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Dette publique à l’aune de la crise économique actuelle
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la dette publique à l’aune de la crise économique actuelle.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Jérôme Bascher, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains. Madame le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pourquoi le groupe Les Républicains a-t-il demandé l’organisation de ce débat aujourd’hui, sur l’initiative de Bruno Retailleau et de Jean-François Husson ? C’est parce que la dette occupe tous les débats et que nul n’ignore que l’augmentation de 15 à 25 points de PIB de la dette publique constitue un fait historique et un enjeu financier majeur, à la mesure de la pandémie que nous vivons.
Notre débat, mes chers collègues, mérite mieux que des « y-a-qu’à ». Pour avoir tous exercé des responsabilités exécutives et en tant que parlementaires, nous savons qu’il s’agit là d’une formule magique et que, comme tous les tours de magie, elle repose sur une illusion. C’est à la commission Arthuis ou aux missions de la Cour des comptes qu’il appartiendra de dire « y-a-qu’à ».
Notre débat mérite également mieux que les approximations, comme celle du haut-commissaire au plan, qui a expliqué la semaine dernière qu’il fallait repousser la dette covid, autrement dit qu’il fallait prévoir un « différé d’amortissement »,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il a raison !
M. Jérôme Bascher. … oubliant que l’essentiel de notre dette se paie in fine, c’est-à-dire sans amortissement… Une proposition aussi absurde de la part d’un haut-commissaire est un peu étonnante.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Jérôme Bascher. Elle traduit une méconnaissance du sujet. Son travail est nul et non avenu !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Jérôme Bascher. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, comme on dit chez les gens de bon sens…
Nous, nous sommes au Parlement, et c’est à nous, avec le Gouvernement, de parler, comme dirait le Premier ministre, « en responsabilité » de ce qui sera fait.
Pour ma part, je me bornerai à soulever des approches plutôt que de proposer des solutions définitives. Si quelqu’un connaissait une solution définitive pour régler le problème de la dette, il aurait plusieurs prix Nobel à son actif !
En fait, faut-il parler d’une dette publique globale ou de plusieurs dettes ? Autrement dit, peut-on envisager un traitement unique alors que nos dettes sont diverses ?
Ainsi, les 70 milliards d’euros de dettes de l’Unédic ne sont pas de même nature que la dette de nos collectivités. La dette de la SNCF, celle qui a été reprise, mais aussi la nouvelle, celle de 2020, ne sont pas de même nature et n’appellent donc pas les mêmes solutions. Les dettes sous la ligne, principalement les retraites dues à l’avenir, n’appellent pas la même solution que la dette de l’État.
Réfléchissons simplement en bon père de famille : un ménage s’endette en principe pour investir et rembourse ses dettes. Il est surendetté lorsqu’il n’arrive plus à vivre, car ses revenus servent au remboursement de la dette et des charges de la dette. Tel est notre cas, messieurs les ministres : notre déficit public primaire permanent est comparable au surendettement d’un ménage.
Réfléchissons, toujours simplement, comme un chef d’entreprise. Notre stock de dettes est aujourd’hui quasi équivalent à nos actifs, comme le montrent les tableaux de l’Insee. Le problème, c’est que notre stock d’actifs est immobile alors que notre dette ne cesse de croître. Une telle situation mènerait assurément une entreprise à la banqueroute.
En vérité, notre dette est une mauvaise dette. C’est une dette de consommation et non une dette d’avenir.
Permettez-moi ici de faire une digression à l’intention de tous les tenants du déficit public et de l’augmentation de la dette : s’endetter, c’est consommer aujourd’hui le capital de demain. C’est vrai en particulier pour les ressources naturelles. Nous consommons plus vite notre planète lorsque nous nous endettons. Nous faisons payer plus, toujours plus, aux futures générations pour notre propre confort. Avec la dette, c’est le développement durable qui est mis à mal. Je tiens à le dire, parce qu’on oublie souvent et facilement, d’un certain côté de l’hémicycle, cette autre facette de l’endettement.
L’annulation de la dette est devenue une nouvelle formule magique. Je l’ai dit, c’est une illusion. Souhaiter l’effacement de la dette, c’est dire qu’on peut toujours dépenser plus sans que cela porte à conséquence. Voilà ce que disent les partisans de l’annulation de la dette !
Permettez-moi à cet égard de faire un rapprochement étonnant entre le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron et certains discours, entendus plutôt du côté gauche de cet hémicycle.
M. Claude Raynal. Ah ?
M. Jérôme Bascher. Je me garderai bien de leur jeter la pierre, car, lors de la crise de 2008, il y a parfois eu un phénomène similaire à droite.
M. Claude Raynal. Ah !
M. Jérôme Bascher. Il faut savoir que nous sommes les seuls à proposer l’annulation de la dette.
M. Philippe Dallier. Pas nous !
M. Jérôme Bascher. Personne en Europe ou dans le monde n’envisage une telle solution, mais, nous, Français, nous allons inventer cette martingale ! Voulons-nous ainsi entrer dans l’histoire ? La dernière fois que nous avons fait défaut, c’était avec les assignats, qui sont de sinistre mémoire… Ce débat est purement français.
Qu’est-ce que la dette covid ? Le Gouvernement devra répondre à cette question. Quel est le contrefait de la dette covid, pour parler de manière un peu technocratique ? Faut-il cantonner cette dette, sachant qu’elle coûtera plus cher au final ?
À titre d’exemple, la dette de la Cades, qui est cantonnée depuis des années, nous coûte plus cher. Sa gestion actif-passif est absolument catastrophique. Il est incroyable que le FRR, qui, lui, gagne de l’argent, soit obligé d’en verser à la Cades, qui en perd ! Il m’a pourtant semblé comprendre que la gestion actif-passif était l’une des solutions envisagées par le Gouvernement. Nous attendons des explications à cet égard au cours de ce débat.
Certains proposent d’allonger la dette. Encore faudrait-il que quelqu’un la rachète, mes chers collègues ! Qui va le faire ? On nous parle de l’Angleterre. Or les fonds de pension achètent en livres sterling pour verser les retraites. Nous, nous ne fonctionnons pas avec des fonds de pension et notre monnaie est l’euro ! Nous n’avons donc pas le même marché.
Faut-il augmenter les impôts, réduire les dépenses ? Faut-il faire de la croissance, comme vous le dites, monsieur le ministre de l’économie et des finances ? Pourtant, on n’a jamais réduit la dette avec la croissance au cours de l’histoire, même si on ne la réduit pas sans croissance.
Il reste une piste : l’inflation. Est-ce votre solution ? Nous allons en débattre. En tout cas, il y a urgence, car les taux d’intérêt remontent et nous sommes proches de la banqueroute. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mesdames, messieurs les sénateurs, nous traversons une crise économique inédite par son ampleur et par sa durée. Pour faire face à cette crise, le Président de la République a fait un choix extrêmement clair : protéger les salariés français et les entreprises françaises, quoi qu’il en coûte. Ce choix s’est effectivement traduit par une augmentation massive de la dépense publique et par un accroissement de notre dette publique, qui atteindra cette année 120 % de notre richesse nationale, contre 98 % en 2019. Ce niveau de dette publique n’avait pas été atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ces 20 points de dette supplémentaires par rapport à notre richesse nationale s’expliquent pour moitié par la dégradation de notre déficit, liée aux dépenses publiques que j’ai indiquées, mais pour moitié aussi, je tiens à le rappeler, par la diminution de notre richesse nationale, qui a baissé de 8,2 % en 2020.
Cette hausse massive des dépenses publiques était le seul choix responsable pour faire face à la crise économique. Elle était nécessaire pour protéger nos salariés, éviter un chômage de masse et prévenir un tsunami de faillites d’entreprises. C’est le seul choix aussi qui permettra à l’économie française de rebondir vite et fort, dès cette année 2021, parce que nous aurons préservé nos entreprises, nos salariés, nos compétences, nos savoir-faire.
Ma conviction est forte : en 2021, l’économie française repartira vite et fort. Les ressorts de l’économie française ne sont pas cassés. Nous avons subi une crise profonde, mais les fondamentaux de notre économie restent sains. Les entreprises restent prêtes à investir. Le plan de relance est bien calibré pour alimenter la croissance. Je le répète : en 2021, l’économie française repartira vite et fort.
Il nous appartient désormais, et c’est tout l’intérêt de ce débat, dont je remercie le Sénat, de faire en sorte que ce niveau d’endettement, qui sera l’héritage de la crise économique, ne devienne pas à long terme une vulnérabilité pour la France. C’est notre responsabilité à tous.
La meilleure façon d’éviter que cette dette publique ne devienne une vulnérabilité pour la France, c’est de dire, de manière claire, sans aucune ambiguïté, que la France remboursera sa dette publique.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour cela, il faut d’abord la stabiliser, puis engager sa réduction suivant une stratégie de remboursement sur laquelle je reviendrai.
Je tiens à le préciser – ces propos rejoignent ce qu’a dit l’orateur précédent –, la France a en réalité deux dettes.
La dette chronique est liée au niveau des dépenses publiques, qui est, je le rappelle, le plus élevé de tous les pays développés au monde. Je rappelle par ailleurs que la dette française a explosé entre 2007 et 2017, au lendemain de la crise financière. Elle est alors passée de 64 % à 98 % de notre richesse nationale. Notre dette publique représentait déjà en 2017 près de 100 % du PIB à cause de cette dépense chronique qui caractérise l’économie française.
Avec le Président de la République et l’ensemble de la majorité, nous avions réussi, pour la première fois depuis vingt ans, à réduire le déficit au-dessous de 3 % du PIB. Nous avions sorti la France de la procédure de déficit excessif. Nous avons tenu les comptes publics, diminué le taux de dépenses publiques et, en même temps, le taux des prélèvements obligatoires de plus de 1 point. À cet égard, je rappelle que nous sommes la majorité qui, en vingt ans, a baissé le plus massivement les impôts. Nous aurons diminué les impôts de 45 milliards d’euros d’ici à la fin de 2021, la moitié pour les entreprises, l’autre moitié pour les ménages.
Je rappelle également que nous étions arrivés à stabiliser la dette publique de la France, après une augmentation de 30 points au cours des dix années passées. Nous ne parviendrons à réduire cette dette chronique qu’en diminuant et en rendant plus efficaces les dépenses publiques.
La seconde dette est une dette choisie, une réponse à la crise. Elle prépare l’avenir, parce qu’elle sauve nos entreprises et qu’elle nous permet d’investir dans les technologies, les compétences, les savoir-faire, les chaînes de valeur qui permettront à la France demain de rester l’une des plus grandes puissances économiques de la planète. Cette dette choisie est une dette responsable et nécessaire quand les taux d’intérêt sont aussi bas et nous permettent d’emprunter à des conditions financières intéressantes.
L’efficacité de la réponse à la crise par la dépense publique se lit dans les chiffres sur les faillites et le chômage. En 2020, la France a connu 31 000 faillites, contre 50 000 en 2019 en l’absence de crise économique, et la destruction de 360 000 emplois. C’est trop d’emplois détruits, trop de souffrances pour les Français victimes de ces pertes d’emplois, mais je rappelle que l’Unédic annonçait 900 000 suppressions d’emplois en 2020. Grâce au « quoi qu’il en coûte », nous avons donc protégé notre économie.
Dès lors, plusieurs questions se posent. Premièrement, avons-nous un problème de financement de notre dette ? Je veux là aussi être très clair et profiter de ce débat pour rassurer nos compatriotes : la France n’a aucune difficulté à financer sa dette. Elle a la confiance des investisseurs et elle la gardera en tenant un langage clair sur le remboursement de sa dette et sur sa stratégie de remboursement.
M. Philippe Dallier. Pourvu que ça dure…
M. Bruno Le Maire, ministre. La dette a augmenté, mais tout le paradoxe est que, dans le même temps, la charge de la dette a nettement diminué parce que nous empruntons à des taux plus bas. En 2020, la charge d’intérêt a coûté moins de 30 milliards d’euros, contre 39 milliards d’euros en 2019. Tout le paradoxe de la situation financière actuelle est que notre dette est plus importante et que la charge de la dette est moins élevée.
En 2020, nous avons levé 290 milliards d’euros de dettes à moyen et long terme, soit près de 45 milliards d’euros de plus qu’en 2019. Pourtant, le taux moyen auquel nous avons emprunté ces 290 milliards d’euros est inférieur de 20 points de base au taux moyen de 2019.
La récente émission d’une obligation à cinquante ans à un taux limité de 0,59 % atteste de la confiance des investisseurs dans la signature française, signature dont je suis le garant. C’est pourquoi Olivier Dussopt et moi le disons clairement et sans ambiguïté : la France remboursera sa dette suivant une stratégie claire et convaincante pour les marchés.
Vous me direz que les taux d’intérêt – cela a été signalé par M. Bascher –, qui étaient de –0,30 % en début d’année, se sont rapprochés aujourd’hui de 0 %, avec un taux pour l’OAT à dix ans de –0,10 % hier soir. Cela ne doit pas constituer une source d’inquiétude. Cette hausse est naturelle et maîtrisée. Elle est liée aux perspectives de reprise de l’activité économique,…
Mme le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Bruno Le Maire, ministre. … au nouveau plan de relance américain et au rebond de l’inflation qu’il peut susciter.
Ce mouvement haussier est donc naturel et, je le redis, limité. La BCE a d’ailleurs assuré qu’elle maintiendrait des conditions de financement favorables.
Deuxième question : faut-il rembourser cette dette ? Je le redis : la réponse est oui. La France a toujours honoré sa signature sur sa dette, elle continuera de le faire.
Le temps qui m’est alloué étant écoulé, madame la présidente, je propose de conserver pour la suite la réponse à la grande question qui est de savoir comment rembourser notre dette. Je préserverai ainsi l’intérêt des sénatrices et des sénateurs ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, période que vous avez rappelée, monsieur le ministre, la dette publique française atteignait 250 % du PIB. Quelques années plus tard, au début des années 1950, elle n’en représentait plus que 30 %. Alors que notre taux d’endettement a bondi de 20 points en moins d’un an et qu’il dépasse désormais 120 % du PIB, une telle capacité à résorber la dette laisse rêveur.
Mais comparaison n’est pas raison, et la situation en 2021 diffère largement de celle de l’après-1945, quand bien même nous déclarons la guerre au virus. L’économie doit repartir, et repartir vite, mais le pays n’est pas à reconstruire.
La situation est aujourd’hui des plus singulières : d’une part, la dette publique, en valeur absolue, n’a jamais été aussi élevée ; d’autre part, l’épargne privée, constituée pour une large part grâce aux mesures mises en place par le Gouvernement, n’a jamais été aussi importante. On peut y voir un paradoxe historique. On peut aussi y voir une opportunité pour accélérer la relance sans dégrader davantage nos finances publiques.
Si le Gouvernement ne dirige plus l’épargne des Français, et c’est heureux ainsi, il peut mettre en place des outils afin de l’orienter vers des investissements stratégiques.
Monsieur le ministre, on a lu dans la presse que vous vous étiez emparé de cette question. Quels outils entendez-vous mettre en place ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. J’en viens, grâce à la question de M. Capus, à la manière de rembourser notre dette.
Il y a la mauvaise manière, celle qui a été employée pendant des décennies : les impôts. Pour ma part, j’exclus toute augmentation d’impôts pour rembourser notre dette publique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.) Ce serait une erreur politique et une faute économique. En revanche, je pense qu’il faut jouer sur trois leviers : la croissance, la maîtrise des finances publiques et les réformes de structure.
La première manière de rembourser la dette, c’est d’alimenter la croissance. Tel est l’objectif du plan de relance. Il faut aussi, comme vous l’avez parfaitement indiqué, utiliser l’épargne des Français, qui auront constitué près de 200 milliards d’euros d’épargne d’ici à la fin de l’année. Nous voulons les inciter à transmettre plus facilement cette épargne à ceux qui pourraient la consommer. Je ferai des propositions au Premier ministre et au Président de la République en ce sens.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons également mis en place, je le rappelle, 150 fonds labellisés « Relance », destinés au financement des PME françaises, lesquels ont rencontré un immense succès dans le réseau bancaire français. Au 1er mars, ces fonds ont en effet permis de lever 25 milliards d’euros, qui financeront l’économie et permettront à nos PME de mieux fonctionner. Alimenter la croissance est la meilleure façon de rembourser notre dette publique.
La deuxième manière, c’est la maîtrise des finances publiques. Je suis favorable à ce que nous réfléchissions à la mise en place d’une règle pluriannuelle afin de stabiliser la dépense publique et de nous donner une plus grande visibilité. Je suis également favorable à un examen de l’ensemble de nos dépenses publiques afin de nous permettre de gagner en efficacité. À cet égard, Olivier Dussopt et moi attendons les propositions de la commission présidée par Jean Arthuis, qui seront suivies avec la plus grande attention.
Enfin, la troisième manière de rembourser notre dette, c’est d’engager des réformes de structure. Nous avons commencé à le faire avec la réforme de l’assurance chômage. Vous connaissez également mes convictions concernant la réforme des retraites : j’ai toujours estimé qu’il fallait inciter les Français à travailler plus longtemps pour financer notre modèle de protection sociale. (M. François Patriat applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour la réplique.
M. Emmanuel Capus. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre réponse détaillée et pour les propositions que vous nous annoncez.
Le groupe Les Indépendants a de son côté fait une proposition pour mobiliser l’épargne et l’orienter vers des investissements publics. Ma collègue Vanina Paoli-Gagin envisage la création de fonds souverains régionaux qui pourraient utiliser cette épargne au plus près des besoins des territoires. J’espère que nous pourrons bientôt en débattre ici.
Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le ministre, vous avez dit il y a quelques instants que la France avait deux dettes, la bonne et la mauvaise. Pour ma part, je dirai qu’elle en a trois, même si je ne suis pas forcément d’accord avec votre caractérisation des deux premières. La troisième, c’est la dette écologique. (Oh là là ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Avec votre façon de compter, avec les outils dont nous disposons aujourd’hui ou dont nous voulons bien disposer, personne n’est en mesure de dire ce que cette dette va en réalité nous coûter, tant d’un point de vue financier que d’un point de vue humain en général. Comment faire pour que les enjeux écologiques, qui sont majeurs, soient enfin pris en compte dans la dette ? Cette dette va nous coûter très cher.
Vous dites compter sur la croissance pour rembourser la dette. C’est bien là le problème ! Vous tablez sur n’importe quelle croissance alors qu’il faudrait mettre en place des outils pour diriger l’ensemble des investissements vers la croissance verte et ne plus financer les dépenses et les énergies brunes.
Vous dites aussi qu’il faut réduire les dépenses publiques et engager des réformes structurelles.
Comment allez-vous faire pour prendre en compte la dette écologique ? Comment allez-vous faire, avec le remède de cheval que vous préconisez, pour ne pas provoquer une explosion encore plus grande de la pauvreté et pour ne pas creuser davantage les inégalités, du fait de l’affaiblissement total des services publics, dont nous constatons aujourd’hui, avec la crise, l’état lamentable ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous évoquez la dette environnementale et la manière dont on pourrait caractériser le poids de la transition écologique ou des atteintes à l’environnement dans la dette, celle que nous avons accumulée depuis des années, et non pas uniquement celle qui résulte de la crise du covid. Vous nous interrogez sur ce que nous pouvons faire pour que l’empreinte de l’économie sur l’environnement puisse être mieux maîtrisée.
Je rappellerai d’abord que plus d’un tiers des crédits du plan de relance que nous avons eu l’occasion de défendre devant vous et que le Parlement a adopté, soit plus de 30 milliards d’euros, sont prévus pour la transition écologique.
C’est la première fois que nous mettons en œuvre un plan avec un engagement budgétaire aussi important pour la transition écologique, à hauteur de 33 milliards d’euros. De surcroît, cela intervient dans un contexte d’augmentation systématique et croissante des moyens consacrés par le Gouvernement et par la majorité au ministère de la transition écologique et, au-delà, à un certain nombre de politiques de transition qui irriguent l’ensemble des ministères.
En outre, nous avons fait un grand pas sur la méthodologie. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, vous avez pu prendre connaissance d’une annexe particulière, le « budget vert », qui indique si une dépense est verte – si elle n’a aucun effet néfaste, voire si elle a des effets positifs sur l’environnement – ou brune.
J’ai eu l’occasion de souligner que si ce premier exercice était inédit, il devait être parfait. Pour cela, nous allons travailler avec les parlementaires en pointe sur ces sujets à la réduction de la part des dépenses ayant été neutralisées – il y en a eu – et à la prise en compte des dépenses fiscales, afin de veiller à ce qu’un certain nombre d’incitations puissent être évaluées sous un angle environnemental. Ce budget vert est un outil de mesure et d’analyse qui sera utile pour vos réflexions.
Enfin, je le précise, c’est ce gouvernement qui, lors de l’examen du projet de loi de finances, a annoncé la trajectoire de sortie des avantages et garanties accordés par l’État aux investissements défavorables à l’environnement. La trajectoire s’étend sur une dizaine d’années, mais c’est la première fois qu’elle est définie.
Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Parler aujourd’hui de la réforme de l’assurance chômage comme d’une solution pour rembourser la dette alors que vous allez jeter des milliers de chômeurs, en particulier les plus précaires, dans davantage de pauvreté témoigne, me semble-t-il, d’une totale déconnexion avec la réalité sociale de notre pays. La gravité de la situation sociale est totalement sous-estimée par le Gouvernement et ce n’est malheureusement pas une nouveauté !
Mme le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Le « quoi qu’il en coûte » a permis à des millions d’entreprises et de Français de faire face à la crise sanitaire et économique.
Rappelons-le, depuis le début de la crise, les mesures d’urgence ont représenté 106 milliards d’euros, soit 4,4 % du PIB. Au total, plus de 13 milliards d’euros ont été affectés aux mesures sanitaires, 62 milliards d’euros à la préservation de la main-d’œuvre et au soutien aux revenus des ménages, 22 milliards d’euros à la liquidité des entreprises, et une enveloppe de 8 milliards d’euros a été spécifiquement fléchée vers les secteurs les plus touchés.
Ce soutien indispensable a un coût. La dette française est ainsi passée de 98 % à près de 120 % du PIB. C’est un phénomène international, puisque le niveau de la dette publique s’est envolé dans l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Face à une telle situation, les hypothèses et les débats autour de l’avenir de la dette se multiplient. Cependant, je crois que nous devons éviter de mettre tous les œufs dans le même panier. Chacun doit pouvoir distinguer le cantonnement de l’annulation.
L’annulation de la dette serait en effet une faute politique et un non-sens économique. Inutile, voire contreproductive, elle aurait de lourdes conséquences sur la crédibilité financière de la France.
L’hypothèse du cantonnement, quant à elle, demande sans doute une plus grande attention de notre part. D’ailleurs, avons-nous les moyens de cantonner la dette covid ? De la quantifier pour mieux l’isoler ? Et si cela est envisageable, qu’en est-il de son remboursement ?
La France sait gérer sa dette sociale. Et elle savait le faire avant la crise de la covid. Avec la création de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) en 1996, la dette sociale était passée de 260 milliards à 100 milliards d’euros en 2019, et il était prévu de l’apurer dès 2024.
Entre-temps, la crise est passée par là. Elle a sans aucun doute modifié le calendrier.
Monsieur le ministre, dès la fin de la crise, quelles recettes pourrions-nous affecter au remboursement de la dette ? Quelle option privilégier, entre un nouveau prolongement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), l’affectation d’une ressource existante du budget général de l’État et la création d’une nouvelle recette pour le remboursement de la dette covid ?