Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la sortie du Royaume-Uni n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe, mais c’est la réponse des Britanniques à un pari politique hasardeux lancé par le gouvernement Cameron. Il nous faut désormais faire avec, en respectant leur volonté, mais en conservant à l’esprit la nécessité d’une coopération dans de nombreux domaines avec nos voisins d’outre-Manche. Je rappelle la position unique du Royaume-Uni par sa proximité géographique et ses volumes d’échanges avec l’Union européenne.
Certes, nous avons vécu les derniers mois de 2020 au rythme des aléas, des doutes et des postures dans les négociations en vue d’obtenir un accord. Le no deal, c’est-à-dire le scénario du pire, a été évité de justesse, mais rien ne sera plus comme avant. De profonds changements sont en cours, qui affectent les citoyens, les entreprises, les administrations publiques et de nombreux acteurs, aussi bien dans l’Union européenne qu’au Royaume-Uni. Ce ne sera plus business as usual, comme le souligne le négociateur Michel Barnier.
De chaque côté du Channel, chacun se rassure et personne ne veut perdre la face, même si, pour le Royaume-Uni, les compromis au cours des négociations n’ont jamais conduit à déroger à l’objectif de restauration de la souveraineté nationale, objectif central de la sortie de l’Union européenne.
Pourtant, je le crois, le Brexit est une situation perdant-perdant. Il affaiblit l’Europe à l’heure où les États-Unis sont fragilisés et où d’autres puissances décomplexées émergent et s’entendent. Je pense notamment aux rapprochements russo-chinois ou russo-turc.
Dans ce contexte, il nous faut poursuivre de manière organisée, comme le prévoit le présent accord, sur de nombreux sujets.
Toutefois, des craintes demeurent, notamment liées à l’altération de la confiance au cours des négociations et aux aléas des premières heures d’application. Nous avons pu, avec quelques collègues du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique, constater les difficultés et les lourdeurs lors d’une visite à Calais et à Boulogne-sur-Mer.
Jusqu’au dernier moment, la question du droit de pêcher dans les eaux du Royaume-Uni a été un obstacle à la conclusion de l’accord. En Normandie, comme Catherine Morin-Desailly l’a justement souligné, mais c’est vrai dans d’autres départements et régions, comme dans celle du président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin, la pêche est une activité importante. Si les nouvelles règles âprement négociées ont d’abord été ressenties comme un soulagement, elles suscitent des inquiétudes de la part des pêcheurs français et de toute la filière, déjà affectée par la crise du covid.
Malgré une réduction de 25 % des prises et les couacs de début d’année, l’accès aux eaux britanniques est maintenu. Qu’adviendra-t-il dans quelques années, lorsque l’accord devra être renégocié ? Les pêcheurs britanniques, qui se sont sentis floués, ne désarment pas sur les questions de souveraineté et se plaignent des prises perdues ou gâchées en raison des nouvelles contraintes administratives. Comme l’a signalé Jean-François Rapin, la question des licences persiste.
Cette question de l’horizon est cruciale pour la profession, car le coût considérable d’acquisition d’un bateau de pêche implique une longue durée d’amortissement. Dès lors, quel jeune voudra se former et s’engager dans le métier ? Quel banquier voudra lui accorder des crédits importants ? La reconversion, même subventionnée, n’est pas souhaitable. En effet, on sait que la souveraineté alimentaire est l’un des défis du siècle, ce qui fait basculer le sujet de l’économie locale à la préoccupation stratégique.
Quel sera l’avenir des ports français dans ce contexte post-Brexit et dans celui d’une économie maritime globale qui continuera d’exploser ? La volonté affichée de faire de la France le « hub de l’Europe » nécessitera beaucoup d’efforts. Les ports d’Anvers et de Rotterdam, déjà leaders, sortiront-ils renforcés à notre détriment ? Les ports sont des actifs stratégiques. Les Chinois, avant nous, l’ont bien compris, eux qui investissent partout dans le monde et prennent progressivement le contrôle des opérateurs portuaires et du transport de conteneurs.
Je note avec intérêt la coopération étroite prévue par l’accord entre les autorités policières et judiciaires nationales et l’échange rapide de données essentielles. Cela permettra, en outre, une coopération efficace entre le Royaume-Uni, Europol et Eurojust. La criminalité internationale, le terrorisme et la cybercriminalité sont, hélas, des secteurs en croissance, qui menacent nos sociétés. Face à ces dangers, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme doivent rester des priorités.
Enfin, si les questions de défense ne figurent pas dans le présent accord, elles représentent un autre volet de la nécessaire coopération avec les Britanniques, comme le président de la commission des affaires étrangères l’a à juste titre parfaitement rappelé. Nous devons poursuivre dans l’esprit des accords de Lancaster House, qui ont fêté leurs dix ans récemment. Les enjeux opérationnels et industriels sont importants.
En conclusion, nous avons de nombreux points de convergence et des intérêts communs avec les Britanniques. Le bon sens nous commande de poursuivre dans cette voie coopérative, mais les relations privilégiées avec les États-Unis et le Commonwealth assurent déjà à ces derniers une grande ouverture sur le monde.
De plus, le Royaume-Uni entend bien revenir « au-delà de Suez » par sa demande d’adhésion à l’Accord de partenariat transpacifique, pour se rapprocher des économies asiatiques en forte croissance, et son récent accord de libre-échange avec le Japon. Son intérêt stratégique pour l’Indopacifique se confirme, de même que sa présence militaire, grâce à des capacités augmentées de projection de puissance.
Dès lors, compte tenu de la marche du monde, y aura-t-il une véritable volonté de la part des Britanniques d’investir durablement dans la relation avec l’Union européenne ou d’opérer, comme les Américains ou les Russes avant eux, leur « pivot asiatique » ? That is the question ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 24 décembre dernier, l’Union européenne et le Royaume-Uni sont parvenus à un accord de commerce et de coopération. Le groupe Union Centriste s’en réjouit. Cet accord vient compléter l’accord de retrait entré en vigueur le 31 janvier 2020.
Nous saluons les efforts du Gouvernement pour protéger nos intérêts et, monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de la fermeté dont vous avez fait preuve sur le sujet à chacune de vos interventions.
Je souhaite également souligner la qualité de l’action de Michel Barnier. Son sens du collectif a permis aux Vingt-Sept de rester soudés de bout en bout de la négociation. Face aux tergiversations des Britanniques, qui ont toujours peiné à fixer l’objectif à atteindre, Michel Barnier a souvent répété : « L’horloge tourne ! » En effet, ce sont les Britanniques qui nous ont imposé le 31 décembre 2020 comme date butoir pour la négociation d’un accord.
Boris Johnson a annoncé la conclusion d’un traité à la veille de Noël et n’a laissé que trois jours ouvrables avant la date de son entrée en vigueur.
Les entrepreneurs ne remercient pas le Premier ministre britannique. « Johnson, we have a problem ! Personne ne sait comment faire et nous découvrons des problèmes partout ! », m’a confié hier un expert-comptable britannique qui s’occupe de dizaines de PME.
À titre d’exemple, nous avons vu apparaître, côté britannique, des frais de douane applicables aux envois dont la valeur dépasse 130 livres sterling.
De nombreuses entreprises n’ont pas anticipé de se retrouver devant une telle lourdeur des démarches relatives à la TVA. Ainsi, certaines ont payé la TVA à deux reprises. Elles m’ont dit avoir cessé de commander en ligne pour se fournir depuis l’Union européenne, car elles ne maîtrisent plus leurs coûts d’approvisionnement.
Comment le Gouvernement prévoit-il de mesurer l’impact de l’accord sur les PME françaises ? Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous prévu des mesures d’accompagnement spécifiques afin de leur éviter une perte de compétitivité outre-Manche ?
Autre difficulté, nos entreprises établies en Grande-Bretagne ne peuvent plus accueillir de jeunes étudiants stagiaires venant de France. Il en va de même pour les familles qui veulent employer nos jeunes au pair. Un dispositif dans le système d’immigration britannique permet un accord réciproque sur la mobilité des jeunes qui pourrait constituer une opportunité pour nos compatriotes et s’appliquer aux volontaires internationaux en entreprise (VIE). Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous entrepris une démarche bilatérale en ce sens, comme l’ont fait d’autres pays européens ?
Les services financiers ne font pas partie de l’accord alors que l’industrie des services financiers pèse très lourd : elle représente 7 % du PIB britannique. Les entreprises britanniques du secteur ont délocalisé au moins 7 500 emplois du Royaume-Uni vers Paris, Francfort, Dublin ou Amsterdam.
Comment les places financières européennes comptent-elles pérenniser les avantages acquis grâce à la migration des activités d’investment bank de certaines grandes banques internationales ? Comment peuvent-elles fidéliser ces hauts cadres dirigeants fortement touchés par la fiscalité européenne ?
Dans ce secteur dématérialisé qu’est la finance, le Brexit fait d’autant plus peur qu’il semble une opportunité de s’affranchir des règles européennes. Comment éviter que la rupture de cadre et d’équivalence entre Londres et l’Europe ne donne lieu à une concurrence déloyale ?
Les grands groupes financiers ont mis leurs œufs dans différents paniers et implanté leurs activités dans différents pays européens, notamment par crainte de voir un autre pays sortir à son tour de l’Union européenne. Comment leur donner confiance en la solidité et la pérennité de l’Union européenne ?
Nous ne sommes pas au bout du chemin. L’accord de commerce et de coopération laisse de nombreux points sectoriels à négocier.
Certains observent que les relations commerciales après le Brexit sont comme un oignon : chaque fois que vous enlevez une couche, vous en découvrez une autre, qui vous fait pleurer un peu plus. (Sourires.)
La combinaison Brexit-covid rend la situation très difficile à supporter pour ceux qui vivent à cheval entre les deux pays. À quelle date le Royaume-Uni et la France prévoient-ils de supprimer la raison impérieuse pour pouvoir passer d’un pays à l’autre ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Richard Yung applaudit également.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon court propos sera consacré aux conséquences du Brexit sur la défense européenne, sur la problématique irlandaise ainsi que sur les règles relatives au regroupement familial des demandeurs d’asile.
Monsieur le secrétaire d’État, après le Brexit, doit-on dire que la défense européenne est affaiblie ou qu’elle est libérée par exemple pour établir d’autres coopérations ?
Aujourd’hui, les dispositifs existent et la question de l’ambition de l’Europe ne tient pas tant à l’argent qu’elle attribuera au Fonds qu’à la vision de ce que doit être son autonomie stratégique, à l’heure où la puissance américaine a fait d’elle un théâtre périphérique.
Le contexte récent a permis de clarifier plusieurs points, et non des moindres.
Les années Trump auront eu le mérite d’obliger l’Union européenne à mesurer l’impérieuse nécessité d’exister sur les terrains pourtant privilégiés de la souveraineté nationale : la défense et la politique étrangère.
La crise sanitaire a tristement ouvert les yeux des Vingt-Sept quant à la nécessité d’une plus grande indépendance dans des domaines clés, comme la santé ou encore les technologies de l’avenir.
Quant au Brexit, il a privé les Vingt-Sept du paravent britannique bien utile pour cacher leurs divisions et leurs degrés d’ambition variables sur les questions de défense.
Un Conseil européen a eu lieu voilà quelques jours, offrant l’occasion d’aborder de nouveau ces questions. Qu’en a-t-il été, monsieur le secrétaire d’État ? Par-delà et au sein du restrictif bouclier otanien, les Vingt-Sept ont-ils décidé de montrer que, avec la France comme seul acteur majeur depuis le Brexit, la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne pouvait être relancée, voire renouvelée ?
J’en viens à l’Irlande. L’épisode avorté d’un retour des contrôles à la frontière irlandaise pour surveiller les exportations de vaccins en dehors de l’Union européenne a agi comme un révélateur. Michel Barnier l’a déclaré et nous sommes nombreux à partager ce constat : « L’activation de la clause article 16 était une erreur. »
N’était-ce qu’une erreur de méthode ? Le problème est bien plus profond. L’accord de retrait négocié en 2019 et dans lequel a été organisée la question de la frontière irlandaise préconisait une relation future plus étroite que ce que prévoit l’accord commercial signé au mois de décembre 2020.
Monsieur le secrétaire d’État, s’il nous faut trouver des solutions pour limiter les impacts du Brexit sur le processus de paix en Irlande, il nous faut surtout maintenir un front commun européen, une union qui nous permettra de faire face à la longue série d’épisodes à venir. Ne nous y trompons pas : il y en aura !
J’en viens au regroupement familial des demandeurs d’asile. Depuis le 1er janvier 2021, les seules options qui s’offrent aux demandeurs d’asile pour rejoindre le Royaume-Uni depuis la France, quels que soient leur âge, leur vulnérabilité ou leurs attaches outre-Manche, sont des voies irrégulières et dangereuses, tout particulièrement pour les enfants.
En effet, les dispositions du règlement communautaire dit Dublin III ont cessé de s’appliquer. Il s’agissait pourtant d’un dispositif légal et reconnu pour combattre les passeurs et les filières de criminalité organisée.
Deux mois après le Brexit et la publication de la déclaration conjointe sur l’asile, nous ne disposons d’aucune précision quant à l’agenda ou au cadre dans lequel des discussions seront engagées. Il semble qu’aucun consensus n’ait été trouvé en France, même au sein du Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent que les autorités françaises clarifient leur position sur cette question et agissent au plus vite pour mettre en place un nouveau mécanisme garantissant le droit à la réunification familiale. À défaut, nous ne pouvons que redouter encore davantage de tragédies sur le littoral français. Le grand Calaisis en sait quelque chose…
Mes chers collègues, depuis 2018, les traversées sur des embarcations de fortune ont été multipliées par dix. Vous l’aurez compris, la mobilisation des autorités est vitale et essentielle, associée à la plus grande vigilance sur l’efficacité de l’accord en question. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni est le résultat d’un processus long et pénible de plus de quatre ans.
Il convient de féliciter Michel Barnier de l’excellent travail réalisé, d’abord pour ce qui concerne l’accord de sortie, et ensuite pour ce qui concerne l’accord de commerce et de coopération.
Cependant, on peut difficilement parler de « succès » : comme Michel Barnier l’a souvent souligné, il s’agit d’un scénario « perdant-perdant » dans lequel tant l’Union européenne à vingt-sept que le Royaume-Uni se retrouvent dans une situation dégradée par rapport au statu quo ante.
Sur le plan commercial, un accord de libre-échange n’est pas une union douanière et la circulation des marchandises, même en exonération de droits de douane, est beaucoup moins fluide, notamment en raison des règles d’origine, des formalités douanières et du contrôle du respect des normes sanitaires et phytosanitaires. Les opérateurs commerciaux des deux côtés s’en sont déjà rendu compte et les choses ne sont malheureusement pas appelées à s’améliorer.
Sur le plan politique, les deux parties ressortent affaiblies de l’exercice : le Royaume-Uni perd toute une série d’avantages liés à sa participation aux politiques et programmes de l’Union, ainsi qu’à tout le réseau des accords internationaux conclus par l’Union au fil des années ; et l’Union européenne, quant à elle, « pèse moins lourd » à vingt-sept qu’à vingt-huit et se retrouve flanquée d’un nouveau concurrent et d’un partenaire difficile à ses portes.
La négociation de l’accord bilatéral de commerce et de coopération a donc essentiellement consisté en un exercice de limitation des dégâts. Il n’a pas été facile et, à plusieurs reprises, les deux parties se sont fait peur en voyant approcher la terrifiante possibilité d’une « chute de la falaise » – cliff edge –, c’est-à-dire d’un no deal.
L’accord obtenu est un accord d’association assez classique, lequel, à certains égards, va même moins loin, en termes de coopération, que certains accords avec d’autres partenaires de l’Union. Il est néanmoins sans précédent sur le plan commercial par le fait qu’il permet des échanges de marchandises sans aucun droit de douane ni quota, sans la moindre exception ou période transitoire, pour l’agriculture et la pêche, par exemple.
Je me réjouis que l’Union européenne ait imposé un cadre juridique et institutionnel unique pour la gestion de tous les volets de la relation bilatérale. Le précédent suisse, notamment, a démontré combien l’option d’une série d’accords bilatéraux plus ou moins bien reliés les uns aux autres est problématique, à la fois sur le plan technique et sur le plan politique. Le « saucissonnage » aurait été dramatique pour l’Union européenne.
La question délicate de la circulation des personnes était déjà réglée par l’accord de retrait en ce qui concerne les droits acquis des citoyens britanniques dans l’Union européenne et ceux des citoyens européens au Royaume-Uni. Dans le futur, l’accès des citoyens européens au territoire et au marché du travail britanniques sera plus difficile que par le passé – c’était sans doute l’un des principaux objectifs du Brexit –, mais des garanties minimales réciproques ont été obtenues en matière de visas et de protection sociale.
La participation du Royaume-Uni à certains programmes européens reste possible si les deux parties le souhaitent et à des conditions appropriées pour un pays tiers, notamment en termes de participation financière. La sortie du Royaume-Uni du programme Erasmus+, pour des raisons essentiellement politiques, est cependant une énorme déception pour tous les jeunes potentiellement concernés de part et d’autre.
Une autre grande déception concerne les garanties d’une concurrence loyale, ce qu’il est convenu d’appeler le level playing field, qui ne sont pas à la hauteur de ce que nous aurions pu espérer. La négociation a mis en évidence l’intention du Royaume-Uni de concurrencer l’Union en activant tous les leviers à sa disposition et en tirant pleinement parti de sa souveraineté recouvrée en matière réglementaire. L’Union devra donc rester vigilante et ne pas hésiter à protéger ses intérêts.
Le dossier de la pêche, comme vous le savez, me tient particulièrement à cœur, comme à certains autres collègues. Il aura été, jusqu’au bout, l’un des plus difficiles à négocier en raison non seulement de l’importance des intérêts économiques en jeu, mais aussi de sa charge symbolique et politique particulièrement élevée.
L’équation à résoudre était très complexe. Le compromis trouvé est forcément source de frustration pour nos pêcheurs puisque, comme dans d’autres domaines, il représente une dégradation sensible par rapport au statu quo ante. On peut néanmoins considérer que le résultat aurait pu être bien pire, puisque le transfert de quotas au profit du Royaume-Uni ne concernera finalement que 25 % des possibilités actuelles sur cinq ans au lieu des 80 % réclamés initialement par Boris Johnson.
Il faudra surtout bien veiller à préserver nos possibilités d’accès aux eaux britanniques, qui ne seront plus garanties au-delà du 30 juin 2026, en n’hésitant pas alors à refermer le marché de l’Union aux produits britanniques si nous ne sommes pas satisfaits de l’accueil réservé à nos pêcheurs.
Je conclurai, comme plusieurs de nos collègues, en disant mon inquiétude pour la viabilité du protocole sur l’Irlande. Ce protocole n’est pas le résultat de la négociation qui vient de s’achever : il a été conçu dans le cadre de la négociation précédente sur l’accord de retrait. Le problème de sa mise en œuvre effective ne se pose cependant que depuis le 1er janvier dernier, alors que le Royaume-Uni est désormais sorti de l’union douanière et du marché unique.
Pour éviter le rétablissement d’une frontière visible entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, le protocole a mis en place des dispositions extrêmement complexes qui, pour l’essentiel, maintiennent le territoire d’Irlande du Nord dans l’union douanière et le marché unique, imposent des contrôles stricts sur les échanges entre ce territoire et le reste du monde, y compris la Grande-Bretagne, et s’en remettent aux autorités douanières britanniques présentes en Irlande du Nord pour les exercer.
Ce système n’est pas dénué de failles intrinsèques. L’une d’entre elles s’est déjà révélée de manière spectaculaire au sujet des contrôles que l’Union européenne a récemment voulu instaurer sur les exportations de vaccins. Pire encore, son efficacité dépend entièrement de la bonne coopération d’autorités britanniques, qui ont fait preuve jusqu’ici d’une extrême mauvaise volonté.
Je crains donc que l’intégrité de l’union douanière et du marché unique, qui était l’un des grands objectifs des négociations, ne soit pas assurée à travers cette véritable « usine à gaz » du protocole sur l’Irlande. Je prévois malheureusement de sérieux dysfonctionnements dans les mois qui viennent avec le risque de répercussions importantes sur la situation politique en Irlande – notamment sur l’accord du Vendredi saint, très important en Irlande – et sur la relation bilatérale entre l’Union européenne et le Royaume-Uni dans son ensemble.
N’oublions jamais que nous avons affaire à la perfide Albion ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président Christian Cambon, monsieur le président Jean-François Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’avoir l’occasion de répondre à vos nombreuses questions sur cet accord complexe. Vous avez rappelé la difficulté et la longueur de la négociation, témoignages de cette complexité. Je vais m’efforcer de vous répondre le plus précisément possible.
Je veux souligner à mon tour combien nous devons à Michel Barnier, le négociateur des vingt-sept États membres, qui a su préserver notre unité européenne et sauvegarder l’essentiel de nos intérêts fondamentaux. Il a incarné cette fermeté, cette unité européenne tout au long de la négociation.
C’est un long feuilleton qui s’est déroulé depuis le mois de juin 2016 et le référendum britannique, qui a sonné en Europe comme un choc. Voilà un peu plus de quatre ans, au moment d’entamer cette négociation, nous avons dû définir quels étaient les intérêts communs, les intérêts fondamentaux de l’Union européenne à vingt-sept. Ce signal d’unité a été donné à un moment où les Cassandre annonçaient, sans doute légitimement, que l’heure d’un délitement de l’Union européenne était venue avec cette grande première d’un pays qui ne frappait pas à la porte de notre club pour le rejoindre, mais pour le quitter, après un référendum, expression de la souveraineté populaire, remporté avec une majorité sans appel.
Nous avions alors été extrêmement clairs sur la nécessité de préserver le marché intérieur, le marché unique et son fonctionnement et de défendre – c’est notre intérêt, au-delà de celui de notre partenaire irlandais – la paix et la stabilité en Europe. Les accords du Vendredi saint sont fondés dans un enracinement européen : c’est grâce au marché intérieur et aux règles européennes que cette dissociation entre deux entités politiques et une entité économique avait été rendue possible, voilà un peu plus de vingt ans. N’oublions pas le rôle qu’avait joué notre cadre européen dans cet accord de paix.
La négociation s’est conclue en deux étapes : une première, qui a eu lieu à la fin de 2019, avec un accord de retrait dont nous ne devons pas, aujourd’hui encore, minimiser l’importance. Il a permis de régler durablement trois sujets.
Il s’agit tout d’abord des intérêts financiers de l’Union européenne. Le Royaume-Uni ayant été membre pendant plus de quarante ans de notre club, il lui incombe encore un certain nombre d’obligations financières qui s’étalent dans le temps et sur lesquelles nous serons évidemment vigilants.
Il s’agit ensuite des droits de nos citoyens. Comme l’ont notamment rappelé M. le président Rapin et M. Cadic, plus de 3 millions et demi d’Européens, dont plus de 300 000 Français, résident au Royaume-Uni. Nous avons garanti leurs droits : tous ceux établis depuis plus de cinq ans ne doivent pas voir leur situation ni leurs droits remis en question par ce choix britannique, même si des complexités demeurent. Cet accord de retrait les sécurise.
Il s’agit enfin de la question de l’Irlande, à travers un protocole, certes complexe, mais absolument nécessaire. Je veux être précis sur les développements récents, puisque nous allons vivre durablement avec ce protocole et ces complexités.
Les frictions que nous constatons parfois dans le commerce entre la Grande-Bretagne et l’île d’Irlande, et particulièrement l’Irlande du Nord, ne sont pas le résultat de ce protocole, qui protège, mais d’un choix britannique dont nous devons tirer des conséquences, en essayant de les minimiser pour l’Irlande et pour l’Union européenne, mais dont nous ne pouvons faire fi, comme si le Royaume-Uni était resté dans le marché unique, dans l’union douanière et dans l’Union européenne. Nous ne devons pas nous tromper quant aux responsabilités à cet égard.
Nous ne devons pas être dupes de l’activation de l’article 16 de l’accord sur le Brexit, brandie par les Britanniques quand, par maladresse, la Commission européenne a encadré les exportations de vaccins – ce qui était nécessaire, mais n’aurait pas dû être fait avec ce codicille supplémentaire. Il n’est dans l’intention de personne au sein de l’Union européenne, ni de la Commission ni d’aucun État membre, de remettre en cause ce protocole. Nous devons être clairs : aujourd’hui, c’est aux Britanniques de l’appliquer intégralement ; et c’est l’application intégrale de l’accord qui peut permettre une discussion pragmatique sur d’éventuelles flexibilités, notamment pour les périodes de grâce. Nous ne devons pas inverser l’ordre des paramètres.
À l’instant où nous parlons, nous apprenons que le Royaume-Uni a déclaré vouloir unilatéralement prolonger les périodes de grâce, pour reprendre votre expression, monsieur le sénateur Yung, c’est-à-dire les périodes de flexibilité.