M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a beaucoup évoqué la mémoire de Louis Pasteur ces derniers temps. À l’heure où les vaccins sont au centre de toutes les attentions, ce bienfaiteur de l’humanité, gloire de la IIIe République et fierté française, méritait bien ces hommages.
On a moins parlé de René Descartes. À juste titre, car, au cœur du tourbillon de contradictions qui souffle sur notre pays depuis un an, ce chantre de la raison, incarnation de la déduction logique, serait bien en peine de s’y retrouver.
La boussole de la parole publique est devenue baroque. Lundi, l’Élysée dit « rouge » ; mardi, Matignon affirme « bleu » ; mercredi, Ségur nuance « vert ». Trois exemples suffiront à illustrer ce qui n’est malheureusement pas une caricature.
D’abord « faussement protecteur », le masque est devenu « salvateur » et son oubli a valu des dizaines de milliers de verbalisations à un tarif sévère.
Tolérance zéro pour deux clients dans un restaurant, mais feu vert pour cent adolescents dans la cantine d’un collège, ainsi que pour quelques ouvriers du bâtiment dans quelques auberges chanceuses.
Au mois de novembre dernier, on ferme les petits commerces non alimentaires en laissant ouvertes les grandes surfaces. Aujourd’hui, on ferme les grandes surfaces et on laisse ouverts les petits magasins.
Comprenne qui pourra !
« Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis » semble être la devise du Gouvernement. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) Pas sûr, toutefois, que les 66 millions de Français, qui ne sont ni des béni-oui-oui ni des procureurs, apprécient. Un peu de bon sens – « la chose au monde la mieux partagée », selon Descartes – n’a jamais nui.
Permettez-moi, pour terminer, une suggestion, qui ne porte pas sur la territorialisation, car il en a beaucoup été question, mais concerne plusieurs centaines de milliers de jeunes.
Notre hémicycle n’est-il pas comparable à la plupart des amphithéâtres d’université, aujourd’hui désertés, au grand dam des étudiants, qui supportent de plus en plus mal l’isolement auquel on les condamne ? Ne pourrait-on pas permettre aux étudiants ce que l’on autorise aux sénateurs et députés,…
M. Roger Karoutchi. Allons bon ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. … à savoir se réunir à demi-effectif ?
Doit-on considérer nos jeunes comme irresponsables et incapables de respecter un minimum de précautions sanitaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, il y a une autre citation de Descartes que j’aime beaucoup : « Le risque d’ennuyer, c’est de vouloir tout dire. »
Je ne répondrai pas de façon complète à cette question, qui appelle des arguments scientifiques et qui me conduirait à faire un rappel historique de toutes les décisions qui ont été prises depuis le début de la crise sanitaire et des raisons pour lesquelles elles l’ont été.
Monsieur le sénateur, à la rentrée universitaire, les universités ont été ouvertes, puis des clusters se sont formés, entraînant des fermetures d’amphithéâtres, puis de facultés. J’ai d’ailleurs eu à répondre ici à quelques questions – je pense même qu’elles venaient de vos travées – pour savoir si cela faisait encore sens de laisser les universités ouvertes, dès lors que l’on était obligé de les fermer le lendemain de leur ouverture, parce qu’il y avait des clusters.
Comme vous l’avez dit, on peut changer d’avis…
M. Olivier Paccaud. Oui !
M. Olivier Véran, ministre. Nous nous adaptons à la situation sanitaire.
Voici ce qui est important à mon sens. Un, il faut soutenir les étudiants. Deux, il est fondamental de leur permettre de reprendre une vie la plus normale possible. Trois, on ne peut pas le faire complètement pour des raisons que chacun peut comprendre. Quatre, on donne la priorité à ceux qui sont le plus en difficulté, c’est-à-dire les étudiants de première année et ceux qui sont vraiment en difficulté pédagogique. Cinq, on a permis à un contingent d’étudiants de commencer à revenir dans les universités, en faisant attention à ce qu’ils ne soient pas très nombreux.
Je note, monsieur le sénateur, sans vouloir vous taquiner, que l’on est ici très loin ici d’un amphithéâtre bondé d’étudiants… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias proteste également.)
