M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour le groupe Les Républicains, dont je salue la première intervention en séance publique comme sénatrice de la Loire-Atlantique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Garnier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, voilà plusieurs semaines, une zone de non-droit s’est installée en Loire-Atlantique, sur le site du Carnet, que des dizaines de « zadistes » occupent illégalement. Ces derniers ont détérioré la route départementale et construit des barricades pour contester un projet de développement du grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire.
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Eh voilà !
Mme Laurence Garnier. Ce projet consiste en l’installation d’entreprises écotechnologiques sur 110 hectares, près de 300 hectares étant par ailleurs préservés dans le cadre de la compensation écologique. Vous le voyez, monsieur le Premier ministre, sur ce dossier, les enjeux sont clairs : il s’agit du développement économique du pays et de la restauration de l’autorité de l’État.
Malheureusement, en Loire-Atlantique, nous connaissons bien les zones à défendre (ZAD). En effet, en 2018, Emmanuel Macron a déjà donné raison aux zadistes et aux ultra-violents, en renonçant au projet de Notre-Dame-des-Landes, projet pourtant soutenu par de nombreux élus locaux et validé par un référendum local et par 200 décisions de justice. (M. François Bonhomme s’exclame.)
Aujourd’hui, les élus du territoire sont démunis, monsieur le Premier ministre. Ils ont demandé à vos services si des poursuites avaient été engagées contre les manifestations non déclarées de ces derniers mois. Il leur a été répondu que les services de l’État étaient seuls juges pour engager ou non des poursuites.
Monsieur le Premier ministre, l’État ne doit plus jamais céder devant l’illégalité et la violence. Ma question est donc claire : quand allez-vous évacuer la ZAD du Carnet ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice Garnier, vous interrogez le Gouvernement sur l’aménagement du site du Carnet, qui fait partie des emprises du grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire.
Ce projet a été instruit selon la procédure d’autorisation environnementale unique, dite loi sur l’eau. Il a fait l’objet, vous le savez, d’un arrêté préfectoral d’autorisation environnementale, lequel a été purgé de tout recours.
Vous l’avez rappelé, ce projet répond à des raisons impératives d’intérêt public, notamment le développement des énergies marines renouvelables. Un comité de suivi a été mis en place, au mois de décembre 2017, pour suivre l’évolution des travaux.
Le collectif Stop Carnet mène une contestation contre ce projet d’aménagement. Il a déjà organisé plusieurs manifestations, qui ont réuni entre 20 et 200 personnes. À ce jour, une trentaine de personnes restent sur le site du Carnet.
Un moratoire d’une année a été annoncé le 4 novembre dernier par le grand port maritime, afin de compléter les études déjà réalisées, sans lever l’occupation du site. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le bailleur a, à juste raison, déposé plainte pour violation de domicile. Le Gouvernement appelle au respect du moratoire, de manière à ce que les freins et les doutes sur le projet soient levés et que celui-ci puisse se dérouler de façon cohérente, dans le respect de l’ordre public. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Il n’a rien dit !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Monsieur le ministre, je suis assez surprise que ce soit vous qui répondiez à cette question, alors que vous êtes ministre délégué chargé des transports.
Mme Laurence Garnier. J’aurais préféré que le Premier ministre, qui a réaffirmé précédemment avec force l’autorité de l’État sur le camp de migrants évacué à Paris, fasse de même concernant ce dossier, devant les sénateurs.
L’indignation à géométrie variable, c’est trop facile ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je salue ceux de nos collègues qui ont accepté d’assister à cette séance depuis les tribunes.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 9 décembre 2020, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh, présentée par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Mme Éliane Assassi et M. Guillaume Gontard (proposition n° 145).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, coauteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau, coauteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette résolution n’est pas banale et elle est fondamentale ; la preuve : elle échappe à la géographie politique traditionnelle, puisqu’elle a été cosignée par cinq présidents de groupe de la Haute Assemblée, issus de la droite, du centre et de la gauche. Cela signifie que l’enjeu qu’elle représente dépasse nos clivages traditionnels, routiniers, et qu’elle touche à ce que nous avons en commun.
Ce que nous avons en commun, sur toutes les travées, c’est l’idée que nous nous faisons de la France et de son rôle, un rôle singulier : cette exigence française qui consiste à prendre soin du monde, à avoir le souci du monde. J’en ai la conviction et je le clame du fond du cœur, ce qui se passe là-bas nous concerne ici. Le conflit du Haut-Karabagh n’est pas un conflit local et nous devons prendre position.
Ainsi, au nom tant de ses intérêts que de ses convictions et de ses valeurs, la République française s’honorerait, monsieur le secrétaire d’État, en reconnaissant rapidement la République du Haut-Karabagh.
Cela correspond à nos intérêts, tout d’abord, parce que – ne nous cachons pas derrière notre petit doigt diplomatique –, si ce conflit a une dimension tout autre que locale, c’est en raison de l’implication, de la participation décisive et massive de la Turquie de M. Erdogan, au nom de sa politique expansionniste, néo-ottomane et, disons-le franchement, nationale-islamiste.
Cette politique est une menace, ici et ailleurs dans le monde, contre la paix et contre nos intérêts, car c’est bien ce régime qui a armé le bras azéri. C’est lui aussi qui attise, dans un certain nombre de régions, les conflits régionaux, des déserts de Libye aux montagnes et aux plateaux du Caucase. Bien entendu, c’est encore lui qui menace la stabilité au cœur même de l’Europe, à Chypre et dans les eaux territoriales grecques. Et qui a armé le bras des djihadistes, si ce n’est ce régime ? Qui a fait venir ces djihadistes de Syrie, qui ont décapité là-bas comme ils l’ont fait ici ?
C’est au nom d’une politique d’expansion islamiste que M. Erdogan a justifié l’engagement de son régime, de son pays. Je cite fidèlement ses propos : « Le Haut-Karabagh est redevenu un pays de l’islam, il a repris sa place à l’ombre du croissant. »
Les motivations de ce genre de personnage sont souvent transparentes, mais l’histoire nous enseigne aussi que ces individus ne connaissent qu’une seule limite : le rapport de force. Combien d’agressions faudra-t-il pour que l’Europe sorte de sa torpeur et applique enfin de véritables sanctions diplomatiques et surtout économiques ? Encore combien de provocations nous faudra-t-il pour que nous sortions de notre naïveté ? Le président de notre commission des affaires étrangères, Christian Cambon, nous l’a appris, voilà quelques semaines, l’Agence française de développement a prêté, depuis une dizaine d’années, 4 milliards d’euros à la Turquie afin, notamment, de préparer son entrée en Europe. Franchement, de qui se moque-t-on ?
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Bruno Retailleau, coauteur de la proposition de résolution. Monsieur le secrétaire d’État, ne prenez pas notre initiative pour une démarche hostile à l’égard du Gouvernement, car j’ai apprécié les dernières initiatives du Président de la République, Emmanuel Macron. Nous les soutenons ; c’est un début, mais nous les soutenons. Je considère d’ailleurs que le Président de la République a relevé l’honneur perdu du groupe de Minsk.
Ensuite, si défendre le Haut-Karabagh, mes chers amis, revient à défendre – outre l’Arménie, évidemment – nos intérêts, cela revient également à défendre nos valeurs, car celles-ci ont été piétinées par l’utilisation d’armes de guerre interdites, par des exactions commises contre la population, par des amputations et par la mort de civils, femmes, enfants, vieillards confondus.
C’est la raison pour laquelle nous demandons, dans notre résolution, l’ouverture d’une commission d’enquête internationale sur ces crimes de guerre. Nous demandons également un soutien massif de la France envers les populations déplacées – provisoirement, je l’espère – et la protection, par l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), du patrimoine, qui n’est pas seulement arménien ; c’est un patrimoine commun de l’humanité.
Ensemble, nous pensons que la France ne peut pas détourner le regard sans tourner le dos à la vieille amitié qui nous lie à l’Arménie, car c’est bien de l’Arménie qu’il s’agit désormais. Quand le président azéri traite les habitants du Haut-Karabagh de « chiens », il traite tout autant les Arméniens de chiens ! Or, mes chers collègues, lorsque l’on dénie la dignité d’être humain à une population, où cela s’arrête-t-il ? L’Arménie vit également avec cette épée de Damoclès, le corridor qui la transperce de part en part, dans le sud, de son flanc est à son flanc ouest, entre le Nakhitchevan et l’Azerbaïdjan.
Trahir l’Arménie, ce serait nous trahir nous-mêmes et trahir un lien précieux, singulier, multiforme et multiséculaire, qui remonte au fond des âges, au Moyen Âge. Cette amitié est ancienne, elle n’a jamais été démentie, elle a toujours été renouvelée. C’est cette amitié qui a permis à nos parents de recevoir les survivants, les rescapés du génocide de 1915. Ces derniers ont trouvé en France, non seulement un refuge, mais encore un foyer, leur foyer, et ils nous l’ont rendu au centuple, car ce lien multiséculaire est également, je l’indiquais, multiforme ; il prend le visage familier, français, de tant de nos compatriotes. Je pense bien entendu à Patrick Devedjian, à Charles Aznavour, à Missak Manouchian, mort et enterré au Mont-Valérien. Cela devrait parler à nos cœurs de Français.
Tous ceux-là ont montré ce qu’était le modèle français, ils nous l’ont révélé, ils ont démontré que l’on pouvait conjuguer l’amour de la grande patrie française avec l’amour, comme aurait dit Péguy, de la petite patrie charnelle arménienne. Ils ont montré que la République ne leur demandait pas d’abdiquer ce qu’ils étaient et que l’on pouvait être complètement Français sans rien renier de ses racines.
Je terminerai en vous disant, mes chers collègues, que, sur la carte du monde des grandes souffrances humaines, le peuple arménien occupe une place particulière. Un écrivain français – Sylvain Tesson – le disait : « Les Arméniens parlent du fond d’une tombe. » Or ce peuple, avec lequel nous entretenons des liens d’affection et de civilisation, ce petit peuple, comme l’a dit un jour, à Damas, le général de Gaulle, riche de culture et d’histoire, a beaucoup donné pour l’humanité et cette dette de l’humanité, c’est à nous, Français, à nous, le Sénat de la République française, de l’assumer aujourd’hui, en votant cette résolution.
Voilà près de vingt ans, la France fut la première des nations du monde à reconnaître le génocide arménien. Aujourd’hui, le Sénat de la République française doit demander la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh. (Applaudissements prolongés sur toutes les travées, sauf sur celles du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame, messieurs les présidents des groupes auteurs de cette proposition de résolution, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au centre d’Erevan, il existe une grande place, connue de tous les Arméniens. Dans ce pays lointain, cette place porte un nom : c’est la place de France, symbole parmi tant d’autres de l’attachement indéfectible qui unit nos deux pays. Aujourd’hui, c’est par le symbole d’une résolution – procédure rarement utilisée – quasi unanime que le Sénat affiche ce même symbole d’amitié et de solidarité avec le peuple arménien, plongé une fois encore dans la tragédie.
Mes chers collègues, qu’a fait la France, une amie de l’Arménie depuis des siècles, pour éviter ce drame ? Et que faut-il faire maintenant pour assurer leurs droits aux Arméniens et leur rendre un peu d’espoir ?
Dans ce conflit du Haut-Karabagh, cœur spirituel et historique de l’Arménie, la France devait, certes, utiliser sa position de médiateur entre les parties. Mais, avec l’escalade de la violence, cette posture nous a menés dans l’impasse et condamnés à l’impuissance. Malgré la violation de trois cessez-le-feu, l’avancée des forces azéries n’a donné lieu qu’à de bien molles protestations.
Des crimes de guerre ont été commis : bombardements de civils, utilisation de bombes à sous-munitions, exécutions filmées de prisonniers de guerre. Pour notre part, nous appelions à la retenue… Le cessez-le-feu a figé une solution militaire imposée par la force par les armes azéries, équipées et encouragées par la Turquie. Nous n’avons pas même été prévenus… Après les multiples agressions turques en Méditerranée orientale et en Libye, nous savions pourtant que la Turquie ne s’arrêterait pas là ! Mais qu’avons-nous fait, à part des déclarations convenues ?
Alors qu’un nouveau partenariat stratégique avec la Russie était né du discours de l’Élysée de 2019, n’était-ce pas justement le moment d’influer sur la Russie, qui aura joué, elle aussi, un rôle ambigu, consolidant son influence dans la région, mais laissant au passage des djihadistes s’installer sur son flanc sud ?
Enfin, qu’a fait l’Europe ? Inexistante, écartelée par ses divisions internes et par ses intérêts divergents, elle a une fois de plus montré qu’elle n’était pas vraiment une puissance politique.
Ces multiples renoncements sont lourds de conséquences. De nouveau, l’usage de la force a conduit à faire voler en éclats, aux confins de l’Europe, des frontières que seule la négociation pouvait fixer.
L’Occident et ses valeurs sont une fois de plus marginalisés. L’accord du 9 novembre est, au fond, un deuxième Astana, avec une Russie et une Turquie qui préfèrent accorder leurs intérêts sans plus s’occuper du droit international et des valeurs que, nous, nous portons. Voilà les fruits de l’inaction au Haut-Karabagh !
Monsieur le secrétaire d’État, que faut-il faire maintenant ? Cette résolution, largement soutenue par le Sénat, ne cherche pas à porter condamnation du Gouvernement, car chacun connaît les racines profondes et anciennes de ce conflit, qui n’avait de gelé que le nom. Il faut, au contraire, que cet engagement du Sénat soit, pour le Gouvernement, un outil, une aide, un levier supplémentaire pour aller vers un règlement politique durable du conflit.
Nous devons maintenant veiller à la mise en œuvre de bonne foi de ce cessez-le-feu.
Par ailleurs, la France accueille le siège de l’Unesco : il faut donc assurer sans tarder la protection d’un inestimable patrimoine culturel et religieux.
Le Gouvernement doit exiger le départ des combattants djihadistes : la Russie ne peut laisser les Turcs créer en toute impunité une zone de terrorisme islamiste sur ses flancs sud.
Les crimes de guerre avérés doivent être identifiés et punis. L’aide humanitaire fournie par notre pays aux populations civiles arméniennes a trop tardé ; elle doit maintenant leur être adressée de manière massive. Vous devez réanimer le groupe de Minsk, qui doit devenir l’enceinte d’une véritable négociation sur le statut du Haut-Karabagh à long terme.
S’agissant de la Turquie, l’heure des clarifications est passée. Nous pensons, comme M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui vient de faire une déclaration en ce sens, qu’il faut maintenant passer à l’action. Passez à l’action, monsieur le secrétaire d’État !
Faites-le tout d’abord au Conseil de l’Atlantique Nord. La réflexion stratégique sur le rôle de l’OTAN qu’a engagée le Président de la République doit être un exercice ambitieux, et non produire un discours creux, conservateur, consensuel et parfois autosatisfait. La dimension politique de la réforme est essentielle. La seule question qu’il convient de se poser est la suivante : la Turquie est-elle encore un allié au sein de l’Alliance ?
Passez ensuite à l’action au Conseil européen : si, d’ici à sa réunion de décembre, soit dans quelques jours, aucun signe d’apaisement tangible ne nous est adressé, la question des sanctions et pourquoi pas de la suspension de l’union douanière doit être posée et discutée avec nos partenaires européens. Sur ce sujet, le Sénat invite le Gouvernement à l’action et à la fermeté.
Enfin, en vous demandant aujourd’hui de reconnaître la République du Haut-Karabagh, le Sénat vous envoie un signe fort pour que la France prenne ses responsabilités devant l’Histoire, parce que la guerre menée par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie ne nous laisse malheureusement plus d’autre choix.
Monsieur le secrétaire d’État, nous le savons tous, l’histoire de l’Arménie est ponctuée de tragédies. Pourtant, quand il l’a fallu, l’Arménie a su consentir au sacrifice de ses enfants pour être à nos côtés dans tous les combats pour la liberté. Mes chers collègues, il nous appartient aujourd’hui de rendre à l’Arménie le témoignage de sa fidélité ! (Applaudissements sur toutes les travées, sauf celles du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, durant six semaines, le Haut-Karabagh, majoritairement peuplé d’Arméniens, au sein du territoire de l’Azerbaïdjan, a une nouvelle fois été l’objet d’affrontements. Ce conflit, qui remonte à plus d’un siècle, n’a jamais été résolu.
Comment imaginer qu’au XXIe siècle on puisse encore se livrer à des exactions abjectes contre des êtres humains ? Le conflit récent au Haut-Karabagh a donné lieu à des vidéos et à des photos, qui circulent sur les réseaux sociaux, montrant des atteintes à la dignité humaine. Les criminels eux-mêmes en ont assuré la diffusion et fait la publicité. Ces actes barbares illustrent de manière terrifiante la prégnance d’une haine ethnique, tout comme le choix du commandement militaire de bombarder massivement des zones d’habitations civiles.
En préambule à toute négociation, il est pour nous primordial que les militaires qui commettent de tels actes de barbarie soient jugés et condamnés sévèrement par le pays dont ils portent l’uniforme. Le gouvernement qui procédera de la sorte gagnera en légitimité en démontrant ainsi qu’il ne couvre pas et n’encourage pas des faits aussi inadmissibles.
Si le droit international est bafoué par des actes de guerre et de violence, la France a le devoir de réagir. Le recours à la force est inacceptable. Il appartient à l’ONU de faire respecter ce principe fondateur de nos relations internationales.
Il nous paraît essentiel que soit ouverte une enquête sur les manquements graves qui ont été commis dans le conflit qui vient de s’achever, comme l’usage d’armes contre des civils. De même, la destruction, le pillage et la profanation du patrimoine historique et religieux doivent conduire à la condamnation des auteurs de ces actes inacceptables.
Ce n’est qu’à la lumière d’une enquête approfondie et détaillée que nous pourrons déterminer les responsabilités et renouer une relation de confiance. Les accords de paix qui viennent d’être signés ne peuvent en aucun cas effacer les crimes de guerre, lesquels doivent impérativement être punis. Leurs auteurs doivent être traduits en justice.
Si les canons se taisent au Haut-Karabagh, ce silence n’est pas la paix. Un accord de cessez-le-feu a été conclu sous l’autorité de la Russie. Le conflit est ainsi une nouvelle fois gelé, mais il n’est pas réglé.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui vise notamment à inviter le Gouvernement français à reconnaître la République du Haut-Karabagh. On peut s’interroger. La France est coprésidente du groupe de Minsk aux côtés de la Russie et des États-Unis. Cette fonction de médiation n’implique-t-elle pas une recherche de solution sans prendre parti ? N’est-il pas essentiel que notre pays conserve une position d’impartialité ?
Dans cette affaire comme dans les autres, ne vaut-il pas mieux éviter d’agir unilatéralement ? Ne faut-il pas, au contraire, promouvoir la négociation et le multilatéralisme ? C’est la position que la France a soutenue jusqu’à présent. Ce n’est cependant pas la position défendue par tous les acteurs. À cet égard, l’intervention unilatérale décidée par le président Erdogan n’a surpris personne : nous l’avons déjà vu agir ainsi en Méditerranée orientale, au Levant et, à présent, dans le Caucase.
La France peut-elle faire ce qu’elle reproche au président Erdogan, c’est-à-dire agir unilatéralement ? (M. Bruno Retailleau proteste.)
En même temps, comment rester neutre lorsqu’une guerre s’est déroulée quarante-cinq jours sans mobilisation de la communauté internationale ?
À cet égard, il nous semble indispensable que le respect du cessez-le-feu soit contrôlé par les Nations unies. Il est également essentiel que le retour des populations déplacées par les combats puisse se faire en toute sécurité. Seul un contrôle international peut le permettre.
La crise du Haut-Karabagh témoigne aussi du changement actuellement à l’œuvre dans les relations entre les États. Nous avons en effet connu, ces dernières années, de nombreuses remises en cause de l’ordre international. Mis à mal par le président Trump et par certains États autoritaires, le multilatéralisme est en train de s’affaiblir. La France et ses alliés doivent continuer à défendre ce modèle, parce qu’il constitue la seule alternative à la loi du plus fort.
Jusqu’ici, nos réactions aux coups de force menés par certains pays ne les ont arrêtés ni dans leurs intentions ni dans leurs actes.
Une réforme des Nations unies, si complexe soit-elle, est sans doute inévitable pour permettre à cette institution de retrouver l’efficacité qui lui fait aujourd’hui cruellement défaut. En parallèle et sans attendre, la France et ses partenaires européens doivent se donner les moyens d’agir autrement que par la seule indignation. C’est tout le sens de cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, rassemblant diverses initiatives, la majorité sénatoriale a soumis à tous les groupes politiques la présente proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh. Je me félicite de ce compromis transpartisan.
Pour autant, si j’ai accepté de signer ce texte, au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, ce n’est pas sans réserve.
La principale est une vision très différente du conflit de celle que le président Bruno Retailleau vient d’exposer. Dans le Caucase, à la jonction de l’Europe, de la Russie et du Moyen-Orient, la situation géopolitique semble infiniment plus complexe que l’opposition entre chrétiens et musulmans qui transparaît trop souvent dans le discours de la majorité sénatoriale. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) Le conflit larvé qui oppose, depuis la chute de l’URSS, l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh a de nombreuses ramifications historiques, géographiques, stratégiques, géopolitiques, mais n’en a pas de religieuses – ou en a peu. C’est avant tout un conflit territorial, induit par un dessin des frontières hasardeux, datant de la période soviétique et impliquant de près ou de loin les grandes puissances régionales que sont la Turquie, l’Iran et la Russie.
L’Azerbaïdjan, appuyé par la Turquie, a profité d’une situation internationale confuse – pandémie, élections américaines – pour reprendre, par les armes, les territoires qu’il avait perdus en 1994. Rappelons que trois résolutions de l’ONU demandaient que ces territoires lui soient rendus.
Ils ont été reconquis au prix d’une guerre violente, qui a vraisemblablement vu l’utilisation d’armes non conventionnelles par les deux belligérants, tué plus de 4 000 personnes et provoqué le départ de plus de 100 000 réfugiés. Nous condamnons sans réserve cette agression contre le peuple arménien.
À l’issue du cessez-le-feu du 10 novembre, la priorité est de protéger les populations.
Il faut protéger les réfugiés, en permettant le retour de celles et ceux qui le souhaitent, et favoriser l’accueil des autres. L’aide humanitaire doit se déployer pour permettre cet accueil et accélérer la reconstruction des zones sinistrées.
Il faut protéger les populations arméniennes qui passent sous contrôle azéri, en renforçant, au-delà de la Russie, le dispositif de maintien de la paix au Haut-Karabagh. À ce sujet, la sécurisation du corridor de Latchine est fondamentale pour permettre les liens et les échanges de populations entre l’Arménie et le Haut-Karabagh. Les mercenaires syriens doivent être renvoyés chez eux sans délai. La communauté internationale doit, enfin, veiller à la protection du patrimoine culturel arménien.
Il convient également de diligenter une enquête internationale pour clarifier l’utilisation d’armes non conventionnelles par l’un ou l’autre des deux belligérants et envisager les sanctions nécessaires.
Alors que les États-Unis sont paralysés par leur transition présidentielle, la France doit relancer le groupe de Minsk. Opposé au régime arménien issu de la révolution de 2018, qui tente de s’affranchir de sa tutelle, Moscou joue un double jeu et ne peut rester le seul arbitre du conflit, d’autant que la stabilité de la région représente un défi à long terme, car la volonté à peine voilée de la Turquie et de l’Azerbaïdjan de se doter d’une frontière commune, au détriment du sud de l’Arménie, ne s’est pas estompée avec le cessez-le-feu.
Aussi, la question du statut du Haut-Karabagh est primordiale. La république, autonome depuis 1991, mais pas reconnue, est majoritairement peuplée de populations arméniennes. Depuis 1994, elle vivait en bon voisinage avec l’Arménie, qui la reconnaissait en fait, mais pas en droit.
Alors que le territoire du Haut-Karabagh a été partiellement conquis par l’Azerbaïdjan, qui l’encercle désormais complètement, la pérennité de cette situation semble particulièrement compromise. La volonté de l’Azerbaïdjan de reconquérir, à terme, l’ensemble de son ancien territoire n’est pas à exclure. L’ambassadeur, que nous avons auditionné hier, n’a pas levé nos inquiétudes. La question du statut du Haut-Karabagh est donc l’enjeu central pour garantir l’efficience du cessez-le-feu.
Les écologistes sont favorables au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes via un processus démocratique. De ce point de vue, il aurait été préférable d’engager un processus d’autodétermination du peuple du Haut-Karabagh, pouvant éventuellement aboutir à une indépendance internationalement reconnue. Cependant, au regard de l’urgence actuelle, il nous a semblé que des mesures plus rapides s’imposaient.
Pour permettre à la France de revenir dans le jeu, dont elle semble largement absente, il nous paraît pertinent que le Gouvernement reconnaisse la République d’Artsakh et utilise cette reconnaissance comme un levier de négociation pour obtenir rapidement un statut juridique internationalement reconnu, pérenne et protecteur pour le Haut-Karabagh.
C’est une condition indispensable pour la pérennité de la paix. Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE, RDSE, UC et Les Républicains.)