Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers, Mme Patricia Schillinger.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
aides à l’agriculture biologique
M. Joël Labbé ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Alain Marc ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Alain Marc.
modification de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains
M. Philippe Dallier ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Philippe Dallier.
M. Jean-Pierre Moga ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.
évolution de la carte scolaire
Mme Céline Brulin ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; Mme Céline Brulin.
M. Martin Lévrier ; Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
M. Rachid Temal ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Rachid Temal.
M. Jean-Yves Roux ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité.
installation d’une zone à défendre au triangle de gonesse
M. Arnaud Bazin ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Arnaud Bazin.
prescription des faits de pollution au chlordécone
Mme Victoire Jasmin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Victoire Jasmin.
M. Hugues Saury ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Hugues Saury.
moratoire sur la fermeture des classes en milieu rural
M. Philippe Bonnecarrère ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; M. Philippe Bonnecarrère.
lutte contre les violences entre bandes de jeunes
M. Étienne Blanc ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Étienne Blanc.
M. Serge Mérillou ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
ouvertures et fermetures de classes
Mme Catherine Belrhiti ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; Mme Catherine Belrhiti.
réouverture des lieux culturels
M. Jean-Marie Janssens ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
Conclusions de la conférence des présidents
4. Évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion. – Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
Mme Angèle Préville ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Angèle Préville.
Mme Martine Berthet ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
Mme Colette Mélot ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Colette Mélot.
M. Guillaume Gontard ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Bernard Fialaire ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
Mme Cathy Apourceau-Poly ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Jocelyne Guidez ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
Mme Victoire Jasmin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-François Husson ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-François Husson.
M. Vincent Delahaye ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Vincent Delahaye.
Mme Michelle Meunier ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Étienne Blanc ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Paccaud ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Yves Bouloux ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Guillaume Chevrollier ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête
Suspension et reprise de la séance
5. Fonctionnement des universités en temps covid et malaise étudiant. – Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
6. Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays. – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
Naturellement, vous n’oublierez pas les réflexes de protection sanitaire : les entrées et sorties de la salle des séances devront s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle, à l’exception de celles des membres du Gouvernement, lesquels entreront et sortiront par le devant, en étant attentifs aux gestes barrières.
Enfin, je remercie nos collègues qui ont accepté de s’installer dans les tribunes pour que nous puissions respecter la jauge de présence dans l’hémicycle.
aides à l’agriculture biologique
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Joël Labbé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Ce mardi, la Fondation Nicolas Hulot a présenté une étude faisant état du manque de cohérence entre les financements publics agricoles et les objectifs affichés de réduction des pesticides. Ces résultats ont déjà suscité une polémique. Or ma question, qui ne se veut pas polémique, n’appelle pas non plus une réponse polémique.
L’impression de manque de cohérence recoupe d’autres constats dressés dans plusieurs rapports récents, comme celui de la Cour des comptes, qui jugeait en 2020 la PAC inégalitaire et source d’effets pervers, notamment pour ce qui concerne la consommation de pesticides, ou encore celui de France Stratégie, qui propose de réformer la PAC, afin de diminuer l’utilisation d’intrants, et de procéder à un réel ajustement entre aides publiques et efforts consentis par les agriculteurs pratiquant l’agroécologie.
Ce constat d’un véritable déficit d’accompagnement est ressenti par un nombre croissant d’agriculteurs, qui seraient prêts à changer leurs pratiques, mais qui se sentent insuffisamment soutenus financièrement, dans un contexte de course aux prix bas imposée par le secteur agroalimentaire et la grande distribution, mais aussi de concurrence déloyale de produits importés ne respectant pas les normes européennes et françaises.
Monsieur le ministre, je souhaite vous poser trois questions.
Tout d’abord, prévoyez-vous, dans le futur plan national stratégique, d’augmenter le budget destiné à rémunérer l’agriculture biologique, dont la performance économique, sociale et environnementale est avérée ?
Ensuite, en ce qui concerne les dotations jeunes agriculteurs, comment profiter de ce moment de renouvellement des générations pour accélérer la transition vers l’agroécologie ?
Enfin, allez-vous intégrer dans le plan stratégique la question des importations scandaleuses ne respectant pas nos normes ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Labbé, il est impératif de cesser d’opposer agriculture et environnement, car c’est à la fois injuste et totalement aberrant. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et Les Républicains.)
Les agriculteurs vivent de l’environnement. Ils chérissent la terre et protègent le sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les agriculteurs, contrairement à l’image que certains cherchent à véhiculer, réalisent cette transition : sur la totalité de la période, les ventes de ces produits ont baissé globalement de 36 %, et de 70 % pour les plus dangereux. Telle est la réalité, monsieur le sénateur !
Je le rappelle, après les océans, c’est le sol qui capte le plus de carbone sur notre planète, davantage encore que la forêt. Ceux qui agissent aujourd’hui pour lutter avec efficacité contre le changement climatique, ce sont nos agriculteurs. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) Mais cela, personne ne le dit.
Cessons d’opposer agriculteurs et environnement. Cessons aussi d’être dans l’injonction, qui plus est à l’égard de personnes travaillant en moyenne 55 heures par semaine – ce n’est pas moi qui l’affirme, mais l’Insee –, pour accomplir la noble mission de nourrir le peuple français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.) Voilà la réalité, monsieur le sénateur !
Enfin, il faut non pas opposer agriculture et environnement, mais tenir une ligne de conduite claire, celle de la création de valeur pour protéger l’environnement et nos agriculteurs.
M. Pierre Cuypers. Très juste !
M. Julien Denormandie, ministre. Il faut oser dire que le compte de résultat de nos agriculteurs est important. On ne fera pas de transition agroécologique sans agriculteurs ; on n’aura pas d’agriculture sans agriculteurs.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Julien Denormandie, ministre. Il n’existe au monde aucune nation forte sans agriculture forte, monsieur le sénateur. Préservons-la, accompagnons-la et soyons-en fiers ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
crise sanitaire
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
La France a adopté une attitude modulée de lutte contre la pandémie, au lieu d’un confinement brutal. Cette décision a été bien accueillie, mais elle pose un certain nombre de questions que j’aimerais vous présenter sous la forme d’un QCM. Cela vous rappellera peut-être, monsieur le ministre, l’heureux temps de vos études de médecine sans covid. (Sourires.)
Premièrement, avez-vous réfléchi à une stratégie vaccinale pour les personnes âgées de 65 à 74 ans, sachant que la Haute Autorité de santé ne recommande pas de vacciner cette population avec le vaccin d’AstraZeneca ?
Deuxièmement, la Bavière impose désormais l’usage des masques FFP2 dans les transports en commun.
La plupart des scientifiques semblent penser que c’est une précaution superfétatoire. Toutefois, à la suite de la recommandation du Haut Conseil de la santé publique d’abandonner les masques en tissu de mauvaise qualité et de leur prohibition dans les écoles, envisagez-vous de généraliser l’interdiction des masques en tissu de catégorie 2, au profit des masques chirurgicaux ?
Troisièmement, le Gouvernement a annoncé le déploiement prochain de tests salivaires en milieu scolaire, au retour des vacances d’hiver.
Prévoyez-vous de rendre ces tests accessibles à l’ensemble de la population, notamment sous la forme d’autotests ? En effet, des start-up françaises – j’ai rencontré quelques-uns de leurs responsables ce matin – ont développé des tests salivaires, validés par la Haute Autorité de santé, qui doivent être lus par un professionnel de santé. Certaines de ces start-up seraient rapidement capables de développer des autotests salivaires, qui permettraient de tester massivement la population française à domicile.
Le Gouvernement est-il prêt à soutenir cette démarche française de tests salivaires et d’autotests ? Dans quelles conditions ces derniers pourraient-ils être généralisés et pris en charge par la sécurité sociale ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Alain Marc, vous m’avez posé des questions précises, auxquelles je vais m’efforcer de répondre le plus précisément possible.
Pour les personnes âgées de 65 à 74 ans, ce sont plutôt les vaccins à ARN messager de Pfizer, Moderna et CureVac, quand ce dernier aura été validé, qui seront proposés. Comme vous l’avez souligné, le vaccin d’AstraZeneca n’est pas recommandé à ce stade. Toutefois, si les données scientifiques devaient évoluer dans le bon sens, la donne pourrait évidemment changer.
Logiquement, d’ici à la fin mars ou tout au début du mois d’avril, la totalité de la population cible âgée de 75 ans et plus aura été vaccinée. Nous pourrons alors ouvrir la vaccination aux personnes de la tranche d’âge suivante, par ordre décroissant, c’est-à-dire les 65-74 ans.
Votre deuxième question portait sur les masques. Vous l’avez dit, le Haut Conseil de la santé publique demande que l’on n’utilise plus les masques faits maison, non parce qu’ils sont de mauvaise qualité, mais parce que les Français les ont généralement fabriqués eux-mêmes, en essayant de suivre les normes Afnor, dont le degré de filtration ne dépasse pas 90 %.
En revanche, les masques FFP2, les masques chirurgicaux et les masques grand public de catégorie 1 – soit près de 100 % des masques que l’on peut trouver dans le commerce – ont une filtration de 90 % ou plus. Il n’y a pas lieu d’imposer le port du masque FFP2. Du reste, une seule région allemande l’a fait ; ailleurs, cette solution n’a pas été retenue.
Votre troisième question portait sur les tests salivaires et leur accessibilité à la population, et j’y réponds par l’affirmative. J’attends ce soir les recommandations de la Haute Autorité de santé, avec des méthodes d’analyse en PCR particulières. Les laboratoires se préparent. Nous travaillons avec eux depuis des semaines.
Ces tests seront proposés en priorité aux enfants dans nos écoles, de manière à pouvoir identifier, sans désagrément pour eux, des cas positifs, donc protéger et préserver l’école dont nous souhaitons qu’elle puisse rester ouverte le plus longtemps possible. Les premiers tests salivaires seront menés demain par les hôpitaux de Paris. Dès la mi-février, nous en ferons de 200 000 à 300 000 par semaine.
Enfin, s’agissant des autotests, hélas, monsieur le sénateur, il y a un problème : leur sensibilité varie de 11 % à 40 % pour les meilleurs d’entre eux. Si vous jetez une pièce en l’air, vous avez donc plus de chance de savoir si vous êtes positif ou négatif… La recherche continue, en France et ailleurs. À ce jour, aucun pays européen n’utilise réellement ces autotests. Les Japonais déploient un certain nombre d’autotests. Nous travaillons avec eux.
M. le président. Il faut conclure.
M. Olivier Véran, ministre. Croyez-moi, dès que nous en aurons, nous les utiliserons. Cela changera les règles du jeu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.
M. Alain Marc. Des start-up françaises, notamment dans la région Occitanie, sont en train de travailler sur ces tests.
J’espère que vous serez attentifs, monsieur le ministre, non pas à leurs doléances, mais à leurs résultats,…
M. Alain Marc. … qui ne me semblent pas si mauvais.
modification de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Ma question s’adresse à Mme la ministre du logement.
Les chiffres sont tombés, et ils sont très mauvais : le nombre de logements sociaux financés en 2020 connaît un recul historique. Certes, il y a eu la crise du covid et le rallongement de trois mois du cycle électoral des municipales, mais d’autres facteurs ont certainement joué aussi.
Thierry Repentin, le président de la Commission nationale SRU, pointe deux facteurs dans un rapport qu’il a rendu au Gouvernement, à la demande de ce dernier : la suppression, cette année, de la taxe d’habitation et l’exonération du foncier bâti dont bénéficient les bailleurs sociaux.
Il faut aussi compter avec le découragement des maires qui ont envie de construire – ils sont très majoritaires –, face aux objectifs actuels de la loi SRU, qui sont devenus inatteignables – tout le monde le sait ! (Marques d’assentiment sur les travées du groupe Les Républicains.)
Thierry Repentin a fait deux propositions au Gouvernement pour modifier cette loi SRU. Madame la ministre, j’aimerais savoir si le Gouvernement entend retenir l’une de ces solutions, et laquelle ? Surtout, dans quel calendrier parlementaire entendez-vous mettre en œuvre cette nouvelle solution ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur Dallier, je voudrais tout d’abord rappeler que 70 % à 80 % des Français sont éligibles au logement social. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Face à la crise que nous traversons, il est essentiel de faire mieux et de construire plus de logements sociaux. C’est l’objet de la loi SRU, qui a vingt ans cette année. Saluons la longévité et la pertinence de cette loi, ainsi que de son emblématique article 55 : plus de 1,8 million de logements ont ainsi été produits depuis 2001, dont près de 900 000 dans les communes déficitaires et soumises au rattrapage. C’est un acquis que nous pouvons tous saluer.
La moitié des 1 064 communes soumises à l’obligation SRU suivent une trajectoire vertueuse et pourraient atteindre leur objectif d’ici à 2025.
Cependant, c’est vrai, certaines communes n’y arrivent pas. Parfois, elles manquent aussi de volontarisme. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Allez !
Mme Barbara Pompili, ministre. Ainsi, dans le cadre du bilan de la période triennale 2017-2019, le Gouvernement a donné des consignes de fermeté (Mêmes mouvements.) : plus de la moitié des 550 communes n’ayant pas atteint leur objectif ont été carencées, avec parfois des reprises de permis de construire.
Nous sommes attentifs à ce que les efforts se poursuivent, tout en nous mobilisant pour accompagner les communes concernées.
Enfin, nous avons effectivement engagé un travail sur l’avenir de la loi SRU, dont l’échéance est prévue à la fin de 2025, ce qui conduirait à fixer en 2022 les derniers objectifs de rattrapage.
Mme Sophie Primas. Vous ne répondez pas à la question !
Mme Barbara Pompili, ministre. Monsieur le sénateur, il est nécessaire de prolonger l’exigence de la loi SRU au-delà de 2025, pour poursuivre l’effort en matière de répartition du parc social.
Mme Marie Mercier. Répondez à la question !
Mme Barbara Pompili, ministre. Il faut le faire en tenant compte des situations locales, en fixant des objectifs ambitieux et atteignables et en restant fermes avec les communes qui ne jouent pas le jeu. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
La ministre du logement, Emmanuelle Wargon, a saisi la commission SRU, présidée par Thierry Repentin. Comme vous l’avez souligné, ce dernier a rendu un rapport et formulé des propositions en ce sens.
Le rapport, rendu public la semaine dernière, fait l’objet de consultations, et ses propositions pourraient trouver une traduction législative. (Ah bon ? sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Laquelle ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.
M. Philippe Dallier. Peut-être aurais-je dû m’adresser au ministre de l’agriculture pour avoir une réponse un peu plus précise… (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la ministre, si le Gouvernement n’agit pas rapidement, vous terminerez le quinquennat avec des résultats, en termes de construction de logements neufs, privés ou sociaux, qui seront catastrophiques (M. Jean-François Husson applaudit.), alors même que la seule loi que vous aurez fait adopter en la matière avait pour nom « Élan » !
Madame la ministre, le logement est un sujet fondamental pour tous nos concitoyens. Nous sommes dans une impasse.
Vous avez encore le temps de bouger sur les exonérations de la taxe foncière sur les propriétés bâties, la TFPB, mais également sur l’article 55 de la loi SRU. De nombreux maires sont prêts à construire, il faut les y aider. Plutôt que de leur donner des coups de bâton, accompagnez-les, de grâce ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
inondations dans le sud-ouest
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le ministre, les inondations affectent le Sud-Ouest, en particulier le département de Lot-et-Garonne. C’est une catastrophe pour les habitants.
Le 3 février dernier, la Garonne a atteint la cote de 9,52 mètres à Tonneins et de 10,2 mètres à Marmande. Le département a été placé en vigilance rouge. Il s’agit d’une crue exceptionnelle, comme a pu le constater le Premier ministre lors de son déplacement à Marmande. Je tiens d’ailleurs à le remercier : le temps qu’il a consacré à discuter avec les sinistrés, les élus et les services concernés a été apprécié.
Je salue également l’efficacité et la mobilisation des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, des maires et de leurs équipes municipales, des sauveteurs et des services de l’État.
Face à cette situation, les élus ont unanimement demandé que les communes touchées soient déclarées en état de catastrophe naturelle et que le système de prévision des crues, lequel fonctionne globalement bien, anticipe bien au-delà de cinq heures – a minima douze heures, sinon vingt-quatre.
Les élus ont également insisté sur le financement, l’entretien et l’aménagement des digues, difficilement supportables pour les budgets de nos petites intercommunalités. La gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, la Gemapi, et les programmes d’action de prévention des inondations, les PAPI, sont encore loin de tout régler.
Monsieur le ministre, vous avez confirmé un soutien de l’État pour les aides exceptionnelles après cette crue.
Comment assouplir les règles de curage des fossés en zone inondable afin de faciliter l’évacuation de l’eau lors de la décrue ? Des milliers de mètres cubes vont stagner des semaines dans les champs.
Comment aménager les territoires et prévenir les futurs risques climatiques ? Comment améliorer les systèmes de prévision ?
Comment stocker les milliers de mètres cubes d’eau déversés sur nos territoires et transformer la force cataclysmique de ces crues en énergie hydraulique exploitable ?
Enfin, que répondre à nos sinistrés inquiets, qui attendent une réponse dans les meilleurs délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. J’ai exprimé, au nom du Sénat, notre solidarité à un certain nombre d’élus particulièrement touchés par ces inondations. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, permettez-moi à mon tour, au nom du Gouvernement, d’exprimer notre solidarité envers les populations, les élus, les maires, qui ont été les premiers urgentistes de cette catastrophe, les services de l’État – pompiers, policiers, gendarmes, agents des préfectures – et tous ceux, dans les collectivités locales, qui ont permis cette mobilisation, pour éviter un maximum de drames.
Des drames se sont pourtant produits, qui ont touché les biens. Comme vous l’avez rappelé, M. le Premier ministre s’est rendu, comme le secrétaire d’État chargé de la ruralité, dans le Sud-Ouest et l’Ouest. À sa demande, les services du ministère de l’intérieur et ceux de Mme Barbara Pompili se sont mobilisés.
Dès hier, monsieur le sénateur, une première commission s’est réunie pour examiner 145 premiers dossiers. Aucune demande n’a été refusée ; seuls des compléments d’information ont parfois été demandés.
Vous le savez, il revient aux communes de déposer une demande individuelle. Je puis vous assurer que nous allons, Barbara Pompili et moi-même, continuer d’instruire les dossiers et de reconnaître l’état de catastrophe naturelle, singulièrement dans votre département, où 56 communes ont déjà reçu un avis favorable.
Au-delà du drame que constitue la tempête Justine, vous avez évoqué la prévention. Nous y travaillons – les services de Mme Pompili s’y emploient particulièrement. Un conseil de défense écologique, réuni en février 2020, a décidé d’intégrer un certain nombre de dispositions aux fameux PAPI. Des augmentations budgétaires extrêmement fortes, notamment du fonds Barnier, ont été décidées.
En outre – la ministre chargée de l’écologie pourra en parler –, un certain nombre d’améliorations très concrètes ont été apportées pour les habitations et les riverains dans les zones inondables.
À la suite de l’accident de Lubrizol, j’ai annoncé, au titre de la sécurité civile, la mise en place dès l’année prochaine d’un système d’alerte modernisé, qui permettra à la population, quelles que soient les difficultés rencontrées, et notamment en cas d’inondation, de recevoir sur ses téléphones les informations en temps réel. Ce dispositif permettra d’éviter les drames humains. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
évolution de la carte scolaire
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, nous vous avions alerté sur les conséquences prévisibles de vos calculs budgétaires en matière scolaire. Eh bien, c’est pire !
Ici, ce sont des suppressions de classes au collège : celui de Blangy-sur-Bresle, par exemple, en Seine-Maritime, en perd 2 sur les 17 que compte l’établissement. Là, c’est une baisse considérable d’heures d’enseignement : au lycée de Lillebonne, par exemple, le résultat de la soustraction donne 110 heures de moins pour une réduction de seulement 22 élèves. Ce théorème vaut aussi en primaire et en maternelle, y compris en éducation prioritaire.
« Après avoir subi le traumatisme de deux confinements, l’éducation nationale va nous faire subir un troisième électrochoc », m’écrit le maire de Brachy, commune qui vient de réaliser un nouveau groupe scolaire.
Savez-vous pourquoi cette commune a agi ainsi ? Pour répondre à vos injonctions de regrouper les écoles – injonctions qui font si mal à nos territoires ruraux et qui se voient bien mal récompensées. Une classe devrait ainsi fermer dans cette commune.
Je pourrais multiplier les exemples dans toutes les académies de France. Partout, émerge la demande d’une carte scolaire qui prenne en compte la situation sanitaire et le besoin d’accompagnement renforcé des élèves, à l’image des plus de 200 élus normands qui vous lancent un appel en ce sens.
La crise sanitaire n’est pas derrière nous ; les inégalités scolaires et sociales encore moins.
Monsieur le ministre, allez-vous abandonner l’arithmétique de choix comptables, déconnectés de la réalité, pour faire une équation positive de la carte scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, nous continuons de créer des postes à l’école primaire, alors même qu’il y a moins d’élèves.
Votre département comptera un millier d’élèves en moins l’année prochaine, et nous y créons près de vingt postes. À la rentrée prochaine, le taux d’encadrement va battre un record historique en Seine-Maritime : il n’y aura jamais eu autant de professeurs par rapport au nombre d’élèves à l’école primaire.
M. Laurent Duplomb. Et il n’y aura jamais eu autant de professeurs qui ne sont pas devant les élèves !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est vrai pour chaque département de France.
Vous me demandez, madame la sénatrice, si nous tenons compte de la crise sanitaire. La réponse est oui ! Lors de la dernière rentrée, nous avons appliqué le principe « ni fermeture de classes ni fermeture d’écoles sans autorisation du maire ».
Ce principe, comme nous l’avions dit, vaut toujours pour les fermetures d’écoles. Et même s’agissant des fermetures de classe, il y a de fortes consultations. En ce qui concerne les exemples que vous avez cités, les consultations continueront, et cela jusqu’à la veille de la rentrée, puisque nous tenons compte du nombre d’élèves.
Nous mettons en œuvre des mesures qualitatives, loin de l’esprit comptable que vous nous prêtez. (M. Jacques Grosperrin s’exclame.) Dans votre département, par exemple, le dédoublement des grandes sections de maternelle continue, avec douze élèves par classe, donc.
De même, comme dans bien d’autres départements, les classes de grande section, de CP et de CE1 ne compteront pas plus de vingt-quatre élèves. Ce sont des progrès considérables. Jamais l’école primaire n’avait fait l’objet d’une telle priorité budgétaire. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce n’est pas une opinion, mesdames, messieurs les sénateurs : c’est une réalité, que chacun peut vérifier dans le projet de loi de finances pour 2021.
Le taux d’encadrement à l’école primaire atteint un niveau historique. Bien évidemment, quelques classes peuvent fermer çà et là pour des raisons complexes de démographie rurale.
Par ailleurs, je n’encourage pas particulièrement le regroupement d’écoles. Chaque cas est particulier et doit être traité en liaison avec le maire. La consigne est le travail conjoint avec les maires, et toute exception doit m’être signalée, bien sûr dans la recherche du consensus et dans l’intérêt des élèves. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, s’agissant des records historiques, je voudrais vous signaler, même si vous le savez mieux que moi, que la Seine-Maritime est encore en retard en matière de taux d’encadrement par rapport la moyenne nationale.
Vous n’avez absolument pas évoqué les collèges et les lycées. Nous assistons à un véritable carnage ! Entendez les demandes ! Accordez des postes, accordez des heures.
Cessez d’en appeler aux heures supplémentaires : douze millions d’heures supplémentaires n’ont pas été compensées ni assurées en 2019. Ce sont autant d’enseignements qui ont fait défaut à nos jeunes. C’est absolument intolérable dans cette période où les élèves alternent entre présentiel et distanciel. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
apprentissage
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Martin Lévrier. C’est historique : plus de 500 000 contrats d’apprentissage ont été signés, soit une hausse de 40 % par rapport à 2019.
Dans mon département, les Yvelines, le nombre de contrats d’apprentissage a enregistré une hausse de près de 42 %, passant de 6 551 à 9 311 contrats signés en l’espace de deux ans. Ces chiffres sont le reflet de la mobilisation du Gouvernement en faveur de la jeunesse. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
M. Laurent Duplomb. Question téléphonée !
M. Michel Savin. Allô, allô !
M. Martin Lévrier. Si votre prédécesseure, Muriel Pénicaud, que je salue, a amorcé, grâce à la loi Avenir professionnel de septembre 2018, cette révolution copernicienne, en transformant le regard sur l’apprentissage et en libéralisant le système, notamment via le transfert du pilotage de l’apprentissage des régions vers les branches professionnelles, vous avez, madame la ministre du travail, repris le flambeau avec brio. (Rires ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
Vous avez su, malgré la crise sanitaire, économique et sociale, maintenir et accompagner la montée en puissance de cette voie d’excellence, en instaurant, en 2020, des aides exceptionnelles allant de 5 000 à 8 000 euros, selon les situations, pour les entreprises qui embauchent un apprenti.
Aujourd’hui, alors que la jeunesse est touchée par les conséquences économiques de la crise sanitaire, ce record revêt une importance cruciale. Il doit être le stimulus qui nous amènera à trouver une solution adaptée à chacun de nos jeunes pour leur garantir la même réussite et le même épanouissement que nos 500 000 apprentis.
Vous l’avez dit à de nombreuses reprises, mais je le rappelle : aucun ne doit rester sur le bord de la route. Ce succès n’est qu’une étape supplémentaire dans le développement de l’apprentissage.
M. Jacques Grosperrin. Le Gouvernement vous dit merci, monsieur Lévrier !
M. Pierre Cuypers. Quel fayot !
M. Martin Lévrier. Alors que la crise n’a toujours pas dit son dernier mot, madame la ministre, dans quelle dynamique s’inscrivent vos futurs travaux, pour continuer de promouvoir l’ensemble de ces mesures auprès de ces publics qui, de par leur formation,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Martin Lévrier. … seront l’un des moteurs puissants de l’après-crise et de la croissance des entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Olé !
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Les bonnes nouvelles méritent d’être répétées ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
De fait, l’année 2020 marque un record historique pour l’apprentissage dans notre pays, un record inespéré en cette période de crise. Je pense que tout le monde, sur ces travées, pourrait s’en réjouir. (Applaudissements sur les travées du RDPI.)
En 2020, plus de 500 000 jeunes se sont engagés dans l’apprentissage, soit 140 000 de plus qu’en 2019. Cette augmentation traduit un effort exceptionnel des centres de formation des apprentis, les CFA, et une mobilisation sans précédent des entreprises.
Nous devons cette dynamique aux transformations structurelles de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, votée en 2018, qui a permis de lever les freins et de mieux adapter les formations aux besoins des entreprises.
Pour maintenir cet élan dans un contexte de crise, le Gouvernement a fait le choix, dès le mois de juillet dernier, de placer l’apprentissage au cœur du plan « un jeune, une solution », avec des primes de 5 000 euros à 8 000 euros pour les entreprises.
M. Michel Savin. Ah, les primes !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Les entreprises s’en sont saisies. Et ces aides se sont révélées décisives pour les TPE-PME, qui ont pu maintenir leur part prépondérante dans l’accueil des jeunes en apprentissage.
Je rappelle qu’une aide de 3 000 euros est également prévue pour les collectivités locales ; je les invite à s’en saisir.
Je le précise, cet élan positif a pu profiter à l’ensemble de nos territoires. Pour réussir la rentrée de 2021, une concertation s’engagera prochainement avec les partenaires sociaux, afin d’adapter les aides au contexte actuel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre politique en faveur de l’apprentissage est plus que jamais nécessaire. Je vous invite à la porter dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation sanitaire
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, le 18 novembre dernier, ici même, j’évoquais la « lueur d’espoir » que constituait l’annonce de vaccins, et je vous interrogeais sur la stratégie vaccinale du Gouvernement, tout en vous faisant des propositions.
Votre réponse fut simple et limpide : « La France est prête à vacciner. » Malheureusement, les Français constatent que les choses ne se déroulent pas comme vous l’aviez annoncé. Les objectifs pour ce qui concerne le nombre de personnes vaccinées sont régulièrement revus à la baisse, les centres de vaccination manquent de doses et le vaccin français est introuvable.
S’y ajoute l’absence de réponse à l’initiative des présidents des groupes socialistes du Sénat et de l’Assemblée nationale, Patrick Kanner et Valérie Rabault, demandant que transparence soit faite sur les contrats passés avec l’industrie pharmaceutique.
Cette situation ne peut et ne doit perdurer ! Nous sommes engagés dans une course-poursuite, en France, en Europe et dans le monde, entre la vaccination et le virus, avec ses variants.
Aussi, pour reprendre l’expression du Président de la République s’agissant de la guerre à mener contre le virus, nous devons mettre en place une « économie de guerre ».
Monsieur le ministre, j’ai donc deux questions.
Tout d’abord, allez-vous engager réellement la bataille pour obtenir la levée des licences sur les vaccins ? En cas de refus de l’industrie pharmaceutique, ferez-vous appel à la « licence d’office » ?
Ensuite, allez-vous investir massivement pour permettre la construction, en France, de chaînes de production des vaccins ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, avant de poser vos questions, vous avez affirmé, notamment, que les objectifs de vaccination avaient été revus à la baisse. Permettez-moi de les rappeler, tels qu’ils ont été annoncés aux Français par le Premier ministre : d’ici à la fin du mois de février, de 2,4 millions à 4 millions de Français auront reçu une première injection.
Or je suis en mesure de vous dire aujourd’hui que, d’ici à la fin du mois de février, entre 3,5 millions et 4 millions de Français auront reçu une première injection. Vous pouvez le nier, mais nous atteignons nos objectifs, qui n’ont pas été revus à la baisse.
Vous affirmez également que la transparence n’est pas complète concernant les contrats des laboratoires. Pour ma part, je connais le prix d’achat, le nombre de doses, les dates de livraison, le nombre de pays qui ont acheté, le prorata par rapport à la population, les dates d’achat, les dates de négociations et la nationalité des personnes qui sont allées en médiation, pour le compte de la Commission européenne, afin de contractualiser avec les laboratoires. S’il vous manque des informations, vous pouvez nous les demander !
Vous affirmez également qu’il y a un manque de doses. Aujourd’hui, la transparence est complète sur quatre semaines et, bientôt, sur huit semaines.
Chaque centre sait de combien de doses il dispose et peut prendre les rendez-vous en conséquence. Certes, nous voudrions avoir autant de doses que nécessaire pour vacciner toute la population ! Mais les centres ne manquent pas de doses, puisque, par définition, ils adaptent leurs créneaux de rendez-vous aux doses qu’ils reçoivent. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. Rachid Temal. Bravo !
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle logique implacable !
M. Olivier Véran, ministre. Je le répète, les centres n’ont pas aujourd’hui suffisamment de vaccins pour vacciner toute la population française d’un coup. C’est la même chose partout dans le monde. Mais ils savent pertinemment combien de doses ils recevront pour les quatre prochaines semaines.
M. Pierre Cuypers. C’est faux !
M. Laurent Duplomb. Cela ne marche pas !
M. Olivier Véran, ministre. Ils peuvent donc moduler les prises de rendez-vous. (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains. – M. Rachid Temal s’esclaffe.) Vous pouvez balayer ces affirmations d’un geste de la main, mais j’essaye de vous répondre, monsieur le sénateur.
Quant à la licence d’office, elle n’est pas nécessaire, dans la mesure où les laboratoires qui disposent de brevets pour produire les vaccins nous permettent de développer des sources de production en France, en Europe et dans le monde et même nous y incitent. J’y travaille avec Agnès Pannier-Runacher. (M. Rachid Temal fait un geste de dénégation.) C’est pourtant la vérité, monsieur le sénateur !
Quatre entreprises produisent, en France, des vaccins pour le compte des laboratoires qui disposent des brevets. La question de la licence d’office se pose, monsieur le sénateur, lorsqu’un laboratoire dispose d’un monopole et décide seul de la distribution et du prix.
Dans le cas présent, c’est l’inverse qui se produit ! Nous accompagnons les entreprises, afin qu’elles puissent produire des vaccins, à la demande des laboratoires et des États.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Nous sommes dans le monde de Oui-Oui ! C’est extraordinaire : il n’y a pas de problème de vaccins en France,…
M. Laurent Duplomb. Il n’y a que des problèmes de prises de rendez-vous ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rachid Temal. … chacun peut le noter, il n’y a pas de problème de doses dans les centres de vaccination, bien que, vous le dites vous-même, monsieur le ministre, il faille réadapter notre dispositif constamment. Tout cela ne tient pas la route !
Les chiffres annoncés à l’automne ont été revus en permanence à la baisse, je vous le réaffirme. Nous pointerons les dates si vous le souhaitez.
Ainsi, excepté vous-même, monsieur le ministre, tous les Français constatent qu’il y a un problème concernant la vaccination. Pour en revenir aux brevets, je vous rappelle que le génome viral n’a pas été breveté, afin de permettre à l’industrie pharmaceutique de développer des vaccins. Cette industrie a, en revanche, breveté ses productions.
Si l’on veut vacciner l’ensemble des Français et l’ensemble du monde, pour avoir moins de virus, il faudra bien plus de doses ! Il faut donc plus de chaînes de production. (M. Julien Bargeton s’exclame.) Encore une fois, vous restez enfermé dans vos certitudes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
thermalisme
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité.
Depuis le 30 octobre dernier, le thermalisme est la seule offre de santé, remboursée par la sécurité sociale, qui est inaccessible à nos concitoyens. Quelque 600 000 curistes atteints de maladies chroniques, de dépression, d’obésité, accueillis dans 90 stations dédiées, ne bénéficient plus d’aucun soin thermal.
Aujourd’hui, quatre mois après la fermeture des centres, les douleurs chroniques et les symptômes des curistes n’ont pas subitement disparu. Comment pouvons-nous soulager ces patients ? Devons-nous les envoyer à l’hôpital, qui est déjà surchargé ? Pouvons-nous continuer de traiter certaines affections autrement que par des médicaments parfois inefficaces ?
Sur le plan économique, les établissements curistes ont réalisé 35 % de leur chiffre d’affaires en 2020, et leur trésorerie, qui affiche 110 millions d’euros de pertes, est exsangue.
Malheureusement, les conséquences sont d’ores et déjà connues : des dépôts de bilan, ainsi que des mesures de sauvegarde ont été annoncés. Ainsi, 10 000 emplois directs non délocalisables et 100 000 emplois induits par la filière thermale sont directement menacés de disparition.
En matière de développement territorial, mes collègues du groupe RDSE et moi-même vous rappelons, mes chers collègues, que 90 % des thermes sont situés dans des villes de moins de 10 000 habitants. La crise atteint tout un écosystème, qui vacille.
Ces dernières années, les villes thermales ont en effet beaucoup investi, et leurs projets de territoire marquent un véritable coup d’arrêt, faute de recettes suffisantes et prévisibles, sans compensation spécifique.
Monsieur le ministre, le respect de la santé des patients est dans l’ADN de ces établissements. Des tests PCR au début de la cure, ainsi qu’en cours de cure, assortis de mesures strictes de déplacements, peuvent et doivent être mis en place. Ce protocole a fait ses preuves cet été, puisque aucun cluster n’a été constaté sur ces sites.
Monsieur le ministre, dans le contexte de mal-être qui atteint tant de nos concitoyens, le thermalisme est un allié. Comment pouvez-vous permettre aux établissements thermaux, avec le concours des villes d’eau, de continuer d’assurer leurs missions de soins ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Monsieur le sénateur, le thermalisme, comme d’ailleurs tout le secteur du tourisme, est très durement touché par la crise du covid. Ainsi, 110 stations thermales de notre pays ont enregistré une perte d’activité de l’ordre de 70 %.
Vous avez raison, c’est un sujet majeur. Dès le départ, le Gouvernement a fait le choix de considérer le tourisme, donc les stations thermales, comme une priorité nationale.
Le secteur thermal a pu bénéficier à ce titre de l’ensemble des mesures d’accompagnement du tourisme, que le Gouvernement n’a cessé de renforcer : extension de la prise en charge de l’activité partielle aux établissements thermaux exploités sous forme de régies ; élargissement du Fonds de solidarité depuis décembre 2020, permettant l’indemnisation, sans limite d’effectifs, des entreprises ayant perdu 70 % de leur chiffre d’affaires, à hauteur de 20 % en 2019 ; mise en place d’un nouveau dispositif de compensation de 70 % des coûts fixes.
Pour l’avenir, un accompagnement du secteur est prévu sur le long terme, avec une enveloppe spécifique de 300 millions d’euros, dans le cadre du plan de relance tourisme.
Sur proposition du secrétaire d’État chargé du tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, le Premier ministre a pris la décision de confier une mission à Jean-Yves Gouttebel, président du conseil départemental du Puy-de-Dôme, afin de faire des propositions structurantes pour soutenir et transformer la filière thermale française.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est mobilisé au service de ce secteur d’activité, auquel est lancé un défi de résistance à la crise et de relance. Il conviendra d’en faire, demain, de nouveau, un pilier du tourisme, pour que la France retrouve rapidement le premier rang des destinations mondiales en la matière.
installation d’une zone à défendre au triangle de gonesse
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud Bazin. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Le week-end dernier, une énième zone à défendre, une ZAD, s’est une nouvelle fois installée en toute illégalité sur des terrains appartenant à l’État, à savoir des emprises dédiées à l’aménagement de la ZAC, la zone d’aménagement concerté, du triangle de Gonesse, dans le Val-d’Oise.
Sur ce secteur devait s’implanter le projet EuropaCity, sacrifié à l’automne 2019 par le Président de la République et le gouvernement de l’époque, dans un mauvais remake de Notre-Dame-des-Landes.
M. Michel Savin. Eh oui !
M. Arnaud Bazin. Plus de dix ans de promesses, autant d’années de travail et d’investissements avaient alors été reniés, ainsi que d’importantes perspectives de développement et d’emplois pour ce territoire oublié de la République.
Désolante rengaine, mais cruelle réalité : malgré ce reniement lourd de conséquences pour la crédibilité de la parole publique et la confiance des investisseurs, Mme Borne avait tenu à réitérer son engagement de mener à bien « la desserte du territoire prévue par la ligne 17 du métro du Grand Paris » et à encourager les parties prenantes à se mobiliser de nouveau pour un autre projet de développement.
Pourtant, malgré cette décision prise sous l’empire d’une vision malthusienne de l’écologie, dont je déplore qu’elle ait tant infiltré l’État, les opposants n’ont pas désarmé. Au contraire, puisque, aujourd’hui, une fois encore, ils défient ouvertement l’autorité de l’État.
Désormais, ils s’en prennent aux chantiers de la ligne 17 tout entière, en bloquant le puits du tunnelier. Ils prétextent un vague projet de jardinage périurbain présenté comme une solution de substitution. Ils ne voulaient pas d’un Disneyland pour consommateurs payé par le grand capital, mais ils veulent bien d’un Disneyland de la courgette pour bobos, payé par les contribuables. (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le Premier ministre, ferez-vous respecter l’autorité de l’État en évacuant ces délinquants ? Garantissez-vous le bon déroulement des travaux de la ligne 17 ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le Val-d’Oise est un territoire dont les enjeux soulèvent des questions structurantes en matière d’aménagement du territoire. Nous devons collectivement être en mesure d’apporter des réponses de bon sens, qui concilient le développement économique et les enjeux écologiques.
Sur le fond, je puis comprendre que des militants souhaitent lutter contre l’artificialisation des terres. Simplement, je pense que la méthode n’est pas la bonne et je les engage à lever ce blocage, qui pénalise l’ensemble du chantier de la ligne du Grand Paris Express, chantier dont le calendrier restera inchangé.
M. Laurent Duplomb. Il faut les mettre dehors !
M. Michel Savin. Envoyez les CRS !
Mme Barbara Pompili, ministre. Pour ce qui concerne les moyens de poursuivre le développement économique et le désenclavement en matière de transport de cette zone populaire de l’est du Val-d’Oise, j’ai la conviction que l’écologie n’est en aucun cas un frein. C’est un accélérateur du développement économique, et nous ne devons pas mettre en opposition ces deux aspects.
L’abandon d’EuropaCity a été décidé par le précédent gouvernement. Il s’inscrit dans une logique conforme à celle du projet de loi que j’ai présenté en conseil des ministres ce matin et qui permettra de lutter contre l’artificialisation des terres, celle-ci étant responsable, vous le savez bien sur vos territoires, de nombreuses aggravations des effets du changement climatique.
M. Laurent Duplomb. Bien sûr ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Barbara Pompili, ministre. Dans ce cadre, le préfet du département a formulé des propositions intéressantes, que nous allons étudier de près.
M. Michel Savin. C’est cela, réunissez un groupe de travail ou une commission ! (Mêmes mouvements.)
Mme Barbara Pompili, ministre. Nous n’écartons aucun scénario, y compris ceux qui permettent d’éviter d’artificialiser les rares terres agricoles de cette partie de l’Île-de-France.
Bien entendu, je suis tout à fait disposée à rencontrer les parlementaires, les élus locaux, les acteurs associatifs et les citoyens du territoire, afin de définir, ensemble, les meilleures solutions pour désenclaver et développer cette partie du Val-d’Oise, qui a besoin de perspectives et de soutien.
Mme Frédérique Puissat. Ce n’est pas la question !
Mme Barbara Pompili, ministre. Vous aurez le soutien du Gouvernement pour trouver les bonnes voies de développement de ce territoire, en associant l’ensemble des acteurs.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour la réplique.
M. Arnaud Bazin. J’avais demandé à M. le Premier ministre de nous rassurer sur sa volonté d’expulser et j’ai entendu Mme la ministre Barbara Pompili demander gentiment aux délinquants de partir tranquillement. Je suis rassuré ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
prescription des faits de pollution au chlordécone
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Victoire Jasmin. Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux et concerne les problématiques liées au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique.
Pour rappel, le chlordécone est un produit qui a été utilisé entre 1970 et 1995 dans les plantations de bananes. Il est cancérigène ; des liens de causalité ont été établis pour ce qui concerne le cancer de la prostate. Il s’agit également d’un perturbateur endocrinien.
Aujourd’hui, en Guadeloupe et en Martinique, des voix s’élèvent contre des mesures récentes prises injustement.
Les documents réunis lors de l’enquête parlementaire menée par l’Assemblée nationale en 2019 ont été scellés et ne seront consultables qu’en 2044. Pis encore, une éventuelle prescription menace les plaintes des associations écologistes, mais aussi des élus et des parents des personnes victimes du chlordécone, la dissimulation des preuves étant avérée.
Pour les populations concernées, la situation est parfaitement injuste. S’agit-il, monsieur le ministre, d’une dissimulation de preuves, d’un déni de justice ou d’un mépris pour ces populations ? J’attends votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, permettez-moi de vous répondre, au nom du garde des sceaux, mais aussi du ministre chargé des outre-mer, ainsi qu’en mon nom propre.
Nous en avons tous conscience, le chlordécone, utilisé dans les années 1970 et 1980, était, passez-moi l’expression, une vraie saleté : il a pourri les sols, il possède un effet rémanent de six cents ans et il peut contaminer les milieux aquatiques, les sols et les denrées alimentaires.
L’État français s’est déjà engagé à plusieurs reprises sur cette question au travers de trois plans et même, vous le savez, d’un quatrième plan. En effet, le Président de la République, en déplacement aux Antilles, s’est engagé sur ce sujet.
Je partage la très forte émotion que suscitent les faits que vous avez évoqués. Ils font l’objet d’une information judiciaire, suivie par le pôle de santé publique du tribunal de Paris. Des juges d’instruction ont été désignés, en octobre 2008, pour suivre ce dossier, après jonction des procédures initialement ouvertes aux Antilles.
Ce sont les services de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, ainsi que la section de recherches de la gendarmerie de Martinique et de Guadeloupe, qui sont saisis de l’enquête sur commission rogatoire.
Les juges d’instruction auraient signalé aux parties civiles la possible prescription de l’action publique dans ce dossier. Je le répète, nous comprenons la légitime émotion de la population et des victimes de cette terrible pollution, qui veulent obtenir, à juste titre, des réponses à leurs questions légitimes.
Comme vous le savez, le Gouvernement ne peut interférer dans une procédure judiciaire en cours, ni même la commenter de quelque manière que ce soit, en vertu du principe d’indépendance de l’autorité judiciaire.
Pour autant, il n’a cessé d’œuvrer sur le sujet, pour les victimes, aux côtés des élus et des parlementaires. Un pas essentiel sera franchi, puisque c’est cette fois avec la participation de la société civile, des associations et des particuliers que le plan Chlordécone IV et les nouveaux axes et priorités de la lutte contre cette pollution et ses effets ont été construits. Les moyens qui y seront consacrés seront presque doublés.
Ce plan est en cours d’adoption. Une directrice de projet vient d’être nommée, avec un rôle tout à fait opérationnel et interministériel, qui permettra d’améliorer le suivi entre le national et le local.
C’était l’une des propositions phares, madame la sénatrice, du rapport de votre collègue Justine Benin, au nom de la commission d’enquête présidée par Serge Letchimy, dont je tiens à saluer la qualité des travaux.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour la réplique.
Mme Victoire Jasmin. Je vous remercie, monsieur le ministre.
Toutefois, je m’interroge, car les mêmes causes sont susceptibles de produire les mêmes effets. Vous avez très récemment dérogé aux règles concernant les néonicotinoïdes. Or ce sont les mêmes sujets, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
cybersécurité
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’Anssi, a recensé une explosion du nombre de cyberattaques en 2020, puisque celles-ci ont été multipliées par quatre par rapport à 2019.
Dans la majorité des cas, les cybercriminels utilisent des logiciels, afin de crypter les données de leurs victimes, rendant inutilisable tout ou partie de leur architecture informatique. Les pirates monnaient ensuite les données volées contre le paiement d’une rançon.
Particuliers, entreprises, services publics : personne n’est épargné, et les dégâts sont parfois immenses.
Fait remarquable, en 2020, les attaques contre les services publics et les collectivités ont sensiblement augmenté. Les petites et moyennes communes sont particulièrement vulnérables. Toutefois, les grandes le sont aussi, puisque, en mars dernier, le système informatique de la métropole d’Aix-Marseille était infecté par un rançongiciel, qui a crypté près de 90 % de ses données.
Plus inquiétant encore au vu de la situation sanitaire, cette vulnérabilité n’épargne pas nos structures hospitalières, à Albertville, à Narbonne ou encore au CHU de Rouen, qui a été entièrement paralysé pendant plusieurs jours en novembre 2019.
Si, fort heureusement, la santé des patients n’a pas été mise en péril, à l’avenir, des cybercriminels, plus malveillants encore, pourraient tout à fait modifier des données d’analyse médicale ou des dosages, bloquer le fonctionnement d’appareils médicaux ou chirurgicaux, ce qui entraînerait des conséquences dramatiques pour les patients hospitalisés. À l’heure où nos hôpitaux sont surchargés par l’épidémie de covid-19, un tel risque est effrayant.
Madame la ministre, la vulnérabilité cyber de notre pays en fait une proie facile pour les hackers. C’est une menace de tout premier ordre. Que comptez-vous faire pour que nos entreprises et nos services publics puissent se prémunir contre ce risque ?
Au-delà des actions pédagogiques, quels fonds comptez-vous mobiliser pour financer la nécessaire mise à niveau des systèmes de protection informatiques, notamment des services de santé et des collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l’augmentation de la menace cyber, puisque le nombre d’incidents de sécurité déclarés à l’Anssi, notre agence de protection en la matière, extrêmement compétente et réputée au plan international, a été multiplié par quatre.
Comme vous le savez, il existe trois types de menaces : la cybercriminalité, qui consiste à mettre la main sur des données et à demander une rançon, l’espionnage et le sabotage. Ces trois menaces doivent être prises très au sérieux, l’espionnage et le sabotage concernant plutôt les entreprises ou les structures de recherche et développement et les universités.
Avec le ministre de l’intérieur et le secrétaire d’État chargé de la transition numérique, Cédric O, j’ai signé, en 2018, un contrat stratégique de filière avec les industries de sécurité et élaboré, en 2019, un contrat stratégique de filière, notamment pour faire en sorte que notre offre en matière de sécurité cyber soit augmentée.
Nous avons un écosystème de start-up, de grands groupes et d’universités, qui possèdent des briques de réponse face à cette menace. Elles doivent être mises ensemble pour être portées à un niveau mondial.
C’est à la fois un enjeu pour les services numériques, un enjeu industriel et un enjeu pour le ministre de l’intérieur, qui est comptable du suivi de la fraude et des cybercriminels et qui s’investit de plus en plus fortement sur ces sujets. Appuyé par les services du Premier ministre et l’Anssi, il apporte un appui aux collectivités locales et aux structures hospitalières, pour les aider à passer un cap en termes de compétences et de matériel.
Je veux donc vous rassurer : ce sujet est pris très au sérieux. Nous annoncerons la semaine prochaine une feuille de route sur notre stratégie cyber, qui sera financée de manière très importante par le PIA 4, le quatrième programme d’investissements d’avenir.
Je vous laisserai en découvrir les projets principaux la semaine prochaine. C’est un enjeu interministériel sur lequel nous sommes tous mobilisés.
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Il s’agit effectivement d’un sujet de premier ordre, qui nécessite une réponse rapide et efficace.
Les éléments que vous avez donnés, madame la ministre, ne me rassurent pas complètement. J’espère en obtenir d’autres dans les semaines qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
moratoire sur la fermeture des classes en milieu rural
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, en 2020, vous avez annoncé un moratoire sur les fermetures de classes à la rentrée.
La semaine dernière, interrogée sur la rentrée de septembre 2021, Mme la secrétaire d’État Nathalie Elimas annonçait, dans cet hémicycle, un moratoire de fait pour les communes de moins de 5 000 habitants, sans l’accord du maire.
Les élus locaux ont considéré ce moratoire comme acté, et je ne vous cacherai pas que la vidéo de la semaine dernière a eu un grand succès dans l’ensemble des territoires. Mais les projets de fermeture se poursuivent.
Tout à l’heure, en réponse à notre collègue Mme Brulin, vous n’avez pas voulu vous engager sur un moratoire, tout en nous présentant quelque chose qui s’en rapproche, si je puis résumer ainsi votre propos.
Avec 65 000 élèves en moins, vous avez les moyens d’un moratoire ; vous avez les moyens d’augmenter le nombre d’enseignants dans les classes, devant les élèves, et c’est heureux ! Pourquoi ne pas dire plus clairement les choses, donner confiance et prononcer le mot « moratoire » ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, je vous remercie de votre question, qui donne acte du fait que nous créons des postes, alors même que le nombre d’élèves diminue.
Depuis le début du quinquennat, cela se traduit par presque 10 000 postes de plus, pour 200 000 élèves en moins, pour mener une politique quantitative, certes, mais aussi et surtout qualitative. Je pense notamment à la limitation, dans toute la France, donc dans votre département du Tarn, du nombre d’élèves à 24 en grande section de maternelle, en CP et en CE1.
Toujours dans le Tarn, à la rentrée prochaine, si l’on prenait en compte la baisse démographique, il y aurait 19 postes en moins. Tel ne sera pas le cas. Il n’y aura pas de suppression de poste dans ce département.
Doit-on pour autant faire un moratoire concernant la fermeture de classes et d’écoles ? Vous le savez, les deux sujets sont différents.
Je n’ai aucun problème pour prononcer le mot « moratoire » pour l’école. En effet, nous menons une politique de défense de l’école rurale, dont je suis fier ; j’ai souvent eu l’occasion de le dire devant le Sénat. Cette politique d’attractivité de l’école rurale, qui fait réussir les élèves, nous allons la mener ensemble.
Ainsi, dans le plan de relance, le Premier ministre et moi-même avons décidé que l’équipement numérique des écoles bénéficierait de plus de 150 millions d’euros. Cela profitera notamment aux établissements ruraux.
Pour les classes, le mot « moratoire » est beaucoup plus difficile à prononcer. En effet, même s’il ne s’agit pas de faire des économies, si l’on ne supprime pas de classe, alors même que l’on ne supprime pas de postes, on aura, dans certains endroits, des classes de 30 élèves et, dans d’autres, des classes de 10 ou 15 élèves. Ce serait une inégalité de fait. Vous seriez le premier à vous en plaindre, avec raison !
Une telle souplesse existe depuis toujours. Pour la rentrée 2020, nous avons fait une exception pour tenir compte de la crise sanitaire. Si nous le faisions année après année, nous créerions des hétérogénéités qui ne seraient pas souhaitables.
En revanche, c’est vrai, il faut plus de postes pour l’école primaire. C’est la politique que nous menons. Elle permet, pour votre département comme pour tous les autres, l’amélioration historique du taux d’encadrement que j’ai évoquée tout à l’heure. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre, nous ne comprenons pas pourquoi, avec moins d’élèves et autant d’enseignants, sinon davantage, nous avons sur le terrain plus de fermetures que d’ouvertures.
M. Laurent Duplomb. C’est sûr !
M. Philippe Bonnecarrère. Pensez également au jour d’après le covid-19 et à cette idée que la ruralité et les petites villes seront vues comme une pertinente solution de rechange à la métropolisation.
Nous n’excluons pas de vous amener un petit peu plus loin dans vos décisions ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
lutte contre les violences entre bandes de jeunes
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Monsieur le ministre de l’intérieur, les chiffres de l’insécurité dans notre pays se dégradent, et il en est un qui inquiète tout particulièrement les Français : celui qui résulte de la constitution de bandes, particulièrement dans les parties urbaines ou périurbaines de notre territoire.
Le chiffre est inquiétant, puisque, au cours de l’année 2020, les agressions commises par ces bandes ont augmenté de l’ordre de 25 %, et ce sont 350 batailles qu’elles se sont livrées.
Ces chiffres inquiètent les Français, dans la mesure où ces bandes sont souvent constituées de mineurs, d’adolescents qui n’ont plus aucun repère moral. La violence des actes qu’ils commettent sous les caméras est là pour le démontrer.
C’est aussi inquiétant parce que, on le sait, ces bandes sont en connexion avec des réseaux divers : stupéfiants, armes ou prostitution. C’est enfin terriblement inquiétant parce qu’elles savent aujourd’hui utiliser les réseaux sociaux, notamment le dark net, pour se constituer, agir et, ensuite, se dissoudre.
Face à ce phénomène, il faut bien avouer que l’on ne voit pas la politique spécifique que le Gouvernement entend mener. On a même parfois le sentiment qu’il est un peu fataliste, nonchalant et passif devant l’importance du phénomène…
Monsieur le ministre de l’intérieur, il s’agit d’une délinquance spécifique, qui doit appeler des politiques qui le sont tout autant. Pouvez-vous aujourd’hui nous dire quelle politique spécifique vous entendez mettre en œuvre pour lutter contre ce phénomène particulièrement inquiétant ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Blanc, sur la question très inquiétante des bandes, vous avez tout à fait raison : à peu près soixante-dix bandes sont recensées, dont 95 % sur la « plaque » parisienne. Le drame de l’affaire Yuriy vient illustrer l’ampleur du phénomène. Je voudrais ici dire à quel point, en cette occasion, les services de police ont été – chacun l’a remarqué – rapides et efficaces dans leurs interventions. Je les en remercie.
Il n’est pas tout à fait vrai, cependant, monsieur le sénateur, que les chiffres de la délinquance sont mauvais. Vous l’avez indiqué, ils le sont en zone gendarmerie – j’ai répondu à une question sur ce point ici même voilà quinze jours –, mais ils s’améliorent fortement dans les grandes villes de France, à l’exception – c’est, cette fois, tout à fait vrai – de quelques centres-villes que vous connaissez bien, pour être élu dans l’un d’entre eux.
Lutter contre les bandes, c’est d’abord lutter contre les nouvelles technologies. Chacun doit comprendre ici – je m’adresse aux parlementaires de la Nation – que, si les écoutes téléphoniques, par exemple, aident à lutter contre la délinquance d’hier, les réseaux sociaux comme WhatsApp, Telegram, Signal, ne sont pas dans le scope du ministère de l’intérieur. Il faut que le Parlement réfléchisse à cette question et c’est dans cette perspective que nous vous proposerons – les textes arriveront dans quelques semaines désormais – de modifier la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite SILT, et la loi relative au renseignement.
C’est aussi lutter avec des images plus performantes. Plus personne ne doute que les caméras de vidéoprotection sont efficaces et qu’elles permettent de résoudre un certain nombre de conflits, voire de les prévenir. Reste que, aujourd’hui, ce sont les drones qui fonctionnent : ils permettent d’intervenir plus rapidement et de suivre des phénomènes de bande tels que ceux que vous avez évoqués.
C’est justement ce que nous proposons dans le cadre du projet de loi relatif à la sécurité globale, que vous aurez bientôt à examiner – je salue le sénateur Hervé, qui s’occupe particulièrement de ce texte pour le Sénat – : donner à l’État, au ministère de l’intérieur, les moyens de suivre et de superviser ces bandes et améliorer les moyens dont il dispose déjà.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a donné un avis négatif sur le vol de drones. Nous attendons le vote du Sénat pour reprendre cette surveillance, car personne n’imagine pouvoir lutter contre les violences commises par ces bandes sans les drones.
Il s’agit souvent de très jeunes enfants, monsieur le sénateur : 12 ans, 13 ans, 14 ans. On peut en vouloir au ministère de l’intérieur ; on peut aussi se dire que c’est le travail des parents. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour la réplique.
M. Étienne Blanc. La réponse à ce phénomène doit être coordonnée. Elle doit articuler les différents points que vous avez soulevés.
Le Sénat sera évidemment extrêmement attentif à ce que vous proposerez, monsieur le ministre, sachant que le dérapage auquel nous assistons, notamment dans nos grandes métropoles, inquiète profondément les habitants de nos villes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
retraites agricoles
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Serge Mérillou. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
À plusieurs reprises, pendant la crise sanitaire, le Président de la République a dit des agriculteurs qu’ils étaient des héros de première ligne.
Monsieur le ministre, les héros sont fatigués, car, au-delà des belles paroles, les actes ne suivent pas.
Le monde rural, les agriculteurs, notamment les éleveurs, sont en grande difficulté : faiblesse des revenus, déception de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, lourdeur des procédures administratives, aléas climatiques, économiques et sanitaires… Rien ne leur est épargné.
Beaucoup trop d’agriculteurs vivent dans la précarité. La profession connaît un taux de mortalité par suicide très élevé.
La précarité touche aussi les retraités agricoles, qui ont travaillé dur toute leur vie, 55 heures par semaine, selon vos chiffres, monsieur le ministre.
Pour eux, une petite lumière se profilait au bout du tunnel avec l’adoption au mois de juin dernier, dans la souffrance et après trois ans de débats, de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Si celle-ci était imparfaite, oubliant le sort des polypensionnés et des femmes conjointes, elle permettait néanmoins de revaloriser le montant minimum des petites retraites de 120 euros par mois, pour atteindre au mieux 1 000 euros.
Huit mois après le vote de cette loi, malgré les discours et les postures, les décrets d’application ne sont toujours pas parus et les retraités agricoles n’ont pas touché un centime de cette revalorisation.
Pourquoi attendre, alors que cette réforme pourrait aider dès aujourd’hui de nombreux agriculteurs retraités en grande précarité ?
Monsieur le ministre, la question est simple : quand allez-vous signer les décrets d’application de cette loi et entériner ainsi ces avancées, même modestes, pour les retraités agricoles ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. David Assouline. C’est le moment de montrer que vous aimez les agriculteurs !
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Mérillou, on peut me reprocher beaucoup de choses, mais pas d’être dans le discours ou dans la posture. Depuis que ce gouvernement a été nommé et si je ne retiens que les actions menées sous l’égide de l’actuel Premier ministre, ce sont plus de 1,2 milliard d’euros de dépenses que nous avons engagées dans le cadre du plan de relance, avec un discours très ferme sur la création de valeur et une démultiplication des contrôles dans le cadre de la loi Égalim. Une volonté très forte nous anime, recréer de la valeur, car la première des priorités, c’est le revenu de nos agriculteurs.
Monsieur le sénateur, votre question porte sur un point très précis : la retraite du monde agricole. La loi est très claire : il faut que cette réforme soit mise en œuvre au plus tard au 1er janvier 2022. Nous serons prêts !
M. David Assouline. C’est trop tard !
M. Julien Denormandie, ministre. Notre objectif, avec Mme la ministre Élisabeth Borne, est même d’avancer le calendrier par rapport à ce qui a été voté dans la loi.
M. David Assouline. La loi dit « au plus tard » !
M. Julien Denormandie, ministre. C’est une question de justice sociale, vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur.
Cette question de justice sociale a fait l’objet de nombreux débats devant la Haute Assemblée et tout le monde s’accorde à dire qu’elle devait être traitée dans les termes qui sont ceux de la loi telle qu’elle a été promulguée. Nous mettrons donc en œuvre cette loi. Je le répète : notre objectif est d’avancer.
Autre élément de très grande importance : on parle aujourd’hui du revenu des agriculteurs, et vous connaissez mon obsession pour la création de valeur. Cependant, lorsque l’on évoque notre agriculture, un point n’est jamais mis en valeur : c’est le foncier. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes l’un des pays d’Europe où le foncier est le moins cher.
Pour autant, la première action d’un jeune agriculteur consiste à s’endetter à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros pour devenir propriétaire du foncier. Pourquoi ? Précisément parce qu’il a un doute concernant sa retraite.
Régler le problème de la retraite est donc une question de justice sociale, mais c’est surtout un élément structurel dont dépend l’installation de nos jeunes agriculteurs.
Voilà le fil conducteur de la politique que nous menons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Monsieur le ministre, la question est si importante que j’y reviens. Comme mes collègues, je rencontre régulièrement les maires de mon département. Ils nous interpellent actuellement sur d’éventuelles fermetures de classes qui interviendraient sans leur avis. Entre les inspecteurs d’académie, les recteurs, les secrétaires d’État et vous-même, les discours divergent.
Monsieur le ministre, au mois de mars 2020, vous avez déclaré à la télévision vous engager à ne fermer aucune classe ni aucune école rurale sans l’accord du maire. Vous avez ajouté : « Il est très important de persévérer dans cette logique de soutien. »
Interrogée ici même la semaine dernière, Mme Elimas confirmait vos propos pour la prochaine rentrée : « Aucune fermeture de classe ne s’est faite sans l’accord du maire ; il n’y a pas de raison que cela change. »
Ces réponses devant la représentation nationale sont sans ambiguïté : pas de fermeture de classe, a fortiori d’école, sans accord du maire.
Malheureusement, l’administration que vous dirigez ne l’entend pas de cette oreille…
M. Max Brisson. C’est vrai !
Mme Catherine Belrhiti. … et avance selon une logique exactement inverse à celle que je viens d’évoquer. Les cartes scolaires qui sont en cours de validation sont en opposition complète avec les engagements pris par le Gouvernement, suscitant incompréhension et colère. Les fermetures de classes mettent en difficulté les enfants, les familles, les enseignants, les maires et les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) eux-mêmes.
Dans le contexte sanitaire actuel, au moment où les territoires ruraux connaissent un regain d’attractivité, on ne pouvait que se réjouir de l’annonce de votre décision, qui devait permettre que la rentrée 2021 se déroule dans les mêmes conditions que la rentrée 2020.
Monsieur le ministre, de deux choses l’une : soit cette situation illustre la complexité, chère au Président de la République, du « en même temps », soit force est de constater que les instructions que vous donnez depuis Paris peinent à être entendues sur le terrain. Dans les deux cas, c’est votre crédibilité auprès des élus locaux qui est bousculée.
Monsieur le ministre, quelle est à ce jour la réalité des engagements du Gouvernement ? Pourquoi un tel fossé entre la parole nationale et les actes sur le terrain ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice Belrhiti, je vais repréciser la doctrine pour que les choses soient très claires. Je suis d’ailleurs le premier ministre de l’éducation nationale à pouvoir dire des choses aussi bienveillantes et généreuses à l’égard de l’école rurale : pas de fermeture d’école sans l’accord du maire. C’est très clair, vous pouvez l’enregistrer. (« Et les classes ? » sur des travées du groupe Les Républicains.)
Concernant les classes, je vous répète ce que j’ai dit à M. le sénateur Bonnecarrère : la mesure dont il s’agit s’appliquait au mois de septembre 2020. Vous avez cité mes propos du mois de mars 2020 concernant la rentrée 2020. Même à ce moment-là, je disais que cette mesure ne pourrait pas s’appliquer les années suivantes. Je le disais y compris en pensant à ceux qui auront à prendre des décisions en la matière au fil des prochaines années : ce serait un très mauvais service à leur rendre que d’acter un « moratoire à jamais » sur les fermetures de classes. Ce faisant, vous vous ôteriez toute souplesse.
M. Rémy Pointereau. C’est clair…
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Dans votre département, madame la sénatrice, il y a 1 277 élèves en moins.
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas la question !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est cela qu’il faut déplorer.
Or vous avez obtenu cinquante-six postes supplémentaires l’année dernière et six de plus cette année. En d’autres termes, nous continuons à créer des postes malgré la baisse du nombre d’élèves. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cela signifie-t-il qu’il n’y aura pas de fermeture de classes ? S’il ne reste que quatre élèves, bien sûr qu’il faut fermer une classe ! C’est une évidence. Il faut faire du qualitatif, en respectant la consigne donnée – c’est ce qui est fait ; si ça ne l’est pas, dites-le-moi –, à savoir, dans tous les cas, discussion avec le maire pour prendre des mesures de bon sens.
Ne jouons pas à ne pas nous comprendre ! Mon soutien à l’école rurale est un soutien complet, vous le savez très bien.
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas ce qui a été dit la semaine dernière !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. L’ensemble du Gouvernement est au diapason : nous voulons le renouveau de l’école rurale. En réalité, il s’agit d’un sujet démographique et d’attractivité.
Nous devons travailler ensemble. Tel est le sens des stratégies que nous adoptons, qui sont explicites dans les plans d’action pour l’école dans les territoires ruraux. Nous les avons d’ailleurs toujours conçus avec des sénateurs. Nous continuerons, en prenant aussi des mesures qualitatives. Je pense aux décharges pour les directeurs ;…
M. Laurent Duplomb. Cela enlève des enseignants devant les gamins !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … comme vous le savez, elles seront améliorées à la rentrée prochaine. Quant aux mesures de limitation du nombre d’élèves par classe en grande section de maternelle, CP et CE1 que j’ai annoncées, elles s’appliqueront dans votre département dès la rentrée prochaine.
Nous améliorons donc la vie quotidienne de l’élève avec des moyens supplémentaires pour le premier degré.
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est une question de bon sens, mais aussi de consensus avec les acteurs locaux. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, la suppression de classes ou de postes d’enseignants contribue au sentiment d’abandon des territoires par l’État.
Les Français sont durement éprouvés par la crise sanitaire. Nous avons besoin de plus de cohérence et de stabilité dans les annonces et dans les faits pour retrouver la confiance dans la parole publique, qui est indispensable à notre démocratie ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
réouverture des lieux culturels
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Laurent Duplomb. Depuis qu’elle est ministre, il n’y a plus de culture !
M. Jean-Marie Janssens. Madame la ministre, vous le savez, le monde de la culture souffre tout particulièrement de la crise sanitaire. La rigueur des mesures sanitaires qui lui sont imposées n’est comprise ni par les acteurs culturels ni par le public.
Les métros et les bus sont pleins, mais il est interdit d’aller au théâtre ou au cinéma, même en respectant le port du masque et les distances de sécurité.
Les magasins restent ouverts, mais pas les musées. Si le protocole est appliqué et respecté, pourquoi les établissements culturels, qui sont tout aussi essentiels à nos vies, seraient-ils plus dangereux que d’autres lieux ? De plus en plus de nos concitoyens connaissent un malaise psychologique profond. L’urgence sanitaire ne doit pas masquer l’urgence culturelle.
C’est particulièrement vrai concernant nos enfants. Comment comprendre que nos écoles restent ouvertes et que, dans le même temps, les musées, les cinémas, les théâtres ou les salles de spectacle ne puissent pas recevoir de petits groupes d’élèves ?
Dans ces conditions, madame la ministre, le monde de la culture ne peut plus se contenter d’espoirs vite déçus. Vous avez estimé possible la réouverture prochaine des musées et monuments. Selon quels critères pourrait-elle se faire ? Allez-vous annoncer un calendrier et des modalités précis de réouverture ? En particulier, allez-vous permettre aux lieux culturels d’accueillir des groupes scolaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Janssens, vous représentez un département cher à mes collègues Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires, et Marc Fesneau. Ce département est particulièrement riche en patrimoine, musées et monuments historiques ; votre belle commune de Montrichard témoigne abondamment de cette richesse. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.)
La situation sanitaire est encore instable. Même si elle s’éclaircit relativement à certains critères, nous ne sommes pas encore complètement au clair sur les perspectives d’amélioration :…
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est clair !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. … moins de cas de contamination, mais une surcharge sanitaire importante dans les services de réanimation et des inconnues dues aux variants.
C’est la raison pour laquelle, les conditions sanitaires ayant largement changé, le ministre de la santé Olivier Véran et moi-même avons tenu lundi dernier une réunion avec les responsables de musées et de monuments historiques pour définir ensemble un certain nombre de critères de sécurité relatifs aux jauges, à la création d’un référent covid dans chaque musée et chaque monument, ainsi qu’aux protocoles sanitaires, qui me paraissent bien adaptés.
Pour ce qui est des groupes scolaires et de l’éducation artistique et culturelle, je souhaite bâtir un modèle global et fixer un cadre sûr. Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs – je sais que vous y êtes extrêmement attachés –, je souhaite également ménager de la souplesse et faire en sorte que les responsables de ces monuments, dans les territoires, puissent fixer des normes particulières, qui correspondent à la taille de leurs établissements et à leur structure juridique propre.
C’est alors que l’accueil des scolaires – ce sera de toute façon après les vacances – sera réglé selon des modalités définies au plus près des spécificités des territoires. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 17 février 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Conférence des présidents
M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents réunie ce jour sont consultables sur le site du Sénat.
Conclusions de la conférence des présidents
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mercredi 10 février 2021
À 16 h 30
- Débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion (demande de la CE pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion)
• Temps attribué à la commission d’enquête : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour les groupes Les Républicains, Socialiste, Écologiste et Républicain et Union Centriste, 5 minutes pour les groupes Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, Rassemblement Démocratique et Social Européen, communiste républicain citoyen et écologiste, Les Indépendants – République et Territoires et Écologiste - Solidarité et Territoires et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 9 février à 15 heures
- Débat sur le thème : « Le fonctionnement des universités en temps covid et le malaise étudiant » (demande du groupe GEST)
• Temps attribué au groupe GEST : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 9 février à 15 heures
Le soir
- Débat sur le thème : « Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays » (demande du groupe CRCE)
• Temps attribué au groupe CRCE : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 9 février à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 16 février 2021
À 14 h 30 et le soir
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l’efficacité de la lutte contre le dopage (texte n° 198, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 février matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 11 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 16 février en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 15 février à 15 heures
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (texte de la commission n° 330, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 février matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 11 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 16 février en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 15 février à 15 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement (texte de la commission n° 332, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 février matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 11 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 16 février en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 15 février à 15 heures
Mercredi 17 février 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 17 février à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Désignation des vingt-trois membres de la mission d’information relative aux conditions de la vie étudiante en France
• Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à cette mission d’information : mardi 16 février à 16 heures
- Désignation des vingt-trois membres de la mission d’information intitulée : « La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts »
• Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à cette mission d’information : mardi 16 février à 16 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification (texte de la commission n° 357, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 10 février matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 15 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 17 février matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 16 février à 15 heures
Jeudi 18 février 2021
À 10 h 30
- 1 convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifié :
=> Projet de loi autorisant la ratification de l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne (procédure accélérée ; texte n° 273, 2020-2021)
• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mercredi 17 février à 15 heures
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique ou nouvelle lecture
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 février à 15 heures
En cas de nouvelle lecture :
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 février matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : à l’ouverture de la discussion générale
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (texte de la commission n° 342, 2020-2021)
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 février à 15 heures
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale (texte de la commission n° 353, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 5 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 10 février matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 15 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 17 février matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 février à 15 heures
- Projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’élection du Président de la République (texte de la commission n° 355, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 5 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 10 février matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 15 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 17 février matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 février à 15 heures
Suspension des travaux en séance plénière :
du lundi 22 au dimanche 28 février 2021
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 2 mars 2021
À 14 h 30
- Explications de vote puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine (texte n° 287, 2019-2020 ; demande de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 février à 14 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 26 février à 17 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 1er mars à 12 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 1er mars à 15 heures
- Débat sur la dette publique, à l’aune de la crise économique actuelle (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 1er mars à 15 heures
- Débat sur le thème : « Comment construire plus et mieux en France ? » (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 1er mars à 15 heures
- Débat sur le thème : « La réforme en cours de l’éducation prioritaire » (demande du groupe CRCE)
• Temps attribué au groupe CRCE : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 1er mars à 15 heures
Le soir
- Débat sur le thème : « Situation et devenir de l’Économie Sociale et Solidaire » (demande du groupe GEST)
• Temps attribué au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 1er mars à 15 heures
Mercredi 3 mars 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 3 mars à 11 heures
À 16 h 30
- Débat sur l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes)
• Temps attribué à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : 8 minutes
• Temps attribué à la commission des affaires européennes : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 2 mars à 15 heures
- Débat sur les conclusions du rapport : « Mobilités dans les espaces peu denses à l’horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd’hui » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective)
• Temps attribué à la délégation sénatoriale à la prospective : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 2 mars à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 9 mars 2021
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et le soir
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative au monde combattant, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (texte n° 241, 2019-2020 ; demande du groupe UC)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars à 14 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 8 mars à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 5 mars à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 8 mars à 15 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant diverses mesures de justice sociale (texte n° 319, 2019-2020 ; demande de la commission des affaires sociales)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 9 mars à 13 h 30
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 8 mars à 15 heures
Mercredi 10 mars 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 10 mars à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, rénovant la gouvernance du service public d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe (texte n° 318, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 2 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 mars matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 9 mars à 15 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant la fonction de directrice ou de directeur d’école (texte n° 566, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 mars matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 9 mars à 15 heures
Jeudi 11 mars 2021
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, présentée par Mme Marie-Pierre de La Gontrie et plusieurs de ses collègues (texte n° 131, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 mars matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 10 mars à 15 heures
- Proposition de loi visant à lutter contre le plastique, présentée par Mme Angèle Préville et plusieurs de ses collègues (texte n° 164, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 mars matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 10 mars à 15 heures
De 16 heures à 20 heures
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi visant à la création d’une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d’époque, présentée par M. Jean-Pierre Moga et plusieurs de ses collègues (texte n° 174, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 mars matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 10 mars à 15 heures
- Proposition de loi tendant à appliquer vingt-quatre mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (texte n° 232, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 8 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 10 mars matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 10 mars à 15 heures
À l’issue de l’espace réservé au groupe UC
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République (procédure accélérée ; texte n° 285, 2020-2021) ou nouvelle lecture (demande du gouvernement)
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 10 mars à 15 heures
En cas de nouvelle lecture :
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mercredi 10 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 10 mars à 14 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : à l’ouverture de la discussion générale
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 16 mars 2021
À 14 h 30 et le soir
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale (texte n° 150, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois avec une saisine pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 19 février à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 3 mars matin et après-midi
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 11 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 16 mars matin et à 14 heures, mercredi 17 mars matin et à 14 heures
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 15 mars à 15 heures
Mercredi 17 mars 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 17 mars à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- 2 conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire (texte n° 298, 2020-2021)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre et de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay relatif à l’emploi rémunéré des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre (texte n° 297, 2020-2021)
• Délai limite pour qu’un président de groupe demande le retour à la procédure normale : lundi 15 mars à 15 heures
- Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale (texte n° 150, 2020-2021)
Jeudi 18 mars 2021
À 10 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale (texte n° 150, 2020-2021)
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 23 mars 2021
À 14 h 30
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d’une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques, présentée par M. Bruno Retailleau, Mme Sophie Primas et M. Daniel Gremillet (texte n° 348, 2020-2021 ; demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 22 mars à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
- Débat sur le thème : « Quelle politique d’aménagement du territoire ? » (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 22 mars à 15 heures
- Débat sur « l’avenir des entreprises assurant les liaisons trans-Manche » (demande du groupe UC)
• Temps attribué au groupe Union Centriste : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 22 mars à 15 heures
Mercredi 24 mars 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 24 mars à 11 heures
À 16 h 30
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021
• Intervention liminaire du Gouvernement
• 5 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des affaires européennes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 h 30
• Réponse du Gouvernement
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 23 mars à 15 heures
- Débat sur le thème : « Quel rôle pour le préfet à l’heure de la relance ? » (demande du groupe RDSE)
• Temps attribué au groupe RDSE : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes maximum par question
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
En cas de réplique, 30 secondes supplémentaires pour l’auteur de la question
• Conclusion par l’auteur de la demande du débat : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 23 mars à 15 heures
Jeudi 25 mars 2021
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Sous réserve de sa transmission, deuxième lecture de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (texte A.N. n° 3796 ; demande du groupe UC)
Ce texte sera envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 22 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 23 mars matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 25 mars à l’ouverture de la discussion générale
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 mars à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 30 mars 2021
À 14 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi confortant le respect des principes de la République (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3649)
Ce texte sera envoyé à la commission des lois avec une saisine pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 12 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 mars matin et après-midi
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 25 mars à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 30 mars matin, après-midi, mercredi 31 mars matin et 14 h 30
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 h 30
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 29 mars à 15 heures
Mercredi 31 mars 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 31 mars à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3649)
Jeudi 1er avril 2021
À 10 h 30, 14 h 30 et le soir
- Projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine du 4 avril 1979, en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (texte n° 701, 2019-2020)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 31 mars à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3649)
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 6 avril 2021
À 14 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3649)
Mercredi 7 avril 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 7 avril à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3649)
Jeudi 8 avril 2021
À 10 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Sous réserve de sa transmission, suite du projet de loi confortant le respect des principes de la République (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3649)
Prochaine réunion de la Conférence des Présidents :
mercredi 10 mars 2021 à 14 heures
M. le président. En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
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Évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion
Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, sur les conclusions de son rapport.
Ce débat s’organisera en deux temps.
La parole sera donnée à l’auteur de la demande, à un orateur de chaque groupe, puis au Gouvernement, pour leur répondre.
Nous procéderons ensuite au débat sous la forme d’une série de seize questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Alain Milon, président de la commission d’enquête qui a demandé ce débat.
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans leur combat contre les épidémies, les hommes ont fait d’immenses progrès. Les vaccins et les traitements ont permis de faire reculer les ravages provoqués par les maladies infectieuses, à tel point que l’effroi qu’elles ont causé à nos ancêtres était presque oublié.
La covid-19 est venue nous rappeler les règles de base de la lutte contre les épidémies. Ces règles se résument en trois actions, qui ont connu une actualité nouvelle, mais ont aussi été reformulées à mesure que notre pays réalisait qu’il n’était pas en mesure de toutes les accomplir : tester, tracer, isoler, c’est-à-dire repérer les personnes atteintes, identifier celles qu’elles sont susceptibles d’avoir contaminées, isoler les malades et les personnes contacts afin de limiter la propagation de la maladie et ainsi, progressivement, casser la dynamique des contaminations.
En l’absence de vaccins et de traitements, cette stratégie est la seule disponible et elle a fait la preuve de son efficacité. Pourtant, après l’avoir consciencieusement appliquée, au tout début de l’épidémie, le Gouvernement semble y avoir tout ou partie renoncé.
Les Français rapatriés de Wuhan ont été testés et mis à l’isolement dans un centre de vacances ; les personnes contaminées dans le cluster des Contamines ont été isolées à l’hôpital ; celles du cluster de Creil ont été isolées dans les conditions définies par le service de santé des armées. Mais ensuite ?
Sur les trois pans de la stratégie, la constance, mais aussi les moyens ont fait défaut.
Malgré un développement rapide, à l’honneur des équipes de recherche, les tests ont connu un déploiement hésitant et laborieux, le passage au stade industriel se révélant extrêmement complexe.
Il en est résulté tout d’abord une approche malthusienne du recours aux tests, alors que certains de nos voisins testaient beaucoup plus massivement et que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) exhortait les États à le faire.
Certaines capacités – les laboratoires privés, vétérinaires ou encore universitaires – ont été laissées à l’écart pour des raisons administratives qui n’étaient pourtant plus de mise dans ce contexte de crise. Leur réintégration dans le jeu s’est faite au moment même où le revirement du Gouvernement sur l’élargissement des personnes à tester percutait de plein fouet des capacités de test encore trop peu organisées.
Pendant de trop longues semaines, notre pays a testé, testé, testé, conformément aux recommandations de l’OMS, mais en pure perte, les résultats ne parvenant aux intéressés qu’une fois achevée la période où ils auraient été utiles.
Pendant toute cette séquence, la détection de cas continuait à se faire à l’hôpital, pour des personnes symptomatiques, à un stade de gravité avancé et trop tard, évidemment, pour organiser un quelconque traçage.
Sur le traçage, nous n’avons guère été meilleurs.
La recherche d’une sophistication excessive s’est traduite par des retards et par une perte globale d’efficacité là où d’autres pays – je pense en particulier à la République de Corée, dont le représentant a été entendu par la commission d’enquête – ont été mieux organisés. L’ambassadeur de France en République de Corée a insisté sur le caractère « assez rustique » des moyens déployés, à rebours de l’image que d’aucuns avaient spontanément d’outils numériques qui seraient intrusifs et quasi totalitaires.
Il s’agissait au contraire de mobiliser le plus de moyens humains possible et d’agir vite, ce que nous n’avons pas fait, laissant une fois de plus de côté les médecins de ville, qui voyaient pourtant dans leurs cabinets la majeure partie des personnes atteintes de la covid-19.
Je serai bref, car je ne veux pas être cruel, sur l’échec, programmé d’emblée, de l’application StopCovid. Cet échec est collectif : cet outil a été conçu avec tant de prérequis que nous savions qu’il ne fonctionnerait pas. D’ailleurs, en un sens, nous ne souhaitions pas qu’il fonctionne vraiment.
M. François Bonhomme. C’est vrai !
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête. Cet échec a pesé sur la capacité de l’application TousAntiCovid à se faire une place dans les téléphones de nos concitoyens.
Aujourd’hui encore, une majorité écrasante de cas positifs passent sous le radar du traçage, ce qui témoigne d’une efficacité très relative.
Je souhaite faire une place singulière – car je sais que ma position sur le sujet n’a pas toujours été comprise – à la question de l’isolement des malades et des personnes contacts.
Il se trouve que la commission des affaires sociales avait eu à se pencher sur ce sujet peu de temps avant le déclenchement de l’épidémie, à la faveur de l’examen du rapport de Martin Lévrier sur une proposition de loi de notre ancien collègue Michel Amiel. Le texte visait les cas de tuberculose résistante, mais la question est la même : que faire face à un malade contagieux, qui risque de susciter une flambée épidémique ?
Notre commission avait alors suggéré de donner une compétence claire au préfet. La base juridique prévue dans le code de la santé publique ayant été jugée fragile, le Gouvernement a souhaité proposer un autre cadre au Parlement.
Celui qui était alors le Premier ministre avait défini ce cadre dans les termes suivants : « L’isolement doit être expliqué, consenti et accompagné. » Il s’agissait de s’en remettre au civisme de chacun : pas question d’isoler des personnes testées positives, pas question d’isoler dans les aéroports en attendant les résultats d’un test, alors même que bon nombre de nos partenaires le font, dans des conditions parfois coûteuses pour les intéressés.
Des capacités hôtelières étaient pourtant disponibles pour organiser un isolement efficace, dans un contexte de mise à l’arrêt des déplacements professionnels et du tourisme. La présidente de la région Île-de-France a indiqué à la commission d’enquête avoir proposé la réservation de 7 000 lits, dont le pilotage aurait été confié à l’agence régionale de santé.
C’est bien la volonté qui a fait défaut.
Il peut sembler étrange, un an après le déclenchement de la crise sanitaire, de reprendre ainsi le fil des événements et de revenir sur la stratégie adoptée, alors que nous sommes toujours englués dans cette épidémie. L’objectif de la commission d’enquête était d’examiner le degré de préparation de notre pays face à l’épidémie – il est évident que nous n’étions pas prêts –, mais aussi de définir ce que nous pourrions faire pour être prêts à l’avenir.
Je le répète : ce que nous pourrions faire, en l’absence de vaccins et de traitement, c’est tester, tracer, isoler.