M. Olivier Paccaud. Tout à l’heure, nous étions à mi-effectif !
M. Olivier Véran, ministre. De surcroît, pour le Sénat comme pour l’Assemblée nationale, le fonctionnement à distance est très compliqué, en raison de la nature même du vote. Je pense que vous le comprenez.
Nous devons véritablement tout faire pour permettre aux étudiants de retrouver une activité universitaire la plus normale possible. Il faut les soutenir. Personne ne doit être abandonné. Pour cela, il faut être capable de prendre des décisions au bon moment et c’est pour cette raison que l’on a sollicité la confiance des sénateurs pour prolonger l’état d’urgence sanitaire, de manière à ne pas baisser la garde.
M. Laurent Duplomb. Tout va très bien, madame la marquise !
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Je salue en tout premier lieu le travail considérable mené par les membres de la commission d’enquête, qui a abouti à un rapport de plus de 450 pages.
Trois constats implacables se dégagent de la dizaine de grands chapitres du bilan : retard, impréparation, aveuglement du Gouvernement.
Face à ces constats, la commission d’enquête a formulé un certain nombre de propositions.
Comme nous le savons tous, la crise sanitaire a touché de plein fouet les plus vulnérables d’entre nous. Face au covid-19, les personnes âgées cumulent des fragilités, physiques autant que psychologiques. Les premières conséquences du confinement observées sur le terrain, dans mon département comme ailleurs, sont sans appel : anorexie et amaigrissement, déclin cognitif accéléré, majoration de troubles du comportement, tristesse, etc.
Parmi les recommandations de nos rapporteurs, nous retiendrons le renforcement des outils de gestion des risques en établissements médico-sociaux, l’élargissement du plan Bleu, conçu à l’époque pour le risque canicule, la systématisation de l’élaboration des plans de continuité de l’activité (PCA) ou encore l’intégration automatique des Ehpad et des autres établissements sociaux et médico-sociaux aux exercices annuels organisés sur la gestion des risques.
Enfin, il conviendrait d’accroître la couverture des Ehpad par des médecins coordonnateurs, de donner à ces derniers un rôle plus affirmé de chef d’orchestre des prises en charge externes, mais aussi d’accélérer le déploiement des infirmières de nuit afin de renforcer la surveillance nocturne des résidents.
Monsieur le ministre, le Gouvernement aura-t-il à cœur, dans sa sagesse, de retenir les préconisations de bon sens de cette commission d’enquête ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, la médicalisation de la gouvernance dans les Ehpad est une donnée importante. Nous avons constaté que, là où elle était bien avancée, elle était fonctionnelle.
Nous avons fait appel à l’hospitalisation à domicile, peu fréquente dans les Ehpad. Nous avons numérisé ces établissements : la transformation numérique s’est opérée très rapidement, tout en conservant des communications pour les personnes isolées. Nous avons fait passer beaucoup plus d’acteurs hospitaliers qu’auparavant dans les Ehpad.
Nous avons également structuré des filières de prise en charge en urgence de malades du covid-19 en Ehpad pour pouvoir les admettre dans des structures hospitalières. Nous avons transformé des lits de réadaptation et de soins de suite, notamment dans le secteur privé, pour les affecter aux personnes âgées victimes du covid-19.
Ce sont toutes ces actions que vous omettez de rappeler quand vous affirmez que nous n’avons rien anticipé et que nous avons tout raté. Pourtant, c’est bien le résultat de la mobilisation non pas du ministre, mais de milliers de soignants depuis un an pour faire en sorte que les gens ne meurent pas dans de mauvaises conditions en Ehpad. Cette mobilisation se poursuivra !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Je remercie d’abord l’ensemble des collègues qui ont participé à la mission de contrôle dans le cadre de cette commission d’enquête sur la gestion de la crise covid-19, qui dure malheureusement toujours. Ils ont accompli un travail minutieux et complet qui a permis de mettre en lumière les causes de l’impréparation de nos politiques publiques face à la crise sanitaire et de révéler un certain nombre de difficultés, voire de dysfonctionnements de notre système de santé.
Monsieur le ministre, j’évoquerai le problème récurrent de la démographie médicale.
Au pic de la crise du covid-19, des infirmières issues d’autres spécialités ont dû se former en urgence aux gestes de réanimation. Des internes de première année ont assumé des responsabilités de niveau troisième ou quatrième année. J’ajoute que l’on manque de médecins et de spécialistes et que des départs à la retraite ne sont pas compensés. On constate un vieillissement de la population, des exigences de plus en plus fortes des patients et les besoins de santé sont appelés à augmenter.
Le problème de la démographie médicale touche tous les territoires, notamment les plus ruraux, et concernerait une commune sur trois. Tous les trois ans est présenté un projet de loi santé ou un plan gouvernemental traitant en partie de cette question. Pourtant, le nombre de Français privés de médecin traitant atteindrait près de 7,5 millions de personnes, soit 11 % de la population. C’est un véritable sujet d’inquiétude pour nos concitoyens et pour les élus.
La campagne de vaccination débute, mais elle n’est pas accessible aux patients qui n’ont pas bénéficié d’une consultation médicale. Comment feront tous ceux qui n’ont pas de médecin traitant ? Comment mener une campagne efficace dans ces territoires qui sont loin des hôpitaux et des centres de vaccination ?
Le rapport de la commission d’enquête fait état d’une logique française hospitalo-centrée : « Si les lacunes de la liaison ville-hôpital se sont faites cruellement sentir, des initiatives de coopération entre acteurs, souvent isolées, sont des atouts sur lesquels capitaliser. » L’organisation des soins doit donc s’établir en collaboration avec les élus locaux et la médecine de ville pour répondre aux besoins des territoires et à la demande des patients dans le cadre d’un parcours de soins.
Monsieur le ministre, quelles solutions proposez-vous pour assurer une meilleure répartition des professionnels de santé sur le territoire ? Quelles sont les perspectives pour permettre un accès aux soins à tous les citoyens ? Comment envisagez-vous la participation des élus locaux dans la gouvernance du système de santé ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je ne pourrai pas répondre à la question de la démographie médicale en deux minutes. Je m’attacherai plutôt à la reformuler. Comment faire, par exemple dans votre beau département de la Mayenne, pour s’assurer qu’une personne isolée puisse bénéficier de la vaccination ?
Plusieurs éléments entrent en ligne de compte.
D’abord, j’ai signé un décret permettant le remboursement du transport sanitaire pour se faire vacciner en centre jusqu’au 31 mars prochain. Ce dispositif sera prolongé si besoin.
Ensuite, j’ai mentionné le Gers pour mettre en avant les vaccinobus et les barnums de vaccination, qui peuvent être mis en place par les professionnels de santé, avec l’appui, voire l’impulsion des collectivités. Cela marche aussi.
Enfin, il y a toutes les démarches « d’aller vers ». À l’aide des fichiers canicule des collectivités, on appelle les personnes âgées isolées et fragiles chez elles pour leur demander si elles ont le moyen d’aller se faire vacciner ou s’il faut les vacciner à domicile. Nous publierons bientôt un guide sur la vaccination à domicile. Des équipes se sont déjà mobilisées et ont monté des structures ambulantes pour aller vacciner des gens très fragiles à leur domicile.
En l’occurrence, un recueil de 50 pages pour expliquer aux soignants comment soigner et aux élus comment ils peuvent aider les soignants ne me semble pas nécessaire. Ils se parlent dans leur département. Je ne sais pas si vous avez participé au comité de vaccination départemental de la Mayenne, en présence du préfet de département, du délégué départemental de l’ARS, des élus locaux, des représentants de l’Ordre des médecins, des syndicats, de l’hôpital, mais je peux vous le dire : quand on cherche, on trouve ! Il y a plein d’idées, d’innovations, accompagnées financièrement par l’État à travers les ARS, qui, finalement, ne sont pas si critiquées que cela sur le terrain.
Conclusion du débat
M. le président. Pour conclure ce débat, la parole est à M. le président de la commission d’enquête.
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête. « L’heure n’est pas encore au bilan », a indiqué le ministre de la santé en réponse aux premiers orateurs de notre débat. C’est sans doute pourquoi sa réponse a été si brève, témoignant à l’évidence d’une certaine lassitude à devoir rendre compte devant le Parlement, malgré l’amour proclamé à son endroit. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI – M. Bernard Jomier s’esclaffe.)
Monsieur le ministre, vous avez cité Churchill. Permettez-moi de vous citer Shakespeare : « Il n’y a pas d’amour ; il n’y a que des preuves d’amour. » Répondre aux parlementaires peut en être une.
J’ai recensé vingt-quatre convocations devant le Parlement en un an, soit deux par mois, c’est-à-dire une fois par mois dans chaque chambre. Voilà qui ne me semble pas suffisant pour nous lasser, pour vous lasser, surtout quand on aime…
Je regrette notamment que vous n’ayez pas répondu sur la question de l’isolement, question qui me semble encore ouverte, et, plus généralement, sur la stratégie « tester, tracer, isoler » et les raisons pour lesquelles elle est devenue « tester, alerter, protéger ».
Sur la recherche, qu’elle soit publique ou privée, la question du financement est posée. La société française Valneva a trouvé des financements britanniques, les Allemands ont su financer des biotechs, mais la France ne parvient pas à financer les siennes et, surtout, à fidéliser ses chercheurs.
La temporalité a été évoquée, monsieur le ministre, ainsi que le temps long. J’entends ces arguments, mais, au printemps dernier, les Français n’ont pas compris pourquoi, en dépit des déclarations du Gouvernement, ils n’avaient pas de masques. Il était de notre devoir – et je ne dis pas seulement du vôtre – de chercher à comprendre, d’autant que, dans ce domaine, la stratégie et le discours ont clairement été dictés par les capacités.
Sur ce dossier, le timing de la commission d’enquête, à l’issue de la première vague, était le bon : nous ne parlons plus de masques aujourd’hui.
Non, monsieur le ministre, sur les masques, la commission d’enquête ne s’est pas focalisée sur un nombre ; elle a proposé une méthode et un schéma d’organisation, ce qui est très différent. Je récuse l’accusation de politique politicienne. Vous n’en trouverez pas trace dans le rapport.
Par ailleurs, j’entends bien que les tests sont gratuits, mais cela ne rend pas pour autant leur usage efficace pour casser les chaînes de contamination.
Nous ne tirerons les leçons de la crise qu’à condition d’accepter d’entrer dans la logique du débat. À l’évidence, ce travail reste à faire.
Fort heureusement, et je vais rebondir sur une réponse que vous avez donnée sur un ton un peu énervé…
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête. Fort heureusement, monsieur le ministre, le contrôle de l’action du Gouvernement et de l’administration ne se fait pas uniquement devant les tribunaux.
La commission d’enquête n’a jamais – et je dis bien jamais – appelé à traduire quiconque devant une cour de justice. Elle a seulement appelé à changer un mode de fonctionnement : une véritable agence sanitaire ne voit pas ses conclusions modifiées par le directeur d’une administration centrale.
Tel est le sens de nos recommandations et je n’accepterai pas, sur ce sujet en particulier, de caricature. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
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Fonctionnement des universités en temps covid et malaise étudiant
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Le fonctionnement des universités en temps covid et le malaise étudiant. »
Dans le débat, la parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l’épidémie de covid-19 sévit depuis bientôt un an en France, une partie des victimes indirectes reste largement oubliée : les étudiants.
Devant la situation très préoccupante qu’ils vivent quotidiennement et l’absence de réaction suffisante du Gouvernement, nous avons souhaité mettre ce sujet à l’ordre du jour. Nous voulons alerter et proposer des mesures rapides et concrètes, face à la montée de la précarité et des risques psychosociaux qui épuisent notre jeunesse.
Cela fait plusieurs semaines que les témoignages affluent. Les étudiants et les étudiantes veulent se faire entendre et nous disent combien leur situation s’est dégradée matériellement et, plus inquiétant encore, mentalement.
La crise sanitaire a fait ressortir l’état de délabrement déjà existant des universités. La question est posée : que pouvons-nous proposer à nos jeunes pour améliorer leurs conditions de vie et d’études, particulièrement dans le contexte sanitaire actuel, mais aussi à plus long terme ? Quelles perspectives voulons-nous offrir à notre jeunesse ?
Les chiffres publiés ces derniers mois sont effrayants : selon un sondage de la Fondation Abbé-Pierre, 20 % des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire au cours de la crise sanitaire. La moitié des étudiants font état de difficultés à payer leurs repas et leur loyer.
Depuis des années, la précarité étudiante ne fait que se renforcer, face à une augmentation du coût des études et à l’extrême cherté du logement, qui représente en moyenne 70 % du budget d’un étudiant. Alors que seulement 36,8 % des étudiants ont touché des bourses sur l’année scolaire 2019-2020, celles-ci ne permettent souvent pas de vivre sans travailler à côté. Or le cumul entre études et emploi est la première cause d’échec à l’université.
À cette précarité grandissante s’ajoute le poids de l’isolement devant les écrans. Il en résulte un enseignement désincarné, sans contact humain, face auquel les étudiants peinent à suivre le rythme et à conserver leur motivation.
Pour beaucoup, c’est la même journée qui se répète, comme en témoigne Marva, étudiante à Toulouse : « Réveil à 7 heures 30, 8 heures d’écran par jour, repas, révisions, dodo. Au début, on se dit que ça va aller, et puis on finit par craquer. » Selon une étude réalisée auprès de 70 000 étudiants lors du premier confinement, 43 % des étudiants sont affectés par un trouble de santé mentale comme l’anxiété ou la dépression. Face à cela, les services de santé universitaire sont totalement saturés.
Tout cela engendre un manque de perspective pour les étudiants. Les risques de décrochage ou de non-validation de l’année universitaire les inquiètent, mais aussi les stages annulés, l’entrée sur un marché du travail tendu ou encore l’impossibilité de partir étudier à l’étranger. À un âge où, d’habitude, l’on prend son envol, de nombreux étudiants sont rentrés chez leurs parents.
Pour les enseignants, cette situation est également très difficile. Comment donner des cours interactifs face à une mosaïque d’écrans noirs ? Comment intéresser des étudiants qu’ils n’ont parfois jamais rencontrés et dont ils devinent les difficultés sans avoir pour autant les moyens de les identifier et de les aider ?
Le personnel administratif est lui aussi obligé de faire et défaire depuis des mois, pour organiser les emplois du temps, en distanciel, puis en présentiel, tout en respectant des directives changeantes et imprécises, qui ne sont pas forcément adaptées aux réalités du terrain.
Il faut avouer que le décalage entre les protocoles sanitaires nous interpelle. Les commerces et les écoles sont restés ouverts ; les étudiants en classes préparatoires et en BTS suivent des cours normalement. Il y a une différence de traitement évidente et les étudiants à l’université se sentent, à juste titre, laissés pour compte.
Les mesures sociales d’urgence arrivent au coup par coup : quelques centaines d’euros par étudiant, selon leur profil, avec un interlocuteur chaque fois différent – la caisse d’allocations familiales (CAF), le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), Pôle emploi, etc.
La mise en place du ticket de restaurant universitaire à 1 euro pour tous est une très bonne chose, mais je me suis inquiétée de sa mise en œuvre lors de votre venue à l’université de Bordeaux, madame la ministre, le lundi 1er février dernier. Seuls 10 restaurants universitaires étaient ouverts sur 27 et il était impossible de prendre les repas sur place. Sous la pluie, les étudiants se regroupaient dans des voitures, alors que la surface du restaurant universitaire aurait permis de mieux respecter les gestes barrières. Là aussi, les ordonnances venues d’en haut étaient aveugles à la réalité du terrain, créant des risques sanitaires supplémentaires qui doivent être évités. Depuis votre annonce, vendredi dernier, permettant la restauration sur place, je suis soulagée, mais, encore une fois, cela aurait pu être envisagé plus tôt !
D’autres mesures sont positives, bien sûr, telles que la création de jobs étudiants, le recrutement d’assistantes sociales et de professionnels de santé universitaire ou encore le chèque de santé mentale, même si la démarche pour en bénéficier est compliquée.
À l’université Bordeaux-Montaigne, on ne compte qu’une seule infirmière pour 18 000 étudiants et une seule embauche de psychologue. On est loin du doublement annoncé !
Selon la totalité des collectifs et syndicats étudiants que nous avons rencontrés, ces mesures sont loin d’être suffisantes. En effet, la covid-19 a aggravé une situation qui était déjà critique en matière de pauvreté des étudiants, d’échec à l’université et de manque de moyens généralisé.
À quand une réponse structurelle à ce problème, pour donner à tous les étudiants les meilleures conditions pour réussir leurs études ?
Dans les pays scandinaves, chaque étudiant perçoit une allocation individuelle, indépendamment du revenu de ses parents, pour lui permettre de se consacrer sereinement à ses études et de prendre son autonomie. Certes, une telle mesure a un coût, comparable à celui du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou de la suppression de la taxe d’habitation, mais ce ne serait pas tant un coût qu’un investissement dans la réussite des jeunes ; un investissement, aussi, pour casser le déterminisme social, cette plaie qui mine notre société française au système scolaire inégalitaire.
Avec l’allocation d’autonomie, on reconnaît les étudiants comme des adultes à part entière. C’est aussi un autre rapport qui se noue entre l’État et ces jeunes, un rapport fondé sur la confiance. Madame la ministre, nous vous demandons solennellement d’entamer une véritable réflexion sur ce sujet.
Désireux de s’inscrire dans une démarche constructive et durable, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont écrit un courrier au Premier ministre, qui vous a été également transmis.
Dans ce courrier, nous appelons à un plan massif d’investissement dans les universités, pour soutenir la jeunesse sur le court et le long terme, autour des grands axes suivants.
Cela passe par l’égalité de traitement entre tous les étudiants, qu’ils soient en classes préparatoires aux grandes écoles, en BTS ou à l’université, comme par le retour en cours à 50 % des étudiants, avec des moyens humains et techniques pour permettre un dédoublement des groupes et des cours hybrides – cours présentiels diffusés aussi à distance –, en faisant confiance à la communauté universitaire pour s’organiser au mieux, en fonction des contraintes et des possibilités du contexte.
Cela passe aussi par une sécurité financière accrue, avec une aide d’urgence pour tous les étudiants, ainsi qu’une revalorisation significative des bourses et de l’aide personnalisée au logement (APL), comme par des investissements sanitaires massifs dans les locaux universitaires, en matière de ventilation et d’équipement numérique.
Cela passe encore par l’inclusion de tous les étudiants, avec une adaptation des examens à la situation sanitaire et l’assurance qu’aucun étudiant ne sera pénalisé en raison de l’épidémie.
Cela passe également par une politique de recrutement sanitaire ambitieuse, pour garantir un nombre suffisant d’assistantes sociales et de professionnels de santé auprès des étudiants – pour le moment, le compte n’y est pas ! –, comme par une politique de santé mentale d’urgence, avec le remboursement sans avance de frais des consultations de psychologie de ville.
Cela passe enfin, sur le plus long terme, par la création d’une allocation d’autonomie pour tous les étudiants.
Madame la ministre, nous connaissons les efforts financiers importants que le Gouvernement a consentis depuis le début de la crise. Aujourd’hui, nous vous demandons de continuer ces efforts envers notre jeunesse et d’entendre réellement ses cris d’alarme.
Les mesures que nous appelons de nos vœux sont des investissements nécessaires et non des dépenses inutiles. Investissons dans notre avenir, investissons dans notre jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, dans cet hémicycle, nous alertons le Gouvernement sur les conditions de vie et d’études de nos étudiants. Je remercie nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux.
À chaque prise de parole, les mêmes mots reviennent comme une insupportable antienne : angoisse, désespoir, solitude, isolement, précarité.
L’Observatoire national de la vie étudiante décrivait, dès avant le second confinement, une nouvelle dégradation des conditions d’études et de santé : 31 % des étudiants présentaient déjà des signes de détresse psychologique.
Signe que ce sujet demeure prégnant, les commissions d’enquête, les missions d’information et les débats se multiplient à l’Assemblée nationale comme au Sénat afin de trouver des solutions à la crise que les étudiants traversent, une crise dont les emmurés de vingt ans subissent pleinement les effets sans en être pour autant les victimes directes.
Bien évidemment, on peut saluer les annonces du Président de la République, quoiqu’elles aient été tardives : l’accès aux repas à 1 euro du Crous et à une consultation gratuite auprès d’un psychologue ou encore la reprise partielle des enseignements en présentiel. Ces mesures donnent une bouffée d’oxygène, elles évitent la catastrophe.
Madame la ministre, est-ce pour autant suffisant ? Je ne le crois pas.
Nos étudiants ne veulent pas que l’on s’apitoie sur leur sort. Ils veulent savoir où on les conduit.
Je crois en effet que l’une des principales causes de ce mal-être est bien l’angoisse générée par un pilotage à vue, où l’on ne sait la veille si l’on pourra aller en cours le lendemain et où l’on suscite des espérances sans parvenir à y répondre.
Ainsi, au début du mois de décembre dernier, à la suite d’alertes répétées lancées par la communauté universitaire, le Premier ministre évoquait la tenue d’enseignements à 100 % présentiels au début du mois de février. Le 14 janvier dernier, c’est une reprise des enseignements à 50 % qui se dessinait, uniquement pour les travaux dirigés et les apprentis. Aujourd’hui, la jauge est fixée à 20 % maximum. Comment voulez-vous que l’on s’y retrouve ?
Les étudiants, les enseignants et le personnel universitaire sont usés par cette incapacité à tracer des perspectives et à s’y tenir. Lassés, ils demandent désormais le maintien des conditions actuelles d’enseignement pour le second semestre afin d’éviter une énième mise à jour de leur protocole sanitaire. Ce n’est pas qu’ils soient fans des dernières mesures ; simplement, ils souhaitent que l’on n’en change plus. Ils ont raison.
Cette angoisse se nourrit également d’incompréhensions et de découragement. Comment comprendre la différence qui est faite entre les étudiants des classes préparatoires aux grandes écoles et des sections de technicien supérieur d’un lycée, d’une part, et ceux des universités, d’autre part ? Au-delà, comment les uns et les autres peuvent-ils comprendre qu’ils paient un si lourd tribut à la gestion d’une épidémie qui ne les affecte qu’à la marge ? Comment peuvent-ils envisager leur avenir, quand leur vie et les outils nécessaires à leur construction sont mis sous cloche ?
Aujourd’hui, ils se sentent non essentiels, lâchés et abandonnés par la génération du « Il est interdit d’interdire », celle-là même qui leur interdit de sortir après dix-huit heures.
Je ne nie pas la nécessité de respecter sur les campus comme ailleurs les indispensables gestes barrières. Je dis simplement qu’un peuple majeur et sa jeunesse ont besoin d’explications et de cap. Je dis simplement que les universités et les établissements d’enseignement supérieur ont besoin de la confiance du Gouvernement. Je dis qu’ici comme ailleurs nous sommes victimes d’une gestion par trop centralisée.
Il est donc impératif de laisser de la marge aux universités, pour qu’elles s’organisent dans l’objectif d’accueillir autant d’étudiants que possible. Il est impératif de leur permettre d’évaluer, site par site, leur capacité d’accueil afin d’établir des jauges adaptées.
La nouvelle jauge de 20 % n’est-elle pas en effet contreproductive, quand les salles ou les sites sont suffisamment grands pour accueillir plus de 20 % d’étudiants tout en respectant la distanciation nécessaire ? Permet-elle suffisamment d’optimiser le nombre de personnes dans les 18,5 millions de mètres carrés des locaux universitaires ?
Ici comme ailleurs, madame la ministre, il est temps de faire confiance aux universités et de vous appuyer sur leur agilité et leur proximité pour redonner espoir et confiance en leur avenir aux jeunes de ce pays.
Voilà, madame la ministre, les interrogations que je vous livre. Au-delà des mesures d’accompagnement annoncées par le Président de la République, envisagez-vous de faire confiance au terrain et de lui donner de la liberté, pour qu’il puisse s’adapter aux réalités ? Faites confiance aux responsables des universités et des établissements d’enseignement supérieur ! Ils sont, sur le terrain, mieux armés pour lutter contre ce terrible mal-être qui ébranle la jeunesse de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)