Mme Nathalie Goulet. Mes chers collègues, je m’apprête à présenter, à l’article 43 A et aux suivants, une série de propositions liées à la lutte contre la fraude sociale aux prestations et aux cotisations. Afin de ne pas allonger les débats, permettez-moi de vous donner une explication globale ; cela me permettra d’aller plus vite ensuite.
L’année dernière, le Premier ministre Édouard Philippe a confié à Carole Grandjean et moi-même une mission sur la fraude aux prestations sociales. Le problème ne date pas du gouvernement actuel, mais c’était la première fois qu’un Premier ministre mandatait des parlementaires pour travailler sur cette question.
À la suite de la remise de notre rapport, l’Assemblée nationale a ouvert une commission d’enquête, présidée par Pascal Brindeau, relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Enfin, la Cour des comptes a publié de multiples rapports sur ce sujet. Les propositions que je défends résultent de l’ensemble de ces travaux. Le Sénat les adoptera ou non, mais sachez, chers collègues, qu’elles n’ont pas été formulées ex nihilo.
L’amendement n° 88 rectifié bis vise à exclure de la couverture des charges les soins qui ont été prodigués en dehors du territoire français, sauf si l’assuré atteste de leur nécessité.
Il s’agit de prévenir, non pas un abus de droit, mais un tourisme médical qui fait des ravages, que ce soit en matière dentaire ou esthétique, les patients revenant ensuite pour se faire soigner en France. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Nous n’avons pas à nous ériger en juges des raisons qui ont conduit un patient à être malade ou blessé à l’étranger. Je comprends bien l’intention, qui est de condamner le tourisme médical, mais il faut s’en tenir au droit, or cette proposition va un peu plus loin. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Je comprends sous quel prisme les auteurs de cet amendement envisagent la situation, mais je souhaite vous alerter, mes chers collègues, sur le fait qu’il existe dans notre pays des zones de coopération transfrontalière, et que le territoire de soins s’étend parfois de l’autre côté de la frontière – en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, etc.
Une telle disposition serait un véritable frein à ces coopérations, alors que l’on s’efforce par ailleurs de fluidifier les relations transfrontalières dans le domaine du parcours de soins.
Je vois donc l’autre côté de la médaille, et c’est pourquoi je voterai contre cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Pour ma part – et j’en suis désolée –, je voterai contre cet amendement, car la vraie question est la suivante : pourquoi les gens partent-ils à l’étranger pour effectuer des soins, en particulier dentaires ? Comment faire en sorte que ces soins, qui semblent inaccessibles en France, deviennent accessibles à tous ?
Le tourisme médical existe, et on le supporte difficilement, surtout quand il s’agit de chirurgie esthétique, mais on ne peut pas abandonner à leurs difficultés des gens qui ont été « loupés » dans je ne sais quel pays.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je souhaitais simplement attirer l’attention sur cette question. De la même manière, certains dispositifs médicaux qui sont fabriqués, parfois seulement en partie, à l’étranger posent des difficultés aux patients en France. Je n’ai pas pu déposer d’amendement aux articles précédents, mais j’attire votre attention sur cet autre aspect du problème, qui est réel.
Toutefois, je comprends les explications qui m’ont été données, et je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 88 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 81 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Avant l’article 43 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 114-10-2 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 114-10-2-… ainsi rédigé :
« Art. L. 114-10-2-…. – Les allocations et prestations de toute nature servies par les organismes mentionnés à l’article L. 114-10-1-1 doivent l’être sur des comptes ouverts dans des établissements établis en France ou dans l’espace économique européen. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cette proposition est issue des auditions que nous avons menées l’année dernière et des travaux de la commission d’enquête que j’ai citée.
Le présent amendement vise à concentrer le versement de prestations sur des comptes ouverts en France ou dans l’Espace économique européen, et ce pour éviter les fraudes. Le rapport de Tracfin est à cet égard tout à fait explicite.
De plus, le Sénat a adopté cette disposition l’année dernière.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 365 rectifié ter est présenté par MM. Menonville et Guerriau, Mme Paoli-Gagin, MM. Malhuret, A. Marc, Chasseing, Verzelen, Médevielle et Lagourgue, Mme Mélot et MM. Decool, Wattebled, Capus et H. Leroy.
L’amendement n° 688 rectifié ter est présenté par Mme V. Boyer, MM. Boré, Le Rudulier et Frassa, Mme Micouleau, M. Daubresse, Mmes Procaccia, Dumas, Deromedi et Joseph, MM. Bonne, B. Fournier et Bouchet, Mmes Garriaud-Maylam et Lavarde, M. Houpert, Mme Thomas et MM. Cuypers, Bonhomme, Sautarel, Segouin, Genet et Charon.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article 43 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les prestations délivrées par les organismes de sécurité sociale sont versées sur des comptes bancaires domiciliés en France ou, à défaut, dans un autre État membre de l’Union européenne, dans des conditions fixées par décret.
La parole est à Mme Colette Mélot, pour présenter l’amendement n° 365 rectifié ter.
Mme Colette Mélot. La présente proposition va dans le même sens que celle de Mme Goulet, et elle est également inspirée du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales.
Afin de faciliter les enquêtes, le présent amendement a pour objet d’imposer que le versement des prestations sociales s’effectue sur un compte bancaire français ou d’un État membre de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 688 rectifié ter.
Mme Valérie Boyer. Le présent amendement s’inspire de la recommandation n° 55 du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, conduite par MM. Brindeau et Hetzel. J’ai également participé aux travaux de cette commission d’enquête avant de rejoindre la Haute Assemblée. Il me paraît important de rendre cette recommandation effective.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La commission comprend le souci de sécuriser le versement de ces prestations, mais ce n’est pas l’avis de tout le monde, notamment des Français de l’étranger et de leurs représentants. Les Français de l’étranger ne comprennent pas pourquoi ils devraient ouvrir un compte en France, alors qu’ils vivent à l’étranger, pour percevoir des prestations qui leur sont dues.
La commission sollicite l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il n’est pas possible en droit de limiter le versement des prestations de sécurité sociale à un compte – ni d’ailleurs à un produit d’épargne – domicilié en France, les règles européennes s’y opposant. Il en va de même pour certaines des conventions nationales de sécurité sociale qui nous lient à un pays tiers.
En outre, une telle mesure se traduirait par des frais de virement internationaux importants pour les retraités qui résident à l’étranger.
Pour toutes ces raisons, l’avis est défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Même avis.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 365 rectifié ter et 688 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 77 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Avant l’article 43 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 8 du chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier est complétée par un article L. 221-… ainsi rédigé :
« Art. L. 221-…. – Aucune allocation ou prestation sociale légale, réglementaire ou conventionnelle ne peut être directement versée sur les produits d’épargne régis par le présent chapitre autres que le livret A. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Mme la ministre ayant déjà indiqué qu’elle s’opposait à la mesure proposée, je retire mon amendement. Je regrette toutefois que le Sénat se soit déjugé en rejetant l’amendement n° 81 rectifié qu’il avait adopté l’année dernière.
M. le président. Le Sénat est souverain, ma chère collègue. (Sourires.)
L’amendement n° 77 rectifié bis est retiré.
Article 43 A (nouveau)
Après le premier alinéa de l’article L. 114-10-2 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les informations collectées à ce titre par les organismes de sécurité sociale auprès des fichiers des services de l’État sont transmissibles entre eux. »
M. le président. L’amendement n° 85, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
I. – Au début, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Au premier alinéa de l’article L. 114-10-2 du code de la sécurité sociale, les mots : « lors de l’affiliation » sont remplacés par les mots : « dès l’ouverture du dossier de demande d’affiliation ».
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Au dernier alinéa du même article L. 114-10-2, les mots : « peuvent faire » sont remplacés par le mot : « font ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Le présent amendement vise à imposer aux organismes sociaux de vérifier, lors de l’affiliation, que les assurés étrangers satisfont aux conditions de régularité de leur situation en France.
Une disposition quasiment identique ayant été adoptée par l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du présent PLFSS, il s’agit d’un amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. L’amendement a pour objet de préciser que la vérification doit se faire dès l’ouverture du dossier d’affiliation et que, dès lors que les conditions le permettent, les transmissions d’informations se feront par voie informatique. Cette proposition nous paraît intéressante.
L’avis est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Madame la sénatrice, vous souhaitez imposer la vérification de la régularité du séjour des étrangers dès la demande d’affiliation et faire obligation aux caisses de consulter les fichiers des services de l’État pour obtenir les informations nécessaires.
Je partage votre souci de sécuriser les procédures d’attribution des numéros d’identification au répertoire national d’identification. C’est pourquoi, comme vous l’avez souligné, le Gouvernement a donné un avis favorable sur l’amendement de Mme Grandjean visant à généraliser les remontées automatiques d’informations.
Par ailleurs, l’article L. 114-10-2 du code de la sécurité sociale prévoit déjà que les caisses de sécurité sociale ont l’obligation de s’assurer régulièrement que les assurés étrangers satisfont aux conditions de régularité, ce qui est fait par consultation des fichiers du ministère de l’intérieur ou, le cas échéant, dans le cadre d’un échange avec les services de l’administration.
Votre demande étant satisfaite, je demande le retrait de cet amendement, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Ma demande n’est pas du tout satisfaite, madame la ministre. L’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), notamment, n’est pas consultée. Nous avons des dizaines et des dizaines de preuves de fraudes, or il n’existe toujours pas de connexion institutionnalisée entre les organismes de sécurité sociale et le ministère de l’intérieur. Nous demandons pourtant la création d’une telle connexion depuis deux ans.
Je maintiens mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 496 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Delahaye, Mizzon et Bonnecarrère, Mme Guidez, M. Canevet, Mme Sollogoub, MM. Moga, Médevielle, Kern et Détraigne, Mmes Billon et Perrot, MM. Longeot et Lafon et Mmes Férat et Saint-Pé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article L. 114-12-4 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces mêmes organismes et administrations communiquent, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves, avec les organismes et administrations chargés des mêmes missions dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. La présente proposition vise la fraude transfrontalière. Le Sénat a voté une résolution sur l’initiative de notre collègue André Reichardt sur ce sujet.
Nous ne disposons pas de règles de coopération avec l’ensemble des pays qui nous entourent. La France échange des données avec un certain nombre de pays, notamment l’Allemagne, mais pas avec tous. Il en découle une fraude transfrontalière organisée. Ainsi, certaines personnes qui perçoivent le chômage partiel en France travaillent en Espagne.
Le présent amendement vise dont à compléter l’article L. 114-12-4 du code de la sécurité sociale afin d’imposer la communication entre nos organismes de sécurité sociale et leurs homologues des pays voisins.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La commission sollicite l’avis du Gouvernement sur la conformité d’une telle disposition avec le droit communautaire. Elle souhaite également obtenir des précisions sur la coopération qui existe entre les organismes de sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Madame la sénatrice, nous considérons que votre amendement est satisfait.
En effet, le déploiement du système d’échange électronique d’informations sur la sécurité sociale (EESSI), qui permettra aux organismes de sécurité sociale des pays européens d’échanger des données de manière dématérialisée, sera achevé en juillet 2021.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Même avis : défavorable.
M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 496 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, il faudra en aviser la Cour des comptes, qui préconise l’inverse. Il n’existe ni numéro social européen ni fichier des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) européen. Nous communiquons avec un certain nombre de pays, mais pas avec tous. La fraude transfrontalière est une réalité, et je ne crois pas qu’elle cessera en juin 2021.
Je maintiens mon amendement, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 496 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 43 A, modifié.
(L’article 43 A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 43 A
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 76 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Après l’article 43 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du onzième alinéa de l’article L. 114-12-1 est ainsi rédigée : « Il recense pour chaque bénéficiaire l’ensemble des prestations, y compris leur montant, et avantages en nature qui lui sont servis par les organismes mentionnés au premier alinéa. » ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 114-12-2 est ainsi modifié :
a) Les mots : « un système d’information commun » sont remplacés par les mots : « les échanges d’informations et données du répertoire mentionné à l’article L. 114-12-1 communes » ;
b) Les mots : « à l’article » sont remplacés par les mots : « au même article ».
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2021.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Je constate que les préconisations notre collègue député Brindeau et de la Cour des comptes ne reçoivent pas davantage d’écho que les miennes. Quoi qu’il en soit, nous plaiderons de nouveau ces dossiers.
Le présent amendement vise à fusionner certains répertoires pour assurer un meilleur suivi et un meilleur échange des données.
Avant que Mme la ministre ne m’explique que le présent amendement est satisfait, permettez-moi de citer un document issu de la brigade de gendarmerie d’une commune de l’Orne : « Par le biais de ce mail, je souhaite vous sensibiliser et sensibiliser les mairies. Lors de la demande de carte nationale d’identité, les usagers présentent un certificat de naissance. Ce certificat de naissance peut être vérifié par les agents de mairie via le dispositif de communication électronique des données de l’état civil (Comedec), qui est facultatif pour les mairies, car très onéreux. » Parce que, en plus, il faut payer pour vérifier une identité !
« Les agents de mairie ont donc toute latitude de contacter ou non la mairie qui a établi le certificat de naissance. Les “voyous” profitent de cette faille pour se présenter dans les mairies de ces communes avec de faux certificats de naissance et demander une carte nationale d’identité. Si l’agent de mairie ne s’assure pas de l’authenticité du certificat de naissance, le demandeur peut se retrouver avec une vraie carte d’identité, mais avec une identité frauduleuse, ce qui laisse l’opportunité d’ouvrir des comptes, de souscrire des crédits, etc. »
Madame la ministre, si vous ne fusionnez pas les registres parce que tout va bien, si vous ne luttez pas contre la fraude transfrontalière parce que tout est parfait, si vous continuez à verser des prestations sociales sur des comptes que Tracfin ne peut pas suivre, nous continuerons à avoir une fraude massive !
M. le président. L’amendement n° 685 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Boré, Le Rudulier et Frassa, Mme Micouleau, M. Daubresse, Mmes Procaccia, Dumas, Deromedi et Joseph, MM. Bonne, B. Fournier et Bouchet, Mmes Garriaud-Maylam et Lavarde, M. Houpert, Mmes Drexler et Thomas et MM. Cuypers, Gremillet, Segouin, Genet, C. Vial et Charon, est ainsi libellé :
Après l’article 43 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La seconde phrase du onzième alinéa de l’article L. 114-12-1 du code de la sécurité sociale est ainsi modifiée :
1° Les mots : « janvier 2016 », sont remplacés par les mots : « juillet 2021 » ;
2° Après le mot : « servies », sont insérés les mots : « , au cours des cinq dernières années, ».
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Il est important de fusionner ces deux fichiers. Si je vous fais cette proposition, c’est parce que, comme je l’ai indiqué, j’ai participé aux travaux de la commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales de l’Assemblée nationale et que j’étudie ce sujet depuis que je suis parlementaire.
Je voudrais simplement vous faire part de notre étonnement quant aux faits suivants : 73,7 millions de numéros d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques (NIR) sont enregistrés dans le fameux répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) alors que le nombre théorique maximal de bénéficiaires est de 71,3 millions. Autrement dit, il y a 2,4 millions de numéros de sécurité sociale qui bénéficient de droits ouverts sans raison. L’administration a reconnu ce problème, et je vous renvoie, à ce sujet, au compte rendu de l’audition de M. von Lennep, le nouveau directeur de la sécurité sociale.
De tels écarts sont inacceptables et nous invitons l’administration et les organismes de sécurité sociale à fiabiliser au plus vite les données contenues dans le RNCPS.
La forme actuelle du RNCPS ne doit être qu’une étape. À terme, le répertoire doit permettre de retracer, par NIR, l’ensemble des prestations sociales perçues tout au long de la vie, comme M. Laurent Gratieux le soulignait.
Nous ne faisons pas ces propositions par plaisir, mais pour faire avancer le sujet de la lutte contre la fraude sociale. Dans la situation économique actuelle extrêmement difficile, comment refuser systématiquement d’agir afin que les prestations sociales cessent d’être dévoyées ?
C’est le sens de ces amendements, et je considère qu’un historique portant sur ces cinq dernières années permettrait de renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude.
Malgré les délais de mise en œuvre, les caractéristiques techniques retenues pour l’alimentation du RNCPS avec les données relatives aux prestations versées n’apparaissent pas satisfaisantes. Or, aujourd’hui, le RNCPS ne permet pas de retracer dans le temps les prestations reçues par un bénéficiaire ni, donc, de lutter contre les fraudes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La commission est bien embarrassée, parce que les deux amendements sont incompatibles entre eux tout en présentant tous deux un intérêt. (Mme Valérie Boyer s’exclame.)
Vous pouvez vous entendre entre vous pour rectifier vos amendements…
Nathalie Goulet demande la fusion des répertoires de protection sociale. J’ai demandé l’avis du Gouvernement quant à cette possibilité. C’est difficile à réaliser, surtout dans des délais aussi brefs que ceux que demande Nathalie Goulet. Nous n’avons pas pu expertiser à proprement parler cette mesure qui, toutefois, me paraît nécessaire et de bon sens.
Madame Boyer, vous demandez qu’on puisse disposer du recueil des prestations servies sur les cinq dernières années. Cela me paraît effectivement une bonne chose pour vérifier s’il n’y a pas eu de fraude. Mais, la rédaction de votre amendement est juridiquement incompatible avec celle de l’amendement de Mme Goulet.
Mme Valérie Boyer. Nous sommes là pour changer la loi !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Oui, mais ce n’est pas à moi de la changer, c’est à vous de faire une proposition. Je sollicite l’avis du Gouvernement.
Je vous engage, mesdames les sénatrices, à rectifier éventuellement vos deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je vais donner l’avis du Gouvernement, mais qu’on ne parte pas du principe que ce que je dis est faux, ce qui n’est pas très agréable… Effectivement, tout n’est pas satisfaisant, certaines choses étant à améliorer. Pour autant, des dispositifs existent.
Vous souhaitez que les organismes de sécurité sociale puissent retracer le montant des prestations sur les cinq dernières années. Le RNCPS restitue à un instant t les données de prestations versées à un assuré, tel qu’elles figurent dans les bases des caisses. Il ne conserve pas ces données. Depuis cette année, le RNCPS permet de consulter, auprès des organismes gestionnaires des droits, les montants des prestations versées sur les douze derniers mois.
En revanche, la possibilité d’accéder à un historique sur cinq ans nous apparaît disproportionnée, car elle nécessiterait que l’ensemble des fichiers de toutes les caisses de sécurité sociale, qui sont interconnectées avec le RNCPS, disposent eux-mêmes d’une profondeur historique sur cinq ans. Cela nécessiterait des travaux coûteux pour une plus-value finalement très limitée. Pour ces raisons, la proposition contenue dans l’amendement n° 685 rectifié nous paraît disproportionnée au regard des objectifs visés.
Nous sommes donc défavorables aux deux amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. En ce qui concerne la fusion des fichiers, je m’appuie sur deux rapports : le fameux rapport de 2015 de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) établi par M. Gratieux et le rapport conjoint de l’IGAS et de l’inspection générale des finances (IGF) rédigé par MM. Caussat, Fuzeau, Walraet et Mme Delattre. Je maintiens donc mon amendement, au moins pour la fusion.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Si l’on veut lutter contre la fraude, il faut s’en donner les moyens.
Mme Valérie Boyer. En effet !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Des efforts ont été faits ; je suis allé moi-même voir sur place les caisses d’allocations familiales et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Un travail sérieux a été fait dans la lutte contre la fraude.
Je crois toutefois qu’il faut se donner des moyens complets, et agir par circulaires est insuffisant. Ma conviction profonde est qu’il faut renforcer la loi et instaurer des procédures transversales entre les divers organismes.
Je suis désolé que l’on nous réponde qu’il est impossible de remonter à cinq ans. Il serait souhaitable l’on puisse remonter à, au moins, quelques années.
Par contre, je ne comprends pas l’impossibilité de fusionner les répertoires de protection sociale dans un souci de transparence.