compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jacques Grosperrin,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel des règles sanitaires
M. le président. Mes chers collègues, afin de respecter les règles sanitaires, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans notre hémicycle, y compris pour les orateurs, et qu’il vous est demandé de laisser un siège vide entre deux sièges occupés.
Les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle, à l’exception de celles des membres du Gouvernement, lesquels sortiront par le devant.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun observera le respect tant des uns et des autres que du temps de parole.
Un certain nombre de nos collègues sont présents dans les tribunes du public ; ils sont donc pleinement dans l’hémicycle pour ces questions d’actualité au Gouvernement.
attentat de conflans-sainte-honorine (i)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. L’assassinat de Samuel Paty a sidéré la Nation tout entière.
Oui, en France, si souvent qualifiée de « pays des Lumières », un homme, un enseignant, a été tué sauvagement, parce qu’il transmettait le savoir et la réflexion, parce qu’il transmettait l’humanité pour que ses élèves deviennent demain des femmes et des hommes libres ! Cette humanité si profonde, qui est au cœur de la laïcité, c’est ce qu’a voulu tuer ce terroriste au nom d’un islam radical.
Oui, l’islam doit sortir de l’emprise intégriste encouragée par des pays qu’il faudra dénoncer ! Il faudra aussi permettre, comme ils le souhaitent, à l’immense majorité des musulmans de pratiquer leur religion dans la sérénité.
Ce combat devra rejeter les amalgames et les tentatives de récupération et de division qui se multiplient.
Samuel Paty est mort en héros. Il a porté au plus haut niveau les valeurs de la laïcité et de la liberté d’expression, jusqu’à en perdre la vie. Son petit garçon pourra être fier de la gloire de son père, en écho à ces hussards de la République, qui, au début du siècle dernier, ont diffusé par l’école publique, partout en France, la nécessité de l’émancipation humaine par le savoir et la culture.
Monsieur le Premier ministre, avec la Nation tout entière, nous devons nous lever pour saluer la mémoire de Samuel Paty et entourer ses proches de notre profonde affection, mais nous devons aussi nous lever pour donner enfin aux enseignants les moyens de leur action essentielle pour l’avenir de notre pays. Ces hussards de la République, qu’ils soient à l’école, à l’hôpital, dans les mairies ou les commissariats, sont trop souvent abandonnés. Ils crient ou taisent leur impuissance à remplir leur mission.
Il n’y aura pas de réponse à long terme au défi sanglant du terrorisme islamiste sans une véritable reconquête républicaine, qui pose la question clé d’un choix de société plaçant l’humain au cœur des décisions. C’est la voie pour préserver l’unité de la Nation.
Avec Gambetta, j’affirme : « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire. »
En ce jour de deuil national, nous nous inclinons devant la dépouille de Samuel Paty, mais nous portons l’espoir que sa mort remettra en mouvement la République laïque, démocratique et sociale, pour que liberté et progrès règnent sur notre territoire. C’est là notre devoir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Madame la présidente Assassi, c’est en effet dans un moment extrêmement grave et solennel que je prends la parole cet après-midi devant la Haute Assemblée. M. le Président de la République présidera tout à l’heure une cérémonie d’hommage national à ce professeur lâchement assassiné dans des conditions particulièrement odieuses et inacceptables, de surcroît – vous l’avez rappelé, et ce point est très important – dans l’exercice de ses fonctions.
Ainsi que vous l’avez souligné, à travers lui, c’est bien la République qui est visée. Au cœur de la République et de ses valeurs figurent évidemment l’éducation nationale, la liberté d’enseigner, la liberté de penser, la liberté de s’exprimer. Telles sont bien, au-delà de la personne de Samuel Paty, les cibles de cet ennemi que nous connaissons et que nous devons nommer : l’islamisme politique, l’islamisme radical, qui est l’un des terreaux du terrorisme. Les combattants, nous les connaissons.
Mme Éliane Assassi. Et on fait quoi ?
M. Jean Castex, Premier ministre. La première chose à faire est de rester unis dans de tels moments – toujours ! –, car leur objectif, n’en doutez pas, est aussi de nous diviser, de nous monter les uns contre les autres, d’affaiblir la République, de nous pousser à faire ou à dire des choses qui ramèneraient dans leurs filets encore davantage d’adversaires de la République.
