M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nathalie Goulet, lutter contre la fraude est une exigence fondamentalement démocratique, puisque c’est le corollaire de la nécessité d’une contribution commune telle que la prévoit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; cela permet aussi de rétablir l’équilibre entre les droits et les devoirs lorsque celui-ci est illégalement rompu.
Les Français nous attendent, légitimement, sur ce sujet. Nous devons répondre à cette attente en considérant que la lutte contre la fraude est une obligation de principe qui s’impose d’autant plus quand les moyens engagés sont d’une ampleur inédite, comme c’est le cas durant cette période.
Je veux remercier Mme la sénatrice Goulet d’avoir proposé ce débat au Sénat en déposant cette proposition de loi, mais aussi d’avoir insisté, dans son propos liminaire, sur la notion d’équilibre, sur la volonté de dépassionner le débat et de s’attaquer à la fraude aux cotisations comme aux prestations, en rappelant les ordres de grandeur et l’importance de la première par rapport à la seconde.
Je veux aussi mettre à profit cette séance pour rappeler les progrès qui ont été faits en la matière. De nombreux rapports ont récemment souligné les améliorations déjà apportées au cours des dernières années, notamment sur la forte dynamique en volume et en montant de la fraude aux prestations détectée et sanctionnée, en augmentation de 30 % en un an, soit un niveau trois fois supérieur à celui d’il y a dix ans.
Il faut aussi souligner la professionnalisation croissante de la lutte contre la fraude aux prestations comme aux cotisations, avec près de 4 000 équivalents temps plein directement affectés à cette mission au sein des caisses, avec un meilleur ciblage des contrôles et des échanges d’informations croissants avec d’autres administrations et organismes.
Tous ces rapports, au premier rang desquels celui de la sénatrice Nathalie Goulet et de sa collègue, la députée Carole Grandjean, ont inspiré cette proposition de loi, ils ont également souligné le travail qui reste à effectuer et ont appelé les organismes de sécurité sociale à un effort renouvelé, sur un sujet connu et ancien.
M. le rapporteur général a ainsi rappelé, à raison, les nombreux rapports rendus, les nombreuses initiatives qui ont été prises dans les années précédentes, pour souligner à la fois la nécessité de mieux lutter, mais aussi les moyens qu’il faut mettre en œuvre.
Je souhaite aussi profiter de l’examen de cette proposition de loi pour vous donner trois illustrations concrètes de l’engagement du Gouvernement dans la lutte contre la fraude sociale. Tout d’abord, dans le cadre de l’examen de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, plus de dix mesures ont été adoptées, à l’issue d’un travail mené en concertation étroite avec les parlementaires, pour renforcer la réglementation et lutter contre une forme de fraude.
Sans citer toutes les mesures, mais pour illustrer la convergence de nos préoccupations, la dernière loi de financement de la sécurité sociale prévoit, notamment, dans son article 104, de renforcer le contrôle de l’existence des retraités expatriés à l’aide de la biométrie ; l’expérimentation prévue cette année va permettre d’ouvrir une nouvelle possibilité de sécurisation du versement des pensions, tout en allégeant les contraintes administratives qui pèsent sur les assurés.
Dans le cadre du plan de lutte contre la fraude que j’ai eu l’occasion de présenter le 2 février, nous avons prévu des moyens humains pour procéder à un certain nombre de contrôles sur place, de manière à être plus efficaces dans le recensement et la détection de ce type de fraude.
La même loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit de renforcer les contrôles et les sanctions des professionnels de santé, avec une obligation d’inscription à l’ordre et un déconventionnement d’office pour les professionnels condamnés pour fraude pour la seconde fois en cinq ans. Ce texte prévoit aussi des mesures permettant le renforcement des sanctions en cas de non-signalement d’un changement de situation, ou encore un doublement des plafonds de pénalité, à la main des directeurs des branches vieillesse et famille.
Par ailleurs, Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, et moi-même veillerons – vous avez dit, monsieur le rapporteur général, madame la sénatrice, votre attention sur ce point – à ce que la mission d’inspection qui aurait dû remettre son rapport parlementaire sur le répertoire national commun de protection sociale en 2020 puisse le faire avant la fin du premier semestre de cette année, le retard ayant été très largement enregistré pendant les périodes de confinement.
L’objectif est de nous permettre de mieux cerner les usages de cet outil de partage des informations en temps réel entre les différents organismes qui interviennent dans le champ de la protection sociale. La mission doit notamment nous éclairer sur les usages actuels de ce répertoire en étudiant la possibilité et l’utilité d’avoir accès à des informations non encore mutualisées.
J’ai également demandé que la mission se pose plus largement la question du stockage, de la gestion et des échanges de données dans la sphère sociale avec en tête l’exemple belge de la Banque carrefour de la sécurité sociale.
Enfin, j’ai demandé en décembre 2020, toujours avec le ministre des solidarités et de la santé, mais aussi avec la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, au directeur de la sécurité sociale de piloter le plan d’action, de prévention et de lutte contre la fraude sociale que j’ai présenté lors du premier comité de pilotage le 2 février dernier.
Ce plan a vocation à décliner opérationnellement les mesures dont nous avons discuté avec vous et que nous allons de nouveau évoquer cet après-midi. Validé et partagé par tous les acteurs, il nous permet de mieux coordonner et de structurer notre politique de lutte contre la fraude.
Je ne pourrais, monsieur rapporteur général, évoquer chacune de ses mesures, il y en a plusieurs dizaines, mais ce plan et ces orientations ont été rendus publics et j’ai eu l’occasion d’en parler de manière plus précise encore avec l’auteure de la proposition de loi. Je veillerai, bien évidemment, à ce que vous-même et votre commission soyez destinataires de l’intégralité des actions prévues ainsi que du calendrier de leur mise en œuvre, qui s’étend sur les deux années qui viennent.
Je ne considère pas que cette étape de travail – l’application des dispositions prévues en loi de financement de la sécurité sociale et la mise en œuvre de ce plan de lutte contre la fraude – soit un aboutissement, c’est le début d’une démarche de renforcement de la lutte contre la fraude qui doit aboutir à un vrai changement d’échelle et ce plan sera, au fil de nos échanges, renforcé, actualisé et enrichi.
Je suis évidemment disposé, par construction et en application du droit, mais aussi par respect du Parlement, à faire réaliser toutes les évaluations que vous avez évoquées dans les meilleurs délais et à m’assurer que l’ensemble des parlementaires des commissions concernées au Parlement soient régulièrement informés, autant qu’ils le souhaiteront, de la mise en œuvre de ce plan et de son évaluation.
Vous verrez ainsi que nous partageons les mêmes préoccupations et les points d’attention qui ont donné lieu à la rédaction de cette proposition de loi, même si certaines des mesures que celle-ci contient ne nous semblent pas nécessairement applicables immédiatement ou en l’état.
Quelques exemples de ce que prévoit notre plan, en lien avec les ambitions de ce texte : l’élaboration d’une cartographie des risques dans tous les réseaux d’ici à la fin de l’été 2021 pour nourrir les prochains travaux autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale et systématiser l’évaluation régulière de ces risques ; la sécurisation des processus d’immatriculation et d’identification des assurés en généralisant le procédé d’attribution du numéro d’identification par un numéro d’attente, pour les réseaux qui ne l’appliquaient pas encore ; la sécurisation, de même, du processus de contrôle de l’existence à l’étranger – nous y reviendrons dans nos échanges, j’ai évoqué les moyens humains que nous allons mettre en place ; une meilleure maîtrise de la fraude en lien avec le respect de la condition de résidence, grâce à l’élargissement de l’accès à l’application de gestion des dossiers de ressortissants étrangers en France (AGDREF), et à l’amélioration de l’exploitation des données de l’application Visabio.
Ce plan contient, enfin, des mesures sur la maîtrise de la fraude aux cotisations et aux prestations de service internationales, sujet sur lequel l’information du Parlement pourrait encore être renforcée.
Je serai particulièrement attentif à ce qu’un suivi précis, avec des actions concrètes et quantifiées, ainsi que des indicateurs permettant d’évaluer fidèlement l’atteinte des objectifs fixés soit mis en place, et que cela se traduise dans les nouvelles conventions d’objectifs et de gestion qui seront signées avec les organismes de sécurité sociale.
Je veux dire notre attention et le soutien que nous apportons tout particulièrement à deux articles de la proposition de loi. Nous souscrivons totalement à l’idée de mieux informer le Parlement sur la coopération transfrontalière, comme le prévoit l’article 12, et de renforcer le processus d’immatriculation des personnes nées à l’étranger, inscrit à l’article 15. Les autres dispositions nous posent certaines difficultés, parce que nous portons une appréciation sur leur opportunité, parce que nous considérons qu’elles seraient difficilement applicables ou encore parce que nous avons fait le choix d’y donner suite différemment.
Nous devons collectivement nous fixer une obligation de moyens, mais aussi de résultats et faire connaître le bilan de nos actions. Le débat qui va commencer est une manière de le faire et j’en remercie de nouveau l’auteure de la proposition de loi, tout comme je remercie, par avance, l’ensemble des intervenants sur ce texte.
Lorsque nous nous attaquons de manière dépassionnée, voire chirurgicale, à ce chantier de la lutte contre la fraude sociale, cela permet de mettre au jour les contournements des règles, les dissimulations et les détournements de recettes qui doivent être affectées aux régimes de sécurité sociale, mais aussi de contribuer à une meilleure efficacité et donc à une plus grande solidarité de l’ensemble de notre système de protection sociale. En cela, le débat qui s’ouvre est nécessairement utile. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à appliquer vingt-quatre mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales, présentée par Mme Nathalie Goulet, s’inscrit dans la longue liste d’initiatives récentes de la majorité sénatoriale contre la fraude sociale, sans compter les multiples amendements aux deux derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale déposés par l’auteure de la présente proposition de loi.
Ce sujet est en effet devenu un cheval de bataille depuis le rapport d’octobre 2019 de la mission gouvernementale : Lutter contre les fraudes aux prestations sociales, un levier de justice sociale pour une juste prestation.
Pour ce qui me concerne, je souhaite mettre en parallèle le rapport du Défenseur des droits de 2017 intitulé Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ? qui insiste sur le fait que l’intensification de la lutte contre la fraude sociale est source d’atteintes aux droits des usagers ; qui pointe le fait qu’un « allocataire ou assuré de bonne foi, même s’il demeure responsable de son erreur ou de son oubli, ne saurait être qualifié de fraudeur et se voir appliquer des sanctions » ; qui relève également que les larges pouvoirs accordés aux caisses d’allocations familiales, aux caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), à la caisse primaire d’assurance maladie, ou aux agences de Pôle emploi ont entraîné mécaniquement des dérives dans les procédures de contrôle, de qualification et de sanction de la fraude.
Les effets de ces pouvoirs sont d’autant plus dévastateurs que des ménages se trouvent dans l’obligation de procéder à des remboursements d’indus considérables au regard du budget du foyer, aboutissant à un affaissement des ressources de certains foyers au sein d’une population déjà fragilisée et qui, parfois, ignore ses droits.
Cela confirme les résultats d’une enquête du même Défenseur des droits, publiée en mars 2017, qui révélait que les personnes en situation de précarité économique et/ou sociale rapportent plus de difficultés pour résoudre un problème avec une administration ou un service public, et qu’elles sont plus susceptibles d’abandonner leurs démarches.
Dans le même temps, en 2018, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), le taux de non-recours aux aides sociales en matière de santé se situait entre 32 % et 44 % pour la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et entre 53 % et 67 % pour l’aide au paiement de la complémentaire santé (ACS). Quant aux aides à la famille, une autre étude de 2018 estimait qu’entre 7,5 % et 8,2 % des allocataires ne recourent pas à leurs droits.
Les principales raisons proposées pour expliquer que certaines personnes se retrouvent dans des situations de non-recours sont le manque d’information et la lourdeur administrative.
Cela soulève notamment l’enjeu du risque de pauvreté et de l’approfondissement de la précarité sociale. Des enquêtes ont en effet montré que le recours au RSA n’est pas systématique, en raison, principalement, de la méconnaissance de ce dispositif.
Ce problème se décline sur tous les secteurs de la protection sociale. Par exemple, pour le risque vieillesse, à l’âge de 70 ans, 32 % des assurés des régimes de retraite français nés en 1942 n’ont pas demandé tout ou partie de leurs pensions de retraite.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat estime que, si l’on peut juger que la lutte contre la fraude concernant les droits des usagers du service public est une politique publique légitime, celle-ci doit être équilibrée. Il se trouve que la fraude aux prestations sociales est bien moins importante que le non-recours aux droits.
Il faut rappeler ici que, en 2015, la fraude aux prestations sociales représentait 673 millions d’euros, contre 4 milliards d’euros pour le non-recours au RSA. Ce n’est, bien évidemment, pas une raison pour ne pas lutter contre ces agissements. Il demeure néanmoins que les initiatives législatives sont bien plus fréquentes en faveur de la lutte contre la fraude que contre le non-recours, notamment de la part de la majorité sénatoriale.
Les dispositifs de plus en plus étoffés de lutte contre la fraude laissent par ailleurs accroire à une fraude massive des bénéficiaires. Ce n’est évidemment pas le cas, mais cela traduit une vision tronquée de la situation. Ce sont 0,36 % des allocataires de la CNAF qui frauderaient délibérément, en revanche, 75,5 % des « fraudes » sont en fait dues à des omissions ou à de fausses déclarations, 16,5 % sont des fraudes à l’isolement et 8 % sont des faux et usages de faux.
La rhétorique de la lutte contre la fraude entretient donc la recherche de boucs émissaires, la dénonciation de l’assistanat et conduit, en creux, à une remise en cause de notre modèle social. Certains discours sur la fraude sociale tendent, en outre, à entretenir volontairement le flou entre la fraude organisée des réseaux, qui relève de la délinquance, et celle des individus isolés, bien plus facile à stopper.
Par ailleurs, les bénéficiaires des prestations ne sont pas forcément les plus fraudeurs. Ainsi, pour l’assurance maladie, 47,5 % du montant des fraudes et fautes détectées relèvent des professionnels de santé, 31,1 % des établissements, 21,1 % des assurés et employeurs.
À la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes a estimé les préjudices des principaux organismes sociaux en 2019 à 1 milliard d’euros. Ce montant doit être mis en regard des 5,6 milliards d’euros de fraude fiscale recouvrés par l’État en 2018.
La fraude sociale, y compris celle qui n’est pas détectée, est évaluée entre 14 et 45 milliards d’euros, alors que la fraude fiscale est estimée entre 66 et 88 milliards d’euros, voire 100 milliards d’euros pour certains syndicats des finances publiques. Cela suggère qu’il pourrait être nécessaire de hiérarchiser les priorités.
Nous ne sommes cependant pas naïfs, nous savons bien que les différentes fraudes existent, mais nous ne souhaitons pas voter une proposition de loi qui laisserait accroire que cette fraude aux allocations sociales serait devenue un sport national.
Nous appelons plutôt à une amélioration des dispositifs d’aide sociale qui permettrait de limiter la possibilité de fraudes. Nous souhaitons donc que soient mis en parallèle les moyens dévolus à la lutte contre la fraude sociale et les moyens déployés pour la lutte contre le non-recours, et que ces moyens soient équilibrés. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance de la proposition de loi tendant à lutter contre les fraudes sociales. Je tiens, tout d’abord, à saluer le travail effectué par notre collègue Nathalie Goulet, auteur du texte, et par le rapporteur Jean-Marie Vanlerenberghe.
Néanmoins, je forme également le vœu que nous puissions travailler à l’avenir sur un texte visant à lutter contre tous les types de fraudes, car chaque fraude est un coup de poignard porté à notre idéal républicain et le symptôme d’une société qui se détourne progressivement de l’intérêt collectif au profit des intérêts particuliers.
La lutte contre les fraudes sociales est un sujet qui revient de manière récurrente sur les bancs de cette assemblée. Pour ne citer que les travaux récents, nous pouvons évoquer la proposition de résolution visant à lutter contre la fraude transfrontalière, déposée par notre collègue André Reichardt et votée par le Sénat, ou encore la proposition de loi tendant à instituer une carte vitale biométrique, déposée par notre collègue Philippe Mouiller et dont la présidente Catherine Deroche a été rapporteure.
Notons également qu’une commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, présidée par notre collègue député Patrick Hetzel, a été mise en place à l’Assemblée nationale. Ses conclusions ont été présentées en septembre dernier.
Enfin, je rappelle qu’une proposition de loi visant à améliorer l’accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale, déposée par notre ancien collègue Éric Doligé et dont j’étais la rapporteure, avait été discutée en mai 2016 au sein de cet hémicycle. Malheureusement, l’examen de ce texte avait été arrêté à l’issue du rejet de l’article 1er, sur la base d’arguments qui lui faisaient dire ce qu’il ne disait pas.
Je forme donc le vœu que nous puissions aller au terme de l’examen du texte en discussion aujourd’hui afin que le Sénat envoie un signal fort en matière de lutte contre les fraudes sociales. À ce titre, j’ai déposé plusieurs amendements inspirés de mon rapport sur la proposition de loi Doligé, visant à compléter les différents dispositifs présents dans la proposition de loi discutée ce jour.
Les chiffres en matière de fraudes sociales divergent, mais je n’entrerai pas dans ce débat, car bien malin est celui qui peut se targuer de mesurer objectivement le montant total de ce type de fraudes. Le RSA, les aides au logement, les allocations familiales, le minimum vieillesse, les arrêts maladie sont autant de dispositifs concernés par ce phénomène en augmentation permanente.
Quelques chiffres, tout de même, ont pu être vérifiés et sont symptomatiques des défaillances de notre pays à endiguer cette terrible réalité : il y a près de 74 millions de personnes bénéficiaires de prestations sociales, dans un pays qui compte 67 millions d’habitants ; plus de 250 porteurs de la carte Vitale ont plus de 120 ans et plus de 3 millions d’entre eux sont centenaires, voilà qui pourrait faire pâlir le Japon, champion de la longévité et qui aurait pu inquiéter Jeanne Calment dont le record tenait jusqu’alors !
L’enquête sur la fraude aux prestations sociales réalisée par la Cour des comptes à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat et présentée en septembre 2020 permet de constater « qu’il s’agit bien d’une atteinte au principe de solidarité et d’un coût financier élevé ».
Le Conseil constitutionnel a lui-même reconnu à la lutte contre la fraude le caractère d’une exigence constitutionnelle. Ne nous trompons pas, il s’agit bien ici de lutter contre la fraude organisée.
À un an de la prochaine élection présidentielle, il faut du courage politique, monsieur le ministre, pour s’attaquer à ce problème épineux et complexe. J’espère que l’exécutif est prêt à assumer ce courage. De nombreuses solutions existent et ne demandent qu’à être mises en place. Ce ne serait que justice, pour la majorité de nos compatriotes, silencieux par pudeur et honnêtes par valeur, ces femmes et ces hommes qui, chaque jour, font honneur à cette nation en se demandant ce qu’ils peuvent faire pour leur pays, et non l’inverse, conformément à la célèbre maxime du président Kennedy.
Je ne sais si ce texte sera inscrit prochainement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, mais il a le mérite de remettre sur la table cette réalité qui n’est pas digne de notre pays et qui est une offense aux pères fondateurs de la sécurité sociale et aux personnalités politiques qui ont œuvré et œuvrent encore chaque jour en faveur de la solidarité nationale, pour que les plus faibles puissent être accompagnés par la puissance publique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lutter contre la fraude sociale, c’est assurément défendre notre modèle social. C’est pourquoi je salue l’initiative de notre collègue Nathalie Goulet, qui a déposé cette proposition de loi, et du groupe Union Centriste, qui a demandé son inscription à l’ordre du jour. Les enjeux financiers en sont importants.
Nous devons veiller à préserver le modèle social auquel nous sommes tous attachés. Le député Pascal Brindeau évalue, dans un récent rapport, à 14 milliards d’euros, le montant total annuel de ces pratiques, qui sont souvent le fait de professionnels de la fraude. Il ne s’agit, bien sûr, que d’une estimation et il reste nécessaire d’objectiver ces chiffres.
De surcroît, même la Cour des comptes, dans son rapport présenté en septembre dernier, s’est estimée incapable de chiffrer avec précision ces pratiques. Tout indique pourtant que les montants des fraudes aux prestations et aux cotisations ont largement augmenté ces dernières années.
À titre d’exemple, le montant de la fraude aux organismes sociaux est estimé par la Cour des comptes à 1 milliard d’euros en 2019, contre 850 millions d’euros en 2017. De plus, on dénombre près de 3 millions de bénéficiaires « fantômes » de droits à l’assurance maladie : c’est absolument considérable ! La fraude fait peser le doute sur l’efficacité et sur l’équité de notre modèle social. Il faut le constater : aujourd’hui, nos organismes sociaux ne sont pas assez armés pour lutter contre la fraude tant des particuliers que des professionnels.
Aussi, nous devons urgemment nous atteler à repenser l’architecture de nos bases de données. Je pense notamment au répertoire national commun de la protection sociale. La principale difficulté réside dans le fait que toutes les prestations sont versées sur une base déclarative, avec un contrôle a posteriori. Il faut travailler au croisement des données entre les organismes sociaux et fiscaux, il faut aussi leur donner accès aux historiques des montants versés afin d’éviter les doublons. Les moyens technologiques actuels doivent nous y aider.
C’est dans cette même logique que je soutiens le développement de la carte biométrique : elle doit être totalement sécurisée. D’ailleurs, l’expérimentation actuelle doit rapidement laisser place à sa généralisation. Une telle mesure devrait permettre de limiter le surnombre de cartes en circulation dans notre pays, que l’on estime aujourd’hui à 2 millions. Il s’agit de doubles détentions ou de doubles affiliations.
Il n’est pas acceptable, dans un pays aussi développé que le nôtre, avec un système aussi généreux que le nôtre, que nous ne disposions pas de moyens de contrôle plus performants.
Pour conclure, mes chers collègues, la pérennité de notre modèle social dépend de notre capacité à lutter contre ces fraudes. Par conséquent, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants soutient cette proposition de loi qui va clairement dans le bon sens. Il est temps d’agir. Il y va de la crédibilité de l’État, de la puissance publique et de l’avenir de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire qui dure se transforme de plus en plus en crise sociale et humanitaire, partout dans le monde. En France, 10 millions de personnes vivent désormais sous le seuil de pauvreté.
L’Insee relate que la situation financière des ménages s’est fortement dégradée, avec une perte de près de 3 % des revenus, ce qui ne s’était pas produit depuis 1949. Par ailleurs, près de 700 000 emplois ont disparu en 2020, majoritairement des emplois à destination des personnes en situation de précarité.
Pourtant, dans ce contexte, alors que la pauvreté s’étend et touche de nouveaux publics, alors que 20 % des ménages les plus pauvres ont dû massivement désépargner le peu d’économies qu’ils avaient pour faire face aux dépenses incompressibles, ce qui présage d’effets sociaux dramatiques partiellement différés par cet amortisseur, et alors que les associations nous enjoignent, pour prévenir ce phénomène, de lutter contre le non-recours aux droits sociaux et d’améliorer l’accès aux droits, notamment des plus jeunes, les mesures urgentes dont nous débattons aujourd’hui concernent la lutte contre la fraude sociale.
Tout comme pour la réforme de l’assurance chômage du Gouvernement, il est difficile d’être plus anachronique, plus décalé par rapport à la situation sociale et plus déséquilibré ! En effet, alors que la fraude sociale concerne quasi uniquement ici la fraude aux prestations, les fraudes au recouvrement des cotisations sociales, part la plus importante, estimées entre 7 et 9 milliards d’euros annuels par l’Acoss, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, en 2019, ne relèvent pas apparemment de la même urgence et n’appellent pas la même réponse.
Cela s’explique par la focalisation constante, en raison des déficits sociaux, sur les seules dépenses sociales, qui sont scrutées avec attention, alors que les manques à gagner en recettes dus à la fraude ou aux optimisations de toute sorte sont quasi ignorés. Or le solde résulte bien des deux. Si, je tiens à le dire, la lutte contre les différentes fraudes est légitime, ce parti pris ne l’est pas.
Le texte concentre notre attention sur la fraude aux prestations, y compris par des articles déjà satisfaits par le droit en vigueur.
De nombreux articles visaient à accroître les moyens de contrôle, mais surtout de surveillance des bénéficiaires des aides sociales, au mépris du respect de leur vie privée, comme si on les soupçonnait d’être, par nature, des resquilleurs potentiels ! Le Monde rendait compte récemment de la pression humiliante de l’administration dans le quotidien des personnes allocataires, qui est un facteur de stigmatisation.
Cette stigmatisation explique une partie du non-recours, qui est la partie immergée des droits. Celui-ci représente entre 30 % et 40 % des ayants droit au RSA et, en 2018, entre 56 % et 68 % des ayants droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). L’ensemble des non-recours aux droits est évalué à 13 milliards d’euros annuels.
Pourquoi ne pas consacrer le croisement des données à l’automatisation des droits, plutôt que de n’en envisager l’usage qu’au service du contrôle ?
Nulle justification ne peut être apportée à la surveillance des données internet, comme le propose l’article 4, ou à donner des pouvoirs judiciaires aux organismes de sécurité sociale, comme le suggère l’article 18.
La priorité de notre temps législatif doit être la lutte contre la paupérisation en cours et le renforcement de notre système d’aides sociales. C’est ce que la crise que nous vivons requiert et nous demande !
En conséquence, le groupe GEST votera contre cette proposition de loi. (Mme Monique Lubin applaudit.)