M. Thomas Dossus. Il s’agit du dernier des trois amendements de soutien aux initiatives culturelles, visant à amorcer des changements structurels du secteur, sur tous les territoires, afin de faire émerger un modèle plus solidaire, plus durable et plus respectueux des droits culturels et humains.
Cette mesure prend elle aussi sur les crédits du patrimoine, mais j’assume cette volonté de rééquilibrer un peu le budget de la mission vers la culture, les petites structures et le spectacle vivant.
La crise est un défi pour le monde de la culture et menace les acteurs. Nous l’avons dit et répété ; je n’y reviendrai pas.
Nous proposons ici un fonds pour la transition urbaine et rurale, doté de 20 millions d’euros par an. Ce programme s’appuie sur une convention d’objectifs et de moyens, qui décline des actions structurantes sur deux ans, autour de trois axes principaux.
Premièrement, l’objectif est de renforcer les coopérations. Une aide en fonctionnement – jusqu’à 50 000 euros – pourra être versée aux groupements territoriaux et aux mutualisations d’emplois à but non lucratif. Cela permettra de soutenir les dispositifs de transfert de savoir-faire et d’appuyer les démarches de coconstruction sur tous les territoires.
Deuxièmement, il s’agit de développer la solidarité financière. Nous proposons la création d’un fonds national et l’expérimentation de fonds territoriaux solidaires, en lien avec la Banque des territoires et l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, l’Ifcic, afin d’accompagner des financements de projets complexes associant plusieurs acteurs. Nous proposons également de créer un mécanisme de partage des excédents associatifs pour renforcer les fonds propres.
Troisièmement, nous voulons soutenir l’expérimentation, ce qui est peut-être le plus important. Ainsi, 20 millions d’euros devront encourager les pratiques innovantes et les recherches d’actions autour du développement durable, des droits culturels, de la lutte contre les discriminations, de la transition vers une sobriété écologique, de la participation citoyenne ou encore de la solidarité internationale.
Ce programme pourra s’appuyer sur des partenariats actifs et financiers transversaux, avec des acteurs du financement solidaire, de l’accompagnement et de la formation et de la recherche.
Nous sommes nombreux ici à rappeler que le Sénat est la chambre des territoires. Il est temps de le prouver aujourd’hui en soutenant cette initiative, qui permettra d’ancrer localement les projets culturels, dans une logique d’écosystème, de manière à redynamiser toute l’économie locale de la culture, qui est, par essence, non délocalisable.
J’avais déposé cet amendement sur les crédits de la mission « Plan de relance ». Il m’a été répondu que 14 millions d’euros avaient déjà été prévus pour l’Ifcic et que les quartiers culturels et créatifs seraient dotés de 3 millions d’euros.
Je ne nie ni l’un ni l’autre de ces deux points, mais notre projet va beaucoup plus loin. Nous proposons non seulement un soutien financier direct, mais aussi des pratiques, des méthodes, des voies à suivre pour amorcer une réelle transition, toujours dans l’esprit de reconnaître l’existence d’écosystèmes.
Enfin, les quartiers culturels et créatifs sont situés dans les aires urbaines métropolitaines ou moyennes, alors que le dispositif de notre amendement prend en compte tous les acteurs, y compris ceux de la ruralité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. Le soutien aux industries culturelles et au maillage culturel des territoires fait l’objet, dans le plan de relance, d’une dotation quasi équivalente à celle que propose notre collègue Thomas Dossus. Ainsi, 14 millions d’euros sont prévus en faveur de l’Ifcic, afin de soutenir des projets innovants.
La mise en place de quartiers culturels et créatifs, en particulier au sein de certains centres urbains dévitalisés, serait dotée de 3 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 1,5 million d’euros en crédits de paiement.
Dans ces conditions, cet amendement me paraît en large partie satisfait. Aussi, la commission sollicite son retrait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Monsieur le sénateur, je note que, au travers de votre série d’amendements, vous cherchez pratiquement à épuiser les crédits du patrimoine ! Encore un amendement et il n’y en aura plus… (Sourires.) C’est peut-être le but que vous visez, mais je ne puis souscrire à ces différents amendements.
C’est d’autant plus vrai qu’un effort tout à fait considérable est d’ores et déjà consenti, ainsi que vous venez d’ailleurs de l’évoquer.
Ainsi, le ministère de la culture est notamment associé à l’appel à projets « Réinventons nos cœurs de ville », qui permet à 112 villes de développer des projets innovants pour réinventer les usages de sites emblématiques de centre-ville qui sont en attente d’affectation : des friches industrielles, un ancien hôpital, une caserne, un commerce vacant, un bâtiment patrimonial réhabilité… C’est tout à fait intéressant.
Je rappelle, en outre, que la nouvelle « délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle », dont la création a été saluée par beaucoup d’entre vous, permettra de renforcer les échanges et les partenariats avec toutes les collectivités territoriales.
Cette élaboration avec les communes, les structures intercommunales, les régions, mais aussi les départements, même si ces derniers sont un peu moins impliqués sur les questions patrimoniales, compte tenu de la répartition des compétences, me tient véritablement à cœur. À cet égard, l’existence de conseils territoriaux de la culture au niveau de chaque région me semble tout à fait fondamentale : ils permettront que nous marchions ensemble, que nous nous écoutions et que nous développions des politiques ayant de mutuels effets de levier.
C’est la raison pour laquelle j’ai réuni – en visioconférence, étant donné le contexte – les représentants des grandes associations d’élus pour bâtir ces politiques, en coopération avec les collectivités et les élus territoriaux.
Pour l’heure, j’émets un avis défavorable sur l’amendement.
M. le président. L’amendement n° II-771, présenté par Mmes de La Provôté et Sollogoub, M. Lafon, Mme Billon, MM. Hingray, Kern, Laugier et Levi, Mme Morin-Desailly et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Petit patrimoine non-protégé
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Patrimoines |
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20 000 000 |
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20 000 000 |
Création |
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Transmission des savoirs et démocratisation de la culture dont titre 2 |
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Soutien aux politiques du ministère de la culture dont titre 2 |
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Petit patrimoine non-protégé |
20 000 000 |
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20 000 000 |
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TOTAL |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Cet amendement vise à créer un programme dédié au patrimoine non protégé, grand oublié des politiques publiques et patrimoniales.
Il s’agit de ces églises dont on ne sait que faire et qui ne sont pas classées – soit que l’on n’ose en demander le classement, de peur de devoir assumer trop de charges, soit que l’on souhaite les remettre en état sans supporter trop de contraintes. Mais il s’agit aussi des granges dimières, des écoles, des gares, du patrimoine industriel, de tous ces bâtiments qui, au-delà de leur intérêt esthétique, sont partie prenante de l’histoire des communes et de nos territoires, offrant un témoignage du passé, parfois très lointain.
Ce patrimoine, certes bâti, appartient au paysage de nos territoires et fait toute la qualité de notre pays. Or il est souvent mal identifié, peu répertorié, sauf événement particulier – menace d’effondrement ou foudre qui frappe un calvaire, par exemple, comme je l’ai vu récemment dans mon département. Alors, on se rend compte de son importance et on se dit qu’il eût fallu faire quelque chose plus tôt, avant que ce patrimoine ne se dégrade de manière irrémédiable.
Cet amendement vise à proposer une action patrimoniale en faveur de ce patrimoine, qui participe du paysage et de notre culture patrimoniale et dont une partie, je le répète, mériterait d’être inscrite ou classée – on est souvent à la limite.
Nous voulons attirer l’attention sur la nécessité de le considérer comme partie prenante des politiques publiques patrimoniales de notre pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. Cet amendement vise à déplacer 20 millions d’euros de crédits du programme « Patrimoines » vers un nouveau programme « Petit patrimoine non protégé ». Ce fonds serait financé par une diminution à parts égales des crédits des actions n° 01, Monuments historiques et patrimoine monumental, et n° 03, Patrimoine des musées de France.
L’intention de Mme de La Provôté rejoint les préoccupations que nous avons exprimées dans le rapport de Vincent Éblé quant au nécessaire soutien au patrimoine appartenant à des propriétaires privés.
La création d’un nouveau programme limite cependant la fongibilité des crédits entre diverses actions au sein du programme 175, qui pourrait également profiter au soutien du petit patrimoine.
Par ailleurs, le déplacement de 20 millions d’euros remettrait en cause l’augmentation des crédits en faveur des collectivités territoriales relevée dans notre rapport : 5 millions d’euros supplémentaires en faveur du Fonds incitatif et partenarial et 10 millions d’euros à destination des musées territoriaux.
Pour ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je sais combien la Haute Assemblée est soucieuse du respect des responsabilités et des compétences des collectivités territoriales et de l’État, ce qui est bien normal d’ailleurs.
Or les crédits que l’État consacrait au patrimoine rural non protégé ont été transférés aux départements en 2004. Il est donc de la responsabilité des collectivités territoriales d’assurer la protection de ce patrimoine, et l’État n’a pas à participer au financement des travaux réalisés sur les immeubles non protégés. Aujourd’hui, on s’étonne, on s’indigne même parfois, que l’État ne participe plus, mais c’est la loi de 2004 !
Nonobstant cela, je suis extrêmement attentive aux 44 000 bâtiments et monuments qui structurent le paysage de nos communes et qui font de la France la première destination touristique du monde, en espérant du moins qu’elle le redevienne au terme de cette crise. (Sourires.)
Soucieux de ce patrimoine non protégé, nous avons créé des outils. Je pense à la Fondation du patrimoine, instituée en 1996, sur l’initiative du ministère de la culture, et qui bénéficie d’une fraction du produit des successions en déshérence. Elle a notamment pour mission de soutenir les projets de restauration de ce patrimoine non protégé.
Je pense également à la création du loto du patrimoine, avec des modalités de financement innovantes, dans le cadre de la mission confiée en 2017 à Stéphane Bern sur le patrimoine en péril. Ce dispositif permet là encore de soutenir les monuments en péril, classés ou non, sur l’ensemble du territoire. Le loto du patrimoine a permis de récolter entre 20 et 25 millions d’euros – nous pourrions peut-être obtenir encore plus en 2020, ce dont nous nous réjouissons – et 40 % des 119 monuments sélectionnés pour l’édition 2020 sont des immeubles non protégés.
L’État est donc déjà allé au-delà des compétences qu’il avait attribuées aux collectivités territoriales dans le cadre des lois de décentralisation de 2004, pour intervenir sur ce patrimoine, grâce à des outils spécifiques.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.
M. Jean-Raymond Hugonet. Je m’associe à l’esprit de l’amendement de ma collègue Sonia de La Provôté.
Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, ces crédits ont été transférés aux départements. Néanmoins, il s’agit toujours d’un sujet de préoccupation dans nos territoires. La question de la protection de ce patrimoine pose problème dans presque toutes les communes de petite taille, confrontées, comme les départements, à une profusion de demandes. C’est la raison pour laquelle je tenais à m’associer à cet amendement.
J’en profite pour rebondir sur les propos de Mme la ministre, qui, en professionnelle accomplie qu’elle est, a reconnu la sagesse du Sénat. Il ne s’agissait pas, et vous l’avez parfaitement compris, de supprimer tous les crédits du dispositif pass culture, mais seulement les 20 millions d’euros de bonus de cette année.
Dans sa sagesse, le Sénat a tout de même souhaité conserver 40 millions d’euros pour maintenir cette expérimentation, qui tourne quelque peu en rond, et la laisser progresser gentiment jusqu’en 2022… Nous verrons ensuite ce qu’il en adviendra.
Toujours est-il que le Sénat n’a pas tué dans l’œuf le pass culture, mais limité l’exagération des crédits pour cette année ô combien particulière.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Je suis élue de la Nièvre,…
Mme Nadia Sollogoub. … et toutes les petites communes que je visite me font part de trois préoccupations principales : les zones blanches, l’accès aux soins et la réparation des églises. Telles sont leurs trois priorités, madame la ministre – parmi beaucoup d’autres problèmes, bien évidemment…
La France compte près de 36 000 communes et donc autant de clochers. Il faut toutefois en soustraire un dans mon département, puisque la commune d’Asnan a dû se résoudre à détruire son église, malgré le combat très courageux de sa maire, faute d’avoir trouvé à temps les financements nécessaires. C’est une épouvantable tragédie pour n’importe quelle commune.
Concrètement, quand il faut faire réparer une église, on monte d’abord un dossier au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, pour obtenir une subvention d’environ 40 %. On se tourne ensuite vers la Fondation du patrimoine pour « gratter » quelques fonds. Le département, quant à lui, nous explique en général qu’il ne peut rien faire, car il y a plus de 300 communes dans la Nièvre. Enfin, quelques communautés de communes donnent un petit coup de pouce, mais le financement n’est jamais bouclé.
Madame la ministre, il faut donc absolument mettre en place un fonds spécifique, qui permette d’organiser des cofinancements.
M. le président. L’amendement n° II-899 n’est pas soutenu.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Culture », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Culture ».
5
Démission et remplacement d’un sénateur
M. le président. M. Jean Bizet a fait connaître à la présidence qu’il se démettait de son mandat de sénateur de la Manche à compter du 30 novembre 2020, à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par Mme Valérie Blondet, dont le mandat de sénatrice a commencé aujourd’hui, 1er décembre, à zéro heure.
En notre nom à tous, je souhaite la plus cordiale bienvenue à notre nouvelle collègue.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 1er décembre 2020 :
À neuf heures trente :
Trente-cinq questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 137, 2020-2021) ;
Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ;
Compte spécial : « Développement agricole et rural » ;
Mission « Cohésion des territoires » ; article 54 bis et 54 ter.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 1er décembre 2020, à zéro heure dix.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER