M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas faux !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Nous aurons ce débat, cette question de la dette et de son appréciation étant extrêmement importante quand on parle des perspectives pluriannuelles des finances publiques.
Deuxièmement, vous avez, en présentant votre motion, dressé une description de la politique du Gouvernement que, vous l’imaginez, je ne partage pas. Je pense notamment au qualificatif « néolibéral », que vous avez utilisé.
En cette année 2020, l’État s’est substitué aux entreprises pour garantir le maintien du salaire de 12 millions d’actifs. En 2020, nous nous sommes engagés sur des dépenses publiques à hauteur de 413 milliards d’euros en prévisionnel, sans compter les garanties d’emprunt et les prêts garantis par l’État, que vous avez inclus dans les dispositifs mobilisés pour faire face à la crise. En 2020, nous avons mis en œuvre le Ségur de la santé, quelle que soit l’appréciation que vous pouvez porter à son sujet. En 2020, nous avons franchi de nouvelles étapes en matière de mise en œuvre du reste à charge zéro. Dès lors, je ne suis vraiment pas convaincu que le qualificatif « néolibéral » soit le plus approprié ! Je suis même convaincu du contraire. Je pense même que ceux qui évoquent la rigueur ou l’austérité se trompent encore plus que vous.
Troisièmement, enfin, je ferai une remarque de méthode. Je saisis l’occasion pour répondre à M. le président de la commission des finances sur le calendrier et le rythme d’examen des textes.
J’ai totalement conscience que la situation est inconfortable pour nous tous. Entre le mois de septembre et la saisine du Haut Conseil des finances publiques, conformément à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur le PLF pour 2021, puis sur le PLFR 4, nous avons révisé les hypothèses macroéconomiques de 2020. Je répète que nous proposons au Parlement une actualisation au fil de l’eau des sous-jacents budgétaires. Le Sénat a accepté d’adopter un amendement en ce sens au PLFSS. Je forme le vœu qu’il accepte de voter un tel amendement à l’article liminaire du PLF pour réviser les prévisions relatives à l’année 2020.
Se pose la question de la révision pour 2021. Permettez-moi, à ce sujet, de préciser ce que j’ai dit dans mon propos introductif : si le Haut Conseil des finances publiques, que nous avons saisi sur la base d’une hypothèse de croissance de 6 %, rend son avis avant la fin de la discussion de la première partie du PLF par votre assemblée, nous intégrerons, dans l’amendement d’équilibre et de coordination que nous examinerons en fin de première partie, la prévision qui est la nôtre, appuyée sur l’avis du Haut Conseil des finances publiques, à l’article liminaire, pour que le Sénat puisse adopter le texte le plus actualisé possible. Si l’avis est rendu après la fin de l’examen de la première partie, nous proposerons à l’Assemblée nationale d’intégrer cette prévision dans le texte lors de la nouvelle lecture.
Pour ce qui concerne les mesures d’urgence propres à 2021 et qui sont, en réalité – nous l’espérons –, des mesures d’accompagnement de la sortie du confinement, je réaffirme ce que Bruno Le Maire a eu l’occasion de dire : nous avons besoin d’un peu plus de visibilité sur le rythme de sortie du confinement pour calibrer les mesures au mieux et faire en sorte que, nonobstant le risque d’un troisième confinement, que personne ne souhaite, le PLF pour 2021 puisse contenir les mesures nécessaires. Compte tenu du temps dont nous avons besoin, le Gouvernement fera une proposition lors de la nouvelle lecture. Il n’y a aucune volonté d’enjamber le Sénat. Nous voulons simplement proposer au Parlement dans son ensemble d’actualiser les sous-jacents et les mesures d’urgence au rythme de nos prévisions. Le Gouvernement souffre aussi du manque de lisibilité que vous soulignez. C’est la raison principale de cette méthode quelque peu itérative que nous proposons.
Pour le reste, le Gouvernement est évidemment défavorable à la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous souscrivons largement à l’analyse que M. Bocquet a faite de ce budget. Nous considérons comme lui que le PLF est insuffisamment tourné vers les ménages, notamment vers ceux qui sont le plus en difficulté et qui basculent dans la pauvreté.
Nous partageons également le constat que ce budget – M. le ministre l’a lui-même exprimé à sa manière – présente une forme d’insincérité, en raison de l’incapacité dans laquelle nous sommes d’établir des prévisions, ce qui nécessite d’ajuster les textes au fur et à mesure de l’évolution de la situation.
L’insincérité tient aussi au fait que le plan de relance se fonde, on le sait, sur des décisions européennes qui ne sont pas encore assurées, l’engagement européen étant lui-même soumis à la ratification de l’ensemble des Parlements.
Pour toutes ces raisons, nous avons lu avec grande attention la motion tendant à opposer la question préalable présentée par le groupe CRCE. Néanmoins, nous ne la voterons pas. Nous nous abstiendrons. En effet, il nous semble important, pour les Françaises et les Français, de débattre de ce budget. Je suis d’ailleurs convaincue que les membres du groupe CRCE participeront très activement à ce débat et feront entendre très fortement leur voix dans cet hémicycle, conformément à leur habitude.
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-1069, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 27 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 267 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances pour 2021 s’inscrit dans un contexte sanitaire, économique et social très compliqué – « exceptionnel », avez-vous dit, monsieur le ministre.
Cette situation fragilise des pans entiers de notre économie et expose les plus vulnérables de nos concitoyens, elle met à mal les finances de notre pays et limite notre capacité à tracer les perspectives dont nous aurions pourtant besoin.
Dans ce contexte inédit, le rôle de l’État est évidemment essentiel. Je le dis comme je le pense : l’État a été au rendez-vous pour maintenir le pays debout, grâce à un ensemble de mesures – on peut toujours discuter de telle ou telle de ces mesures, et nous le ferons, mais l’État a été globalement au rendez-vous.
Mais à côté de l’État, je veux insister sur le rôle tout à fait déterminant joué par les collectivités territoriales. Nous avons besoin de collectivités fortes pour soutenir l’activité économique et l’emploi dans les territoires et pour organiser la solidarité dans la proximité, au plus près de nos concitoyens.
Les collectivités territoriales constituent un point d’appui indispensable pour maintenir le pays en marche. C’est sur ce sujet des collectivités que je voudrais revenir à la lumière de cette première partie du projet de loi de finances ; mes collègues Sylvie Vermeillet et Vincent Delahaye évoqueront d’autres aspects de ce PLF.
Avec les articles 3 et 4, vous proposez un allégement des impôts de production à hauteur de 10 milliards d’euros : 7 milliards d’euros, par la suppression de la part régionale de CVAE, compensés par une part de TVA, et un peu plus de 3 milliards d’euros, avec la réforme des valeurs locatives des locaux industriels qui affecte le rendement de la CFE et de la taxe sur le foncier bâti du bloc communal, compensés par un prélèvement sur ressources.
C’est un pari pour favoriser la relocalisation de notre industrie et créer de nouveaux emplois, nos impôts de production étant deux fois plus élevés que la moyenne observée dans les pays de l’Union européenne. Toutefois, cette mesure affaiblit les recettes fiscales des collectivités et d’autres schémas seraient sans doute possibles – Sylvie Vermeillet reviendra sur cette question.
Quoi qu’il en soit, nous devons veiller sans faiblir à la dynamique et à la pérennité des modalités de compensation aux collectivités locales. Ces dernières doivent garder leurs marges de manœuvre, le pays en a besoin. Notre groupe sera très vigilant sur ce point et proposera plusieurs amendements en ce sens.
En ce qui concerne l’article 22 bis, j’étais favorable, dès lors que la taxe d’habitation était supprimée, à l’attribution d’une part de TVA aux départements et aux intercommunalités, comme l’avait proposé la commission des finances du Sénat. C’est un mécanisme pérenne et péréquateur alors qu’une compensation par une dotation de l’État, comme ce fut trop souvent le cas, reste aléatoire.
Toutefois, la crise que nous traversons révèle une faille non pas sur le principe d’une compensation par la TVA, mais sur le mécanisme voté l’année dernière et sur lequel s’appuie la dynamique de cette recette : il n’est sécurisé ni pour les collectivités ni pour l’État. Nous comprenons donc la disposition prévue à l’article 22 bis.
Je le dis tranquillement : l’effet d’aubaine, ici favorable aux départements et défavorable à l’État, pourrait demain s’inverser. C’est la raison pour laquelle nous devons trouver une solution équilibrée et durable. Celle que vous proposez à l’article 22 bis apporte une réponse justifiée et juste, mais seulement pour 2022, pas au-delà. Nous proposerons donc une autre solution afin de sécuriser durablement les recettes des collectivités et de l’État en cas de variation exceptionnelle des montants de la TVA perçue.
Par ailleurs, nous pensons que ces modalités de compensation de la réduction de la taxe foncière sur les propriétés bâties doivent être dissociées de la question des dérapages des dépenses sociales, notamment du RSA à hauteur de 1 milliard d’euros, à laquelle il convient bien évidemment d’apporter des solutions.
Nous proposerons également de corriger le traitement inéquitable entre les collectivités selon qu’elles subissent des pertes de recettes importantes, parce qu’elles gèrent leurs services et leurs équipements en régie, ou qu’elles ont délégué services et gestion des équipements à des délégataires qui, eux, peuvent bénéficier des aides de l’État.
Je voudrais enfin évoquer, de façon générale, la question des recettes des collectivités. Monsieur le ministre, cette année encore, nous modifions les recettes fiscales des collectivités locales. À chaque modification, et cela ne date ni d’aujourd’hui ni de 2018 – on pourrait parler de la taxe professionnelle, du Fonds national de garantie individuelle des ressources, le fameux FNGIR, dont il est encore question cette année dans le budget –, nous empilons des mécanismes de compensation plus ou moins fiables, plus ou moins durables, lesquels finissent par fragiliser les ressources des collectivités.
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Bernard Delcros. Ne pensez-vous pas que nous devrions travailler à la mise en place d’un système lisible, stable, durable des ressources des collectivités locales ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Bernard Delcros. Elles ont besoin de cette visibilité pour organiser le développement de leurs territoires.
Dans l’attente, et nous reviendrons sur le sujet des collectivités lors de l’examen de la seconde partie de ce PLF, le groupe Union Centriste, dans sa très large majorité, adoptera la première partie de ce budget. Nous serons force de proposition pour enrichir le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il était courant, au Moyen Âge, d’intenter des procès aux animaux pour divers délits et crimes. C’est ainsi qu’à Autun, en pays bourguignon, au début du XVIe siècle, un procès fut intenté aux rats de la ville que l’on accusait d’avoir dévasté les récoltes de blé.
Les paysans, en partie privés des fruits de leur travail, se trouvèrent dans l’incapacité de payer la dîme. Ils accusèrent alors les nuisibles. Après que justice fut rendue, on encouragea les paysans à se remettre au travail pour payer leur impôt.
Depuis lors, les choses ont quelque peu changé.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Quoique…
M. Emmanuel Capus. Il y a bien longtemps que l’on ne rend plus les rats, pas plus que les chauves-souris ou les pangolins, responsables de la diminution des ressources fiscales, et donc de la dégradation des finances publiques.
M. Pierre Cuypers. C’est une erreur ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. Pourtant, en 2020, la tentation est grande de vouloir rendre un virus responsable de la situation catastrophique de nos finances publiques : c’est à cause de la covid que notre pays affiche une récession à deux chiffres ; c’est à cause de la covid que le déficit dépasse les 220 milliards d’euros ; c’est à cause de la covid que notre taux d’endettement a bondi, en moins d’un an, de vingt points de PIB. Bref, c’est à cause d’un virus que nous nous apprêtons à examiner un budget historique pour la France, avec à la fois le déficit et la dette publics les plus élevés de notre histoire.
La séquence budgétaire dans laquelle nous nous trouvons est sans précédent. Il est utile de nous le rappeler. Et il est utile, aussi, de nous rappeler que ce n’est pas le virus qui est responsable de cette situation catastrophique, mais bien les décisions que nous avons prises pour nous en protéger. Ce n’est malheureusement pas un scoop et ce projet de loi de finances pour 2021 s’inscrit dans la droite ligne des quatre projets de loi de finances rectificative pour 2020.
Tous ces textes traduisent les décisions que nous avons prises collectivement pour lutter contre le virus. Ils correspondent au « quoi qu’il en coûte » que le Président de la République a lancé en mars dernier et qu’aucun responsable politique n’a réellement contesté. En clair, ils reflètent le choix que nous avons fait : donner la priorité à la santé des plus fragiles, quoi qu’il en coûte.
C’est cette priorité donnée à la santé qui nous a collectivement conduits à ralentir le pays, à confiner les Français chez eux, à mettre nos entreprises sous cloche, à fermer les commerces. Et ces mesures radicales sans précédent ont converti la France entière, bon gré mal gré, à un néo-keynésianisme sous stéroïdes.
Car tout découle de ces mesures radicales prises pour contenir la propagation du virus. Sans plan de sauvetage, nous aurions tué bon nombre de nos entreprises en 2020, la plupart dès le premier confinement et lors du second pour celles qui y auraient survécu.
Aujourd’hui, sans plan de relance, nous laisserions notre économie exsangue face à la compétition mondiale : sans relance, impossible d’espérer renouer un jour avec la croissance ; sans croissance, impossible d’espérer rembourser les dettes astronomiques que nous avons contractées.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous avons à peu près accepté l’impérieuse nécessité d’engager de nouvelles dépenses sans augmenter les impôts. Face à la gravité de la situation, nous sommes nombreux à nous y résigner. D’autres exultent de voir enfin grand ouvertes les vannes de la dépense publique, et voudraient même ajouter de nouveaux impôts.
Je n’entrerai pas dans le détail des différentes mesures dont nous aurons tout loisir de débattre au cours des trois prochaines semaines.
À ce stade, je souhaite simplement présenter trois critères à l’aune desquels le groupe Les Indépendants examinera ce budget hors norme. Ces critères s’imposent à nous, alors que nous nous apprêtons à voter le pire déficit public de notre histoire.
Le premier, c’est que ce budget de relance doit renforcer notre compétitivité. Il s’agit de nous assurer que chacune des mesures valorisera à la fois le travail et l’investissement, à la fois les efforts que feront les Français et les risques qu’ils prendront pour relever le pays. Ce n’est qu’à cette condition que nous sauverons le présent sans hypothéquer l’avenir.
À cet égard, je tiens à saluer la baisse ambitieuse des impôts de production. Notre groupe l’appelait déjà de ses vœux lors du dernier projet de loi de finances. Ces impôts, parce qu’ils ne dépendent pas de la conjoncture, s’avèrent encore plus néfastes en temps de crise qu’en temps normal. Il était grand temps d’alléger ce fardeau qui obère la productivité des entreprises et pénalise l’économie de nos territoires face à la concurrence d’Europe et d’ailleurs.
C’est pourquoi notre groupe soutient la baisse massive de la CVAE. Bien sûr, comme toute baisse des impôts, le risque existe, au moins à court terme, que certains y perdent. Nous serons donc particulièrement attentifs à ce que cette baisse ne se fasse pas aux dépens des collectivités locales, partenaires clés de la relance. Il y va de la cohésion de nos territoires, comme le soulignait à l’instant Bernard Delcros.
Le second critère, c’est que la dépense publique contribue efficacement à préparer la France aux enjeux de demain. Le Gouvernement s’y est engagé. Nous y sommes aussi attachés.
Notre groupe soutiendra les mesures qui favorisent l’investissement dans les technologies du futur et dans l’innovation partenariale, de même que les mesures qui facilitent la circulation des capitaux pour développer de nouvelles activités et celles qui encouragent la modernisation de notre outil de production.
C’est dans le même esprit que notre groupe abordera les mesures visant à favoriser la transition écologique. Plus personne n’ignore l’urgence de la situation : « notre maison brûle », mais nous ne détournons plus le regard.
La nécessité d’adapter nos modes de production et de consommation fait désormais consensus. À nous d’agir en conséquence. Il est urgent de protéger le climat et la biodiversité. Les priorités sont connues.
Ainsi, nous devons faire preuve d’ambition pour lutter contre l’artificialisation des sols, pour réduire l’impact carbone de nos mobilités et pour améliorer l’efficacité énergétique de notre parc immobilier. Nous serons force de proposition pour renforcer le budget dans ce sens.
Cependant, je veux être clair : nous ne chercherons pas pour autant à accéder systématiquement aux demandes de citoyens tirés au sort. L’enjeu est trop complexe, et surtout trop important, pour que nous nous contentions d’imposer et d’interdire pour engager la France dans une transition ambitieuse. Transition ne rime pas qu’avec taxation et restriction, comme le soutiennent les décroissants, mais surtout avec éducation et innovation.
Nous ferons des propositions pour que la transition écologique soit adaptée à la réalité de nos territoires, à la ville comme à la campagne. Tous les Français veulent participer à cette transformation. Nous leur devons mieux que toujours plus de taxes et de contraintes.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais évoquer un dernier critère, sans doute le plus important, à savoir le renforcement de notre capacité à rembourser nos dettes à moyen terme.
Or pour ce faire, il n’y a pas d’échappatoire : il faut réduire au plus vite toutes les dépenses qui aggravent notre déficit structurel. La relance n’a de sens que si elle est temporaire, comme l’a rappelé le rapporteur général dans son intervention.
L’objectif n’est pas de revenir à la situation que nous connaissions en 2019, mais bien de consolider la souveraineté de la France en renforçant la compétitivité économique et en accélérant la transition écologique. Mes chers collègues, « qui paie ses dettes s’enrichit » disait Balzac. Cela vaut tout autant pour notre dette publique que pour notre dette climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13 avril dernier, en plein cœur de la première vague, le Président de la République promettait une véritable « refondation » de notre système.
Au-delà des quatre plans d’urgence adoptés ici même depuis le début de la crise, le budget pour 2021 aurait dû être le moment clé de cette refondation, et ce d’autant plus qu’il s’agit du dernier budget en plein exercice du président Macron.
Une refondation… Et qu’observons-nous ? Une structure de budget inchangée par rapport à l’année dernière, assortie d’un plan de relance dont la majeure partie des crédits réellement opérationnels en 2021 ira à la réduction massive et sans contrepartie des impôts des entreprises. Tout sauf une refondation : une continuité, dangereuse.
Où est la refondation quand on assiste à la poursuite de la baisse continue et massive de la fiscalité des entreprises ? Cette politique fiscale est une incessante course à la diminution des impôts des entreprises qui revient à faire reposer le poids de la dépense publique sur les ménages.
Inefficace, elle exempte encore et toujours plus les grandes entreprises pourtant bien moins contributrices que les petites et moyennes entreprises et que les toutes petites entreprises dans notre pays. Et vous profitez de la crise pour aller encore plus loin.
Nous reconnaissons bien là la « stratégie du choc », lorsque la sidération et la peur provoquées par la crise permettent de faire passer des mesures structurelles pour des mesures conjoncturelles.
Voici ce que disait Guy Sorman en 1984, en observant, ravi, la politique de Ronald Reagan : « Le déficit engendré par la baisse des impôts apparaît comme un formidable moyen de pression pour contraindre l’État à rétrécir. » Quarante ans après, c’est ce que vous faites en faisant passer la baisse de 10 milliards d’euros par an d’impôts de production pour une mesure de relance.
Mais derrière cette relance, par ailleurs surestimée, avec la baisse des recettes, c’est la bonne vieille méthode néolibérale : la création organisée de déficits qui servira, plus tard, à légitimer des mesures draconiennes afin de réduire à peau de chagrin les mécanismes de solidarité et d’ouvrir de nouveaux marchés à la sphère privée. C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos de Bruno Le Maire dans les médias : la réforme des retraites permettra de payer la dette due à la covid. Nous ne l’acceptons pas !
Nous n’acceptons pas ce logiciel libéral qui vise à toujours agiter cette dette sans prendre en considération la seule qui vaille aujourd’hui. Et c’est le Conseil d’État qui nous l’a rappelé avec fracas, ce matin : la dette écologique ne pourra pas se régler à coups de réformes des retraites ou de l’assurance chômage.
Nous pouvons calculer tous les ans l’écart croissant entre l’accord de Paris, dont vous vous réclamez, et la réalité de l’action du Gouvernement. Je tiens à saluer l’action entreprise par Damien Carême, alors maire de Grande-Synthe, qui avait saisi le Conseil d’État pour « inaction climatique ». Cette dette s’accumule et nous ne pourrons négocier avec les banques pour la rembourser.
Où est la refondation en matière de justice sociale ? Toujours le 13 avril dernier, le Président de la République rappelait, citant les révolutionnaires de 1789, que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Nous nous attendions alors à une diminution de la fiscalité des ménages après les demandes répétées et incessantes des Françaises et des Français pour rétablir les impôts des plus riches. Mais non ! On a surtout relevé, en guise de refondation, un entêtement à refuser toute forme de participation des plus riches à la crise.
Avec obstination, ce gouvernement protège les riches. En ce domaine, il faut souligner combien votre bilan est excellent. Une étude de la banque UBS de juillet 2020 nous apprend que la France est classée au deuxième rang des pays pour l’augmentation du patrimoine des plus riches. Belle réussite !
Mais les mots ont un sens, monsieur le ministre. La République, invoquée tous les matins, n’est pas un glaive avec lequel on menace les citoyens. C’est d’abord un idéal de vivre ensemble où personne n’est laissé sur le carreau et qui devrait trouver une traduction concrète dans notre système d’imposition : vous aviez là l’occasion de lutter contre le séparatisme fiscal qui fait ravage dans notre pays. Ce séparatisme des riches qui conduit la France à battre le record européen de versement des dividendes aux actionnaires dans une période de crise sanitaire où, nous le voyons tous dans nos territoires, la pauvreté explose.
Où est la refondation quand vous refusez d’agir avec l’ambition nécessaire pour répondre au péril climatique ? Certes, le plan de relance prévoit des financements pour la rénovation des bâtiments et quelques autres projets vertueux, mais cela ne suffit pas à cacher que les lourdes exemptions fiscales accordées au monde économique ne sont conditionnées à aucune exigence de transition vers un modèle économique respectueux de l’environnement.
Le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, montrait dans une note de juillet dernier que les trois premiers secteurs les plus favorisés par la baisse des impôts de production sont respectivement les producteurs d’électricité et de gaz, les industries extractives et la finance.
Comment des entreprises dont l’activité est responsable d’écocides, de l’épuisement de la biodiversité, nous le savons, peuvent-elles encore aujourd’hui faire le plein de subventions publiques et de crédits d’impôt ?
Par ailleurs, quand on regarde le budget de manière fouillée, votre politique montre son vrai visage : vous dotez la relance de l’économie verte de crédits nouveaux, mais vous fragilisez tous les instruments, à commencer par le ministère de l’environnement avec 770 postes en moins, qui doivent mettre en œuvre ces politiques.
Où est la refondation quand vous livrez à elles-mêmes les collectivités territoriales chargées de résoudre tous les problèmes des citoyens ?
Le 13 avril dernier encore, le Président de la République disait aussi : « Au plus près du terrain, beaucoup de solutions ont été trouvées. Nous devrons nous en souvenir. » Force est de constater que le compte n’y est pas : les collectivités territoriales, qui mettent aussi en œuvre des solutions de court et de long terme auprès des populations les plus fragilisées – on le voit à l’échelle du département avec la question du RSA, mais aussi à celle des communes –, n’ont pas les moyens de faire face à la crise. Votre budget ne répond pas à cette problématique.
Et pourtant, oui, nous avons besoin d’une refondation ! Pour cela, il aurait fallu un budget assorti d’une profonde réforme fiscale. Il aurait fallu un budget apportant un soutien bien plus important à l’économie sociale et solidaire, cette grande oubliée des plans de relance. Vous aviez l’occasion d’agir massivement pour cette économie au service des hommes et de la planète et vous ne faites que parer au plus urgent.
Plutôt que de regarder, impuissants, les usines fermer, il faudrait un élan pour aider à la reprise par les salariés de leurs entreprises qui ferment, abandonnées par des actionnaires sans scrupules, pour la relocalisation et la fin de l’économie financiarisée.
La refondation supposerait de prendre la mesure des transitions à venir. Vous prévoyez, par exemple, une aide aux entreprises pour leur transition numérique. Très bien, nous sommes d’accord, mais comment pouvez-vous ignorer les rapports et les études qui se multiplient et qui démontrent tous les jours un peu plus que les gains de productivité induits par la robotisation vont pousser à la disparition de très nombreux emplois peu qualifiés ?
Les aides destinées à la numérisation des entreprises envisagées dans ce PLF ne sont pas accompagnées d’une vision ambitieuse pour permettre à la productivité ainsi dégagée de participer au financement de la protection sociale. Les mesures de formation ne seront pas non plus à la hauteur.
À l’heure où les logiciels et les robots remplacent progressivement la force des bras et le calcul mental, il faudrait parler « taxe robots », il faudrait mettre en place des taxes GAFA plus largement encore sur les multinationales que sur les entreprises numériques, il faudrait aussi parler réduction du temps de travail, revenu universel d’existence… Nous sommes dans une période où les transitions arrivent et la refondation n’est pas là.
Ce budget ne refonde rien, alors que la situation que nous connaissons est en train d’aggraver toutes les crises que nous traversons.
Monsieur le ministre, on n’invoque pas la République impunément, même si ce gouvernement le fait sans arrêt. Votre politique ne fait que la rendre plus abstraite, plus lointaine, parfois même plus hostile pour les Françaises et les Français qu’elle laisse sur le côté du chemin.
Votre absence de vision d’avenir sur l’après-crise est dangereuse. Tout au long de l’examen de ce texte, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires essaiera de montrer les autres voies possibles. La refondation doit venir, nous sommes toutes et tous mobilisés pour essayer d’en chercher le chemin. Nous en proposerons un avec l’écologie comme projet et l’égalité comme boussole. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
(M. Pierre Laurent remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)