Nous agissons de manière ferme et déterminée. Je pourrais évidemment détailler devant la Haute Assemblée les dispositions qui ont été prises pour donner toutes les suites à cet acte horrible, mais je souhaite surtout rappeler que le Gouvernement et l’administration de la République travaillent depuis plusieurs années, notamment depuis 2017, à la prévention de ce type d’actes ignobles. Les services ont été réorganisés. Les moyens ont été renforcés comme jamais, quand, jadis, les Renseignements généraux avaient été supprimés. Les lois ont été renforcées. De très nombreux attentats ont été déjoués grâce à ces dispositifs.
L’attentat contre Samuel Paty doit conduire, dans le cadre de l’unité et dans le respect de nos propres valeurs, à intensifier encore davantage, de façon résolue – n’en doutez pas, madame la présidente Assassi –, notre action.
Voyez comme va arriver à point nommé le projet de loi annoncé aux Mureaux voilà quelques jours par le Président de la République pour lutter contre toute forme de séparatisme !
Voyez combien, sous l’autorité du ministre de l’intérieur, nous allons dès à présent augmenter encore, non pas seulement dans les textes, mais dans les faits, les moyens pour lutter contre la haine sur internet !
Voyez que, dès aujourd’hui, un groupement de fait répandant la haine a été dissous par le conseil des ministres ! Sachez que d’autres suivront.
L’éducation nationale, la République et, finalement, la France ont été attaquées. Mais nous vaincrons. Nous vaincrons dans l’unité et dans la détermination, parce que ces valeurs de la République, nous les partageons. Nous agirons, nous continuerons à agir sans relâche pour que force reste à la loi républicaine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
mesures d’accompagnement à destination des enseignants à la suite de l’attentat de conflans-sainte-honorine
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Toutes nos pensées vont à Samuel Paty, assassiné parce qu’il faisait son métier. Toutes nos pensées vont à sa famille, à ses élèves et à ses collègues, à tous les professeurs qui sont retournés dans leur classe pour accomplir la plus belle des missions qui soit : enseigner, transmettre. Nous le savons, ils y retournent choqués. Ils se sentent parfois trop seuls.
Cet attentat terroriste islamiste caractérisé fait suite à d’autres actes barbares animés par la même idéologie. Il y a eu près de 300 morts depuis 2011. Des enfants ont aussi perdu la vie. Face à ce constat tragique, il ne faut pas trembler ; il ne faut pas de compromission. C’est une chose de le dire, mais la question de l’accompagnement au quotidien se pose.
En ce moment même, des propagateurs de haine officient encore sur les réseaux.
En ce moment même, une lycéenne ne peut toujours pas retourner dans son lycée pour avoir critiqué une religion. C’est inimaginable et inacceptable !
Face à cela, le risque serait de s’autocensurer, de reculer collectivement. Nous parlons là de l’essentiel, des fondements mêmes de notre Nation : la liberté de conscience, le libre examen, la libre expression, l’esprit critique, l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous parlons là de ce que nous sommes : une République laïque, une et indivisible.
Nous savons la détermination du Gouvernement et du Président de la République à terrasser cette idéologie mortifère. Le texte sur les séparatismes arrive bientôt au Parlement. Il fera partie de la réponse globale.
Monsieur le ministre, comment l’éducation nationale doit-elle accompagner les professeurs dans l’enseignement de la laïcité face à des contestations d’élèves ou de parents violentes jusqu’à l’extrême ? Comment mieux les protéger dans tous leurs enseignements ? Quid de leur formation et de leur encadrement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Philippe Bas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, je souhaite d’abord vous saluer avec respect, puisque vous venez d’être élue au sein de la Haute Assemblée.
Je partage tout ce que vous avez dit. Dans la lignée de ce que M. le Premier ministre vient de rappeler, j’ajoute que nous nous rejoignons évidemment tous ici, je le crois, sur ce socle de la République. La liberté d’expression est un pilier fondamental pour notre République, pour notre démocratie et, plus généralement, pour la démocratie dans le monde. Je profite de l’occasion pour saluer l’immense élan international de solidarité à l’œuvre ; en ce qui me concerne, je le constate de la part des ministres de l’éducation du monde entier.
Avec M. le Premier ministre, nous avons reçu les organisations syndicales samedi dernier. J’ai ensuite reçu les organisations représentant les parents d’élèves. J’ai été très heureux de constater, même si je m’y attendais, que nous avions cette unité si indispensable et cette convergence de vues sur les valeurs de la République. Les organisations syndicales ont demandé que nous ayons des consignes claires, nettes, précises et fortes pour le 2 novembre, jour de la rentrée, et pour les jours suivants. C’est pourquoi j’ai demandé au Conseil des sages de la laïcité, que j’ai créé voilà trois ans précisément pour définir le système de référence dont nous avons besoin – il existe désormais –, de siéger en permanence, afin de recevoir l’ensemble des organisations et les élus, qui souhaitent être écoutés en ce moment, mais également de formuler des propositions, tant pour cette rentrée que pour la suite, y compris en matière de protection des professeurs.
Je donnerai donc ces consignes claires, nettes et précises sur le déroulé du 2 novembre. Je vous en livre d’ores et déjà une, qui vous concerne directement : je demande à tous les élus de la République, conseillers municipaux, maires et, bien entendu, vous-mêmes, membres du Parlement, d’être présents auprès des professeurs le jour de la rentrée. Cela me paraît très important.
D’autres mesures seront prises ; j’aurai peut-être l’occasion d’en reparler aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
assassinat de samuel paty (i)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Monsieur le Premier ministre, au nom de mon groupe, je tiens à exprimer notre immense peine et notre solidarité à la famille et aux proches de Samuel Paty, odieusement assassiné par un terroriste islamiste.
Un professeur a été assassiné. Ce n’est pas par hasard. L’islamisme politique, cet extrémisme qui ne peut ni ne doit être confondu avec la religion musulmane, celle de bon nombre de nos concitoyens, doublement meurtris aujourd’hui, développe une offensive idéologique obscurantiste contre tout ce qu’incarne la République indivisible, sociale, démocratique et laïque. C’est sur la base de ce qu’il a semé dans les esprits par de multiples réseaux, bénéficiant de nombreuses complaisances ou aveuglements, qu’un terroriste s’est senti encore « autorisé » à tuer.
Un professeur a été assassiné. Il était de celles et de ceux qui, au quotidien, avaient pour mission de permettre à nos jeunes de devenir des citoyennes et des citoyens émancipés, capables d’exercer leur liberté individuelle de jugement et d’expression, c’est-à-dire de leur permettre d’échapper à des assignations à résidence communautaire, familiale, culturelle, religieuse, sociale ou territoriale.
Un professeur a été assassiné. Il était de celles et de ceux qui, dans des conditions souvent difficiles, à contre-courant des haines qui se déversent impunément, devaient expliquer que les femmes et les hommes sont égaux, que personne ne peut être discriminé en raison de son origine, de sa religion, de sa couleur de peau ou de son orientation sexuelle et qu’aucune loi religieuse ne peut s’imposer à la loi de la République.
Un professeur a été assassiné. Alors, je vous demande d’affirmer avec force que personne n’est supérieur au professeur de l’école de la République laïque pour la transmission de nos valeurs fondamentales ! Je vous demande aussi d’honorer les 900 000 enseignants, ces piliers de la République, en les protégeant mieux, en renforçant leurs moyens et en les valorisant aux yeux de toute la société ! Ce serait le meilleur hommage à M. le professeur Samuel Paty. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Nous sommes au cœur du sujet, qui repose sur le socle républicain. Nous en étions témoins vous et moi, puisque nous étions côte à côte place de la République dimanche dernier ; je veux vous saluer pour cela également.
Nous sommes effectivement confrontés à une problématique, certes, de protection – j’aurai l’occasion d’y revenir –, mais également de reconnaissance des professeurs par notre société. Cette question se pose avec acuité quelques jours à peine après cet assassinat, mais elle existait déjà auparavant. Nous devons y apporter une réponse. C’est pourquoi nous travaillons depuis plusieurs mois avec les organisations syndicales sur ce que nous appelons l’agenda social. Cela débouche aujourd’hui sur ce que j’avais annoncé : le Grenelle de l’éducation. Celui-ci commencera demain ; c’était le calendrier prévu, et nous ne le modifierons pas. Il repose sur des mots clés : « reconnaissance », notamment financière, mais aussi « coopération », avec le travail en équipe, « modernisation » et « protection ».
Nous devons développer un ensemble de mesures au cours des trois prochains mois. Elles feront l’objet d’une loi de programmation. Leur effet le plus visible sera l’augmentation de la rémunération des professeurs, mais il y en aura d’autres. Vous constaterez la première augmentation dès l’examen du projet de loi de finances pour 2021, dont vous serez bientôt saisis, avec une enveloppe de 400 millions d’euros. Au-delà de cette augmentation, qui s’adressera notamment aux plus jeunes, mais qui pourrait concerner aussi l’ensemble des professeurs, nous transformons notre système, notamment avec des ressources humaines de proximité. Ce système sera beaucoup moins anonyme et beaucoup plus personnalisé, avec un suivi de chaque professeur tout au long de sa carrière. Cela manifestera la reconnaissance du pays à tous les professeurs.
Au-delà de ces mesures, le sursaut national actuel doit nous conduire à considérer que le professeur est central. Nous devons tous, comme citoyens, comme parents d’élèves, respecter les professeurs et tenir des discours qui les placent au centre de notre société. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et RDSE.)
attentat de conflans-sainte-honorine (ii)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Je tiens à exprimer à mon tour, au nom de mon groupe, notre grande émotion après cet attentat inqualifiable. Nos pensées vont bien sûr vers Samuel Paty, à sa famille et à ses proches, à qui nous adressons notre compassion. Elles vont aussi aux forces de l’ordre, qui sont intervenues dans le plus grand professionnalisme.
Mais je veux également exprimer notre colère face à notre incapacité collective à mettre un terme aux défis devenus quotidiens d’une idéologie totalitaire et mortifère. Assez de minutes de silence, de marches hommages et de reculs ! Notre pays a besoin d’actes forts pour préserver notre démocratie. Car tel est bien l’enjeu du combat culturel qui se nourrit de la misère sociale et dans lequel nous sommes entrés pour au moins une génération.
Aujourd’hui, l’école, le creuset de l’avenir de notre Nation, a été attaquée. Un enseignant a été décapité pour avoir enseigné la liberté d’expression. Rendons-nous compte du sens terrible de cette phrase !
J’ai été professeur d’histoire-géographie. J’ai enseigné l’histoire de France à des élèves de toutes origines et de toutes croyances. J’ai tâché de leur transmettre ce qu’a été l’édification de la République par les grands principes émancipateurs des Lumières. J’ai voulu qu’ils apprennent le doute raisonnable, le libre arbitre, le débat contradictoire, afin qu’ils deviennent des citoyens éclairés et d’égale dignité, quel que soit leur milieu d’origine.
Mon groupe a toujours été, depuis 1892, un défenseur acharné de la laïcité : une laïcité qui ne peut se concevoir que sans adjectif, pour garantir dans la concorde civile l’unité nationale au-delà des opinions et croyances ; une laïcité qui assure le droit de croire ou de ne pas croire, qui permet l’égalité des chances, qui ne réduit pas les individus à une vision essentialiste ; une laïcité à rebours du projet obscurantiste que des fanatiques ne concevant la vie que par le dogme religieux veulent nous imposer.
Monsieur le Premier ministre, l’autorité de l’État n’a cessé de reculer depuis trente ans sur la laïcité. Allez-vous enfin mettre un terme à cette situation ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP et SER.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président Requier, je vous salue d’autant plus volontiers que je sais la profession que vous avez exercée, laquelle profession revêt une symbolique particulière en ces moments difficiles pour notre pays.
Vous avez raison, l’une des forces de la République est d’être laïque ; elle le demeurera, plus que jamais. C’est un pilier de notre socle social, aujourd’hui combattu, mais que nos prédécesseurs républicains ont construit avec ténacité.
Nous allons conforter la laïcité. Nous le ferons d’abord – je l’ai indiqué précédemment – en ne laissant pas cet acte odieux impuni. Je voudrais rendre hommage à nos forces de sécurité intérieure. Dois-je rappeler à la Haute Assemblée que l’auteur de l’attentat, lui aussi barbare, perpétré devant les anciens locaux de Charlie Hebdo voilà quelques semaines à peine a été arrêté par les forces de police une heure et dix minutes après la commission des faits et que l’auteur de l’assassinat sauvage de Samuel Paty a été neutralisé par les forces de sécurité quelques minutes seulement après la commission des faits ?
Sous le contrôle de l’autorité judiciaire, nous avons engagé tous les moyens nécessaires pour que les complices présumés de cet acte ignoble soient poursuivis. Nous avons d’ores et déjà pris un certain nombre de mesures. J’ai évoqué précédemment la dissolution d’une association. Je pourrais également mentionner la fermeture d’une mosquée en Seine-Saint-Denis, à Pantin.
Au-delà, dans la lutte contre le séparatisme, nous comptons bien renforcer les valeurs de la laïcité. C’est tout l’objet du texte dont vous aurez à débattre en début d’année prochaine. Il prolongera et approfondira des dispositions que vous avez déjà votées. Je salue d’ailleurs Mme Gatel, ici présente.
Nous voulons renforcer la laïcité. Cet événement tragique doit nous donner plus fortement encore l’occasion de nous rassembler autour de cette belle valeur : la République. Monsieur le président Requier, nous ne renonçons à rien ; notre détermination et notre action se trouvent au contraire énergiquement renforcées par les événements qui viennent de se produire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
assassinat de samuel paty (ii)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Mme Monique de Marco. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Ma première pensée va à la famille de Samuel Paty, à sa femme et à son fils. La violence de cet assassinat montre l’immense difficulté et la mission essentielle du métier de professeur aujourd’hui.
Immense difficulté, car les enseignants sont depuis plusieurs années en première ligne face aux événements tragiques auxquels nos enfants sont confrontés.
Mission essentielle, car il s’agit d’accompagner tous les enfants de la République sur le chemin de la connaissance et de la réflexion, gage et moyen d’une vraie liberté de pensée. L’éducation et la construction de l’esprit critique sont les conditions de la démocratie et de la lutte contre le terrorisme.
À côté de cette tragédie, combien d’enseignants sont confrontés à d’énormes difficultés dans leur pratique quotidienne ? Les relations se tendent, et l’accompagnement, le soutien et la formation manquent trop souvent cruellement.
Nous assistons à une paupérisation du service public de l’enseignement. Cela laisse aujourd’hui les professeurs seuls garants des principes de la République. Il n’y a plus de formation continue digne de ce nom, en particulier s’agissant de la citoyenneté et du vivre ensemble. Pourtant, le besoin est réel. Il faut des dispositions effectives pendant le temps scolaire, avec des moyens de remplacement appropriés.
Monsieur le ministre, pour avoir été enseignante en collège pendant trente ans, c’est avec beaucoup d’émotion et d’inquiétude pour l’avenir que je vous demande quel plan de formation ambitieux vous allez mettre en œuvre dès la rentrée de novembre. Allez-vous proposer un énième numéro vert ou prendre de véritables mesures pour accompagner comme il se doit les professeurs face aux enjeux actuels ?
Il est important d’honorer la mémoire de Samuel Paty en poursuivant son travail. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, je vous salue également avec respect, puisque vous venez d’être élue.
La question que vous posez, sur la formation des professeurs, est évidemment de la plus haute importance. Sur ce sujet, nous avons avancé à plus d’un titre.
Je faisais mes calculs hier. Ainsi que nous aurons l’occasion de l’évoquer lors de l’examen du projet de loi de finances, c’est sous ce quinquennat que les budgets de l’éducation nationale ont le plus augmenté, en particulier par rapport aux deux, voire aux trois quinquennats précédents. Vous le verrez, tout cela est chiffré.
La Haute Assemblée a eu à travailler sur au moins deux textes législatifs ayant une importance s’agissant du sujet que vous avez abordé. Je pense d’abord à la proposition de loi présentée par Mme Gatel, que j’ai très fortement soutenue. Ce texte nous a permis d’avancer sur la laïcité, notamment via le combat contre les écoles hors contrat adossées à des projets extrémistes ou radicaux. Je pense ensuite à la loi pour une école de la confiance. Il y a eu ici des débats très approfondis sur la formation initiale et la formation continue.
Je vous donne en partie raison. La formation n’est pas suffisante aujourd’hui. Nous avons commencé à apporter des réponses. La formation aux enjeux de l’éducation morale et civique est désormais systématique dans la formation initiale ; elle doit être beaucoup plus abondante dans la formation continue.
Je centrerai mon propos sur l’éducation morale et civique, mais je pourrais évoquer beaucoup d’autres sujets, comme les mesures que nous prenons pour développer les savoirs fondamentaux, notamment en français et en mathématiques.
Sachez que nous avons déjà renforcé l’éducation morale et civique et que nous allons continuer de le faire, notamment pour lui donner un caractère plus vivant, plus tonique, afin que les élèves se sentent engagés sur ces sujets. Je prendrai aussi d’autres initiatives en tant que ministre chargé de la jeunesse pour favoriser l’engagement civique des élèves.
L’amélioration de la formation continue passe également par le développement d’outils pédagogiques et de formations à distance. Le réseau Canopé a déjà mis en place un programme à distance sur la laïcité, et il va continuer de l’enrichir.
En tout cas, l’ensemble du corps professoral doit s’approprier les enjeux de l’éducation morale et civique, même si celle-ci est portée en premier lieu par les professeurs d’histoire-géographie. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour la réplique.
Mme Monique de Marco. Monsieur le ministre, je crois qu’il est nécessaire d’élargir cette formation à l’ensemble des enseignants – elle ne doit pas être dispensée qu’aux professeurs d’histoire-géographie. En outre, il est préférable que ce type de formation se déroule en présentiel plutôt qu’à distance. Je le redis, tous les enseignants ont besoin de formation sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
assassinat de samuel paty (iii)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Ce n’est plus seulement dans les mosquées salafistes que se recrutent les djihadistes ; c’est aussi sur internet, devenu l’écosystème du complotisme, de la haine et, désormais, des influenceurs islamistes.
L’assassinat de Samuel Paty a été préparé par les torrents d’injures des fanatiques sur les réseaux antisociaux. Il y a aussi sur ces réseaux ceux qui fracturent méthodiquement notre pays : les identitaires, les racialistes, les indigénistes, les décoloniaux. Il y a enfin les idiots utiles qui crient à l’islamophobie ou au racisme dès qu’on annonce des mesures pour combattre l’islamisme.
L’Assemblée nationale a voté la loi qui imposait le retrait des contenus haineux dans les vingt-quatre heures. Cette loi a été censurée par le Conseil constitutionnel au nom de la liberté d’expression, ce qui laisse le problème entier.
La liberté d’expression ne consiste pas à mettre en ligne la haine, le harcèlement, les appels au meurtre ou le djihadisme. La loi interdit à la presse de publier de tels contenus, et la presse s’y conforme, sans que personne y voie une atteinte à la liberté d’expression. Les plateformes, quant à elles, s’en exonèrent sans aucune sanction. Les résultats sont sous nos yeux !
Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé hier la création d’un délit de mise en danger de la vie d’autrui par internet. Pourquoi pas ! Mais il faut aller plus loin. La seule façon de nettoyer le dépotoir des réseaux antisociaux, le « torrent de boue », disait le président Larcher, est l’obligation de retirer les contenus haineux. Il faut absolument y revenir sous une forme acceptable par le Conseil constitutionnel. Nous le devons à Sonia Mabrouk, à Mila, à Zineb El Rhazoui et à tant d’autres obligés de vivre chaque jour sous protection policière à cause de fatwas sur internet.
Au-delà des commémorations, le meilleur hommage à Samuel Paty est de continuer avec des lois enfin efficaces le cours qu’il donnait à ses élèves, ce cours par lequel il luttait contre la haine et pour l’unité de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)