Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous m’avez posé trois questions.
Premièrement, quel est le volet géographique des PAT ? Je m’adapte à ce que les territoires veulent : certains systèmes géographiques sont très concentrés, d’autres sont beaucoup plus larges. C’est aux territoires de le définir, mon rôle consiste à venir en appui.
Au regard de toutes les questions qui se posent, si le Sénat prenait un jour l’initiative d’organiser une présentation des différents PAT à l’ensemble des élus locaux, j’y participerais avec grand plaisir et je mettrais en avant ce que le plan de relance prévoit à ce sujet. Je fais cette proposition à Frédéric Marchand, à qui l’on doit le débat qui nous réunit cet après-midi ; je serai à votre disposition.
Deuxièmement, vous avez tout à fait raison, la question du coût est cruciale. Ce débat renvoie notamment à toutes les problématiques d’accompagnement, de dotation financière, etc.
Au-delà de ce débat purement financier, c’est parfois une question de faisabilité plus que de coût. Quand on demande aux enfants qui déjeunent à la cantine ce qui provient de la ferme voisine, ils citent toujours les yaourts. Le coût n’a rien à voir ! Que l’on s’approvisionne chez un grand distributeur ou à la ferme voisine, peu importe : c’est toujours une palette de yaourts qui demande la même manutention.
Si nous cherchons à créer le plus grand nombre de légumeries ou de conserveries possible, c’est pour accompagner la personne chargée de la logistique des cantines. Les carottes achetées au producteur ne sont pas plus chères que celles transformées ou déjà découpées que propose le grand distributeur. Le problème est que le chef de la cantine n’a pas le temps d’éplucher des kilos de carottes tous les matins !
Au-delà du coût, la question logistique est cruciale. C’est pourquoi l’État investit massivement pour éviter que la collectivité ne le fasse et ne répercute cet investissement sur le coût des repas.
Troisièmement, je crois beaucoup à la haute valeur environnementale. J’ai notamment accédé à une demande chère à la présidente de séance – j’imagine que c’est pour cette raison qu’elle m’autorise à dépasser mon temps de parole ! (Sourires) –, à savoir créer un crédit d’impôt HVE. Cela fait des années que de nombreuses professions, notamment viticoles, le demandent. C’est chose faite, mesdames, messieurs les sénateurs, et vous serez amenés à voter cette disposition importante dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Je remercie le groupe RDPI d’avoir organisé ce débat.
Monsieur le ministre, 43 jours d’autonomie alimentaire pour l’Union européenne, 9 mois pour la Chine. Qu’en est-il de la France ? La crise sanitaire interroge de manière urgente notre autonomie et notre souveraineté alimentaires. La mondialisation crée des dépendances vitales malgré notre capacité à produire. Face à ce constat, comment envisagez-vous la nécessaire adaptation du Programme national pour l’alimentation (PNA) à l’éclairage de la crise actuelle ? Existe-t-il un nouveau plan Protéines végétales ? Ces sujets font-ils l’objet d’une réflexion partagée à l’échelle européenne ?
Paradoxalement, vous semblez avoir abandonné le projet de loi foncière pour préserver les terres agricoles, facteur de lutte contre le changement climatique et de souveraineté alimentaire. Quelles mesures allez-vous prendre pour territorialiser nos politiques alimentaires ? Vous souhaitez renforcer les PAT, mais leurs forces et leurs faiblesses pourraient faire l’objet d’une concertation afin que leur soient donnés une nouvelle dynamique et de nouveaux moyens.
Vous allez consacrer une partie du plan de relance à ces objectifs. Les 80 millions d’euros dont vous avez parlé seront-ils également mobilisés pour accompagner la diversification des exploitations en circuit long vers les circuits courts, et pour permettre les nécessaires reconversions sociales et économiques ?
Comme les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), les PAT pourraient être des obligations pertinentes pour engager les territoires en valorisant les subsidiarités, en organisant les besoins logistiques et les circuits de valorisation. L’intégration des PAT dans les SCOT et les Sraddet contribuerait à articuler ces politiques territoriales et faciliterait leur contractualisation.
Monsieur le ministre, où en sont vos réflexions sur ces sujets particulièrement sensibles, qui méritent des réponses concrètes et factuelles ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je n’ai plus à vous le démontrer, ma conviction, ma vision du système agricole français, c’est que nous devons regagner en souveraineté. Pour répondre à votre question sur la dépendance de notre agriculture, je vous donnerai un seul exemple.
Concernant les protéines, le système est organisé depuis des décennies. Cela fait cinquante ans que les différents accords à l’échelle internationale ont conduit l’Europe, et singulièrement la France, à être dépendante d’approvisionnements de protéines d’Amérique – d’Amérique du Nord, d’abord, d’Amérique du Sud, ensuite.
À mes yeux, c’est inconcevable. C’est pourquoi je me bats avec force pour que notre pays gagne en souveraineté protéique pour les grandes cultures, d’une part, et pour nos élevages, d’autre part. Quand à cette situation s’ajoutent des épisodes de sécheresse qui font baisser les rendements de foin, on se retrouve de plus en plus dépendant de telles importations. Je le répète, ce n’est pas concevable. D’ailleurs, j’annoncerai dans les tout prochains jours le déploiement du plan Protéines végétales que nous mettons en place avec l’interprofession.
Faut-il inclure les PAT dans les SCOT ou les Sraddet, comme l’évoquait Frédéric Marchand ?
Aujourd’hui, 190 PAT existent. Pour ma part, je souhaite accélérer leur développement, mais c’est aux territoires de décider. Je connais bien les SCOT et les Sraddet, et je mesure le lien que ces documents peuvent avoir les uns avec les autres. Mais si je me présentais devant vous cet après-midi en annonçant que la solution consiste à inclure les PAT dans ces schémas, vous me répondriez sans doute qu’il y a moyen d’aller plus vite dans la période que traverse le pays.
C’est pourquoi je vous propose aujourd’hui de dégager massivement des financements pour aider d’ores et déjà les 190 PAT qui existent et qui fonctionnent. Comme le soulignait Henri Cabanel, il ne s’agit pas de mettre en place un PAT par département. Une fois cette étape terminée, si l’on réalise qu’il faut une coordination des différents documents, comme le propose Frédéric Marchand, pourquoi pas ?
À court terme, il est de ma responsabilité de booster ce qui est déjà en place, de mettre du diesel dans le tanker, comme on dit, pour faire en sorte que cela avance rapidement.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre, vous avez bien compris qu’il ne s’agissait pas de conditionner les financements à l’intégration dans les SCOT et les Sraddet. C’est une orientation qu’il faut essayer de donner. Sur ces questions, le grand problème, c’est la maîtrise foncière. Or, pour avoir une maîtrise foncière, il faut avoir une approche stratégique à l’échelon territorial.
Il faut également se demander comment créer des effets leviers en termes de contractualisation. L’intégration progressive de ces politiques dans les SCOT et les Sraddet présente l’intérêt d’améliorer la vision contractualisée et de créer des effets leviers avec l’ensemble des collectivités. En d’autres termes, c’est une orientation, pas une condition. Oui pour donner une impulsion, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, mais il faut essayer de voir à moyen et long termes !
Inscrire les PAT dans des politiques territoriales permet justement de se donner des outils, notamment pour la maîtrise foncière. Or, sur ce dernier point, vous n’avez pas répondu : vous avez abandonné le projet de loi foncière !
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Mangeons local ! Mangeons français ! C’est synonyme de qualité et d’emplois. Redécouvrons les saveurs de notre terroir qui ont disparu sous les coups de la mondialisation des normes européennes !
Cela fait cinquante ans que nos agriculteurs se battent face à la concurrence déloyale et aux hauts fonctionnaires de la Commission européenne, à Bruxelles. À force, ils s’épuisent et sombrent dans le désespoir : tous les deux jours, un agriculteur français se suicide.
Nous étions autrefois l’un des plus grands pays agricoles du monde. Nous en sommes aujourd’hui réduits à consommer du bœuf aux hormones brésilien ou canadien, du poulet aux antibiotiques américain, du soja transgénique asiatique. Si nous voulons protéger nos agriculteurs et retrouver une alimentation durable, la première solution est de remettre des barrières douanières sur les produits que nos paysans produisent déjà.
Nous devons partout favoriser les produits français, imposer au moins 70 % de repas locaux dans nos cantines. L’initiative de la commune de Châteauneuf-le-Rouge dans les Bouches-du-Rhône est à ce titre un exemple à suivre.
Quid des accords que des ministres, inconnus ou disparus, ont signés et quid de l’Union européenne, me direz-vous ? Sincèrement, je me moque de ces accords ! Un accord international rédigé par des bureaucrates et signé par des énarques ne vaut pas la vie d’un seul paysan français. Même s’il a reculé sur l’accord avec l’Amérique du Sud, ce gouvernement signe à tout-va les accords de libre-échange avec le Canada ou le Vietnam.
Les paysans, ce gouvernement ne les comprendra jamais, car la paysannerie, c’est l’inverse de la Macronie : la paysannerie n’est pas en marche, elle n’est pas hors sol, elle a le corps et l’âme enracinés. On est paysan par amour et par passion, non pas pour « faire du blé », mais pour le faire pousser – nuance qui fait toute la différence ! La sachant fragile et précieuse, les paysans protègent la terre pour mieux la transmettre, en même temps qu’ils transmettent un savoir-faire et un art de vivre incomparables.
Aujourd’hui, dans nos campagnes, nous entendons non pas mugir, mais mourir des hommes et des femmes qui nous font vivre. Pour une alimentation durable et locale, faisons nôtre cette déclaration de Guy de Maupassant à la terre française : « J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui- même. »
Monsieur le ministre, vous l’avez compris, ce n’est pas une question que je vous pose, mais c’est une déclaration d’amour dans les actes que je vous invite à faire au monde paysan, qui nous nourrit sainement et contribue à faire de la France le plus beau pays du monde.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, ça tombe bien : je ne suis pas énarque, je suis ingénieur agronome !
M. Stéphane Ravier. Pourtant…
M. Julien Denormandie, ministre. Cela devrait vous rassurer ! Pourtant, je suis macroniste et je partage cette même passion.
Les attaques contre les fonctionnaires m’étonnent toujours. D’ailleurs, si je ne dis pas de bêtises, vous aviez fait le choix de la fonction publique, quand vous étiez jeune. C’est tout à l’honneur de ces femmes et ces hommes de s’engager dans la fonction publique.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Julien Denormandie, ministre. Nous en avons bien besoin ! Jamais, pour ma part je ne tomberai dans le bashing de la fonction publique ; qui plus est, dans cette période, c’est très mal venu.
Un autre point nous différencie absolument. L’amour pour le monde paysan ne se décrète pas, il se montre et se prouve dans l’action. La principale valeur du monde paysan, c’est le travail. Ces femmes et ces hommes travaillent ardemment. Ce ne sont pas des discours d’estrade qui leur feront croire qu’untel ou untel est de leur famille ou empreint de l’amour que vous appelez de vos vœux, ce sont le travail et les résultats.
Monsieur le sénateur, et je crois que ce point aussi nous différencie, vous avez une vision tronquée de l’agriculture. Je le dis comme je le pense.
Vous affirmez qu’il faut faire du local. Or je n’ai pas arrêté de dire qu’il fallait inciter tous nos concitoyens à manger des produits frais et locaux. C’est ce qu’il y a de meilleur pour leur santé, pour l’environnement, pour nos agriculteurs et, souvent, pour leur portefeuille.
Toutefois, vous vous trompez, monsieur le sénateur. Vous souhaitez un pays plus fort, mais, pour ce faire, il faut avoir une agriculture plus forte, et donc une agriculture qui exporte.
M. Loïc Hervé. C’est exact !
M. Julien Denormandie, ministre. Il ne faut pas opposer les uns aux autres. Si l’on veut avoir une filière qui pèse, il est important qu’elle exporte. Je l’assume : oui, je vais aider à exporter avec énormément de force et, oui, je vais aider à développer les circuits courts.
Cessez d’avoir cette vision simpliste pleine de « yakafokon » – on ne va faire que du circuit court, on va empêcher tous les autres, etc. Le monde dans lequel on vit est un monde de rapports de force. Pour peser lourd, il faut exporter. Pour que la France soit forte, il faut qu’elle ait une agriculture forte, à la fois exportatrice et de proximité.
Peut-être est-ce cela le « en même temps » macroniste, et c’est très bien ainsi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)
M. Loïc Hervé. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, je suis content d’avoir entendu ce que je viens d’entendre ! Si un bon gouvernement doit assurer à son peuple une alimentation durable et locale, ces termes peuvent toutefois revêtir des définitions très différentes dans la bouche des uns ou des autres.
À mes yeux, une alimentation durable passe nécessairement par l’autosuffisance alimentaire. Selon un dicton populaire dans mon pays, « pour être sûr d’en avoir assez, il faut en avoir trop » ! (Sourires.)
Local, pour moi, cela signifie français. Mon département produit 430 millions de litres de lait pour 230 000 habitants. Si l’on voulait limiter la distribution à quelques kilomètres seulement, il faudrait demander à tous les Altiligériens de boire du lait matin, midi et soir !
On doit être capables d’apporter du lait à Marseille, où il n’y a pas de vaches laitières, et des fruits là où le soleil n’est pas assez chaud pour les faire mûrir. Telle devrait être la réalité de notre agriculture durable et locale.
Vous dites qu’il faut favoriser l’export, monsieur le ministre. Je suis d’accord ! Encore une fois, pour en avoir assez, il faut en avoir trop. (Nouveaux sourires.) Et quitte à avoir des produits en excès, mieux vaut les vendre pour pouvoir, grâce à l’argent gagné, mettre en œuvre des politiques agricoles sur notre territoire.
En 2010, l’excédent commercial agricole français était de l’ordre de 12 milliards d’euros. En septembre 2020, il n’est plus que de 3,98 milliards d’euros. On ne peut pas continuer ainsi ! J’avais prédit, en 2019, que l’excédent commercial français se transformerait en déficit si nous n’y prenions pas garde. Or le risque est bien réel.
Nous avons perdu sur les céréales, nous perdons sur le vin. Plus de la moitié des fruits et légumes que nous mangeons aujourd’hui sont importés !
Vous devez avoir une politique offensive en la matière, monsieur le ministre. Vous en avez déjà parlé, mais j’espère que vous y reviendrez dans votre réponse.
Le deuxième élément…
Mme la présidente. Vous avez déjà dépassé votre temps de parole de trente secondes, mon cher collègue.
M. Laurent Duplomb. Un dernier point alors : il faut une organisation mondiale pour étudier la démographie de notre planète. Nous sommes 7,8 milliards d’habitants aujourd’hui ; nous serons 10 milliards demain. Si nous ne faisons pas attention, si nous en restons à des débats d’enfants gâtés, nous pouvons être certains que, demain, la population d’un pays comme le Nigéria, qui dépassera le milliard d’âmes, viendra se nourrir en France !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Les deux questions posées par le sénateur Duplomb mériteraient bien plus que deux minutes pour y répondre.
Je ne reviendrai pas en détail sur le sujet de l’export, mais je crois qu’il nous faut absolument une agriculture qui puisse exporter. Il fut un temps où mon métier était précisément d’aider à réaliser ces exportations. J’ai aidé pendant plusieurs années des céréaliers français à exporter en Égypte, car ce pays a besoin de céréales avec un taux de gluten particulier et il ne peut pas les produire.
Songez tout de même, mesdames, messieurs les sénateurs, que 40 % de l’action de Business France concerne aujourd’hui le monde agroalimentaire. Mais nous avons des défis de taille à relever sur nombre de filières, notamment le vin ou certains types de viande – nous n’arrivons pas, par exemple, à ouvrir de nouveaux marchés en Italie pour les broutards.
Nous essayons d’accompagner très fortement ces exportations. J’étais il y a dix jours avec les équipes de Business France pour accompagner le lancement d’un plan de relance export grâce auquel l’État va financer une grande partie des démarches pour conquérir de nouveaux marchés.
Moi qui suis très attaché à l’agriculture française, ce qui m’énerve le plus, au-delà de la diminution de notre balance commerciale, c’est que les Allemands sont devenus meilleurs exportateurs agricoles que nous ! Comment peut-on accepter cela quand on est, comme moi, convaincu de la pertinence des produits agricoles français ?
Je prends donc l’engagement de me battre corps et âme pour favoriser l’export.
J’en viens au deuxième élément, en lien avec le premier, la question de la démographie. Dans toute science humaine, l’approche démographique me semble essentielle. Hervé Le Bras vient de publier un ouvrage absolument éclairant, Métamorphoses du monde rural, qui explique que le monde agricole est passé en trente ans d’une agriculture de territoires, de propriétaires, à une agriculture menée par des « entrepreneurs du vivant ». Cette approche me paraît extrêmement juste.
Les enjeux démographiques doivent être considérés en lien avec la nutrition. Quand on parle par exemple de gestion de l’eau à l’échelle de la planète, l’eau importée, c’est-à-dire celle incluse dans les productions végétales qui font ensuite l’objet d’échanges commerciaux, représente un sujet massif à l’échelle démographique et géopolitique. Nous devons avoir une vision claire et donner un cap.
En la matière, l’Europe a aussi un rôle à jouer. Nous finalisons actuellement la nouvelle PAC. Faut-il privilégier tel ou tel outil ? Faut-il faire plus de redistribution ou aller vers plus de convergence ? Selon moi, la seule question que l’on doit se poser, c’est la vision de notre agriculture dans sept ans. Où veut-on amener notre agriculture à cette échéance, au regard des changements à l’œuvre dans le monde ? Je conserverai cette approche, qui est à mon avis la bonne, même si elle est plus complexe.
Mme la présidente. Je conçois qu’il soit assez frustrant de répondre en deux minutes, monsieur le ministre, mais nous devons tout de même essayer de respecter les temps de parole.
La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Évelyne Perrot. Madame la présidente, monsieur le ministre, la crise sanitaire et ses conséquences éclairent d’un jour nouveau le sujet de l’alimentation durable et locale. Nous sommes face à l’opportunité historique de réaliser pleinement la transition écologique de notre modèle agricole. En effet, si une telle transition est amorcée dans de nombreux domaines et dans plusieurs États membres, l’empreinte environnementale de notre alimentation reste importante.
En mai dernier, l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie, « De la ferme à la fourchette », qui ambitionne notamment de réduire de 50 % l’utilisation de pesticides chimiques, ou encore de disposer de 25 % de la superficie agricole en agriculture biologique d’ici à 2030.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux et nécessaires, nous devons relever ensemble plusieurs défis : la souveraineté alimentaire, la rémunération des producteurs, la capacité de nos concitoyens à acheter leurs produits et, bien entendu, le développement durable.
Dans un récent ouvrage, Hubert Védrine explique que le concept de « compétitivité écologique » va s’imposer rapidement. Nous devons aujourd’hui tracer ce chemin.
Monsieur le ministre, face à l’indispensable transition agroécologique, quelle position la France va-t-elle défendre dans le cadre des prochains grands rendez-vous européens, qu’il s’agisse de la réforme de la PAC, de l’adoption du budget européen ou encore de la stratégie « De la ferme à la fourchette » ?
Pour la mise en œuvre de cette stratégie, la Commission a prévu un calendrier réglementaire et législatif allant presque jusqu’en 2024. Ce calendrier vous paraît-il adapté ? La France souhaite-t-elle que l’examen de certains textes soit avancé ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, pour moi, la vision est claire. D’abord, que souhaite-t-on fondamentalement ? Où veut-on amener l’agriculture européenne dans les sept prochaines années ?
Le cadre politique sur lequel les ministres européens viennent de se mettre d’accord donne des orientations : une agriculture plus souveraine, qui développe plus de protéines et qui engage la transition agroécologique. Mais cette dernière doit bien évidemment être financée. Il ne suffit pas d’exiger cette transition des agriculteurs et de les laisser se débrouiller. Comment les accompagne-t-on ? Comment arrête-t-on de leur adresser des injonctions contradictoires ? Vous m’avez déjà entendu plus d’une fois dénoncer ces injonctions stériles, qui biaisent le débat et méconnaissent l’immense valeur ajoutée de notre agriculture et de nos agriculteurs.
Ensuite, le diable se niche toujours dans les détails, et cet adage est peut-être encore plus vrai s’agissant des politiques européennes…
Chaque État membre va à présent décliner ce cadre politique, arrêté entre les ministres et actuellement discuté avec la Commission et le Parlement, dans un plan stratégique national. Des discussions vont s’ouvrir à cette fin en France. Je ne l’ai pas encore obtenu, mais je me battrai, en profitant aussi de la présidence française de l’Union à partir du 1er janvier 2022, pour que ces fameux plans stratégiques nationaux soient considérés comme des documents politiques devant être examinés au niveau des ministres.
Nous nous sommes accordés sur la nécessité d’une convergence au sein du marché commun. Mais si cet objectif est ensuite décliné au niveau bilatéral et si l’on ne peut pas évaluer l’équivalence des chemins empruntés dans les différents États membres, ça ne peut pas marcher. Il faut, en d’autres termes, pouvoir vérifier que les règles ne sont pas beaucoup plus contraignantes d’un côté, et beaucoup moins de l’autre.
Je me bats donc pour que ces plans stratégiques nationaux soient in fine présentés au niveau des ministres. Je pourrai ainsi dire aux agriculteurs : si nous organisons la transition de cette manière, c’est parce que nos collègues européens la font aussi de cette manière, avec les mêmes ambitions.
L’ensemble forme une vision politique, et soyez assurés de mon engagement très fort sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot, pour la réplique.
Mme Évelyne Perrot. Monsieur le ministre, je viens de vous remettre un document que je vous demande d’examiner avec grand intérêt.
Je vis dans un secteur de grandes cultures où les paysans sont pris dans une spirale infernale. Certains se sont réunis pour travailler la terre avec respect, cultiver du bio en circuits courts à portée de tous, en respectant les nappes phréatiques, mais surtout en donnant aux agriculteurs une rémunération honnête et un regard respectueux sur leur métier.
Il s’agit d’intelligence collective, monsieur le ministre. C’est ce que vous aimez, et ce que vous venez de nous donner comme exemple.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.
M. Jean-Jacques Michau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire sans précédent que nous traversons, et qui touche durement nos concitoyens, nous conduit irrémédiablement à interroger nos modes de consommation, en particulier la qualité de notre alimentation.
De fait, la question alimentaire a pris une importance grandissante et elle est devenue aujourd’hui un nouvel enjeu de développement durable pour les territoires. Les collectivités, cela a été dit, sont mobilisées et s’engagent de manière volontaire sur la question alimentaire dans l’élaboration d’initiatives locales et de PAT, qui contribuent à la construction de nouvelles politiques transversales. C’est le cas en particulier dans mon département, l’Ariège, où le PAT du pays des Pyrénées cathares a été mis en place dès le mois de mai 2018.
La problématique de l’agriculture de proximité, de la préservation du foncier et des activités agricoles est prioritaire. Vous le savez, la maîtrise foncière est l’un des principaux outils dont nous disposons pour permettre et encourager l’installation de nouveaux agriculteurs, en mobilisant du foncier ou en achetant en fonction des opportunités, en lien avec les Safer.
Pourtant, alors même que le droit de préemption des Safer a été conforté par l’acquisition de la totalité des parts d’une société, il s’avère que de nombreuses acquisitions de terres agricoles par des sociétés parfois étrangères continuent de susciter interrogations et inquiétudes.
Ainsi, les fonds de gestion, par le biais de sociétés, continuent d’acheter à des exploitants et à des prix parfois très élevés des milliers d’hectares dont les productions sont en règle générale destinées à l’exportation.
Les mécanismes de contournement de notre législation mis en œuvre par ces acheteurs, notamment la pratique des cessions partielles, démontrent clairement l’inefficacité de nos outils de régulation. Les conséquences de cette spéculation sont néfastes pour nos territoires, en particulier pour les nouveaux agriculteurs.
Monsieur le ministre, ma question est donc simple : vous aviez annoncé en 2017 la préparation d’une grande loi foncière, qui devait être programmée d’ici à la fin du quinquennat. Quand proposerez-vous au Parlement ? Comment comptez-vous agir pour mieux réguler le foncier agricole et empêcher les contournements du droit de préemption des Safer ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Vous me posez plusieurs questions, monsieur le sénateur Michau, qui font également écho aux interrogations de plusieurs de vos collègues.
Oui, il faut profondément améliorer le foncier agricole. Les défis sont nombreux, vous l’avez dit : le statut de l’agriculteur, le fermage, la régulation. Ce sont autant de sujets sur lesquels nous avons déjà collégialement beaucoup travaillé. Le Sénat a énormément produit sur cette question et le ministère, notamment sous l’impulsion de mon prédécesseur, s’est aussi fortement engagé.
Va-t-on faire une grande loi foncière d’ici à la fin du quinquennat ? Vous connaissez ma franchise dans les réponses. De fait, le temps parlementaire a été énormément contraint par les textes liés à la situation exceptionnelle que nous vivons depuis plusieurs mois. Je ne crois pas, à titre personnel, que nous aurons la fenêtre de tir pour mener à bien cette grande loi foncière. En tout état de cause, cela ne doit pas nous empêcher de nous dire que nous la présenterons au début du prochain quinquennat, si toutefois vous le désirez, monsieur le sénateur… (Sourires.)
Nous pouvons aussi avancer sur de nombreux sujets qui ne nécessitent pas l’intervention de la loi.
Prenez par exemple la question de la régulation par les Safer. Vous connaissez comme moi la gouvernance de ces sociétés, monsieur le sénateur… Franchement, on n’a pas besoin de la loi pour améliorer leur gestion ici ou là. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à améliorer le cadre légal.
Le portage foncier ne nécessite pas non plus de modifications législatives. On ne le sait pas suffisamment, mais le foncier agricole coûte beaucoup moins cher en France que dans les pays voisins. Comment se fait-il que nous n’en tirions aucun avantage compétitif ? Un jeune agriculteur qui s’installe, avant même de commencer, contracte systématiquement 200 000 ou 300 000 euros d’emprunt. Nous travaillons à la recherche de solutions très concrètes, sans passer par la loi.
Nous devons aussi selon moi régler la question de la retraite de nos agriculteurs, qui présente un lien direct avec le foncier. Comment expliquer cette pression foncière sur l’acquisition des terres, surtout depuis la génération qui me précède ? Tout simplement parce que, aujourd’hui, quand vous êtes agriculteur, vous financez votre retraite par le foncier !
Si l’on veut réussir à trouver de nouvelles modalités permettant aux jeunes de moins s’endetter, la première des choses à faire, c’est de régler le problème de la retraite des agriculteurs. C’est tout le travail qui est en cours, à la suite d’une proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale.