Mme le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme il est de coutume depuis 1988, chaque élection présidentielle est précédée de nécessaires coordinations législatives par le biais d’une loi organique. La prochaine élection de 2022 ne déroge pas à cette règle.
Le Président de la République étant « désigné par la raison et le sentiment des Français pour être le chef de l’État », selon le président de Gaulle, il est nécessaire que toutes les conditions soient réunies pour garantir une élection transparente et incontestable.
L’examen de ce projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République intervient plus d’un an avant le prochain scrutin. Il prévoit plusieurs ajustements techniques et quelques innovations, sur lesquels le groupe RDPI se prononcera favorablement.
Sous votre présidence, monsieur le sénateur Buffet, les membres de votre commission ont introduit seize amendements. D’autres seront discutés cet après-midi.
Comme cela a été rappelé, contrairement aux autres scrutins électoraux, les règles applicables à l’élection présidentielle relèvent de la loi organique. Ces dernières doivent par conséquent être régulièrement modifiées pour inclure les évolutions de notre droit électoral.
Les articles 2 et 3 poursuivent ces efforts de coordination et d’innovation.
Je pense à l’application, pour la première fois, de la « déterritorialisation » des procurations, prévue par la loi Engagement et proximité de 2019 ou à la campagne officielle, dont le calendrier serait élevé au rang de disposition organique. Sa durée resterait cependant inchangée : elle commencerait toujours le deuxième lundi précédant le scrutin pour s’achever la veille de l’élection.
Deux mesures ont été ajoutées en commission : la sécurisation du vote par procuration des majeurs protégés dans les outre-mer, et l’obligation faite aux instituts de sondage de publier leurs marges d’erreur.
En outre, le texte comporte un certain nombre de dispositions telles que, à l’article 1er, les opérations préparatoires au scrutin. Il sécurise notamment, à titre subsidiaire, la composition des commissions de contrôle qui veillent à la régularité des listes électorales des Français de l’étranger. D’autres mesures figurant à l’article 4 intéressent spécifiquement les 3,5 millions de Françaises et de Français vivant à l’étranger.
Le projet de loi organique précise aussi que la création d’une procédure dématérialisée de transmission des parrainages sera reportée à 2027 au plus tard, en raison du retard pris dans la mise en place de moyens d’identification électronique offrant un niveau de garantie élevé.
La commission des lois a actualisé la liste des parrains, en tirant les conséquences des récentes réformes territoriales, et en ajoutant les présidents des conseils consulaires des Français de l’étranger. Nous y sommes bien entendu favorables.
L’article 2 porte sur les règles visant à encadrer le financement de la campagne. Le texte prévoit d’imposer la dématérialisation des reçus-dons délivrés aux personnes physiques ayant consenti des dons, ainsi que du dépôt des comptes de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
La commission des lois a souhaité que les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle soient désormais publiés en open data, comme c’est la règle pour les autres élections. Nous y sommes là encore favorables.
Alors que le report des élections régionales et départementales de mars à juin 2021 a pour conséquence le chevauchement des périodes de campagne financière des élections locales et de l’élection présidentielle, vous avez reculé au 1er juillet 2021 le début de cette période pour l’élection présidentielle.
Le texte prévoit que le vote par correspondance papier soit ouvert aux détenus, en complément du vote par procuration et des permissions qu’ils peuvent solliciter pour se rendre jusqu’à leur bureau de vote. Sur environ 55 000 détenus ayant conservé leurs droits civiques, seuls 2 % ont participé à l’élection présidentielle de 2017. Il s’agit de réduire cette abstention massive.
Par ailleurs, mes chers collègues, au-delà des suspicions, des polémiques et des avis radicaux sur la chance que pourrait représenter le vote par anticipation, disposition qui – nous l’avons bien compris – ne sera pas adoptée, je souhaite revenir sur la proposition du sénateur Mouiller.
Nous partageons largement l’objectif que celui-ci vise, puisqu’il tend à donner un accès plein et entier à l’information sur tous les candidats et leur programme à tous les Français, sans omettre les personnes en situation de handicap. Ainsi, en 2022, tous les candidats à l’élection présidentielle seront soumis à de nouvelles obligations en matière d’accessibilité de leur campagne. Ils devront tenir compte des différentes formes de handicap et de la diversité des supports de communication.
Nous nous prononcerons bien entendu en faveur de cette proposition et voterons ce texte, afin d’assurer et de sécuriser le scrutin suprême, celui de l’élection du Président de la République, en toute transparence et en toute confiance.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rite quinquennal de l’élection présidentielle approche et, même si certains semblent déjà en campagne, nous pouvons considérer que ce projet de loi organique inaugure le cycle cérémoniel inhérent à la Ve République.
D’abord, il procède à ce qu’il est convenu d’appeler un « toilettage » électoral, tant nécessaire qu’habituel en raison du caractère organique de la loi de 1962, et sur lequel il n’y a pas lieu de s’attarder. Il répond en effet au besoin de coordination et d’actualisation des renvois opérés par la loi du 6 novembre 1962 vers le code électoral.
Le texte comporte aussi certaines dispositions techniques attendues, par exemple celle qui tend à imposer la dématérialisation des reçus-dons, que le Sénat a eu la sagesse de restreindre à un dispositif expérimental plutôt que de la pérenniser sans recul.
Mais le projet de loi que nous discutons pourrait aussi comporter certaines innovations majeures au sujet desquelles il faut faire preuve de vigilance.
Par exemple, nous allons devoir examiner un amendement du Gouvernement sur le vote par anticipation. Par ce mécanisme, les électeurs pourraient être amenés à voter dans une autre commune plusieurs jours avant le dimanche traditionnel du scrutin.
Cette disposition appelle deux remarques.
D’abord, du point de vue de la procédure parlementaire, nous nous inquiétons de cet usage toujours plus fréquent du droit d’amendement, qui conduit à introduire, souvent de manière inattendue, des éléments majeurs de réforme dans notre législation. Nous pourrions attendre qu’ils soient discutés, notamment à l’occasion de l’examen des rapports en commission, c’est-à-dire avec davantage de temps, de recul et de profondeur. Or tel n’est pas le cas : par ce biais, les échanges sont réduits et les travaux moins éclairés.
Ensuite, s’agissant du fond, il s’agit d’un mécanisme étonnant qui conduit à désacraliser les dimanches de scrutin. Cela pose notamment la question de son articulation avec la campagne, habituellement suspendue la veille du scrutin. Qu’en sera-t-il avec ces votes anticipés ? Qu’adviendra-t-il également du débat organisé entre les deux tours ? Certains pourront-ils voter avant qu’il ait lieu ?
Je ne doute pas que des solutions juridiques et techniques pourront être apportées, mais elles ne lèveront pas les interrogations pratiques et politiques sur le sens du résultat d’un scrutin étalé dans le temps.
Enfin, comme avant chaque scrutin, la question du mode de désignation des candidats se posera. Certains voudraient se positionner en faveur d’une réforme abaissant le nombre de parrainages habituel au bénéfice d’un système hybride, sur le modèle d’une pétition nécessitant un « parrainage citoyen ».
En plus de douter des bienfaits d’un tel système, j’aimerais dire un mot de la portée symbolique que pourrait avoir ce changement.
Nos élus locaux ne sont pas des élus d’une espèce qu’il faut dévaluer. Eux aussi incarnent la démocratie ! J’ajoute que leur démocratie s’exerce le plus souvent loin du populisme médiatique, au contact du réel, sur le terrain. Pour ces raisons, notre République doit maintenir leur rôle historique à tous les niveaux.
Et, plutôt que de vouloir les écarter progressivement des institutions étatiques, rappelons-nous le lien privilégié que ces élus ont toujours entretenu avec la Nation et ses territoires. Rappelons-nous également la confiance historique qui leur est accordée depuis des décennies, et face à laquelle ils ont rarement déçu.
Souvenons-nous, par exemple, de ce banquet des maires organisé en 1900 à l’occasion de l’exposition universelle, sur l’initiative du Président de la République Émile Loubet et de son président du Conseil Pierre Waldeck-Rousseau. Il avait rassemblé dans le jardin des Tuileries plus de 30 000 maires qui, tous à l’honneur, avaient dégusté le menu suivant : des pains de canetons de Rouen, des ballotines de faisans Saint-Hubert, ou encore des poulardes de Bresse rôties ! (M. Jean-Raymond Hugonet applaudit.)
Ce tableau laisse rêveur. Nous renonçons déjà depuis plusieurs mois à ces convivialités gustatives. Alors, s’il vous plaît, mes chers collègues, n’y ajoutons pas le renoncement aux services de ceux qui parrainent localement, depuis plus d’un demi-siècle, les candidats à la plus élevée des fonctions républicaines.
Aussi, vous comprendrez que ce n’est que sous réserve du sort qui sera réservé à certains amendements déposés en séance que le groupe RDSE votera en faveur de ce texte.
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte met à jour des dispositions techniques et prévoit de nouveaux dispositifs pour les prochaines élections présidentielles.
Si certaines adaptations ne soulèvent pas notre opposition, d’autres suscitent des interrogations. Il en est ainsi des conditions de vote des détenus, qui mériteraient d’être précisées.
Nous ne sommes par ailleurs pas favorables à certaines autres mesures, comme la déterritorialisation de l’établissement des procurations. Le dépôt de l’amendement gouvernemental sur l’instauration d’une procédure de vote par anticipation, sur lequel je reviendrai, renforce encore nos interrogations. Ces deux points remettent en cause, selon nous, l’organisation de ce scrutin sous une forme citoyenne.
L’essentiel, toutefois, est ce qui ne figure pas dans le projet de loi organique.
L’élection présidentielle est la clé de voûte des institutions de la Ve République. Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que l’élection présidentielle au suffrage universel direct donne des pouvoirs très forts et très singuliers au Président de la République, chef de l’État. Vous avez également rappelé comment, depuis vingt ans, la présidentialisation – je dirai même l’hyperprésidentialisation – s’est accrue.
Nous assumons la dénonciation d’une pratique monarchique du pouvoir et d’un dévoiement des institutions républicaines qui, rappelons-le, se fondent sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Cette présidentialisation, comme vous l’indiquiez, monsieur le rapporteur, a été précipitée par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.
La dérive que nous vivons aujourd’hui exige de rendre au Parlement son pouvoir et de le rétablir comme pivot de la démocratie. Elle exige de revenir aussi vite que possible sur l’inversion du calendrier électoral. Elle exige encore de revenir sur la durée du mandat du Président de la République. Elle exige enfin d’ouvrir un débat sur les prérogatives de ce dernier.
La crise sanitaire, nous le voyons bien avec la captation du pouvoir par l’exécutif, accélère l’exigence d’une révision en profondeur de nos institutions. Oui, nous estimons qu’il faut changer de Constitution et faire advenir une VIe République.
Le texte, très technique, élude des questions essentielles.
Nous poserons la question de l’audiovisuel dans la campagne électorale officielle et non officielle par voie d’amendement : nous proposerons de revenir à une égalité entre candidats durant la période comprise entre le dépôt des candidatures et le démarrage de la campagne officielle.
Ces semaines sont en effet primordiales dans la détermination du vote. Les candidats doivent être traités sur un pied d’égalité et non sur le fondement d’une équité aux contours incertains, reposant souvent sur des sondages qui, rappelons-le, sont produits par des instituts aux mains de grands groupes privés, peu enclins à la neutralité dans le débat politique. Les sondages doivent être encadrés, limités, voire interdits durant une certaine période.
Nous le voyons bien dès à présent, plus d’un an avant l’élection, certaines forces font déjà l’impasse sur le premier tour : ce sera un duel Macron-Le Pen, point barre ! La messe serait ainsi déjà dite et le pluralisme étouffé.
Le système américain lui-même montre bien que la bipolarisation de la vie politique tue la démocratie à petit feu. La question de l’argent dans les campagnes présidentielles n’est abordée dans ce texte que par un biais lointain ; elle doit pourtant être posée clairement. Pour favoriser ce pluralisme si nécessaire, pour favoriser l’égalité des candidatures, il faut limiter le niveau des dépenses électorales. Nous proposerons de les abaisser significativement. Nous proposerons également d’abaisser le seuil de remboursement des frais de campagne.
Vous le constatez, ces trois thématiques, parmi d’autres, comme celle qui viendra en débat sur les parrainages, sont fondamentales.
Enfin, nous proposerons qu’une réflexion soit engagée sur les conditions de déroulement d’une campagne présidentielle dans les mois qui précèdent le scrutin. Le risque existe que, au moins à l’automne, nous ne soyons malheureusement pas sortis de l’épidémie, même si nous espérons toutes et tous le contraire.
Comment permettre à ceux qui n’ont pas au moins accès aux médias de mener leur campagne durant une telle période ? Il faudra par exemple réfléchir à élargir le temps d’antenne longtemps avant la campagne officielle ou à créer une plateforme numérique pour ouvrir dans l’égalité les nécessaires moyens technologiques à tous.
L’abstention ne se combattra pas de surcroît durant une crise sanitaire par des évolutions, voire des manipulations, techniques, comme le propose le Gouvernement par un amendement tendant à créer un droit à voter de manière anticipée.
M. Philippe Bas. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Notre groupe, comme d’ailleurs une majorité de nos collègues, est indigné, choqué, tant sur la forme que sur le fond, par la méthode du Gouvernement, méprisante, et par cette volonté permanente de remettre en cause la démocratie citoyenne par des artifices de modernité. Je rejoins ainsi les propos de M. le rapporteur.
L’abstention se réduira justement par le débat, par la démocratie, par la conviction que le vote est utile.
Nous ne voterons pas contre ce texte ; nous nous abstiendrons, car il est trop limité pour répondre à l’urgence d’un sursaut démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet du texte qui vous est soumis est devenu un non-sujet, et le sujet qui vous est en réalité soumis n’était pas un objet du texte initial.
Je ne reviendrai pas sur les amendements ni sur la présentation technique du texte : je fais mienne celle que vous avez faite, mes chers collègues, très complète.
Je me limiterai à un focus sur deux dispositions.
D’une part, la dissociation des élections départementales et régionales de l’élection présidentielle, modification apportée en commission et à laquelle notre groupe est très attaché. Ramener au 1er juillet 2021 le début de la période de financement pour l’élection présidentielle nous paraît le moyen le plus simple de bien séparer ces différents scrutins et d’éviter tout débat et tout contentieux ultérieur.
D’autre part, et c’est étonnant, la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel a déjà été modifiée à vingt-trois reprises. Ce soir, ou dans les jours qui viennent, elle le sera donc pour la vingt-quatrième fois. Ces vingt-trois adaptations législatives ont pu porter sur les formulaires de parrainage, sur les règles visant à garantir l’équité et l’égalité, sur le mode de présentation des dépenses, etc.
Cela nous est présenté comme une tradition républicaine. Or j’aurais plutôt tendance à considérer qu’une vraie tradition républicaine consisterait à stabiliser les conditions de l’élection présidentielle et à ne plus toucher, sauf absolue nécessité, à la loi de 1962.
Mes chers collègues, allons directement à l’amendement n° 32 du Gouvernement tendant à instaurer un vote par anticipation pour l’élection présidentielle au moyen de machines électroniques, et ce dans une liste limitée de communes dans chaque département. Chacun le sait, cette disposition n’avait jamais été envisagée dans le texte initial.
Un point de procédure préalable : si vous rejetez tout à l’heure cet amendement n° 32, ce rejet sera définitif, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, stabilisée dans une décision du 29 juin 2000, suivant laquelle « les seuls amendements susceptibles d’être adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire doivent être soit en relation directe avec une disposition restant en discussion, soit dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d’assurer une coordination avec d’autres textes en cours d’examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle ».
Vous constaterez immédiatement que les trois dernières hypothèses ne nous concernent pas. Le point essentiel est bien la notion de « disposition restant en discussion » : dès lors que cet amendement n’a pas été soumis à l’examen de l’Assemblée nationale, il ne peut exister, par définition, de désaccord ou de disposition restant en discussion entre nos deux assemblées. Cela signifie que la règle dite « de l’entonnoir » s’appliquera.
Il nous reste simplement, mes chers collègues, à nous forger une opinion sur cet amendement n° 32. Pour les sénateurs centristes, cet amendement est « abracadabrantesque » et source de désordre. Nous voterons donc très clairement pour son rejet.
Si l’objectif est un effet de faire évoluer notre mode de votation et d’expérimenter un vote par anticipation, la raison voudrait qu’on le fasse à l’occasion d’une élection locale. Les élections départementales et régionales, surtout après leur report au mois de juin, le permettaient, mais cela n’a pas été fait, bien que la proposition ait été présentée au Gouvernement.
Si je devais synthétiser mon point de vue à ce sujet, je dirais que n’est pas le plus conservateur celui qu’on voudrait présenter ainsi…
Si l’objectif était de favoriser la participation, chacun le ferait sien. Nombreux ont été les sénateurs à souhaiter que l’on avance vers le vote par correspondance – et donc vers un vote anticipé –, ou, dans une logique de plus long terme, vers le vote par internet.
Des solutions existent pour le vote par correspondance, même si, je l’admets, elles ne sont pas simples à mettre en œuvre. Accessoirement, elles ont un coût. L’exécutif a fermé la porte à ces solutions de manière très claire. Je le regrette, s’agissant du vote par correspondance.
Si l’objectif était d’intégrer l’hypothèse d’un maintien de la pandémie en mai 2022, l’idée de concentrer le vote par anticipation sur une centaine de bureaux semblerait plutôt aboutir à un résultat défavorable sur le plan sanitaire.
C’est donc peu dire que je ne vois pas de fondement sérieux à cet amendement n° 32.
Au-delà de la forme très inélégante – son apparition subite, sans aucun préalable, sans aucune concertation, sans aucun travail, sans aucune évaluation, sans aucune réflexion commune et, finalement, alors que c’est toujours nécessaire dans un exercice démocratique, sans aucune forme de maturation –, les motifs de son rejet sont multiples.
Je retiendrai essentiellement deux motifs de rejet de cet amendement.
Le premier, c’est la rupture du lien entre le vote et un territoire, cette alchimie qui a habitué nos concitoyens à se retrouver au même endroit pour un vote afin que, au minimum, leurs voix soient décomptées sur un même site, dans un même bureau, généralement dans la même commune.
Le second motif de rejet, c’est la défiance de notre société en général, la société française de 2021 étant un concentré de défiance. Au risque d’une formule un peu excessive, je crois même qu’on pourrait dire que notre pays est malade de cette défiance. L’amendement n° 32 ajoute encore de la défiance, tant les machines à voter ne sont pas intégrées à notre culture démocratique.
Le vote relève de différentes composantes : il y a une dimension culturelle ; il y a une forme de rituel républicain, de rituel individuel, de rituel dans sa dimension collective. Je ne crois pas que, à l’occasion de l’élection présidentielle, il soit sage d’y porter atteinte.
Finalement, l’amendement n° 32 a un mérite : en lien avec les propositions de loi sur l’introduction de la proportionnelle ou d’une part de proportionnelle, il souligne le malaise institutionnel résultant de la concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif. C’est cela le véritable sujet. Cet amendement est plutôt un élément supplémentaire d’inquiétude.
Mais, mes chers collègues, vous comprenez bien qu’il s’agit là d’un autre type de débat, qui intègre l’abaissement du Parlement. C’est non pas une blessure d’ego ou une souffrance personnelle, mais une inquiétude devant les risques d’une confrontation, sur le long terme, bien sûr, entre le Président de la République seul et nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1959, le juriste Georges Burdeau se demandait où était incarné le pouvoir dans la Constitution de la Ve République. Il concluait tout simplement que ce pouvoir, ce pouvoir d’État, était incarné dans le Président de la République, en vertu de son article 5 qui lui donne la capacité d’arbitrage au sein des institutions.
Cela veut dire tout simplement que la révision de 1962 n’a pas été un changement de nature, mais un changement de degré par rapport au pouvoir donné au Président de la République, un virage institutionnel. C’est ce qui fait que nous nous retrouvons là aujourd’hui, tout simplement parce que l’élection du Président de la République ne figure pas dans le code électoral. D’où cet exercice ritualisé que nous exécutons tous les cinq ans.
La vraie question est : « Faut-il continuer à procéder à ce rituel à un moment où nous faisons face à des circonstances exceptionnelles ? » C’est ce que propose la majorité sénatoriale, c’est ce que proposait l’exécutif avant son happening de mardi dernier.
En réalité, même un texte technique reste un texte politique, et persister à le traiter comme un texte technique, c’est simplement faire preuve d’une irrévérence trop forte vis-à-vis de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Cela voudrait dire aussi que, à l’exception de celui-ci, les autres scrutins ne seraient pas importants.
Cela voudrait dire aussi que la sacralisation de l’élection présidentielle ne nous permet pas de procéder à sa modernisation.
Or, me semble-t-il, il faut se garder des idoles, parce que, justement, en adoptant cette attitude, on en vient à intérioriser l’importance définitive de cette élection.
Le texte qui nous avait été proposé initialement était un texte de réglages, sans ambition majeure : une actualisation nécessaire avant chaque scrutin, parce qu’il faut procéder à des renvois vers le code électoral, parce qu’il faut prendre en compte les observations du Conseil constitutionnel.
Le texte qui nous est soumis a subi quelques modifications sur lesquelles je ne reviendrai pas, elles ont été largement évoquées, sans compter les quelques ajouts de la commission des lois : la convocation des électeurs par décret simple, l’actualisation de la liste des parrains, le caractère expérimental de la dématérialisation des comptes de campagne et des « reçus-dons », l’obligation de publication des marges d’erreur par les instituts de sondage – après l’adoption d’un amendement de Jean-Pierre Sueur –, le démarrage de la période de financement de l’élection présidentielle au 1er juillet, rétablissant ainsi une disposition contestée par le Conseil d’État – nous avons d’ailleurs déposé un amendement tendant à la supprimer.
Nous avons également fait quelques propositions : actualiser le parrainage en donnant une nouvelle place aux citoyens dans cette modalité de sélection des candidats ; prévoir la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel ; rendre le financement des campagnes plus transparent.
Viennent enfin les modalités de vote. Je n’entrerai pas dans leur détail, mais, depuis plusieurs mois, et pour le dire simplement, nous avons tout essayé : le vote par correspondance en 2022, le vote par correspondance par expérimentation, le vote par correspondance en 2027…
Nous avons aussi tenté de mettre en place un vote par anticipation, non pas au sens où l’entend le Gouvernement, mais étendant la période de vote au vendredi, au samedi et au dimanche.
Je regrette que la majorité sénatoriale n’ait pas jugé utile de retenir ces suggestions ou, au moins, de montrer qu’elle avait une quelconque volonté en la matière en les sous-amendant. En définitive, il ne faut pas s’étonner que les autres prennent des initiatives quand on refuse d’en prendre soi-même.
Pour finir, je précise, à l’attention du Gouvernement, qui semble suggérer, en feignant de le découvrir et en se parant des habits de la modernité, qu’il est précurseur en la matière, que, depuis neuf mois exactement, nous ne comptons plus le nombre d’amendements visant à moderniser notre droit électoral.
Arrive l’amendement du Gouvernement, qui a un avantage : faire l’unanimité contre lui. Comment tuer une bonne idée potentielle ? Eh bien ! je vais vous donner la réponse : comme ça !
Sur la méthode, cet amendement est tellement bon qu’il n’a besoin ni d’étude d’impact, ni d’un avis du Conseil d’État, ni de concertation. Pour le coup, le Gouvernement a été vraiment « en marche » contre sa majorité à l’Assemblée nationale.
Les délais ne laissent aucune place à la réflexion. Pas d’analyse, pas d’expertise. Il est vrai que la force immanente de ce gouvernement est telle qu’il n’en a pas besoin… Cet amendement tombe du ciel, dans toute sa verticalité jupitérienne, en catimini, à l’issue de la navette parlementaire. Bref, c’est parfait !
Sur le fond, nous avons le sentiment d’une improvisation, d’un grand flou, et quand c’est flou, vous connaissez la suite… (Sourires.)
Cet amendement est structurellement défectueux : il modifie la question de l’anticipation, la question de la déterritorialisation et l’extension du recours aux machines à voter.
Sur l’anticipation du vote, la date est arrêtée par décret. On est tranquilles… De nouveau, les parlementaires sont écartés !
Sur la déterritorialisation, cela a déjà été dit, quelles sont les modalités de mise à jour des listes d’émargement en ce qui concerne le double vote ? Faudrait-il en fait aider un électorat mobile, bien intégré socialement ? Suivez mon regard !…
Sur l’extension du recours aux machines à voter, le moratoire serait levé. Nous ne sommes pas au courant ! Sur quelle base ? Le rapport du Gouvernement prévu dans le texte visant à reporter les élections départementales et régionales sur l’extension des machines à voter, texte adopté définitivement voilà deux jours, n’a donc plus aucun intérêt ? Quel maillage territorial ? Quelle est notre capacité d’approvisionnement ? Qui prendra à sa charge l’achat des machines à voter ? Le maire seul aurait-il la charge de leur sécurisation ? Bref, tout est parfait…
Sur la technique des machines à voter en tant que telle, il y a eu de multiples travaux en la matière. Il existe une certitude : un rapport du Hacking Village de 2019 souligne qu’aucune machine à voter n’est sûre, qu’elle soit en réseau ou non ; dès lors que l’accès à la machine est possible, il existe un doute. L’ensemble des observateurs, même les spécialistes, nous disent que, en la matière, il faut être – passez-moi l’expression – low tech : une enveloppe et un bulletin !
Quelles sont les intentions réelles du Gouvernement ? Pourquoi ce changement de pied ? La lecture de la presse nous a fourni, à vous comme à moi, quelques indices. Le porte-parole du Gouvernement nous a expliqué qu’Emmanuel Macron, candidat, s’était engagé à donner aux Français de plus grandes possibilités de participation. Tout le monde a bien compris qu’il était alors question, bien entendu, du vote par anticipation par machine à voter. C’était évident, il n’y avait pas besoin de sous-titre ! (M. Philippe Bas applaudit.)
C’est en tout cas la traduction que Gérald Darmanin en a faite devant le rapporteur, le même Gérald Darmanin qui nous jurait la main sur le cœur que, en dehors du vote à l’urne, il n’y avait pas de salut !
Si cet engagement était aussi important, alors pourquoi avoir balayé l’ensemble des propositions du revers de la main ?
En fait, ce serait là la manifestation d’une volonté de moderniser le droit électoral et d’anticiper. Stéphane Séjourné, qui a la particularité d’être conseiller spécial du Président et eurodéputé LREM, nous explique doctement que le sujet, c’est la modernisation de notre démocratie.
Christophe Castaner, le responsable de la majorité écrasée dont je parlais tout à l’heure, nous explique que la proposition, au sens où on l’entend, serait effectivement une réponse au contexte sanitaire. Le Gouvernement est en train de se rendre compte, après un an, qu’il faut adapter le droit électoral ! C’est parfait !
L’intention réelle, mes chers collègues, était de tendre un piège grossier au Sénat. Le même Christophe Castaner nous déclare : « On peut rester nostalgiques. Surtout, ne changeons rien : le Sénat nous a habitués régulièrement à cela. »
Soit. Mais je ferai une observation : les propositions, depuis neuf mois, c’est de cet hémicycle qu’elles proviennent, non pas entre deux lectures et en catimini.
En définitive, et on le sait bien, cet amendement n’a pas vocation à aboutir. La vraie difficulté, c’est que les Français retiendront de cette séquence inopportune le sentiment d’un tripatouillage politique, même si ce n’était pas vraiment l’intention.
Je regrette l’apathie du groupe Les Républicains, qui n’a pas pu assumer certaines évolutions du droit électoral. En l’espèce, nous nous contenterons de nous abstenir sur ce texte et sur cette mauvaise initiative du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC.)