amendement n° 1 n’a plus d’objet.
Chapitre II
Expérimenter la mise en place d’une carte Vitale biométrique
(Division et intitulé supprimés)
Article 5
(Supprimé)
TITRE II
AMÉLIORER LA COOPÉRATION ENTRE LES ACTEURS CHARGÉS DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE
Chapitre Ier
Améliorer la coopération interne
Article 6
(Supprimé)
Article additionnel après l’article 6
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié ter, présenté par Mme Imbert, MM. Retailleau, D. Laurent, Karoutchi et Cardoux, Mme V. Boyer, MM. Pellevat et Burgoa, Mme Demas, MM. Bonhomme, Bascher, Sol, Joyandet, Vogel, Longuet et Chaize, Mmes Chauvin et Puissat, M. de Nicolaÿ, Mme F. Gerbaud, MM. Nougein et Lefèvre, Mme Gruny, M. Bonne, Mmes Deromedi et Noël, M. B. Fournier, Mme Lassarade, MM. Houpert et Sautarel, Mme Drexler, MM. Savin, Bouchet, Mandelli, Hugonet, Savary, Brisson et Genet, Mmes Bellurot et L. Darcos, MM. Le Rudulier, Somon, Babary, Boré et Bouloux, Mme Dumont, M. Piednoir, Mme Berthet, M. Charon, Mme Raimond-Pavero, MM. Pointereau, Belin et Rapin, Mmes Di Folco, M. Mercier, Canayer, Deseyne, Borchio Fontimp et Delmont-Koropoulis, MM. Meurant, Paccaud, Favreau, Laménie, Saury et Reichardt et Mme Pluchet, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 114-16-1, après le mot : « État », sont insérés les mots : « , des collectivités territoriales » ;
2° L’article L. 114-16-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« … Les agents mentionnés à l’article L. 133-2 du code de l’action sociale et des familles. » ;
3° Après le 3° de l’article L. 114-19, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« … Aux agents chargés du contrôle mentionnés à l’article L. 133-2 du code de l’action sociale et des familles. »
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Cet amendement vise à permettre aux agents habilités par le président du conseil départemental de pouvoir échanger tous renseignements et tous documents utiles à l’accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes sociales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Le rôle joué par les départements en matière sociale rend cette extension tout à fait légitime. La commission a donc émis un avis favorable.
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Le code de l’action sociale et des familles permet déjà de tels échanges entre les conseils départementaux et les CAF, qui partagent des compétences de contrôle pour lutter contre la fraude au RSA. Il ne nous paraît pas utile d’aller au-delà.
Ces bases nous paraissent suffisantes pour permettre les échanges utiles dans le cadre des Codaf en particulier, puisque les conseils départementaux sont invités au cas par cas et en fonction de l’ordre du jour. Nous ne sommes donc pas favorables à cette extension des prérogatives des agents habilités par les conseils départementaux.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Dans le cadre du rapport que nous avons commis avec Carole Grandjean, nous avions relevé que les départements étaient confrontés à de très grandes difficultés. De surcroît, les départements limitrophes ne communiquent pas entre eux sur ces données. Je suis donc très favorable à cet amendement de Mme Imbert, qui facilitera grandement les choses.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Je suis également très favorable à cet amendement. Il n’y a rien de pire que de constater des abus et de ne pas pouvoir les sanctionner. Il est important que, à tous les niveaux, cela puisse s’effectuer.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 6.
Article 7
(Supprimé)
Article 8
Le code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 823-5, il est inséré un article L. 823-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 823-5-1. – Le versement d’une aide personnelle au logement est subordonné à la transmission aux organismes chargés du paiement de l’aide des principales caractéristiques du logement auquel l’aide se rapporte susceptibles d’affecter sa valeur locative. Cette transmission est effectuée avant le premier versement par le bénéficiaire de l’aide ou, en cas de tiers payant, par le bailleur.
« La liste des caractéristiques mentionnées au premier alinéa est fixée par décret. Ce décret prévoit également le rythme auquel leur transmission doit être renouvelée. » ;
2° Après l’article L. 851-1, il est inséré un article L. 851-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 851-1-1. – Les organismes chargés du paiement de l’aide communiquent à l’administration des impôts les informations utiles à l’appréciation des revenus tirés par le bailleur du logement auquel se rattache une aide personnelle au logement. »
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 8 renforce drastiquement les conditions d’accès à l’APL, en subordonnant le versement de cette aide à la transmission d’informations sur le logement. Une telle mesure complexifie inutilement la procédure aux dépens des droits des familles les plus précaires.
Je rappelle que, en 2019, l’omission constituait 70 % des fraudes détectées, tandis que la production et l’usage de faux documents représentaient seulement 12,5 % des fraudes qualifiées.
Alors que le Gouvernement a institué pour les entreprises un droit à l’erreur, vous proposez d’inverser la charge de la preuve pour les plus pauvres, soumis à la suspicion permanente de la tentative de fraude. La réalité, c’est que, à force de renforcer les contrôles pour prétendument plus de justice, vous découragez les honnêtes citoyens qui pourraient bénéficier des aides sociales.
Aujourd’hui, le non-recours est renforcé par les multiples démarches administratives imposées prétendument pour vérifier l’absence de fraude. C’est le constat du rapport du Secours catholique pour l’année 2018, qui indiquait une baisse de l’accès aux allocations familiales de 5 % ; 83 % de ces familles percevaient les allocations familiales en 2010 et seulement 78 % en 2017.
En limitant la lutte contre la fraude aux prestations sociales des assurés sociaux, le texte stigmatise les plus précaires et refuse de s’attaquer à la fraude des entreprises, dont le montant est évalué par la Cour des comptes à 25 milliards d’euros, soit 25 fois plus que le montant total de la fraude aux prestations et 250 fois celle de la « fraude documentaire ».
Tel est le sens de cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement de suppression de l’article 8, parce qu’il nous paraît intéressant d’avoir des précisions sur le logement auquel l’aide se rapporte. Cet article est d’ailleurs largement inspiré d’une préconisation de la Cour des comptes dans son rapport remis en septembre dernier.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. L’objectif visé par cet article est de sécuriser le versement des aides au logement, ce qui paraît légitime et souhaitable. Toutefois, subordonner le versement de l’APL à la transmission aux CAF des principales caractéristiques du logement auquel l’aide se rapporte, susceptible d’affecter sa valeur locative, n’a pas réellement d’intérêt en termes de contrôle. En effet, cette valeur locative n’est pas prise en compte dans le calcul de l’aide au logement et ne peut donc servir à détecter une fraude.
Le Gouvernement ne peut retenir cette mesure en l’état. Il est donc favorable à cet amendement de suppression.
M. le président. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article additionnel après l’article 8
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié ter, présenté par Mme Imbert, MM. Retailleau, D. Laurent, Karoutchi et Cardoux, Mme V. Boyer, MM. Pellevat et Burgoa, Mme Demas, MM. Bonhomme, Bascher, Sol, Joyandet, Vogel, Longuet et Chaize, Mmes Chauvin et Puissat, M. de Nicolaÿ, Mme F. Gerbaud, MM. Nougein et Lefèvre, Mme Gruny, M. Bonne, Mmes Deromedi et Noël, M. B. Fournier, Mme Lassarade, MM. Houpert et Sautarel, Mme Drexler, MM. Savin, Mandelli, Hugonet, Savary, Brisson et Genet, Mmes Bellurot et L. Darcos, MM. Somon, Babary, Boré et Bouloux, Mme Dumont, M. Piednoir, Mme Berthet, M. Charon, Mme Raimond-Pavero, MM. Pointereau, Belin et Rapin, Mmes Di Folco, M. Mercier, Canayer, Deseyne, Borchio Fontimp et Delmont-Koropoulis, MM. Meurant, Paccaud, Favreau, Laménie, Saury et Reichardt et Mme Pluchet, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L. 262-15 est complété par sept alinéas ainsi rédigés :
« Ces organismes peuvent recueillir les informations nécessaires à l’appréciation des conditions d’ouverture, au calcul et au maintien du droit auprès :
« 1° Des organismes de recouvrement ;
« 2° Des organismes chargés de la gestion d’un régime obligatoire de base, d’un régime complémentaire ;
« 3° Des administrations centrales de l’État ;
« 4° Du gestionnaire du régime d’assurance-chômage ;
« 5° Des collectivités territoriales.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. » ;
2° Au second alinéa de l’article L. 262-36, les mots : « mentionnés à » sont remplacés par les mots : « mentionnés au premier alinéa de ».
II. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2023.
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Cet amendement vise à prévoir un changement de procédure d’attribution du RSA à compter du 1er janvier 2023. Il ne reviendrait plus au demandeur de fournir les pièces nécessaires à l’instruction de sa demande, mais à l’administration ou à l’organisme de récupérer les données le concernant auprès de ses différents partenaires : Urssaf, administration fiscale…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Cet amendement, qui vise à modifier la procédure d’attribution du RSA, reprend une disposition d’une proposition de loi de notre ancien collègue Éric Doligé, rapportée en 2016 par Corinne Imbert.
La commission partage tout à fait l’intention exprimée par notre collègue. Elle s’interroge cependant sur les possibilités qui existent déjà pour les services en matière d’information pour instruire les demandes au sein des CAF. C’est la raison pour laquelle notre réflexion reste ouverte. Les évolutions du RNCPS nous permettront peut-être d’avancer et d’aller un peu plus loin.
À ce stade, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Les dispositions de l’article L. 114-12 du code de la sécurité sociale, qui sont applicables au RSA, prévoient déjà la possibilité pour les caisses de récupérer directement les données nécessaires à l’examen des demandes auprès des autres administrations sans qu’il soit utile de compléter le code de l’action sociale et des familles en ce sens.
Par ailleurs, des travaux sont engagés en ce moment même pour que les CAF et les caisses de la MSA puissent récupérer les informations sur les ressources des demandeurs auprès des différents opérateurs impliqués. Cette réforme est rendue possible par la disponibilité des données issues des déclarations des employeurs et des organismes qui versent des prestations sociales.
La récupération automatique des ressources des bénéficiaires se fera par le biais du dispositif de ressources mensuelles (DRM) créé par l’article 78 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Cela permettra de simplifier les démarches des déclarants, de stabiliser les droits versés en limitant les indus et les rappels, de faciliter la gestion pour les caisses et de favoriser le juste recours à la prestation.
Cet amendement apparaît donc satisfait en droit et le sera très prochainement en pratique par une récupération désormais automatique de certaines données. Le Gouvernement estime donc qu’il est satisfait : il en demande le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Madame Imbert, l’amendement n° 8 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Corinne Imbert. J’entends bien ce que vient de dire Mme la secrétaire d’État : l’amendement est satisfait en droit. Reste que, dans la vraie vie, il n’est pas encore « mis en musique ». Par conséquent, je le maintiens.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiens cette disposition, d’autant qu’elle figure déjà dans un rapport de 2016 et que nous sommes en 2021 ! C’est une application du « dites-le-nous une fois » : on remplace le déclaratif par un échange et une inversion de la production des éléments.
Si l’amendement est déjà satisfait, tant mieux ! Je crois cependant qu’il faut le voter : nous n’avons que trop attendu !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 8.
Chapitre II
Améliorer la coopération transfrontalière
Article 9
(Supprimé)
Article 10
L’article L. 161-24 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce justificatif peut notamment être fourni ou certifié par un organisme de retraite d’un État étranger ayant conclu une convention à cette fin avec un organisme français. »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Les dispositions que cet article entend modifier sont nouvelles, puisqu’elles datent de décembre 2020. Lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons en effet codifié les dispositions qui figuraient dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 concernant la preuve de l’existence des pensionnés résidant à l’étranger ou dans certains territoires ultramarins. À l’occasion de cette codification, nous avons également ouvert la possibilité de recourir à la biométrie pour assurer le contrôle de l’existence.
Cette rédaction est issue d’un amendement du rapporteur pour l’assurance vieillesse, René-Paul Savary, qui avait été adopté conforme par l’Assemblée nationale. Le rapporteur avait consulté sur ce sujet la CNAV, l’Agirc-Arrco, le GIP Union Retraite pour mieux comprendre la répartition des rôles et le fonctionnement de ce contrôle de l’existence au sein des caisses.
La rédaction issue de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 ne me semble pas devoir être modifiée aujourd’hui, d’autant que, comme je l’ai déjà évoqué, l’intention de l’auteur de la proposition de loi est tout à fait satisfaite par les dispositions qui sont issues de cette loi. Les organismes concluent déjà des conventions avec leurs homologues à l’étranger, permettant notamment des échanges automatisés d’état civil. La présente rédaction ne contraint pas davantage les procédures ni n’ouvre de faculté nouvelle. Nous vous invitons donc à ne pas adopter cet article.
M. le président. Je mets aux voix l’article 10.
(L’article 10 est adopté.)
Article 11
(Supprimé)
Article 12
Dans un délai de six mois suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’état de la lutte contre les fraudes transfrontalières, faisant notamment mention des conventions signées dans ce cadre et de leur application, et des conventions en cours de négociation en précisant le stade de ces négociations et les problèmes éventuellement rencontrés.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.
M. André Reichardt. Je prends la parole sur cet article non pas pour insister sur la demande de rapport du Parlement au Gouvernement, mais pour dire toute l’importance de la lutte contre les fraudes transfrontalières en matière sociale. En fait, je souhaitais intervenir sur l’article 9 relatif aux échanges d’informations entre organismes européens de sécurité sociale. La commission des affaires sociales a jugé bon de le supprimer, considérant qu’un règlement européen portant coopération des systèmes de sécurité sociale les prévoyait déjà. Les prévoir dans la législation française ne serait donc plus nécessaire, selon la commission…
À titre personnel, je ne suis pas sûr que cette coopération entre organismes européens de sécurité sociale soit efficace à 100 %. J’aimerais redire ici qu’en zone frontalière la fraude sociale est une réalité et qu’il convient de lutter plus fermement contre son développement. Or cette fraude est rendue possible, voire facilitée par l’absence ou l’insuffisance d’échanges de données entre les pays et les organismes sociaux, même si de nombreux progrès ont été réalisés au fil des années depuis ce règlement. Une meilleure coopération entre administrations des pays concernés est essentielle, en attendant peut-être à terme une harmonisation complète au niveau européen de nos systèmes de protection.
La commission des affaires européennes poursuit un travail important en ce sens, et j’ai moi-même eu l’occasion, en janvier 2020, de déposer une proposition de résolution européenne visant à lutter contre la fraude aux prestations sociales et mettant l’accent sur l’urgence de renforcer la coopération entre les États. Celle-ci a été adoptée par notre commission des affaires européennes en février 2020, ce qui montre que tout n’est pas parfait en la matière, c’est le moins qu’on puisse dire.
Je voudrais également dire un mot de la suppression, par la commission, de l’article 11, qui proposait à l’origine qu’un décret établisse une liste de pays dont l’état civil serait présumé non fiable. Si, comme l’a dit la commission, le dispositif proposé risquait de poser des problèmes diplomatiques ou politiques sans vraiment résoudre le problème posé, je voudrais, en qualité de président du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, confirmer ici les faiblesses administratives que connaissent certains pays de la zone en matière d’état civil et, dès lors, confirmer les risques importants de fraude à l’identité que cette situation génère. Il est donc indispensable que la lutte contre cette fraude passe par un encouragement des États concernés à se doter au plus vite des instruments permettant la tenue d’un état civil rigoureux et fiable.
Mes chers collègues, socialement, la fraude n’est plus acceptable, surtout dans le contexte difficile que nous connaissons. En tant que parlementaires, nous devons nous atteler à éliminer toutes ces formes de fraudes, qui réduisent par leur existence même nos capacités budgétaires. Je tiens donc à féliciter et à remercier Nathalie Goulet et ses collègues de leur initiative.
M. le président. Je mets aux voix l’article 12.
(L’article 12 est adopté.)
Article additionnel après l’article 12
M. le président. L’amendement n° 15, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la fraude patronale aux cotisations sociales et les moyens pour y mettre fin.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. La sécurité sociale dispose déjà d’outils pour lutter contre la fraude aux prestations sociales. À l’inverse, elle manque considérablement de moyens pour lutter contre la fraude au paiement des cotisations sociales.
Les plans d’économies, année après année, ont dépecé les services de l’encaissement des cotisations sociales. Or il faut un engagement politique, financier et humain pour lutter contre la fraude aux cotisations patronales, estimée à 25 milliards d’euros par la Cour des comptes.
Par cohérence avec l’objet de la proposition de loi, qui mentionne la fraude sociale, nous demandons que le Gouvernement réalise une évaluation récente sur le montant de la fraude patronale aux cotisations sociales et, surtout, formule des recommandations pour lutter contre ce type de fraude.
L’avis défavorable de la commission des affaires sociales démontrera bien que vous refusez de vous attaquer au cœur du problème et préférez pointer du doigt les plus pauvres de ce pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Je conteste tout à fait les conclusions de Mme Apourceau-Poly : nous ne stigmatisons pas plus les pauvres que les entreprises dans cette affaire.
Un tel rapport ne nous semble pas présenter d’utilité particulière. L’État et l’Urssaf luttent déjà contre la fraude aux cotisations, même si, en la matière, M. le ministre nous le rappelait précédemment, des techniques toujours plus astucieuses apparaissent régulièrement. Le rapport sur les fraudes transfrontalières que nous venons de voter à l’article 12 peut d’ailleurs mettre en lumière certaines de ces techniques et les moyens d’y remédier.
Pour l’heure, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Pour des raisons assez similaires à celles qui viennent d’être énoncées à l’instant par le rapporteur, le Gouvernement est défavorable à cette demande de rapport.
Nous partageons évidemment le souci de disposer de plus d’informations pour mieux évaluer la réalité de la fraude sociale sous toutes ses formes. Le montant du manque à gagner résultant pour la sécurité sociale des cotisations éludées par les employeurs fait d’ailleurs, vous le savez, l’objet d’évaluations périodiques. En 2019, ce préjudice était ainsi évalué à un montant compris entre 6 milliards et 8,4 milliards d’euros, soit 2,2 % à 2,7 % des cotisations dues.
Évidemment, de nouvelles estimations de la fraude seront réalisées par l’Acoss et par la CCMSA dans le cadre du plan Fraude lancé en janvier. Cet effort renouvelé pour disposer de chiffres fiables sur la fraude sociale sous toutes ses formes permettra un meilleur maillage des opérations de contrôle et un pilotage de fait plus performant de la lutte contre la fraude. Il donnera bien entendu lieu à des publications. C’est pourquoi ce rapport ne paraît pas nécessaire.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15.
(L’amendement n’est pas adopté.)
TITRE III
AMÉLIORER LES CONTRÔLES
Chapitre Ier
Faciliter la détection des fraudes et des tentatives d’affiliations frauduleuses
Article 13
(Supprimé)
Article 14
Après l’article L. 114-10-2 du code de la sécurité sociale, sont insérés des articles L. 114-10-2-1 et L. 114-10-2-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 114-10-2-1. – Les allocations et prestations de toute nature liées à une condition de résidence en France et servies par les organismes mentionnés à l’article L. 114-10-1-1 doivent l’être sur des comptes ouverts dans des établissements établis en France, dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen.
« Avant tout versement de ces prestations, les coordonnées bancaires transmises sont recoupées avec, le cas échéant, les traitements de données à caractère personnel prévus à l’article 1649 AC du code général des impôts.
« Art. L. 114-10-2-2. – Lorsque le versement des allocations et prestations mentionnées à l’article L. 114-10-2-1 est effectué sur compte de tiers, ces organismes vérifient avant le premier versement, puis au moins une fois par an, l’affiliation du bénéficiaire à ce compte. »
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’article 14 rend obligatoire la création d’un compte bancaire en France pour obtenir le versement des prestations sociales. Cette contrainte administrative inutile est stigmatisante pour les personnes étrangères, qui devront payer les frais d’ouverture et de gestion d’un compte bancaire pour bénéficier de l’aide sociale.
Cette disposition est d’autant plus inacceptable que, s’agissant des entreprises, le Gouvernement ne demande pas, pour verser l’aide du fonds de solidarité, de disposer d’un compte bancaire en France. Le fonds de solidarité pour prévenir la cessation d’activité des entreprises touchées par les conséquences économiques du covid-19 prévoit, je cite : « Tous les comptes, domiciliés dans un établissement bancaire en France ou à l’étranger, sont acceptés par le formulaire. »
L’article 14 va donc créer une inégalité de situation entre les entreprises et les bénéficiaires des aides sociales, puisque les premiers n’ont pas d’obligation de disposer d’un compte bancaire financier en France pour toucher l’aide financière de l’État.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Il n’y a aucune raison objective de verser sur un compte non européen une prestation liée à une condition de résidence en France. Au demeurant, le dispositif serait encore plus efficace si l’obligation de versement se limitait aux comptes français, mais cela contreviendrait au droit communautaire, comme le Gouvernement nous le confirmera sans doute.
La commission a souhaité conserver cet article. Elle a donc émis un avis défavorable à sa suppression par le groupe CRCE.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Seule une obligation de versement sur un compte français permettrait de contrôler l’identité des titulaires de comptes bancaires.
Le droit européen, qui interdit de traiter différemment les établissements bancaires établis dans l’Union, et l’absence d’outil de type Ficoba à l’échelon communautaire vident en pratique la mesure proposée à l’article 14 de son intérêt en termes de contrôle. Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. Je mets aux voix l’article 14.
(L’article 14 est adopté.)
Article additionnel après l’article 14
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié ter, présenté par Mme Imbert, MM. Retailleau, D. Laurent et Cardoux, Mme V. Boyer, MM. Pellevat et Burgoa, Mme Demas, MM. Bonhomme, Bascher, Sol, Joyandet, Vogel, Longuet et Chaize, Mmes Chauvin et Puissat, M. de Nicolaÿ, Mme F. Gerbaud, M. Lefèvre, Mme Gruny, M. Bonne, Mmes Deromedi, Noël et Lassarade, MM. Houpert et Sautarel, Mme Drexler, MM. Savin, Mandelli, Hugonet, Savary, Brisson et Genet, Mmes Bellurot et L. Darcos, MM. Le Rudulier, Somon, Babary, Boré et Bouloux, Mme Dumont, M. Piednoir, Mme Berthet, M. Charon, Mme Raimond-Pavero, MM. Pointereau, Belin et Rapin, Mmes Di Folco, M. Mercier, Canayer, Deseyne, Borchio Fontimp et Delmont-Koropoulis, MM. Meurant, Paccaud, Favreau, Laménie, Saury et Reichardt et Mme Pluchet, est ainsi libellé :
Après l’article 14
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 114-10-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 114-10-… ainsi rédigé :
« Art L. 114-10-…. – I. – Dans le cadre des contrôles mentionnés à l’article L. 114-10 du présent code, en cas de circonstances susceptibles de mettre en péril le recouvrement de l’indu ou de la fraude constatés, les agents mentionnés à l’article L. 114-16-3 peuvent dresser un procès-verbal de flagrance sociale comportant l’évaluation du montant de l’indu ou de la fraude.
« Ce procès-verbal est signé par l’agent de contrôle et par la personne en cause. En cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal.
« L’original du procès-verbal est conservé par la structure à l’origine du contrôle et copie est notifiée à la personne en cause.
« II. – La notification du procès-verbal de flagrance sociale permet de procéder à une ou plusieurs mesures conservatoires mentionnées aux articles L. 521-1 à L. 533-1 du code des procédures civiles d’exécution à hauteur d’un montant qui ne peut excéder le montant de l’indu ou de la fraude constaté. »
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Cet amendement vise à étendre la flagrance sociale à tout type de fraude sociale.
En matière fiscale, cet outil de la flagrance permet aux agents des impôts de dresser un procès-verbal qui emporte des effets comme des mesures conservatoires en cas de constatation de faits frauduleux. Rapide et efficace, la flagrance a fait ses preuves dans la lutte contre la fraude fiscale.
Cet amendement tend donc à créer la flagrance sociale, un outil à disposition des inspecteurs de recouvrement, afin de percevoir les prestations sociales obtenues frauduleusement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission trouve l’idée plutôt intéressante. Elle aimerait néanmoins connaître l’avis du Gouvernement sur l’instauration d’une telle procédure de flagrance, car le dispositif proposé comporte quelques défauts.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Le Gouvernement ne juge pas souhaitable d’étendre le dispositif de flagrance à tout type de fraude commise en matière sociale.
D’une part, les fraudes aux prestations sont généralement le fait de particuliers, et non d’entreprises. Il n’est pas nécessaire d’établir un procès-verbal pour les constater. Ainsi que vous l’imaginez, il suffit au contrôleur des caisses de montrer que l’assuré a sciemment minoré le montant de ses revenus, par exemple pour bénéficier d’une prestation sous conditions de ressources.
D’autre part, le recouvrement des indus frauduleux se heurte très souvent bien plus à l’insolvabilité de l’assuré qu’à la difficulté de saisir des biens, comme c’est le cas pour une entreprise fraudant aux cotisations et organisant son insolvabilité.
La procédure ne semble donc pas adaptée aux fraudes sociales autres que celles qui correspondent à la dissimulation d’activités ou d’emplois salariés. Son effet pourrait en outre être disproportionné par rapport à l’objectif visé.
Pour ces raisons, le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Sagesse.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 14.
Article 15
Le premier alinéa de l’article L. 161-4-1 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour l’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques de personnes nées hors d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, les conditions d’acceptation des pièces justificatives, notamment leur date, leur durée de validité et les exigences de qualité et de présentation de celles-ci sont précisées par voie réglementaire ainsi que les modalités selon lesquelles, en cas de doute lors de l’analyse de ces pièces, il peut être demandé à la personne de se présenter physiquement auprès des organismes chargés de son inscription. »
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par M. Vanlerenberghe, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Remplacer la référence :
L. 161-4-1
par la référence :
L. 161-1-4
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel visant à rectifier une erreur de référence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié ter, présenté par M. Menonville, Mme Guillotin, MM. Guerriau, Decool, A. Marc, Verzelen, Chasseing et Wattebled, Mme Mélot, M. Lagourgue, Mme Paoli-Gagin et MM. Capus, Médevielle et Malhuret, est ainsi libellé :
Après les mots :
de ces pièces
insérer les mots :
, au moment de son inscription ou ultérieurement
La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Cet amendement vise à préciser la rédaction de l’article 15 pour permettre à un organisme de protection sociale de déclencher la procédure de contrôle complémentaire en présentiel même après la validation de l’inscription au registre. Les contrôles pourraient donc être effectués non seulement lors de l’inscription, mais également après celle-ci, ainsi qu’au moment de sa validation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. L’intention des auteurs de cet amendement me paraît déjà satisfaite par la rédaction retenue pour l’article 15. L’entretien doit évidemment pouvoir être demandé à tout moment. La rédaction de l’article indique bien qu’il s’agit d’une possibilité. Un texte réglementaire doit d’ailleurs en préciser les modalités de mise en œuvre.
La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Les dispositions en vigueur confèrent déjà à des agents chargés du contrôle agréés et assermentés le soin de procéder à toute vérification ou enquête administrative concernant l’attribution des prestations ou le respect des conditions de résidence, de ressources, etc. Cela implique la possibilité de convoquer physiquement la personne objet du contrôle.
En d’autres termes, les textes existants prévoient déjà la possibilité de convoquer un assuré dans le cadre de contrôles. Cet amendement nous paraît donc satisfait. C’est pourquoi nous en demandons le retrait, faute de quoi l’avis sera défavorable.
M. le président. Monsieur Menonville, l’amendement n° 5 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Franck Menonville. Non, je le retire
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l’article 15, modifié.
(L’article 15 est adopté.)
Article 16
(Supprimé)
Article 17
I. – Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 111-1, il est inséré un article L. 111-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 111-1-1. – L’organisme compétent pour attribuer une prestation sociale légale, réglementaire ou conventionnelle est celui dans le ressort duquel la personne a son domicile fiscal.
« Le département débiteur de l’allocation personnalisée d’autonomie, de la prestation de compensation du handicap et du revenu de solidarité active mentionnés respectivement aux articles L. 232-1, L. 245-1 et L. 262-1 est celui dans le ressort duquel l’intéressé a son domicile fiscal.
« Pour tenir compte de situations exceptionnelles, il peut être dérogé aux premier et deuxième alinéas du présent article dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État.
« Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice de celles de l’article L. 264-1. » ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 131-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « La résidence s’entend du domicile déclaré à l’administration fiscale. » ;
3° Après le mot : « départemental », la fin du premier alinéa de l’article L. 262-13 est supprimée.
II. – Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la sécurité sociale est complété par un article L. 111-2-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 111-2-4. – Au sens du présent code, la résidence principale et le lieu de résidence d’une personne s’entendent du domicile déclaré par elle à l’administration fiscale. » – (Adopté.)
Article 18
I. – À titre expérimental et pour une durée de douze mois, des agents de droit public spécialement désignés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé de la sécurité sociale, pris après avis conforme d’une commission dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par décret en Conseil d’État, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction.
L’habilitation prévue au premier alinéa ne peut être délivrée qu’à des agents de catégories A et B des organismes nationaux mentionnés au titre II du livre II du code de la sécurité sociale, de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole, de l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 du code du travail et d’un organisme mentionné à l’article L. 1431-1 du code de la santé publique.
Les agents ainsi habilités ont compétence pour rechercher et constater, sur l’ensemble du territoire national, les fraudes en matière sociale énumérées à l’article L. 114-16-2 du code de la sécurité sociale.
II. – À titre expérimental et pour une durée de douze mois, des agents de contrôle de l’inspection du travail spécialement désignés par arrêté du ministre de la justice et de celui chargé du budget, pris après avis conforme d’une commission dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par décret en Conseil d’État, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction.
Les agents ainsi habilités ont compétence pour rechercher et constater, sur l’ensemble du territoire national, les infractions prévues à l’article L. 8211-1 du code du travail ainsi que les infractions qui leur sont connexes.
III. – Les agents désignés dans les conditions prévues aux I et II du présent article doivent, pour mener des enquêtes judiciaires et recevoir des commissions rogatoires, y être habilités personnellement en vertu d’une décision du procureur général.
La décision d’habilitation est prise par le procureur général près la cour d’appel du siège de leur fonction. Elle est accordée, suspendue ou retirée dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
Dans le mois qui suit la notification de la décision de suspension ou de retrait de l’habilitation, l’agent concerné peut demander au procureur général de rapporter cette décision. Le procureur général doit statuer dans un délai d’un mois. À défaut, son silence vaut rejet de la demande. Dans un délai d’un mois à partir du rejet de la demande, l’agent concerné peut former un recours devant la commission prévue à l’article 16-2 du code de procédure pénale. La procédure applicable devant cette commission est celle prévue à l’article 16-3 du même code et ses textes d’application.
IV. – Les agents des services habilités dans les conditions prévues au III du présent article sont placés exclusivement sous la direction du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction dans les conditions prévues aux articles 224 à 230 du code de procédure pénale.
V. – Lorsque, sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction, les agents des services habilités dans les conditions prévues au III du présent article procèdent à des enquêtes judiciaires, ils disposent des mêmes prérogatives et obligations que celles attribuées aux officiers de police judiciaire, y compris lorsque ces prérogatives et obligations sont confiées à des services ou unités de police ou de gendarmerie spécialement désignés.
Ces agents sont autorisés à déclarer comme domicile l’adresse du siège du service dont ils dépendent.
VI. – Les agents des services habilités dans les conditions prévues au III du présent article ne peuvent, à peine de nullité, exercer d’autres attributions ou accomplir d’autres actes que ceux prévus par le présent code dans le cadre des faits dont ils sont saisis par le procureur de la République ou toute autre autorité judiciaire.
VII. – L’habilitation prévue au III du présent article fait obstacle à la délivrance des agréments prévus aux articles L. 114-10 et L. 243-7 du code de la sécurité sociale. Le cas échéant, les agréments délivrés avant la décision d’habilitation sont suspendus pendant toute la durée d’application de celle-ci. Les agents habilités en application du II du présent article ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires dans le cadre de faits pour lesquels ils ont participé à une procédure de contrôle en application du code de la sécurité sociale avant d’être habilités à effectuer des enquêtes. Ils ne peuvent, même après la fin de leur habilitation, participer à une procédure de contrôle en application du code de la sécurité sociale dans le cadre de faits dont ils avaient été saisis par le procureur de la République ou toute autre autorité judiciaire au titre de leur habilitation.
VIII. – Les agents habilités dans les conditions prévues au III du présent article ne peuvent participer à une procédure de contrôle de la législation du travail prévue par le code du travail pendant la durée de leur habilitation. Ils ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires dans le cadre de faits pour lesquels ils ont participé à une procédure de contrôle de la législation du travail avant d’être habilités à effectuer des enquêtes. Ils ne peuvent, même après la fin de leur habilitation, participer à une procédure de contrôle de la législation du travail dans le cadre de faits dont ils avaient été saisis par le procureur de la République ou toute autre autorité judiciaire au titre de leur habilitation.
IX. – L’expérimentation prévue au présent article fait l’objet d’une évaluation dont les résultats sont transmis au Parlement ainsi qu’aux organismes et à l’inspection mentionnés aux I et II du présent article au plus tard six mois avant son terme.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 14 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 17 est présenté par Mme Poncet Monge, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, MM. Parigi et Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 14.
Mme Laurence Cohen. L’article 18 habilite les agents de contrôle des organismes de sécurité sociale et de l’inspection du travail à mener des enquêtes judiciaires.
Il n’est pas acceptable de transférer la mission des services d’enquête judiciaire sous le prétexte que ces derniers seraient surchargés. Il faut au contraire renforcer les moyens qui leur sont alloués.
Au demeurant, une telle faculté est déjà reconnue pour la lutte contre le travail illégal à l’inspection du travail, à Pôle emploi et aux Urssaf.
Étendre encore l’habilitation aux fraudes des prestations sociales revient à faire supporter une partie du coût des enquêtes aux organismes de protection sociale. Surtout, cela désengage en fait l’État de ses responsabilités.
En matière fiscale, la création de la procédure judiciaire d’enquête fiscale s’est accompagnée de celle de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, composée d’officiers de police judiciaire et d’agents des services fiscaux.
L’article 18 prévoit de confier aux agents de contrôle de la sécurité sociale et de l’inspection du travail une mission qui nécessiterait la création d’un corps distinct avec des personnels formés spécifiquement à la procédure pénale. En l’absence de tels moyens humains et financiers et d’une formation adaptée, vous allez détériorer la lutte contre la fraude, que vous souhaitez pourtant renforcer.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 18.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 17.
Mme Raymonde Poncet Monge. La mesure proposée à l’article 18 fait écho à une disposition qui existe pour les services fiscaux. Or je souhaite tout de même pointer qu’il existe de larges différences de logique entre les administrations sociales et les administrations fiscales.
Là encore, une telle évolution traduirait un changement de philosophie par rapport aux missions premières des organismes de sécurité sociale.
En outre, compte tenu de ce qui vient d’être souligné, je pense que la mesure envisagée sera très difficile à mettre en œuvre d’un point de vue opérationnel et qu’elle aura peu d’effets.
Nous proposons donc la suppression de l’article 18.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Nous avons évoqué en commission nos grandes réserves sur cet article. Le dispositif proposé supposerait, pour des raisons opérationnelles, une formation longue et appropriée des agents de contrôle, et ce pour un bénéfice qui reste difficile à apprécier.
Les agents de contrôle ont déjà la possibilité de poursuivre sur un plan judiciaire. La coopération qui existe actuellement entre la police et les agents de contrôle des organismes sociaux nous semble satisfaisante d’un point de vue opérationnel.
Par conséquent, nous sommes favorables aux amendements identiques de suppression de l’article 18.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements identiques de suppression de l’article, pour les mêmes raisons que la commission.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14 et 17.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 18 est supprimé.
Article 19
(Supprimé)
Chapitre II
Élargir les possibilités de mesures conservatoires
Article 20
(Supprimé)
Article 21
Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 162-5-10 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de fraude manifeste, le conventionnement peut être suspendu, nonobstant les procédures en cours, après que l’intéressé a été invité à présenter ses observations dans un délai de quarante-huit heures. En cas de demande de suspension de l’exécution de cette décision présentée en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés se prononce dans un délai de soixante-douze heures. » ;
2° Le I de l’article L. 315-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le contrôle révèle une fraude manifeste, le conventionnement peut être suspendu, nonobstant les procédures en cours, après que l’intéressé a été invité à présenter ses observations dans un délai de quarante-huit heures. En cas de demande de suspension de l’exécution de cette décision présentée en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés se prononce dans un délai de soixante-douze heures. » – (Adopté.)
Chapitre III
Lutter contre le recours aux entreprises éphémères
Article 22
Après l’article L. 133-5-4 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 133-5-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 133-5-4-1. – Nonobstant l’article L. 133-5-3 du présent code et le code des relations entre le public et l’administration, un employeur est tenu d’accomplir sans délai auprès des administrations et organismes chargés des missions mentionnées au second alinéa du I de l’article L. 133-5-3 du présent code qui en font la demande les formalités déclaratives mentionnées au II du même article L. 133-5-3 lorsqu’il existe des présomptions graves et concordantes qu’il a contrevenu, contrevient ou va contrevenir à ses obligations à l’égard de ces administrations ou organismes ou à l’égard de ses salariés.
« L’existence de présomptions graves et concordantes est notamment considérée comme établie lorsque l’employeur dirige ou dirigeait une personne morale réunissant au moins trois des conditions suivantes :
« 1° Elle a été créée depuis moins de douze mois ;
« 2° Elle a mis fin à son activité moins de six mois après sa création ;
« 3° Elle utilise ou utilisait les services d’une entreprise de domiciliation au sens de l’article L. 123-11-2 du code de commerce ;
« 4° Son siège est ou était situé hors d’un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ;
« 5° Elle comptait plus de dix associés ou salariés dès le premier mois suivant sa création ou plus de vingt dès le deuxième mois.
« En cas de retard injustifié dans l’accomplissement d’une formalité déclarative relevant du premier alinéa du présent article, d’omission de données devant y figurer, d’inexactitude des données déclarées ou d’absence de correction dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article L. 133-5-3-1, il est fait application des deux derniers alinéas de l’article L. 133-5-4. » – (Adopté.)
TITRE IV
PRÉVENIR LES SITUATIONS ILLICITES PAR UNE MEILLEURE INFORMATION DES ASSURÉS
Articles 23 et 24
(Supprimés)
TITRE V
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 25
I. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
III. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet intitulé par le mot :
organisées
La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. La fraude sociale suscite beaucoup de fantasmes, au point d’ailleurs d’apparaître, dans la tête de certains, comme l’une des causes du trou de la sécurité sociale… Le sujet est sensible, et il n’est pas exempt d’instrumentalisations politiques.
Pour lutter contre ces fantasmes, il convient de sortir du flou et de l’ambiguïté, qui sont parfois volontairement entretenus. Le discours récurrent sur la fraude sociale tend en effet à faire croire que notre système serait en lui-même « fraudogène » et à alimenter la suspicion vis-à-vis de ceux qui en bénéficient légitimement. Or nous bénéficions tous à un moment de notre vie, à un degré ou à un autre, de prestations sociales.
Si la lutte contre la fraude intentionnelle est légitime, elle se doit d’être juste. D’abord, elle doit nécessairement s’accompagner du même volontarisme en matière d’accès aux droits et de lutte contre le non-recours aux prestations sociales. Surtout, elle doit viser tous les types de fraudes, en premier lieu la fraude fiscale, qui est bien supérieure en termes de montants à la fraude sociale.
Cessons de faire croire que la fraude aux prestations est plus importante que la fraude aux cotisations. C’est l’inverse qui est vrai : les entreprises et les professionnels fraudent plus que les particuliers. En conséquence, n’allons pas au plus facile en visant prioritairement les particuliers.
Sortons de l’amalgame que le vocable « fraude sociale » suggère entre les situations individuelles qui relèvent de la non-intentionnalité et qui sont essentiellement dues à la complexité administrative du système de protection sociale et les fraudes intentionnelles, organisées, au premier rang desquelles celles des réseaux « professionnels », qui relèvent, elles, de la délinquance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Il n’y a pas que des fraudes organisées ; il y a aussi des fraudes individuelles. L’expression « fraudes sociales » me paraît plus générique. Il ne me semble donc pas souhaitable de retenir la précision qui nous est proposée. Par conséquent, l’avis est défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. L’intitulé de la proposition de loi relève de la volonté de ses auteurs. Je suis trop respectueuse des assemblées parlementaires – j’ai moi-même siégé dans l’une d’elles pendant trois ans et demi – pour m’immiscer dans ce débat. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je voudrais remercier nos collègues d’avoir voté la quasi-totalité des articles qui restaient en discussion.
L’adoption de ce texte sera un pas dans la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Reste que je ne sais pas s’il pourra être examiné dans le cadre d’une niche à l’Assemblée nationale. Néanmoins, je souhaite insister sur plusieurs dispositions.
J’ai été un peu surprise que nos collègues de l’opposition sénatoriale ne votent pas l’article 22 relatif aux entreprises éphémères, parce que, pour le coup, c’est là qu’on a des patrons voyous et des fraudes aux cotisations et aux prestations. En plus, elles créent de la distorsion de concurrence dans nos territoires.
Madame la secrétaire d’État, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer à plusieurs reprises, nous attendons toujours le travail du Cleiss sur la fraude transfrontalière, que votre collègue nous avait annoncé lors de l’examen du PLFSS.
Nous pavons le chemin vers le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Combiné au travail lancé par le Gouvernement, et notamment par le ministre Olivier Dussopt, ce texte devrait nous permettre d’avoir, enfin, un véritable dispositif de lutte contre la fraude sociale. Encore une fois, ce n’est pas une « fraude de pauvres ». Nous ne stigmatisons pas une catégorie en particulier. D’ailleurs, nous sommes évidemment tout aussi attentifs à la lutte contre la fraude aux cotisations.
Le groupe Union Centriste, qui est à l’origine de la présente proposition de loi et qui en avait demandé l’examen dans le cadre de son ordre du jour réservé, votera évidemment le texte en l’état.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Notre groupe pense qu’une telle proposition de loi n’était pas la priorité en pleine pandémie, d’autant qu’il y a beaucoup d’inquiétudes, voire de la désespérance chez nos concitoyens en matière sanitaire et sociale. À nos yeux, ce n’était pas le moment d’aller taper encore une fois sur les plus pauvres.
Ainsi que nous l’avons rappelé, nous sommes évidemment contre les fraudes. Mais, lors des débats en commission des affaires sociales, l’ensemble des groupes ont dénoncé un texte inabouti : de vingt-cinq articles à l’origine, la proposition de loi est tombée à dix. Pour notre part, nous avons regretté que les organisations syndicales de salariés et les services de l’inspection générale n’aient pas été auditionnés.
Comme nous l’avons souligné avec ma collègue Laurence Cohen, pour nous, il y a deux poids, deux mesures. Il faut bien se le dire, la fraude aux prestations sociales, dont le montant est, je le rappelle, de 1,2 milliard d’euros, et la fraude fiscale et patronale, qu’il faudrait combattre de front, sont sans commune mesure. Selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), en 2018, la fraude patronale était estimée entre 6,8 milliards et 8,4 milliards d’euros, soit huit fois plus que la fraude aux prestations sociales.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Élection du Président de la République
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi organique
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République (texte de la commission n° 397, rapport n° 396).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à titre liminaire, je voudrais remercier l’ensemble des membres de la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 2 mars dernier. J’aimerais notamment saluer le rapporteur pour l’Assemblée nationale, M. Alain Tourret, avec lequel j’ai eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises pour aboutir à ce texte commun, dans un esprit d’écoute et de dialogue.
À l’origine, il est vrai, il s’agissait de procéder à un simple toilettage technique en modifiant, un an avant l’élection présidentielle, des dispositions organiques introduites en 1988 dans la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. Or ce toilettage technique a pris une tout autre dimension avec le dépôt tardif d’un amendement du Gouvernement relatif au vote anticipé via des machines à voter.
Les problèmes de fond que cet amendement soulevait ont été largement évoqués dans l’hémicycle, mais le problème était avant tout de forme ; vous l’avez d’ailleurs reconnu en séance publique, madame la ministre. En effet, l’amendement a été déposé très tardivement devant la deuxième chambre saisie, sans consultation préalable de l’Assemblée nationale, ni des forces politiques, ni encore du Conseil d’État. Le procédé a d’ailleurs fortement ému non seulement les sénateurs, mais également les députés, considérant qu’il s’agissait là d’une question de respect du Parlement et, plus largement, de nos institutions.
Dans ces conditions – tout le monde en conviendra –, il était singulièrement difficile d’aborder une telle problématique. Pourtant, je reste intimement convaincu de la nécessité d’introduire des évolutions dans notre droit électoral, s’agissant notamment de la diversité des modalités de vote ; la récente mission d’information du Sénat sur le vote à distance l’a d’ailleurs prouvé.
Encore une fois, nous ne refusons pas de réfléchir sur un sujet aussi essentiel pour notre vie démocratique. Toutefois, la réflexion doit être totalement déconnectée de tout contexte électoral, en particulier de l’élection clé de voûte de nos institutions. À mon sens, il n’y a pas de place pour de l’expérimentation sur des questions aussi sensibles dans le cadre de l’élection présidentielle. En matière de droit électoral comme de fonctionnement de nos institutions, qu’il s’agisse des modes de votation ou des systèmes électoraux, il semble indispensable de prendre beaucoup de recul pour mesurer dans un climat serein et apaisé toutes les conséquences d’idées qui peuvent paraître novatrices, modernes, voire séduisantes, mais dont la mise en œuvre pourrait aussi avoir des effets pervers, contraires aux objectifs visés.
Une fois cette difficulté dépassée, l’accord des deux chambres sur un texte commun nous a paru tout à fait possible. D’ailleurs, certains apports non négligeables du Sénat n’ont soulevé aucune difficulté. J’en mentionnerai cinq.
Le premier est l’accessibilité de la campagne électorale aux personnes en situation de handicap. C’est vraiment une avancée majeure. Certes, nous restons au stade de l’incitation pour l’ensemble des candidats, tout en nous appuyant sur l’expertise du Conseil national consultatif des personnes handicapées. En effet, la multitude des supports de propagande et la diversité des handicaps ne nous ont pas permis d’aller plus loin.
Le deuxième est l’actualisation des listes des parrains, afin de tenir compte des dernières réformes de l’organisation territoriale.
Le troisième est la publication obligatoire des marges d’erreur des instituts de sondage à chaque utilisation de ceux-ci.
Le quatrième est le caractère expérimental de la dématérialisation des comptes de campagne et des reçus-dons, qui permettra d’évaluer le dispositif avant toute généralisation éventuelle.
Le cinquième est la publication des comptes de campagne en open data, comme pour l’ensemble des autres élections.
En outre, trois sujets ont fait l’objet de discussions approfondies.
Les deux premières modifications étaient d’ordre purement technique. Elles étaient issues d’amendements du groupe socialiste du Sénat, que nous vous avons proposé de conserver. D’une part, une date limite plus précoce est fixée pour la publication de la liste des candidats. Implicitement, cela permettra de sécuriser la période dite « intermédiaire » tout en laissant un laps de temps suffisant au Conseil constitutionnel pour contrôler les parrainages. D’autre part, l’avance versée à l’ensemble des candidats pour financer leur campagne électorale est portée de 153 000 euros à 200 000 euros. Sur ce point, nous ne faisons que prendre en compte l’inflation.
Un sujet était beaucoup plus délicat : la durée de la période de financement de la campagne présidentielle. Celle-ci était fixée à un an, contre six mois pour les autres élections. Nous vous proposons à titre exceptionnel une durée de neuf mois, au regard du contexte si singulier. La période de financement débuterait ainsi le 1er juillet 2021.
La proposition avait un objectif clair : éviter tout chevauchement avec les élections régionales et départementales qui auront lieu au mois de juin prochain. Il s’agissait également de se prémunir contre les difficultés de ventilation des dépenses entre les différents scrutins qui placeraient dans une insécurité juridique des candidats se présentant aux deux élections.
Les critères de répartition de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques nous ont paru très incertains. D’ailleurs, il a été observé que la situation de l’élection présidentielle était totalement incomparable avec celle des élections législatives, la ligne de démarcation entre les deux campagnes étant la défaite au premier tour ou au second tour du scrutin présidentiel d’un candidat qui se présenterait ensuite à la députation.
Incontestablement, nous ne sommes pas dans la même chronologie. Le délai d’un an avait été maintenu pour l’élection présidentielle afin d’englober les primaires. Or aucun parti n’a prévu l’organisation de primaires d’ici au 1er juillet prochain.
Le délai de neuf mois, qui correspond d’ailleurs à l’idée initiale du Gouvernement, nous semble donc le plus adapté pour la prochaine élection présidentielle.
Tel est, mes chers collègues, le texte commun aux deux chambres que nous vous proposons d’adopter définitivement aujourd’hui. J’aimerais une nouvelle fois remercier l’ensemble des membres de la commission des lois de la qualité de nos échanges, ainsi que l’ensemble des sénateurs de la qualité de nos débats en séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui, dans cet hémicycle, pour prendre connaissance avec vous des conclusions des travaux de la commission mixte paritaire.
Notre pays connaît encore des moments difficiles liés à la crise de la covid, qui nous a récemment contraints d’adapter sensiblement notre calendrier électoral – vous le savez mieux que quiconque. Le texte qu’il vous est proposé de voter cet après-midi et auquel le Gouvernement donnera un avis favorable nous invite à l’inverse à en terminer avec le dérogatoire et à nous projeter résolument vers l’avenir, vers une année 2022 où, le vaccin aidant, les mesures exceptionnelles seront largement derrière nous – nous le souhaitons toutes et tous.
Je tiens aujourd’hui à souligner et à saluer l’esprit fondamentalement républicain qui a présidé à vos débats lors de l’examen de ce projet de loi organique. Ces travaux ont été empreints d’une grande gravité, cette gravité qui sied lorsque nous touchons collectivement à la matière électorale, à la fois technique et pourtant ô combien structurante pour notre fonctionnement collectif.
Comme le disait le juriste allemand von Jhering, la procédure est sœur jumelle de la liberté. En droit électoral, les règles déterminées par le législateur sont bien les garantes d’un scrutin chaque fois sincère, transparent et démocratique, et, comme chaque année qui précède le scrutin présidentiel, la loi organique qui en adapte les règles ressort de l’examen parlementaire non pas dénaturée, mais enrichie et consolidée.
À cet égard, vous avez finalement décidé de limiter à neuf mois la durée de la campagne présidentielle – vous le savez, ce n’était pas la volonté originelle du Gouvernement. Votre souci de sécuriser la computation des comptes de campagne pour cette période 2021-2022 un peu exceptionnelle, où les scrutins régionaux, départementaux et présidentiels se suivent, si bien que les campagnes devraient se chevaucher en partie, vous honore. Le Gouvernement prend acte de cette modification, qui fait consensus au sein de la représentation nationale.
J’aimerais avec vous me réjouir tout particulièrement de certaines avancées substantielles inscrites dans ce texte, avancées qui créent les conditions d’une participation la plus large possible de nos concitoyennes et de nos concitoyens à ce grand rendez-vous électoral que constitue l’élection présidentielle.
La participation la plus large possible, c’est d’abord assurer l’accessibilité du vote pour toutes et tous, notamment pour les personnes en situation de handicap. Vous savez combien le Gouvernement est sensible à cette question, lui qui a tout récemment rétabli le droit de vote de tous les majeurs sous tutelle et qui prévoit la production par les candidats de professions de foi en langage dit facile à lire et à comprendre pour l’élection présidentielle. C’est l’objet de l’article 1er bis, adopté par votre assemblée, qui rehausse notre vigilance collective sur ces sujets, et c’est heureux.
La participation la plus large possible, c’est aussi plusieurs mesures ambitieuses qui figurent dans ce projet de loi organique. Je pense notamment à la déterritorialisation du vote par procuration, qui sera appliquée pour la première fois dans notre pays lors de ce scrutin, avant d’être généralisée, comme prévu, à l’ensemble des élections. S’appuyant sur le répertoire électoral unique pleinement opérationnel à compter du 1er janvier 2022, elle permettra de recourir beaucoup plus facilement au vote par procuration sans rien enlever à l’impératif de sécurité. Je rappelle à ce sujet que nos concitoyens pourront également profiter du dispositif déployé en ce moment par le ministère de l’intérieur dénommé e-procuration, qui dématérialise l’essentiel de la procédure de demande et de transmission en mairie de ces procurations.
La participation la plus large possible, c’est enfin permettre le vote des détenus par correspondance. Pour la première fois, il aura lieu pour un scrutin présidentiel, après le succès de l’expérimentation qui a eu lieu à l’occasion des élections européennes.
C’est ce même souci de facilitation du vote qui avait motivé le Gouvernement à proposer une modalité nouvelle, une troisième voie entre un vote par correspondance, encore trop peu fiable, et un vote électronique, pas envisageable aujourd’hui d’un point de vue technologique.
Vous n’avez pas souhaité retenir cette proposition de vote électronique anticipé sur machine à voter, dont nous avons largement débattu ensemble, faisant valoir des interrogations légitimes de fond comme de forme. Nous n’y reviendrons donc pas, mais nous maintenons intacte notre volonté de réfléchir ensemble, avec la représentation nationale, en capitalisant sur nos travaux, à des modalités potentiellement nouvelles d’organisation du vote, pour autant – et j’y insiste – qu’elles offrent des garanties suffisantes en termes de sécurité et de sincérité du scrutin – je sais que nous sommes toutes et tous très attachés à cet impératif.
Je terminerai, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, en remerciant M. le rapporteur. L’aboutissement fructueux de l’examen parlementaire de ce texte, qui est en large partie son œuvre, témoigne de la qualité de son travail et de sa collaboration constructive avec son homologue de l’Assemblée nationale. Je tenais, au nom du Gouvernement, à lui rendre un sincère hommage.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte a une portée technique. Malheureusement, nous en sommes restés à ce niveau, alors que nous aurions pu prétendre aller beaucoup plus loin.
Qu’apporte-t-il ? Le rapporteur l’a rappelé : quelques avancées en matière de date de publication du décret de convocation des électeurs, de procédure de parrainage des candidats ou de vote par correspondance des personnes détenues – elles, au moins, pourront utiliser cette modalité de vote… Je pourrais aussi citer la mise en place de la déterritorialisation des procurations conformément à la loi dite Engagement et proximité, l’adaptation de dispositions relatives aux listes électorales consulaires et au vote des Français de l’étranger, l’accessibilité des moyens de propagande aux personnes handicapées – c’est un élément effectivement important – ou encore une mesure, assez inutile à notre sens, sur la durée de la période de financement de la campagne électorale avec un passage de douze à neuf mois malgré l’avis du Conseil d’État. Nous avons également obtenu que la diffusion de certains sondages d’opinion soit accompagnée des marges d’erreur.
Le seul vrai problème de la discussion de ce texte a été l’initiative malheureuse du Gouvernement, comprenant, sous les pressions multiples des propositions qui sont faites depuis plus d’un an maintenant, qu’il était nécessaire d’évoluer sur le sujet du droit électoral. C’est en fait cette disposition, proposée à l’emporte-pièce, disruptive et mal ficelée – le Gouvernement en a le secret… –, qui a créé des difficultés. Elle a même été contestée, sur la forme comme sur le fond, à l’Assemblée nationale, aussi bien par sa majorité, qui n’en est pourtant pas à une couleuvre près, que par le rapporteur lui-même.
Le vrai souci de cette proposition, c’est qu’elle a délégitimé le vote anticipé, en passant par une modalité improbable d’utilisation des machines à voter, alors même que le moratoire sur celles-ci n’est toujours pas levé et qu’un rapport devait être rendu sur le sujet.
Si ce toilettage technique était nécessaire, nous sommes à nouveau restés en deçà de ce qui aurait été utile. En démocratie, la règle est simple : le pouvoir politique s’exerce selon des règles et des procédures préalablement fixées et établies.
Dans les faits, l’un des principes cardinaux du système démocratique, qui n’appartient qu’à lui, est tout simple : le pouvoir que le peuple concède à ses dirigeants ne l’est que pour une certaine période. C’est en cela que les moments de vote sont à la base de tout notre édifice institutionnel.
Si, pour reprendre l’expression de Benjamin Barber, il faut avoir une conception « forte » de la démocratie, celle-ci passe nécessairement par l’évolution du droit électoral. Ces évolutions auraient été emblématiques pour le scrutin qui, à tort ou à raison, reste le premier rendez-vous démocratique en France. C’est d’autant plus vrai que ce qui semblait être la linéarité de la vie démocratique, scandée par des scrutins à intervalle régulier, a été remis en cause par un événement inattendu, la pandémie.
Philippe Ardant notait que « toute l’histoire du régime représentatif suggère une évolution linéaire vers une plus grande démocratie par un élargissement constant du nombre et des catégories d’individus appelés à participer au rituel du choix des représentants ». Pourtant, rien n’est plus faux que cette impression. C’est aussi pour cela, au-delà de la pandémie, que notre droit électoral doit évoluer : préjuger la neutralité des politiques électorales est une erreur majeure.
Le droit électoral est un enjeu démocratique comme politique.
Il est un enjeu politique, quand on tend de fait, comme dans le sud des États-Unis, à réduire la capacité d’expression de certains groupes, essentiellement les minorités, en les privant du droit de vote par tous les moyens dans le but d’empêcher le changement politique.
Il est un enjeu démocratique, quand on constate l’autoexclusion, qu’elle soit volontaire ou pas, d’une partie de l’électorat, que l’on parle des non-inscrits, par négligence ou lassitude, qui sont autant de voix faisant défaut, que l’on parle des mal-inscrits, qui manquent eux aussi à l’appel et peuvent s’installer dans la défiance, ou que l’on parle de tous ceux qui ne s’estiment pas compétents pour donner leur avis, de ce « cens caché » qui peut exister au sein de notre démocratie.
Oui, pour détourner la parole de Pierre Bourdieu, le droit électoral, comme la sociologie, est un sport de combat, parce qu’aucune voix ne devrait peser plus qu’une autre, alors que c’est de fait le cas, notamment au travers des règles de financement électoral qui existent dans notre pays.
Il n’est pas indifférent que la mesure d’adaptation du droit électoral privilégiée en France, celle des procurations, soit socialement discriminante et profite à une partie de la population, celle qui est la plus insérée et mobile. D’ailleurs, c’est aussi ce public que visait tout particulièrement l’amendement du Gouvernement sur le vote anticipé par machine à voter.
Bien entendu, certains me diront que des dispositions techniques ne suffisent pas à répondre aux défis démocratiques de la démobilisation électorale. J’en conviendrai aisément avec eux. Mais considérer que de tels aménagements n’ont aucun effet sur la participation est tout aussi faux. Si la participation baisse avec le grand âge, alors le vote par correspondance peut être une réponse.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le rite républicain du vote, qui demeure intégrateur, mais de le revigorer. Las, par paresse, la majorité sénatoriale a refusé l’ensemble des évolutions que nous avions proposées, en s’abritant derrière la timidité du rapport d’information sur le vote à distance. Comme ce n’est pas le bon moment, ce n’est jamais le moment ! Nous aurions pu être des aiguillons ; nous serons des techniciens craintifs.
Nous voterons ce texte, parce qu’il contient de petites avancées utiles, mais nous le ferons sans le moindre enthousiasme.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la commission mixte paritaire soit parvenue à une rédaction commune de l’ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République.
Je suis tout particulièrement heureux qu’elle ait retenu l’ensemble des apports du Sénat.
Je pense notamment aux dispositions visant à améliorer les règles de propagande électorale : renforcement de l’accessibilité de la propagande aux personnes en situation de handicap ; obligation pour les instituts de sondage de publier leurs marges d’erreur lors de toute publication ou diffusion d’un sondage relatif à l’élection présidentielle ; fixation d’une date plus précoce pour la publication de la liste des candidats, ce qui permet de sécuriser la période intermédiaire, pendant laquelle les médias doivent donner la parole de manière équitable à l’ensemble des candidats et dans des conditions de programmation comparables.
Je pense également aux mesures qui tendent à adapter les règles de financement de la campagne : faire débuter la période de financement de l’élection présidentielle au 1er juillet 2021 pour une durée d’environ neuf mois ; augmenter l’avance versée à l’ensemble des candidats pour faciliter le financement des campagnes et tenir compte de l’inflation ; conférer un caractère expérimental à la dématérialisation des comptes de campagne de l’élection présidentielle et des reçus-dons ; publier les comptes de campagne de l’élection présidentielle en open data.
Je pense enfin aux dispositions relatives à la sécurisation de l’organisation de l’élection présidentielle : convocation des électeurs par décret simple ; actualisation de la liste des parrains pouvant présenter un candidat ; amélioration du fonctionnement des commissions de contrôle qui veillent à la régularité des listes électorales consulaires des Français de l’étranger.
L’examen de ce texte a pris, de façon inattendue, une dimension politique avec le dépôt devant le Sénat, moins de vingt-quatre heures avant la réunion de la commission, d’un amendement du Gouvernement sur le vote anticipé par machine à voter. Notre assemblée s’y est fermement opposée, et je m’en félicite. Il s’agissait d’une question de respect du Parlement et, par là même, de nos institutions.
Sur la forme, l’amendement du Gouvernement a été déposé devant la seconde chambre saisie, sans consultation préalable des forces politiques ou du Conseil d’État et sans que l’Assemblée nationale ait été appelée à se prononcer.
Sur le fond, cet amendement a fait naître beaucoup d’interrogations. Comment voter par anticipation, alors que la campagne électorale n’est pas terminée ? Avons-nous le même avis une semaine avant le vote que le jour même ? Comment garantir la sécurité des machines à voter ? Où auraient-elles été disposées ? Sous quelle responsabilité auraient-elles été placées ?
Si nous ne refusons pas de réfléchir à des évolutions de notre droit électoral, une telle réflexion doit se faire de manière apaisée, à bonne distance des échéances électorales.
Madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous est soumis a été conçu comme un texte de réglage comprenant divers ajustements techniques. Il s’inscrit dans la continuité des textes de toilettage adoptés avant chaque élection présidentielle depuis 1988 pour mettre en conformité les mesures d’organisation de l’élection présidentielle avec les évolutions du code électoral. Aussi, le groupe Les Indépendants le votera.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vais pas m’attarder sur l’avatar qu’a constitué le dépôt par le Gouvernement d’un amendement en séance devant le Sénat : il a assez fait parler de lui – trop, vraisemblablement ! Je vais commencer par saluer les quelques avancées techniques, qui sont essentiellement dues à la sagesse des parlementaires, lesquels ont su s’accorder sur un texte qui avait été travaillé de manière assez équilibrée par notre commission et notre assemblée.
Comme l’a déjà fait remarquer notre rapporteur, le texte reprend les avancées prévues par nos travaux sénatoriaux. Toutefois, je continue de regretter l’abandon de la transmission électronique des parrainages, pourtant prévue depuis plusieurs années et repoussée à l’élection suivante. C’est un réel constat d’échec de ne pas avoir pu, en quatre ans, mettre en place les conditions de sécurité permettant ce processus de dématérialisation.
Il me paraît tout de même étrange, à l’heure du télétravail et de la déclaration des impôts par internet, que le Gouvernement n’ait pas pu sécuriser moins de 50 000 connexions non simultanées. Pourtant, ce texte prévoit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques mette en œuvre un téléservice permettant l’édition et la délivrance de reçus pour chaque don versé à un candidat et un autre pour recevoir de manière dématérialisée les comptes de campagne. J’espère bien évidemment que cette simplification numérique bénéficie des mêmes critères de sécurité qui justifient le non-recours à la dématérialisation des parrainages…
J’en profite pour souligner l’importance fondamentale d’un sujet peu souvent mis en avant : le vote des détenus.
Je l’ai déjà dit, mais je souhaite le répéter : la prison est certes le lieu d’exécution de la peine, mais elle est aussi le lieu qui doit permettre la réinsertion du délinquant. Comment envisager une réinsertion, alors que ces personnes sont exclues de fait, et non en droit, de la participation à la vie citoyenne que constitue le moment fort de notre vie démocratique, l’élection présidentielle ? Malgré le succès relatif de l’établissement de bureaux de vote lors des élections européennes, il a été choisi de ne pas renouveler l’expérience pour se concentrer sur le vote par correspondance. Il est dès lors très important que l’administration pénitentiaire prenne part activement à l’information des détenus sur leur droit à être inscrits sur une liste électorale, mais aussi sur les démarches à effectuer et sur les modalités du vote par correspondance.
Le texte a aussi gardé les modifications sur le vote par procuration, considéré comme une modalité du vote ne nécessitant plus d’être justifiée et devant s’appliquer à tous, y compris aux Français de l’étranger. Je reste, comme vous le savez, excessivement prudent sur le déploiement de ce vote par procuration : il me semble que c’est celui qui présente le risque le plus fort de non-sincérité.
Je salue le fait que les apports sénatoriaux sur les conditions de publication des sondages aient été conservés. Certes, d’un point de vue personnel, mes réticences sur les dates possibles de ces publications sont bien plus grandes. Il n’en reste pas moins que notre texte permet d’apporter une explication de ces chiffres, de montrer les limites des méthodes statistiques sur les intentions de vote et d’accompagner ces publications a minima des marges d’erreur calculées, voire de réglementation plus drastique sur les périodes tolérées de réalisation et de diffusion.
Ces améliorations techniques sont nécessaires, mais il est de notre devoir d’essayer d’utiliser le plus grand nombre de moyens pour faciliter le vote. Nous devons également garder en tête notre responsabilité de nous poser les bonnes questions, en particulier comment donner envie de voter ; pour cela, il est nécessaire de crédibiliser la capacité des élus de tous niveaux à changer la vie quotidienne de nos concitoyens.
Notre système est à bout de souffle, notre démocratie fragilisée, pas seulement en raison des mesures restrictives prises au nom de la lutte contre la pandémie. Il est donc plus que temps de réfléchir sur notre République et sur les dangers de l’hyperprésidentialisation.
La légitimité issue des citoyens ne devrait pas pouvoir être détachée de la responsabilité envers eux – les deux sont liées. Le Président, en gouvernant seul, hors du cadre régulier prévu par notre démocratie, se permet en quelque sorte d’échapper aux électeurs.
M. le président. Il faut conclure, monsieur Benarroche !
M. Guy Benarroche. Les tentatives maladroites d’établissement de nouveaux contours pour l’élection au cœur de notre système, à l’image de l’exercice singulier, sous bien des aspects, de la présidence de la République actuelle, ne sont pas de notre goût. C’est pourquoi le groupe GEST ne pourra pas voter ce texte : il abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée a adopté le projet de loi organique portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République en février dernier à une très large majorité.
Bien que notre pays traverse encore des difficultés liées au contexte sanitaire qui nous ont poussés à adapter nos différents rendez-vous démocratiques, récemment les élections régionales et départementales, ce projet de loi organique en finit avec le cadre dérogatoire et nous projette vers un retour à la normale.
Le groupe RDPI se félicite que la réunion de la commission mixte paritaire ait pu déboucher sur un accord concernant ce texte de réglage et de coordination pour le prochain scrutin présidentiel de 2022. Il nous revient aujourd’hui d’en valider les conclusions et de souligner la qualité du travail réalisé par les deux chambres, ainsi que les différents apports et innovations qui bénéficieront aux électeurs et aux candidats pour garantir un scrutin toujours plus sincère, transparent et démocratique.
Comme ont pu le rappeler certains collègues, ce texte vise essentiellement à actualiser des dispositions de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.
D’une part, il apporte des précisions et des innovations pour les électeurs afin de créer les conditions de participation la plus large possible à ce scrutin. Je pense notamment à la publication du décret de convocation des électeurs et au vote par procuration des personnes détenues, qui a été expérimenté dans le cadre des élections européennes de 2019. Conformément à la loi Engagement et proximité, le texte prévoit la déterritorialisation des procurations. Il procède aussi à l’adaptation de dispositions relatives aux listes électorales consulaires et au vote des Français de l’étranger.
D’autre part, le texte actualise la liste des parrains pouvant présenter un candidat à l’élection présidentielle, en tenant compte des dernières réformes territoriales et en y ajoutant les 152 présidents des conseils consulaires des Français de l’étranger.
Le texte que nous votons adapte aussi les règles de financement pour éviter tout chevauchement avec les comptes de campagne des élections régionales et départementales de juin 2021, pour expérimenter la dématérialisation des comptes de campagne de l’élection présidentielle et des reçus-dons et, enfin, pour publier les comptes de campagne de l’élection présidentielle en open data.
À cela s’ajoute une autre avancée majeure concernant la propagande électorale. Les candidats auront de nouvelles obligations en matière d’accessibilité de leur campagne : ils devront tenir compte des différentes formes de handicap et de la diversité des supports de communication, comme suggéré par notre collègue Philippe Mouiller.
Pour finir, permettez-moi de revenir sur le vote par anticipation proposé par le Gouvernement. Certes, la méthode choisie n’a pas été la bonne, mais nous devons retenir son objet premier, qui reste la participation du plus grand nombre à cette élection. Certains de nos collègues ont d’ailleurs été réceptifs à cette proposition, mais l’ont finalement rejetée en raison de cette considération de forme ou pour des raisons politiques. Toujours est-il que nous devrons poursuivre nos réflexions parlementaires dans les prochaines années afin de moderniser les règles relatives aux opérations électorales dans l’objectif de garantir au scrutin toujours plus de participation, de sécurité et de sincérité.
Le groupe RDPI votera les conclusions de la commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte procure une double satisfaction.
La première est celle qui accompagne toujours une commission mixte paritaire lorsqu’elle est conclusive. Je ne m’y attarde pas, mais il est évidemment satisfaisant d’observer le Parlement travailler en bonne intelligence. A priori, ce projet ne devait d’ailleurs pas poser de difficulté majeure, puisqu’il procédait au toilettage électoral, tant nécessaire qu’habituel, qui précède l’élection présidentielle. Toutefois, lors de sa discussion en séance, nous avons eu la surprise de découvrir un amendement présenté par le Gouvernement qui donna lieu à de vifs échanges.
Cela me conduit à ma seconde satisfaction : nous nous réjouissons de la sagesse de la commission mixte paritaire, qui n’a pas retenu cette disposition sur le vote par anticipation qui devait conduire les électeurs à voter dans une autre commune plusieurs jours avant le dimanche traditionnel du scrutin.
Sur le fond, nous avons souligné les inconvénients que représentait le dispositif dans l’état où il nous était présenté. Cela dit, nous demeurons ouverts au débat : c’est peut-être une idée à creuser ou du moins une piste de travail et de réflexion pour repenser l’organisation de nos scrutins et lutter contre l’abstention.
Finalement, c’est du point de vue de la méthode que cet amendement nous a paru le plus surprenant. Comme pour toute compétition, qu’elle soit sportive ou politique, on ne modifie pas les règles du jeu la veille de la finale !
Vous le savez, j’ai déjà dit dans cet hémicycle mon goût pour le Top 14, ainsi que pour les valeurs que porte le rugby. Par conséquent, vous pourriez imaginer que je trouve beaucoup de défauts aux footballeurs ; il faut toutefois leur reconnaître au moins une qualité : ils savent parfois faire preuve de prudence et ne changent pas leur règlement avec légèreté. J’en veux pour exemple la méthode par laquelle ils ont institué l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR).
Ce procédé fut d’abord autorisé à titre expérimental lors de matchs amicaux, puis il a été utilisé pour la première fois en compétition officielle en 2017 à l’occasion de la très peu disputée Coupe des confédérations. Qu’aurait-on dit si le premier test avait eu lieu, par exemple, lors de la Coupe du monde de 2018 ? Qu’aurait-on pensé d’une équipe de France championne du monde, mais victorieuse grâce aux aléas d’un test ? Dans des conditions équivalentes, que risquerait-on de dire d’un Président de la République élu au bénéfice d’une expérimentation contestable ?
Comme pour tout, les premières fois sont rarement une réussite, et cette digression sportive me conduit à dire combien les lumières de l’expérience sont nécessaires. Il y a des sujets pour lesquels l’improvisation n’est pas de mise : l’élection à la plus haute fonction de notre République doit être planifiée et se dérouler sans accroc. Il y va de la confiance qu’accordent nos concitoyens aux institutions de la Nation.
Ainsi, l’idée même de proposer et d’instituer ce vote anticipé par voie d’amendement, et pour la première fois à l’occasion de l’élection présidentielle, était de nature à nous interroger, voire à nous inquiéter. Nous avons donc observé avec satisfaction que le dispositif avait été écarté.
Nous nous satisfaisons également que l’amendement visant à réduire l’importance des élus locaux dans le parrainage des candidats n’ait pas été retenu. Sur ces questions, il faudra peut-être évoluer dans les prochaines années, mais il ne paraissait pas opportun que cela ait lieu dès 2022.
Dans ces conditions, le groupe du RDSE votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Mme Jacky Deromedi applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, qui aurait dû n’être qu’une routine législative précédant l’élection présidentielle, a pris une ampleur dépassant largement l’écho de ses faibles ambitions. Sans crier gare, sans débat ni étude d’impact, le Gouvernement a déposé un amendement visant à proposer le vote par anticipation la semaine avant l’élection présidentielle dans certaines communes dotées de machines à voter.
Nous avons toutes et tous été pris de court par ce manque de sérieux du Gouvernement. Sur la forme, d’abord, puisqu’un tel dispositif impliquerait des moyens importants de sécurisation technique et juridique. Les risques de fraudes liés à l’usage du vote sur les machines ne peuvent être minimisés. Sur le fond, ensuite, puisqu’une telle proposition est susceptible de constituer une atteinte à la sincérité du scrutin. En effet, son adoption aurait entraîné une rupture d’égalité entre les électeurs dans leur information, laquelle peut influencer leur décision jusqu’au dernier moment. Nous nous félicitons donc que l’examen en CMP n’ait pas conduit à la réintroduction de cet amendement. Cet épisode nous aura cependant révélé une défaillance inquiétante dans les méthodes de travail de l’exécutif.
À rebours de la logique du Gouvernement, nous estimons que la portée de la campagne électorale ne doit pas être minimisée. Nous souhaitons que l’ensemble des candidats puissent la mener dans de bonnes conditions et que les électeurs soient correctement informés. Cela nous paraît d’autant plus nécessaire en période de pandémie. C’est pourquoi nous avions déposé des amendements sur les sondages, par exemple, afin d’aller plus loin que la publication des marges d’erreur et de limiter la manipulation de l’opinion par un outil qui n’a rien de neutre.
Sur la campagne audiovisuelle, pour assurer le pluralisme et la visibilité de l’ensemble des candidats, nous souhaitons que la norme soit l’égalité, plutôt que l’équité, laquelle favorise ceux qui disposent déjà d’une forte exposition. Nous ne pouvons laisser la bonne information des citoyens entre les mains des grands groupes privés détenant les médias. Le rôle du législateur doit être de réguler l’organisation des échéances démocratiques afin de garantir des débats d’idées pluralistes et représentatifs de l’ensemble de la société.
Enfin, concernant la tenue de la campagne et de l’élection, face à la situation sanitaire dans laquelle nous sommes depuis maintenant un an, l’absence de dispositions pour anticiper les risques de perturbation nous paraît à contre-courant et dommageable. Nous sommes pourtant parfaitement capables de prendre de telles dispositions.
Le vote représente pour nous un pilier fondamental de la démocratie. Contre sa déterritorialisation et sa complexification par des artifices techniques, nous défendons la forme citoyenne du scrutin. Afin que chacune et chacun de nos concitoyens puisse participer pleinement à l’exercice du droit de vote, nous avions également déposé un amendement défendant la tenue de bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires.
Le texte de la CMP intègre des améliorations votées par le Sénat : sur l’accessibilité de la propagande pour les personnes handicapées, la publication des comptes de manière plus transparente ou encore l’avancement de la date de publication de la liste des candidats, que nous avions porté par amendement. Nous regrettons cependant que nos autres propositions n’aient pas été retenues.
Ce projet de loi aurait pu permettre des avancées, mais il demeure un texte d’actualisation à la marge du cadre de l’élection présidentielle. Il passe surtout pour nous à côté de l’essentiel : la remise en question d’un régime hyperprésidentiel, avec un Parlement mis à distance. C’est pourquoi, vous le savez tous, nous nous inscrivons dans une démarche de révision de nos institutions pour aller vers une VIe République véritablement démocratique et préservée des manœuvres au service des ego et intérêts privés.
Notre groupe ne s’opposera pas à ce texte, mais il s’abstiendra : nous considérons qu’il est une validation du régime actuel.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis de nouveau pour examiner le projet de loi organique relatif à l’élection présidentielle, cette fois-ci à l’issue de son adoption en commission mixte paritaire.
Je ne reviens pas sur la présentation technique du texte, dont le contenu est connu de tous dans cette assemblée.
Lors de son examen au Sénat, le texte a été enrichi par plusieurs dispositions que j’estime, avec Philippe Bonnecarrère, dont je prends le relais sur ce texte, et le groupe Union Centriste tout à fait opportunes. Un point avait particulièrement retenu notre attention, c’est le dépôt d’un amendement gouvernemental visant à mettre en place pour l’élection présidentielle un vote anticipé au moyen de machines électroniques dans une liste limitée de communes dans chaque département.
Le groupe centriste regrette que le débat ouvert par cet amendement sur un sujet aussi important n’ait pas pu être pleinement satisfaisant sur le fond. En effet, nous ne souhaitons pas écarter l’idée que ce sujet fasse à l’avenir l’objet d’une étude approfondie. Je pense qu’une réflexion, de manière sereine et transparente, autour des modalités opératoires des scrutins sera nécessaire dans les années à venir pour répondre non seulement aux évolutions que notre société connaîtra, mais aussi aux risques de crises sanitaires, qui peuvent se répéter. Si nous avons pu modifier les dates des élections locales en raison de la pandémie, il ne pourra pas en être de même pour une élection présidentielle.
Au nom du groupe Union Centriste, je tiens à saluer le travail réalisé en commission mixte paritaire. Nous nous félicitons que le texte, enrichi de nombreuses dispositions après son passage au Sénat, ait suscité l’adhésion sans réserve de la CMP.
Notre groupe est notamment satisfait du maintien des dispositions prévues à l’article 2 sur la durée de la période de financement de la campagne électorale, auxquelles il est très attaché. Le Sénat, en raccourcissant cette période à neuf mois au lieu de douze, souhaitait faire disparaître les incertitudes qu’aurait engendrées le chevauchement de deux périodes de financement de campagne électorale : d’un côté, les élections départementales et régionales et, de l’autre, l’élection présidentielle. Maintenant, les choses sont claires.
Cette approche nous semblait nécessaire afin de prémunir les élus contre les difficultés de ventilation des dépenses entre ces différents scrutins. Ramener au 1er juillet 2021 le début de la période de financement pour l’élection présidentielle nous paraît être le moyen le plus simple et le plus efficace pour éviter tout débat et tout contentieux ultérieur.
Par ailleurs, nous nous réjouissons du renforcement de l’accessibilité de la campagne électorale pour nos concitoyens en situation de handicap. Nous estimons qu’il s’agit d’une avancée pas seulement symbolique, mais véritablement majeure pour l’intégration et l’inclusion de tous dans la vie démocratique de notre pays. Nous partageons les mesures de bon sens s’inscrivant dans cette dynamique.
À travers ce projet de loi organique, le Gouvernement poursuit la coutume qui prévoit, depuis 1988, que chaque élection présidentielle soit précédée d’une adaptation législative afin de conformer les règles de l’élection présidentielle aux évolutions de notre droit électoral. Ainsi, ce texte devrait avoir un impact limité, et c’est normal, dans la mesure où son ambition reste cantonnée à des mesures techniques qui ne bouleversent ni l’organisation de l’élection présidentielle ni les règles de la campagne électorale.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste soutient le texte adopté par la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous terminons nos travaux aujourd’hui par la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire du 2 mars dernier sur le projet de loi portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République. Ce texte est essentiellement technique dans sa forme, comme l’ont reconnu les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais il n’en est pas moins essentiel à la bonne tenue de la prochaine élection présidentielle, en 2022.
Ce scrutin occupe, depuis les premières années de la Ve République, une place centrale dans notre ordonnancement institutionnel et politique. Les Français ne s’y trompent d’ailleurs pas, comme le montre le taux élevé de participation à chaque présidentielle.
Le droit électoral applicable à cette élection est d’une telle importance qu’il est directement dérivé des articles 6 et 7 de la Constitution et prolongé dans une loi organique. Celle-ci nécessite cependant des mises à jour régulières pour demeurer en phase avec le droit électoral ordinaire. C’est ce qui a conduit à la quasi-systématisation du vote de lois organiques révisant le texte de 1962.
Le présent projet de loi s’inscrit précisément dans cette démarche. Il a, par ailleurs, été heureusement travaillé dans un esprit d’échanges constructifs par nos deux assemblées.
Concrètement, le texte dont nous discutons aujourd’hui comporte des dispositions fixant le délai imparti à la convocation des électeurs, complétant ainsi le texte jusqu’alors muet de la loi de 1962. Cela sécurise la préparation du scrutin. Cependant, l’essentiel porte sur l’adaptation des règles pratiques applicables aux candidats et au scrutin. Il en est ainsi de la transmission des fameux parrainages, du vote des détenus, de la propagande électorale et, bien sûr, de la mise à jour des nombreux renvois du texte organique, demeuré statique, vers le code électoral, qui a évolué depuis la dernière présidentielle.
À ce volet purement « hexagonal » s’ajoute un article consacré aux règles applicables aux Français de l’étranger, en particulier à leur vote par procuration et aux commissions de contrôle chargées de veiller à la régularité des listes électorales consulaires.
Après sa transmission à notre assemblée, ce texte a encore pu être amélioré, en particulier grâce aux travaux de notre rapporteur. Le Sénat a, par exemple, adapté les règles de financement de la future campagne électorale, afin de permettre à celle-ci de se dérouler dans les meilleures conditions démocratiques et de transparence possible. C’est ainsi que les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle seront disponibles en open data, comme c’est la règle pour les autres élections.
Au-delà de ces mesures relevant plutôt de la technique pure, notre assemblée a aussi pris, sur l’initiative de notre collègue Philippe Mouiller, des mesures fortes en vue de garantir l’accessibilité de la propagande aux personnes à mobilité réduite.
Le Sénat a enfin complété la mise à jour de plusieurs autres dispositifs concernant les parrainages ou encore les Français de l’étranger. À cet égard, je suis particulièrement satisfaite, en tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, de voir les 152 présidents des conseils consulaires rejoindre la liste des parrains. Dès l’automne 2018, j’avais demandé, avec mes collègues, que les conseils consulaires soient présidés par des élus pour respecter pleinement les principes démocratiques. Nous l’avons voté. Il était normal que les présidents de ces conseils puissent parrainer les candidatures à la présidence de la République.
Avant de conclure, je ne peux négliger de mentionner le sujet qui a agité les débats dans cet hémicycle voilà trois semaines. Je fais référence à l’introduction tardive et maladroite par le Gouvernement d’une mesure portant sur le vote anticipé au moyen des machines à voter, introduction qui avait suscité notre vif étonnement.
Je ne reviendrai pas ici sur les multiples fragilités constitutionnelles, juridiques et pratiques dont souffrait cette disposition, ni sur les interrogations soulevées par les méthodes de l’exécutif. Espérons au moins que cet intérêt soudain du Gouvernement pour les machines à voter l’incitera maintenant à prendre connaissance du rapport qui nous avait été confié sur ce sujet, avec mon collègue Yves Détraigne, en 2018.
C’est à la quasi-unanimité que le Sénat a rejeté l’amendement du Gouvernement, et je me félicite de ne pas le voir figurer dans le texte dont nous discutons aujourd’hui. Dans ces conditions, le projet de loi organique, tel qu’il est issu des travaux de la CMP, nous semble satisfaisant. Le groupe Les Républicains le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
projet de loi organique portant diverses mesures relatives à l’élection du président de la république
Chapitre Ier
Modifications apportées à la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel
Article 1er
Après l’article 1er de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, il est inséré un article 1er bis ainsi rédigé :
« Art. 1er bis. – Lorsque l’élection du Président de la République a lieu dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 7 de la Constitution, les électeurs sont convoqués par un décret publié au moins dix semaines avant la date du premier tour de scrutin.
« En cas de vacance de la présidence de la République ou lorsque le Conseil constitutionnel a déclaré définitif, en application du cinquième alinéa du même article 7, l’empêchement du Président, les électeurs sont convoqués sans délai par décret. »
Article 1er bis
I. – Après le III de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée, il est inséré un III bis ainsi rédigé :
« III bis. – Les candidats veillent à l’accessibilité de leurs moyens de propagande électorale aux personnes en situation de handicap, en tenant compte des différentes formes de handicap et de la diversité des supports de communication. Ils peuvent consulter à cette fin le Conseil national consultatif des personnes handicapées, qui publie des recommandations ou observations. »
II. – Au plus tard le 1er juin 2023, le Gouvernement remet au Parlement un rapport comprenant :
1° Une évaluation des moyens mis en œuvre par les candidats à l’élection du Président de la République pour l’application du III bis de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée, dans sa rédaction issue de la présente loi organique ;
2° Une analyse des évolutions juridiques et techniques nécessaires pour améliorer l’accessibilité de la propagande électorale aux personnes en situation de handicap, y compris lors des autres consultations électorales.
Article 2
I. – L’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
aa) Au début du premier alinéa, les mots : « Quinze jours au moins avant » sont remplacés par les mots : « Au plus tard le quatrième vendredi précédant » ;
ab) Le même premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu’il est fait application du cinquième alinéa de l’article 7 de la Constitution, cette publication a lieu quinze jours au moins avant le premier tour de scrutin. » ;
ac) (nouveau) Au début de la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « Cette liste » sont remplacés par les mots : « La liste des candidats » ;
a) À la deuxième phrase du même deuxième alinéa, après le mot : « communes, », sont insérés les mots : « le président du conseil exécutif de Corse, le président du conseil exécutif de Martinique, » ;
b) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
– la cinquième phrase est complétée par les mots : « ; toutefois, les conseillers régionaux du Grand Est qui ont été élus sur la section départementale d’une liste de candidats correspondant à la Collectivité européenne d’Alsace sont réputés être les élus des départements entre lesquels ils sont répartis en application de l’article L. 280-1 du même code » ;
– avant la dernière phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Aux mêmes fins, les conseillers d’Alsace sont réputés être les élus du département où est situé leur canton d’élection. » ;
– à la même dernière phrase, après le mot : « fins, », sont insérés les mots : « les conseillers régionaux élus sur la section départementale d’une liste de candidats correspondant à la métropole de Lyon et » ;
c) Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
– à la fin de la première phrase, les mots : « , ou par voie électronique » sont supprimés ;
– la dernière phrase est supprimée ;
2° Le premier alinéa du II est ainsi rédigé :
« II. – Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées aux articles L. 1, L. 2, L. 6, L. 9 à L. 20, L. 29 à L. 32, L. 36 à L. 38, L. 42, L. 43, L. 45, L. 47 A à L. 52-2, L. 52-4 à L. 52-11, L. 52-12, L. 52-14, au quatrième alinéa de l’article L. 52-15 et aux articles L. 52-16, L. 52-17, L. 53 à L. 55, L. 57-1 à L. 78, L. 86 à L. 114, L. 116, L. 117, L. 117-2, L.O. 127, L.O. 129, L. 163-1, L. 163-2, L. 199, L. 385 à L. 387-1, L. 388-1, L. 389, L. 393, L. 451, L. 477, L. 504 et L. 531 du code électoral, sous réserve des deuxième à dernier alinéas du présent II. » ;
3° et 4° (Supprimés)
4° bis A À la première phrase du huitième alinéa du même II, après le mot : « officiel », sont insérés les mots : « , ainsi que dans un format ouvert et aisément réutilisable, » ;
4° bis B À l’avant-dernier alinéa du même II, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « premier » ;
4° bis Le premier alinéa du V est supprimé ;
4° ter À la première phrase du deuxième alinéa du même V, le nombre : « 153 000 » est remplacé par le nombre : « 200 000 » ;
5° Sont ajoutés des VI et VII ainsi rédigés :
« VI. – Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n’entraînant pas une incapacité électorale qui sont incarcérés dans un établissement pénitentiaire situé sur le territoire de la République peuvent, s’ils sont inscrits sur une liste électorale, voter par correspondance, sous pli fermé, à l’élection du Président de la République, dans des conditions permettant de respecter le caractère secret et personnel du vote, la sincérité du scrutin ainsi que la sécurité et la sûreté des personnes concernées. Sauf s’ils sont inscrits sur une liste électorale en application du III de l’article L. 12-1 du code électoral, ils doivent effectuer une démarche à cette fin auprès de l’administration pénitentiaire.
« Pour l’application du premier alinéa du présent VI, est instituée une commission électorale chargée de veiller au caractère personnel et secret du vote par correspondance ainsi qu’à la régularité et à la sincérité des opérations de vote. Cette commission a pour mission d’établir une liste des électeurs admis à voter par correspondance, qui constitue la liste d’émargement, et de procéder au recensement des votes.
« La liste des électeurs admis à voter par correspondance n’est pas communicable.
« Les électeurs admis à voter par correspondance ne peuvent voter ni à l’urne ni par procuration, sauf si la période de détention prend fin avant le jour du scrutin.
« VII. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. Il détermine notamment les conditions de la participation de l’État aux dépenses de propagande. »
I bis. – Par dérogation au deuxième alinéa du II de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée, pour la prochaine élection du Président de la République organisée dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 7 de la Constitution, la période au cours de laquelle le mandataire recueille les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses engagées en vue de l’élection court pendant les neuf mois précédant le premier jour du mois de l’élection jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat.
II. – À compter d’une date fixée par décret, et au plus tard à compter du 1er janvier 2027, la première phrase du quatrième alinéa du I de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée est complétée par les mots : « , ou par voie électronique ».
III. – Le III de l’article 2 de la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle est abrogé.
IV. – À titre expérimental, pour chaque don versé à un candidat à la prochaine élection du Président de la République suivant la publication de la présente loi organique, l’association de financement électoral ou le mandataire financier délivre un reçu édité au moyen d’un téléservice mis en œuvre par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Les demandes de reçu sont transmises au moyen de ce téléservice.
V. – À titre expérimental, le compte de campagne des candidats à la prochaine élection du Président de la République suivant la publication de la présente loi organique est déposé par voie dématérialisée au moyen d’un téléservice mis en œuvre par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Article 2 bis
I. – Le I de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée est ainsi modifié :
1° À la fin de la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « ou conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger » sont remplacés par les mots : « , conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger ou vice-présidents des conseils consulaires » ;
2° À la première phrase du troisième alinéa, les mots : « et les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger » sont remplacés par les mots : « , les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger et les vice-présidents des conseils consulaires » ;
3° Au 2°, après le mot : « étranger », sont insérés les mots : « ou de vice-présidents des conseils consulaires ».
II. – À la fin de la première phrase du deuxième alinéa, à la première phrase du troisième alinéa et au 2° du I de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée, le mot : « vice-présidents » est remplacé par le mot : « présidents ».
III. – Le II du présent article entre en vigueur à compter du prochain renouvellement général des conseillers des Français de l’étranger.
Article 3
Le premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée est ainsi rédigé :
« Les dispositions du code électoral auxquelles renvoie la présente loi sont applicables dans leur rédaction en vigueur à la date de publication de la loi organique n° … du … portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République. Toutefois, l’article L. 72 du code électoral est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. »
Article 3 bis
Pour la prochaine élection du Président de la République suivant la publication de la présente loi organique, toute publication ou diffusion de sondage, au sens de l’article 1er de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, est accompagnée des marges d’erreur des résultats publiés ou diffusés, le cas échéant par référence à la méthode aléatoire, établies sous la responsabilité de l’organisme qui l’a réalisé.
Chapitre II
Modifications apportées à la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 relative aux listes électorales consulaires et au vote des Français établis hors de France pour l’élection du Président de la République
Article 4
I. – La loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 relative aux listes électorales consulaires et au vote des Français établis hors de France pour l’élection du Président de la République est ainsi modifiée :
1° A Le deuxième alinéa du II de l’article 8 est complété par deux phrases ainsi rédigées : « L’électeur dont la radiation est envisagée est informé par voie électronique. Il dispose d’un délai de trois jours pour répondre à la commission. » ;
1° Le IV du même article 8 est ainsi modifié :
a) Au 1°, le mot : « vice-président » est remplacé par le mot : « président » ;
b) À la première phrase du 2°, après le mot : « renouvellement », sont insérés les mots : « ou dès que le nombre de sièges vacants ne permet plus d’atteindre le quorum » ;
c) À la fin de la deuxième phrase du même 2°, le mot : « décès » est remplacé par les mots : « cessation de mandat » ;
d) La dernière phrase du même 2° est supprimée ;
2° À la fin du premier alinéa de l’article 13, les mots : « lorsqu’ils attestent sur l’honneur être dans l’impossibilité de se rendre au bureau de vote le jour du scrutin » sont supprimés ;
3° L’article 21 est ainsi rédigé :
« Art. 21. – Les dispositions du code électoral auxquelles renvoie la présente loi organique sont applicables dans leur rédaction en vigueur à la date de publication de la loi organique n° … du … portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République. Toutefois, l’article L. 72 du code électoral est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. »
II. – Le a du 1° du I du présent article entre en vigueur à compter du prochain renouvellement général des conseillers des Français de l’étranger.
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 89 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Pour l’adoption | 317 |
Le Sénat a adopté définitivement.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 16 mars 2021 :
À quatorze heures trente et le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale (texte de la commission n° 410, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quinze.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER