Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, toutes les questions que vous soulevez sont essentielles, qu’il s’agisse du calendrier, de la méthode ou du principe du remboursement.
Sur ce dernier point, encore une fois – nous avons été clairs avec Olivier Dussopt –, nous estimons qu’il faut rembourser la dette. J’observe d’ailleurs que certains partis autrefois hostiles à cette idée s’y rallient aujourd’hui. La question est donc de savoir, non pas si nous allons rembourser la dette, mais quand et comment nous allons le faire.
Pour notre part, nous avons une stratégie claire, celle que je viens d’exposer, sur le « comment » ; ce n’est pas forcément le cas de tout le monde.
Et, sur le « quand », je redis que le rétablissement des finances publiques ne pourra être engagé que lorsque la crise sera derrière nous. Rien ne serait plus dommageable à la protection de notre économie que d’appuyer à la fois sur le frein et sur l’accélérateur. Il faut attendre que la croissance soit de retour pour engager le rétablissement des finances publiques. Nous avons constaté lors de la précédente crise qu’un rétablissement trop précoce des finances publiques avait des répercussions très négatives sur la croissance, donc sur le retour de l’activité économique.
Le cantonnement est une modalité. Je rappelle que vous avez déjà voté le cantonnement d’une partie de la dette, en l’occurrence celui de la dette de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à la Cades, avec une ressource spécifique.
Nous estimons aujourd’hui la dette covid à 215 milliards d’euros, dont 75 milliards d’euros pour la sécurité sociale et 140 milliards d’euros pour l’État. Je suis favorable à un cantonnement de la dette. Il y en a déjà eu un pour la dette sociale, et je crois qu’il en faut un aussi pour la dette de l’État, tout simplement dans un souci de transparence à l’égard des Français. Il s’agit de marquer la singularité de la part de la dette liée à la crise et de garantir que celle-ci sera effectivement remboursée, en réfléchissant, comme vous le proposez, à des ressources spécifiques. Certes, il est trop tôt pour les déterminer aujourd’hui ; cela doit faire l’objet d’un débat entre nous.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. L’ampleur de la crise sanitaire et la contraction de l’activité économique ont nécessité une action budgétaire résolue de la part du Gouvernement, en l’occurrence le fameux « quoi qu’il en coûte » du Président de la République ; vous y avez fait référence, monsieur le ministre.
Les conséquences de la crise de la covid-19 sur nos finances publiques sont inquiétantes : la dette publique pourrait atteindre plus de 120 % du PIB à la fin de l’année.
La Commission européenne a réagi avec célérité au mois de mars 2020 en suspendant ce qui a longtemps été considéré comme une « sacro-sainte » règle : le niveau maximal d’endettement à 60 % du PIB. Pourtant, ce seuil a été largement franchi sans que les marchés financiers s’affolent, grâce à l’action expansionniste de la Banque centrale européenne (BCE).
Les chiffres nous auraient horrifiés avant la crise. Mais, partout au sein de la zone euro, cette « ligne rouge » a été franchie, afin de profiter au maximum des marges de manœuvre budgétaires et de relancer l’activité économique.
Une telle dégradation de la situation de nos finances publiques doit être temporaire. Vous l’avez dit, le retour à la croissance devra nous permettre de rembourser la dette.
J’entends de nombreuses propositions de modalités de remboursement dans le débat public qui méritent que le Parlement s’y attarde. Je pense en particulier au cantonnement de la dette covid, suggestion formulée par le Haut-Commissaire au plan.
Mais ne devons-nous pas profiter de cette situation exceptionnelle pour réviser les règles européennes d’encadrement des finances publiques, qui ont révélé durant la crise leur obsolescence dans la mesure où elles empêchent d’investir pour notre avenir ? Quelle est la position du Gouvernement ?
Il y a deux dettes : la dette publique et la dette privée. Cette dernière vous inquiète-t-elle, monsieur le ministre ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage très largement les remarques que vous avez formulées.
Vous l’avez indiqué à juste titre, si nous avons connu, et si nous connaissons aujourd’hui une telle capacité à faire face à la crise en mobilisant des crédits dans des proportions jamais atteintes auparavant, c’est parce que nous pouvons emprunter sur les marchés dans des conditions extrêmement favorables à la France. Par l’ensemble des actions que nous mettons en œuvre avec Bruno Le Maire, nous veillons à préserver notre crédibilité sur les marchés pour garantir la qualité de la signature française.
Vous avez également rappelé, là encore à juste titre, que si nous sommes dans cette position plutôt favorable pour faire face à la crise, c’est en grande partie grâce à la politique menée par la BCE en matière monétaire, y compris les rachats, mais aussi grâce à l’action de la Commission européenne et du Parlement européen, sur l’initiative du Président de la République et de la Chancelière allemande.
Le plan de relance qui a été mis en place nous permet de faire collectivement face à la crise. Aujourd’hui, sur la scène européenne, la priorité absolue est accordée à sa mise en œuvre. Vous savez combien il a été difficile de convaincre l’ensemble des partenaires ; M. le ministre de l’économie pourrait en témoigner. Nous travaillons aujourd’hui avec la Commission. Nous échangeons sur les modalités de mise en œuvre et de décaissement, pour évoquer les choses le plus clairement possible. Nous discutons de la préparation des différents plans de relance et du plan de résilience que chaque État doit présenter devant la Commission dans les prochaines semaines.
Notre objectif majeur est de mettre en œuvre le plan de relance à l’échelon européen. Nous avons aussi d’autres objectifs politiques majeurs, notamment celui d’acter les décisions de la Commission et de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement en matière de ressources propres pour l’Union européenne. Le temps du débat sur les indicateurs viendra ensuite.
Comme vous l’avez rappelé, il a été décidé de suspendre temporairement l’application d’un certain nombre de dispositions dans la période actuelle. Nous préférons faire les choses dans l’ordre : garantir la réponse à la crise et le décaissement du plan de relance, et n’aborder qu’ensuite le débat sur les indicateurs, auquel nous participerons avec vous.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, j’entends votre réponse, mais la deuxième partie de ma question portait sur la dette privée. Devons-nous craindre une bulle susceptible de mettre à mal les efforts de relance publique que vous avez présentés ?
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Messieurs les ministres, cantonner la dette publique, dont l’histoire est antérieure au covid-19, ne nous paraît pas être le sujet. La dette est un enjeu structurel et le fruit de décisions politiques.
Monsieur Le Maire, je vous ai écouté avec attention, et j’ai pu constater que la dette était tantôt blâmée, tantôt encouragée, tout comme elle était tantôt « responsable », tantôt « irresponsable »…
Ma question sera donc très simple. Comprenez-vous que l’endettement, qui permet de justifier toutes les réformes austéritaires – je pense par exemple à la réforme de l’assurance chômage qui va s’abattre sur notre peuple –, provient d’abord des pertes de recettes que vous infligez aux finances publiques ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous évoquez les recettes pour aborder l’endettement.
Nous avons la conviction – Bruno Le Maire l’a rappelé dans son propos liminaire – que l’on ne sortira pas de la crise par une augmentation de la fiscalité. Nous avons quelques expériences en la matière. Le choc fiscal vécu par les Français, notamment par les ménages, après la crise de 2009-2010 n’a pas provoqué de croissance, pas plus que le choc fiscal vécu par les entreprises après 2012-2013.
Nous en sommes convaincus, la trajectoire de diminution de la fiscalité que nous avons mise en œuvre encourage à la fois l’investissement et l’activité, crée de la croissance et permettra ainsi de répondre au problème de l’endettement.
Je le précise, après application de la loi de finances pour 2021, les baisses d’impôts décidées par le Gouvernement et votées par la majorité atteindront 45 milliards d’euros, au profit pour moitié des entreprises et pour moitié des ménages. Et les 22,5 milliards d’euros de baisse de la fiscalité dont bénéficieront les ménages reposent essentiellement sur la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des Français et sur la diminution de l’impôt sur le revenu sur les deux premières tranches d’imposition.
Nous sommes donc très loin de la caricature qui est parfois faite de la politique fiscale du Gouvernement à l’égard des ménages !
Vous nous interrogez également sur la manière de caractériser la dette. Faut-il l’encourager ou la diaboliser ? Certes, face à une situation aussi exceptionnelle que celle à laquelle nous sommes confrontés, ou dans l’objectif de créer des avantages comparatifs, la dette peut être acceptable, voire utile si elle permet de construire l’avenir ou d’apporter des réponses en urgence. Mais la dette chronique qui ne sert qu’à financer des dépenses courantes sans investir pour l’avenir est, quant à elle, problématique.
Cela renvoie à la question que nous avons évoquée de la gouvernance des finances publiques, dont le pilotage pluriannuel et la prévisibilité doivent être plus importants.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Messieurs les ministres, si vous connaissez une personne qui se priverait de son salaire pour se lamenter ensuite sur ses créances, vous nous la présenterez ! Je choisis cet exemple à dessein, puisque, dans nos débats politiques sur la loi de finances, vous n’avez de cesse de comparer l’État et les ménages.
Tout cela découle de décisions politiques et d’une méthode, qui est toujours la même : dépouiller l’État de ses ressources pour se plaindre ensuite de son endettement. C’est un choix idéologique qui se défend, mais vous conviendrez que l’on peut lui en opposer d’autres.
La baisse pérenne des impôts de production représente 20 milliards d’euros par an, presque un point de PIB. C’est votre décision. La réduction de 33 % à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés, c’est 4 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État. Et je pourrais évoquer la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou la privatisation de la Française des jeux, qui nous privent de dizaines de millions d’euros.
Avant même toutes ces décisions, un collectif citoyen avait montré en 2014 – votre gouvernement n’est donc pas le seul en cause – que si l’État avait choisi, sur trente ans, de garder ses recettes sans prendre de mesures libérales et sans accorder d’exonérations massives, sa dette de 2012 aurait été inférieure de vingt-deux points ! (M. Philippe Dallier s’exclame.) Cela lui aurait permis d’appréhender sereinement une éventuelle crise, et l’histoire aurait été tout autre…
Au-delà de ces mesures d’assistanat et de ces cadeaux fiscaux ou niches en tous genres, l’État n’est rien d’autre qu’une victime résignée des marchés financiers. Non seulement les ménages les plus aisés et les grandes entreprises bénéficient de politiques accommodantes, mais en plus, ils sont nos créanciers puisqu’ils détiennent des obligations d’État. Et vous le savez !
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. J’ai eu le plaisir et le privilège de rapporter le budget de la mission « Engagements financiers de l’État » sur les trois derniers exercices budgétaires. Je voudrais, tout d’abord, rendre hommage à l’Agence France Trésor et au travail que son directeur général, M. Anthony Requin, a effectué.
Ma question – vous n’en serez pas surpris – concerne la gestion de la dette et, surtout, la lutte contre la fraude aux finances publiques.
Nous attendions un logiciel de détection précoce face à la fraude à la TVA. Celle-ci est en effet très importante, avec de fortes répercussions sur les finances nationales et européennes. Je sais que le ministre met actuellement en place un plan ambitieux face à la fraude sociale ; nous en parlerons bientôt.
La Cour des comptes dénonce le manque de moyens et, parfois, de volonté face à la fraude fiscale. Et le problème de l’optimisation fiscale demeure. Un grand journal du soir évoquait dernièrement un cas, certes d’optimisation fiscale mais néanmoins d’abus de droit, en lien avec notre voisin le Luxembourg.
Quels moyens avez-vous mis en place pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales mais aussi contre la fraude sociale, qui ont, je le répète, de fortes répercussions sur notre situation budgétaire ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Madame la sénatrice, je veux vous rassurer : avec Olivier Dussopt, plus nous soutenons l’économie et les entreprises, plus nous renforçons les contrôles.
Par exemple, sur le Fonds de solidarité, nous avons mis en place des contrôles a priori et a posteriori très renforcés, ce qui nous a permis d’éviter de verser indûment 2 milliards d’euros à des entreprises n’y ayant pas droit. Nous veillons à ce que l’argent public aille à ceux qui en ont réellement besoin.
Je souhaite rebondir sur la remarque de M. Savoldelli, qui ne m’écoute pas… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ai trouvé le débat intéressant ; il a le mérite d’éclairer les enjeux pour nos compatriotes.
Au fond, monsieur le sénateur, votre stratégie consiste à taxer toujours plus les Français et les entreprises, qui se retrouvent, du coup, totalement exsangues. Les augmentations d’impôts expliquent en particulier l’effondrement de l’industrie française. Quand nos impôts de production sont sept fois plus élevés que ceux de notre voisin allemand, les industries et les usines ferment, et les ouvriers se retrouvent au chômage.
Notre stratégie est différente. C’est tout l’intérêt de notre débat d’exposer les différentes options, et les Français choisiront. Nous baissons les impôts sur l’industrie – les 10 milliards d’euros bénéficieront en priorité aux PME industrielles – pour favoriser les créations d’entreprises industrielles et l’arrivée d’investissements étrangers, c’est-à-dire, in fine, l’emploi et l’activité pour les Français.
Les deux stratégies sont différentes. Je dois reconnaître que je préfère la nôtre !
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir répondu à la question de Pascal Savoldelli, et pas à la mienne… (Sourires.) La prochaine fois, j’essaierai de ne pas passer après lui, afin d’éviter ce genre de dérapage !
J’aurais bien aimé que vous me répondiez sur le logiciel de détection précoce de fraude à la TVA. Certes, vous pouvez le faire maintenant, et décaler ainsi vos réponses à chaque question. Cela s’appelle de la « cavalerie parlementaire », monsieur le ministre… (Exclamations amusées. – M. Jean-François Husson applaudit.)
Le Luxembourg ou les ports francs sont de vrais sujets, et nous aurons l’occasion d’y revenir. Mais restons sur des considérations plus techniques. À mon sens, un débat sur la dette est nécessaire en début d’année budgétaire afin d’éclairer l’ensemble de la loi de finances. Si la réforme constitutionnelle arrive un jour au Sénat, il faudra peut-être inscrire à l’ordre du jour de nos travaux la règle d’or prônée par l’excellent Alain Lambert.
Mme le président. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. De la crise économique de 2008 à nos jours, et malgré une tendance lourde de baisse des taux d’intérêt depuis trente ans, quels que soient les gouvernements successifs, le message permanent envoyé aux Français était que nous devions contraindre nos dépenses publiques pour contenir notre dette sous peine de voir celle-ci devenir insoutenable.
Aujourd’hui, alors que la dette vient d’augmenter de plus de 20 % en un an, comment s’étonner que nos concitoyens s’interrogent sur le remboursement à venir d’une dette née de la pandémie et, par ailleurs, parfaitement justifiée ?
Comment s’étonner qu’ils ne comprennent pas qu’un taux d’endettement de 98 % du PIB ait pu être jugé inquiétant début 2020 et qu’un taux de 120 % soit parfaitement soutenable début 2021 ? Comment s’étonner qu’ils ne se préparent pas en payer le prix, notamment en thésaurisant quand ils le peuvent, d’autant plus quand le Gouvernement n’attend même pas la fin de la pandémie pour ressortir la réforme des retraites comme « la » solution au problème ?
Nous le savons tous, le temps d’adaptation et de redécollage de notre économie est fixé par la politique monétaire de la BCE, et par rien d’autre. Sauf remontée brutale d’une inflation qui l’obligerait à modifier sa politique, la Banque centrale soulage l’État d’un éventuel risque de remontée des taux d’intérêt pour 25 % de sa dette, ce qui est un soutien considérable, sans doute pour de longues années. Cette fraction de dette ne coûte donc quasiment rien.
En revanche, la crise a d’ores et déjà des perdants, ceux d’aujourd’hui, c’est-à-dire les nouveaux chômeurs, les indépendants, les étudiants et les petits épargnants, mais aussi ceux de demain, qui seront confrontés à la montée inexorable des actifs, comme le prix des logements, tout en risquant de voir leur protection sociale diminuer.
Avant de se lancer dans une simple politique de rééquilibrage de nos comptes publics visant notamment à assurer dans le temps long la soutenabilité de la dette, ne faudrait-il pas poser un regard lucide et partagé sur l’état de notre société, ainsi que sur la répartition des efforts à demander et des besoins économiques, sociaux et environnementaux à couvrir ? Et, s’il vous plaît, monsieur le ministre, répondez à ma question et pas à une autre ! (Sourires.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, je vais donc répondre à la question relative aux mesures de contrôle fiscal posée par Mme Goulet ! (Sourires.) Je plaisante, bien entendu…
Comme vous l’avez indiqué, la politique budgétaire a pris depuis maintenant un peu plus d’un an le relais de la politique monétaire de la BCE. C’est ce qui nous a permis de résister à la crise. C’est, je le crois, un choix qui est largement partagé sur les travées du Sénat.
Cela nous a permis de protéger les salariés, par exemple dans le secteur aéronautique. Je revendique d’avoir mobilisé plusieurs centaines de millions d’euros pour que des ingénieurs et des ouvriers qualifiés du secteur aéronautique, à Toulouse, en Occitanie et ailleurs, chez Airbus comme dans les PME sous-traitantes, puissent continuer à travailler, même s’il n’y a pas de commandes payées par de l’argent public. Ces compétences, ce sont des décennies d’investissement. Si nous voulons que le secteur de l’aéronautique puisse redémarrer au moment où les marchés reprendront, il ne faut surtout pas les perdre.
Le moment viendra où nous devrons rétablir les comptes publics. Il n’est pas encore venu. Il viendra quand la croissance sera de retour et l’épidémie véritablement derrière nous.
Si nous engageons trop rapidement le rétablissement des finances publiques, nous nous exposons à avoir une croissance plus faible et un chômage plus important. Par conséquent, le pilotage du calendrier du rétablissement des finances publiques est un point-clé. Il est d’autant plus nécessaire d’avoir une stratégie claire ; nous venons de préciser la nôtre avec Olivier Dussopt.
Dans le fond – c’est ma conviction profonde –, la vraie question n’est pas de savoir s’il faut ou non rembourser la dette publique française. Je pense qu’une telle question est très largement artificielle. Si un ministre des finances venait annoncer devant le Sénat que la France ne remboursera pas sa dette publique, les taux d’intérêt et la charge de la dette exploseraient le lendemain, et je crois qu’il y aurait un doute profond chez nos compatriotes. Ce serait totalement irresponsable. (Mme Sophie Primas, MM. Philippe Dallier et Jean-François Husson acquiescent.)
La vraie question est de savoir si nous pouvons réduire notre dépense publique tout en maintenant son efficacité. Faut-il un engagement pluriannuel sur la dépense publique ? Je pense que oui.
Mme le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. À mes yeux, le vrai débat politique vise à savoir quelles sont les dépenses les plus efficaces et les plus nécessaires.
Mme le président. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. La dette publique française atteint un niveau astronomique : pas moins d’un milliard d’euros empruntés par jour en 2020 ! Il faudra bien la rembourser. Ce sont les modalités de ce remboursement qui inquiètent les Français. Qui devra mettre la main à la poche ? Quand ? Comment ? Autant de questions qui les taraudent face à cette véritable bombe à retardement.
À la délégation aux entreprises du Sénat, nous sommes tout particulièrement sollicités par les chefs d’entreprise : qu’ils soient dirigeants de grands groupes ou de PME, commerçants, artisans ou indépendants, tous sont inquiets pour l’avenir.
Compte tenu de ce qu’ils disent, je pense que l’État n’a pas d’autre choix que de continuer à soutenir le tissu économique et social de notre pays. Ce n’est que progressivement qu’il conviendra de diminuer les aides. Il faudra réduire graduellement l’importance de la perfusion, et non pas l’arracher brutalement.
Malgré ce soutien, les défaillances d’entreprises sont encore devant nous. Monsieur le ministre, en avez-vous évalué l’effet économique et social, et le poids supplémentaire pour le budget de l’État ?
Aujourd’hui, le Gouvernement donne le sentiment de naviguer à vue, sans un horizon clair. C’est un peu court, vous en conviendrez, pour donner aux entreprises la visibilité dont elles ont besoin.
Véritables semelles de plomb pour les entreprises, les impôts de production ont commencé à décroître. C’est heureux ! Leur niveau handicape gravement la compétitivité française. Mais l’État ne sera-t-il pas tenté de se rattraper, au risque de lever une tempête de ras-le-bol fiscal ? Les entreprises craignent la double peine : devoir rembourser à la fois leurs propres dettes, très alourdies par la crise, et celle de l’État via les impôts…
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ces perspectives et donner de la visibilité aux entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, je vous le redis avec beaucoup de clarté et de fermeté : j’exclus toute augmentation d’impôts, pour les ménages comme pour les entreprises. Je continuerai à le marteler tout en apportant des réponses sur notre stratégie de désendettement, car les Français sont évidemment très sceptiques. Ils ont été habitués depuis des années à ce que l’on rembourse notre dette en augmentant les impôts. Comme dit l’adage : « Chat échaudé craint l’eau froide. » Je les comprends. Mais j’ai pris cet engagement en tant que ministre des finances, et je le tiendrai.
Il y a aujourd’hui deux économies.
L’une est très durement touchée par la crise. Nous disons avec force à ces entreprises, à ces PME, à ces TPE et à ces indépendants que nous continuerons à les soutenir aussi longtemps que cela sera nécessaire. Tous les dispositifs, qu’il s’agisse du Fonds de solidarité, des prêts garantis par l’État (PGE), des exonérations de charges ou de l’activité partielle, seront maintenus tant que la crise touchera les secteurs de l’hôtellerie, des cafés, de la restauration, de la culture, du sport ou de l’événementiel.
Je veux dire aux chefs d’entreprise concernés que nous ne retirerons pas brutalement ces dispositifs. Quand nous les retirerons, nous veillerons à le faire progressivement pour ne pas voir apparaître en quelques semaines tous les drames sociaux et humains que nous avons réussi à éviter depuis un peu plus d’un an.
Et puis, il y a d’autres secteurs de l’économie qui ont déjà commencé à redémarrer fortement. Encore une fois, l’économie française va redémarrer vite et fort quand les contraintes sanitaires seront levées. Dans le bâtiment, dans les travaux publics, dans l’agroalimentaire, dans beaucoup de secteurs de haute technologie, nous voyons la confiance revenir et les investissements redémarrer.
Nous voulons accompagner ces entreprises en mettant à leur disposition des prêts participatifs dont je préciserai les modalités jeudi matin. Ce sont de quasi-fonds propres. Ils permettront aux entreprises de se projeter dans l’avenir, d’investir et d’embaucher. Car j’ai une confiance totale dans la capacité de rebond de notre économie et de nos entrepreneurs.
Mme le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.
M. Serge Babary. Monsieur le ministre, si nous voulons maintenir la confiance – nous savons combien c’est important pour soutenir la croissance –, il faut annoncer clairement aux entrepreneurs quelles seront les répercussions de la dette publique sur le pays et les perspectives pour les entreprises.
Nous vous donnons acte de vos affirmations répétées dans cet hémicycle. À mon sens, à l’échelon national, la pédagogie doit, comme toujours, se fonder sur la répétition. Ce scepticisme de nos concitoyens auquel vous faites référence, nous le constatons au quotidien. Il y a encore un travail d’information sur vos engagements à effectuer.
Mme le président. La parole est à M. Michel Canevet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canevet. La dette de notre pays est une préoccupation forte pour bon nombre de nos concitoyens. Au nom du groupe Union Centriste, je souhaite poser deux questions, qui sont aussi des propositions.
Premièrement, vous l’avez dit, monsieur le ministre de l’économie et des finances, nous bénéficions actuellement de taux d’intérêt particulièrement attractifs. Ils ont même été négatifs l’an dernier, et s’établissaient à 0,59 % pour une levée de fonds à cinquante ans. Ne faudrait-il pas allonger la maturité de la dette, légèrement supérieure à huit ans aujourd’hui, pour éviter que nous ne soyons pénalisés par une éventuelle remontée des taux, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis ?
Deuxièmement, il faudra bien rembourser cette dette. Parmi les hypothèses, il y aurait la possibilité d’accroître la taxe sur les transactions financières, qui a rapporté 1,8 milliard d’euros l’année passée. Une légère augmentation permettrait de dégager des fonds pour rembourser la dette. Qu’en pensez-vous ?