Le faisons-nous pleinement ? La réponse est « non ».
En avons-nous les moyens ? Ce n’est pas certain. Le développement de tests moins contraignants reste à faire et le contact tracing reste à améliorer.
En avons-nous la volonté ? La question mérite d’être posée. Je vous propose de nous interroger collectivement : que ferions-nous demain devant une maladie beaucoup plus contagieuse et beaucoup plus létale pour l’ensemble de la population ?
M. Roger Karoutchi. Bonne question…
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête. Devrions-nous faire des choix et conserver la même stratégie ?
J’espère que le débat de cet après-midi nous permettra de répondre à cette question.
La question soulevée est tout à la fois celle de la responsabilité individuelle, de la responsabilité politique et de la confiance que les citoyens ont dans leurs dirigeants, et réciproquement.
Ce n’est qu’en tirant les leçons de ce qui s’est passé que nous pourrons progresser. C’est ce à quoi la commission d’enquête s’est employée. J’espère que, sur le fondement de ses recommandations, nous pourrons avancer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un rapport dense que mes collègues rapporteures Catherine Deroche et Sylvie Vermeillet et moi-même avons produit et je veux saluer ici la qualité du travail que nous avons réalisé en commun. Nous nous sommes attachés à analyser la réponse de notre pays et, surtout, à proposer des pistes qui, si elles étaient suivies, permettraient à notre système de santé de tirer les leçons de cette épidémie.
Ce rapport a été intitulé « Pour un nouveau départ en santé publique ». Nous avons en effet partagé le constat que, si, ces dernières décennies, notre pays a su construire un système de soins, hospitaliers et de ville, qui a ses propres difficultés – nous les connaissons bien –, il a beaucoup moins su construire un système de santé publique. Ce n’est pas un hasard si des pays qui ont vécu une situation épidémique en 2003 ont beaucoup mieux répondu, en 2020, à la crise : c’est qu’ils avaient modifié leur approche, tirant les leçons de l’épidémie passée.
Pouvons-nous ensemble former le vœu que nous sachions désormais tirer les leçons de cette crise – c’est l’essentiel – et modifier en conséquence notre système de santé publique ?
L’une des grandes leçons que nous avons tirées, c’est que nous avions un défaut d’adaptation. Ce défaut fait que la réponse donnée est souvent uniforme, verticale, décidée d’en haut. On peut dire qu’après tout elle décalque le système politique du pays, mais on ne saurait s’en satisfaire.
La question que je souhaite poser aujourd’hui est la suivante : quand allons-nous tirer ces leçons ? Quand allons-nous prendre des dispositions qui modifient notre approche de la crise ?
On voit par exemple, dans le secteur de la culture, que persiste une réponse uniforme d’arrêt de toutes les activités, alors que vivre avec le virus en en maîtrisant au maximum la circulation pour ne pas saturer notre système de santé – telle est la stratégie générale – ne nécessite pas d’arrêter uniformément toutes les activités culturelles. L’adaptation n’est toujours pas au rendez-vous, même si elle commence à être annoncée.
On voit que, dans le domaine du commerce, après une première phase, à l’automne – je ne parle pas du printemps, quand, chacun en conviendra, la sidération s’est imposée à nous tous –, où l’on décide de l’ouverture ou de la fermeture en fonction de la qualité du bien acheté et non pas des conditions sanitaires de l’achat, cette approche ubuesque commence à être modifiée via les dernières annonces du Premier ministre. Ce sont désormais davantage les conditions sanitaires de l’achat qui autorisent ou non l’ouverture de tel ou tel commerce.
L’adaptation est donc extrêmement lente. Monsieur le ministre, nous appelons à ce que notre pays aille plus vite en la matière.
Des réponses pourraient être apportées en termes de gouvernance. « On verra après la crise », disent certains. Comment déterminer précisément à quel moment il sera possible de tourner la page ? Il y a eu une phase suraiguë, il y a encore des épisodes aigus, peut-être entrerons-nous demain ou après-demain dans une phase chronique, mais il me semble que, plus d’un an après le début de l’épidémie, il est temps d’adopter les modifications qui sont nécessaires.
Le Parlement devrait en légiférer. Après tout, n’allons-nous pas examiner une proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification qui est assez brouillonne et confuse ? Monsieur le ministre, pourquoi le temps d’une loi d’adaptation du système de santé aux leçons de la covid-19 ne serait-il pas venu ? Quand en débattrons-nous ?
La stratégie du « vivre avec » s’est trop souvent traduite par le fait d’arrêter de vivre et a surtout fait la preuve de la difficulté à territorialiser les réponses. Il est dommage que nous n’ayons pas mis en place une approche plus territoriale des mesures restrictives quand l’évolution de l’épidémie était très différente d’un territoire à l’autre. Une telle territorialisation n’est peut-être plus de mise à l’heure actuelle, car il faudra probablement demain décider de nouvelles mesures restrictives à l’échelon national.
Quoi qu’il en soit, je regrette qu’une approche territorialisée n’ait pas été davantage développée. Dans certains territoires, dans certains villages, par exemple en Bretagne, cela fait plus d’un an qu’aucun cas de covid n’a été recensé. Les habitants y sont pourtant soumis aux mêmes restrictions, à peu de chose près, que les autres territoires de notre pays.
Monsieur le ministre, nous espérons que le « vivre avec » s’arrêtera un jour. Nos capacités d’anticipation ont été mises à mal, mais nous devrions collectivement réfléchir pour déterminer à quel moment il sera possible de passer à une stratégie d’éradication ou d’élimination du virus.
Après tout, vous nous avez annoncé le 12 janvier dernier que la France disposerait au mois de juin prochain de 77 millions de doses de vaccin. Le chiffre de 135 millions de doses a également été avancé. Le chef de l’État a annoncé que, d’ici à l’été, tous les Français qui le souhaiteraient pourraient être vaccinés. Les conditions d’un changement de stratégie vers l’éradication du virus seront-elles posées dans quelques mois ?
C’est un point qui mérite d’être discuté et anticipé, mais pas seulement au sein du conseil de défense et du conseil scientifique. La démocratie sanitaire a trop souffert pendant cette épidémie. Il importe donc d’en discuter également avec les acteurs de santé, avec les élus des territoires et avec le Parlement.
Monsieur le ministre, nous avons la conviction que cette crise doit nous conduire à revivifier notre politique de santé publique grâce à une meilleure association de l’ensemble des acteurs. Si nous réussissons collectivement ce pari, les victimes beaucoup trop nombreuses de cette épidémie auront au moins servi à l’amélioration de notre système de santé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 80 000 : c’est le nombre de victimes provisoires de cette épidémie à présent. C’est évidemment à elles que je pense au moment de prendre la parole dans cet hémicycle.
Dès les premiers jours de la crise, le Sénat a agi. Il a permis au Gouvernement de prendre les mesures d’urgence qui s’imposaient. Nous avons voté, ici, en responsabilité, l’état d’urgence sanitaire et quatre projets de loi de finances rectificative. Dans le but d’identifier des pistes d’amélioration des politiques publiques, la Haute Assemblée a créé une commission d’enquête dont nous débattons aujourd’hui des conclusions.
Les commissions d’enquête sont d’autant plus intéressantes qu’elles cherchent à être impartiales et à faire la lumière sur des événements passés. À ce stade, nous manquons cruellement de recul pour tirer des conclusions définitives sur la gestion d’une crise à laquelle nous continuons malheureusement de faire face.
La France, comme le monde entier, a subi les effets d’une pandémie qui nous a tous surpris. Certains pays, déjà habitués à ces épidémies, comme Taïwan et la Corée du Sud, ont réagi très rapidement ; d’autres, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, ont au contraire pris plus de temps. L’OMS a elle-même tardé à tirer la sonnette d’alarme sur cette urgence de santé publique. Les efforts que la Chine a déployés pour cacher les débuts de l’épidémie y ont sans doute contribué. Ces efforts d’ailleurs se poursuivent, puisque l’enquête sur les origines du virus menée en Chine n’est pas facile. La République populaire de Chine est toujours dans le déni quant au nombre de victimes sur son territoire.
À l’heure où nous parlons et malgré cette opacité, les pires scénarios ont été évités. Le séquençage du virus s’est fait en quelques semaines et un vaccin a été trouvé en quelques mois.
On peut, bien évidemment, regretter que la France n’en ait pas encore mis un au point – à titre personnel, je le déplore vivement –, mais le bilan que connaît notre pays pourrait être pire. Même si c’est toujours trop, la France compte aujourd’hui moins de morts par jour que l’Allemagne, pourtant si souvent citée en exemple. Il importera malgré tout de déterminer comment notre pays aurait pu faire mieux, comme a proposé de le faire la commission d’enquête.
Le premier sujet sur lequel nous avons travaillé a évidemment concerné le stock de masques. Ces protections, qui ont fait cruellement défaut au printemps, sont toujours aujourd’hui l’un des piliers de notre stratégie de lutte contre la propagation du virus.
Le stock de masques de l’État a été fortement asséché au cours des dernières années, celui des FFP2 a presque été réduit à néant de 2011 à 2016, celui des masques chirurgicaux a été amputé de 86 % en 2018. A posteriori, il apparaît évident que ces réductions ont sensiblement accru la vulnérabilité de notre pays.
À en croire la tension sur le marché, nous n’étions pas les seuls à en avoir urgemment besoin. Bien sûr, d’autres ressources nous ont fait défaut, comme le curare et les respirateurs, mais ces pénuries ont été résolues plus rapidement.
Au-delà de la conservation de stocks stratégiques et de la préservation de notre souveraineté, la coopération dans la résolution de la crise reste l’un des points majeurs d’amélioration. Il faudra que cette coopération soit encore renforcée entre les pays européens. À l’échelon national, la coopération qui a eu lieu entre les régions en matière de santé a été positive ; nous souhaitons qu’elle se poursuive.
Il convient également de permettre à la médecine de ville d’apporter tout son concours au secteur hospitalier dans ces périodes de crise, mais aussi en temps normal, pour une meilleure prévention. Il en va de même pour les capacités de test, largement évoquées par mes prédécesseurs. Il aurait été profitable d’associer les différents laboratoires, y compris vétérinaires, pour réaliser davantage de tests dans de meilleures conditions.
Aurait-il fallu recourir à des mesures plus contraignantes ? À titre personnel, je considère que cette question aurait dû être posée et qu’il faudra se la poser à l’avenir. Je pense aux mesures d’isolement, mais également aux passeports vaccinaux.
Enfin, il serait certainement bénéfique de mieux associer les collectivités territoriales au fonctionnement des agences régionales de santé, les ARS, mais aussi aux décisions prises par l’État. Comme souvent, nos territoires ont tenté d’apporter leur concours, mais des rigidités administratives ont freiné leurs initiatives.
Tels sont, mes chers collègues, les quelques enseignements que l’on peut tirer de la gestion française d’une pandémie qui n’est pas terminée. D’autres questions, nombreuses, restent en suspens. Elles touchent principalement à notre souveraineté économique et sanitaire, mais aussi aux conséquences de cette crise pour notre jeunesse et nos forces vives. Ces questions devront nécessairement trouver des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Catherine Deroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, mes chers collègues, ce rapport porte sur l’une des crises les plus graves que nous ayons connues et ses conclusions sont accablantes.
L’excellent travail de la commission d’enquête nous apprend que les alertes du ministère de la santé au mois de janvier ont été ignorées par l’exécutif et l’Union européenne, que le Grand Est a livré, presque seul, une bataille désespérée contre l’extension exponentielle du virus, que les choix de la direction générale de la santé, la DGS, ont empêché la reconstitution du stock stratégique de masques qui ont cruellement manqué durant plusieurs mois, information dissimulée à l’opinion par pression politique, et que ce sont les populations les plus vulnérables, les plus reléguées, qui ont été surexposées et les plus durement touchées par le virus, sans que rien soit fait alors, ni depuis, pour améliorer leurs conditions et la reconnaissance de leurs métiers.
Ces manquements, ces négligences de l’État ont coûté la vie à des milliers de personnes. La responsabilité de l’État est ainsi engagée.
Les recommandations proposées par le rapport sont justes. Il faut, en effet, reconstituer un stock stratégique de masques. Il faut sortir de l’hospitalo-centrisme et intégrer les établissements médico-sociaux, comme les services domiciliaires, dans notre système de santé afin de mieux protéger les populations vulnérables. Il faut faire vivre la démocratie sanitaire dans l’hôpital, mais aussi en prenant appui sur l’expertise des associations et des collectivités territoriales, proches du terrain.
Toutefois, pour compléter ces recommandations et renforcer véritablement nos capacités de résilience face aux crises à venir, il semble nécessaire de rappeler également que la gravité de cette pandémie trouve aussi ses causes dans les politiques d’austérité budgétaire menées depuis des dizaines d’années, cassant l’hôpital public, déstructurant la recherche et accroissant les inégalités sociales et territoriales.
Bien avant la covid, les hôpitaux publics étaient au bord de l’asphyxie : en cause, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’Ondam, systématiquement insuffisant. Cela a conduit à des économies non pertinentes, à la suppression de 100 000 lits en vingt ans et à la volonté de transformer les hôpitaux en entreprises rompues au lean management, à la tarification à l’activité, la T2A, et au « virage ambulatoire » à marche forcée. Voilà comment nous avons abouti à un système de santé sous tension permanente au moment du choc de la pandémie.
Dès lors, nombre d’opérations ont dû être déprogrammées, la prévention et le dépistage ont été suspendus, ce qui a entraîné des pertes de chances.
De plus, face à la pénurie de masques, de tests, de personnels, le Gouvernement n’a pas suffisamment agi, soit parce qu’il n’a pas appelé à la collaboration, soit par résistance idéologique à appliquer les lois de réquisition sanitaire.
Doit être aussi questionné l’hyper-présidentialisme, qui voit se concentrer autour d’un seul un conseil de défense, un conseil scientifique, un comité d’analyse et de recherche, puis un autre conseil scientifique sur les vaccins épaulé par trois cabinets de conseil privés, qui se surajoutent à nos agences sanitaires et dont le fonctionnement reste opaque, sans contrôle public du Parlement et des acteurs du territoire.
Ce chevauchement de comités et de cabinets brouille la gouvernante sanitaire et le rôle d’agences sous-dimensionnées comme Santé publique France, empêchée dans ses missions d’expertises et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles.
Enfin, il faut que cette crise infuse une transformation profonde de nos modes de vie, car la crise découle de l’effondrement de la biodiversité.
Une étude de l’université de Cambridge démontre que la migration des espèces due à la déforestation et au dérèglement climatique a permis la transmission de la covid-19 à l’être humain.
Depuis vingt ans, les scientifiques nous alertent : nous sommes entrés dans le temps de la multiplication des pandémies, à la faveur de la dévastation des forêts et de la biodiversité. Bien que ce ne soit pas l’objet de ce rapport, c’est aussi l’autre raison profonde de cette crise. Elle aurait donc mérité des recommandations en soi, je pense notamment à la non-ratification des traités de libre-échange comme le Mercosur.
La leçon est bien qu’il nous faut changer de modèle et passer d’une politique publique curative à une politique préventive.
La défense de la biodiversité doit accompagner la défense d’une société résiliente, respectueuse du vivant, dont le paradigme devient le soin et la justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Michelle Meunier et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, mes chers collègues, encore inconnue il y a moins d’un an, la covid-19 a donné lieu à une crise sanitaire inédite dont l’ampleur semblait à l’époque davantage dystopique qu’envisageable.
Nous sommes réunis ce jour pour un débat non sur la crise dans son ensemble, mais sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête. La constitution de celle-ci s’inscrit pleinement dans le rôle de contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement et relève bien de notre responsabilité vis-à-vis des Français. Cette mission est essentielle et nous y sommes évidemment favorables.
Cette commission d’enquête a réalisé un travail qu’il faut souligner et que les sénateurs de notre groupe saluent : 133 personnes ont été auditionnées au cours de quarante-sept entretiens. Ces cent deux heures de travail ne permettent pourtant pas d’établir un constat exhaustif de la gestion d’une crise sanitaire mondiale aussi unique.
Comment contrôler l’action du Gouvernement face à une épidémie qui faisait encore hier 439 victimes en vingt-quatre heures ? Comment critiquer des mesures sans le recul nécessaire à une analyse raisonnée et sans même pouvoir établir de comparaisons efficaces ? Il y a un an tout juste, le bilan humain de la covid-19 dépassait celui du syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, avec 814 décès confirmés. Mondialement, aujourd’hui, on dénombre 2 millions de victimes.
Un an de vagues, de reprises, d’accalmies et maintenant de variants. Douze mois de gestes barrières à s’approprier, douze mois de vie sociale à l’arrêt. Plus de 3 millions de cas détectés et 2 millions de doses de vaccins administrées.
Aussi, prenant acte des conclusions du rapport et bien que cet exercice soit indispensable, nous émettons une forte réserve quant à la temporalité de cette publication.
Cette situation exceptionnelle aura forcément causé certains écueils, il serait utopique de prétendre le contraire. Pour autant, le temps du bilan arrivera, mais plus tard, lorsque les hôpitaux auront enfin un répit et que les chiffres de la contamination ne rythmeront plus nos vies. Alors, l’analyse sera efficace et essentielle, mais pas maintenant. Ce temps long nous oblige à ne pas porter de jugement trop hâtif. Ce temps long force à l’humilité.
Il faut rappeler que la commission d’enquête a commencé ses travaux durant les vacances d’été, alors que les courbes étaient au plus bas. Elle les a poursuivis pendant la campagne des élections sénatoriales. Les faits démontrent aujourd’hui que nous ne partageons plus certaines des certitudes que nous avions hier. Les pays vus comme exemplaires au regard des stratégies qu’ils ont déployées lors de la première vague ne le sont plus actuellement : la situation de nos voisins outre-Rhin s’est malheureusement aujourd’hui dégradée.
Mes chers collègues, si la comparaison se révèle souvent utile en matière de gestion de crise sanitaire, elle n’est pour autant pas une science exacte. La fascination pour d’autres pays qui feraient mieux que nous dans tel ou tel secteur, mais qui, dans le même temps, ont fermé leurs écoles depuis huit ou neuf mois ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. François Patriat. Ne prenons pas chaque jour l’exemple de ce qui serait mieux ailleurs et regardons notre situation avec lucidité.
Les masques et la gestion de leurs stocks ont été le point central de bon nombre de nos discussions. Le chiffre de 1 milliard est fréquemment revenu. Les rapporteurs se sont focalisés, semble-t-il, sur un nombre sans avoir une réflexion sur la gestion exacte de ce stock. C’est pour autant bien cela qui nous a fait défaut au départ.
Oui, les points d’interrogation demeurent. Oui, force est d’accepter ne pas savoir ni quand ni comment cette pandémie prendra fin. Nul ne le sait aujourd’hui. D’ailleurs, qui aurait pu prédire il y a un an que nous serions confrontés aujourd’hui à une troisième vague et à d’éventuelles mesures plus dures ?
Cette adaptation était cruciale, les chiffres semblent actuellement démontrer son efficacité. La ligne de crête a obligé le Gouvernement à faire preuve d’équilibre : entre liberté et restriction, entre gestes barrières et confinement, entre ouverture souhaitée de tous et fermeture nécessaire pour tous.
Oui, et nous manquerions d’objectivité en affirmant le contraire, la France n’était pas prête à faire face à un phénomène totalement nouveau et d’une telle ampleur. Aucun pays ne l’était !
Pour autant, un an plus tard, le constat n’est pas aussi noir que le rapport de la commission d’enquête le souligne. Aux prémices de la crise épidémique, les évacuations sanitaires ont très largement permis de désengorger les hôpitaux des territoires les plus touchés. Je pense en particulier au territoire dont je suis l’élu. La vaccination des publics prioritaires fonctionne, la coopération européenne dont la France était moteur est établie et notre capacité de tests est exemplaire en Europe. Qui dit aujourd’hui que les tests sont gratuits en France, alors qu’ils coûtent 100 euros en Allemagne ou 300 euros au Royaume-Uni ? Le rapport n’en fait nullement état…
Au-delà des mesures sanitaires et parce que cette crise est sociale et économique également, l’accompagnement des personnes en isolement, le soutien aux jeunes, le fonds de solidarité en faveur des entreprises et la gratuité des tests et des vaccins honorent notre pays.
La solidarité dans le besoin et la fraternité devant cette situation qui touche nos citoyens de manière inégale sont les forces stabilisatrices sur cette ligne de crête que nous suivons.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe RDPI s’accordent à dire qu’une réelle commission de prospectives et de préconisations est importante, mais elle se fait en dehors de toute polémique politicienne et une fois la crise passée.
Plutôt qu’une attitude de défiance permanente ou de critique systématique, nous préférons accompagner le Gouvernement dans les mesures d’adaptation qu’il a su prendre à chaque instant pour faire en sorte qu’aujourd’hui nous puissions non seulement résister et poursuivre dans la voie qui a été tracée, mais également éviter, si c’est possible, un confinement pour tous ! (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand affirmait que « presque toujours, en politique, le résultat est contraire à la prévision ». La pandémie liée à la covid-19 était-elle prévisible ? Si, pour certains chercheurs, elle n’était pas inimaginable, son ampleur semble avoir pris le monde entier par surprise.
Sa gestion aurait-elle pu suivre un autre cours ? Certainement ! Peut-on en tirer des leçons sur les plans organisationnel, décisionnel et culturel ? Évidemment !
C’est ce constat qui a motivé la création d’une commission d’enquête au sein de notre assemblée. Je tiens d’ailleurs à saluer l’ensemble des rapporteurs qui ont accompli un travail remarquable.
Ce rapport doit nous permettre d’identifier les dysfonctionnements et leur origine afin de faire de ces connaissances des sources de progrès. C’est de manière dépassionnée et rigoureuse que nous avons entrepris cette tâche, en nous gardant de juger le passé à la lumière de ce que nous savons aujourd’hui, mais en ayant un œil critique sur le déroulement de la situation.
C’est dans cet esprit que je partage majoritairement les différentes préconisations de nos rapporteurs. J’axerai mon propos sur quelques points, puisque le temps qui m’est accordé ne me permettra pas de balayer les centaines de pages et l’ensemble des préconisations du rapport.
Les travaux de la commission d’enquête ont tout d’abord mis en évidence l’impréparation et l’absence d’anticipation de l’État. C’est un constat largement partagé par la mission d’évaluation nommée par le Président de la République.
Quand l’épidémie s’est répandue sur le territoire français, nous nous sommes retrouvés démunis, à l’inverse de Taïwan, de Singapour et de la Corée du Sud, qui ont beaucoup appris de la pandémie du SRAS en 2003 et de la grippe A en 2009 et pour lesquels l’expérience du passé était déjà de se préparer à l’incertitude. Quoi qu’il en soit, le contexte culturel n’est pas comparable.
Cette impréparation s’est essentiellement illustrée au départ par un défaut de stratégie – tester, tracer, isoler –, mais également par une pénurie de protections individuelles et par une capacité de production quasi inexistante sur notre territoire. On ne trouve plus en effet sur notre sol de véritable filière industrielle de production, la dernière usine ayant fermé ses portes en 2018.
Pourtant, le Haut Conseil de la santé publique en 2011 comme Santé publique France en 2018 préconisaient la constitution d’un stock stratégique de masques qui, à l’instar des surblouses ou des gants, ont cruellement manqué aux soignants, aux professionnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad, ainsi qu’aux aides à domicile, qui ont parfois rempli leur mission au péril de leur vie.
Le premier des engagements à prendre est, bien sûr, de sécuriser la gestion de nos stocks de masques, de médicaments, de vaccins. Cela doit passer aussi par la relocalisation de leur production à l’échelle européenne.
Nous aurions pu penser que cette impréparation de début de crise allait nous servir de leçon pour anticiper l’organisation de la vaccination. D’ailleurs, j’avais eu l’occasion d’alerter sur ce point au mois de novembre dernier lors d’une question d’actualité au Gouvernement. Pour autant, l’absence d’anticipation dans le recueil des consentements anticipés en Ehpad et sur la variation dans la stratégie de déploiement des centres nous a conduits à un démarrage vaccinal trop lent.
Aujourd’hui, la problématique est tout autre et c’est bien : bon nombre de nos concitoyens ne peuvent pas se faire vacciner en raison d’une trop forte demande, ce qui est une bonne nouvelle, et d’un stock limité de vaccins. Par ailleurs, certains centres sont fermés.
Les rapporteurs ont également pointé une communication institutionnelle protéiforme, qui n’a pas su résister aux polémiques. Il faut reconnaître que les avis divergents, voire contradictoires, du Gouvernement et du monde scientifique ont créé de la confusion, exacerbée par les prises de position successives des experts qui ont inondé nos chaînes d’information en continu. Dans un pays caractérisé par une grande liberté d’expression, comment faire mieux ? Je l’ignore…
Le discours confus du démarrage a conduit nombre de nos concitoyens à déserter, dès la mi-mars, les cabinets médicaux. J’avais, à l’époque, alerté le Premier ministre et l’ARS sur les effets délétères de communiqués inadaptés qui m’étaient remontés du terrain et qui ont mis un certain temps à être corrigés. Nous n’en mesurons pas encore aujourd’hui toutes les conséquences.
Enfin, cette pandémie a mis en évidence une faille dans notre mode d’organisation territorial trop centralisé, ce qui participe inexorablement à une lenteur dans la prise de décisions.
C’est ainsi que les alertes émises dès le mois de février dernier par la région du Grand Est, dont je suis issue, confrontée à une vague épidémique particulièrement brutale, sont restées sans réponse. L’État n’est intervenu que plus tard, une fois que la région était dépassée.
Le rapport préconise de définir les contours d’une gouvernance territoriale et d’une veille épidémiologique au plus près des réalités de terrain. C’est absolument nécessaire.
Faisons davantage confiance aux élus locaux et aux personnels soignants qui ont su faire faire preuve d’une grande agilité dès lors qu’ils étaient libérés des carcans administratifs. Une transformation en profondeur est attendue : elle devrait se faire, notamment dans le cadre du projet de loi 4D – différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification –, qui prévoit de renforcer la place des élus dans les futurs conseils d’administration des ARS.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Véronique Guillotin. À la fin du mois de décembre dernier, le président de l’OMS déclarait que la pandémie provoquée par le coronavirus ne serait pas la dernière. C’est pourquoi j’espère que nos débats ouvriront la voie à un nouveau départ, à une année zéro de la santé publique, que les rapporteurs appellent de leurs vœux.
J’ai confiance en la nature humaine et en sa capacité d’adaptation. Je reste optimiste quant à notre capacité collective à faire face à ce satané virus. D’ailleurs, la France, malgré les difficultés, n’est pas la plus mauvaise élève de l’Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, dans notre pays, la campagne de vaccination contre la covid-19 piétine, les travaux réalisés par la commission d’enquête du Sénat ont mis en lumière divers dysfonctionnements et défaillances sur la gestion de la crise de la pandémie de covid-19 et ont révélé en filigrane les raisons qui ont conduit à une telle situation.
La pandémie pose en réalité une question essentielle, celle du déficit d’approvisionnement en matériel de protection, en respirateurs, en médicaments, en tests et, aujourd’hui, en vaccins !
Afin de répondre aux exigences de réduction du déficit public, les stocks stratégiques de médicaments, de blouses, de masques, de gants – auparavant financés par la sécurité sociale – ont été laissés à l’abandon après le transfert à l’État de la gestion des stocks de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l’Éprus. Lorsqu’il a fallu renouveler les stocks stratégiques, l’établissement Santé publique France a été dans l’incapacité de réaliser sa mission.
La logique de réduction des dépenses publiques, que nous ne cessons de dénoncer tout comme les personnels de santé et du médico-social, a montré ses limites et ses contradictions, puisque le coût du renouvellement du stock stratégique était bien inférieur aux coûts des semaines de confinement que nous avons subies.
Monsieur le ministre, l’impréparation de votre gouvernement, les déclarations contradictoires sur l’utilité des masques, la pénurie de lits de réanimation, ne résultent pas d’un accident de parcours, mais découlent bien de choix stratégiques à l’œuvre depuis près de trente ans !
Les conclusions du rapport sénatorial démontrent, elles, la part de responsabilité de votre gouvernement en raison de l’absence d’anticipation, de transparence et de concertation avec les soignants, les élus et les parlementaires.
Le Gouvernement a perdu la confiance de nos concitoyennes et de nos concitoyens en tentant de cacher l’insuffisance des stocks de masques disponibles, puis celle des tests. Comment ne pas rappeler ici que notre commission d’enquête a par ailleurs mis en lumière que le directeur général de la santé est intervenu pour faire modifier un rapport d’expert sur le nombre nécessaire de masques à commander ? C’est gravissime…
Alors que l’État était aux abonnés absents, les villes, les départements, les régions, ont répondu présent et se sont mobilisés, dès le début, pour commander des masques et assurer leur acheminement auprès des populations. Ils ont continué avec la mise en place de centres de tests et aujourd’hui de vaccination. Tout cela a entraîné des dépenses considérables pour les collectivités, alors que ces financements incombaient à de l’État.
En limitant les prises de décisions au cercle restreint du Président de la République autour de certains membres du Gouvernement, conseillés par un groupe d’experts et par des cabinets privés, l’isolement du pouvoir exécutif et la déconnexion avec la réalité de terrain n’ont eu de cesse de se renforcer.
On a réduit le Parlement – singulièrement le Sénat – à une chambre d’enregistrement, bafouant ainsi la démocratie. Des commissions d’enquête parlementaires ont tenté de rétablir la transparence et de réfléchir à l’avenir, en tirant les enseignements de la première vague de la pandémie.
L’ensemble du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et moi-même nous réjouissons de la création, par le Sénat, d’une mission commune d’information pour évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités, qui s’inscrit dans la continuité des travaux de la commission d’enquête. J’en suis convaincue, ces travaux peuvent être utiles pour tous, notamment pour les membres du Gouvernement.
Pour notre groupe, il s’agit non pas de remettre en cause votre investissement personnel, monsieur le ministre, ni celui des membres de votre ministère, mais de dénoncer les choix politiques qui ont conduit à l’affaiblissement des services publics et à la déstructuration des outils de l’État.
La multiplication des agences a été mise en avant comme constituant un frein à la coordination et à l’efficacité des décisions. De nombreuses auditions ont également dénoncé le nombre insuffisant de lits de réanimation, les taux d’occupation, de 90 % à 95 %, rognant toute marge de manœuvre.
Il est urgent de corriger ce manque de moyens humains, matériels et financiers dans les hôpitaux publics ; et que l’on ne nous réponde pas en citant le Ségur de la santé qui, dans les faits, n’a débouché que sur de timides revalorisations salariales, inégalitaires au demeurant (M. Julien Bargeton proteste.), renvoyant à plus tard l’investissement indispensable dans un système de santé devant répondre aux besoins humains !
M. Julien Bargeton. Ce n’est pas mal, tout de même !
Mme Laurence Cohen. Si telle n’est pas la première leçon à tirer de cette pandémie, alors la dégradation des conditions de travail se poursuivra, privant l’hôpital de toute attractivité, comme viennent de me le confirmer les praticiens hospitaliers, qui sont à bout et qui sont de plus en plus nombreux à envisager de partir.
Gouverner, c’est prévoir. Il est urgent de répondre à l’exigence d’augmentation des capacités dans les hôpitaux, à la reconnaissance des métiers et à une révision complète de la gouvernance. La démocratie sanitaire est l’une des clefs de l’attractivité. Il faut donner du pouvoir au personnel, aux usagers et aux élus, dans des instances totalement revisitées.
Une autre politique de santé est possible : renforcer les services publics et la sécurité sociale et doter les territoires de structures de proximité, comme les centres de santé, travaillant en lien avec les hôpitaux et la médecine de ville.
Chaque jour qui passe démontre l’incapacité de la plupart des grands labos pharmaceutiques à organiser une production et une distribution du vaccin contre la covid-19. La France doit retrouver sa souveraineté en ce domaine. C’est tout le sens de notre proposition de création, en France et en Europe, d’un pôle public du médicament et de la recherche, qui intègre les vaccins, afin d’en faire un bien commun de l’humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête a mené un travail particulièrement précis et dense. Nous avons procédé à quarante-sept auditions et entendu 133 personnes, parmi lesquelles figuraient des membres anciens ou actuels du Gouvernement, des directeurs généraux passés et présents de la santé, des responsables politiques locaux, des directeurs d’hôpital, des directeurs d’ARS, des professionnels de santé, des chercheurs faisant autorité et bien d’autres encore.
Le Sénat, dont la sagesse est reconnue, a présenté les conclusions de ses travaux le 8 décembre dernier. Je remercie le groupe Union Centriste et mes collègues Catherine Deroche et Bernard Jomier de m’avoir fait confiance pour être corapporteure de cette commission d’enquête.
Nos critiques et recommandations ont été particulièrement pesées et je reviendrai brièvement sur certaines d’entre elles. C’est en étant lucides sur ce qui a dysfonctionné que nous pourrons avancer valablement. Le retour d’expérience sur l’année 2020 doit nous permettre de mettre en œuvre les correctifs nécessaires, afin que notre État soit, dès à présent, plus réactif.
Si nos travaux concernant la gestion des masques de protection au printemps 2020 ont reçu un écho médiatique important, notre rapport ne saurait être réduit à cela. Ce sujet est toutefois symptomatique de ce qui n’a pas fonctionné : l’anticipation et la culture de la gestion de crise au sein du ministère de la santé.
Je rappelle un fait : le délai d’un mois entre l’alerte de la ministre Agnès Buzyn, le 25 décembre 2019, et la communication, le 24 janvier 2020, à l’attention de cette dernière, des informations sur l’état des stocks de masques a paralysé l’efficience de nos politiques. C’est un retard qui, en période de crise, ne se rattrape pas et qui conditionne, par la suite, la gestion de celle-ci.
Par ailleurs, nos auditions ont clairement mis en lumière les carences, dans les premiers temps de la crise, de la gestion centralisée. L’audition conjointe, au mois de juillet dernier, de M. Jean Rottner, président de la région Grand Est, de Mmes Josiane Chevalier, préfète de la région Grand Est, et Brigitte Klinkert, alors présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, ainsi que de M. Christophe Lannelongue, ancien directeur de l’ARS du Grand Est fut particulièrement émouvante et révélatrice de la situation d’abandon dans laquelle s’est trouvé le territoire du Grand Est face au rouleau compresseur de la covid.
Ce sont eux qui ont essuyé les plâtres et c’est de leur expérience, notamment hospitalière, que l’échelon national s’est nourri pour ensuite faire face. Il serait impensable que nous ne sachions tirer les conséquences de cette impréparation pour devenir meilleurs.
Trois de nos réflexions doivent trouver un écho concret si nous ne voulons pas répéter nos erreurs.
D’abord, il s’agit de renforcer le pilotage dans la réponse aux urgences sanitaires, notamment avec le rétablissement d’une fonction de délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus), placé auprès du Premier ministre et chargé de coordonner la vigilance permanente sur l’état de préparation du pays aux crises sanitaires ou autres.
Le coût humain, économique et financier de la crise actuelle doit conduire chacun d’entre nous à s’interroger sur les effets d’une politique de planification de gestion de crise court-termiste. De l’état des lieux des stocks stratégiques de produits de santé et d’équipements de protection individuelle à l’actualisation quotidienne de nos options de plans d’action, il est impératif d’assurer une veille continue de l’état de préparation du pays aux catastrophes. En effet, la crise du coronavirus aura montré et montre toujours que la réactivité des services déconcentrés de l’État ne peut indéfiniment combler une mauvaise préparation à la gestion de crise.
Ensuite, il s’agit – c’est le deuxième enseignement – de revoir la gestion opérationnelle de la crise dans les établissements médico-sociaux et, plus particulièrement, la notion de double tutelle, avec la responsabilité distincte des ARS pour l’aspect sanitaire et des départements pour la dimension sociale, notamment dans les Ehpad.
Dans les territoires où la gestion de crise a été une réussite, nous avons constaté que le succès tenait surtout au fait que les délégations départementales des ARS et les conseils départementaux avaient su faire preuve d’initiative et d’innovation, en travaillant conjointement.
Nos auditions ont par ailleurs montré combien cette coopération n’était pas naturelle. Dans les régions où les acteurs attendaient davantage les directives nationales, les difficultés engendrées par un cloisonnement trop important ont paru insurmontables au démarrage de la crise et ont fait perdre un temps précieux pour faire face à cette dernière. Les directeurs d’établissement devaient en permanence changer d’interlocuteur en fonction de leurs demandes et de leurs besoins. Les difficultés rencontrées dans les demandes de renforts en personnel ou l’obtention de masques en sont deux exemples.
Notre rapport préconise donc une unification de la tutelle. Le fait de trancher la question de la gouvernance idéale entre ARS et département ne relève pas de la commission d’enquête, mais il est indispensable de rechercher une solution de remplacement à ce double commandement afin de faire face plus efficacement aux crises.
Enfin, si la gouvernance nationale doit être réinventée pour permettre de répondre efficacement au risque pandémique, elle doit parallèlement être accompagnée d’une refonte de la gouvernance territoriale de crise. Nous l’avons tous constaté à des degrés divers selon les territoires, la relation entre préfets et services des ARS a, pour le moins, manqué de fluidité.
Dans le département du Jura, dont je suis élue, la délégation départementale de l’ARS a fait beaucoup et bien avec très peu de moyens. Toutefois, notre action gagnerait en efficacité en réaffirmant un simple fait : la gestion de crise, c’est l’affaire du ministère de l’intérieur. Nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion sur la clarification du pilotage territorial de crise sanitaire, car ce sont les échelons déconcentrés qui, avec les collectivités locales, répondent, aujourd’hui encore, à la crise. Leur préparation, les procédures à appliquer pour travailler conjointement sont des questions centrales.
La campagne de vaccination est un exemple très actuel de ce besoin d’anticipation. Là encore, les préfets, les délégués territoriaux d’ARS, les maires, les présidents de collectivités territoriales doivent s’adapter et composer, du jour au lendemain, pour réparer les erreurs qui auraient pu être évitées. Depuis plus d’un an, ils sont systématiquement dans l’urgence.
Monsieur le ministre, la sidération du premier trimestre 2020 est loin derrière nous. Puisque notre monde a changé, puisque nos vies changent, il faut accepter de changer l’État. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur deux aspects de la gestion de la crise sanitaire : la gestion territoriale de la crise, déjà évoquée, et la recherche. La commission d’enquête a formulé des propositions et je souhaite connaître les intentions du Gouvernement sur les suites qui pourront leur être données.
Le constat a été dressé par les intéressés eux-mêmes : il est nécessaire de renforcer la fluidité des relations entre les préfets et les directeurs généraux des agences régionales de santé. Cette question est déterminante pour les élus locaux, plus familiers d’une relation étroite avec le préfet de département qu’avec le directeur général de l’ARS.
En temps de crise, l’organisation de cette relation est clairement prévue par le code de la santé publique : le préfet peut prendre les commandes. Ce texte existe et il n’est pas nécessaire d’en inventer un nouveau. Pourtant, il n’a pas été utilisé, ce qui nous donne à penser que le défaut d’organisation était plus général et pas seulement lié à l’existence même des ARS. C’est pourquoi la commission d’enquête du Sénat, à la différence de celle de l’Assemblée nationale, n’a pas préconisé leur suppression.
En revanche, nous avons souhaité que des redéploiements interviennent au sein des ARS, afin de permettre d’armer correctement les délégations départementales, qui ont trop souvent semblé dépourvues d’informations, de moyens et de capacités de décision. En effet, la réforme des régions a percuté celle des ARS, dont les sièges sont souvent trop éloignés du terrain. Nous pensons que le délégué départemental de l’ARS doit prendre des responsabilités dans la gestion des crises, en déclinant, dans son département, un plan pandémie et en disposant des données épidémiologiques nécessaires, les cellules d’intervention en région de Santé publique France étant elles-mêmes intégrées au sein des ARS.
Ces données épidémiologiques devraient également permettre d’apporter des réponses différenciées à des territoires placés dans des situations différentes. Le cas emblématique de la première phase a sans doute été celui de la Guyane, entrée en confinement alors que sa situation ne le justifiait pas forcément et privée de cette mesure en pleine flambée de l’épidémie. Le pilotage de la crise s’est alors clairement révélé comme trop centralisé et il ne semble pas que ce point ait significativement évolué dans la durée.
En matière de recherche, l’effort a été tout à fait exceptionnel et les résultats ont été au-delà des attentes que nous pouvions avoir. Le développement des vaccins en est un exemple. En France, pourtant, cet effort de recherche a paru trop dispersé et, de fait, il a conduit à des résultats limités. Nous sommes bien sûr favorables à la liberté de la recherche et à la diversité des initiatives, seules à même de produire des résultats. Toutefois, il nous semble également que, dans un contexte de crise et d’urgence, la multiplication des essais cliniques consacrés aux mêmes molécules a clairement nui à l’efficacité de la recherche, en dispersant les financements et en réduisant mécaniquement le nombre de patients insérés dans les différents bras.
Confrontés aux mêmes enjeux, les Britanniques ont déployé un effort de recherche beaucoup mieux coordonné : témoin, l’essai Recovery promu par l’université d’Oxford. Cet essai a été défini comme étant de haute priorité nationale et tous les médecins en ont été informés. Il nous semble qu’une démarche similaire aurait pu être conduite en France ; les ministères chargés de la santé et de la recherche doivent pouvoir, selon nous, assurer la définition de travaux prioritaires, qui pourraient concentrer les financements exceptionnels mobilisés pendant une crise.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) n’a pas la capacité juridique de remplir cette mission. Elle n’a pas davantage été en mesure, dans la cacophonie ambiante, de faire entendre une voix autorisée sur la méthodologie en matière de recherche clinique, laissant se déclencher sur la place publique des controverses, qui n’ont fait qu’alimenter le désarroi et la défiance de nos concitoyens.
Il nous a également semblé que la recherche sur les maladies émergentes et infectieuses gagnerait à mieux se structurer. C’était l’objet du consortium REACTing, qui n’a pu assurer cette mission que partiellement. Pourrez-vous préciser, monsieur le ministre, les missions et les moyens de la nouvelle agence, fondée sur REACTing, dont vous avez annoncé la création ?
Pour sa part, la commission d’enquête a recommandé la création d’une structure dédiée à la recherche en maladies infectieuses, en rapprochant le consortium REACTing de l’Agence nationale de la recherche sur le sida et les maladies infectieuses, dont la mission est de fédérer, coordonner, animer et financer toute la recherche publique sur le sida et les hépatites virales. Cette capacité à fédérer a clairement fait défaut dans la recherche contre la covid.
D’une façon plus générale, quels enseignements le Gouvernement tire-t-il de cette crise en matière de recherche ? Tout comme l’hôpital, le secteur de la recherche était en crise et en proie au doute bien avant le déclenchement de l’épidémie de covid. Monsieur le ministre, quelles solutions envisagez-vous pour la remobilisation de la recherche, alors que, pour le moment, les résultats ont plutôt été observés à l’étranger ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mmes Victoire Jasmin, Michelle Meunier et Angèle Préville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’épidémie est encore là ; elle nous oblige à la plus grande vigilance, tant dans notre vie quotidienne que dans les analyses et les jugements portés, lesquels ne sauraient être définitifs. L’heure n’est pas encore au bilan, même s’il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour tenir un débat démocratique.
Voilà un an, le virus était encore très largement un mystère à percer, une menace abstraite, un risque mal défini. Aujourd’hui, c’est un ennemi mieux identifié, qui a sévi partout dans le monde – j’y insiste –, provoquant plus de 80 000 morts dans notre pays. Nous faisons donc face à une épidémie évolutive, que nous suivons chaque jour, heure par heure, sur laquelle les connaissances, elles aussi, évoluent sans cesse, tout comme évoluent les outils qui nous permettent de lutter, avec toujours plus d’efficacité, contre ce virus.
Je salue une nouvelle fois tous ceux qui se mobilisent depuis de longs mois, sans compter leur temps ni leur énergie. Tout notre système de santé a été mis en tension, comme jamais auparavant ; toutes les structures économiques et sociales de notre pays ont été bouleversées ; tous les Français ont dû apprendre à vivre autrement, pour éviter le pire.
Il a été question de première ligne, de deuxième ligne, de troisième ligne. Ce qui est sûr, c’est que nous vivons une épreuve collective majeure, une épreuve inconnue de notre génération – de la mienne, de la vôtre –, une épreuve qui n’épargne personne et qui demande à chacun des efforts et même des sacrifices.
Une crise, c’est une perte de contrôle, c’est un événement qui surgit, qui prend de court, qui nous dépasse d’abord et auquel nous nous adaptons ensuite.
Aujourd’hui, nous avons davantage de solutions pour combattre l’épidémie et nous avons repris sur elle un contrôle relatif. La vaccination est un espoir formidable, un outil aussi puissant qu’inespéré il y a encore quelques semaines. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, des variants apparaissent déjà, qui se développent aux quatre coins du monde, qui posent de nouvelles questions, de nouvelles difficultés, de nouveaux défis et qui peuvent mettre à mal notre stratégie. Bien malin qui, ici, serait capable de dire avec certitude quels défis nous posera encore le virus dans les semaines et les mois à venir, n’est-ce pas ?
Churchill avait pour coutume de dire qu’un bon politicien était celui qui était capable de prédire l’avenir et qui pouvait, par la suite, expliquer pourquoi les choses ne s’étaient pas passées comme il l’avait prédit.
M. Olivier Paccaud. Très bon !
M. Olivier Véran, ministre. Eh bien, je pense que les prédictions n’ont jamais été d’une grande aide dans la conduite des politiques publiques en cette matière. Nous devons rester modestes et considérer que des choses nous échappent aujourd’hui, pour lesquelles nous aurons demain des réponses, car, heureusement, nous les aurons.
À ce jour, à l’heure même où nous parlons, nous disposons de temps intermédiaires, mais la ligne d’arrivée n’a pas été franchie. Le travail d’analyse doit impérativement tenir compte de cette donnée. Pour autant, ce travail est indispensable et nous devons préparer ensemble notre système de santé pour demain. On appelle cela « tirer les enseignements » ; c’est notre responsabilité.
Des engagements forts ont déjà été pris, par exemple avec le Ségur de la santé, qui répondait à des revendications anciennes et légitimes formulées par les soignants. Nous avons revalorisé, dans des proportions inédites, les métiers du soin ; nous avons investi comme jamais, pour donner à l’hôpital public les moyens d’affronter tant le quotidien que des épreuves de grande ampleur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis engagé dans la gestion de cette crise sanitaire depuis la première minute de ma prise de fonction. Dans quelques jours, cela fera un an que j’ai été nommé ministre des solidarités et de la santé. Par temps calme, ce ministère n’est pas comme les autres, puisqu’il touche à ce que chacun a de plus précieux : sa santé et celle de ses proches. Dans la tempête, ce ministère cristallise les attentes, les espoirs, les angoisses de tout un pays.
En franchissant les portes du ministère, je savais que ma responsabilité serait immense et, chaque jour, j’ai mesuré ces attentes, ces espoirs et ces angoisses. Je n’ai pas commenté en différé. J’ai agi en temps réel et l’intérêt général a été ma seule boussole. (M. François Patriat applaudit.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, si la réponse à l’urgence peut, par essence, être imparfaite, des leçons durables auraient dû être tirées de la crise. Les choix politiques, les égarements stratégiques n’ont pas été assumés ; nous le regrettons.
L’ampleur du choc ressenti par notre pays depuis bientôt un an est inédite. Nous faisons face à un bilan humain sans précédent et à une urgence sanitaire et sociale. Le début de crise a été marqué par un manque d’anticipation, une absence de prise de décision et une accumulation des dénis.
La première défiance est la vôtre, monsieur le ministre, c’est une défiance à l’égard des Français, pointés du doigt comme de mauvais élèves peu respectueux des consignes, accusés d’emblée d’être de potentiels vecteurs de la maladie au comportement insouciant. Ce qui en résulte en retour – principe de réaction –, c’est de la défiance, accentuée par l’incompréhension de vos mesures.
Nous nous inquiétons du fait que les leçons peinent à émerger, car la vulnérabilité de notre société a été mise à nu. Or la gestion de crise a été concentrée entre les mains de l’exécutif, dans une certaine forme d’opacité, par le truchement du conseil de défense. Aujourd’hui, elle accuse le coup de sa verticalité : notre démocratie a été mise à mal.
La stratégie des masques, des tests et des vaccins n’a clairement pas été à la hauteur. Nous avons l’impression persistante d’être toujours en retard.
Ma question porte sur l’expertise et sur le rôle du conseil scientifique mis en place à la hâte. N’aurait-on pas dû avoir d’entrée de jeu une instance autonome, pérenne, multidisciplinaire, indépendante, dotée de moyens importants et capable de faire face aux crises à venir, dépassant le strict champ des pandémies, comme des événements climatiques ou des accidents industriels ? C’est l’une des propositions du rapport de la commission d’enquête.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, on pourrait disserter longtemps pour savoir si une crise s’anticipe. Par définition, si une crise est anticipée, il y a moins de risques qu’elle survienne…
La crise a éclaté en France, dans toute l’Europe, dans le monde entier. On peut donc considérer qu’il y a peut-être un facteur qui échappe aux politiques publiques et aux particularités inhérentes à un pays. Vous en conviendrez, quand une crise éclate – par définition, il était impossible de l’anticiper, surtout si elle est mondiale –, les réactions que l’on doit avoir, les décisions que l’on doit prendre ne peuvent reposer sur l’anticipation de ce que l’on pourra décider dans un mois.
Aussi, j’ai souhaité avoir un comité scientifique ad hoc pour éclairer les décisions de politique publique et répondre à des questions qui surgissaient au jour le jour, heure après heure : et, oui, ce conseil a été mis en place à la hâte. Néanmoins, si l’on ne prend pas des décisions à la hâte quand on gère une crise, madame la sénatrice, alors on ne gère pas une crise.
J’en viens à la question démocratique. Je le dis sans aucune forme de critique : je suis profondément respectueux, j’allais dire presque amoureux du Parlement. J’ai été parlementaire, j’aime le Parlement pour ce qu’il est capable d’apporter. J’aime profondément la démocratie et je suis très attaché au fait que celle-ci survive même dans les périodes de crise.
C’est ainsi que ce débat correspond à ma vingt-quatrième convocation par une chambre parlementaire – Assemblée nationale ou Sénat – depuis onze mois que je suis ministre. J’y réponds bien volontiers et je vous remercie d’ailleurs de cette convocation, qui s’ajoute aux nombreuses séances et examens de textes traitant de la crise sanitaire. Par conséquent, je n’ai pas l’impression que la démocratie a été confisquée ; je pense même avoir passé presque plus de temps au Parlement comme ministre que comme député auparavant… (Sourires.)
Pour autant, je comprends parfaitement les remarques qui peuvent être formulées sur l’enjeu démocratique en période de crise. Là encore, on pourrait disserter longtemps sur ce sujet. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, vous n’avez pas bien compris ma question. Je vous demandais s’il n’aurait pas été intéressant d’avoir, d’emblée, une instance déjà prête à répondre à toutes les crises auxquelles nous allons peut-être être confrontés à l’avenir.
Évidemment, le conseil scientifique a été créé à la hâte, ai-je dit, parce qu’il n’y avait rien auparavant. Parce que nous aurons à l’avenir – espérons que non… – à faire face à d’autres crises importantes – événements climatiques ou accidents industriels –, avoir, d’emblée, comme cela existe dans d’autres pays, notamment anglo-saxons, une instance multidisciplinaire comptant des scientifiques prêts, quasi à la seconde, à répondre,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Angèle Préville. … aurait peut-être été intéressant. (Mme Catherine Deroche applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Nous l’avons tous constaté dans nos territoires, dès le mois de février 2020, la distribution de masques et d’autres équipements de protection individuelle aux professionnels de santé de ville a cruellement péché. Le même constat a été dressé en ce qui concerne la vaccination et les tests de dépistage, qui n’ont pu se faire de façon massive que grâce à l’intervention des collectivités locales.
Le manque d’anticipation constaté, les difficultés logistiques, l’absence de prise en compte du secteur de ville, ont mis en évidence la nécessité d’une territorialisation de la prise en charge sanitaire de nos concitoyens. Cette territorialisation est attendue de tous – élus et professionnels de santé – dans nos territoires.
Les rapporteurs de la commission d’enquête ont ainsi formulé plusieurs propositions à propos de la gouvernance des ARS, le redéploiement de moyens humains et financiers vers les délégations départementales de ces agences, auxquelles doivent être attribuées des compétences propres, comme du lien avec les élus locaux.
Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a créé les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui ont pour rôle de coordonner les professionnels d’un même territoire souhaitant s’organiser autour d’un problème de santé. Or, malgré un objectif de 1 000 CPTS établis en 2022, très peu de structures de cette nature ont déjà été mises en place.
Si je me réfère à ce qui se passe dans le département dont je suis élue, les ARS ne semblent pas avoir été investies de cette mission. Quant aux quelques CPTS existantes, elles n’auraient pas été sollicitées dans la gestion de la crise et ne le sont toujours pas pour la vaccination anti-covid.
Pourtant, les CPTS pourraient contribuer à une organisation fine du « dernier kilomètre ». Elles pourraient également permettre la déclinaison, à l’échelon local, d’un plan pandémie coordonné avec les élus des collectivités territoriales, sous la responsabilité du délégué départemental de l’ARS, comme cela est suggéré dans le rapport.
Monsieur le ministre, qu’en est-il de la mise en œuvre de cette territorialisation de la santé, notamment au travers des CPTS et des délégations départementales des ARS, attendue de tous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, la crise aura eu – pardonnez-moi l’expression, dont j’ai presque honte – quelques vertus structurantes pour le système de santé.
Je pense à l’accélération de la télémédecine – on est passé de 10 000 à 1 million de téléconsultations par semaine. Je pense aussi au déploiement très rapide des CPTS dans les territoires ; vous en avez parlé et vous avez raison : partout où elles se trouvent, ces communautés font l’unanimité des soignants, des usagers et des élus, fait suffisamment rare pour être souligné. Je pense encore au déploiement des services d’accès aux soins (SAS) – j’ai sélectionné vingt-deux projets, qui sont en train de se développer pour les soins non programmés. Je pense enfin à l’accroissement de la coopération entre le secteur public et le secteur privé, entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, entre le médico-social et le sanitaire, et à l’accélération du déploiement de la médicalisation de la gouvernance dans les Ehpad.
Ainsi, énormément de choses ont changé, ont bougé et les gens se sont plus parlé.
Pour ce qui concerne les ARS, le volet départemental avait commencé à se renforcer, avant que je ne sois ministre, avec des recrutements de délégués départementaux. Le Premier ministre a annoncé vouloir muscler cet échelon départemental, afin qu’il soit encore plus proche des territoires.
Je constate également, avec plaisir, que les liens entre les ordres médicaux, les syndicats médicaux, les représentants du monde hospitalier et les élus locaux se sont renforcés. Par exemple, pour la vaccination, dans tous les départements se trouvent des comités de pilotage départementaux. Je m’entretiens régulièrement avec un certain nombre d’entre eux, j’étais ainsi virtuellement avec celui du Gers hier ou avant-hier matin. Je vois donc que les gens se parlent davantage, qu’ils structurent des projets.
Nous devons nous appuyer sur cette dynamique et je n’aurai de cesse que de simplifier les procédures et de donner davantage d’autonomie aux acteurs dans les territoires.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. La covid-19, qui continue de progresser sur notre territoire, a causé la mort de nombreux Français. J’ai une pensée pour eux et pour leurs proches.
Malgré les difficultés, notre système hospitalier a tenu bon grâce au dévouement de nos soignants, auxquels je veux rendre hommage.
L’ensemble des services de l’État, tout comme les collectivités territoriales, sont mobilisés depuis le début de cette pandémie afin de protéger au mieux nos concitoyens. Face à un virus inconnu et mutant, la tâche est loin d’être simple.
Nos territoires n’ont pas été touchés par la maladie en même temps ni avec la même intensité. Les ARS n’auront donc pas été confrontées aux mêmes réalités.
De nombreux élus locaux ont eu le sentiment que ces agences n’étaient pas suffisamment proches du terrain. De manière plus générale, un sentiment de déconnexion de l’administration a été partagé, notamment par ceux qui ont à appliquer des protocoles sanitaires destinés aux établissements recevant du public, comme les écoles ou les commerces. Ces documents ont fait l’objet de nombreuses modifications et se révèlent parfois trop éloignés des réalités matérielles pour être applicables.
Une association plus étroite des collectivités territoriales aurait pu sans doute lever quelques difficultés.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : pensez-vous que rapprocher l’administration du terrain et mieux associer les élus locaux à l’action des services de l’État soit nécessaire et utile ? Comment comptez-vous procéder concrètement pour améliorer la situation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, nous étions ensemble voilà deux jours à Melun, où nous avons visité le centre de vaccination. Vous y avez vu comme moi un délégué départemental, un directeur général d’ARS, un préfet de département, un maire, un président de conseil départemental – la région Île-de-France ne s’était pas fait représenter – et des parlementaires : tous ceux qui étaient présents travaillent ensemble, se sont mis à structurer ensemble des centres de vaccination et se parlent.
Des divergences existent parfois entre les critiques que l’on peut entendre à l’échelon national, les craintes que cela ne se passe pas bien dans les territoires et la réalité de terrain. Pour rouler ma bosse dans les territoires, je peux vous dire que, partout où je vais, je vois coordination et entente.
Hier, j’ai réuni le cinquième comité d’élus sur la stratégie vaccinale et la prise en charge de l’épidémie, lequel associe Régions de France, l’Assemblée des départements de France (ADF), l’Association des maires de France, France urbaine, l’Union nationale des centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (Unccass) et d’autres associations d’élus locaux. Nous avons mis en place les cellules départementales et régionales de pilotage. Les gens travaillent ensemble.
Il est vrai que tout n’est pas homogène : il y a toujours des régions où les choses traînent un peu, un département où la situation est un peu plus compliquée ou des relations entre un directeur et un préfet qui vont être un peu plus complexes qu’ailleurs. Pourtant, partout, je sens l’envie d’arriver à travailler en cohérence et en convergence.
De ce point de vue, je suis plutôt favorable à une décentralisation et à une déconcentration. Dès lors que les gens ont compris qu’il y avait intérêt à agir ensemble et que les conditions leur permettant d’agir ensemble étaient réunies, l’intervention de l’État est satisfaite.
C’est sur cette coopération étroite dans les territoires que nous devons nous appuyer pour mener d’autres politiques de santé, même en dehors de toute crise.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Monsieur le ministre, je vous remercie encore d’être venu au centre hospitalier de Melun lundi dernier.
J’entends vos propos, mais la situation n’est évidemment pas la même dans tous les territoires. Certains se sont sentis démunis.
Je veux mettre l’accent sur les protocoles sanitaires. Imposés par l’administration, ils n’ont souvent pas été en adéquation avec le terrain, mettant certains élus locaux en difficulté.
C’est sur ce rapprochement entre l’administration et les élus locaux que je voulais insister.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, je veux d’abord m’excuser de sortir un peu du cadre du présent rapport pour évoquer davantage la question de la gouvernance, qui me semble essentielle.
En prenant quelques instants pour regarder comment nos voisins gèrent la pandémie depuis un an, on constate rapidement qu’aucune démocratie ne fonctionne avec une aussi grande verticalité que la nôtre. Ce qui était acceptable il y a un an est devenu insupportable aujourd’hui.
Je rappelle brièvement que, après être allé au théâtre pour rassurer les Français au début du mois de mars dernier, le Président de la République a décidé, huit jours plus tard, sans aucun cadre légal, de confiner le pays. Nous ne lui tenons pas rigueur d’une décision qui s’imposait et que nous avons d’ailleurs validée a posteriori, mais je mobilise cet exemple pour préciser que notre politique de gestion de crise ne peut plus relever du seul chef de l’État.
L’exemple du confinement avorté, qui, voilà quinze jours, a pris par surprise jusqu’au Premier ministre, est une nouvelle illustration de cette situation délétère.
Ce manque de visibilité est aussi pesant et usant pour nos concitoyens que les mesures de restriction de liberté.
Que faire face à cette crise, qui est, hélas, partie pour durer ? Il me semble que l’Afrique du Sud, pays pourtant très durement touché par le virus, a pris le temps d’élaborer un mode de gouvernance intéressant : en lien avec le Parlement, le gouvernement a mis en place un barème comprenant cinq niveaux d’alerte progressifs, similaire à notre barème Vigipirate. Chaque niveau correspond à un certain nombre de mesures de distanciation et de restriction de la liberté de mouvement et d’activités. Le changement de niveau est activé par le gouvernement sur la base de critères objectifs : circulation du virus, nombre de décès, niveau d’occupation des hôpitaux, avec, bien sûr, une possibilité de territorialisation.
Monsieur le ministre, qu’est-ce qui empêche le Gouvernement de travailler sur un dispositif semblable et, en tout cas, de travailler sur le temps long et sur l’adaptation dont vous avez parlé ? Cela permettrait de donner de la visibilité aux Français et aux Françaises, aux élus locaux et aux entreprises et, surtout, de renforcer l’acceptabilité des mesures et de soulager notre démocratie.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Guillaume Gontard, en gestion de crise, il faut distinguer la préparation de la décision de sa formalisation.
En pratique, la préparation des décisions est collégiale. Y participent les scientifiques, les élus, dans le cadre du comité d’élus, auquel vous avez vous-même participé à plusieurs reprises, avec le Premier ministre – j’y étais également. Après le temps de l’expertise sanitaire vient celui des discussions interministérielles. À la fin, il faut bien qu’une décision soit prise.
Conformément à sa mission régalienne, le chef de l’État engage sa responsabilité et prend les décisions, mais cela ne veut pas dire qu’il décide seul. S’il prend seul la décision formalisée, celle-ci fait suite à des concertations. Je peux d’ailleurs vous dire que je passe beaucoup de temps à y participer ; heureusement, du reste, car ces concertations sont très importantes !
Je comprends la volonté de procès politique, que je vois émerger dans une partie de la gauche depuis quelques semaines, à l’encontre d’un homme qui déciderait tout seul.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il n’a rien compris…
M. Olivier Véran, ministre. Cela ne traduit absolument pas la réalité ni l’effort de transparence qui est fait tous les jeudis avec les ministres et le directeur général de la santé pour expliquer les choses, communiquer, en toute transparence, sur les graphiques et les données chiffrées, mais aussi s’attacher à ce que les Français saisissent les enjeux. Je crois, d’ailleurs, qu’ils les comprennent.
Vous parlez d’indicateurs, de seuils. Nous en avons créé à plusieurs reprises. Nous avons défini des zonages. On nous a successivement reproché d’avoir défini trop de zones rouges, puis pas assez, d’avoir opté pour une réponse trop uniforme, puis trop territorialisée. Ce n’est pas grave ! La critique fait aussi progresser. Pour l’heure, rien ne nous permet encore de dire quelle sera la situation dans un mois.
Monsieur le sénateur, juste avant que vous me posiez votre question, j’ai regardé, comme je le fais tous les jours à la même heure, la publication des chiffres de l’épidémie du jour par Santé publique France. Quand ce débat sera terminé, je pourrai enfin prendre connaissance du taux de saturation des services de réanimation par région et voir s’il augmente dans un département. Le cas échéant, je regarderai si cette hausse s’explique par la présence d’un variant. J’appellerai alors les autorités locales pour savoir s’il y a un cluster ou s’il s’agit plutôt d’une diffusion départementale. Dans cette dernière hypothèse, nous nous demanderons si cette diffusion peut nécessiter que soient prises des décisions touchant les politiques publiques.
Tel est notre quotidien depuis un an, monsieur le sénateur. La réactivité est absolument indispensable.
Vous avez raison : la transparence et des règles claires sont nécessaires. La Constitution impose que nous assumions des décisions. En revanche, il faut nous laisser cette réactivité.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Je remercie tout d’abord les rapporteurs de l’excellent travail de la commission d’enquête, qui répond tout à fait à ce que nos concitoyens attendent de notre assemblée.
C’est dans l’esprit des chartes de confiance en matière d’événements sanitaires indésirables qu’il convient de tirer certaines leçons de la pandémie de covid-19. Nous ne demandons pas de prévoir l’imprévisible, car nous ne souhaitons pas une vie sans imprévu. En revanche, il convient que la société soit agile et réactive face à toute situation inattendue et que nous soyons dotés de la capacité de répondre aux crises, surtout lorsque celles-ci touchent l’ensemble de la population.
La résolution d’une crise, ce n’est pas le retour en arrière. Ce n’est pas non plus une révolution : on sait très bien que, après avoir viré à 360 degrés, on se retrouve généralement à la même place… Ce doit être le départ d’une nouvelle organisation, qui tire les conséquences de cette crise : après ne sera plus comme avant.
La santé est un tout. Le bien-être physique, psychique et social des individus nécessite une parfaite harmonie entre le médico-social et le sanitaire. Les doubles tutelles sont un handicap pour cette harmonie. Monsieur le ministre, en tirerez-vous les leçons pour rassembler ces compétences ? Il en est de même des relations entre ARS et préfet. Comptez-vous unifier l’autorité de l’État pour éviter les atermoiements en cas de crise ?
Nous avons également mesuré l’implication des collectivités dans les réponses apportées. Quand viendra la loi 4D pour libérer les énergies et les savoir-faire des territoires ? Son intitulé est passé de 3D à 4D. Il ne faudrait pas que l’on en revienne à 3D : désillusion, déception, désespérance. (M. le président de la commission d’enquête sourit.)
Enfin, trop de communication tue la communication. Il serait tellement plus clair de savoir quelle est la seule autorité scientifique ayant légitimité à s’exprimer, afin que la communication du Gouvernement se fasse dans la clarté et la transparence, comme je vous l’ai déjà demandé pour la stratégie vaccinale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je répondrai d’abord à votre dernière question, monsieur le sénateur.
Vous imaginez bien que je n’ai ni la légitimité, ni le pouvoir, ni même l’envie de déterminer quels sont les scientifiques qui sont habilités à s’exprimer. La liberté de la parole est totale. Ceux qui prennent la parole sont des chercheurs dans la plupart des cas. Certains, en responsabilité, ont une expression qui est à la fois mesurée, ordonnée et conforme aux données de la science, d’autres non, mais notre État ne censure pas ses scientifiques et ses médecins.
Je reconnais bien volontiers que ces communications extrêmement fournies, fouillées, détaillées ne sont pas toutes opportunes : elles me pénalisent tout autant que vous, monsieur le sénateur, ou que les citoyens, qui n’y comprennent plus rien lorsqu’ils voient des blouses blanches affirmer d’un jour à l’autre tout et son contraire sur les plateaux de télévision, et ce avec la même conviction.
Sur l’organisation des structures de l’État dans les territoires, la loi est très claire. En cas de crise épidémique ou de crise sanitaire, l’ARS conduit les politiques de santé dans les territoires sous la responsabilité du préfet. Cette organisation a été mise en place par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), qui a été votée par le Sénat en 2009.
Une sénatrice a déclaré qu’il fallait confier la gestion de crise au ministère de l’intérieur. Le ministère de l’intérieur sait gérer des crises qui sont propres à la sécurité publique. L’armée est à même de gérer un certain nombre de crises qui relèvent aussi des missions régaliennes.
La question de logistique, y compris du secteur privé, relève de la compétence de tout l’État – on me le reproche suffisamment.
M. Jean-François Husson. On aurait pu mobiliser l’armée !
M. Olivier Véran, ministre. Je peux vous dire que ce n’est pas sur la seule armée que l’on peut faire reposer une stratégie logistique lorsqu’il s’agit de pharmaciens, de médecins libéraux et de centres de vaccination ! C’est absolument impossible.
Les ARS ont été pensées non pour piloter des crises, mais pour gérer la santé du quotidien. Leurs agents voient leur métier et leurs missions profondément bouleversés depuis le début de la crise. Je suis très fier de ce qu’ils font, parce qu’ils se donnent à fond tous les jours et tous les week-ends, alors qu’on ne les voit pas.
M. Jean-François Husson. Comme les élus locaux ! C’est pareil !
M. Olivier Véran, ministre. On en parle beaucoup. S’ils m’écoutent à leur tour, je veux leur exprimer tout le respect que j’ai pour eux, parce qu’ils se sont reconvertis pour être capables de faire face. Celles et ceux qui aident à prendre des rendez-vous et à coordonner les prises de rendez-vous dans les centres de vaccination n’ont pas été recrutés pour cela !
Par définition, la crise bouleverse les organisations. Nous devons évidemment repenser la gestion de crise, mais nous le ferons le moment venu, car on ne change pas une organisation en pleine crise sanitaire.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, le rapport de la commission d’enquête du Sénat a démontré que le Gouvernement aurait pu anticiper la deuxième vague de covid-19 bien plus tôt.
Malheureusement, monsieur le ministre, vous n’avez pas écouté les mises en garde. Surtout, vous n’avez pas tiré les leçons des échecs de la gestion de la pandémie au premier trimestre 2020.
Face à la crise, des solutions alternatives ont émergé des territoires. Les élus se sont mobilisés pour la fabrication de masques. Je pense également aux initiatives de fabrication de masques lavables au sein de la filière textile.
La commission d’enquête sénatoriale préconise d’ailleurs de promouvoir ces masques produits en France et de pérenniser la filière. La mise à disposition d’une production nationale de masques grand public mobilisables rapidement en cas de crise sanitaire est aujourd’hui nécessaire.
Monsieur le ministre, depuis lundi, l’usage des masques artisanaux est interdit à l’école et les masques de catégorie 1 sont obligatoires.
Actuellement, aucune homologation n’est prévue pour la commercialisation des masques. Que prévoit le Gouvernement pour aider les initiatives locales de production de masques de la filière textile à obtenir la certification de catégorie 1 afin de maintenir cette activité sur notre territoire ?
Enfin, monsieur le ministre, nous vous proposons d’envoyer à chaque enfant scolarisé des masques de catégorie 1, par le biais des communes ou des communautés d’agglomération. Qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, la France a été le premier pays européen à mettre en place des normes Afnor (Association française de normalisation), avec deux catégories de filtration, pour des masques dits grand public. Cela a nécessité un important travail.
Les industriels ont été très rapidement mobilisés pour les produire, notamment dans de nombreuses entreprises françaises, ce qui nous a permis d’améliorer considérablement la capacité à protéger les Français avec des masques.
Vous le savez, les collectivités ont pleinement joué leur rôle : elles ont acquis des masques et en ont distribué. L’État a également joué le sien, puisque nous avons réalisé le troisième envoi de 45 millions de masques gratuits à 7 millions de Français précaires et le troisième déstockage de plusieurs dizaines de millions de masques à usage unique à destination des personnes qui vivent dans la rue et ne peuvent pas laver leurs masques.
Vous posez la question de l’accessibilité de ces masques. Des distributions de masques textiles grand public de catégorie 1 sont organisées via les préfectures à destination des structures associatives dans les territoires pour permettre aux enfants issus de familles modestes de se protéger.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, j’entends votre réponse sur les familles modestes, mais comment vont faire les familles qui sont aujourd’hui plongées dans la précarité, y compris celles qui gagnent le SMIC, dont on ne parle pas souvent ?
Vous savez que, à raison de 3 euros en moyenne par masque, le budget revient à 150 euros par an et par enfant. C’est un sacré souci !
J’aimerais donc savoir si vous êtes d’accord ou non avec cette proposition de fournir à tous les enfants scolarisés un masque, qu’il soit dans une famille où l’on gagne le SMIC ou dans une famille qui connaît la précarité. Je rappelle que les familles ont connu le chômage partiel et essuyé de grosses pertes de pouvoir d’achat !
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur ministre, le Sénat étant la chambre des territoires, je vous interrogerai sur le rôle de nos collectivités territoriales dans la gouvernance de cette crise sanitaire.
La pandémie que nous traversons a eu la vertu de révéler, dans certains cas, les faiblesses de la gouvernance territoriale de crise. Les conclusions de la commission d’enquête, dont je salue la finesse et la clarté, le confirment : en matière de santé, la décentralisation est insuffisante et la déconcentration reste maladroite.
La décentralisation est insuffisante. Le pilotage de la gestion de crise est apparu trop centralisé. Concrètement, les collectivités territoriales n’ont pas été suffisamment associées aux décisions. Or elles sont des sismographes indispensables pour enregistrer les signaux faibles et les spécificités de nos territoires.
Elles seules peuvent garantir un calibrage fin d’une politique de santé publique. En effet, les cibles d’une telle politique ne sont pas hors sol. Elles sont charnelles : ce sont des femmes et des hommes qui habitent des communes, des départements, des régions.
En matière de santé, la déconcentration est maladroite. Comme le soulignent les conclusions de la commission d’enquête, les agences régionales de santé, services déconcentrés de l’État, ont pratiqué une gestion de crise trop éloignée du terrain. Leur délégation départementale n’a pas pu jouer un rôle d’interface efficace avec les élus locaux.
Forts de ces constats, les sénateurs du groupe Union Centriste appellent de leurs vœux une décentralisation et une déconcentration plus agiles, plus fluides et plus profondes en matière de santé.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous les rendre possibles ? Seriez-vous d’accord pour recentrer les missions des ARS autour de l’organisation et de la coordination de la politique de sécurité sanitaire, de santé publique et de santé au travail, régionaliser la convention d’objectifs et de gestion signée tous les cinq ans entre l’État et la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), mettre en place une double expérimentation de déconcentration et de décentralisation accrues en matière de santé dans les régions volontaires, en transférant les compétences des ARS aux régions ?
Ces questions sont complexes, mais se veulent constructives. Nous restons par ailleurs attentifs au principe d’égalité de traitement, qu’une décentralisation ne doit pas menacer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous me demandez mon opinion, je vous répondrai très franchement : je ne suis absolument pas favorable à la décentralisation de la gestion des crises sanitaires aux collectivités.
Nous pourrions en discuter très longtemps dans cette enceinte. Pour ma part, j’estime que les collectivités territoriales ne sont ni outillées ni préparées pour gérer ces crises et qu’il faut un peu d’uniformité. Au reste, je constate que certains pays ayant décentralisé cette gestion ont très vite recentralisé les décisions dès lors que cela a commencé à chauffer.
Alors que l’Allemagne est composée de Länder extrêmement puissants et dotés de nombreuses compétences, quand Angela Merkel les a réunis hier pour leur proposer de maintenir un confinement dur jusqu’au 15 mars prochain compte tenu de la situation sanitaire, pas un Land n’a décidé autre chose. (M. Jean-François Husson s’exclame.) On peut promouvoir la décentralisation, mais, en cas de crise sanitaire, ce n’est pas celle-ci qu’il faut.
L’Espagne répond à un autre modèle. La ministre de la santé espagnole, que j’ai eue au téléphone, m’a expliqué que la plupart des régions étaient en situation de couvre-feu renforcé, mais que l’une d’entre elles avait décidé de rouvrir les bars et les restaurants pendant deux heures le midi ou le soir, qu’une autre était en confinement complet, que l’on ne pouvait pas circuler entre certaines régions, mais que l’on pouvait encore se déplacer au sein de certaines d’entre elles. Je vous assure que je n’envie pas ces modèles très décentralisés !
Au demeurant, dans l’immense majorité des pays qui nous entourent prévalent une centralisation et une déconcentration de la politique sanitaire en période de crise.
À l’inverse, il est heureux que la décentralisation soit très importante aux États-Unis ! Cela a empêché que le président Trump fasse la pluie et le beau temps. Il a eu beau dire qu’il était contre les masques et pour la chloroquine, la plupart des gouverneurs des États, qui ont beaucoup de poids, ont pris des décisions responsables.
On le voit, tous les modèles peuvent être critiqués !
Pour ma part, c’est la façon d’être plus efficace sur les derniers kilomètres des territoires qui m’intéresse. Les acteurs doivent se parler. Fortes de leurs capacités, de leurs compétences et de leur motivation, les ARS doivent pouvoir être aussi actives que possible, avec les élus locaux, pour atteindre les publics éloignés des structures sanitaires. C’est sur ce point que nous devons renforcer notre réflexion.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le ministre, à ce stade, j’insiste sur l’absolue nécessité de renforcer, notamment en période de crise, les leviers qu’offre la démocratie sanitaire dans les différents territoires.
En effet, lors de nos auditions, il est apparu que nombre de patients, leur entourage ainsi que les associations se sont sentis complètement délaissés. Ils n’ont pas été écoutés. Certains ont probablement subi des pertes de chances et ont eu le sentiment d’être exclus.
De même, France Assos Santé souligne qu’un fort sentiment d’isolement a été ressenti chez les personnes malades et en situation de handicap ainsi que chez leurs proches aidants, parfois amenés à gérer des soins curatifs et palliatifs. En tant que responsables locaux, nous l’avons également constaté.
Ces constats reflètent que la démocratie sanitaire a été rognée, alors que les différents enjeux éthiques soulevés appelaient plus que jamais à entendre les voix des patients et celle de la société.
Les élus locaux n’ont pas été écoutés. Les régions, les départements et les intercommunalités ont, de fait, été mis sous pression. Ils ont fait de leur mieux. Il est donc nécessaire de mettre fin à la centralisation excessive du pilotage opérationnel des instances de santé, en mettant en avant les complémentarités et potentialités des différents territoires.
Par ailleurs, monsieur le ministre, dans certains territoires, une forte concurrence entre les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et le service d’aide médicale urgente (SAMU) est apparue. Il importe aujourd’hui de mettre en place des plans de continuité d’activité pour qu’ils soient plus complémentaires et non plus concurrents.
Enfin, monsieur le ministre, comment comptez-vous valoriser les différentes instances de démocratie sanitaire concernées dans la proximité et la démocratie ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, j’ai participé lundi aux travaux du conseil départemental d’analyse et de vigilance du Gers, dont j’ai parlé tout à l’heure.
Cette initiative locale peut servir d’exemple. Elle est promue par le président du département, Philippe Martin, que vous connaissez bien. Elle travaille main dans la main avec l’État et ses services. Elle réunit les professionnels de santé et des citoyens pour mettre en œuvre des initiatives locales complémentaires aux dispositifs nationaux. Je pense notamment à la mise en place de bus de tests, qui vont devenir des vaccinobus.
C’est sur ce rôle très important des élus locaux que j’ai insisté en les réunissant hier, parce qu’ils sont les plus à même d’identifier les personnes isolées, dans les milieux très ruraux comme dans les quartiers populaires. Les inégalités de santé et les inégalités sociales font que c’est parfois plus difficile d’aller au centre de vaccination. C’est la raison pour laquelle je tenais aussi à ce que les centres communaux d’action sociale (CCAS) soient présents : nous devons travailler avec eux pour que personne ne soit laissé pour compte et que l’on essaie au contraire de gommer les inégalités sociales en faisant la démarche d’aller vers ces publics.
Ce travail partenarial entre l’État, les services, les élus, les soignants dans les territoires fonctionne bien. Les exemples sont nombreux.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, comme un certain nombre de nos collègues, je reviens sur un ensemble de conclusions de la commission d’enquête, notamment celles qui touchent à la gestion de la crise, dont je rappelle que le Président de la République l’a qualifiée de « temps de guerre ». Cette gestion de crise n’a manifestement pas permis d’assurer une territorialisation dynamique des décisions qui aurait permis, nous semble-t-il, de mieux gérer la crise dans les territoires les plus touchés, notamment lors du premier acte – je pense à notre région Grand Est –, mais également de ralentir, dans un second temps, la propagation du virus.
Par ailleurs, vous n’avez pas donné aux acteurs locaux les moyens d’action qui leur auraient assuré un soutien suffisant dans le premier temps de la crise.
À cette époque, loin d’être linéaire, la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre le covid-19 s’est plutôt apparentée à une course d’obstacles. Il a fallu que les ARS trouvent la bonne trajectoire pour gérer la crise sanitaire. L’aide des départements et des communes a évidemment été nécessaire. La stratégie nationale élaborée par les services de l’État a été hésitante. La multiplication des décisionnaires a ralenti et alourdi la chaîne de commandement, inadaptée à la gestion de la crise, quand la fluidité est gage de confiance.
Monsieur le ministre, comment pensez-vous aujourd’hui remédier à cette gestion lente et désordonnée de la crise sanitaire, qui participe d’une certaine manière au climat anxiogène ressenti par les Français ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, il a beaucoup été question du Grand Est à la tribune tout à l’heure. Ce qui a été dit me gêne un peu. Je profite donc de votre question pour y répondre.
Oui, la région Grand Est a été touchée de plein fouet par la crise, mais nous avons été – moi en particulier – presque quotidiennement en contact avec la quasi-totalité des grands élus du territoire, qu’ils soient maires, présidents de département ou de région. Le Grand Est est le territoire dans lequel nous avons réalisé le plus d’évacuations sanitaires en urgence. C’est le territoire de France dans lequel le plus grand nombre de soignants ont pris le train ou la voiture pour venir prêter main-forte afin d’éviter le tri de malades à l’hôpital. La région Grand Est est celle qui nous a occupés jour et nuit pendant des semaines. J’ai donc du mal à laisser dire que la région aurait été laissée seule, abandonnée, livrée à elle-même !
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Olivier Véran, ministre. Certes, mais c’est ce qui a été dit tout à l’heure par quelqu’un de la région.
La région Grand Est est celle où j’ai dû limoger un directeur général (DG) d’ARS, que votre commission d’enquête a auditionné.
M. Jean-François Husson. Pour d’autres raisons !
M. Jean-François Husson. C’était pour le CHU !
M. Olivier Véran, ministre. Cela s’est fait en lien étroit avec les élus locaux. Je note, du reste, que, quand les élus locaux ont demandé, à la quasi-unanimité, que l’on remplace le DG de l’ARS, je me suis exécuté, ce qui n’a pas empêché que celui-ci soit auditionné pour comprendre s’il l’avait été limogé pour de bonnes raisons…
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, dans votre réponse, vous vous êtes quelque peu fourvoyé sur la raison du limogeage du directeur général de l’ARS : celui-ci s’explique par des choix que l’on pourrait qualifier d’inacceptables ou de hasardeux, comme l’ont dit un certain nombre d’élus, sur l’organisation du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy.
M. Jean-François Husson. Telle est la réalité, monsieur le ministre !
Par ailleurs, je vous ferai une petite proposition, qui relève du travail d’influence que le Gouvernement pourrait exercer à l’endroit des organismes d’assurance. Plutôt qu’une participation à des contributions, il eût été préférable de négocier une prise en charge par ces derniers, au titre des dépenses de prévention prévues par les contrats couvrant l’ensemble des Français via une complémentaire santé, une partie des frais engagés pour l’achat de masques. Il est encore temps de le faire ! Cela permettrait de montrer que le public et le privé peuvent travailler intelligemment au service des Français.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le ministre, pendant deux mois, la direction générale de la santé (DGS) enjoignait chaque soir les Français de faire preuve de responsabilité face au covid-19.
Aujourd’hui, nos concitoyens sont en droit de demander à l’administration de faire preuve de la même responsabilité.
Qu’est-ce que la responsabilité ? C’est l’obligation de répondre de ses actes et, le cas échéant, de ses fautes.
Je me concentrerai ici sur quelques-unes de celles qui ont été commises par la DGS. La lecture de notre rapport permet d’identifier trois fautes majeures.
La dissimulation, d’abord : mise au courant dès 2018 de la non-conformité et du caractère périssable de centaines de millions de masques, la DGS n’en informait sciemment pas la ministre de la santé.
L’impréparation, ensuite : la DGS décidait de ne pas reconstituer ce stock, toujours sans en informer le Gouvernement et, par là même, les Français.
La manipulation, enfin : la pénurie arrivée, la DGS faisait pression pour modifier un avis scientifique sur la nécessité de disposer d’un stock élevé de masques.
Dissimulation, impréparation, manipulation : trois fautes majeures, aucune responsabilité, le Gouvernement n’ayant eu de cesse de renouveler sa confiance à la DGS. Pourquoi, monsieur le ministre ? Cette position est intenable. Maintenant que la lumière est faite sur les erreurs commises, quelles conséquences comptez-vous en tirer ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je ne crois pas être devant une cour de justice à devoir répondre d’accusations au nom de mon directeur général de la santé.
J’ai déjà eu à m’exprimer sur cette question. J’ai lu le rapport de la commission d’enquête ; les éléments qui y figurent ont été envoyés par le directeur général de la santé lui-même. J’ai eu l’occasion d’expliquer à plusieurs reprises qu’il avait toute ma confiance et je le remercie de l’action qu’il mène au service de l’intérêt général.
Mme Catherine Deroche. Ce n’est pas ça, la réalité !
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.
M. Vincent Delahaye. De nombreux Français seront surpris de cette réponse. Moi-même, je le suis.
Il y a tout de même eu une gestion catastrophique des masques, c’est reconnu. Il y a eu une gestion chaotique des tests. Aujourd’hui, on constate une impréparation flagrante de la campagne de vaccination. On se demande ce qu’a fait la DGS depuis le mois de septembre, alors que l’on savait que l’on allait avoir des vaccins.
Quand on est aux responsabilités, on doit rendre des comptes. Or l’impression qui domine aujourd’hui, c’est que la haute fonction publique n’en rend pas.
Monsieur le ministre, vous nous devez des explications un peu plus claires et un peu plus circonstanciées que celles que vous venez de nous donner. Je suis désolé de cette réponse, car elle ne correspond pas du tout à ce que l’on peut attendre d’une administration responsable dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, SER et Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Responsable, mais pas coupable !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Michelle Meunier. Monsieur le ministre, les conclusions de notre commission d’enquête ont étayé l’avis que beaucoup se sont forgé depuis un an : notre pays n’était pas suffisamment préparé à la gestion d’une telle crise sanitaire. Nos sphères décisionnelles et scientifiques étaient mal coordonnées et la communication de votre gouvernement n’a pas toujours su convaincre du bien-fondé de certaines dispositions, monsieur le ministre.
Les mois ont passé et une recherche assidue sur de futurs vaccins a porté ses fruits.
Depuis le mois de décembre dernier, plusieurs vaccins sont autorisés et leur injection est proposée selon une stratégie établie par la Haute Autorité de santé (HAS).
Cet aboutissement d’intenses recherches et de découvertes antérieures innovantes a suscité beaucoup d’espoir. Pourtant, la coordination opérationnelle pour le déploiement de la vaccination chez les publics prioritaires a connu quelques déboires au début du mois de janvier dernier : sans l’appui logistique des collectivités, ni les ARS ni les préfectures n’étaient capables de déployer les centres de vaccination. Nous avons de nouveau fait face à un manque d’anticipation en haut lieu que le tirage au sort d’un comité citoyen a vainement tenté de dissimuler.
À ce jour, les mêmes griefs persistent : pour l’injection du faible contingent de doses disponibles, les files d’attente sont gérées au jour le jour, avec quelques créneaux libérés ici et des annulations massives là.
Il a fallu attendre un mois de campagne vaccinale pour que les données opérationnelles de date de livraison et de niveau de stocks soient rendues publiques. Désormais se pose la question de l’adaptation de notre stratégie vaccinale à l’apparition des nouveaux variants.
Ma question est simple : combien de semaines faudra-t-il encore attendre pour disposer d’une information mise à jour et éclairée sur l’adaptation de notre stratégie vaccinale et sa déclinaison territoriale face à la circulation croissante des nouveaux variants ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, les informations sur une évolution éventuelle de la stratégie vaccinale arriveront quand nous les aurons, c’est-à-dire quand nous saurons si les vaccins sont efficaces sur tel ou tel variant, quel vaccin il faut pour quelle personne et quand ces éléments seront validés par les autorités scientifiques françaises, européennes, mondiales.
Chaque fois que se font jour des éléments nous permettant de conforter ou de changer notre organisation de la vaccination, notamment la définition des publics cibles, nous le disons aux Français. Je continuerai à le faire.
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc.
M. Étienne Blanc. Monsieur le ministre, à la lecture de ce rapport, on s’aperçoit des conséquences néfastes de la difficulté à articuler les décisions de l’État, relayées localement par les ARS, et l’action des élus locaux et territoriaux.
Lorsqu’il s’agit de distribuer des masques, de commander et d’utiliser des tests ou de mettre en œuvre une campagne de vaccination, on constate des grippages. La manifestation la plus forte, c’est la réquisition de masques qui avaient été commandés par des collectivités territoriales sur un certain nombre de tarmacs d’aéroport ou les difficultés pour les acheminer.
Pourtant, l’État aurait tout intérêt à travailler de manière beaucoup plus étroite avec ces collectivités territoriales. Il aurait intérêt à le faire pour définir les politiques de lutte contre les pandémies, mais il aurait surtout intérêt à le faire pour décliner ses politiques territorialement et localement.
Il y a une évidence : les décisions que prend l’État et qui créent un certain nombre de difficultés et de l’insatisfaction provoquent des plaintes qui sont adressées en priorité aux collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, comment entendez-vous tirer profit de ce rapport, qui préconise et suggère cette meilleure articulation ? Cette question sera-t-elle traitée dans la loi 4D qui est annoncée ? En d’autres termes, comment mieux articuler politiques d’État et politiques territoriales, et comment mieux associer les collectivités territoriales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, cela n’est pas de votre faute, mais, sur les douze questions qui ont été posées jusqu’à présent, six ou sept étaient consacrées à l’association des collectivités territoriales, et je crois y avoir déjà répondu. Évidemment, la loi 4D se fait fort de pouvoir améliorer et renforcer les liens entre l’État et ces dernières.
Toujours est-il qu’il n’existe pas de relation uniforme entre l’État et les collectivités territoriales, monsieur le sénateur. Il y a autant de relations que de collectivités territoriales et l’État, lui, ne bouge pas.
Dans une région que vous connaissez bien, pour ne prendre que cet exemple, nous avons pu travailler avec le maire de Saint-Étienne, bien qu’il ne soit pas de la majorité, pour mettre en place des opérations de testing de masse. Elles ont très bien fonctionné, ont été anticipées avec des moyens et des financements de l’État. Nous avons pu répéter ce genre d’opérations avec des élus de tous bords politiques, dans différents endroits du territoire national.
J’ai été, y compris dans la période la plus critique du printemps dernier, en contact avec des présidents d’exécutif pour les aider à acheminer des masques. Bref, certaines interactions ont été très fortes, chacun jouant de ses propres atouts.
De la fenêtre de mon bureau, je n’ai pas eu le sentiment d’être en opposition avec les élus. Certes, il en est avec qui il est difficile de ne pas être en opposition, mais ce n’est pas de la volonté de l’État… Dans l’immense majorité des cas, partout où je me rends sur les territoires, je constate que cette relation est productive et qu’elle a été conduite au bénéfice des Français.
Renforçons ce qui doit l’être, améliorons la coordination dans les territoires. De ce point de vue, la loi 4D sera une étape législative intéressante.
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a beaucoup évoqué la mémoire de Louis Pasteur ces derniers temps. À l’heure où les vaccins sont au centre de toutes les attentions, ce bienfaiteur de l’humanité, gloire de la IIIe République et fierté française, méritait bien ces hommages.
On a moins parlé de René Descartes. À juste titre, car, au cœur du tourbillon de contradictions qui souffle sur notre pays depuis un an, ce chantre de la raison, incarnation de la déduction logique, serait bien en peine de s’y retrouver.
La boussole de la parole publique est devenue baroque. Lundi, l’Élysée dit « rouge » ; mardi, Matignon affirme « bleu » ; mercredi, Ségur nuance « vert ». Trois exemples suffiront à illustrer ce qui n’est malheureusement pas une caricature.
D’abord « faussement protecteur », le masque est devenu « salvateur » et son oubli a valu des dizaines de milliers de verbalisations à un tarif sévère.
Tolérance zéro pour deux clients dans un restaurant, mais feu vert pour cent adolescents dans la cantine d’un collège, ainsi que pour quelques ouvriers du bâtiment dans quelques auberges chanceuses.
Au mois de novembre dernier, on ferme les petits commerces non alimentaires en laissant ouvertes les grandes surfaces. Aujourd’hui, on ferme les grandes surfaces et on laisse ouverts les petits magasins.
Comprenne qui pourra !
« Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis » semble être la devise du Gouvernement. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) Pas sûr, toutefois, que les 66 millions de Français, qui ne sont ni des béni-oui-oui ni des procureurs, apprécient. Un peu de bon sens – « la chose au monde la mieux partagée », selon Descartes – n’a jamais nui.
Permettez-moi, pour terminer, une suggestion, qui ne porte pas sur la territorialisation, car il en a beaucoup été question, mais concerne plusieurs centaines de milliers de jeunes.
Notre hémicycle n’est-il pas comparable à la plupart des amphithéâtres d’université, aujourd’hui désertés, au grand dam des étudiants, qui supportent de plus en plus mal l’isolement auquel on les condamne ? Ne pourrait-on pas permettre aux étudiants ce que l’on autorise aux sénateurs et députés,…
M. Roger Karoutchi. Allons bon ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. … à savoir se réunir à demi-effectif ?
Doit-on considérer nos jeunes comme irresponsables et incapables de respecter un minimum de précautions sanitaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, il y a une autre citation de Descartes que j’aime beaucoup : « Le risque d’ennuyer, c’est de vouloir tout dire. »
Je ne répondrai pas de façon complète à cette question, qui appelle des arguments scientifiques et qui me conduirait à faire un rappel historique de toutes les décisions qui ont été prises depuis le début de la crise sanitaire et des raisons pour lesquelles elles l’ont été.
Monsieur le sénateur, à la rentrée universitaire, les universités ont été ouvertes, puis des clusters se sont formés, entraînant des fermetures d’amphithéâtres, puis de facultés. J’ai d’ailleurs eu à répondre ici à quelques questions – je pense même qu’elles venaient de vos travées – pour savoir si cela faisait encore sens de laisser les universités ouvertes, dès lors que l’on était obligé de les fermer le lendemain de leur ouverture, parce qu’il y avait des clusters.
Comme vous l’avez dit, on peut changer d’avis…
M. Olivier Paccaud. Oui !
M. Olivier Véran, ministre. Nous nous adaptons à la situation sanitaire.
Voici ce qui est important à mon sens. Un, il faut soutenir les étudiants. Deux, il est fondamental de leur permettre de reprendre une vie la plus normale possible. Trois, on ne peut pas le faire complètement pour des raisons que chacun peut comprendre. Quatre, on donne la priorité à ceux qui sont le plus en difficulté, c’est-à-dire les étudiants de première année et ceux qui sont vraiment en difficulté pédagogique. Cinq, on a permis à un contingent d’étudiants de commencer à revenir dans les universités, en faisant attention à ce qu’ils ne soient pas très nombreux.
Je note, monsieur le sénateur, sans vouloir vous taquiner, que l’on est ici très loin ici d’un amphithéâtre bondé d’étudiants… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias proteste également.)
M. Olivier Paccaud. Tout à l’heure, nous étions à mi-effectif !
M. Olivier Véran, ministre. De surcroît, pour le Sénat comme pour l’Assemblée nationale, le fonctionnement à distance est très compliqué, en raison de la nature même du vote. Je pense que vous le comprenez.
Nous devons véritablement tout faire pour permettre aux étudiants de retrouver une activité universitaire la plus normale possible. Il faut les soutenir. Personne ne doit être abandonné. Pour cela, il faut être capable de prendre des décisions au bon moment et c’est pour cette raison que l’on a sollicité la confiance des sénateurs pour prolonger l’état d’urgence sanitaire, de manière à ne pas baisser la garde.
M. Laurent Duplomb. Tout va très bien, madame la marquise !
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Je salue en tout premier lieu le travail considérable mené par les membres de la commission d’enquête, qui a abouti à un rapport de plus de 450 pages.
Trois constats implacables se dégagent de la dizaine de grands chapitres du bilan : retard, impréparation, aveuglement du Gouvernement.
Face à ces constats, la commission d’enquête a formulé un certain nombre de propositions.
Comme nous le savons tous, la crise sanitaire a touché de plein fouet les plus vulnérables d’entre nous. Face au covid-19, les personnes âgées cumulent des fragilités, physiques autant que psychologiques. Les premières conséquences du confinement observées sur le terrain, dans mon département comme ailleurs, sont sans appel : anorexie et amaigrissement, déclin cognitif accéléré, majoration de troubles du comportement, tristesse, etc.
Parmi les recommandations de nos rapporteurs, nous retiendrons le renforcement des outils de gestion des risques en établissements médico-sociaux, l’élargissement du plan Bleu, conçu à l’époque pour le risque canicule, la systématisation de l’élaboration des plans de continuité de l’activité (PCA) ou encore l’intégration automatique des Ehpad et des autres établissements sociaux et médico-sociaux aux exercices annuels organisés sur la gestion des risques.
Enfin, il conviendrait d’accroître la couverture des Ehpad par des médecins coordonnateurs, de donner à ces derniers un rôle plus affirmé de chef d’orchestre des prises en charge externes, mais aussi d’accélérer le déploiement des infirmières de nuit afin de renforcer la surveillance nocturne des résidents.
Monsieur le ministre, le Gouvernement aura-t-il à cœur, dans sa sagesse, de retenir les préconisations de bon sens de cette commission d’enquête ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, la médicalisation de la gouvernance dans les Ehpad est une donnée importante. Nous avons constaté que, là où elle était bien avancée, elle était fonctionnelle.
Nous avons fait appel à l’hospitalisation à domicile, peu fréquente dans les Ehpad. Nous avons numérisé ces établissements : la transformation numérique s’est opérée très rapidement, tout en conservant des communications pour les personnes isolées. Nous avons fait passer beaucoup plus d’acteurs hospitaliers qu’auparavant dans les Ehpad.
Nous avons également structuré des filières de prise en charge en urgence de malades du covid-19 en Ehpad pour pouvoir les admettre dans des structures hospitalières. Nous avons transformé des lits de réadaptation et de soins de suite, notamment dans le secteur privé, pour les affecter aux personnes âgées victimes du covid-19.
Ce sont toutes ces actions que vous omettez de rappeler quand vous affirmez que nous n’avons rien anticipé et que nous avons tout raté. Pourtant, c’est bien le résultat de la mobilisation non pas du ministre, mais de milliers de soignants depuis un an pour faire en sorte que les gens ne meurent pas dans de mauvaises conditions en Ehpad. Cette mobilisation se poursuivra !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Je remercie d’abord l’ensemble des collègues qui ont participé à la mission de contrôle dans le cadre de cette commission d’enquête sur la gestion de la crise covid-19, qui dure malheureusement toujours. Ils ont accompli un travail minutieux et complet qui a permis de mettre en lumière les causes de l’impréparation de nos politiques publiques face à la crise sanitaire et de révéler un certain nombre de difficultés, voire de dysfonctionnements de notre système de santé.
Monsieur le ministre, j’évoquerai le problème récurrent de la démographie médicale.
Au pic de la crise du covid-19, des infirmières issues d’autres spécialités ont dû se former en urgence aux gestes de réanimation. Des internes de première année ont assumé des responsabilités de niveau troisième ou quatrième année. J’ajoute que l’on manque de médecins et de spécialistes et que des départs à la retraite ne sont pas compensés. On constate un vieillissement de la population, des exigences de plus en plus fortes des patients et les besoins de santé sont appelés à augmenter.
Le problème de la démographie médicale touche tous les territoires, notamment les plus ruraux, et concernerait une commune sur trois. Tous les trois ans est présenté un projet de loi santé ou un plan gouvernemental traitant en partie de cette question. Pourtant, le nombre de Français privés de médecin traitant atteindrait près de 7,5 millions de personnes, soit 11 % de la population. C’est un véritable sujet d’inquiétude pour nos concitoyens et pour les élus.
La campagne de vaccination débute, mais elle n’est pas accessible aux patients qui n’ont pas bénéficié d’une consultation médicale. Comment feront tous ceux qui n’ont pas de médecin traitant ? Comment mener une campagne efficace dans ces territoires qui sont loin des hôpitaux et des centres de vaccination ?
Le rapport de la commission d’enquête fait état d’une logique française hospitalo-centrée : « Si les lacunes de la liaison ville-hôpital se sont faites cruellement sentir, des initiatives de coopération entre acteurs, souvent isolées, sont des atouts sur lesquels capitaliser. » L’organisation des soins doit donc s’établir en collaboration avec les élus locaux et la médecine de ville pour répondre aux besoins des territoires et à la demande des patients dans le cadre d’un parcours de soins.
Monsieur le ministre, quelles solutions proposez-vous pour assurer une meilleure répartition des professionnels de santé sur le territoire ? Quelles sont les perspectives pour permettre un accès aux soins à tous les citoyens ? Comment envisagez-vous la participation des élus locaux dans la gouvernance du système de santé ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je ne pourrai pas répondre à la question de la démographie médicale en deux minutes. Je m’attacherai plutôt à la reformuler. Comment faire, par exemple dans votre beau département de la Mayenne, pour s’assurer qu’une personne isolée puisse bénéficier de la vaccination ?
Plusieurs éléments entrent en ligne de compte.
D’abord, j’ai signé un décret permettant le remboursement du transport sanitaire pour se faire vacciner en centre jusqu’au 31 mars prochain. Ce dispositif sera prolongé si besoin.
Ensuite, j’ai mentionné le Gers pour mettre en avant les vaccinobus et les barnums de vaccination, qui peuvent être mis en place par les professionnels de santé, avec l’appui, voire l’impulsion des collectivités. Cela marche aussi.
Enfin, il y a toutes les démarches « d’aller vers ». À l’aide des fichiers canicule des collectivités, on appelle les personnes âgées isolées et fragiles chez elles pour leur demander si elles ont le moyen d’aller se faire vacciner ou s’il faut les vacciner à domicile. Nous publierons bientôt un guide sur la vaccination à domicile. Des équipes se sont déjà mobilisées et ont monté des structures ambulantes pour aller vacciner des gens très fragiles à leur domicile.
En l’occurrence, un recueil de 50 pages pour expliquer aux soignants comment soigner et aux élus comment ils peuvent aider les soignants ne me semble pas nécessaire. Ils se parlent dans leur département. Je ne sais pas si vous avez participé au comité de vaccination départemental de la Mayenne, en présence du préfet de département, du délégué départemental de l’ARS, des élus locaux, des représentants de l’Ordre des médecins, des syndicats, de l’hôpital, mais je peux vous le dire : quand on cherche, on trouve ! Il y a plein d’idées, d’innovations, accompagnées financièrement par l’État à travers les ARS, qui, finalement, ne sont pas si critiquées que cela sur le terrain.
Conclusion du débat
M. le président. Pour conclure ce débat, la parole est à M. le président de la commission d’enquête.
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête. « L’heure n’est pas encore au bilan », a indiqué le ministre de la santé en réponse aux premiers orateurs de notre débat. C’est sans doute pourquoi sa réponse a été si brève, témoignant à l’évidence d’une certaine lassitude à devoir rendre compte devant le Parlement, malgré l’amour proclamé à son endroit. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI – M. Bernard Jomier s’esclaffe.)
Monsieur le ministre, vous avez cité Churchill. Permettez-moi de vous citer Shakespeare : « Il n’y a pas d’amour ; il n’y a que des preuves d’amour. » Répondre aux parlementaires peut en être une.
J’ai recensé vingt-quatre convocations devant le Parlement en un an, soit deux par mois, c’est-à-dire une fois par mois dans chaque chambre. Voilà qui ne me semble pas suffisant pour nous lasser, pour vous lasser, surtout quand on aime…
Je regrette notamment que vous n’ayez pas répondu sur la question de l’isolement, question qui me semble encore ouverte, et, plus généralement, sur la stratégie « tester, tracer, isoler » et les raisons pour lesquelles elle est devenue « tester, alerter, protéger ».
Sur la recherche, qu’elle soit publique ou privée, la question du financement est posée. La société française Valneva a trouvé des financements britanniques, les Allemands ont su financer des biotechs, mais la France ne parvient pas à financer les siennes et, surtout, à fidéliser ses chercheurs.
La temporalité a été évoquée, monsieur le ministre, ainsi que le temps long. J’entends ces arguments, mais, au printemps dernier, les Français n’ont pas compris pourquoi, en dépit des déclarations du Gouvernement, ils n’avaient pas de masques. Il était de notre devoir – et je ne dis pas seulement du vôtre – de chercher à comprendre, d’autant que, dans ce domaine, la stratégie et le discours ont clairement été dictés par les capacités.
Sur ce dossier, le timing de la commission d’enquête, à l’issue de la première vague, était le bon : nous ne parlons plus de masques aujourd’hui.
Non, monsieur le ministre, sur les masques, la commission d’enquête ne s’est pas focalisée sur un nombre ; elle a proposé une méthode et un schéma d’organisation, ce qui est très différent. Je récuse l’accusation de politique politicienne. Vous n’en trouverez pas trace dans le rapport.
Par ailleurs, j’entends bien que les tests sont gratuits, mais cela ne rend pas pour autant leur usage efficace pour casser les chaînes de contamination.
Nous ne tirerons les leçons de la crise qu’à condition d’accepter d’entrer dans la logique du débat. À l’évidence, ce travail reste à faire.
Fort heureusement, et je vais rebondir sur une réponse que vous avez donnée sur un ton un peu énervé…
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête. Fort heureusement, monsieur le ministre, le contrôle de l’action du Gouvernement et de l’administration ne se fait pas uniquement devant les tribunaux.
La commission d’enquête n’a jamais – et je dis bien jamais – appelé à traduire quiconque devant une cour de justice. Elle a seulement appelé à changer un mode de fonctionnement : une véritable agence sanitaire ne voit pas ses conclusions modifiées par le directeur d’une administration centrale.
Tel est le sens de nos recommandations et je n’accepterai pas, sur ce sujet en particulier, de caricature. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
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Fonctionnement des universités en temps covid et malaise étudiant
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Le fonctionnement des universités en temps covid et le malaise étudiant. »
Dans le débat, la parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l’épidémie de covid-19 sévit depuis bientôt un an en France, une partie des victimes indirectes reste largement oubliée : les étudiants.
Devant la situation très préoccupante qu’ils vivent quotidiennement et l’absence de réaction suffisante du Gouvernement, nous avons souhaité mettre ce sujet à l’ordre du jour. Nous voulons alerter et proposer des mesures rapides et concrètes, face à la montée de la précarité et des risques psychosociaux qui épuisent notre jeunesse.
Cela fait plusieurs semaines que les témoignages affluent. Les étudiants et les étudiantes veulent se faire entendre et nous disent combien leur situation s’est dégradée matériellement et, plus inquiétant encore, mentalement.
La crise sanitaire a fait ressortir l’état de délabrement déjà existant des universités. La question est posée : que pouvons-nous proposer à nos jeunes pour améliorer leurs conditions de vie et d’études, particulièrement dans le contexte sanitaire actuel, mais aussi à plus long terme ? Quelles perspectives voulons-nous offrir à notre jeunesse ?
Les chiffres publiés ces derniers mois sont effrayants : selon un sondage de la Fondation Abbé-Pierre, 20 % des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire au cours de la crise sanitaire. La moitié des étudiants font état de difficultés à payer leurs repas et leur loyer.
Depuis des années, la précarité étudiante ne fait que se renforcer, face à une augmentation du coût des études et à l’extrême cherté du logement, qui représente en moyenne 70 % du budget d’un étudiant. Alors que seulement 36,8 % des étudiants ont touché des bourses sur l’année scolaire 2019-2020, celles-ci ne permettent souvent pas de vivre sans travailler à côté. Or le cumul entre études et emploi est la première cause d’échec à l’université.
À cette précarité grandissante s’ajoute le poids de l’isolement devant les écrans. Il en résulte un enseignement désincarné, sans contact humain, face auquel les étudiants peinent à suivre le rythme et à conserver leur motivation.
Pour beaucoup, c’est la même journée qui se répète, comme en témoigne Marva, étudiante à Toulouse : « Réveil à 7 heures 30, 8 heures d’écran par jour, repas, révisions, dodo. Au début, on se dit que ça va aller, et puis on finit par craquer. » Selon une étude réalisée auprès de 70 000 étudiants lors du premier confinement, 43 % des étudiants sont affectés par un trouble de santé mentale comme l’anxiété ou la dépression. Face à cela, les services de santé universitaire sont totalement saturés.
Tout cela engendre un manque de perspective pour les étudiants. Les risques de décrochage ou de non-validation de l’année universitaire les inquiètent, mais aussi les stages annulés, l’entrée sur un marché du travail tendu ou encore l’impossibilité de partir étudier à l’étranger. À un âge où, d’habitude, l’on prend son envol, de nombreux étudiants sont rentrés chez leurs parents.
Pour les enseignants, cette situation est également très difficile. Comment donner des cours interactifs face à une mosaïque d’écrans noirs ? Comment intéresser des étudiants qu’ils n’ont parfois jamais rencontrés et dont ils devinent les difficultés sans avoir pour autant les moyens de les identifier et de les aider ?
Le personnel administratif est lui aussi obligé de faire et défaire depuis des mois, pour organiser les emplois du temps, en distanciel, puis en présentiel, tout en respectant des directives changeantes et imprécises, qui ne sont pas forcément adaptées aux réalités du terrain.
Il faut avouer que le décalage entre les protocoles sanitaires nous interpelle. Les commerces et les écoles sont restés ouverts ; les étudiants en classes préparatoires et en BTS suivent des cours normalement. Il y a une différence de traitement évidente et les étudiants à l’université se sentent, à juste titre, laissés pour compte.
Les mesures sociales d’urgence arrivent au coup par coup : quelques centaines d’euros par étudiant, selon leur profil, avec un interlocuteur chaque fois différent – la caisse d’allocations familiales (CAF), le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), Pôle emploi, etc.
La mise en place du ticket de restaurant universitaire à 1 euro pour tous est une très bonne chose, mais je me suis inquiétée de sa mise en œuvre lors de votre venue à l’université de Bordeaux, madame la ministre, le lundi 1er février dernier. Seuls 10 restaurants universitaires étaient ouverts sur 27 et il était impossible de prendre les repas sur place. Sous la pluie, les étudiants se regroupaient dans des voitures, alors que la surface du restaurant universitaire aurait permis de mieux respecter les gestes barrières. Là aussi, les ordonnances venues d’en haut étaient aveugles à la réalité du terrain, créant des risques sanitaires supplémentaires qui doivent être évités. Depuis votre annonce, vendredi dernier, permettant la restauration sur place, je suis soulagée, mais, encore une fois, cela aurait pu être envisagé plus tôt !
D’autres mesures sont positives, bien sûr, telles que la création de jobs étudiants, le recrutement d’assistantes sociales et de professionnels de santé universitaire ou encore le chèque de santé mentale, même si la démarche pour en bénéficier est compliquée.
À l’université Bordeaux-Montaigne, on ne compte qu’une seule infirmière pour 18 000 étudiants et une seule embauche de psychologue. On est loin du doublement annoncé !
Selon la totalité des collectifs et syndicats étudiants que nous avons rencontrés, ces mesures sont loin d’être suffisantes. En effet, la covid-19 a aggravé une situation qui était déjà critique en matière de pauvreté des étudiants, d’échec à l’université et de manque de moyens généralisé.
À quand une réponse structurelle à ce problème, pour donner à tous les étudiants les meilleures conditions pour réussir leurs études ?
Dans les pays scandinaves, chaque étudiant perçoit une allocation individuelle, indépendamment du revenu de ses parents, pour lui permettre de se consacrer sereinement à ses études et de prendre son autonomie. Certes, une telle mesure a un coût, comparable à celui du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou de la suppression de la taxe d’habitation, mais ce ne serait pas tant un coût qu’un investissement dans la réussite des jeunes ; un investissement, aussi, pour casser le déterminisme social, cette plaie qui mine notre société française au système scolaire inégalitaire.
Avec l’allocation d’autonomie, on reconnaît les étudiants comme des adultes à part entière. C’est aussi un autre rapport qui se noue entre l’État et ces jeunes, un rapport fondé sur la confiance. Madame la ministre, nous vous demandons solennellement d’entamer une véritable réflexion sur ce sujet.
Désireux de s’inscrire dans une démarche constructive et durable, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont écrit un courrier au Premier ministre, qui vous a été également transmis.
Dans ce courrier, nous appelons à un plan massif d’investissement dans les universités, pour soutenir la jeunesse sur le court et le long terme, autour des grands axes suivants.
Cela passe par l’égalité de traitement entre tous les étudiants, qu’ils soient en classes préparatoires aux grandes écoles, en BTS ou à l’université, comme par le retour en cours à 50 % des étudiants, avec des moyens humains et techniques pour permettre un dédoublement des groupes et des cours hybrides – cours présentiels diffusés aussi à distance –, en faisant confiance à la communauté universitaire pour s’organiser au mieux, en fonction des contraintes et des possibilités du contexte.
Cela passe aussi par une sécurité financière accrue, avec une aide d’urgence pour tous les étudiants, ainsi qu’une revalorisation significative des bourses et de l’aide personnalisée au logement (APL), comme par des investissements sanitaires massifs dans les locaux universitaires, en matière de ventilation et d’équipement numérique.
Cela passe encore par l’inclusion de tous les étudiants, avec une adaptation des examens à la situation sanitaire et l’assurance qu’aucun étudiant ne sera pénalisé en raison de l’épidémie.
Cela passe également par une politique de recrutement sanitaire ambitieuse, pour garantir un nombre suffisant d’assistantes sociales et de professionnels de santé auprès des étudiants – pour le moment, le compte n’y est pas ! –, comme par une politique de santé mentale d’urgence, avec le remboursement sans avance de frais des consultations de psychologie de ville.
Cela passe enfin, sur le plus long terme, par la création d’une allocation d’autonomie pour tous les étudiants.
Madame la ministre, nous connaissons les efforts financiers importants que le Gouvernement a consentis depuis le début de la crise. Aujourd’hui, nous vous demandons de continuer ces efforts envers notre jeunesse et d’entendre réellement ses cris d’alarme.
Les mesures que nous appelons de nos vœux sont des investissements nécessaires et non des dépenses inutiles. Investissons dans notre avenir, investissons dans notre jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, dans cet hémicycle, nous alertons le Gouvernement sur les conditions de vie et d’études de nos étudiants. Je remercie nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux.
À chaque prise de parole, les mêmes mots reviennent comme une insupportable antienne : angoisse, désespoir, solitude, isolement, précarité.
L’Observatoire national de la vie étudiante décrivait, dès avant le second confinement, une nouvelle dégradation des conditions d’études et de santé : 31 % des étudiants présentaient déjà des signes de détresse psychologique.
Signe que ce sujet demeure prégnant, les commissions d’enquête, les missions d’information et les débats se multiplient à l’Assemblée nationale comme au Sénat afin de trouver des solutions à la crise que les étudiants traversent, une crise dont les emmurés de vingt ans subissent pleinement les effets sans en être pour autant les victimes directes.
Bien évidemment, on peut saluer les annonces du Président de la République, quoiqu’elles aient été tardives : l’accès aux repas à 1 euro du Crous et à une consultation gratuite auprès d’un psychologue ou encore la reprise partielle des enseignements en présentiel. Ces mesures donnent une bouffée d’oxygène, elles évitent la catastrophe.
Madame la ministre, est-ce pour autant suffisant ? Je ne le crois pas.
Nos étudiants ne veulent pas que l’on s’apitoie sur leur sort. Ils veulent savoir où on les conduit.
Je crois en effet que l’une des principales causes de ce mal-être est bien l’angoisse générée par un pilotage à vue, où l’on ne sait la veille si l’on pourra aller en cours le lendemain et où l’on suscite des espérances sans parvenir à y répondre.
Ainsi, au début du mois de décembre dernier, à la suite d’alertes répétées lancées par la communauté universitaire, le Premier ministre évoquait la tenue d’enseignements à 100 % présentiels au début du mois de février. Le 14 janvier dernier, c’est une reprise des enseignements à 50 % qui se dessinait, uniquement pour les travaux dirigés et les apprentis. Aujourd’hui, la jauge est fixée à 20 % maximum. Comment voulez-vous que l’on s’y retrouve ?
Les étudiants, les enseignants et le personnel universitaire sont usés par cette incapacité à tracer des perspectives et à s’y tenir. Lassés, ils demandent désormais le maintien des conditions actuelles d’enseignement pour le second semestre afin d’éviter une énième mise à jour de leur protocole sanitaire. Ce n’est pas qu’ils soient fans des dernières mesures ; simplement, ils souhaitent que l’on n’en change plus. Ils ont raison.
Cette angoisse se nourrit également d’incompréhensions et de découragement. Comment comprendre la différence qui est faite entre les étudiants des classes préparatoires aux grandes écoles et des sections de technicien supérieur d’un lycée, d’une part, et ceux des universités, d’autre part ? Au-delà, comment les uns et les autres peuvent-ils comprendre qu’ils paient un si lourd tribut à la gestion d’une épidémie qui ne les affecte qu’à la marge ? Comment peuvent-ils envisager leur avenir, quand leur vie et les outils nécessaires à leur construction sont mis sous cloche ?
Aujourd’hui, ils se sentent non essentiels, lâchés et abandonnés par la génération du « Il est interdit d’interdire », celle-là même qui leur interdit de sortir après dix-huit heures.
Je ne nie pas la nécessité de respecter sur les campus comme ailleurs les indispensables gestes barrières. Je dis simplement qu’un peuple majeur et sa jeunesse ont besoin d’explications et de cap. Je dis simplement que les universités et les établissements d’enseignement supérieur ont besoin de la confiance du Gouvernement. Je dis qu’ici comme ailleurs nous sommes victimes d’une gestion par trop centralisée.
Il est donc impératif de laisser de la marge aux universités, pour qu’elles s’organisent dans l’objectif d’accueillir autant d’étudiants que possible. Il est impératif de leur permettre d’évaluer, site par site, leur capacité d’accueil afin d’établir des jauges adaptées.
La nouvelle jauge de 20 % n’est-elle pas en effet contreproductive, quand les salles ou les sites sont suffisamment grands pour accueillir plus de 20 % d’étudiants tout en respectant la distanciation nécessaire ? Permet-elle suffisamment d’optimiser le nombre de personnes dans les 18,5 millions de mètres carrés des locaux universitaires ?
Ici comme ailleurs, madame la ministre, il est temps de faire confiance aux universités et de vous appuyer sur leur agilité et leur proximité pour redonner espoir et confiance en leur avenir aux jeunes de ce pays.
Voilà, madame la ministre, les interrogations que je vous livre. Au-delà des mesures d’accompagnement annoncées par le Président de la République, envisagez-vous de faire confiance au terrain et de lui donner de la liberté, pour qu’il puisse s’adapter aux réalités ? Faites confiance aux responsables des universités et des établissements d’enseignement supérieur ! Ils sont, sur le terrain, mieux armés pour lutter contre ce terrible mal-être qui ébranle la jeunesse de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant la crise sanitaire, la précarité étudiante était déjà une réalité. Près d’un étudiant sur deux travaillait pour financer ses études et subvenir à ses besoins. L’accès au logement, aux soins et à une alimentation saine constituait un défi quotidien pour bon nombre de nos étudiants.
L’action gouvernementale reposait alors sur trois leviers complémentaires : l’augmentation des bourses sur critères sociaux, la construction de nouveaux logements universitaires et la mobilisation d’aides pour les situations d’urgence.
Depuis le 14 mars 2020, la décision du Gouvernement de fermer les établissements d’enseignement supérieur pour protéger la population du covid-19 a changé la donne. Depuis lors, les situations de précarité que nous connaissions avant la crise s’aggravent et se multiplient. La moitié des étudiants qui travaillaient pour vivre ont perdu leur emploi. À cela s’ajoute la détresse psychologique liée à l’isolement social d’une grande partie de notre jeunesse. L’étude menée à ce sujet par l’Observatoire national de la vie étudiante en dit long : 31 % des étudiants interrogés ont connu une détresse psychologique lors du confinement.
S’y ajoutent aussi les incertitudes qui pèsent sur l’avenir des futurs diplômés. L’accès aux stages, dans un tel contexte de crise sanitaire et économique, est fortement menacé. La constitution des futurs réseaux professionnels l’est tout autant. Nous connaissons des risques accrus de décrochage scolaire, notamment en première année de licence.
Tout n’est pas perdu : l’apprentissage a connu un engouement inédit l’année dernière, malgré la crise, avec la signature de 500 000 contrats. Le plan de soutien à l’apprentissage du Gouvernement y est pour beaucoup. Notre groupe est très favorable à la prolongation de ce dispositif qu’a annoncée la ministre du travail, Mme Élisabeth Borne.
Les mesures palliatives prises par le Gouvernement constituent des gestes plus ou moins importants : les repas à 1 euro pour tous, l’accès au soutien psychologique et, surtout, le retour progressif aux cours en présentiel, puisque c’est bien le véritable sujet, madame la ministre.
Les étudiants demandent à étudier dans de bonnes conditions, à retrouver le lien avec leur université, leurs professeurs, leurs camarades. L’émulation qui se rencontre au sein des campus est irremplaçable. À cet égard, je partage l’avis du professeur Delfraissy : le retour en cours des étudiants est une question de santé publique.
Nous devons aussi veiller à la bonne lisibilité de l’action publique et, pour cela, assurer une cohérence entre les différentes décisions. Mes collègues ont déjà posé cette question : comment justifier la fermeture des universités, par prudence, alors que les classes préparatoires et les classes de BTS restent ouvertes ? Les étudiants demandent que leur avenir ne soit pas sacrifié ; ils demandent surtout à être écoutés et pris en considération.
À la fin du mois de janvier dernier, le Président de la République a annoncé une reprise partielle des cours en présentiel. Nous devons favoriser la souplesse des dispositifs. De nombreux étudiants ne pourront pas revenir étudier en présentiel un jour par semaine, faute de logement.
Alors, faisons confiance aux jeunes qui sont l’avenir de notre pays ! Ne les infantilisons pas, ne condamnons pas leur avenir ! Des milliers de jeunes enfants sont actuellement regroupés en classe maternelle ou en école élémentaire ; ils partagent la même table de restauration collective, sans masque. Les jeunes adultes qui peuplent nos campus universitaires et nos grandes écoles sont, à mon sens, capables d’être responsables et de respecter les gestes barrières. Si le risque n’est pas dans les amphithéâtres, où les étudiants seront masqués et distanciés, pourquoi ne pas limiter l’accès des restaurants universitaires aux repas à emporter ?
Ce sont des centaines de milliers de jeunes qui baissent les bras et risquent d’abandonner leurs études. Nous devons trouver des solutions à court terme et à long terme pour faciliter la résilience de la jeunesse et éviter qu’elle ne paie, sous une autre forme, un lourd tribut à l’épidémie. N’oublions pas qu’elle est la richesse de la France de demain !
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Monique de Marco vous a présenté, dans sa globalité, l’analyse et le regard des écologistes sur la crise majeure qui bouleverse le monde étudiant de notre pays.
Pour ma part, je m’attarderai sur un point particulier qui me semble essentiel : la santé mentale des étudiants.
La détresse psychologique des étudiants a été une dimension sous-estimée de la crise que traverse la jeunesse. De récentes tentatives de suicide ont jeté une lumière crue sur la détresse qui frappe de nombreux étudiants et étudiantes.
On le sait, la série de restrictions que nous impose la crise sanitaire frappe durement la jeunesse : absence de vie sociale, arrêt des cours en présentiel, cantonnement des étudiants dans leurs logements parfois vétustes, impossibilité de mener d’autres activités ou de travailler, autant de difficultés qui viennent sérieusement amplifier les problématiques de santé mentale.
Reste que tout mettre sur le dos du covid-19 serait se voiler la face ! Nous sommes en fait devant une réalité qui dure depuis des années.
En réalité, les universités publiques manquent tellement de moyens et de personnel que parler de délabrement n’est parfois plus qu’un euphémisme.
En réalité, la jeunesse compte plus d’un million de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
En réalité, une génération entière voit ses perspectives disparaître à l’ombre des crises économiques, sociales et, bien sûr, climatiques.
Il nous faut répondre à toutes ces réalités, aujourd’hui, mais aussi sur le long terme.
Il faut y répondre, tout d’abord, avec des solutions matérielles à fournir d’urgence aux étudiants, en revalorisant les bourses et en engageant la création d’une allocation minimale étudiante.
Il faut y répondre, ensuite, avec une réflexion sur la présence des étudiants en cours. Il y a un an, il était tout à fait nécessaire de prendre des règles de confinement d’urgence. Tous les campus ont été fermés, comme le reste du pays. Un an plus tard, il est temps de travailler à des protocoles sanitaires de crise adaptés, à des protocoles pensés en fonction des campus, des universités et de leurs capacités, et non plus fixés uniformément pour toute la France, à des protocoles qui doivent permettre le retour d’étudiantes et étudiants en présentiel, même partiellement.
Trouvons enfin des solutions, maintenant, pour celles et ceux qui sont en détresse psychique, pour celles et ceux qui ne peuvent plus continuer leur vie comme avant !
Les conséquences du 100 % distanciel sur l’état psychologique des étudiants ont été largement sous-estimées. Il faut de l’accompagnement humain.
Or, dans ce domaine, la France est en queue de classement par rapport aux autres pays développés, et de très loin ! À la fin de l’année dernière, notre pays comptait 1 psychologue universitaire pour 30 000 étudiants, contre 1 pour 7 300 en Autriche, 1 pour 4 000 en Australie, 1 pour 2 600 en Irlande, 1 pour 1 600 aux États-Unis. La Charte de l’accréditation internationale des services de santé mentale universitaire recommande de viser un taux de 1 psychologue pour 1 000 à 1 500 étudiants.
Si aucun pays n’atteint à ce jour ce chiffre ambitieux, force est de constater que la France en est loin, très loin. En janvier dernier, le Gouvernement a annoncé vouloir doubler ce chiffre, en recrutant 80 psychologues universitaires, portant ainsi le ratio à 1 psychologue pour 15 000 étudiants.
Cet effort doit être salué, bien sûr, mais comme de nombreuses réformes entreprises par ce gouvernement en direction de la jeunesse, nous avons un souci d’échelle. Ainsi, la création d’un « chèque psy » s’inscrit dans cette même démarche. Ce chèque, qui porte mal son nom puisqu’il s’agit en réalité de séances gratuites, permettra aux étudiants de bénéficier de trois rendez-vous chez un psychologue. Mais comment satisfaire cet objectif louable alors que notre pays est si dramatiquement sous-doté en termes de personnel qualifié ?
Afin de commencer à avoir un accompagnement correct dans tous les services universitaires, encore nous faudrait-il atteindre le ratio de 1 psychologue pour 4 000 étudiants, ce qui implique le recrutement de 520 psychologues. Nous en sommes loin !
Il s’agit non pas d’appeler à une dépense inconsidérée ni de céder à un caprice électoraliste, mais, au contraire, de répondre à l’urgence réelle et terrifiante des files d’attente qui s’allongent devant les bureaux des psychologues universitaires, et à celle des 22 % d’étudiants qui ont eu des pensées suicidaires. Il s’agit d’investir d’urgence dans l’avenir de notre jeunesse !
Cette dernière est bord du gouffre, madame la ministre : cessez alors la politique des petits pas, des aides ponctuelles insuffisantes et trop ciblées, et engagez, dès maintenant, un plan massif de l’État pour aider toute une génération à maintenir la tête hors de l’eau !
Investissez dans les campus afin de permettre le retour des étudiants en présentiel, investissez dans les aides matérielles et financières indispensables à la poursuite des études, investissez dans la création de postes de psychologues !
Regardez enfin la jeunesse en face, permettez-lui d’envisager son avenir avec espoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation de la jeunesse est inquiétante dans notre pays en cette crise du covid-19 ; nous en faisons tous le constat. La détresse exprimée est forte, nous avons tous été bouleversés et touchés par ces files d’attente s’allongeant devant les centres de distribution alimentaire, par les signaux envoyés et les tentatives de suicide, qui parfois ont malheureusement conduit à la mort de certains jeunes, comme cela s’est produit à Lyon.
En revanche, je ne peux pas laisser dire que le Gouvernement n’a pas pris acte de tout cela. Au contraire, des mesures extrêmement puissantes et globales ont été prises. Elles reposent sur quatre piliers.
Le premier pilier est la lutte contre la précarité alimentaire, au titre de laquelle le Gouvernement a annoncé la possibilité pour tous les étudiants de prendre un repas à un euro deux fois par jour. C’est une mesure inédite et extrêmement importante !
Le deuxième pilier a trait au soutien psychologique, lequel s’est manifesté non seulement par l’attribution d’un « chèque psy », mais aussi par le recrutement de psychologues et de personnels pour accompagner les étudiants dans les universités.
Le troisième pilier consiste en l’attribution d’aides sociales, notamment de l’aide de 150 euros pour les étudiants boursiers, annoncée en novembre dernier. Je rappelle également qu’a été décidé le gel des loyers dans les résidences étudiantes, et des tarifs d’inscription.
Enfin, le quatrième pilier est le retour des étudiants en présentiel, le constat ayant été fait que l’enseignement à distance contribuait à la fragilité psychologique des jeunes, et qu’il était difficile de commencer une première ou une deuxième année sans avoir la possibilité de rencontrer en personne ses camarades et ses enseignants. Cette désocialisation pèse beaucoup sur le moral des étudiants, et donc sur leur capacité à se projeter et à réussir.
Le retour en présentiel doit, bien entendu, se faire de façon progressive, en fonction des lieux, et en tenant compte des spécificités de chaque établissement. Des protocoles clairs ont déjà été mis au point – encore faut-il les adapter !
Vous avez visité hier, madame la ministre, le restaurant universitaire Mabillon, à Paris ; vous avez pu vous rendre compte, en écoutant les étudiants de certaines universités et écoles, de la façon dont ils s’étaient adaptés à la situation.
Chaque établissement a décidé de mesures qui lui sont propres concernant le retour des étudiants dans les locaux. Ainsi, à l’École du Louvre, les travaux dirigés devant les œuvres, organisés dans les salles du musée auxquelles seuls les étudiants ont accès, se tiennent toujours afin d’assurer la poursuite du cursus en histoire de l’art.
Dans d’autres cas, le retour des étudiants en présentiel pour les travaux dirigés n’est pas permis, ou la réouverture graduelle des amphithéâtres est prévue… Quoi qu’il en soit, il est normal que le retour des étudiants se fasse de manière progressive.
La situation est assez paradoxale : d’un côté, certains médecins et spécialistes qui interviennent à la télévision poussent au reconfinement de la population, ou du moins s’interrogent sur l’utilité que cela présenterait, et de l’autre, s’exprime une demande de rouvrir tout, assez rapidement. Aussi, il est compliqué de devoir répondre en même temps au souhait manifesté d’un retour en présentiel, du jour au lendemain, des étudiants dans nos universités, alors que d’autres envisagent déjà une nouvelle mesure de confinement en mars prochain ! Je pense qu’il faut entendre ces paradoxes qui nous traversent – ce sont d’ailleurs ceux de la société…
Comment alors mieux accompagner les présidents et les services des universités, ainsi que les étudiants, afin d’organiser un retour en présentiel rapidement ?
Je rappelle que des étudiants suivent toujours des cours à distance, tandis que d’autres sont autorisés à y assister physiquement. C’est bien cette difficulté-là que doivent gérer nos universités ; c’est dans ce travail que nous devons les accompagner.
Au-delà de toute considération sur la crise sanitaire, les études sont fondamentales dans la vie ; c’est le moment où l’on apprend, et bien plus. Dans Les Rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau écrivait : « La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse, la vieillesse est le temps de la pratiquer ». Je ne suis pas certain que la vieillesse soit toujours l’occasion de pratiquer la sagesse, mais en tout cas les études sont fondamentales pour construire sa vie, pour être, tout simplement.
Il y a lieu pour nous de savoir, non pas seulement de quelle manière les cours peuvent être organisés, mais comment permettre aux étudiants de se projeter. À cet égard, vous avez entendu, madame la ministre, les doutes exprimés par ces derniers sur leurs examens, sur la façon dont ils seront évalués compte tenu de critères inhabituels de notation, sur leur réussite…
Bref, tel est l’ensemble de questions auquel nous avons à faire face. Nous devons, au-delà de la crise, tirer des enseignements plus larges pour l’avenir, en conservant à l’esprit deux problématiques essentielles : celle du soutien psychologique aux étudiants, qui continuera de se poser, et celle du soutien social, lequel s’est déjà manifesté par l’attribution d’aides puissantes, mais dont l’organisation et la structuration à long terme restent à améliorer.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le lundi 1er février 2021, nous vous recevions, madame la ministre, sur le domaine universitaire de Bordeaux, pour vivre ensemble la rentrée d’une poignée d’étudiants qui faisaient leur retour sur un campus bien désert.
Ces initiatives sont encourageantes ; elles sont importantes pour le moral de certains jeunes, mais tous ne peuvent y accéder. En effet, beaucoup de jeunes, malgré l’aide de leur famille, n’ont pas eu les moyens de continuer à louer un appartement et assumer le coût de la vie dans nos grandes villes, ce dès le mois de décembre.
Un retour obligatoire en présentiel doit être organisé à l’avance, pour ne pas créer de nouvelles difficultés. L’année universitaire étant désormais sérieusement avancée, il serait raisonnable de donner des perspectives claires à nos étudiants. Il conviendrait surtout que vous leur annonciez que c’est avec eux que vous allez construire les conditions de leur retour. Avec eux, parce que nos jeunes font preuve de responsabilité ; ils n’ont jamais été aussi conscients de la gravité de la situation, aussi respectueux des règles établies, aussi volontaires dans l’effort.
Mais ils n’ont jamais été aussi mal… Ils ne se sont jamais sentis aussi exclus – même s’ils ne le sont pas sciemment –, oubliés et marginalisés dans le projet de société qui est le nôtre. Mais quel est donc ce projet, et que devient-il face aux épreuves que nous traversons ?
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres, sans esprit de polémique ni volonté de minimiser les enjeux sanitaires, notamment en ce qui concerne la capacité d’accueil de nos services de réanimation. Depuis un an, 64 décès dus à la covid-19 ont été constatés chez les adultes de 18 ans à 44 ans, alors que l’âge médian des décès est évalué à 85 ans.
Ce sont autant de réalités qui doivent nous faire prendre conscience que nous ne pouvons pas mettre notre jeunesse sous cloche une année de plus – nous ne pourrons pas le justifier, nous le pourrons plus !
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme Nathalie Delattre. C’est le prix de notre responsabilité vis-à-vis d’une classe d’âge qui se morfond. Madame la ministre, vous disiez à ces jeunes qu’ils pourraient raconter, dans quelques années, qu’ils ont participé à un effort nécessaire pour le pays, et vous aviez raison.
Nous leur en sommes bien sûr reconnaissants, mais au prix de quels renoncements ? Celui de voir notre jeunesse inemployée, paupérisée, isolée et dépressive ! Nous sommes à la limite de créer les conditions d’un affaiblissement durable de notre nation, en effritant la résilience de ce qui fait son corps social, à savoir l’énergie jusqu’alors inébranlable des hommes et des femmes qui nous entourent, leur capacité à affronter le réel, à surmonter les crises, à prendre conscience que les pandémies et les guerres existent, et que ce n’est pas encore la fin de l’histoire.
Nos jeunes ne disposeront pas de ces clefs si nous les laissons durablement dans l’éther d’un monde figé face au risque. La plus grande preuve d’amour que nous puissions leur donner est de leur permettre de « revenir du familier à l’étrange et, dans l’étrange, affronter le réel », comme l’écrivait Paul Valéry.
Car, en attendant, leur réel est moins l’exposition au virus que l’isolement, la désolation et la rupture. L’accompagnement psychologique que nous avons vu s’exercer à Bordeaux, lors de votre venue, est indispensable. Le modèle des « sentinelles », ces jeunes qui sont formés pour accompagner les autres en détectant les signes pathologiques faibles, est un bon modèle, quoique insuffisant à ce stade.
Vous engagez-vous à renforcer partout en France l’accompagnement psychologique ? L’accompagnement, même à Bordeaux, où l’un des plus grands campus de France ne dispose que d’une seule psychologue, est notoirement insuffisant !
Enfin, notre jeunesse est paupérisée. Toutes celles et tous ceux qui avaient un job étudiant en plus de leurs études se trouvent pénalisés par la fermeture de nombreux établissements et l’annulation d’événements. Aussi, je tiens à saluer les initiatives locales prises par les municipalités, les universités, les Crous et les banques alimentaires, ainsi que par tant de bénévoles des associations !
Pourquoi ne pas imaginer la création d’un chèque « jeune covid-19 » pour récompenser – un peu plus que symboliquement ! – nos jeunes, compte tenu des efforts consentis au bénéfice de leurs aînés ? Nous pouvons être fiers de cette jeunesse, qui continue à faire bloc avec tant de courage, et la gratifier. Ce serait le moyen de ne pas creuser un fossé entre nos enfants et nos parents ; c’est un mécanisme de solidarité nationale que nous leur devons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, samedi dernier, à Bagneux, je participais à une collecte alimentaire au profit des étudiants de cette commune populaire de mon département. Des personnes aux revenus très modestes donnaient ce qu’elles pouvaient, émues par les images de ces longues files d’étudiants attendant une pitance devenue leur seul repas quotidien.
La solidarité est souvent exercée par les pauvres pour les plus pauvres qu’eux. Je garde en mémoire l’image de cette femme au panier de courses à peine rempli, offrant un paquet de pâtes, en me demandant comment il était possible que, dans notre pays, une personne accédant à l’université puisse souffrir de la faim.
En 2019, par la loi de finances rectificative, votre gouvernement avait supprimé 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante ». En 2018 et 2019, ce sont 100 millions d’euros de crédits votés par le Parlement qui n’ont finalement pas été affectés à la vie étudiante, toujours par ce gouvernement.
J’avais, l’an passé, à l’occasion de la discussion des quatre projets de loi de finances rectificative, déposé des amendements visant à apporter aux universités et aux Crous des moyens d’urgence leur permettant d’aider rapidement les étudiants. Par la voix de M. Darmanin, alors ministre de l’action et des comptes publics, le Gouvernement m’avait expliqué que des crédits budgétaires supplémentaires n’étaient pas nécessaires. La politique du « quoi qu’il en coûte » a ignoré les campus et la détresse estudiantine.
Cet automne, nous avons discuté d’une loi de programmation de la recherche, qui nous a été présentée par le Gouvernement comme le plus gros effort budgétaire depuis la Libération. L’université n’a bénéficié dans ce cadre d’aucune aide budgétaire supplémentaire, comme si les étudiants d’aujourd’hui n’étaient pas les chercheurs de demain…
J’entends en ce moment les déclarations compassionnelles du Gouvernement, qui s’alarme du mal-vivre des étudiants. La pandémie n’en est pas l’unique cause : dans les universités, comme à l’hôpital, la crise sanitaire est révélatrice d’une situation de sous-investissement chronique, qui a fragilisé tout le service public de l’enseignement supérieur.
Certes, l’état de carence de l’université n’est pas imputable à votre seul gouvernement. Cela fait une vingtaine d’années que l’État n’investit plus dans l’enseignement supérieur, et que l’université est soumise aux ciseaux malthusiens d’une hausse continue du nombre d’étudiants et d’une stagnation de ses budgets. Le budget moyen alloué à chaque étudiant ne cesse de baisser depuis dix ans ; cette année, il devrait même passer sous le seuil symbolique des 10 000 euros. En revanche, le budget moyen consacré aux étudiants des classes préparatoires n’a cessé d’augmenter, atteignant bientôt 16 000 euros per capita. Voilà votre choix politique !
Cela fera bientôt quatre ans que votre gouvernement gère, avec tous les pouvoirs, les affaires de notre pays : l’heure des bilans est donc venue. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, la politique menée par votre ministère ne se distingue en rien de celle menée par tous ceux qui vous ont précédée. Elle n’a fait qu’accompagner un progressif, mais irrépressible, désengagement de l’État.
L’université n’a pas été une priorité politique de votre gouvernement !
Les premières victimes de ce sous-investissement chronique sont les étudiants. Avant la crise, leur situation matérielle ne leur permettait pas de poursuivre leur cursus dans de bonnes conditions pédagogiques ; avec la crise, ils souffrent d’une paupérisation dramatique, qui s’ajoute à l’isolement, à la privation de vie sociale, à l’absence de toute perspective, avec une inquiétude grandissante sur la valeur qui sera attribuée à leur diplôme.
Avant la crise, 40 % des étudiants travaillaient pour financer leurs études ; avec la crise, près de 60 % d’entre eux ont été privés de toute activité salariale. Le Président de la République a affirmé qu’un étudiant devait avoir les mêmes droits qu’un salarié. Pourquoi ne profitent-ils donc pas des mesures de chômage partiel pour toutes ces activités salariées qui les faisaient vivre et qu’ils ne peuvent plus exercer ?
Les étudiants n’en peuvent plus de souffrir de la faim, de la réclusion, du sentiment d’abandon, de la privation de tout ce qui faisait le bonheur d’être jeune, et plus encore de cette impression terrible que votre gouvernement n’a pour eux aucun projet d’avenir !
J’emprunte ma conclusion à un étudiant qui livrait son désespoir au journal La Croix…
M. Loïc Hervé. Bonne référence !
M. Pierre Ouzoulias. Je le lis tous les matins ! (Sourires.)
Cet étudiant disait : « La vraie honte, c’est de voir tant d’étudiants peinant à se nourrir, alors qu’en se formant, ils créent la richesse de demain. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « on veut un amphi, pas un psy ! » : tel est le cri des étudiants français en ce début d’année 2021, après un an de fonctionnement des universités sur un mode très dégradé. C’est en échangeant avec des étudiants, en écoutant leurs témoignages, que cette phrase a retenu toute mon attention, et a pris tout son sens.
Il y a un mois environ, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, je vous interrogeais, madame la ministre, sur la détresse des étudiants, après que plusieurs d’entre eux ont tenté de mettre fin à leurs jours par des gestes désespérés. Vous m’aviez alors répondu que les universités n’étaient pas fermées ! Je dois reconnaître que vous aviez raison… Mais comme tout est affaire de détail, s’il est vrai que les universités n’étaient pas fermées, il n’y avait cependant quasiment pas de cours !
Certains étudiants parlent de « génération sacrifiée ». C’est une expression peut-être un peu forte, mais nous pouvons assurément parler de « génération distancielle », qui subit aujourd’hui les « 3 D » – à ne pas confondre avec un texte de loi que nous attendons de pied ferme –, à savoir : décrochage, détresse et désenchantement.
Décrochage, d’abord : au bout d’un an, l’apprentissage à distance n’est plus supportable pour de très nombreux étudiants. Certains abandonnent leur cursus universitaire. Je parle là, non pas seulement des étudiants de première année, mais aussi des étudiants de master, qui décrochent à leur tour…
En effet, comment apprendre dans de bonnes conditions lors d’une séance de travaux dirigés quand elle est suivie par 200 étudiants en visioconférence ? Comment bien apprendre lorsque des problèmes récurrents de connexion interrompent les travaux dirigés ou le cours ?
Détresse, ensuite : les étudiants se trouvent dans une grande détresse psychologique, car c’est toute leur vie sociale qui est devenue fantomatique, alors même qu’elle est importante dans la construction personnelle.
Les étudiants endurent également une détresse financière, car il n’y a plus de jobs étudiants, de petits boulots. Or environ 20 % des étudiants travaillent en temps normal pour financer leurs études ou compléter leurs revenus.
Le Président de la République a annoncé, il y a peu, le repas à un euro pour tous les étudiants ; nous ne pouvons que nous en féliciter ! Mais vous le savez bien, madame la ministre, tous les étudiants ne vivent pas à proximité d’un restaurant universitaire du Crous. Pourquoi ne pas avoir plutôt retenu cette proposition intéressante du syndicat étudiant Union nationale interuniversitaire (UNI) visant à mettre en place un ticket-restaurant étudiant ? C’est une idée novatrice, particulièrement adaptée aux réalités du moment, qui profiterait à tous les étudiants !
Enfin, désenchantement : beaucoup d’étudiants se posent la question du devenir de leurs diplômes et de leur valeur réelle. Pour y remédier, certaines universités ont fait le choix d’apposer à certains diplômes la mention « examens en présentiel ». Mais c’est une réelle disparité entre les universités pour un même diplôme qui se crée là ! Le désenchantement est d’autant plus grand que les étudiants en master vont entrer sur un marché du travail en crise, où la perspective d’une évolution sociale permise par l’accomplissement d’études supérieures s’amenuise.
Telles sont pour partie les problématiques étudiantes. Si nous ne voulons pas que l’expression de « génération sacrifiée » devienne la triste réalité, il nous faut agir vite et fort, madame la ministre, les mesures actuelles ne suffisant pas, ou du moins ne suffisant plus !
Je salue à cette occasion la décision du président de la commission de la culture, Laurent Lafon, de créer une mission d’information relative aux conditions de la vie étudiante en France. Nous en attendons beaucoup et resterons vigilants ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès le mois de juin dernier, la sociologue Anne Lambert alertait sur la gravité spécifique de la crise pour les jeunes. À la fois révélatrice des maux et des inégalités qui les frappent depuis de nombreuses années, elle a pour effet de les décupler, au point de dégrader plus encore les conditions d’insertion dans la vie adulte.
Sa préconisation se révélait donc sans appel : « On a longtemps pensé que l’âge de la jeunesse pourrait ouvrir l’éventail de la reproduction sociale et élargir l’espace des possibles : cette illusion tombe, les cartes ne sont pas rebattues. Pour aide les jeunes, et notamment les plus précaires, il faut une réponse massive et d’envergure de la part des pouvoirs publics. »
Notre groupe appelait déjà de ses vœux une réponse « massive et d’envergure », lors d’un débat que nous avons eu ici en faveur de la jeunesse, l’été dernier. Si les termes de la discussion ont quelque peu changé, puisque vous avez décidé mes chers collègues du groupe écologiste – je vous en remercie ! – de vous concentrer sur le fonctionnement des universités et le malaise étudiant, les conclusions, bien qu’actualisées, risquent d’être forts similaires.
Quant aux constats, si nous pressentions – bien plus que nous ne mesurions ! – l’impact désastreux de la crise sur les jeunes à l’époque, les effets sont désormais visibles, quantifiables et analysables, de telle sorte qu’il est impossible d’ignorer l’urgence d’agir.
Il existe tout à la fois une forme de continuité dans ce malaise étudiant, et une discontinuité manifeste dans son ampleur, et donc dans les remèdes à y apporter, ce qui m’amène plutôt à caractériser ce « malaise » comme une « détresse ».
Ainsi, aux trois cassures, pédagogique, économico-sociale et psychologique, du premier confinement répondent aujourd’hui trois risques de rupture identiques.
En premier lieu, la rupture académique peut encore être évitée en s’assurant que l’année universitaire 2020-2021 ne soit pas une année blanche. Il s’agit d’appliquer le mantra selon lequel « il faut sauver le second semestre », et permettre à tous les étudiants d’être, au maximum, et en fonction de la circulation du virus, en présentiel.
La jauge actuellement fixée à 20 %, soit un jour de présence par semaine, constitue un premier pas, mais il est primordial qu’il ne soit pas le dernier. En cas d’amélioration sanitaire, il est essentiel de pouvoir l’augmenter, c’est pourquoi nous recommandons d’élaborer dès à présent, en dialogue avec les universités, différents scenarii, pour un retour progressif plus important, peut-être jusqu’à 50 %. Je vous rappelle que certains étudiants n’ont jamais eu l’occasion de rencontrer en personne leurs enseignants…
En anticipant, nous donnons aux étudiants, mais aussi aux universités, la perspective et la visibilité qui leur manquent terriblement aujourd’hui. Les établissements pourront ainsi être plus réactifs et adapter les protocoles aux situations spécifiques de chaque campus. Madame la ministre, faites-leur confiance !
Car toute souplesse supplémentaire et toute heure supplémentaire en présentiel sont précieuses ! La course contre la montre ne se joue pas seulement face au virus, mais aussi vis-à-vis de la rupture pédagogique et du décrochage, qui est son corollaire.
Sans prétendre à l’exhaustivité, trois problématiques se posent avec acuité pour le second semestre.
Tout d’abord, il est nécessaire de disposer d’un cadre pour les évaluations, par-delà les incitations et les incantations. Les étudiants ont en effet besoin d’un cadre stabilisé, protecteur et rassurant, qui tienne compte du contexte actuel, et ne soit pas générateur de stress ni d’angoisse.
Il nous faut aussi réfléchir à un mécanisme compensatoire pour les étudiants qui n’auront pas pu réaliser leur stage.
Enfin, il est indispensable de soutenir les enseignants et enseignants-chercheurs qui, pour beaucoup, ont mis entre parenthèses leurs travaux de recherche.
La deuxième rupture est d’ordre économico-social. La précarité étudiante ne constitue plus seulement un risque, elle est évidente et devient même alarmante. Pour s’en convaincre, il suffit de constater les longues files d’attente devant les épiceries solidaires que mes collègues ont évoquées à plusieurs reprises.
Des phénomènes jusque-là considérés comme marginaux prennent une dimension considérable et inacceptable, à l’image de la précarité menstruelle, qui toucherait une étudiante sur trois !
Au fond, l’évolution est en miroir de celle que traverse la société dans son ensemble. Des étudiants qui n’étaient pas dans une situation financière délicate avant la crise sont en train d’y tomber. Deux publics en particulier semblent très vulnérables : les étudiants internationaux – avec la problématique des titres de séjour – et ceux dont les familles sont juste au-dessus des seuils.
Votre gouvernement s’efforce de réagir, madame la ministre. Néanmoins, des acteurs de terrain et des étudiants nous font part de l’existence de deux écueils principaux. Le premier a trait à l’absence de stratégie globale pour lutter contre la précarité étudiante. Si les aides ponctuelles sont bienvenues – je m’en félicite –, elles ne constituent pas pour autant une réponse durable et synoptique au défi actuel. Leur caractère ponctuel et éclaté apparaît en décalage avec le nécessaire accompagnement financier sur le temps long, dont bon nombre d’étudiants ont besoin, y compris ceux étant à la recherche d’un premier emploi. À cet égard, il est assez étonnant que vous ayez supprimé l’aide à la recherche du premier emploi, créée sous le précédent quinquennat, pour y revenir aujourd’hui sous d’autres formes…
Le second écueil réside dans la mise en œuvre des mesures annoncées, et singulièrement dans les lourdeurs administratives, qui peuvent limiter le recours aux aides d’urgence. Comme pour les autres domaines, il est urgent de simplifier les procédures, et de renforcer les équipes, notamment au sein des Crous et des services universitaires de santé.
Nous ne pouvons ni accepter ni nous résoudre à cette paupérisation croissante des étudiants, nous ne voulons pas que la jeunesse soit exsangue au sortir de la crise !
Nous devons agir sur deux échelles. Premièrement, nous préconisons, à court terme, de revaloriser les bourses, de simplifier l’ensemble des procédures relatives aux aides d’urgence, et de suspendre sans délai la réforme des aides personnalisées au logement (APL) pour les étudiants, en particulier pour ceux qui bénéficient d’un contrat de professionnalisation.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Sylvie Robert. Il est totalement inconcevable et incompréhensible, dans une période aussi tragique pour les jeunes, qu’une réforme plonge certains d’entre eux plus encore dans la précarité et le désarroi !
Deuxièmement, à plus long terme et de façon plus structurante, nous réitérons notre demande d’ouvrir le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) dès 18 ans, conformément à la proposition de loi déposée par notre groupe, et de mener une consultation approfondie pour la mise en œuvre d’une allocation d’autonomie pour chaque jeune. Que cette crise nous permette au moins de repenser l’émancipation et l’insertion dans la vie active de notre jeunesse !
La rupture psychologique, quant à elle, dérive des deux précédentes ; elle en est même la conséquence directe. Passez-moi l’expression, mais les chiffres font froid dans le dos ! Près de 800 000 étudiants présenteraient un état de souffrance psychique ; 11,4 % des 70 000 étudiants interrogés par le Centre national de ressources et de résilience (CN2R) ont cultivé des idées suicidaires – et que dire des drames survenus ces derniers mois !
L’isolement pesant depuis près d’un an et l’amoncellement des difficultés, qu’elles soient financières, sociales, académiques ou administratives, finissent vraiment par fragiliser dangereusement la santé mentale des étudiants. Il faut aussi le préciser, l’épidémie actuelle révèle au grand jour les failles de notre système de soins, qui a toujours été plus tourné vers le curatif que le préventif. Or les manques de notre politique de prévention se font aujourd’hui ressentir.
Outre le renforcement des moyens dévolus à la médecine universitaire, notamment les bureaux d’aide psychologique universitaire (BAPU) et le service santé des étudiants (SSE), il convient une nouvelle fois de veiller également à l’opérabilité des mesures déployées.
Le « chèque psy », que mes collègues ont évoqué, est une bonne mesure. Il faut que le dispositif soit simple d’accès pour l’étudiant. Beaucoup de professionnels nous ont alertés sur l’absolue nécessité de ne pas limiter ce chèque à trois consultations, le suivi psychologique d’un étudiant requérant parfois plus de rendez-vous.
De manière analogue, la mise en place progressive des tuteurs, qui est une bonne chose, doit être assouplie et simplifiée. Il est un peu difficile, pour des étudiants dont l’engagement est remarquable, de respecter l’obligation d’effectuer entre dix heures et quinze heures de tutorat tout en poursuivant leur cursus. Nous retrouvons les mêmes insuffisances. Madame la ministre, n’établissez pas de critères trop restrictifs ! N’alourdissez pas les procédures, faites confiance aux universités : laissez-leur plus de souplesse et de latitude pour qu’elles puissent se saisir convenablement des dispositifs.
En conclusion, mes chers collègues, j’aimerais souligner les efforts des étudiants et, plus globalement, de notre jeunesse, en métropole comme en outre-mer. Je pourrais notamment évoquer la formation ; nous aurons l’occasion de reparler de Parcoursup dans les mois qui viennent. À cette jeunesse qui a accepté de mettre sa vie entre parenthèses pour protéger les plus vulnérables, nous sommes profondément redevables. Et nos obligations, notre devoir collectif à son égard iront au-delà de la crise sanitaire. La réparation que nous lui devons s’inscrira dans une durée bien plus longue ; elle devra être à la hauteur de l’abnégation de ces jeunes.
Notre exigence, que j’espère commune, sera de nous souvenir, de permettre une réparation juste, de composer de nouveaux espoirs. Car l’esprit de responsabilité dont ces jeunes font preuve aujourd’hui devra être le nôtre demain ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, concertation, stabilité et cohérence : voilà ce que souhaitent les étudiants et la communauté enseignante ; voilà ce dont a besoin l’université !
Les efforts consentis par nos étudiants en cette période de crise sanitaire sont immenses. Ne connaissant finalement que peu de formes graves de la covid-19, ils sont soumis à des restrictions rigoureuses de leur mode de vie, entraînant pour beaucoup une grande précarité. D’innombrables témoignages illustrent cette détresse étudiante.
À cela s’ajoute l’incertitude face à l’avenir. Notre jeunesse, considérée comme inébranlable, montre aujourd’hui les stigmates d’un combat qu’elle ne peut pas supporter à elle seule.
Les récentes annonces du Président de la République, même si elles prennent en compte une partie des revendications, ne peuvent pas être considérées comme suffisantes. Ces mesures d’accompagnement ont été mises en œuvre en réaction à la crise étudiante. Et c’est ce manque d’anticipation qui plonge dans le désarroi des milliers de jeunes.
Rappelons l’action dynamique et concrète des collectivités. Je le constate notamment dans mon territoire. Région Sud, le département des Alpes-Maritimes et les communes sont mobilisés de toutes leurs forces pour le bien-être des étudiants. La métropole Nice Côte d’Azur présente en ce moment même de nouvelles actions. Le village de Gilette, quant à lui, organise une collecte pour leur venir en aide.
Sur le terrain, je dialogue régulièrement avec des étudiants et des membres de la communauté enseignante. Ces échanges m’ont amenée à alerter rapidement le Gouvernement, puis à proposer la demande de reprise, à hauteur de 50 %, ainsi que l’accélération et la systématisation de l’offre de vaccination pour les volontaires.
L’université passe avant tout par des interactions entre professeurs et étudiants. Couper ce lien, c’est donc amoindrir l’envie que les étudiants ont de se lever tous les jours pour apprendre. Rétablir un rythme de travail à 50 %, que les cours à distance ont tendance à diluer, permettra de sortir les étudiants de l’isolement et d’une solitude où s’érode jour après jour leur motivation. Limiter à 20 % le présentiel ne permet pas de résoudre toutes les inégalités. Il faut poursuivre les efforts.
Étudiants en classes préparatoires, en brevet de technicien supérieur (BTS) et à l’université ont les mêmes droits, mais ne bénéficient pas des mêmes conditions garanties par l’État. Et c’est notamment cette différence de traitement qui suscite l’incompréhension. En quoi ce brassage serait-il différent ? Je crois qu’il faut cesser cette infantilisation, qui sacrifie cette génération.
Dorénavant, il s’agit non plus seulement de corriger les erreurs du passé, mais de ne pas les répéter. Cette pandémie nous oblige à repenser l’université dans son ensemble et dans toute sa complexité. La crise a, certes, mis à nu des failles structurelles, mais elle ne les a pas créées. En ce sens, saisissons-nous de l’occasion pour les combler. L’urgence est absolue, et nous devons investir sur le long terme.
Il faut, à mon sens, renforcer le principe d’autonomie des universités. Chaque composante présente une spécificité.
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Je pense par exemple à la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps). Ces particularités ne permettent pas aujourd’hui une application uniforme des mesures décidées par votre ministère. Il y a un vrai besoin de flexibilité !
« Il faut de la cohérence, de la clarté et un cap. » Ce ne sont pas mes mots, madame la ministre ; ce sont ceux du chef de l’État. Les incessantes variations réglementaires constituent donc un défi. Pour ne plus courir de manière erratique après la crise, il faut cesser cette valse délétère de circulaires et présenter une stratégie de long terme. Il n’est plus possible qu’étudiants et enseignants aient pour seul gouvernail l’inconstance. Cette exigence est rendue encore plus urgente par la menace d’un nouveau confinement.
Il faut aussi admettre que la formation des étudiants en ressort dégradée. Il est donc impératif d’y remédier. Pour cela, il faut non seulement préparer dès à présent la rentrée prochaine, mais aussi réfléchir à un plan de restructuration de l’enseignement supérieur.
Pour terminer, l’effet de masse lié aux très bons résultats obtenus en licence amène à reconsidérer les modalités de sélection à l’entrée en master. Des pistes de réflexion existent. Les universitaires les tiennent à votre disposition.
La crise sanitaire a le mérite de faire vaciller des certitudes établies, de questionner les discours dominants et de rappeler les décideurs à leur devoir d’humilité. Elle a vu aussi une remarquable mobilisation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche pour assurer au pied levé, dans des conditions difficiles, la continuité de leurs missions académiques.
La France gagnerait à se réconcilier avec les acteurs de ses territoires en abandonnant ses tentations récurrentes de concentration, afin d’accepter de promouvoir une différenciation.
Connaissance et reconnaissance vont de pair. C’est l’un des principaux défis des temps qui s’ouvrent. Le chantier est immense. Tout cela réclame ce qui a tant manqué jusqu’à présent : de l’anticipation, de la cohérence et des moyens à la hauteur de l’enjeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. Madame la ministre, « on veut un amphi, pas un psy ! » Cette phrase-choc, rappelée par mon collègue et ami Pierre-Antoine Levi, devrait être complétée par : « On veut un vaccin, c’est plus sain ! »
Il faut ouvrir au plus vite nos universités. Trop de destins, trop d’histoires, trop de vies, trop d’avenirs sont en jeu. Des artistes, des chercheurs, des entrepreneurs, des praticiens en herbe sont en pleine régression, en pause prolongée. Tous sont en souffrance, beaucoup à l’agonie, en détresse, précarisés, hors sol, désorbités, sacrifiés. On préfère faire l’aumône d’un psy plutôt qu’offrir un vaccin. Demandez aux parents et aux grands-parents ce qu’ils pensent de cette catastrophe annoncée !
Il ne s’agit pas d’opposer une classe d’âge à une autre, une génération à une autre. Le serment d’Hippocrate ne fait pas de priorité entre un patient âgé et un jeune patient. Mais le serment d’Hippocrate constitue-t-il l’alpha et l’oméga de la conduite d’une nation ? Ne faut-il pas introduire un délit de non-assistance à génération en danger ? Surtout quand il faut compter sur elle pour prendre le relais, financer nos retraites, fonder des familles, inventer, créer et aller de l’avant ?
Il n’y a pas que des décideurs politiques pour lancer l’idée d’une vaccination des étudiants comme prélude à la réouverture des universités et comme témoignage du prix que nous attachons à la jeunesse de notre pays. J’entends de grands médecins plaider pour une vaccination des étudiants. Le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, l’a proposée. Le professeur Jean-Luc Dumas, ancien doyen de la faculté de médecine de Bobigny, le rejoint.
Cette stratégie de vaccination des étudiants est d’autant plus pertinente que le vaccin AstraZeneca ne semble pas adapté aux plus de 65 ans, comme le précisent les autorités de santé allemande et autrichienne. L’agence du médicament italienne recommande un « usage préférentiel » pour les 18-55 ans, et cette barre des 55 ans a également été retenue par le chef de l’unité de coordination anti-covid en Bulgarie.
Le vaccin n’est pas contre-indiqué pour les plus de dix-huit ans. Bien au contraire : son taux de couverture est excellent !
Qui nous reprocherait de passer aux actes en faveur d’une vaccination étudiante ? Pas les 2,7 millions d’étudiants, ni leurs familles, ni la communauté pédagogique et encore moins le monde économique ! Mais qui demain ne nous le reprocherait pas si nous n’agissions pas aujourd’hui ? Imaginez l’ampleur d’un tel procès : il pourrait renvoyer notre avenir « façon puzzle » dans tous les coins de l’Hexagone.
Bien entendu, être vacciné ne signifie pas abandonner les gestes barrières individuels. Nous saurons le rappeler aux intéressés, et ils sauront prendre des engagements.
Si le distanciel est devenu une modalité, voire une consigne, luttons de toutes nos forces pour que le présentiel demeure un acquis. C’est aussi la condition de la santé mentale de toute une génération en danger.
La raison et la science nous permettent d’espérer. Il ne manque que le courage pour franchir le pas et, pour beaucoup, dont je suis, quitter cette zone d’inconfort qui consiste à laisser notre jeunesse dans les limbes, morts-vivants dans l’antichambre la vie ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le malaise grandissant des étudiants affectés par la crise covid inquiète. Leur précarité augmente massivement et accentue des situations déjà très fragiles. Les effets délétères de la situation et l’anxiété qu’elle suscite ont des conséquences graves sur la santé mentale des jeunes, accrues par l’isolement et les cours à distance.
Décompensation, stress, dépression, idées de suicide… les signaux de détresse et de souffrance psychologique sont multiples, même si les statistiques disponibles sont globalement insuffisantes.
Les difficultés économiques sont provoquées en particulier par l’arrêt de nombreux jobs étudiants. Près de six sur dix ont réduit ou arrêté leur activité rémunérée en rendant leur location, entraînant ainsi l’arrêt de leurs études. Des demandes d’aide alimentaire les concernent massivement. Elles représentent à ce jour près de 30 % de l’augmentation. Certaines images de files d’attente ont légitimement choqué.
L’aggravation de la situation s’observe également avec le sentiment d’une forme d’abandon et d’inutilité. S’estimant insuffisamment écoutés et sollicités par les pouvoirs publics, ces jeunes voient leur horizon s’obscurcir sans constater une réaction qui soit à leurs yeux à la hauteur des enjeux et de leur peur quant à l’avenir.
Cette détérioration n’a été prise en compte que tardivement et de manière insuffisante, malgré de nombreuses alertes. Je mesure chaque jour la difficulté de la tâche du Gouvernement en cette période exceptionnelle. Mais nous devons tous ensemble être beaucoup plus exigeants en faveur du monde étudiant.
Madame la ministre, tant que des mesures d’éradication du virus ne seront pas applicables, il faut de toute urgence adapter la stratégie du pays à tous les secteurs d’activité et n’abandonner personne.
La vie sociale des jeunes étudiants est essentielle. Les dernières annonces du Gouvernement, bien que tardives, vont dans le bon sens, mais manquent d’ampleur : un jour par semaine en présentiel, avec une jauge maximale de 20 %, deux repas par jour à un euro, un accompagnement psychologique sous forme de chèque pour ceux qui sont en mal-être… En tout cas, la toute récente décision qui leur permet de manger dans les espaces des Crous avec un protocole sanitaire renforcé va dans le bon sens et accompagne utilement le retour très partiel. Je tiens à vous remercier de votre engagement décisif en ce sens, madame la ministre.
Je ne néglige pas d’autres aides décidées depuis le début de la crise, parfois en décalage avec les ressentis de terrain et le vécu en temps réel des étudiants. J’ai eu copie de la lettre de la présidente de l’université de Franche-Comté et de Bourgogne, signée par d’autres présidents de composantes. Il y est fait référence à l’immense désespoir des étudiants, avec une interrogation sur la différence de traitement entre les étudiants en université et ceux qui sont dans les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ou en BTS, où la scolarité est maintenue. La question résonne. Elle se pose ainsi : la jeunesse universitaire est-elle moins précieuse que celle qui étudie dans les lycées ?
Il nous faut donc des priorités.
Donnez priorité aux échelons locaux de proximité les plus aptes à prendre en compte les difficultés sociales des étudiants. Régions, départements et villes ont un rôle plus important à jouer. Il faut leur garantir budgétairement les conditions d’une prise en charge optimale pour tous. Aujourd’hui, c’est d’une dimension territoriale des solidarités dans la proximité que nous avons besoin. Des incompréhensions entre l’État et les territoires doivent être levées.
Donnez priorité à un calendrier de reprise des cours en présentiel, en liaison avec une campagne volontariste de tests et de vaccination. Rien ne l’interdit à ce stade, malgré les incertitudes sur l’évolution de la pandémie. Cette génération est précieuse. Il faut que la vaccination soit effective pour toutes les étudiantes et tous les étudiants. Cela apportera la preuve de leur importance.
Donnez priorité à l’action des collectivités locales pour accepter la mise en place des dispositifs d’emploi, de formation, de stages, adaptés à la période.
Donnez priorité à chaque université, dans sa singularité et son autonomie, pour trouver des solutions appropriées à ses propres difficultés. L’institution elle-même a ses propres difficultés, mais elle est épuisée par les changements.
Donnez priorité à la réflexion sur l’ensemble des dispositifs et critères d’aides, de bourses et de revenu étudiant de façon sérieuse, sans excès idéologique, mais sans tabou. Nous sommes pour une prise en compte améliorée des inégalités constatées ou vécues, sociales comme territoriales. Chaque étudiant doit pouvoir vivre dignement dans ses études, et non de ses études ! Les comparaisons internationales doivent nourrir utilement nos réflexions et inflexions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais tout d’abord à vous remercier d’avoir organisé ce débat. Je suis très heureuse que la question des étudiants et de leur avenir intéresse la Haute Assemblée en ce début du mois de février 2021.
Pour ma part, j’ai bien pris en compte ces difficultés, et vous le savez : nombre d’entre vous ont pu m’accompagner lors de mes nombreuses visites sur le terrain dès le premier confinement.
Dès le premier confinement en effet, les étudiants comme les enseignants, nous ont alertés, en indiquant que nous devions préparer cette rentrée universitaire. C’est ce que l’ensemble des personnels ont fait durant tout l’été ; je tiens à les en remercier, et je crois que nous pouvons collectivement leur rendre hommage.
À un âge où l’on rêve de tous les possibles, où l’on entre dans l’enseignement supérieur, il est très difficile de se dire que l’avenir se résume finalement à un écran. Il y a un besoin immense de retrouver du lien social, du lien humain, tant pour les étudiants avec leurs camarades et avec leurs professeurs que pour les professeurs eux-mêmes, car il est extrêmement difficile d’enseigner sans le regard interrogateur des étudiants.
Ainsi que je l’ai indiqué, la question a été posée dès la sortie du premier confinement, avec une incertitude, qui ne vous aura pas échappé, sur les conditions sanitaires. Les établissements ont travaillé sur plusieurs scénarios. Ils ont travaillé sur une reprise en présentiel, que nous souhaitions tous ; elle a pu se faire, pour quelques semaines seulement malheureusement, puis elle a été en demi-jauge lorsque les cas de clusters ont commencé à apparaître dans les établissements, mais aussi lorsqu’un certain nombre de responsables politiques ont qualifié la situation dans les facultés de « catastrophique » et ont cru bon d’affirmer que la jeunesse accélérait la transmission du virus.
J’ai toujours défendu le fait que les établissements d’enseignement supérieur n’étaient pas des lieux où l’on se contaminait en suivant les enseignements.
Cela va me permettre de répondre à l’une de vos premières interrogations. Je pense que vous avez tous un jour ou l’autre fréquenté un campus universitaire. Si c’est le cas, vous vous rappelez certainement à quel point la vie sur un campus est différente de la vie dans un lycée.
Certains étudiants, parce qu’ils suivaient un cursus au sein d’un lycée, ont pu continuer à bénéficier de cours en présentiel au moins avec des jauges à 50 % ; c’est déjà ça. Mais la diffusion de photos dans les établissements et des mouvements comme #BalanceTaFac sur les réseaux sociaux ont petit à petit installé l’idée que les facultés étaient des lieux de contamination. Et les spécialistes et auteurs de recommandations ou conseils divers et variés ont estimé qu’il était essentiel de fermer les établissements d’enseignement supérieur. C’était le début du deuxième confinement. Le Gouvernement a refusé ces fermetures.
Certes, il y avait effectivement peu d’étudiants. Mais croyez-moi : ceux qui ont pu continuer à aller dans les bibliothèques universitaires ou à bénéficier des salles de ressources, avec l’accès aux ordinateurs, aux réseaux, étaient contents que les universités ne soient pas entièrement fermées. Partout où il était nécessaire de maintenir des enseignements en présentiel, par exemple dans les disciplines avec des travaux pratiques, ces enseignements ont pu être maintenus.
Si entre 7 % et 8 % seulement des étudiants fréquentaient les établissements, la volonté a été de ne pas fermer ces derniers.
Dès le mois de novembre, nous avons commencé à travailler à des protocoles sanitaires qui devaient être susceptibles de s’adapter à tout, y compris à la remontée du taux de contamination ou à l’apparition de variants. C’est pour cela que c’était long et compliqué. Vous avez été plusieurs à le souligner, il n’y avait rien de pire que d’annoncer, de changer d’avis, puis de recommencer. C’était ce dont les établissements ne voulaient pas.
Avec les établissements, nous avons mis en place des protocoles pour trois étapes dès le début du mois de janvier.
La première étape était de faire revenir les étudiants les plus fragiles. Les enseignants ont constaté combien il était essentiel de faire revenir les étudiants, notamment les étudiants internationaux, ultramarins et ceux qui vivaient extrêmement difficilement le confinement et les cours à distance, par petits groupes et de leur faire rencontrer d’autres étudiants, d’où l’importance et le rôle des tuteurs.
La deuxième étape a été de faire revenir les étudiants inscrits en première année. Comme ceux-ci n’avaient passé que quelques jours ou quelques semaines au sein des écoles et des universités, ils n’avaient pas eu le temps de se faire des camarades. Certains d’entre eux venaient d’autres régions, voire d’autres pays. Le besoin de créer des liens susceptibles d’être ensuite maintenus via les réseaux sociaux s’exprimait majoritairement pour les primo-entrants.
Et la troisième étape était de pouvoir faire revenir tous les étudiants, quel que soit leur niveau, sur les campus. C’est ce à quoi nous sommes arrivés à partir du lundi 8 février.
Tous ces protocoles ont été préparés et coconstruits avec les établissements. Oui, il est difficile de refaire des emplois du temps ! Mais l’immense majorité des membres du personnel et du corps enseignant sont prêts à faire des choses compliquées pour que les étudiants reviennent, car les étudiants sont – et pour moi aussi ! – leur boussole et leur priorité.
Le travail très important mené avec l’ensemble des établissements est rendu plus compliqué encore – c’est important de le souligner – par la multiplicité des envies. Parmi les personnels, certains estiment dangereux de venir travailler et préfèrent rester en télétravail. Parmi les étudiants, certains sont retournés vivre avec leur famille et n’ont pas envie de revenir ; d’autres – ils existent aussi – ont des difficultés à revenir, car ils ont rendu leur appartement ; d’autres encore se trouvent très bien et veulent continuer à étudier à distance. Pouvoir identifier ces différents profils est un défi supplémentaire pour les établissements.
Comme j’ai eu l’occasion de le préciser, le taux de présence aux examens est resté le même qu’au premier semestre de l’année 2019-2020. Cela signifie que le système universitaire et le système des écoles ont tenu, que les enseignants-chercheurs sont allés chercher les étudiants et que les tuteurs ont joué leur rôle. Tout le système s’est mobilisé au service des étudiants.
Certes, tout n’est pas parfait ; tout ne fonctionne pas. Mais je voulais saluer le travail des personnels et des étudiants pour les étudiants.
Cela a été évoqué, et j’y reviendrai, de nombreux étudiants sont en souffrance. Mais il y a aussi des étudiants qui ont dépassé ces souffrances et qui ne demandent qu’à aider, à participer. Il faut les saluer.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Monsieur Hingray, vous le savez bien, la seule certitude pour le moment est que les vaccins protègent individuellement ; cela a été rappelé. Fort heureusement, les jeunes qui sont contaminés développent très rarement des formes graves. Nous ne savons pas aujourd’hui si les vaccins permettent d’éviter la transmission du virus et la contamination des autres. Par conséquent, nous ne savons pas – les scientifiques sont d’accord au moins sur ce point – s’il est aujourd’hui efficace de vacciner les jeunes.
Plusieurs d’entre vous ont rappelé, et je les en remercie, que les difficultés économiques des étudiants ne dataient effectivement pas d’hier. Mais elles ont été amplifiées par cette crise. Les étudiants ont perdu leurs jobs. Tous ceux qui avaient des contrats de travail ont évidemment été pris en charge, comme tout titulaire d’un contrat de travail. Tous ceux qui avaient des contrats d’apprentissage ont évidemment été accompagnés et aidés : si nous avons maintenu le nombre d’apprentis cette année, c’est parce que le Gouvernement a été présent auprès des entreprises pour faire en sorte que l’apprentissage ne soit pas sacrifié. Ceux qui avaient des contrats de professionnalisation ont pu les conserver.
Mais, pour les jeunes qui avaient des jobs, ces petits emplois qui aident à la fin du mois, les difficultés ont effectivement été amplifiées par la crise sanitaire, par la situation économique des familles et par les freins aux échanges : certains étudiants internationaux ne sont pas rentrés chez eux cet été, craignant de ne pas pouvoir revenir, du fait des incertitudes quant aux conditions sanitaires et aux possibilités de retour.
Là encore, nous n’avons pas attendu pour agir. Dès le mois de juin, les loyers des résidences universitaires ont été gelés. Dès le mois de juin, nous avons annoncé qu’il n’y aurait pas d’augmentation des frais d’inscription. Dès le mois de juin, nous avons, pour la deuxième année consécutive, augmenté les bourses sur critères sociaux.
Nous avons aussi doublé les fonds d’aide d’urgence, qui ont la particularité de pouvoir être demandés par tous les étudiants, boursiers ou non, nationaux ou internationaux. Un étudiant qui pouvait percevoir jusqu’à un peu plus de 3 000 euros peut aujourd’hui percevoir jusqu’à un peu plus de 5 000 euros par an. Nous avons simplifié les processus. Les directeurs de Crous peuvent directement attribuer 500 euros d’aide d’urgence sans que les dossiers aient besoin d’être examinés en amont.
C’est tout cela qui a été fait et c’est de cela aussi que les étudiants ont besoin.
Il y a aussi eu une aide ponctuelle pour accompagner tous les étudiants boursiers au mois de décembre. Aujourd’hui, sur les 2,7 millions d’étudiants que compte notre pays, 750 000 sont boursiers.
Nous allons évidemment continuer, en nous préoccupant des stages. Vous l’avez rappelé, monsieur Grosperrin, cela ne se fait pas tout seul, depuis un bureau rue Descartes, à Paris. Nous avons besoin de stages sur le terrain. Nous travaillons donc avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), avec l’Assemblée des départements de France (ADF), avec Régions de France, avec la Confédération des petites et moyennes entreprises (CGPME), avec l’ensemble des organisations patronales et des organisations syndicales. Nous travaillons en interministériel, avec ma collègue Élisabeth Borne. Nous sommes en train de recenser les stages sur le territoire et d’en créer dans les administrations. Oui, certains diplômes nécessitent qu’il y ait des stages disponibles pour les étudiants ! C’est notre prochain défi.
Pour pallier la perte des petits jobs, nous avons créé des emplois étudiants dans les Crous et les universités.
Mesdames les sénatrices, deux d’entre vous ont raconté notre visite d’un service de santé universitaire à Bordeaux, et le rôle très important joué par les étudiants sentinelles.
N’oublions pas non plus les étudiants référents, chargés dans les cités universitaires de repérer leurs camarades qui vont mal, ni les étudiants tuteurs, qui reprennent en petits groupes, avec une dizaine d’étudiants, les bases que ces derniers ont eu du mal à acquérir lors du premier semestre.
Tous ces emplois permettent à la fois de pallier l’absence de jobs et d’offrir un accompagnement aux étudiants sur le terrain.
Nous avons aussi modifié les règles du service civique. Ce n’est pas encore parfait, nous pourrions sans doute faire mieux, mais nous y travaillons, notamment en réfléchissant à des simplifications radicales dans le domaine de l’emploi étudiant.
Nous menons également une action forte en faveur de l’aide alimentaire. Alors que nous avons généralisé le couvre-feu, et que certains parmi vous nous reprochent de prendre des risques, réclamant un nouveau confinement,…
M. Julien Bargeton. Eh oui !
Mme Frédérique Vidal, ministre. … nous avons choisi de faire revenir les étudiants à l’université.
Nous avons constaté le lundi les difficultés rencontrées par les étudiants pour prendre leur repas sur place ; le vendredi, des protocoles sanitaires étaient élaborés pour qu’ils puissent manger assis dans les restaurants universitaires.
C’est aussi en allant sur le terrain que l’on voit la réalité des actions engagées et les problèmes concrets de mise en œuvre du dernier kilomètre. Sans protocoles suffisamment robustes à même de convaincre les autorités sanitaires, nous n’allons pas au bout de notre idée, qui consiste à proposer à tous les étudiants de consommer dans de bonnes conditions des repas équilibrés à 1 euro.
En effet, beaucoup de restaurants universitaires étaient fermés, puisqu’il y avait très peu d’étudiants sur les campus. Mais plus d’une centaine de restaurants ont rouvert en dix jours. La mise en place de protocoles sanitaires solides ne se fait pas d’un claquement de doigts…
Par ailleurs, les structures de restauration s’adaptent. Les directeurs de restaurant universitaire proposent ainsi aux étudiants d’emporter des repas pour les jours où ils n’ont pas de cours ou pour le week-end.
Arrêtons d’opposer le travail accompli par le réseau des œuvres, qui est absolument essentiel, et l’action des associations, notamment étudiantes, qui s’appuient sur la solidarité, l’engagement et le bénévolat pour venir en aide aux autres étudiants. Nous subventionnons bien entendu ces associations lorsqu’elles créent par exemple des épiceries solidaires, des lieux où les étudiants viennent aussi chercher du lien social et des conseils.
La région Bretagne, par exemple, comme pendant le premier confinement, a confié au Crous des fonds pour augmenter les aides alimentaires, le soutien psychologique et l’accompagnement financier des étudiants qui en ont besoin. Nous devons avancer tous ensemble, car il s’agit de la jeunesse de notre pays commun.
Je veux dire également un mot sur l’accompagnement psychologique des étudiants. Nous avons mis en place différentes mesures sur le front de l’accompagnement humain. Mais, vous l’avez dit, la première réponse, c’est le retour des étudiants, pour leur permettre de recréer du lien social.
Vous avez raison de souligner aussi l’immense sens des responsabilités des étudiants, parfaitement conscients que nous leur permettons de revenir en dépit de cette nouvelle inconnue due aux variants.
Comme partout, en Europe et dans le monde, nous observons ce qui se passe au jour le jour. Si quelqu’un est capable aujourd’hui d’affirmer, grâce à une modélisation réaliste, ce que nous pourrons faire demain, qu’il la produise !
L’incertitude dans laquelle nous nous trouvons engendre du stress. C’est vrai pour l’ensemble de nos concitoyens, mais encore plus pour les étudiants, qui sont encore à un âge où l’on se construit.
Il était donc indispensable de prévoir un accompagnement et un suivi des étudiants fragiles. L’accompagnement des pairs par les pairs, avec les tuteurs, les étudiants référents ou sentinelles, est ce qui fonctionne le mieux. Les étudiants peinent en effet à dire qu’ils vont mal à d’autres personnes qu’à leurs camarades ; c’est une réalité connue sur le terrain.
Pour chaque demande, nous devons avoir une réponse appropriée. Lors de notre visite à Bordeaux, nous avons entendu cette psychologue dire qu’il ne fallait pas tout médicaliser. La plupart des étudiants ne vont pas bien, car ils ont besoin de voir d’autres étudiants. Pour eux, la reprise des relations sociales suffira à améliorer leur état.
Nous devons aussi travailler sur la prévention, vous avez raison. Mais pour l’instant, nous sommes surtout dans la réponse immédiate. Le parcours de soins a été conçu avec des professionnels de santé et des fédérations de psychologues.
Médecins généralistes ou psychologues exerçant dans les services de santé universitaire, les BAPU, les Crous ou en ville : tout le monde est mobilisé. Certains médecins ont accepté de pratiquer le tiers payant pour dispenser les étudiants d’avance de frais.
Dans ce très beau département des Alpes-Maritimes, que je connais bien également, madame la sénatrice Borchio Fontimp, nous avons permis aux services de la ville, aux services universitaires, aux BAPU, aux Crous et au CHU de travailler ensemble, et nous sommes parvenus à mobiliser 20 psychologues sur le terrain pour une université de 30 000 étudiants, soit le taux de 1 psychologue pour 1 500 étudiants que nous nous étions fixé. Si l’on agit au service des étudiants, sans arrière-pensées politiciennes, tout est possible !
Pourquoi trois séances de psychologue sans frais à avancer pour les étudiants ? Selon les spécialistes, soit le problème est réglé en trois séances, soit la personne a besoin d’un parcours de soins plus long. S’il est nécessaire que l’étudiant poursuivre le parcours de soins, il pourra bien entendu le faire sans avoir de frais à avancer. C’est ainsi que l’on peut accompagner les jeunes qui en ont besoin vers des soins relevant de la psychiatrie, et non plus seulement de la psychologie.
J’ai entendu à plusieurs reprises le mot « confiance ». Il est au cœur de mon action ! Je fais confiance aux établissements, aux maires des villes universitaires et à l’ensemble des professionnels de santé, car tous sont soucieux de la santé psychologique des étudiants, qui forment le bien commun de la Nation.
Je ne peux pas conclure cette intervention sans répondre à un certain nombre d’inexactitudes qui ont été formulées.
Le coût des études, qui relève de la responsabilité de l’État, a baissé depuis 2017. J’imagine que personne n’a oublié la suppression de la cotisation de sécurité sociale, le doublement pour la deuxième année consécutive des bourses sur critères sociaux et les différentes mesures prises par le Gouvernement.
Monsieur Ouzoulias, je vous sais profondément honnête. Vous parlez de 35 millions d’euros d’annulation de crédits sur le budget de la vie étudiante, mais vous savez bien qu’il s’agit d’un budget de guichet… Nous n’aurions pas hésité à abonder ce programme de plusieurs dizaines de millions d’euros, comme nous l’avons fait cette année, si nous n’avions pas constaté un non-recours aux aides, en raison d’un système trop complexe, que nous avons depuis simplifié.
M. Julien Bargeton. Exactement !
Mme Frédérique Vidal, ministre. C’est ce non-recours qui explique les annulations de crédits. Croyez-moi, monsieur le sénateur, ce programme sera toujours abondé autant que nécessaire. Je l’ai prouvé, me semble-t-il, au cours des quatre dernières années, mais aussi l’an dernier à l’occasion des différents projets de loi de finances rectificative.
Oui, l’université a souffert d’un sous-investissement massif. Le plan Étudiants a permis de réinvestir 1 milliard d’euros, uniquement pour le premier cycle universitaire. Je ne dis pas que c’est parfait, mais si nous n’avions pas injecté cette somme, les problèmes seraient encore plus importants au sein des universités.
Depuis combien de temps dit-on qu’il faut entretenir les bâtiments universitaires ? Nous avons débloqué 1,3 milliard d’euros pour remettre aux normes d’ici à la fin de 2022 plusieurs milliers de bâtiments, de restaurants et de résidences universitaires, ce qui, au passage, fera aussi du bien à l’écologie.
Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui se passe dans le monde universitaire, en particulier la situation des étudiants, constitue pour moi une préoccupation quotidienne. Je voudrais toutefois vous demander de faire très attention aux mots que vous employez.
Non, cette génération n’est pas sacrifiée. Si nous disons cela aux étudiants, nous allons les démoraliser plus encore. N’ajoutons pas des difficultés à celles qu’ils rencontrent déjà. C’est terrible de les traiter de morts-vivants… Faisons-leur confiance, aidons ensemble ceux qui en ont besoin et, surtout, reconnaissons à quel point nous avons besoin que notre jeunesse garde confiance. Pour cela, nous devons aussi avoir confiance dans le système d’enseignement supérieur qui assure sa formation. (MM. Julien Bargeton et Jacques Grosperrin applaudissent.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Le fonctionnement des universités en temps covid et le malaise étudiant. »
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
6
Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays. »
Dans le débat, la parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la pratique des fichiers et du fichage est ancienne, mais sa massification et sa banalisation suscitent des interrogations. C’est pourquoi nous avons demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat.
Alors que la France a longtemps été un pays où la protection du droit à la vie privée était très forte, on glisse vers une acceptation de la multiplication des fichiers, voire la certitude que celle-ci est nécessaire.
Ainsi, en octobre 2018, le rapport de l’Assemblée nationale sur les fichiers de police dénombre près de 106 fichiers « mis à la disposition des services de sécurité », contre 58 en 2009.
Face à ce mouvement effréné de création de fichiers et de récolte de données personnelles, dont la finalité et l’usage réels interrogent, nous avons souhaité l’organisation de ce débat.
En effet, nous assistons à une banalisation de l’usage gestionnaire des fichiers par l’ensemble des administrations pour rationaliser les politiques publiques, renforcer la « maîtrise des coûts », évaluer les activités des agents avec la généralisation du travail par objectifs chiffrés et radicaliser le contrôle social.
La création en 1978 du fichier Safari a entraîné la naissance de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), censée être un garde-fou. Les créations des fichiers Edvige, pour « exploitation documentaire et valorisation de l’information générale », et Base élèves, en 2008, ont fait l’objet d’une véritable levée de boucliers. Mais, aujourd’hui, la multiplication des fichiers, dans l’objectif de surveiller, contrôler et réprimer des populations sans réel contrôle parlementaire, se fait dans l’apathie générale.
Pire, on accumule ces données dans une logique prédictive, et non préventive. Pourtant, les fichiers sont une maltraitance, un outil de déshumanisation et d’objectivation. Les fichiers ne peuvent pas prendre en compte les singularités, les spécificités de certaines situations. En ce sens, le fichage tend à nier la complexité humaine.
Le fichier devient un outil de gestion administrative : on confie à des machines des tâches qui devraient être exécutées par des personnes avec leur conscience, leur savoir-faire, leur capacité d’appréhender des situations particulières.
Songeons par exemple au fichier Pôle emploi. Créé d’abord pour les demandeurs d’emploi, cet outil sert en réalité à traquer les chômeurs et à accélérer leur radiation. Un service aussi sensible, où l’on connaît les problématiques d’illectronisme ou les difficultés particulières, ne peut être « sous-traité » à un ordinateur.
Que dire encore de la création d’un fichier des personnes vaccinées, alors qu’un fichier du nombre de vaccins disponibles et de leur utilisation aurait permis un meilleur contrôle de la politique vaccinale de l’État ?
Ainsi, il y a une chosification des gens, mais aussi la volonté de normer les comportements. Il ne s’agit plus de poser des interdits, mais bien d’imposer un comportement, celui que l’État définira comme adéquat. À cet égard, la volonté de ficher les manifestants et les syndicalistes relève moins de la lutte contre les inégalités que de la volonté de discipliner les fractions de la population les plus « indociles ».
Car se savoir fiché ou surveillé empêche l’action, la pensée, et donc l’expression de la démocratie.
C’est dans ce cadre que la multiplication des fichiers de police et de surveillance sociale à des fins « sécuritaires » nous interpelle et nous inquiète, d’autant que ces derniers peuvent être fondés sur des critères de suspicion de culpabilité et de dangerosité incertains. Ils sont de ce fait susceptibles de violer la présomption d’innocence, le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles.
Pire, ces fichiers sont souvent faux. Ainsi, par manque d’actualisation ou erreur de saisie, une personne disculpée peut continuer à être enregistrée comme « dangereuse » dans un fichier de police. Les données saisies peuvent aussi être mal enregistrées, une personne devenant auteur d’une infraction alors qu’elle en est la victime. La liste n’est pas exhaustive…
Ces erreurs peuvent difficilement être corrigées lorsqu’elles se propagent au travers d’interconnexions entre fichiers de police, cette interconnexion complexifiant le droit à la rectification.
Or, peu à peu, la sécurité a été érigée en droit en lieu et place de la sûreté. Il ne s’agit plus d’assurer la protection du citoyen, y compris contre l’État, mais de faire de la prédiction de menaces. Nous sommes bien loin du droit à la sûreté, défini par les articles II et VII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Pas un mois sans qu’une nouvelle idée de fichage sorte des bureaux du ministère de l’intérieur. En février dernier, c’était Gendnote, une application qui facilite la collecte de photos et d’informations sensibles – religion, politique, sexualité, prétendue origine raciale – et leur transfert dans des fichiers extérieurs tels que le TAJ (traitement d’antécédents judiciaires), qui permet la reconnaissance faciale.
Je pense aussi au détournement du fichier du Système de contrôle automatisé (SCA), qui a pour objet de conserver des informations relatives aux délits routiers et qui, depuis avril dernier, sert de base pour traquer les informations relatives au non-respect du confinement.
Que dire encore de l’utilisation illégale des drones et des possibilités de reconnaissance faciale des manifestants ?
Or cette multiplication des fichiers de police se fait dans la plus grande opacité et, surtout, brouille la séparation des pouvoirs et la répartition des compétences entre le Parlement et l’exécutif. Le constat fait en 2009 par la mission d’information présidée par Delphine Batho est toujours d’actualité : « L’exécutif, lorsqu’il entend donner une base juridique aux fichiers de police qu’il crée, peut toujours recourir soit à la voie réglementaire, sur le fondement de l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978, soit à la voie législative. » Ainsi, rien n’interdit au Gouvernement de créer un nouveau fichier de police par décret ou arrêté et, de facto, de se soustraire au contrôle du Parlement. Nous pensons que cela doit changer.
Ainsi, en 2009, près de 27 % des fichiers n’avaient fait l’objet ni d’une autorisation légale ou réglementaire ni d’une déclaration à la CNIL. En 2011, on en recensait 80, dont 45 % restaient dépourvus de base juridique. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Alors que la problématique est connue, c’est bien dans ce cadre que le Gouvernement a adopté plusieurs décrets pour autoriser l’identification automatique et massive des manifestants, voire la reconnaissance faciale. Cette autorisation s’est passée de tout débat démocratique, comme le souligne La Quadrature du Net.
C’est encore par voie réglementaire que, le 2 décembre dernier, trois décrets permettent d’étendre les informations recueillies par les services de police dans trois fichiers qui ont été créés sous la présidence de Nicolas Sarkozy : celui sur la prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP), celui sur la gestion de l’information et la prévention des atteintes à la sécurité publique (Gipasp), et celui sur les enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP).
Dans ces fichiers, les services de police pourront recueillir des informations sur les opinions politiques des personnes surveillées, leurs convictions philosophiques ou religieuses, leur appartenance syndicale, mais aussi certaines de leurs données de santé ainsi que leurs activités sur les réseaux sociaux, le tout pour des finalités élargies qui dépassent la sécurité publique.
Les nouveaux décrets permettent d’aller au-delà de la notion de « menace à l’ordre public », qui a fondé le PASP et le Gipasp.
Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) nous alerte : « Le champ des personnes susceptibles d’être concernées est ainsi très large. Ce faisant, il conduit à stigmatiser la liberté d’opinion, l’action syndicale, le fait d’être adhérent à un syndicat, qui laisserait à penser qu’être adhérent d’un syndicat pourrait être associé d’une manière ou d’une autre à des impératifs de sécurité intérieure, de sûreté de l’État, de lutte contre le terrorisme et les violences urbaines. » En 2011, une personne sur dix était fichée. Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en sera-t-il demain ?
Pire, et c’est une nouveauté, les fichiers pourront aussi concerner des personnes morales ou des « groupements ». On imagine qu’il s’agira d’associations, de groupes Facebook, de squats, de ZAD ou même de manifestations.
Enfin, il y a une extension du domaine de la fiche.
Jusqu’à présent, les fiches du PASP et du Gipasp ne pouvaient lister l’entourage des « personnes dangereuses » que de façon succincte, sur la fiche principale de ladite personne. Désormais, si la police le juge nécessaire, chaque membre de l’entourage pourra avoir une fiche presque aussi complète que celle des personnes dangereuses, y compris lorsqu’il s’agit d’enfants de moins de 13 ans.
En 1983, Mireille Delmas-Marty écrivait : « L’État autoritaire n’est pas nouveau, ce qui est nouveau, peut-être, c’est sa façon d’être autoritaire, d’une autorité grise et pénétrante qui envahit chaque repli de la vie, autorité indolore et invisible et pourtant confusément acceptée. » Pour reprendre ses mots, ne laissons pas l’exigence de sécurité briser le rêve de liberté ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de ce débat choisi par nos collègues sénateurs communistes n’est pas dû au hasard, nous l’avons compris.
Il trouve sa source dans la parution au Journal officiel, le 4 décembre 2020, de trois décrets modifiant le code de la sécurité intérieure au sujet de trois fichiers de sécurité publique.
Naturellement, nous n’ignorons pas que ces décrets ont suscité de fortes inquiétudes de la part de plusieurs associations de défense des libertés, qui redoutent, pour résumer, qu’une nouvelle étape ne soit franchie en matière de surveillance de masse de nos concitoyens.
À cet égard, je souhaiterais ce soir que nous tentions collectivement de prendre un peu de recul sur cette question, d’autant que l’essor des fichiers n’est pas un phénomène qu’il serait raisonnable de qualifier de récent.
Rappelons-nous du « bertillonnage », qui, au XIXe siècle, s’est largement développé afin de rationaliser les techniques policières d’identification, notamment par la constitution de vastes fichiers contenant des données corporelles de nombreuses catégories d’individus : délinquants, criminels, vagabonds, individus soupçonnés d’espionnage ou anarchistes.
Il ne nous apparaît dès lors pas incongru que les progrès technologiques changent le visage de ces fichiers de sécurité publique.
En premier lieu, ces décrets de décembre dernier procèdent en réalité à une modification du cadre légal afin de prendre en compte l’évolution de pratiques déjà employées par nos différentes forces de sécurité intérieure.
Ce nouveau cadre juridique était nécessaire, c’est indiscutable, mais il traduit en creux un besoin opérationnel avéré.
S’il fallait le rappeler, ces fichiers ont notamment pour finalité la protection des intérêts fondamentaux de la Nation. Or, nous ne pouvons pas nous permettre d’être naïfs : la menace terroriste demeure élevée dans notre pays.
En second lieu, le rapporteur public du Conseil d’État a estimé, le 23 décembre 2020, que lesdits fichiers « ne portaient pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, de conscience et de religion, ou à la liberté syndicale », en raison de la limitation, par le pouvoir réglementaire, de la collecte et de l’accès aux données concernées « au strict nécessaire pour la prévention des atteintes à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État ».
Dès lors, mes chers collègues, je crains que certains d’entre nous ne prennent pour de la peur ce qui n’est rien d’autre qu’une angoisse. Si la peur porte sur un objet déterminé, l’angoisse est une inquiétude vague. « L’angoisse est la réalité de la liberté, parce qu’elle en est le possible », écrivait Kierkegaard dans Le Concept d’angoisse en 1844. Aussi, plutôt que de nourrir une crainte démesurée chez les Français, notre rôle, en tant que parlementaires, est de montrer le chemin vers une plus grande confiance dans nos forces de sécurité et dans leur professionnalisme.
L’extension du contenu de ces fichiers ne peut être envisagée a priori comme la porte ouverte à des dérives, qui, si elles se produisent parfois, sont isolées, condamnables et dûment sanctionnées par notre loi pénale.
Une telle conception ne rendrait pas justice au dévouement, à la déontologie et à l’éthique de nos fonctionnaires, policiers et gendarmes.
La confiance ne nous interdit pas, bien sûr, de nous interroger.
Ainsi, concernant le fichier des enquêtes administratives liées à la sécurité publique, qui facilite la réalisation d’enquêtes administratives lors du recrutement d’agents publics à des postes sensibles, le Gouvernement avait répondu à une question écrite de Mme la députée Duriez en 2010 que les données enregistrées dans ce fichier étaient entourées de « garanties renforcées ».
Le ministre de l’intérieur expliquait ainsi que « dans les domaines politique, philosophique, religieux ou syndical, ce sont non pas les opinions des personnes, mais leurs seules activités qui peuvent donner lieu à enregistrement, et ce uniquement dans les cas où leur comportement pourrait porter atteinte à la sécurité publique ou s’avérer incompatible avec les fonctions auxquelles elles postulent ».
Ce n’est désormais plus le cas. La collecte ainsi autorisée peut se révéler plus attentatoire aux libertés qu’elle ne l’était auparavant. Se pose donc la question suivante : en matière de collecte, les agents candidats à un recrutement qui n’ont pas le statut de fonctionnaire bénéficient-ils des mêmes garanties que les titulaires ?
Par ailleurs, qu’en est-il exactement de l’interconnexion, autrement dit du rapprochement ou de la mise en relation de ces fichiers avec une ou plusieurs autres bases de données ? En effet, l’interconnexion n’est pas sans incidence en termes d’atteintes à la vie privée, de droit à l’oubli ou encore de présomption d’innocence.
Enfin, l’un des enjeux qui doit être au cœur de nos préoccupations est la quête d’une rigueur toujours plus exigeante dans le recueil et la conservation des données engrangées. La fiabilité des fichiers est un gage fondamental de confiance entre l’État et ses administrés.
Aussi, quels moyens le Gouvernement met-il en œuvre pour s’assurer de l’exactitude des informations que l’administration rassemble ?
Quels contrôles permettent, le cas échéant, de prévenir ou de corriger des erreurs de saisie, dont les conséquences peuvent être lourdes pour nos concitoyens ?
Telles sont, pour les sénatrices et les sénateurs du groupe Les Républicains, les questions qui se posent, madame la ministre, et auxquelles nous vous remercions de bien vouloir répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie les élus du groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux.
Je souscris totalement à l’intitulé du débat : « Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays. » On peut légitimement s’interroger sur les garde-fous et les limites qu’il faut poser pour protéger les libertés fondamentales des citoyens. Pour autant, je ne suis pas certain que nous donnions le même sens à cet intitulé, que nous parlions des mêmes fichiers et que nous visions, en la matière, les mêmes objectifs.
Mon collègue l’a rappelé, le 4 décembre dernier, trois décrets ont été publiés afin d’étendre les possibilités policières en matière de fichage. Sont concernés le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique, le ficher de gestion de l’information et de prévention des atteintes à la sécurité publique, le fichier des enquêtes administratives liées à la sécurité publique, ce dernier étant utilisé pour réaliser les enquêtes administratives préalables à certains recrutements dans la fonction publique.
Ces décrets ont été publiés à la demande de la CNIL. Reconnaissons qu’il s’agissait là de régulariser des pratiques et des fichiers qui existaient déjà…
Désormais, les termes : « activités politiques ou religieuses » seront remplacés par les termes : « opinions politiques » et « convictions philosophiques et religieuses ». Pourront être ajoutées des « données de santé révélant une dangerosité particulière, des troubles psychologiques ou psychiatriques », des « comportements et habitudes de vie », des « déplacements », des « pratiques sportives » ou encore des « activités sur les réseaux sociaux ».
Le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays, a rendu un avis positif en amont et il a confirmé sa position quand il a été saisi par des organisations syndicales après la publication des décrets.
Il s’agit ici de permettre aux gendarmes, aux policiers, aux services secrets, bref à tous ceux qui ont en charge la sécurité des Français, d’avoir accès à des informations les plus précises possible sur des personnes susceptibles de « mettre en péril les institutions de la République ou de porter atteinte à l’intégrité du territoire ». Il serait d’ailleurs intéressant, madame la ministre, que vous nous précisiez le nombre de personnes concernées en France à ce jour.
Le rôle d’un État est de maintenir l’ordre public, de protéger les citoyens et, au maximum, d’empêcher le pire.
Je ne rappellerai pas ici que nous sommes en ce moment exposés au terrorisme islamique, aux fanatiques en tous genres et aux extrémistes. Or, bien souvent, nous souffrons non pas d’un excès d’informations, mais d’un défaut de renseignements sur ces personnes.
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
M. Pierre-Jean Verzelen. Par ailleurs, puisque nous faisons un état des lieux des fichiers, j’aimerais connaître ceux que Google, Facebook, Instagram et Amazon ont constitués avec nos données de simples utilisateurs de leurs réseaux sociaux. Pour le coup, il me semble utile, pour ne pas dire indispensable, de connaître l’étendue des données qu’ils détiennent, de savoir comment ils les stockent, combien de temps, à qui ils les vendent, de quelle façon et sur le fondement de quels principes. J’ajoute que, en matière de sécurité intérieure, nous pourrions en attendre beaucoup plus de la part de ces groupes.
Tel est, à mon sens, l’enjeu essentiel pour notre société du vivre ensemble. La question est de savoir si le politique est en mesure de réguler et de contrôler l’action des Gafam et s’il s’en donne les moyens.
Ne perdons pas de temps et prenons ce sujet à bras-le-corps. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.
M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en France, comme dans les autres pays du monde, la lutte contre la crise sanitaire a entraîné une limitation des libertés publiques d’une ampleur inconnue hors période de guerre.
Au nom de la sécurité individuelle et collective, sous prétexte de renforcer les moyens de la police, sur fond de dégradation du climat social et de lutte antiterroriste, un déploiement inédit de mesures sécuritaires, attentatoires aux libertés individuelles et aux libertés publiques, s’est greffé au régime de sécurité sanitaire. En somme, on a assisté à un glissement insidieux vers la confiscation des libertés fondamentales de chacun d’entre nous.
Or ce contexte inédit et exorbitant du droit commun nécessitait précisément qu’une attention vigilante soit portée à l’équilibre subtil des piliers de la démocratie, à la juste proportionnalité entre sécurité des citoyens et garantie des libertés fondamentales, comme préalable à l’exercice républicain.
Si votre intention initiale était de protéger la démocratie, les nouveaux contours de l’exercice du pouvoir dessinent un paysage ambivalent, sorte de panoptique géant, où nos libertés sont gravement menacées.
Pis, l’emballement des réponses sécuritaires, en muselant les libertés individuelles, nourrit le jeu de ceux qui souhaitent saper les fondements mêmes de la démocratie.
Sous couvert de lutter contre le terrorisme, au nom de la sécurité publique, vous avez pris, le 2 décembre dernier, trois décrets élargissant largement les possibilités de fichage et de collecte d’informations. Désormais, tous les acteurs du monde économique, associatif et syndical peuvent figurer dans ces fichiers.
Il est désormais autorisé de collecter, à l’insu des personnes, des données sur leur parcours professionnel, leurs habitudes de vie, leurs déplacements, leurs pratiques sportives et leur santé psychiatrique. De telles collectes d’informations constituent une intrusion inédite dans la vie privée.
Comble de la surveillance, vous autorisez désormais des pratiques autrefois illégales : pourront désormais figurer dans ces fichiers « les opinions politiques » et les « convictions philosophiques et religieuses » et non plus seulement les « activités » politiques ou religieuses.
Une digue importante vient de céder : d’une logique de fichage des activités, on passe à celle d’un recensement des opinions, chacun pouvant être fiché à raison de ses convictions. C’est un acte politique gravissime, pourfendeur de nos libertés fondamentales.
Madame la ministre, comment ne pas voir que de tels fichiers légalisent l’intrusion policière dans l’ordre du politique comme dans celui de l’intime, qu’ils entretiennent la confusion entre militantisme, déviance, voire délinquance ?
En se nourrissant de catégories floues, comme l’a d’ailleurs dénoncé la CNIL, ces fichiers ouvrent un vaste champ d’application et visent, autant le dire, toute la population !
Ces fichiers, madame la ministre, mêleront un peu plus l’ordinaire et l’exception, sous couvert de recenser, sur le fondement de présomptions arbitraires, ceux qui sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public.
Toutes ces mesures préfigurent une société gouvernée par la peur, dans laquelle les citoyens seraient privés du droit de penser, de contester, et dont les vies seraient exposées sans limites à la surveillance des forces de l’ordre.
« La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent », écrivait Montesquieu. Considérer que des opinions puissent représenter un danger en elles-mêmes constitue une rupture dans la manière de penser la sûreté de l’État et – ne nous y trompons pas – préfigure l’avènement d’une société de contrôle. Comment, dès lors, ne pas s’opposer à cet arbitraire du fichage, qui fait le terreau du totalitarisme ?
Assurer à tous la liberté dans une nation libre, chasser l’arbitraire, faire affirmer et sanctionner cette liberté par une justice libre, telle est l’idée, madame la ministre, que nous nous faisons de la démocratie.
Si notre groupe soutient les mesures d’ordre public visant à protéger les citoyens, en accord avec les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité, il est des principes intangibles trop durement acquis auxquels nous refusons de déroger. Dans un pays qui se prétend attaché à la séparation des pouvoirs et à l’État de droit, il est des actes contre lesquels nous devons collectivement nous élever, au nom de nos histoires particulières, de notre histoire à tous, parce que le ferment de notre liberté est celui de notre humanité.
Madame la ministre, la protection des citoyens ne peut pas se faire au détriment des libertés publiques. Or vous mettez en œuvre les moyens de notre futur asservissement, en les offrant à quiconque voudrait demain faire basculer la démocratie.
Michel Foucault écrivait en 1975, dans Surveiller et punir, que le simple fait de se savoir surveillé entraînait une forme d’obéissance. Dès lors qu’elles sont fichées, les opinions servent à contrôler la population pour la conduire vers une forme de docilité, donnant de facto à l’État le monopole de la surveillance légitime.
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Paul Toussaint Parigi. Aussi, madame la ministre, nous vous demandons d’abroger ces décrets, car les véritables partisans de l’ordre ont toujours été les plus grands défenseurs de la liberté. Nous voulons croire que vous en faites encore partie. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 préfigurait la protection de la vie privée, laquelle a ensuite été affirmée en 1948 dans l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En droit français, l’article 9 du code civil, introduit par la loi du 17 juillet 1970, dispose : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée. » L’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantit ce même droit.
M. le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a été auditionné le 12 janvier par la commission des lois au sujet de trois décrets pris le 2 décembre 2020, lesquels avaient suscité une polémique. C’est dans ce contexte que nos collègues du groupe CRCE ont demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux.
Ces trois décrets concernent trois grands fichiers : d’une part, le fichier des enquêtes administratives liées à la sécurité publique, qui relève de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police de Paris et est utilisé pour contrôler la fiabilité des autorités accédant aux sites sensibles de l’État ; d’autre part, les fichiers de prévention des atteintes à la sécurité publique, pour la police, et de gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique, pour la gendarmerie. Dans ces deux derniers fichiers sont conservées les identités d’individus dont l’activité peut porter atteinte à la sûreté de l’État, intéresser l’ordre public ou être en lien avec des faits de violence collective. Contrairement à nombre de fichiers de souveraineté, ces fichiers ont été publiés, ce qui garantit l’information des citoyens et des parlementaires.
Ces trois fichiers ont été élaborés entre 2009 et 2011, suivant les recommandations d’experts, puis contrôlés sur leur principe par la Commission nationale de l’informatique et des libertés en 2017 et en 2018. La CNIL définit un fichier comme « un traitement de données qui s’organise dans un ensemble stable et structuré ». La loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, qui met en œuvre le règlement général sur la protection des données (RGPD), a permis d’encadrer cette démarche. Le Conseil d’État a émis un avis favorable.
Ce contrôle a priori a permis de valider ces trois fichiers. Qu’en est-il du contrôle a posteriori ?
Plusieurs associations et syndicats ont demandé au Conseil d’État de suspendre l’exécution de ces décrets modifiant des dispositions du code de la sécurité intérieure. Le Conseil d’État a rejeté l’ensemble des recours, qui portaient sur la conservation et le traitement de données relatives « à des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou à une appartenance syndicale ». Le Conseil d’État a considéré que « la collecte et l’accès aux données sont limités au strict nécessaire, et ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale. »
Le Conseil d’État, parce qu’il garantit la légalité des décrets, est le protecteur des droits du citoyen et un pilier central de notre République. Nous devons respecter sa décision.
De plus, la CNIL vérifie chaque année, en contrôle continu, que les données figurant dans les différents fichiers correspondent bien à la finalité de ces derniers.
Je rappelle également que ces décrets n’ont pas créé ces fichiers, qui existaient déjà. Il s’agissait seulement de préciser les catégories, en tirant les conséquences de délibérations de la CNIL.
Resituons enfin leur ampleur : les trois fichiers concernent 60 000 personnes, contre 19 millions pour le fichier de traitement d’antécédents judiciaires, par exemple.
D’autres fichiers permettent la collecte de données : le fichier des titres électroniques sécurisés (TES) ; le fichier des personnes recherchées (FPR) ; le casier judiciaire ; les fichiers de la sécurité sociale, de la caisse d’allocations familiales ; Startrac, la base de données de Tracfin ; Legato, traitement de données de la Légion étrangère ; l’Outil de centralisation et de traitement opérationnel des procédures et des utilisateurs de signatures (Octopus) ; et bien d’autres.
Nous avons tous en tête l’abandon en 2008 du projet Edvige. Il est en effet important de ne pas centraliser toutes les données et d’avoir des fichiers distincts et spécifiques, pour chaque type de situation. Cette diversité des fichiers et l’encadrement du recoupement entre eux garantissent le respect des libertés individuelles. Chaque service de sécurité publique a le droit d’accéder à certains fichiers, mais pas à d’autres. Quand ils peuvent accéder à un fichier, c’est seulement pour un objectif précis.
En outre, de nombreux fichiers sont constitués par les entreprises privées, notamment les banques, les compagnies d’assurances et, depuis quelques années, les Gafam. Ces fichiers contiennent des informations bien plus détaillées, et souvent plus personnelles, que les fichiers publics. Nous devons donc y être particulièrement attentifs et en assurer le contrôle effectif.
Face à ces nouveaux outils, il est bien sûr essentiel d’étendre le domaine du droit et de créer des outils permettant le respect de la vie privée. L’amélioration des démarches de consultation, de rectification et de suppression des données, notamment, grâce à la mise à disposition de lettres types, contribue à cette dynamique. La vice-présidente de la Commission européenne et commissaire européenne à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté, avait posé le 30 novembre 2010 le droit à l’oubli comme l’une des « valeurs » et comme un « droit fondamental » de l’Europe.
Toutefois, je veux le redire ici, pour en revenir aux trois fichiers dont je parlais, il s’agit non pas d’étiqueter des personnes selon leurs opinions religieuses, syndicales ou politiques, mais d’identifier les liens entre les individus ayant commis des actions violentes. Disposer de fichiers qualifiés et détaillés est essentiel pour que les outils de renseignement et de sûreté fonctionnent et pour garantir la sécurité publique.
Je pense en tout cas, et je conclurai ainsi, que nous devons, lors de débats sur les fichiers, faire preuve de vigilance sur les traitements visés, mais aussi d’une certaine nuance dans nos propos et dans nos analyses, au regard des garanties strictes prévues par notre droit et de notre niveau technique en la matière.
Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour commencer, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE de nous permettre de nous interroger aujourd’hui sur les libertés individuelles et sur la protection de la vie privée de nos concitoyens dans le cadre du fichage. C’est d’autant plus important que la France est plongée dans un état d’urgence – et donc d’exception – quasi permanent depuis la nuit du 13 novembre 2015.
Loin de moi l’idée de remettre en cause les raisons pour lesquelles ces lois ont été votées, puis prorogées, tant la folie terroriste qui nous a frappés méritait une réponse forte, mais il est à mon sens nécessaire d’interpeller sur la vigilance, l’exigence dont nous devons faire preuve à l’égard de ces régimes, qui sont, hélas ! devenus la norme.
Concernant le régime d’état d’urgence mis en place en 2015, s’il a pris fin en 2017, force est de constater que nombre de ses dispositions sont entrées dans le droit commun.
M. Loïc Hervé. Eh oui !
Mme Maryse Carrère. Il en résulte une hausse des prérogatives dévolues au juge administratif, au détriment du juge judiciaire, que ce soit en termes de liberté surveillée ou en cas de fermeture de lieux de culte.
Si le procédé à l’avantage de la rapidité d’exécution, il représente aussi une perte de garanties pour les justiciables, qu’il ne faut pas minorer.
À ces mesures, que nous avons consacrées dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, puis prorogées en octobre dernier, est venu s’ajouter ce que personne n’aurait imaginé il y a encore un an : un état d’urgence sanitaire. Celui-ci n’a que peu de choses en commun avec celui de 2015. Il est beaucoup plus sensible, car c’est l’ensemble de la population qui voit ses libertés restreintes, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir, de la liberté de réunion ou même de la liberté d’entreprendre.
C’est toute une vie qui est chamboulée depuis près d’un an, au rythme des confinements, des couvre-feux et, hélas ! des fermetures administratives. À l’instar des dispositifs antiterroristes, ces mesures ont conduit à un renforcement du pouvoir du juge administratif au détriment de celui du juge judiciaire. Ce sont des mesures exceptionnelles comme les audiences à huis clos pour les justiciables, le recours aux ordonnances ou encore l’obligation de placement à l’isolement.
Les enjeux, ce sont nos données personnelles et la vulnérabilité de nos concitoyens face à de nouvelles formes d’intrusion dans leur vie privée et de fichage.
À titre d’exemple, j’évoquerai l’application StopCovid, rebaptisée TousAntiCovid, qui a connu des débuts mitigés et dont l’utilisation se révèle délicate : elle était en effet peu intuitive à ses débuts, nécessitait d’être redémarrée à chaque utilisation, était, et reste, très peu téléchargée et utilisée. Ensuite, contrairement à ce qui nous avait été annoncé, elle collectait plus de données que prévu. Je vous épargnerai les remarques sur son incompatibilité avec les systèmes choisis par nos voisins européens.
Oui, madame la ministre, la version TousAntiCovid a apporté de la lisibilité et éteint certains doutes. Mais voilà, le projet de modification du décret du 29 mai 2020 vient jeter de nouvelles zones d’ombre sur cette application.
Il deviendrait ainsi possible de scanner des QR codes pour entrer dans des lieux clos. Or on ne sait rien de ce futur système, des lieux qui seraient concernés, encore moins de la manière dont seraient conservées les données.
M. Loïc Hervé. Effectivement !
Mme Maryse Carrère. Il est par ailleurs prévu de lancer une collecte de données de manière anonyme pour, selon l’avis du Comité de contrôle et de liaison covid-19, connaître les « données de navigation de l’utilisateur, le temps d’activation moyen du Bluetooth dans la journée, le temps d’ouverture moyen de l’application, le nombre de contacts scorés, le nombre de contacts croisés ». Tout cela sans que l’on sache ni pourquoi, ni comment, ni même dans quel but…
Il y a là de quoi laisser quelque peu perplexe, d’autant plus que ce projet de décret supprime également la limite de temps à l’obligation de publication du rapport sur l’application TousAntiCovid.
Aujourd’hui, des millions de données circulent chaque jour dans notre pays, des millions d’informations sont collectées sur chacun d’entre nous.
Madame la ministre, vous connaissez l’attachement du groupe du RDSE aux libertés, mais aussi son sens des responsabilités lorsqu’il y va de la sécurité de notre pays. Je me permets donc de vous alerter sur le fait que toute abdication de liberté, si on veut qu’elle soit consentie, doit être limitée dans le temps. Aussi, nous formons le vœu que, à la sortie de cet état d’urgence sanitaire, nous n’intégrions pas, ou peu, de mesures exceptionnelles dans notre droit commun afin de ne pas fragiliser notre État de droit. Chaque citoyen doit pouvoir savoir où il est fiché et quelles données le concernant sont connues des services de l’État ou d’autres.
Mme le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite d’Éliane Assassi, j’interviendrai sur les dangers d’un fichage massif des organisations syndicales, des syndicalistes et des militants et d’un fichage politique de l’ensemble de nos concitoyens.
Je rappelle la place primordiale des syndicats et du mouvement social dans une démocratie digne de ce nom, au moment où la France est considérée comme une « démocratie défaillante ». Ce rappel est essentiel au moment où il est toujours plus difficile de manifester, d’exprimer des revendications pour plus de justice sociale.
Pourtant la mission des syndicalistes est la défense des intérêts individuels et collectifs des salariés. Ils combattent la violence des délocalisations, des fermetures d’entreprises et de plans qui n’ont de sociaux que le nom. Ils dénoncent les privatisations et l’abandon à la finance de biens publics et de fleurons industriels. Ils luttent contre les licenciements indus, pour la préservation des retraites et de notre système de protection sociale, tout en accompagnant des milliers de salariés dans la détresse.
Pourtant, plusieurs d’entre eux ont été condamnés à des amendes et des peines de prison à la suite d’actions menées dans le cadre de leurs fonctions syndicales. Ils l’ont été pour s’être opposés à la politique de casse de leur entreprise.
Ces condamnations injustes ne suffisent pas au Gouvernement, qui permet aujourd’hui le fichage des syndicalistes, au même titre que celui de dangereux délinquants. Il s’agit maintenant de stigmatiser la liberté d’opinion et l’action syndicale.
Comment justifier que le simple fait d’être adhérent à un syndicat puisse, d’une manière ou d’une autre, porter atteinte à la sécurité intérieure, à la sûreté de l’État, qu’elle puisse nuire à la lutte contre le terrorisme ou encore, selon les termes des derniers décrets, porter atteinte à l’intégrité du territoire ou aux institutions de la République ? Comment justifier que le droit à résister, à revendiquer, à agir puisse être considéré comme criminel ?
J’évoquerai un autre point : la protection des données de santé de nos concitoyens. Aujourd’hui, ces données sont particulièrement convoitées et sont devenues un enjeu majeur. Elles sont par définition particulièrement sensibles, parce qu’elles concernent la santé de la personne, mais aussi parce qu’elles peuvent révéler sa condition sociale ou d’autres particularités personnelles.
Pire, ces données pourraient être utilisées à des fins de discrimination : refus d’attribution d’un prêt bancaire, d’accès à un emploi, refus de couverture sociale complémentaire, par exemple en cas de maladie grave.
Or la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite Ma Santé 2022, prévoit la création d’une plateforme visant à centraliser l’ensemble des données de santé de millions de personnes, malgré les risques incontestables que présente une telle centralisation.
Ces données, qui étaient considérées comme des informations purement médicales dont l’usage était limité aux professionnels de santé ou aux services médico-administratifs, sortent du cadre strict du cabinet du médecin, de l’établissement de santé, pour relever d’un usage plus collectif.
En effet, le choix de confier à Microsoft l’hébergement de données permettant de suivre le parcours de santé de 67 millions de personnes sur près de douze années suscite des interrogations, même si le ministre annonçait il y a peu que cet hébergement ne durerait que deux ans, à la suite des recours intentés par différentes organisations devant le Conseil d’État.
Ce qui s’impose fortement à notre attention, c’est la justification du choix initial. Pourquoi avoir choisi Microsoft alors même que le Conseil d’État soulignait « qu’il ne peut être totalement exclu que les autorités américaines, dans le cadre de programmes de surveillance et de renseignement, demandent à Microsoft […] l’accès à certaines données » ?
En outre, l’anonymat du patient n’est pas toujours garanti, ce qui peut encourager des acteurs tiers, tels que des employeurs, des assureurs ou des organismes bancaires, à tenter d’accéder à ces données dans l’objectif de réaliser des profits.
Comment croire que deux ans ne seront pas suffisants pour que les données, pourtant couvertes par le secret médical, soient bradées ou accaparées par des intérêts commerciaux ou politiques ?
Enfin, l’accord national interprofessionnel de 2013 a généralisé les complémentaires santé obligatoires dans les entreprises et ouvert aux assureurs privés l’accès aux fichiers des données de santé des salariés. Les données des réseaux de santé gérés par les complémentaires ne sont pas protégées, ce qui fait peser des risques élevés sur le respect de la vie privée.
L’existence des fichiers dans la société a conduit, en 1905, à la démission du gouvernement d’Émile Combes à la suite de l’affaire des fiches, dans lesquelles étaient justement recensées les opinions politiques, syndicales et religieuses des officiers.
La généralisation des fichiers dans la société et ses conséquences sur le respect des libertés individuelles sont des faits nouveaux qui exigent selon nous transparence et démocratie.
Mme le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, jamais en temps de paix nous n’aurons autant porté atteinte à nos libertés publiques les plus essentielles, comme la liberté d’aller et de venir ou la liberté du commerce et de l’industrie. « Pour la bonne cause », me direz-vous, car comme le rappelle le Premier ministre : « Il y a une pandémie qui touche la France. »
Dans cette période d’état d’urgence sanitaire, alors que nos préoccupations sont toutes orientées vers la gestion de la crise pandémique et de ses conséquences économiques et sociales, nous devons, mes chers collègues, toujours avoir à cœur de préserver les acquis démocratiques que notre histoire politique et notre doctrine juridique nous ont légués.
Selon une étude récente de The Economist, les libertés démocratiques ont reflué dans près de 70 % des pays du monde en 2020. Ce chiffre élevé amène à se poser de nombreuses interrogations, surtout quand la France se retrouve dans la catégorie des « démocraties défaillantes ».
C’est pourquoi je rends grâce au groupe CRCE de nous permettre de réfléchir ensemble ce soir à ces questions essentielles et de ne pas nous laisser emporter par le plus grave de tous les risques, celui des accommodements raisonnables, pis, celui de l’accoutumance.
Quand le numérique envahit les rapports sociaux à une vitesse incroyable, avec des acteurs privés aussi puissants que des États, se pose toujours avec une grande acuité la question de savoir comment toujours mieux protéger les libertés publiques et la vie privée, quand il faut au même moment lutter contre le terrorisme ou un virus.
Légiférons-nous dans le bon sens et avec bon sens lorsque, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, nous avons voté, au Parlement, une disposition donnant la capacité à l’administration fiscale d’aller chaluter des données qui ne sont pas moins personnelles au motif qu’elles sont publiques ? Cette tendance préoccupante, très préoccupante, nous touche nous aussi, législateurs, motivés que nous sommes parfois par le désir d’avoir une administration plus efficace, qui prévient mieux les crimes, les délits et la fraude.
Mais que faisons-nous de la vie privée ? Comment préservons-nous ce droit essentiel qui est chahuté dans ses fondements mêmes par les évolutions sociologiques ?
Je voudrais vous rappeler ce qu’est la protection de la vie privée, affirmée en 1948 par la Déclaration universelle des droits de l’homme, réaffirmée en droit français à l’article 9 du code civil disposant que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. » En 1999, plusieurs décisions du Conseil constitutionnel sont venues étendre cette protection.
Évoquer le respect des libertés publiques et de la vie privée, mes chers collègues, nous amène naturellement à nous saisir de la question de l’utilisation des fichiers et de la collecte de données, qui soulève aujourd’hui de multiples interrogations juridiques. Au sens de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, ces fichiers constituent des traitements automatisés de données personnelles et font l’objet d’une réglementation spécifique.
Même si l’intitulé de notre débat est bien plus large, je concentrerai mon propos sur les fichiers de police et de renseignement. Catégorie à part entière au sein des fichiers administratifs, ils restent spécifiques quant à leur finalité, qui est de participer au maintien de l’ordre public. Cette spécificité les situe ainsi à la frontière entre la répression et la prévention. D’une part, ils sont chargés de collecter des données pour prévenir des atteintes à l’ordre public, quand, d’autre part, ils peuvent être la source de l’action répressive de l’État.
Nos concitoyens et, plus largement, les acteurs du débat public dans notre pays n’ont malheureusement commencé à s’intéresser à ces fichiers et à leur finalité, en particulier celle des fameuses « fiches S », qu’à la suite des attentats terroristes survenus depuis 2015. L’utilisation efficace de ces fichiers a souvent permis une réaction rapide dans la recherche des auteurs tout en facilitant l’action répressive, mais a entraîné un débat sur la capacité de l’autorité publique à les utiliser de façon préventive.
Ces outils de traitement de données utilisés dans le cadre du maintien de l’ordre ne sont pas sans contrôle. Notre pays dispose aujourd’hui d’un corpus juridique solide qui encadre strictement l’utilisation de ces fichiers depuis une quarantaine d’années.
Ayant la chance d’y siéger depuis six ans et d’y entamer un deuxième mandat depuis quelques jours, il m’est impossible de ne pas évoquer le rôle crucial de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en la matière. En effet, ces fichiers de police font l’objet d’un contrôle préalable par la CNIL se traduisant par la formulation d’un avis motivé et publié sur l’ensemble des projets de création de ces fichiers.
Madame la ministre, à l’occasion du débat de ce soir au Sénat, je me dois aussi d’insister sur le rôle incontournable du Parlement, alors que le pouvoir exécutif continue de disposer de pouvoirs élargis, y compris le pouvoir de légiférer par ordonnance dans de très nombreux domaines.
Je ne voudrais pas être inutilement polémique, mais nous allons étudier le mois prochain la proposition de loi relative à la sécurité globale. Ce texte a été écrit sans étude d’impact et sans avis du Conseil d’État. Il sera l’objet d’une première, puisque, pour la première fois depuis que la loi l’y a autorisé, en 2018, le président de la commission des lois du Sénat a saisi la CNIL d’une demande d’avis sur l’ensemble du texte, et cet avis vient de nous être rendu.
Pour la CNIL, le cadre juridique de ce texte, qui contient plusieurs dispositions intéressant directement la protection des données personnelles au travers, en particulier, de la modification du cadre juridique applicable en matière de vidéo et de la réglementation des caméras aéroportées, autrement dit les drones, n’est en l’état pas suffisamment protecteur de la vie privée et des données personnelles. Il faudra être attentif à cela lors de nos discussions, et j’y veillerai personnellement en tant que corapporteur du texte.
Le débat d’aujourd’hui nous donne l’occasion d’évoquer la décision rendue par le Conseil d’État le 4 janvier dernier. Saisie en référé par plusieurs organisations syndicales en raison d’un risque de surveillance de masse, la plus haute juridiction administrative du pays est venue valider trois décrets autorisant les forces de l’ordre à ficher les « opinions politiques », les « convictions philosophiques et religieuses » et « l’appartenance syndicale » avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles. Désormais, pourront être recensées les données de toute personne soupçonnée d’activités terroristes ou susceptible « de porter atteinte à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République ». La terminologie retenue reprend d’ailleurs celle du RGPD et de la loi que nous avions débattue et votée ici.
Notons que ces décrets avaient en amont fait l’objet d’une consultation de la CNIL, qui avait donné son accord à l’application de ces décrets destinés notamment à lutter contre le terrorisme.
Mes chers collègues, force est de constater que, dans la période que nous vivons, sur à peu près tous les sujets, nous observons un recul des libertés publiques, alors qu’elles sont toujours garanties par la Constitution. Plus que jamais, le rôle des magistrats judiciaires et administratifs ou l’existence d’autorités administratives indépendantes comme la CNIL constituent une force, une vigie pour nos libertés.
Et sachez, madame la ministre, que pour protéger les libertés publiques et la vie privée, nous serons toujours au rendez-vous : c’est le devoir et c’est l’honneur du Sénat. (M. Yves Bouloux applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, je tiens d’abord à remercier le groupe CRCE pour ce débat sur le nécessaire état des lieux des fichiers de notre pays. Respect des libertés publiques, protection de la vie privée, voilà les principes qui orientent notre discussion de ce soir. Ce sont des principes largement partagés, à droite comme à gauche, car tout le monde sait que le Sénat est une institution profondément attachée à la défense des libertés publiques.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait d’ailleurs demandé l’audition du ministre de l’intérieur par la commission des lois sur les fichiers de police dès le 11 décembre dernier. Le président de la commission, François-Noël Buffet, et nous l’en remercions, avait donné une suite favorable à cette demande, ce qui nous a permis d’entendre le ministre le 12 janvier, je vais avoir l’occasion d’y revenir.
Comme citoyens, nous sommes tous fichés de gré ou de force. S’il peut être de bon ton de s’opposer au principe même du fichage, il faut rappeler que nous nous fichons souvent volontairement. Qui, ici, n’a pas adhéré à un parti politique, créé son compte Google, demandé sa carte de sécurité sociale ? Personne, évidemment ! Il faut d’ailleurs reconnaître que nous sommes tous bien moins regardants avec les fichiers détenus par des tiers privés qu’avec les fichiers détenus par l’État. Cela s’explique : rares sont les entreprises à avoir pris le contrôle de pays, créé leur propre police et enfermé des gens selon leurs convictions personnelles. A contrario, il n’est pas rare que des États dépassent le cadre qu’ils s’étaient fixé ; il n’est pas rare que des États aient des polices et des prisons à leur disposition.
Cela ne signifie pas que l’on doive s’opposer au principe du fichage par les États. Le maintien de l’ordre public, l’accès de tous aux soins, la lutte contre le terrorisme sont des justifications que l’on ne peut nier. Mais c’est ce nécessaire antagonisme entre les besoins de l’État et la défense par les individus des libertés publiques qui fait l’honneur de nos démocraties.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jérôme Durain. Le ministre de l’intérieur doit accepter que les citoyens soient réticents au fichage et les citoyens doivent accepter que l’État satisfasse son besoin d’outils pour la protection de la société.
Si je me permets ces rappels, c’est parce que, lors de l’audition de M. Darmanin en janvier, j’avais indiqué, et vous me pardonnerez cette citation : « Ces fichiers semblent de nature à entretenir un climat qui n’est pas sain, en donnant le sentiment de contrevenir aux libertés publiques. » M. Darmanin m’avait répondu, légèrement courroucé : « Je ne peux pas laisser dire que les décrets contreviennent aux libertés publiques. » Au-delà de la joute oratoire, je tiens à dire au Gouvernement qu’il a l’obligation de laisser dire aux parlementaires tout ce qu’ils veulent.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jérôme Durain. Pour ma part, j’ai été étonné, dans sa réponse d’alors, par l’interprétation que le ministre a faite de l’avis de la CNIL.
Ainsi, M. Darmanin a déclaré devant la commission des lois : « [Les fichiers] ont été validés par le Conseil d’État et la CNIL en amont, et de nouveau par le Conseil d’État en aval. Ils sont d’autant plus respectueux des libertés publiques qu’ils ont été conçus à la demande de la CNIL. »
Il se trouve que la commission des lois a aussi auditionné la présidente de la CNIL, Mme Marie-Laure Denis, la semaine dernière. Cette dernière a déclaré – cela figure au compte rendu de la commission des lois – : « Une évolution sémantique a eu lieu : on est passé d’activités politiques, religieuses, philosophiques et syndicales, à des “opinions politiques”, des “convictions philosophiques et religieuses” et “l’appartenance syndicale”. La CNIL n’a pas été consultée sur cette modification sémantique, car les textes ont évolué depuis notre avis. Je rappelle que la CNIL n’autorise pas ou ne refuse pas les textes sur lesquels elle émet un avis ; celui-ci vise à éclairer le pouvoir réglementaire ou le législateur et il appartient au juge administratif de se prononcer sur la légalité des actes réglementaires. En l’espèce, le Conseil d’État s’est prononcé en référé, sans déceler de doutes sérieux sur la légalité du texte, mais il aura très certainement à se prononcer au fond. En tout cas, le collège de la CNIL ne s’est pas prononcé sur l’évolution sémantique. »
M. Loïc Hervé. Exactement !
M. Jérôme Durain. Le Gouvernement souhaite-t-il répondre à cette déclaration de la présidente de la CNIL ? Quoi qu’il en soit, on le voit, et nous remercions le groupe CRCE, il faut débattre de ces questions relatives aux fichiers. Ma collègue Annie le Houerou abordera d’autres aspects liés aux fichiers de santé, tout aussi importants, qui intéressent également fortement les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la conciliation entre le droit de l’individu et le droit de la société, entre l’ordre public et la liberté, n’est pas un problème récent. En droit français, l’article 9 du code civil dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. »
À l’origine de cette demande de débat, on retrouve les trois décrets du 2 décembre 2020 et la tribune publiée le 17 décembre dernier dans le quotidien Libération : « Extension des fichiers de renseignement : un nouveau danger pour nos libertés. » Cette tribune, signée par de nombreux élus de gauche et écologistes, dénonçait l’atteinte à la démocratie et le mépris du Parlement.
S’il s’agissait bien d’une compétence réglementaire et non législative, l’élaboration de ces décrets aurait toutefois pu donner lieu à une consultation du Parlement, ou à tout le moins à une communication. Au lieu de cela, les parlementaires en ont appris l’existence par voie de presse, après leur publication. Une telle manière de procéder est incompréhensible.
Elle l’est d’autant plus lorsque l’on se souvient des débats suscités par le décret Edvige en juin 2008. Ce décret créait un fichier recensant les personnes « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». Il fut finalement retiré au mois de novembre suivant.
Ce manque de transparence nourrit malheureusement les suspicions envers l’État de droit. Aujourd’hui, via les réseaux sociaux, tout le monde est fiché par des Big Brother privés, sans rien y trouver à redire. Le constat est sans appel : pour les Français, il est aujourd’hui plus facile de s’inscrire sur Facebook ou Instagram que de télécharger l’application TousAntiCovid. (Sourires.)
Cette défiance à l’égard de l’État mérite notre attention. Avec la menace terroriste, l’État est de plus en plus incapable de garantir la sécurité sans entraver la liberté. Si le fichage étatique effraye, c’est en raison des conséquences que l’État pourrait en tirer, mais le fichage est parfois nécessaire et certains fichiers ne seront jamais contestés. On peut citer pour exemple le fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, ou encore celui sur les agréments des assistantes maternelles, dont la création vient d’être annoncée. La sécurité ne figure pas au nombre des libertés, mais elle est bien l’une des conditions de leur exercice.
Pourquoi ces récents décrets alarment-ils ? Parce qu’ils s’inscrivent dans une logique de prévention des risques. Il s’agit d’un fichage d’opinions, de convictions et non de comportements répréhensibles.
Ces décrets prévoient en effet la création de fichiers de police pouvant contenir des données relatives « à des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale », ainsi que des données « de santé révélant une dangerosité particulière ». Le premier est le fichier EASP, pour « enquêtes administratives liées à la sécurité publique », utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles. Il s’agit d’éviter de recruter des personnes potentiellement dangereuses ou radicalisées.
Les deux autres fichiers sont le PASP, pour « prévention des atteintes à la sécurité publique », et le Gipasp, pour « gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique ». L’un, le PASP, est géré par la police, l’autre, le Gipasp, par les gendarmes. Ils traitent tous les deux des informations liées aux atteintes à la sécurité de l’État. Il s’agit de faciliter les enquêtes de la police ou de la gendarmerie.
Soumis pour avis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ils font l’objet de recours contentieux.
Le 4 janvier dernier, le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer leur suspension. Selon le juge des référés, la collecte de ces données dans les traitements litigieux n’entraîne pas d’atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée ou à la liberté d’opinion.
Deux arguments ont retenu son attention. D’une part, seules les activités « susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État » pourront donner lieu à l’enregistrement de données. D’autre part, il sera interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir des seules données sensibles.
Jusqu’au jugement au fond de ces affaires, ces fichiers sont donc légaux. Mais tout ce qui est légal est-il souhaitable ?
La question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : en quoi le fait de ficher des opinions, y compris philosophiques, peut-il garantir la bonne tenue d’une manifestation ? Élargir le fichage, c’est considérer que des opinions puissent représenter un danger en elles-mêmes. Cela représente une rupture importante et inquiétante dans la manière de penser la sûreté de l’État.
En 2009, Robert Badinter déplorait déjà le recours presque obsessionnel à des fichiers, et s’interrogeait sur cette dérive inquiétante consistant à passer « d’une justice de liberté à une justice de sûreté ». Un tel changement de doctrine ne peut être accepté que si l’on peut s’assurer de son utilisation et de son effectivité.
Pourra-t-on s’assurer que les personnes fichées seront pleinement informées et pourront exercer leur droit de rectification ? Quelles conséquences légales seront tirées de ces fichiers ? Pourront-ils justifier une arrestation ou un non-recrutement ?
Mme le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la pandémie mondiale de la covid-19 a vu émerger la prolifération de virus d’un autre type : les virus informatiques. Les établissements de santé, les laboratoires de diagnostic ou de recherche sont régulièrement victimes de piratages. Les données de santé sont très prisées ; récupérées, elles sont revendues à prix d’or.
À titre d’exemple, la société Moderna a été touchée par une cyberattaque en juillet dernier ; AstraZeneca en a été victime en novembre. Plus récemment, en janvier, l’Agence européenne du médicament confirme qu’une version falsifiée des fichiers volés chez Pfizer a bien été partagée sur le dark web.
La CNIL a publié en janvier un avis sur plusieurs mesures mises en place par le Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire. Cet avis a mis en évidence plusieurs manquements dans la gestion des données personnelles, notamment sur leur durée de conservation et leur sécurité dans le logiciel de contact tracing. Pour la CNIL, bien que prévu par une circulaire, ce processus de tracing entraîne une dispersion des données dans les messageries. De plus, ces informations, en partie stockées sur des serveurs, sont conservées trop longtemps, faisant fi du règlement général sur la protection des données personnelles.
S’agissant de l’application StopCovid, devenue TousAntiCovid en octobre 2020, la CNIL avait estimé que le dispositif était conforme au RGPD. En revanche, elle estimait que l’application ne pouvait être déployée que si son utilité pour la gestion de la crise était suffisamment avérée et si certaines garanties étaient apportées. Son utilisation devait être temporaire et les données devaient être conservées pendant une durée limitée. Insidieusement, TousAntiCovid tend vers les mêmes travers, sans vigilance particulière sur la durée et sur les conditions de stockage des informations personnelles.
Les appels à la vigilance sont nombreux. En janvier 2021, Christian Babusiaux, l’ancien président de l’Institut des données de santé, appelait le Gouvernement à rompre au plus vite le contrat conclu avec Microsoft pour la construction d’un grand entrepôt d’hébergement des données de santé. Les doutes sur les garanties offertes par le droit américain font craindre pour la sécurité des données de santé des Français, avec un risque d’exploitation abusive de ces dernières. Si le Gouvernement s’est engagé à retirer l’hébergement de ces données à Microsoft d’ici à deux ans, ce délai est trop long au regard des risques d’exploitation des données à d’autres fins que celles pour lesquelles elles ont été communiquées.
Enfin, en décembre, le Gouvernement avait présenté un projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires. L’article 1er de ce texte prévoyait de subordonner le déplacement des personnes et l’exercice de certaines activités à la présentation d’un test de dépistage ou au suivi d’un traitement préventif, y compris la vaccination - en d’autres termes, la mise en place d’un passeport sanitaire.
M. Loïc Hervé. Ça fait parler…
Mme Annie Le Houerou. Si le projet de loi a depuis été retiré et son examen renvoyé après la sortie de la crise, une telle mesure doit être envisagée avec la plus grande prudence. Nous veillerons au respect des libertés individuelles, le Parlement est garant de cette protection, en s’appuyant sur les avis de la CNIL.
Dans son avis, la CNIL rappelle ainsi que les données de santé sont protégées par le secret médical et ne doivent être traitées que par des personnes habilitées et soumises au secret professionnel.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, la protection des données personnelles est un enjeu majeur, a fortiori les données personnelles de santé ; elles doivent être strictement protégées pour garantir la liberté de chacun. Ces données statistiques destinées à une exploitation collective pour la recherche ou l’industrie sont particulièrement convoitées et font l’objet d’espionnage industriel ou de sabotage malveillant. Il est de votre responsabilité et de celle du Gouvernement de les protéger efficacement, de veiller à ce que leur utilisation ne soit pas dévoyée, de garantir notre indépendance nationale en la matière. Protéger ces données, c’est protéger les Français, mais aussi nos entreprises.
Mme le président. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Annie Le Houerou. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sera particulièrement vigilant quant à la création de fichiers dans notre pays, en particulier ceux liés à l’utilisation des données de santé, qui tendent à se généraliser : je pense notamment au dossier médical partagé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de la tenue de ce débat et de pouvoir participer à vos échanges très riches sur ce sujet fondamental du respect des libertés publiques, de la protection de la vie privée et du nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays.
Avant de réagir à vos propos et, je l’espère, d’apporter des réponses aux questions et aux observations qui ont été formulées ce soir, je voudrais partager avec vous quelques éléments.
Dans la décennie passée, nous avons connu trois mouvements majeurs en matière de fichiers de sécurité en apparence contradictoires, mais que nous avons voulu et, je l’espère, su concilier. Premièrement, un contexte sécuritaire qui s’est globalement tendu, avec une menace terroriste désormais structurante. Deuxièmement, des évolutions techniques et technologiques qui ouvrent de nouvelles potentialités de traitement des données. Troisièmement, un droit des données qui n’a cessé de s’étoffer et de se préciser, avec notamment l’entrée en vigueur dans notre droit du règlement général sur la protection des données de 2018, via sa transcription dans la loi Informatique et libertés que vous connaissez bien.
C’est de ce triple mouvement qu’est issue la situation que nous connaissons aujourd’hui. Elle se caractérise, me semble-t-il, par de nouveaux besoins des services de sécurité en termes d’accès aux fichiers, d’interconnexion, de fiabilisation des identités des personnes inscrites, d’exigence accrue de transparence et de précision, cela a été mentionné à plusieurs reprises, sur chacun des fichiers, sur leurs finalités, leurs modalités de fonctionnement, les mesures prises pour s’assurer que ne sont collectées et conservées que les seules données strictement nécessaires.
J’observe une forme d’exigence contradictoire à l’égard de l’État, cela a été dit également. Les Français, et c’est heureux, sont de plus en plus sensibilisés aux enjeux de leurs données et du traitement qui peut en être fait. Ils sont aussi parfois méfiants envers des fichiers mis en œuvre par l’État et singulièrement par le ministère de l’intérieur.
Dans le même temps, il me semble que les Français attendent aussi des policiers et des gendarmes qu’ils puissent anticiper, prévenir les menaces, agir, détecter dès que possible les individus potentiellement dangereux, travail quotidien pour lequel le recours aux fichiers est bien souvent, chacun le comprend, indispensable.
À cet égard, la demande croissante d’enquêtes administratives sur des personnes exerçant des métiers sensibles de la sécurité, mais aussi de l’enseignement, de la santé et des services publics est révélatrice.
Dans ce contexte, nous avons fait le choix, en France, de conserver un régime de fichiers de sécurité très protecteur. En effet, alors que le RGPD et la directive Police-Justice de 2018 régissant les fichiers dont nous débattons ce soir ont inauguré un vrai changement de paradigme, notamment en supprimant le régime de déclaration d’autorisation des fichiers, nous avons fait le choix de maintenir un régime d’autorisation pour les fichiers de sécurité.
Cela signifie que tout traitement de données à caractère personnel qui intéresse la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, ou qui a pour objet la prévention, la recherche, la constatation et la poursuite des infractions pénales, l’exécution des condamnations et des mesures de sûreté, doit être autorisé par un acte réglementaire pris après un avis de la CNIL.
Parmi ces traitements, ceux qui portent sur des données dites sensibles – je pense aux données biométriques – sont particulièrement encadrés, puisqu’ils doivent être systématiquement autorisés par décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL. D’ailleurs, les décrets qui ont été évoqués apportent des actualisations sémantiques sur ces questions, je tiens à le préciser.
Chacun des fichiers du ministère de l’intérieur doit donc respecter les dispositions cardinales du droit des données personnelles. Ces données doivent être collectées et traitées de manière loyale et licite – c’est le principe de légalité ; elles doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes – c’est le principe de finalité ; le responsable d’un traitement ne peut enregistrer ou utiliser des informations sur des personnes physiques que dans un but précis, légal et légitime ; elles doivent être adéquates, pertinentes, non excessives au regard des finalités recherchées - c’est le principe de proportionnalité et de pertinence.
Les informations enregistrées doivent donc être strictement nécessaires au regard de la finalité donnée et connue du fichier. Elles doivent être exactes, évidemment, et tenues à jour. Toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données à caractère personnel inexactes, eu égard aux finalités pour lesquelles elles sont traitées, puissent être effacées ou rectifiées, et ce sans tarder.
Elles doivent enfin être conservées sous une forme qui permette l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas ce qui est nécessaire au regard des finalités de traitement.
Monsieur le sénateur Yves Bouloux, les droits des personnes concernées doivent également être respectés : droit d’accès, droit de rectification, droit d’effacement et droit de saisir la CNIL gratuitement.
Concrètement, chaque fois que le ministère de l’intérieur envisage de créer ou, le plus souvent, de modifier un traitement de données à caractère personnel, il doit d’abord prouver à la CNIL, puis au Conseil d’État, que le traitement envisagé respecte tous ces grands principes. J’ajoute que deux parlementaires sont membres de la CNIL,…
M. Loïc Hervé. Quatre !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. … ce qui permet d’exercer un contrôle.
Pour ce faire, le ministère doit notamment réaliser une analyse d’impact relative à la protection des données dans laquelle il expose très précisément ce qu’il veut faire et quelles dispositions à la fois juridiques et organisationnelles il prendra pour assurer que seules les données nécessaires pour atteindre la finalité recherchée soient collectées, dans le respect du motif légitime.
Il doit ensuite assurer un droit à l’information, le droit d’accès que j’évoquais, même dans le champ de la directive Police-Justice.
Une fois validé par la CNIL et par le Conseil d’État, le fichier fait également l’objet de contrôles constants, et ce tout au long de sa durée de vie : contrôle qualité obligatoire en interne, au regard des exigences qui pèsent sur chaque responsable de traitement ; contrôle externe par la CNIL, qui mène aussi régulièrement des contrôles sur les traitements de données de la police et de la gendarmerie ; contrôle du juge, en l’occurrence le Conseil d’État, saisi de nombreux recours contentieux.
Dans ce contexte juridique en pleine mutation, les auteurs du rapport d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale consacré aux fichiers de sécurité intérieure, en 2018, saluaient la diffusion, au sein de la police, comme de la gendarmerie, d’une véritable culture des libertés individuelles. Notre enjeu, aujourd’hui et demain, est bien là : respecter pleinement un droit exigeant, un droit protecteur des données et des libertés publiques, tout en donnant aux services les moyens d’agir et en leur permettant d’être pertinents et réactifs.
Je voudrais préciser que nous parlons là de 65 000 personnes, c’est-à-dire bien moins que le rapport de un sur onze évoqué voilà quelques instants. C’est fondamental : le ministre de l’intérieur l’avait évoqué lors de sa récente audition. À cet égard, s’il a déclaré à cette occasion que la CNIL avait « validé » le décret, c’était par facilité de langage, pour s’approprier un vocabulaire que les commentateurs utilisent couramment.
Pourquoi avoir changé la précédente rédaction, qui parlait d’« activités politiques, religieuses, syndicales » pour leur préférer les termes « opinions politiques », « convictions philosophiques et religieuses » et « appartenance syndicale » ?
Je n’élude pas la question, qui est importante. Il s’agit d’une demande du Conseil d’État : lorsqu’il a examiné le projet de décret, le Conseil a demandé au Gouvernement, dont ce n’était pas l’objectif initial, de procéder à une évolution terminologique pour mieux tenir compte de la rédaction actuelle de la loi Informatique et libertés qui désigne les données sensibles. J’espère ainsi apporter une réponse aux interrogations du sénateur Jérôme Durain.
Jusqu’à présent, il était précisé, par exception à l’interdiction de collecter des données sensibles, qu’il était possible de réunir dans ces fichiers des données concernant les « activités » politiques, religieuses, syndicales. La traduction française du RGPD ayant retenu, pour qualifier les données sensibles, les termes « opinions », « convictions » et « appartenance », le Conseil d’État a tout simplement souhaité s’aligner sur cette rédaction.
Ces éléments peuvent être importants pour contextualiser la menace. Savoir qu’un individu adhère, par exemple, à des thèses antispécistes est important pour contextualiser des faits de dégradation de commerces ou de sites de production alimentaires auxquels il incite à participer. (Murmures sur les travées des groupes SER et GEST.) Il s’agit d’une contextualisation.
De même, le militantisme n’est évidemment pas, en soi, une donnée intéressant les services au regard d’un engagement syndical. En revanche, il est important de savoir si un individu radicalisé est représentant du personnel de l’entreprise : dans ce cas, il peut jouir d’une influence plus forte auprès de ses collègues pour les inciter, par exemple, à rejoindre des idéologies prônant la violence, voire à passer à l’acte.
L’examen du Conseil d’État intervenant après l’examen de la CNIL, il me semble normal que celle-ci ne se soit pas prononcée sur cette évolution.
Les décrets précisent explicitement qu’aucune recherche dans les fichiers ne peut être réalisée à partir de ces données sensibles.
Le Gouvernement ne permet pas le fichage des syndicalistes. Appartenir à un syndicat n’est jamais une raison justifiant un fichage.
Est-il possible de recourir à la reconnaissance faciale dans ces fichiers ? Je tiens à répondre clairement à cette question : comme la CNIL l’indique dans son communiqué du 11 décembre dernier, aucun dispositif de reconnaissance faciale n’est prévu et aucun dispositif de requêtage par photographie n’est possible.
De la même manière, les enfants de moins de 13 ans ne peuvent être fichés, et c’est heureux. Un membre du Conseil d’État, chargé de la vérification, remet chaque année un rapport sur ce sujet. J’espère avoir ainsi répondu à l’interpellation de Mme la sénatrice Assassi.
Il n’y a pas non plus d’interconnexion automatique entre les différents fichiers. Il peut y avoir des rapprochements manuels, mais rien n’est automatisé. Monsieur le sénateur Max Brisson, il n’existe aucune interconnexion entre des fichiers ayant des buts différents.
Je voudrais également préciser que toutes les personnes du monde politique ou syndical ne peuvent être fichées. Il me semble qu’une certaine confusion a pu s’installer avec le projet Edvige, envisagé en 2008, qui n’a jamais vu le jour. Monsieur le sénateur Paul Parigi, seules les personnes représentant une menace grave pour la sécurité peuvent être fichées et non l’ensemble des acteurs du champ syndical, politique ou même économique.
Comme l’a très justement souligné Mme la sénatrice Nicole Duranton, les fichiers et les données que nous offrons tous les jours à Google ou à différents acteurs numériques sont bien plus sensibles, bien plus personnels et bien moins contrôlés.
Je voudrais enfin préciser que des personnes morales peuvent, à l’évidence, représenter une menace pour la sécurité publique. C’est d’ailleurs l’objet du projet de loi confortant le respect des principes de la République qui arrivera bientôt en discussion au Sénat. Je pense aux associations violentes, aux groupements de fait, aux gangs, aux groupes criminels et aux groupes sectaires. Dans ce cas, le fichage se fait au travers des individus qui les composent. Elles ne figureront donc pas comme élément d’évaluation de la menace que représente une personne. Toutefois, le fait qu’un individu participe, par exemple, aux réunions d’un groupe néonazi constitue en soi une information, un élément d’appréciation de sa potentielle dangerosité.
De même, il peut être important de signaler qu’une personne présentant une menace fait partie d’une association ou d’un groupement quelconque pour déterminer, par exemple, son potentiel cercle d’influence, ses relations, ses tentatives d’entrisme ou de déstabilisation. En matière de lutte contre le terrorisme islamiste, il est absolument fondamental de pouvoir disposer de ces informations, très précieuses pour les forces de sécurité intérieure.
Par ailleurs, mesdames les sénatrices Carrère et Apourceau-Poly, en ce qui concerne l’application TousAntiCovid, je tiens à préciser que les données de santé sont gérées et traitées exclusivement via le ministère de la santé. Elles ne servent pas au ministère de l’intérieur. Il s’agit de données du plus haut niveau de sensibilité et de sécurité. Elles font l’objet de mesures de sécurité très particulières pour s’assurer que nul ne puisse y accéder et s’en servir. Il me semble important de le préciser au regard de la période de pandémie que nous traversons. Ces données ne sont en aucune façon utilisées par le ministère de l’intérieur.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, soyez-en certains, le Gouvernement partage votre attachement fondamental aux libertés publiques et partage également votre attachement à l’efficacité des services de renseignement des forces de sécurité intérieure pour mieux nous protéger, tout en respectant nos libertés publiques fondamentales, qui font la grandeur de la démocratie.
M. Jérôme Durain. Nous voilà rassurés !
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays. »
7
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 16 février 2021 :
À quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l’efficacité de la lutte contre le dopage (texte n° 198, 2020-2021) ;
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (texte de la commission n° 330, 2020-2021) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement (texte de la commission n° 332, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER