M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est fondé sur un principe de justice, celui de rendre à deux pays, le Bénin et le Sénégal, des biens culturels appartenant pleinement à leur histoire.
Le trésor de Béhanzin, nommé d’après Béhanzin Ier, dernier roi du Dahomey, présente le dernier ensemble de pièces régaliennes de l’empire désormais disparu. Saisi en 1892 et rapporté en France par le général Alfred Amédée Dodds, ce trésor est un symbole important pour le Bénin, un vestige ultime d’une aire d’indépendance et de prospérité.
Le sabre d’Omar Seydou Tall, dit El Hadj Omar, est nommé d’après le nom de son propriétaire. Chef spirituel soufi, érudit musulman et fondateur de l’empire toucouleur, ce dernier régna sur des territoires situés aujourd’hui au Sénégal, en Guinée et au Mali, vers les années 1850. Saisi en avril 1893 par les troupes du colonel Louis Archinard, cet objet représente, lui aussi, l’un des vestiges du pouvoir en place avant l’établissement de l’Afrique occidentale française.
Ces deux objets sont donc des prises de guerre, des biens acquis dans la violence d’une époque de conquêtes coloniales qu’il nous faut aujourd’hui regarder avec lucidité.
Les demandes de restitution du Bénin et du Sénégal sont donc tout à fait légitimes, et c’est en se fondant sur cette légitimité que le Gouvernement nous propose ce projet de loi.
Celui-ci fait également écho à un engagement du Président de la République, pris le 28 novembre 2017 devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, et qui a suscité de grands espoirs au sein de la jeunesse africaine.
Affirmons-le ici sans détour, notre groupe est favorable à ces restitutions, qui sont des témoignages de l’humanisme devant animer notre politique de coopération culturelle. En revanche, nous estimons qu’il faut sortir aujourd’hui de la logique de ces lois d’exception, obligeant le législateur à examiner chaque restitution dans un texte spécifique.
Cette législation au cas par cas s’explique, bien entendu, par le principe d’inaliénabilité, lequel affirme que les biens appartenant aux collections publiques françaises ne peuvent être vendus ou cédés, mais elle freine cette amorce de politique de coopération culturelle volontariste.
Les écologistes sont évidemment attachés au caractère inaliénable des collections publiques, qui garantit l’unité du patrimoine culturel au bénéfice de toute la Nation. C’est dans le respect de ce principe que nous souhaitons travailler à une évolution du cadre législatif.
D’où, mes chers collègues, l’amendement que nous souhaitions soumettre à votre vote, visant à confier au conseil national de réflexion créé par notre commission la tâche de réfléchir à un dispositif législatif durable pour sortir de cette politique d’exception permanente, dont personne ne peut se satisfaire. Malheureusement, cet amendement ne sera pas examiné, ayant été déclaré irrecevable.
Nous estimons toutefois que nous ne pourrons nous affranchir de cette réflexion essentielle. En effet, le Bénin et le Sénégal ne seront pas les seuls pays à avoir des demandes légitimes. Mali, Cameroun, Nigeria, Éthiopie, Tchad : plusieurs pays ont déjà fait des demandes, portant parfois sur des milliers d’objets ou de biens.
Avec une politique de coopération culturelle enrichie d’un cadre législatif pérenne, nous pourrons durablement regarder notre passé en face, avec honnêteté, et renforcer nos liens avec de nombreux pays. Il s’agit non pas de repentance, mais simplement de justice !
Nous sommes conscients de toutes les questions soulevées et, comme vous l’indiquiez ce matin, madame la rapporteure, nous sommes encore très loin d’y répondre. Mais, de nouveau, mes chers collègues, nous ne pouvons faire l’économie d’un cadre pérenne permettant de sortir de ces lois d’exception, qui contournent de façon hypocrite notre principe d’inaliénabilité des œuvres.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe écologiste votera ce projet de loi, qui va dans le bon sens, tout en appelant à une réflexion plus globale sur l’évolution de notre législation, pour plus d’efficacité et de justice dans notre politique de coopération culturelle. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi prévoit le retour au Bénin, leur terre d’origine, de vingt-six objets du palais de Béhanzin conservés au musée du quai Branly et la restitution au Sénégal d’un sabre et de son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, chef toucouleur.
Il fait suite à une demande expresse de ces deux États.
Il ne met pas fin au caractère inaliénable de nos collections publiques. Il témoigne d’une exigence de vérité, d’un souhait commun d’apaiser des conflits de mémoire, d’une confiance en un partenariat équilibré.
Il faut se réjouir de cette coopération !
Ce projet de loi concrétise un engagement fort du Président de la République, prononcé en novembre 2017 devant les étudiants de l’université de Ouagadougou.
Plus de la moitié de la population africaine a aujourd’hui moins de 25 ans. Dans mon département d’outre-mer, entre côtes africaines et Madagascar, la croissance de la démographie est sept fois plus forte que la moyenne nationale et les moins de 18 ans sont majoritaires. C’est une grande chance, mais aussi un lourd défi, pour Mayotte comme pour l’Afrique. Et nous savons l’importance, pour la construction harmonieuse de tous ces jeunes, de la connaissance de leur propre histoire.
Peu de jeunes Sénégalais ou Béninois ont les moyens de voyager, de venir en France pour voir ces objets. Les restitutions – nous aurons le débat sur la question de savoir s’il faut maintenir ce terme ou lui préférer ceux de « retours » ou « transferts » – leur permettront d’accéder chez eux à des œuvres de leur culture, de leur civilisation et de se les approprier.
Ces œuvres ont une forte portée symbolique. Apportées en France lors de l’expansion coloniale comme des objets de curiosité exotique, elles avaient d’abord, pour la plupart, une fonction spirituelle. Témoins d’un passé prospère, elles participent à un sentiment de fierté, de confiance en soi de populations trop souvent dépouillées de leur histoire.
Il est donc important qu’elles soient exposées à tous – le Bénin et le Sénégal s’y sont engagés – et présentent des garanties de bonne conservation, dans le cadre d’une coopération repensée. La réalisation concrète du nouveau musée d’Abomey s’inscrira dans cette vision.
Ces biens, revenus à leur terre originelle, ne seront certes plus notre propriété, mais ils resteront toujours porteurs d’universel, parce qu’issus du génie humain.
Nous restons vraiment, avec ce texte, dans le domaine de l’exception. C’est pourquoi la création d’un comité chargé d’émettre un avis sur les restitutions, décidée par notre commission, ne me semble pas opportune. Nos musées nationaux resteront, avec leurs collections, des vecteurs de connaissance de l’autre et d’histoire partagée. Prêts et expositions temporaires doivent se multiplier afin de profiter au plus grand nombre.
Certes, on peut croire que des demandes de restitution, limitées jusqu’à présent, se feront plus nombreuses et pourront sembler tout aussi légitimes.
Mais ce sera à la France de décider, au cas par cas, en fonction d’ailleurs des terres de conflits, hélas propices aux destructions et aux pillages. Les équipes de scientifiques spécialistes des œuvres demandées éclaireront le choix du Gouvernement et il nous reviendra, à nous, parlementaires, la décision de l’approuver, ou non, au cas par cas.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit ce jour vise à sortir des collections nationales vingt-sept biens culturels, afin d’ouvrir la voie à leur restitution à deux pays africains, le Bénin et le Sénégal.
Il concerne, en son article 1er, le trésor de Béhanzin, vingt-six œuvres conservées au musée du quai Branly-Jacques Chirac et revendiquées par la République du Bénin depuis septembre 2016 et, en son article 2, le sabre, attribué à El Hadj Omar Tall, inscrit à l’inventaire des collections du musée de l’Armée, officiellement réclamé par le Sénégal depuis juillet 2019 et exposé au musée des civilisations noires de Dakar depuis son inauguration en décembre 2018, dans le cadre d’une convention de dépôt entre la France et le Sénégal.
L’ensemble de ces œuvres constitue des prises de guerre. Les vingt-six objets béninois, issus du palais des rois d’Abomey, ont été emportés en 1892 par le général Dodds, commandant des armées coloniales françaises, dans le cadre de la guerre du Dahomey qui l’opposait au roi Béhanzin. Le sabre attribué à El Hadj Omar Tall aurait, quant à lui, été confisqué à Ahmadou Tall, son fils, par le général Archinard après la prise de Bandiagara en 1893.
Ce texte est une nouvelle étape au sein d’une réflexion de plus grande ampleur : d’une part, celle du Président de la République, Emmanuel Macron, relative au patrimoine africain présent en France et, d’autre part, celle qui est liée à l’universalisme culturel, voulant que les œuvres culturelles appartiennent, au-delà des frontières des pays d’origine ou d’accueil, au patrimoine de l’humanité.
Lors de la remise du rapport Savoy-Sarr en novembre 2018, le Président de la République a annoncé cette nouvelle étape, qui nous réunit aujourd’hui : la restitution au Bénin des vingt-six œuvres ayant appartenu aux rois d’Abomey et le sabre attribué à El Hadj Omar Tall au Sénégal.
Le retour de ces objets tend à atteindre un double objectif : le premier est de permettre à la jeunesse, mais aussi à l’ensemble de la population africaine d’avoir accès en Afrique à son propre patrimoine ; le second est de consolider le partenariat, ici dans sa dimension culturelle, entre la France et le continent africain – il s’agit donc d’un objectif diplomatique et de coopération.
Le groupe Union Centriste est favorable à ces motifs, mais cet accord de fond ne doit pas occulter les réserves sur la forme et la méthode que nous souhaitons émettre.
La première réserve est liée au fait que notre intervention ici, en tant que législateurs, est aujourd’hui moins démocratiquement souhaitée que juridiquement requise.
Les objets concernés sont des prises de guerre, non des biens volés. Ils n’entrent donc pas dans le champ d’application de la convention de l’Unesco de 1970. Dès lors, c’est le droit français qui s’applique.
Dans ce cadre, un principe prévaut : celui de l’inaliénabilité des collections publiques, consacré par la loi et s’opposant à ce que la propriété d’un bien conservé dans les collections publiques puisse être transférée. Le législateur doit donc intervenir pour poser des exceptions : c’est la raison de ce texte.
Le principe de la restitution des œuvres béninoises a été acté par le Président de la République en novembre 2018. Le sabre, lui, a d’ores et déjà été restitué au Sénégal, le prêt n’étant qu’une sorte d’étape transitoire « en attendant » que le Parlement français ne valide la décision gouvernementale.
Ainsi, ce projet de loi entérine une décision présidentielle, alors même que le principe législatif d’inaliénabilité est inscrit dans la loi pour éviter dans ce domaine le « fait du prince », même si, ici, je le souligne, les raisons sont tout à fait acceptables.
On demande au Parlement de consacrer en droit ce qui est d’ores et déjà acté en fait. Ce n’est pas cela le rôle du Parlement !
La deuxième réserve que le groupe Union Centriste souhaite émettre s’inscrit dans une réflexion plus générale, qui aurait dû et doit être engagée à propos de ce patrimoine.
Lors de l’examen en 2009 de la proposition de loi, déposée par ma collègue Catherine Morin-Desailly, visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, le ministre de la culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, s’était exprimé en ces termes au sujet de l’initiative parlementaire : « Elle marque surtout l’ouverture, trop longtemps retardée à mes yeux, d’un véritable débat de fond sur le recours au déclassement, en donnant aux collectivités publiques les moyens de disposer en la matière d’une doctrine définie en parfaite concertation. » Tout est dit !
Plus d’une décennie et deux mandatures présidentielles plus tard, d’aucuns pourront constater que ce véritable débat de fond sur la nécessité d’établir une doctrine a malheureusement peu avancé. Je dis « malheureusement », parce que, citant de nouveau le ministre en 2009, « la question qui nous est posée à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi est de celles qui attisent la controverse, les prises de position morales ». Cela aurait effectivement mérité que les gouvernements s’en saisissent alors.
C’est précisément pour éviter controverses et procès que la Commission scientifique nationale des collections a été créée en 2010. Elle devait permettre à la France d’engager une réflexion prospective.
Faute pour le ministère d’avoir donné à cet organe les moyens de réussir, la France se trouve désormais dans une démarche sujette à la critique, défensive et casuistique. Coup de grâce, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) l’a tout simplement supprimé.
En l’absence de doctrine et de critères au sujet du retour des œuvres, nous sommes en effet contraints de n’avancer que par lois spécifiques portant exception au principe d’inaliénabilité. Eu égard aux dizaines de milliers d’œuvres qui sont et seront réclamées par les États, et dans une démarche proactive que commande la restitution de biens mal acquis, nous ne pouvons raisonnablement pas considérer que les lois d’exception itératives soient satisfaisantes.
Madame la rapporteure a donc justement, et nous l’en remercions, présenté à la commission un amendement visant à créer un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-occidentales.
Il aura pour objectif d’apporter aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision en la matière ; d’encourager notre pays et, en particulier, le monde muséal à approfondir sa réflexion sur ces questions qui ont vocation à rebondir dans les années à venir, afin de ne pas prendre les décisions au fur et à mesure, et d’anticiper ; de contenir dans le futur le risque de décisions conjoncturelles, aussi versatiles que l’actualité et l’opinion de l’instant ou les orientations politiques du moment.
Enfin, ce conseil est tout à fait indispensable pour poser une doctrine en matière de retour et contenir ce risque de « fait du prince », non seulement par principe, mais aussi pour les conséquences que cela emporte pour les œuvres. On ne restitue ni ne conserve a priori : il doit y avoir une décision objective, qui s’appuie sur une argumentation posée et construite.
L’enjeu du débat autour des restitutions consiste à concilier ce qui était légal autrefois avec ce qui est moral aujourd’hui, pour reprendre les mots de ma collègue Catherine Morin-Desailly.
Prendre du recul, exprimer la ou les vérités, voilà les raisons pour lesquelles il faut que le conseil proposé par la rapporteure soit mis en place, avec les moyens de fonctionner. Son travail permettra de concilier la portée universaliste de nos musées avec les exigences tout à fait légitimes des pays africains, comme c’est ici le cas. Nos histoires sont mêlées et communes, chargées d’un héritage parfois lourd, mais rien n’est manichéen, et le danger serait de résumer ce parcours de l’humanité à un simplisme caricatural.
Ces œuvres ont une charge morale forte et symbolique, mais elles sont le témoin de la complexité de la construction de notre monde et de la place majeure qu’occupe la culture dans la construction de l’humanité. La culture de l’autre est un bien commun, notre bien commun. La culture de l’autre a changé notre culture.
Le groupe Union Centriste votera donc en faveur du texte, avec une vigilance accrue quant aux efforts réalisés par le Gouvernement pour qu’une doctrine sur la question des restitutions soit discutée et établie. Il y va autant de la qualité de nos relations avec un continent ami que de notre éthique artistique, culturelle et scientifique. À celle-ci, en particulier, nous devons vraiment cette réflexion. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je veux d’abord vous féliciter et féliciter tous les intervenants pour la qualité et la profondeur du travail réalisé. Je pense tout particulièrement au vôtre, madame la rapporteure, sur ce sujet qui vous mobilise déjà depuis de longues années et sur lequel vous faites autorité.
La première question qui a été soulevée est celle de l’importance des travaux scientifiques sur ces sujets.
Ceux qui ont été menés ont été approfondis et continuent de l’être, avec, notamment, une journée d’étude sur les collections extra-occidentales, un séminaire de recherche « Parcours d’objets » organisé par la Direction générale des patrimoines et l’Institut national d’histoire de l’art, le renforcement des équipes au musée du quai Branly-Jacques Chirac grâce à des bourses de recherche spécifiques et un poste de recherche.
Je partage d’ailleurs l’avis exprimé sur plusieurs de ces travées quant aux inexactitudes ou, du moins, au parti pris dont témoigne parfois le rapport de Sarr-Savoy. Celui-ci ne pouvait être qu’un élément de réflexion ! Il n’est pas question de le mépriser ou de le rejeter ; il s’agit bien de lui donner sa juste place.
Ainsi, s’ils constituent un élément important de la réflexion, ces travaux n’ont pas suffisamment associé les spécialistes des musées et les historiens. Ils ont souvent minimisé la question de la provenance des œuvres ou adopté un parti pris sur celle-ci : par définition, dans le rapport, les œuvres sont systématiquement des œuvres volées ou indûment acquises, alors que la réalité est en fait beaucoup plus complexe et exige que l’on juge au cas par cas.
Ce parti pris est, de toute évidence, gravement dommageable dans une approche, qui, comme je viens de le rappeler, doit être scientifique.
Madame la rapporteure, il n’y avait nul mépris ni arrogance dans l’avis donné par le membre de mon cabinet. On a simplement porté à votre connaissance que l’Assemblée nationale avait voté ce projet de loi à l’unanimité, tous groupes confondus. Le débat est ouvert entre le Sénat et l’Assemblée nationale, sur ce texte comme sur beaucoup d’autres, et il se poursuivra en commission mixte paritaire : il ne faut pas surinterpréter cette considération purement factuelle.
Finalement, notre discussion prouve que, dans le conseil national de réflexion, chacun voit un peu ce qu’il veut. Pour certains, une telle instance pourrait limiter les procédures de restitution. D’autres, au contraire, y voient curieusement un outil méthodologique permettant de les faciliter. Cette différence conceptuelle montre bien la fragilité de la procédure.
Pour notre part, à travers ce projet de loi, nous établissons clairement notre doctrine : les œuvres détenues par les musées français sont inaliénables. Aucune procédure générale ne peut conduire à la restitution ou au don des œuvres. Il ne peut pas y avoir de doctrine plus claire et plus affirmée ! Toute autre procédure viendrait la battre en brèche et serait l’amorce de démarches extrêmement dangereuses. (MM. Bruno Retailleau et Max Brisson s’exclament.)
Je remercie les orateurs qui ont inscrit les deux restitutions dont il s’agit dans une perspective d’avenir et de développement. Bernard Fialaire l’a dit très justement et plusieurs d’entre vous ont placé cette coopération dans ce cadre extrêmement fécond.
Bien entendu, je n’éprouve pas pour autant les craintes que semblent traduire certains propos, mettant en doute les capacités des peuples africains à assurer la conservation de ces œuvres. Les chercheurs français, les présidents et directeurs d’institutions muséales mettent à disposition leur expertise, qui est remarquable, dans un esprit de coopération ; mais, dans ce domaine, il faut se garder de toute approche méprisante ou arrogante.
M. François Bonhomme. Certes !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Monsieur Ouzoulias, chacun connaît ici vos grandes qualités scientifiques et vos travaux ; vous êtes historien et archéologue, spécialiste des Gaules romaines. Vous avez dit une chose très importante : il faut que ces échanges soient à double sens. C’est une perspective dans laquelle nous pourrions tous nous retrouver.
On ne peut pas se contenter de la restitution d’œuvres. Notre horizon doit être plus large : peut-être les œuvres restituées reviendront-elles au musée du quai Branly pour une exposition temporaire ; peut-être organisera-t-on une exposition Matisse au Bénin ou une exposition Picasso au musée de Dakar. C’est vers cette logique qu’il faut aller. Une démarche à sens unique se révélerait, finalement, néocolonialiste. Elle serait dès lors parfaitement condamnable. À l’opposé, il faut défendre une vision universaliste de l’art : sur ce point, je vous rejoins tout à fait.
Madame Lepage, vous avez beaucoup insisté sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : la jeunesse africaine exprime sa fierté, elle a besoin de dignité et veut se reconnaître dans son histoire, qui a été souvent méprisée. Le grand historien africain Joseph Ki-Zerbo déplorait que l’on ait souvent une vision anhistorique de l’Afrique. Évidemment, cette jeunesse doit pouvoir se retrouver dans son passé.
Néanmoins, on ne peut pas partir du principe que toute restitution suppose le pillage, donc la violence, notion juridiquement très difficile à établir : dans un contexte de colonisation, à quel moment commence la violence ? À quel moment achète-t-on les œuvres indûment ? À quel moment les paie-t-on à leur véritable valeur, quand le rapport de force est si déséquilibré ? Cette notion est éminemment contestable. Une méthodologie ne saurait en aucun cas se fonder sur elle.
Monsieur Brisson, vous avez évoqué la mémoire de Jacques Chirac : vous pensez si j’y souscris !
M. François Bonhomme. Il ne serait pas content !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Vous avez également cité André Malraux. Dieu sait si je m’y réfère ; mais les pillages du temple d’Angkor et des autres temples cambodgiens ne sont tout de même pas les épisodes les plus glorieux de sa vie…
M. Bruno Retailleau. Il s’en est expliqué !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Dans un tel débat, mieux vaut donc éviter d’évoquer sa mémoire ! Je vous le dis en toute amitié. (Sourires.)
Monsieur Decool – j’y insiste –, nous avons développé les capacités des musées africains et la coopération permettra d’assurer une parfaite conservation des œuvres.
Monsieur Dossus, vous nous invitez à sortir des lois d’exception ; mais, pour ma part, je m’y refuse ! C’est le sens même du texte que je vous propose. En définitive, tous les orateurs estiment qu’il faut traiter les dossiers au cas par cas, finement, en se penchant sur les origines des œuvres, en étudiant la manière dont elles ont été acquises. Pourquoi se ligoter par telle ou telle procédure ? Il faut s’en tenir à des dispositifs législatifs d’exception.
Monsieur Hassani, vous avez parfaitement décrit la manière dont nous voulons procéder : je vous remercie de votre propos, empreint d’une grande humanité.
Enfin, madame de La Provôté, je ne peux que vous le répéter : oui, nous avons une doctrine. Je la rappelle une fois de plus : ces sujets extrêmement délicats ne peuvent être jugés qu’au cas par cas, au terme d’un travail scientifique approfondi, fondé sur des recherches historiques minutieuses. Les œuvres sont inaliénables, mais la France est un pays de générosité qui examinera ces coopérations dans un esprit d’ouverture. Je remercie le Sénat de l’avoir compris ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal
Article 1er
Par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les vingt-six œuvres provenant d’Abomey conservées dans les collections nationales placées sous la garde du musée du quai Branly-Jacques Chirac, dont la liste figure en annexe à la présente loi, cessent de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an au plus pour transférer ces œuvres à la République du Bénin.
Annexe 1 à l’article 1er
1. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.1 – Statue anthropomorphe du roi Ghézo ;
2. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.2 – Statue anthropomorphe du roi Glèlè ;
3. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.3 – Statue anthropomorphe du roi Béhanzin ;
4. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.4 – Porte du palais royal d’Abomey ;
5. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.5 – Porte du palais royal d’Abomey ;
6. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.6 – Porte du palais royal d’Abomey ;
7. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.7 – Porte du palais royal d’Abomey ;
8. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.8 – Siège royal ;
9. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.1 – Récade (insigne d’autorité) réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;
10. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.2 – Calebasses royales grattées et gravées d’Abomey, prise de guerre dans les palais royaux ;
11. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.3 – Autel portatif aseñ hotagati ;
12. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.4 – Autel portatif aseñ royal ante mortem du roi Béhanzin ;
13. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.5 – Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;
14. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.6 – Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;
15. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.7 – Trône du roi Glèlè ;
16. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.8 – Trône du roi Ghézo (longtemps dit « Trône du roi Béhanzin ») ;
17. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.9 – Autel portatif aseñ hotagati à la panthère, ancêtre des familles royales de Porto-Novo, d’Allada et d’Abomey ;
18. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.10 – Fuseau ;
19. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.11 – Métier à tisser ;
20. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.12 – Pantalon de soldat ;
21. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.13 – Siège tripode kataklè sur lequel le roi posait ses pieds ;
22. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.14 – Tunique ;
23. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.15 – Récade (insigne d’autorité) réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;
24. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.16 – Récade réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;
25. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.17 – Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;
26. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.18 – Sac en cuir.