M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Ça commence !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. C’est évidemment illégal et inacceptable. C’est seulement dans le cadre d’une discussion, lorsque le respect du protocole aura été préalablement garanti, que nous pourrons envisager des flexibilités, mais certainement pas de manière unilatérale. Je tenais à le rappeler à cette tribune.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. En ce qui concerne la négociation, nous avons ensuite essayé de forger le cadre d’une relation future avec le Royaume-Uni : ce fut le dernier épisode – est-ce vraiment le dernier ? – à la fin du mois de décembre 2020, où furent abordés la question de la pêche et d’autres sujets de grande sensibilité.
L’accord trouvé le 24 décembre, qui doit encore être définitivement adopté, est protecteur des intérêts de l’Union européenne et de la France en particulier, conformément au mandat de notre négociateur, qui l’a tenu et que nous avons soutenu.
Cet accord de plus de 1 200 pages est protecteur de nos intérêts fondamentaux. Nous avons mis en place un système complexe qui garantit l’accès de nos bateaux aux eaux britanniques pour plus de cinq ans et six campagnes de pêche, jusqu’au 30 juin 2026. Ce système aboutit certes à une baisse progressive des quotas, et ce n’est pas une bonne nouvelle, mais nous avons su préserver l’essentiel.
Ce système doit également nous conduire à préparer « l’après ». Comme l’a souligné Michel Barnier devant votre assemblée, nous courons le risque, après juin 2026, de voir les Britanniques entrer dans un système de décision unilatérale annuelle d’accès à leurs eaux.
Mais nous avons d’autres leviers pour mener les futures négociations. Notre souhait est évidemment que l’accès aux eaux britanniques soit durablement maintenu, au-delà de ces cinq ans et demi, avec le niveau de quotas défini dans l’accord. Nous avons les moyens de défendre ces intérêts fondamentaux dans le cadre de l’accord.
Autre intérêt fondamental, le level playing field, ou les conditions de concurrence équitable, qui valent pour tous les secteurs économiques, y compris la pêche. Pour la première fois dans un accord à caractère économique et commercial, une capacité de vérification et de rétorsion a été prévue en cas de divergences sur des sujets fondamentaux – normes sociales, fiscales, alimentaires, sanitaires… Toute divergence réglementaire jugée significative peut donner lieu, de part et d’autre, à des mesures de compensation à la main de l’autre partie, sous le contrôle de différents mécanismes d’arbitrage, avec des délais encadrés.
C’est absolument fondamental pour que l’accès au marché unique accordé aux Britanniques ne se traduise pas, comme plusieurs l’ont souligné, par une stratégie de dumping, parfois appelée « Singapour sur Tamise ». Si la tentation existait, nous aurions les moyens de la contrer.
Cet accord présente aussi l’avantage d’avoir maintenu l’unité européenne. N’ayons pas, a posteriori, un romantisme du no deal. Il aurait conduit non seulement à une détérioration de notre relation avec le Royaume-Uni, que nous pouvions assumer, mais aussi à un risque de désagrégation européenne très fort. Sur de nombreux sujets comme la défense ou l’ambition climatique, nous avons durablement besoin de cette solidité européenne, que le Brexit n’a heureusement pas mise à mal.
Il importait enfin de trouver un cadre de coopération avec le Royaume-Uni. Comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné, nous aurons besoin de lui, notamment en matière de sécurité et de défense, dans les années à venir. La géographie est têtue, le Royaume-Uni reste notre voisin ; l’histoire est aussi têtue et le Royaume-Uni reste notre partenaire, notre allié et notre ami.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Le Royaume-Uni reste lié à la France, à l’Union européenne et à l’Europe par des liens humains, affectifs, culturels et par des valeurs communes que nous partagerons encore. Il était important de ne pas se tourner le dos à l’issue de cette période de négociations difficiles.
Nous entrons maintenant dans une période de vérité. Nous devrons nous assurer avec vigilance et exigence du respect et de la bonne mise en œuvre de l’accord. La question de la pêche est un test : nous obtenons, parfois avec difficulté, mais avec détermination, les licences qui correspondent à l’accès aux eaux jusqu’en 2026. Il en manque encore une cinquantaine, principalement pour les pêcheurs des Hauts-de-France, dans la zone des six à douze milles. Nous les avons obtenues pour la zone économique exclusive et pour les îles de Jersey et Guernesey. Nous aurons encore à consolider et à compléter l’octroi de ces licences. Comme vous, je pense que c’est trop long, mais nous les obtiendrons.
Au-delà de ce système provisoire, nous devrons négocier, à la fin du semestre, un accord durable pour les cinq ans et demi qui viennent.
Il est nécessaire d’être vigilant sur l’exécution, mais aussi sur les conditions de concurrence équitable. Il reste encore beaucoup à faire. L’Union européenne à vingt-sept doit encore définir les mécanismes de suivi et de rétorsion.
La France a deux demandes à cet égard : tout d’abord, la mise en place un système de suivi concret et d’alerte par les entreprises, par les opérateurs économiques, lesquels pourraient ainsi signaler toute difficulté, tout écart, toute divergence dans l’application de cet accord et le respect des normes. Vous avez raison, monsieur Bocquet, il n’y a pas d’alignement dynamique au sens strict, mais les divergences peuvent être recensées et sanctionnées. Encore faut-il que nous ayons un retour du terrain, notamment des entreprises. La Commission s’est engagée à mettre en place ce mécanisme de signalement que nous réclamons.
Notre deuxième demande, encore plus fondamentale, est l’instauration d’un mécanisme législatif de l’Union européenne pour nous permettre d’organiser nos procédures de réaction et de rétorsion – par des droits de douane, par exemple – en cas de divergences avec le Royaume-Uni. Nous devrions disposer de ces mécanismes au cours de cette année.
Je tiens à souligner que cet accord économique et commercial, qui intègre pour la première fois ce niveau d’exigence en matière de conditions de concurrence, peut servir de modèle à une réforme de la politique commerciale européenne à l’égard d’autres partenaires. Nous connaissons les débats sur le respect des normes environnementales et sociales, en particulier, que nous avons légitimement avec d’autres partenaires commerciaux plus éloignés géographiquement. La politique commerciale européenne mérite d’être réformée en s’inspirant de cet accord.
Vient enfin la question, vous l’avez souligné à plusieurs reprises, de ce qui ne figure pas dans cet accord. Cela ne veut pas dire que nous ne trouverons pas de solution de coopération, mais que nous devons y travailler.
J’ai évoqué avec peut-être trop de poésie ou de pudeur ces « incomplétudes ». Je m’excuse auprès du sénateur Guérini d’avoir employé ce terme : puisqu’il est essentiellement utilisé en psychologie et en arithmétique, j’y voyais un augure pour nos futures relations avec le Royaume-Uni. Au-delà de ces considérations psychologiques, je suis prêt à assumer les termes de « carences » ou de « manques », s’ils sont plus clairs.
De quel domaine s’agit-il ? Beaucoup d’entre vous, en particulier le président Cambon, ont évoqué la sécurité et la défense. Disons-le clairement : notre relation bilatérale avec le Royaume-Uni est essentielle et ne sera pas mise à mal par le Brexit. Nous devons toutefois attendre, si vous me permettez l’expression, que la poussière retombe : si la négociation a permis de construire une coopération, elle a aussi laissé un certain nombre de traces dans nos relations. Nous avons perdu des habitudes de travail en commun que nous devons retrouver. Je ne pense pas que nous les ayons perdues en matière de sécurité et de défense, notamment en matière opérationnelle, mais nous devons sécuriser cette relation, un peu plus de dix ans après les accords de Lancaster House et préparer un sommet bilatéral pour évoquer cette coopération dans les prochains mois.
Il faudra aussi définir un cadre de coopération, non pas seulement franco-britannique, mais euro-britannique, qui n’existe pas aujourd’hui. Ce sont les Britanniques qui n’ont pas souhaité intégrer cette dimension dans l’accord. Regrettons-le, mais travaillons sur la suite. La France a fait un certain nombre de propositions, dont certaines ont déjà eu une traduction concrète. Je pense notamment à l’initiative européenne d’intervention, cadre de coopération informelle entre armées en matière de planification, d’analyse des menaces. Le Président de la République l’a présentée dans son discours de la Sorbonne. Le Royaume-Uni y est associé. Nous devons sans doute aller plus loin dans ce cadre d’organisation de notre coopération de sécurité, de défense et de politique étrangère.
En mars 2019, le Président de la République avait proposé la création d’un Conseil européen de sécurité. Quel que soit le terme ou le format exact, il s’agit de mettre en place une structure de consultation régulière avec le Royaume-Uni pour répondre aux menaces extérieures ou discuter de sujets de politique étrangère sensibles comme ceux que nous voyons en Birmanie, en Chine, en Russie ou ailleurs. Nous devons coopérer avec le Royaume-Uni sur ces questions, nous coordonner. Ce type de format devra être défini dans les mois qui viennent, probablement à travers un sommet euro-britannique que nous devons encore inventer.
À côté des sujets de sécurité et de défense, les questions d’asile ne figurent pas non plus dans cet accord. Plusieurs options se présentent pour y travailler.
Tout d’abord, notre coopération bilatérale se poursuit. Quelques jours avant la conclusion de l’accord sur la relation future, les ministres de l’intérieur français et britannique ont signé un nouvel accord de coopération avec un renforcement des financements britanniques pour les actions que nous menons sur la côte, en particulier dans les Hauts-de-France. Sans doute ces actions de coopération en matière de renseignement et d’interception sont-elles encore insuffisantes, mais nous devons continuer d’y travailler. C’est ce que fait Gérald Darmanin.
Sur les questions spécifiques d’asile, notamment celle du retour, puisque nous ne sommes plus dans le cadre du règlement de Dublin, nous avons le choix entre la voie d’un accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et celle d’un accord bilatéral. Il me semble que la plus pragmatique serait celle d’un accord bilatéral spécifique pour que les règles de reconduite soient similaires à celles de Dublin.
Parmi les incomplétudes ou les manques, la question de la protection des données et celle des services financiers ont été soulevées par plusieurs intervenants. Ces deux sujets, très différents, relèvent de compétences unilatérales de l’Union européenne. C’est donc aussi un levier de négociation, raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité les inclure dans l’accord. C’est à l’Union européenne d’évaluer, à tout instant, si la législation britannique assure une protection équivalente aux opérateurs européens en matière de régulation financière et de protection des données personnelles.
La Commission européenne est en train de conduire ces deux évaluations. En ce qui concerne la protection des données, il semble que le Royaume-Uni soit suffisamment protecteur et que l’équivalence sera garantie. Le transfert de données pourra ainsi être maintenu dans les deux sens.
Les choses sont moins claires en matière financière. Le Royaume-Uni pourrait suivre une stratégie potentielle de déréglementation. Ce risque existe, raison pour laquelle nous devons conduire, dans les prochains mois, une évaluation sur ce qu’envisage le Royaume-Uni en matière de services financiers. Nous ne donnerons accès à notre marché que produit par produit, segment financier par segment financier, si nous obtenons des garanties sur une réglementation financière aussi protectrice que la nôtre. Tel n’est pas le cas aujourd’hui.
Dans ces deux domaines, les décisions européennes sont révocables, puisque unilatérales. La Commission européenne évaluera « en continu » si les Britanniques restent à un niveau de protection équivalent à celui de l’Union européenne.
Comme vous l’avez souligné, monsieur Allizard, je regrette que rien ne figure dans cet accord sur la coopération étudiante, notamment pour le programme Erasmus. C’est un choix britannique. Cela n’empêchera pas probablement d’autres coopérations en matière académique, scientifique ou étudiante à l’avenir. C’est notre intérêt commun. À court terme, nous devons renforcer notre programme Erasmus, notre programme Horizon Europe en matière de recherche dans l’Union européenne, avec des pays tiers qui cherchent à s’y associer. C’est ainsi que nous faciliterons la mobilité de nos étudiants et le financement de notre recherche.
Vous l’avez souligné par différentes formules, toutes également évocatrices, le Brexit aurait pu sonner le début d’un délitement européen. Ce ne fut pas le cas. Au contraire, l’Union européenne s’est renforcée : toutes les enquêtes d’opinion, toutes les élections qui ont eu lieu depuis, montrent le recul des forces qui défendent la sortie de l’union monétaire ou de l’Union européenne. Mais il ne faut pas nous rendormir. Le Brexit a été un signal d’alarme, un choc, qui a réveillé l’Europe. Nous avons démontré, dans cette négociation, notre capacité à défendre notre unité – peut-être au-delà de ce que nous espérions –, notre capacité à imaginer. Je suis convaincu que le plan de relance européen, qui a été acté voilà neuf mois, n’aurait jamais été possible sans le Brexit. Les Britanniques s’y seraient sans doute opposés, mais surtout, la conscience d’une action européenne forte n’aurait pas été aussi nette.
Nous avons consolidé notre unité et témoigné de notre force. Nous devons maintenant démontrer notre agilité face au Brexit et à ce que d’éminents responsables politiques auraient appelé, en d’autres temps, des « expérimentations hasardeuses ». Nous devons prouver que l’Europe est suffisamment réactive et créative pour que son action collective soit non pas un handicap, mais au contraire un atout et une force. Nous avons tous les moyens pour y parvenir.
Je reprendrai pour terminer la formule utilisée par le nouveau président du Conseil Mario Draghi devant vos homologues du Sénat italien : « Il n’y a pas de souveraineté dans la solitude. » C’est à l’Union européenne de le démontrer, en renforçant, au-delà du Brexit, non seulement sa capacité de coopération avec le Royaume-Uni, parce que nous ne serons forts qu’ensemble, mais surtout ses procédures et ses politiques, pour relever de nouveaux défis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Je demande à chacun d’entre vous de rester concis. En effet, vous le savez, un deuxième débat suivra celui-ci.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le secrétaire d’État, le maintien d’une certaine exigence en matière de normes environnementales, sociales et fiscales impose, en toute logique, une augmentation des contrôles aux frontières.
Bonne nouvelle, les embouteillages craints du côté français semblent avoir été anticipés intelligemment. Entre le recrutement de 700 fonctionnaires, les 40 millions d’euros investis par les opérateurs transmanche et les aménagements des ports, notamment dans mon département, à Dunkerque, la fluidité du trafic semble être assurée. Toutefois, c’est un point de vigilance, le trafic est encore fortement perturbé. Au cours du mois de janvier, Londres a ainsi enregistré une baisse de 68 % des exportations. Quelle sera la situation des ports français à plein régime ?
Mauvaise nouvelle, le passage entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord bloque. La zone prend une nouvelle dimension. Ainsi, Dunkerque vient d’inaugurer une nouvelle ligne réservée aux poids lourds et reliant directement Dunkerque à Rosslare. Mais cela conduit aussi à une augmentation du trafic entre les deux Irlande. Les conséquences s’en font déjà ressentir, puisqu’on note de nombreuses pénuries dans les supermarchés nord-irlandais.
De plus, à compter du 1er avril, chaque transport de produits alimentaires nécessitera un certificat sanitaire. Étant donné l’intensité des relations commerciales entre les deux territoires, on risque de se retrouver avec des blocages. C’est d’autant plus problématique que, à l’intérieur d’un même camion, on peut trouver 300 à 400 produits alimentaires, ce qui nécessiterait autant de certificats sanitaires différents.
Monsieur le secrétaire d’État, l’Union européenne a rejeté le délai demandé par Londres pour normaliser le transit nord-irlandais. Malheureusement, ce sont bien les Nord-Irlandais et les Nord-Irlandaises qui payent le tribut de l’intransigeance de Bruxelles et de Londres. La France compte-t-elle peser de son poids diplomatique pour rapprocher les deux positions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la sénatrice, vous posez plusieurs questions en une seule. J’essaierai d’y apporter les éléments de réponse les plus complets possible.
Concernant le trafic, au début de l’année, quand les nouveaux dispositifs se sont mis en place, certaines difficultés sont inévitablement apparues. Alors même qu’il s’agit traditionnellement des trois semaines durant lesquelles le trafic est le plus faible de l’année, nous avons constaté une forte baisse du trafic dans le tunnel sous la Manche et dans le cadre des différentes liaisons avec le Royaume-Uni.
Depuis la mi-février, nous sommes revenus à un nombre quotidien de poids lourds comparable au niveau d’avant le Brexit, signe que les dispositifs sont mieux connus, mieux compris et que la fluidité est assurée. Si j’additionne le contrôle des passagers par la police aux frontières, les contrôles douaniers, que nous avons préparés, et les contrôles vétérinaires, que nous avons également préparés : nous avons recruté plus de 1 300 personnes supplémentaires sur l’ensemble de la façade pour fluidifier au maximum la situation, sans compter les investissements informatiques.
Pour ce qui concerne les flux du Royaume-Uni vers la France, les choses se passent bien. Nous rencontrons des difficultés dans l’autre sens, parce que les procédures ont été moins organisées, ce qui gêne les exportations de la France vers le Royaume-Uni. Par ailleurs, la situation pourra se compliquer après le 1er avril, puis après le 1er juillet, puisque les contrôles britanniques seront alors pleinement mis en place. Nous discutons avec les autorités britanniques pour que ces formalités soient préparées le mieux possible.
Vous avez raison de le rappeler, le développement de nouveaux itinéraires ou de nouvelles lignes constituent autant d’opportunités. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour compléter ma réponse à Mme la sénatrice Morin-Desailly sur la situation de Brittany Ferries. La ligne Rosslare-Dunkerque est un bon exemple d’une opportunité économique nouvelle qui se développe entre l’Irlande et la France. Cela ne compensera pas toutes les difficultés que connaissent, au-delà de la question du Brexit et de la crise sanitaire, nos compagnies. Vous le savez, nous avons aidé notamment Brittany Ferries. Le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) est saisi du dossier pour étudier toutes les options de soutien, parce que ce sujet relève de la souveraineté nationale.
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. S’agissant de l’Irlande du Nord, il ne faut pas inverser les choses. Si le protocole crée des frictions dans le commerce, il constitue notre meilleure protection. Des flexibilités seront introduites pour étendre les périodes dites « de grâce » que nous avions mises en place avec le Royaume-Uni à la fin de l’année dernière. Mais il faut au préalable respecter parfaitement le protocole : c’est l’obligation instaurée par les Britanniques.
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Décréter unilatéralement l’extension d’une période de grâce n’est pas acceptable. Revenons à la discussion avec le Royaume-Uni.
Mme la présidente. Pour les questions suivantes, pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, respecter les temps de parole ? Ces questions sont en effet très nombreuses !
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le secrétaire d’État, après la prochaine année scolaire, les jeunes Européens ne pourront plus étudier au Royaume-Uni grâce à Erasmus. Les étudiants britanniques ne pourront donc plus obtenir de bourses de l’Union européenne pour étudier sur le continent, et les étudiants européens ne pourront plus accéder aux établissements britanniques grâce à un financement de l’Union européenne.
Les Britanniques ont en effet considéré qu’ils perdaient trop d’argent avec ce programme, car ils accueillaient plus d’étudiants européens qu’ils n’envoyaient de jeunes Britanniques sur le continent.
Pourtant, en rapportant ces dépenses à la participation du Royaume-Uni pour financer Erasmus, le pays engrangeait un bénéfice net, les étudiants étrangers consommant sur place et contribuant à la vie économique du pays.
Boris Johnson a d’ailleurs annoncé la mise en place d’un programme propre au Royaume-Uni, intitulé Alan Turing, pour permettre aux étudiants britanniques d’accéder aux universités européennes, mais aussi aux meilleures universités du monde.
À l’inverse, les étudiants européens devront s’acquitter de frais de scolarité aussi élevés que les autres étudiants étrangers – plus de 10 000 euros l’année – pour venir étudier au Royaume-Uni.
Depuis trente-trois ans, ce pays s’était imposé comme l’un des principaux pays d’accueil des étudiants européens au sein d’Erasmus. C’est donc une décision qui aura des conséquences non négligeables sur les mobilités des étudiants européens, plus particulièrement s’ils sont issus de milieux défavorisés.
Par conséquent, pouvez-vous m’indiquer, monsieur le secrétaire d’État, comment le gouvernement français et ses partenaires européens envisagent de pallier cette défection du Royaume-Uni, afin que nos étudiants ne soient pas les sacrifiés du Brexit ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Je l’ai dit, et je n’y reviendrai donc pas, je regrette ce choix. Selon moi, il pénalise le Royaume-Uni plus encore que l’Union européenne, parce qu’il était le pays qui accueillait le plus d’étudiants et qui était le plus attractif au sein du programme Erasmus.
Les étudiants français et européens aujourd’hui engagés dans un cursus britannique – obtention d’un bachelor ou d’un master – pourront le poursuivre en s’acquittant des droits de scolarité qu’ils payaient jusqu’alors. Ils ne seront pas concernés par les nouveaux frais d’inscription.
Pour ce qui concerne Erasmus et la mobilité étudiante en général, nous doublons, pour le court terme, au sein de l’Union européenne, les moyens sur la nouvelle période budgétaire qui commence en 2021. Par conséquent, dans les prochains mois, un plus grand nombre de bourses Erasmus seront disponibles pour poursuivre ses études non plus au Royaume-Uni, ce que je regrette, mais dans d’autres pays, y compris des pays anglophones. Je pense à l’Irlande ou à d’autres pays hors Union européenne, car ce programme dépasse les frontières de l’Union.
Au total, Erasmus bénéficiera de financements plus importants. Je souhaite que nous puissions reprendre, à un moment donné, une discussion avec le Royaume-Uni, en vue de sa réintégration en tant que pays tiers ou d’une autre solution. Nous devrons retrouver les moyens d’une coopération étudiante académique et scientifique absolument indispensable.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le secrétaire d’État, l’accord prévoit un système de coopération ouvert fondé sur un dialogue régulier, afin d’échanger des informations sur les évolutions des politiques liées au cyberespace, notamment sur la gouvernance de l’internet, la cybersécurité et la cyberdéfense.
Des mécanismes de coopération avec les pays tiers sont prévus, mais ce type de procédure est contraignant et entraîne souvent des délais supplémentaires.
Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que cette coopération a minima, fondée sur le volontariat, permettra de répondre au mieux aux enjeux stratégiques de cybersécurité ? Quel dispositif est prévu pour le signalement des incidents de sécurité, alors que la directive NIS – Network and Information Security –, qui établit un niveau commun de protection des données, ne prévoit pas de coopération renforcée avec les pays tiers ?
Le Royaume-Uni risque-t-il d’être confronté à des difficultés en matière d’enquête sur des actes de cybercriminalité ? Quid de la participation britannique aux exercices de cybersécurité en Europe ? Ne craignez-vous pas une coopération moins performante en matière de lutte contre la cybercriminalité ? Enfin, le Brexit ne risque-t-il pas de fragiliser la coopération en matière de cyberdéfense ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, c’est l’un des sujets sur lesquels l’accord est incomplet ou ambigu. En effet, il prévoit fort heureusement des éléments de dialogue, vous l’avez rappelé, en matière de cybersécurité. Cela fait partie des sujets de sécurité ou de défense intégrés dans l’accord. Toutefois, il s’agit d’une coopération assez limitée. Ainsi, le Royaume-Uni pourra être convié au groupe de coopération fondé sur la directive NIS, dont vous venez d’évoquer l’importance.
À ce stade, il ne s’agit pas d’associer le Royaume-Uni à nos exercices futurs de cybersécurité ni de notifier des incidents de cybersécurité, comme le prévoit la directive NIS. Est-ce la fin de la discussion en matière de cybersécurité avec le Royaume-Uni ? Je ne le souhaite pas ! Cela fera partie des sujets que nous aurons à construire, en matière de sécurité, bilatéralement, mais surtout dans le cadre de la relation euro-britannique, dans les mois qui viennent.
L’accord constitue donc un socle, en permettant un dialogue organisé en matière de cybersécurité, ainsi que quelques éléments de coopération au titre de la directive NIS et un renforcement de nos outils de coopération en matière de cybersécurité, qui sont surtout dans l’intérêt du Royaume-Uni, mais aussi dans le nôtre.
Ce sujet fera partie des « incomplétudes » à combler au cours de la suite de notre discussion.