Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur le sujet qui nous préoccupe cet après-midi, sur le fond comme sur la forme, nous ne sommes en rien d’accord avec la manière de faire du Gouvernement. Nous le marquerons de manière solennelle et ferme.
En première lecture, nous avions déjà dit nos craintes et nos réserves quant à ce projet de loi, tout en rappelant notre attachement à une meilleure circulation des œuvres dans leur pays d’origine. Cette ouverture et cette bonne volonté, nous les avons exprimées de manière unanime en votant les articles 1er et 2 de votre texte, madame la ministre, mais nous vous avions aussi appelée à établir une méthode, à aborder cette question avec recul, distance, en vous donnant le temps de la réflexion.
Face à cette ouverture, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont nullement cherché le compromis. Ils n’ont pas jugé bon de nous entendre sur la nécessité de nous doter d’un conseil national de réflexion, demande pourtant soutenue sur quasiment toutes les travées de la Haute Assemblée. Même l’abandon du mot « restitution », avec sa charge culpabilisante, a été rejeté avec une implacable volonté sémantique de rétablir le texte dans sa version originale, conforme à une certaine vision de l’histoire.
Pourtant, les craintes que nous avions exprimées en première lecture étaient justifiées. C’est avec un certain vertige que nous l’avons constaté, en particulier au travers de la désagréable découverte du renvoi en catimini de la couronne du dais de la reine Ranavalona III aux autorités malgaches, au moment même où se déroulait ici l’examen du projet de loi.
Mais à quelque chose malheur est bon. Désormais les choses sont claires. Votre méthode est sur la table.
Pour répondre aux problèmes diplomatiques du moment, sur ordre du chef de l’État, vous transférez un bien sous couvert de prêt – la communauté des musées est mise devant le fait accompli. Vous indiquez ensuite aux musées qu’il s’agit d’une demande de restitution sans pour autant solliciter leur point de vue patrimonial et scientifique ; vous engagez alors, par une convention, une procédure de dépôt sur le long terme de l’œuvre d’ores et déjà dans son pays d’origine, une procédure qui est dévoyée et instrumentalisée. Enfin, vous préparez un projet de loi pour demander le transfert de propriété.
Le Parlement est relégué en bout de chaîne. Comme dans les parlements de l’Ancien Régime, nous ne sommes plus qu’une chambre d’enregistrement. Souverain à l’Assemblée nationale, le Gouvernement tient un lit de justice pour contraindre la représentation nationale.
Vous vous affranchissez des principes multiséculaires forgés justement pour que le patrimoine de la Nation ne soit jamais soumis aux humeurs du prince de l’instant. Vous contournez le Parlement, pourtant seul légitime depuis la Révolution française à autoriser toute aliénation du patrimoine national. Cette méthode est d’autant plus dangereuse qu’elle dévoie de son sens la pratique encadrée et définie du dépôt d’œuvres d’art, utilisée dans le cadre d’un projet scientifique et culturel, et non pour des processus de restitution. Méthode dangereuse également, car elle porte atteinte au principe d’inaliénabilité des collections nationales. Elle fragilise ce principe et fait grandir le risque d’un tarissement des dons individuels, alors qu’ils assurent souvent plus de 50 % de l’enrichissement des collections de certains de nos musées nationaux.
Bien évidemment, je partage la nécessité de renforcer la circulation des œuvres et l’accessibilité du patrimoine sur sa terre d’origine. Justement parce que je crois en la pertinence de cette démarche, j’en appelle à une réflexion sérieuse et à un travail approfondi sur la méthode.
Très tôt, et je veux saluer le travail de Catherine Morin-Desailly, le Sénat a perçu cet enjeu. Mais les outils qu’il avait souhaité mettre en place, comme la Commission scientifique nationale des collections, n’ont pas été utilisés. La réflexion engagée n’a jamais été poursuivie.
Si le discours du Président de la République à Ouagadougou a relancé la réflexion, celle-ci a abouti malheureusement aux propositions radicales du rapport Sarr-Savoy, qui ont tendu et faussé le débat. Le fait du prince, avec les transferts anticipés du pseudo-sabre d’El Hadj Omar Tall au Sénégal et de la couronne du dais de la reine de Madagascar, a ainsi été légitimé par le rapport Sarr-Savoy au nom d’une approche moralisatrice excluant toute réflexion historique et muséale.
Au lendemain du transfert vers Madagascar, avec le sentiment d’avoir été trompé, je fais partie de ceux qui regrettent d’avoir voté l’article 2 de votre projet de loi. Je ne suis pas le seul. Cet article officialise et cautionne une méthode que je réprouve.
À l’opposé de ce que vous diligentez, face à des demandes en ébullition, parce qu’elles répondent aux exigences morales du moment, il est urgent de nous doter d’une doctrine partagée. Il y a là l’occasion pour la France de s’inscrire dans une véritable politique de circulation des biens qui nous obligerait à un inventaire renouvelé de nos collections, à une réflexion sur leur provenance, leur cheminement, à une analyse de la construction de leur valeur esthétique et artistique, à une recherche approfondie de leurs ayants droit.
De même, cela pourrait être l’occasion de nous interroger sur la conception de l’universalisme de nos musées confrontés à des approches qui peuvent être légitimes, mais qui n’en sont pas moins en rupture avec ce qui fonde notre vision de la culture et qui portent aussi en elles des germes qui peuvent nous inquiéter. N’est-il pas temps en effet de réaffirmer cet universalisme dans le cadre d’un dialogue des cultures où nous ne pouvons abdiquer nos valeurs ?
En réponse à une question complexe, le Sénat vous a conviée, en vain, à élaborer une méthode globale croisant les questions de morale, de légalité, de légitimité, de respect des donations et des droits des descendants. Cette méthode aurait apporté sur la durée une réponse aux pays demandeurs, en construisant avec eux les meilleures voies pour renforcer la circulation des biens et le dialogue des cultures. C’est à cette démarche exigeante, rigoureuse, qui demande du temps – beaucoup de temps ! –, de la formation et des moyens à laquelle nous vous invitions. Le Gouvernement a préféré répondre par une méthode où la simplification le dispute à la précipitation.
En réponse à nos craintes, à maintes reprises, vous nous avez assuré que le projet de loi dont nous débattions était un projet de loi d’exception – des assurances dont je ne saurais dire si elles étaient sincères ou feintes. Malheureusement pour vous, il n’aura pas fallu attendre la fin de l’examen du projet de loi pour que celles-ci soient démenties.
Nos alertes sont aujourd’hui confortées. L’enchaînement des événements démontre leur justesse. Le Gouvernement refuse toute réflexion sur le transfert d’œuvres d’art pour agir à sa guise. C’est une erreur !
Cette erreur est d’autant plus grave que, lors de nos auditions, nous avons été régulièrement sensibilisés à l’intérêt d’une politique de circulation des œuvres construite sur un intérêt partagé, tant pour le pays demandeur que pour la France, sur une politique raisonnée en droit et qui soit le fruit d’une véritable coopération internationale entre chercheurs français et étrangers, afin de recouvrer les collections dispersées et de procéder à des dépôts cohérents au lieu d’isoler des biens de leur collection. Sans cela, nous serons, mes chers collègues, toujours à la merci de revendications aux finalités politiques, leurs auteurs profitant de nos incertitudes pour faire régner le soupçon et la culpabilisation.
Le conseil national que nous vous proposions, madame la ministre, permettait justement de s’opposer à cela en plaçant les scientifiques au centre des débats en toute transparence à l’égard du public, afin de dépassionner le débat.
Retentissent en moi cet après-midi, au moment de conclure cette intervention, les propos d’un conservateur que nous avons auditionné : « J’ai le sentiment que, comme pour les hommes, l’existence des objets précède l’essence. » Et ce conservateur de nous expliquer qu’il faut prendre en compte non pas uniquement un droit du sang de l’objet, mais aussi un droit du sol de l’objet, droit qui est le fruit du cheminement et de la construction de la valeur artistique. C’est dans cette prise en compte complexe des origines et du cheminement des œuvres que se fonde l’ambition éthique du musée universel.
Oui, nous avons besoin de construire une réelle politique de circulation de nos œuvres, politique partagée par les deux parties à la condition qu’elle s’inscrive dans une démarche scientifique et qu’elle ne soit pas une réponse à la diplomatie du moment dans un contexte d’approche moralisatrice de l’histoire !
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains soutiendra la motion de la commission tendant à opposer la question préalable. Ce sera la marque de notre opposition ferme et résolue sur la forme et sur le fond. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les deux assemblées ont autorisé la sortie des vingt-sept biens culturels inscrits en annexe du présent projet de loi afin qu’ils soient restitués aux Républiques du Bénin et du Sénégal. Pourtant, la commission mixte paritaire a échoué, et nous le regrettons. Nous regrettons aussi la position du Gouvernement au sujet de l’article 3 introduit au Sénat. Nous voulions faire de cette loi de circonstance une loi nécessaire, capable de sécuriser les situations à venir dans une démarche transparente et démocratique.
L’enjeu de ce texte dépasse son objet. Il s’agit de la gestion du patrimoine culturel de la France. Le Sénat n’est pas une simple chambre d’enregistrement des décisions gouvernementales, je regrette d’avoir à le rappeler. Nous ne pouvons faire l’impasse d’un débat contradictoire lorsque sont en jeu des collections publiques régies par les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité.
Les demandes de restitution sont nombreuses et vont probablement se multiplier. À l’heure où nous examinions en première lecture ce projet de loi, une couronne royale conservée au musée de l’Armée à la suite du don d’un particulier était transférée à Madagascar. Encore une fois, la décision du pouvoir exécutif précède celle du Parlement, mis devant le fait accompli. Nous devons retrouver le chemin de nos institutions républicaines et veiller à mettre en place une procédure applicable à toutes les situations, à tous les Gouvernements.
C’est la raison pour laquelle la commission de la culture avait introduit en première lecture un nouvel article, prévoyant la création d’un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. Il s’agit non seulement de soustraire le sort de notre patrimoine culturel aux aléas politiques, mais aussi de fonder les transferts de biens culturels sur une démarche scientifique et démocratique. Avant toute décision officielle du Gouvernement, cette instance et le Parlement devraient être consultés – le Sénat y est très attaché. L’actuelle Commission scientifique nationale des collections s’est déclarée incompétente pour expertiser les demandes de restitution, s’éloignant ainsi de l’esprit de la loi qui l’avait créée.
Je partage le point de vue de Mme la rapporteure sur les conclusions trop caricaturales du rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, plaidant pour une restitution massive à leurs pays d’origine des œuvres africaines. Les collections extraoccidentales représentent une part importante de nos collections publiques. Nos musées ne sauraient se réduire à la seule représentation de la culture française. Les musées du monde entier sont les témoins du caractère universel de l’art, d’une richesse culturelle qui dépasse les frontières et les civilisations.
La sculpture africaine, pour reprendre les mots de Malraux, s’est lentement imposée au monde, mais de façon décisive. Nous sommes passés d’un référentiel d’imitation du réel à la recherche de l’expression libre, indifférente à la ressemblance. L’art africain, largement représenté dans nos collections, a bouleversé des pans entiers de l’art occidental, de Picasso à Matisse, de Braque à Derain… André Malraux en témoigne dans ses discours et ses écrits. Les masques Fang au Gabon, les portes Dogon au Mali, les poupées Ashanti au Ghana, de par leur puissance et leur retentissement, sont autant de manifestations du génie de l’Afrique, leur berceau. S’inscrivant dans le patrimoine culturel de l’humanité, ces œuvres ont une vocation universelle.
Madame la ministre, je connais votre grande implication pour favoriser l’accès à la culture. Pour autant, je soutiens la position de la commission de la culture et voterai la motion de rejet déposée. Je serai très attentif aux conclusions de la mission d’information présidée par Mme Catherine Morin-Desailly, et j’espère vivement que ce travail se traduira très prochainement par une proposition de loi à la hauteur des enjeux que représentent les restitutions d’œuvres pour les collections publiques françaises.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (M. Jacques Fernique applaudit.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons pour la deuxième fois ce projet de loi visant à restituer au Bénin et au Sénégal plusieurs œuvres de leur patrimoine culturel appartenant aux collections publiques françaises. Ces biens ont été acquis lors d’une période de notre histoire qu’il nous faut regarder avec lucidité.
J’aurai l’occasion, lors de mon explication de vote sur la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission, d’exposer notre vision sur ce qui s’est passé durant la navette parlementaire, mais je voudrais maintenant me concentrer sur le fond du sujet.
Rendre le trésor de Béhanzin et le sabre avec fourreau dit d’« Omar Tall » à leurs pays d’origine est un geste fort pour la coopération culturelle. Plus qu’un symbole, c’est un acte concret qui affirme que notre pays sait regarder son histoire en face, dans un esprit d’amitié. Cela doit être salué. Mais ces vingt-sept objets ne sont que la partie émergée de l’iceberg. D’autres pays ont fait des demandes officielles auprès de la France pour récupérer une partie de leur patrimoine. La Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Tchad, le Mali, Madagascar : au total, ces cinq pays réclament le retour de 13 246 biens appartenant aux collections publiques françaises. Rien n’indique que le mouvement s’arrêtera, bien au contraire. Les restitutions que nous étudions aujourd’hui ne sont donc que le point de départ d’une coopération culturelle avec le continent africain, et nous devons nous en réjouir. Il y va de la réconciliation de la France avec un continent, son passé et sa jeunesse.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est donc une contribution, modeste certes, mais significative, à ce vaste mouvement de fond qui traverse notre paysage culturel : la fin d’une époque, d’une ère peu glorieuse de notre histoire, où l’homme africain n’avait pas voix au chapitre – même si, récemment, certains ont considéré qu’il n’était pas encore « assez entré dans l’histoire ». Rappelons-le, le trésor de Béhanzin et le sabre d’El Hadj Omar Tall sont des prises de guerre, des biens acquis dans la violence d’une époque coloniale qu’il nous faut aujourd’hui regarder avec lucidité. Les revendications du Bénin et du Sénégal sont ainsi légitimes, et c’est en se fondant sur cette légitimité que le Gouvernement nous propose ce projet de loi. Ainsi, aujourd’hui, les idées changent et les pratiques aussi : il faut s’en féliciter.
Ce mouvement de restitution n’est d’ailleurs pas circonscrit aux collections publiques, puisque, comme le souligne le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine africain, les collectionneurs privés s’engagent de manière discrète et efficace en restituant des centaines d’œuvres leur appartenant.
Ce mouvement de fond, encore une fois selon ce même rapport, nous porte vers ce que les deux historiens appellent une « nouvelle éthique relationnelle » : « Les objets, devenus des diasporas, sont les médiateurs d’une relation qui doit être réinventée. […] Il s’agit, bien évidemment, de réactiver une mémoire occultée et de restituer au patrimoine ses fonctions signifiantes, intégratives, dynamisantes et médiatrices dans les sociétés africaines contemporaines. Mais il s’agit également, en se réappropriant ces objets, d’en redevenir les gardiens pour la communauté humaine. »
Le voilà le véritable message, le véritable idéal : celui de la reconnaissance de la multiplicité de la création, de l’égalité dans la diversité des formes culturelles. Rendre à l’autre pour s’enrichir tous. Ce projet de loi apporte sa petite pierre à ce grand édifice. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires y est largement favorable. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat et l’Assemblée nationale se sont accordés, à l’unanimité des suffrages exprimés, sur l’objectif premier du projet de loi examiné aujourd’hui en nouvelle lecture : les transferts de propriété au Bénin de vingt-six objets du palais de Béhanzin et au Sénégal du sabre avec son fourreau d’El Hadj Omar Tall, chef toucouleur.
Il s’agit non pas de repentance, mais d’une volonté d’apaiser les conflits de mémoire. Ces gestes participent en effet d’une nouvelle approche de nos relations avec les États africains, sur la base d’un partenariat plus équilibré qui respecte leur volonté de s’approprier pleinement leur histoire. Possibilité est ainsi donnée à leurs populations d’accéder, chez elles, à des œuvres de leur culture et de leur civilisation. D’une forte portée symbolique et parfois spirituelle, ces œuvres contribuent à un sentiment de fierté, de confiance en soi et d’espoir, nécessaire à l’édification d’une société prospère.
Toutefois, la commission mixte paritaire n’a pas été conclusive.
Pour une raison de sémantique d’abord. La majorité sénatoriale a préféré le mot « retour » au mot « restitution », qui sous-entendrait une mainmise illégitime. Restitution est un terme pourtant plus précis qui contribue à une exigence de vérité sereinement assumée.
Le désaccord des deux assemblées porte ensuite, et surtout, sur la création par le Sénat d’une instance supplémentaire : le conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. Voilà un ajout qui ouvre grand la voie à d’autres transferts. Il semblait pourtant convenu par tous qu’on resterait, avec ce projet de loi, dans le domaine de l’exception et que le caractère inaliénable de nos collections publiques demeurerait la règle. Les membres de ce conseil restreint nommés par les ministres de la culture et des affaires étrangères donneraient, ou non, leur quitus à de futures aliénabilités de biens culturels et émettraient, de façon plus générale, une ligne de conduite en la matière.
Les demandes béninoise et sénégalaise ont fait l’objet d’une démarche diplomatique, historique et scientifique, menée conjointement par les ministères des affaires étrangères et de la culture. C’est aux parlementaires, représentants du peuple, qu’il revient ensuite d’auditionner les experts, les professionnels de nos musées, les historiens, les ethnologues et toute personne susceptible de les éclairer, puis de se prononcer sur l’opportunité, ou non, du transfert de propriété d’œuvres d’art acquises par la France tout au long de son histoire. Garantir un traitement rationnel et contradictoire, n’est-ce pas l’essence du débat parlementaire ? Créer un tel conseil pourrait laisser penser que le Parlement dans son ensemble ne peut exercer sa tâche avec discernement. Il introduit en outre une dimension générale dans un texte qui ne devait à l’origine traiter que de la cessation d’appartenance aux collections publiques françaises de quelques objets déterminés.
Actant une divergence résolue de points de vue entre l’Assemblée nationale et le Sénat et l’impossibilité d’un rapprochement, la rapporteure a déposé, au nom de la commission de la culture, une motion tendant à opposer la question préalable. Le groupe RDPI regrette vivement qu’un consensus n’ait pas pu être trouvé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette, comme vous tous, que la commission mixte paritaire n’ait pu aboutir à un accord sur le projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Je partage l’avis du Sénat, avec d’ailleurs nombre de députés, mais, hélas, pas la majorité des députés de la majorité !
Même si, par principe, le groupe du RDSE ne vote pas les motions tendant à opposer la question préalable, nous soutenons la démarche du Sénat. Nous ne nous laisserons jamais enfermer dans un simple rôle de chambre d’enregistrement d’une décision prise, même avec l’avis du Quai d’Orsay et le consentement de la Rue de Valois.
Nous ne voulons pas davantage être tenus pour responsables de possibles incidents diplomatiques par un avis non conforme à une décision prise, déjà annoncée et parfois exécutée. En effet, si une « restitution » revêt bien une dimension diplomatique, le « retour » d’un bien culturel relève avant tout d’une réflexion culturelle. C’est pourquoi l’avis d’un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels est indispensable. Celui-ci doit recueillir des expertises en histoire, en histoire de l’art, en ethnologie, comme en droit du patrimoine culturel. Ce n’est qu’après ces consultations, plus approfondies que de simples échanges entre fonctionnaires des affaires étrangères et de la culture, que des décisions politiques éclairées pourront être prises et ne pas rester de simples intuitions.
La notion même d’inaliénabilité mérite d’être réinterrogée à l’occasion de ce projet de loi. Comme l’imprescriptibilité l’a été à la lecture du livre La Mémoire, l’histoire, l’oubli de Paul Ricœur, auquel avait contribué le Président de la République, Emmanuel Macron…
Le retour d’un bien culturel n’est pas la restitution d’un bien mal acquis. Ce sont les us et coutumes d’une époque qui nous en ont rendus propriétaires.
Leur retour est un don. Et le don peut être à l’inaliénabilité ce que le pardon est à l’imprescriptibilité. Il acte la légitimité de la propriété. Nous ne pouvons pas donner ce qui ne nous appartient pas. C’est la dimension culturelle d’un bien qui est inaliénable.
Le retour ne peut se concevoir que si les garanties de conservation et de mise en valeur sont apportées. Le retour oblige celui qui le reçoit. Il transforme le bien en vecteur de la culture du donateur.
Certains biens n’auraient jamais acquis leur valeur culturelle sans l’expertise de notre propre culture. C’est le parcours culturel de la France qui amène à ce point d’appréciation permettant de décider si un bien mérite de retourner sur son lieu d’origine ou si, au contraire, il doit rester l’expression d’une culture universelle exposée dans nos musées.
C’est un beau débat, digne, qui mérite mieux que le constat du fait accompli. Il nous faut une réflexion, une analyse, avant qu’un bien culturel ne soit proposé à un retour, sans négliger bien entendu la dimension diplomatique.
Le retour d’un bien culturel est un don qui enrichit autant celui qui donne que celui qui reçoit. C’est la richesse de la culture. Alors, seulement, l’avis du peuple français transmis par les représentants que nous sommes pourra être donné en toute connaissance de cause. C’est le rôle que défend notre assemblée dans ce débat pour la grandeur et le rayonnement de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Jean-Pierre Decool et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Max Brisson applaudit également.)
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sans surprise, la commission mixte paritaire a échoué sur la question du conseil national de réflexion. Sans surprise, le groupe Union Centriste votera la motion de procédure présentée par notre collègue Catherine Morin-Desailly.
Une fois tout suspense évacué, qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à notre positionnement : nous ne nous opposons en rien au principe du retour de biens et d’objets culturels dans leurs pays d’origine. Au contraire, comme les autres groupes du Sénat, nous avons autorisé la sortie des collections publiques des vingt-sept biens concernés par le présent projet de loi. Mais, comme notre rapporteure, nous constatons un grave problème de méthode. En l’occurrence, nous avons été réduits à entériner des décisions diplomatiques prises par l’exécutif.
C’est la première fois qu’un retour est autorisé par une loi d’initiative gouvernementale, ce qui équivaut, sans cadre digne de ce nom, à traiter le Parlement comme une simple chambre d’enregistrement. Hasard du calendrier ou preuve supplémentaire d’un véritable mépris de la représentation nationale, au moment où nous discutions de ce texte au Sénat une couronne malgache était transférée en catimini. Dernier acte de cette tragédie dans laquelle le Parlement joue le rôle de figurant, il aura fallu attendre la commission mixte paritaire pour apprendre la création d’une cellule interministérielle dédiée à la question des restitutions.
Mais s’il ne s’agissait que du Parlement, l’affaire serait entendue, il en a l’habitude. Le problème, c’est qu’une telle dérive met en danger le patrimoine national. La méthode rend le principe d’inaliénabilité théorique et soumet les collections muséales au fait du prince.
Le risque est grand de voir les biens et objets culturels français ravalés au rang de goodies diplomatiques – pardon, chère Catherine Morin-Desailly –, de les voir filer au gré des déplacements présidentiels pour entretenir des relations amicales avec tel ou tel dirigeant ou pour signer tel ou tel contrat. Un risque que le Sénat a identifié de longue date : c’est bien pour cela que nous avions créé la Commission scientifique nationale des collections, que la loi ASAP vient de supprimer.
Nous voulions lui substituer un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. En effet, le présent texte nous donnait l’occasion de dépasser le cadre ponctuel des restitutions au Bénin et au Sénégal. Il s’agissait bien d’anticiper, car les demandes vont se multiplier. La boîte de Pandore est ouverte. Anticiper en ne retombant pas dans les errements susdécrits d’une diplomatie présidentielle toute puissante, qui en viendrait à considérer que les collections sont à la disposition du chef de l’État. Il s’agit donc de créer un cadre scientifique.
On nous rétorque que ce cadre existe déjà, puisque, d’une part, les demandes sont étudiées par les ministères concernés et, d’autre part, il faut une loi pour chaque transfert. Aux tenants du premier argument, il faut rappeler les principes de la séparation des pouvoirs : l’avis scientifique des ministères reste l’avis scientifique de l’exécutif… Et l’argument de la loi ne tient plus dès lors que le Parlement est traité comme une chambre d’enregistrement. D’ailleurs, si la procédure actuelle est si satisfaisante, pourquoi créer une cellule interministérielle ad hoc ? N’est-ce pas déjà là l’aveu d’un malaise ?
Dernier argument et le moins recevable de tous, celui de la simplicité : passer par un conseil scientifique indépendant serait trop compliqué. Oui, c’est vrai, tout décider de manière unilatérale est toujours plus simple ! La démocratie, c’est compliqué !
Je tiens, pour finir, à saluer le travail de la rapporteure et de la commission sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)